Tribunal administratif de Nancy, Reconduites à la frontière, 11 mai 2023, n° 2301363

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Sur la décision

Référence :
TA Nancy, reconduites à la frontière, 11 mai 2023, n° 2301363
Juridiction : Tribunal administratif de Nancy
Numéro : 2301363
Importance : Inédit au recueil Lebon
Type de recours : Excès de pouvoir
Dispositif : Rejet
Date de dernière mise à jour : 31 mai 2023

Sur les parties

Texte intégral

Vu la procédure suivante :

Par une requête enregistrée le 3 mai 2023 à 20 heures 58 et un mémoire complémentaire enregistré le 9 mai 2023, Mme F épouse A, représentée par Me Chaïb, demande au tribunal :

1°) de l’admettre au bénéfice de l’aide juridictionnelle provisoire ;

2°) d’annuler l’arrêté en date du 2 mai 2023 par lequel le préfet de Meurthe-et-Moselle lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination et lui a fait interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de douze mois ;

3°) d’annuler l’arrêté du 2 mai 2023 par lequel le préfet de Meurthe-et-Moselle l’a assignée à résidence dans le département de la Meurthe-et-Moselle pour une durée de quarante-cinq jours renouvelable une fois avec obligation de se présenter tous les mardis et jeudis, y compris les jours fériés, à 9 heures à l’hôtel de police de Nancy ;

4°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 1 500 euros en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative et de l’article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Elle soutient que :

En ce qui concerne la décision portant obligation de quitter le territoire français :

— la décision est entachée d’incompétence de l’auteur de l’acte ;

— la décision méconnait les stipulations de l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

— la décision méconnait les stipulations de l’article 3-1 de la convention internationale sur les droits de l’enfant ;

En ce qui concerne la décision fixant le pays de destination :

— la décision sera annulée en conséquence de l’annulation de la décision portant obligation de quitter le territoire français ;

— la décision méconnait les dispositions de l’article L. 721-4 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile et les stipulations de l’article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

En ce qui concerne la décision portant interdiction de retour sur le territoire français :

— la décision sera annulée en conséquence de l’annulation de la décision portant obligation de quitter le territoire français ;

— la décision est entachée d’une erreur manifeste d’appréciation et est disproportionnée ;

En ce qui concerne la décision portant assignation à résidence :

— la décision sera annulée en conséquence de l’annulation de la décision portant obligation de quitter le territoire français ;

— la décision est entachée d’incompétence de l’auteur de l’acte ;

— la décision porte une atteinte disproportionnée à son droit de mener une vie privée et familiale normale.

Par un mémoire en défense, enregistré le 9 mai 2023, le préfet de Meurthe-et-Moselle conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par Mme A ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces des dossiers.

Vu :

— la convention internationale sur les droits de l’enfant ;

— la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

— le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ;

— la loi n°91-647 du 10 juillet 1991 ;

— le code de justice administrative.

Le président du tribunal a désigné Mme Marini, première conseillère, pour exercer les pouvoirs qui lui sont attribués par les articles L. 572-5, L. 572-6, L. 614-5, L. 614-6, L. 614-9, L. 614-11, L. 614-12, L. 614-15, L. 615-2, L. 623-1, L. 732-8, L. 754-4 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

Le rapport de Mme D a été entendu au cours de l’audience publique.

La clôture de l’instruction a été prononcée à l’issue de l’audience, en application de l’article R. 776-26 du code de justice administrative.

Considérant ce qui suit :

1. Mme A, ressortissante albanaise, a déclaré être entrée sur le territoire français en mars 2018, accompagnée de ses deux enfants mineurs, pour y solliciter l’asile. Sa demande d’asile a été rejetée en dernier lieu par une décision de la Cour nationale du droit d’asile du 7 août 2019. Par un arrêté du 25 avril 2019, confirmé par un jugement du 9 juillet 2019 du présent tribunal, le préfet de Meurthe-et-Moselle lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours. Par deux arrêtés du 2 mai 2023, dont la requérante demande l’annulation, le préfet de Meurthe-et-Moselle lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination, lui a fait interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de douze mois et l’a assignée à résidence dans le département de Meurthe-et-Moselle pour une durée de quarante-cinq jours renouvelable une fois avec obligation de se présenter tous les mardis et jeudis, y compris les jours fériés, à 9 heures à l’hôtel de police de Nancy.

Sur l’aide juridictionnelle provisoire :

2. Aux termes de l’article 20 de la loi susvisée du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique : « Dans les cas d’urgence, sous réserve de l’application des règles relatives aux commissions ou désignations d’office, l’admission provisoire à l’aide juridictionnelle peut être prononcée soit par le président du bureau ou de la section compétente du bureau d’aide juridictionnelle, soit par la juridiction compétente ou son président ».

3. Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, en application des dispositions précitées, d’admettre provisoirement Mme A au bénéfice de l’aide juridictionnelle.

Sur les conclusions à fin d’annulation :

En ce qui concerne la décision portant obligation de quitter le territoire français :

4. En premier lieu, l’arrêté contesté est signé par Mme B C, cheffe du bureau de l’asile et de l’éloignement à laquelle le préfet de Meurthe-et-Moselle établit avoir délégué sa signature par un arrêté en date du 5 avril 2023, régulièrement publié au recueil des actes administratifs de la préfecture du 7 avril 2023. Par suite, le moyen tiré de l’incompétence du signataire des arrêtés contestés manque en fait et doit être écarté.

5. En deuxième lieu, aux termes de l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales : « 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale ou à la protection des droits et libertés d’autrui ». Aux termes de l’article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l’enfant : « Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu’elles soient le fait d’institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale ». Il résulte de ces dernières stipulations que, dans l’exercice de son pouvoir d’appréciation, l’autorité administrative doit accorder une attention primordiale à l’intérêt supérieur des enfants dans toutes les décisions les concernant.

6. Mme A fait valoir sa durée de présence en France, ses efforts d’intégration et la scolarisation de sa fille mineure. Il ressort des pièces du dossier qu’elle a suivi des cours de français et qu’elle est bénévole dans des associations. La fille de Mme A est scolarisée en première année de certificat d’aptitude professionnelle (CAP) « équipier polyvalent du commerce ». Toutefois, s’il ressort des pièces du dossier que Mme A est entrée en France en 2018, son temps de présence s’explique en partie par la circonstance qu’elle n’a pas exécuté une précédente mesure d’éloignement. Par ailleurs, elle ne dispose pas d’attaches familiales en France autre que sa fille mineure et son fils majeur et il n’est pas établit qu’elle serait dépourvue d’attaches personnelles et familiales dans son pays d’origine. Enfin, il n’est pas établi que sa fille ne pourrait poursuivre sa scolarité en Albanie. Par suite, les moyens tirés de la méconnaissance des stipulations précitées de l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et de l’article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l’enfant doivent être écartés.

En ce qui concerne la décision fixant le pays de destination :

7. En premier lieu, Mme A n’établit pas l’illégalité de la décision par laquelle le préfet de Meurthe-et-Moselle lui a fait obligation de quitter le territoire français. Par suite, elle n’est pas fondée à soutenir que la décision fixant le pays à destination duquel elle est susceptible d’être reconduite devrait être annulée en raison de l’illégalité de la décision lui faisant obligation de quitter le territoire français.

8. En second lieu, en se bornant à soutenir que la décision contestée méconnait les stipulations de l’article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et les dispositions de l’article L.721-4 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, la requérante n’établit pas la réalité des risques encourus en cas de retour dans son pays d’origine.

En ce qui concerne la décision portant interdiction de retour sur le territoire français :

9. Aux termes de l’article L. 612-6 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile : « Lorsqu’aucun délai de départ volontaire n’a été accordé à l’étranger, l’autorité administrative assortit la décision portant obligation de quitter le territoire français d’une interdiction de retour sur le territoire français. Des circonstances humanitaires peuvent toutefois justifier que l’autorité administrative n’édicte pas d’interdiction de retour. / Les effets de cette interdiction cessent à l’expiration d’une durée, fixée par l’autorité administrative, qui ne peut excéder trois ans à compter de l’exécution de l’obligation de quitter le territoire français ». Aux termes de l’article L. 612-10 du même code : « Pour fixer la durée des interdictions de retour mentionnées aux articles L. 612-6 et L. 612-7, l’autorité administrative tient compte de la durée de présence de l’étranger sur le territoire français, de la nature et de l’ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu’il a déjà fait l’objet ou non d’une mesure d’éloignement et de la menace pour l’ordre public que représente sa présence sur le territoire français. () ». Il résulte de ces dispositions que lorsqu’aucun délai de départ volontaire n’a été accordé à l’étranger, le préfet assortit, en principe et sauf circonstances humanitaires, l’obligation de quitter le territoire français d’une interdiction de retour. La durée de cette interdiction doit être déterminée en tenant compte des critères tenant à la durée de présence en France, à la nature et l’ancienneté des liens de l’intéressé avec la France, à l’existence de précédentes mesures d’éloignement et à la menace pour l’ordre public représentée par la présence en France de l’intéressé.

10. En premier lieu, Mme A n’établit pas l’illégalité de la décision par laquelle le préfet de Meurthe-et-Moselle lui a fait obligation de quitter le territoire français. Par suite, elle n’est pas fondée à soutenir que la décision lui faisant interdiction de retour sur le territoire français devrait être annulée en raison de l’illégalité de la décision lui faisant obligation de quitter le territoire français.

11. En second lieu, eu égard à la durée de sa présence en France et à ses conditions de séjour, le préfet de Meurthe-et-Moselle, en fixant à douze mois la durée de l’interdiction du territoire prise à son encontre, n’a pas fait une inexacte application des dispositions précitées.

En ce qui concerne la décision portant assignation à résidence :

12. En premier lieu, Mme A n’établit pas l’illégalité de la décision par laquelle le préfet de Meurthe-et-Moselle lui a fait obligation de quitter le territoire français. Par suite, elle n’est pas fondée à soutenir que la décision l’assignant à résidence devrait être annulée en raison de l’illégalité de la décision lui faisant obligation de quitter le territoire français.

13. En deuxième lieu, l’arrêté contesté est signé par Mme B C, cheffe du bureau de l’asile et de l’éloignement à laquelle le préfet de Meurthe-et-Moselle établit avoir délégué sa signature par un arrêté en date du 5 avril 2023, régulièrement publié au recueil des actes administratifs de la préfecture du 7 avril 2023. Par suite, le moyen tiré de l’incompétence du signataire des arrêtés contestés manque en fait et doit être écarté.

14. En troisième lieu, en se bornant à faire valoir que les modalités de l’assignation à résidence ne sont pas compatibles avec sa vie privée et familiale, la requérante ne démontre pas que cette décision porte une atteinte disproportionnée à son droit de mener une vie privée et familiale normale. Par suite, le moyen ne peut qu’être écarté.

15. Il résulte de tout ce qui précède que Mme A n’est pas fondé à demander l’annulation des arrêtés du 2 mai 2023 du préfet de Meurthe-et-Moselle. Par voie de conséquence, ses conclusions à fin d’injonction et les conclusions présentées sur le fondement des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 ne peuvent qu’être rejetées.

D E C I D E :

Article 1er : Mme A est admise au bénéfice de l’aide juridictionnelle provisoire.

Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 3 : Le présent jugement sera notifié à Mme F épouse A, à Me Chaib et au préfet de Meurthe-et-Moselle.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 11 mai 2023.

La magistrate désignée,

C. D

La greffière

M. E

La République mande et ordonne au préfet de Meurthe-et-Moselle en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution de la présente décision.

No 2301363

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