Tribunal de commerce de Paris, 15e chambre, 27 avril 2020

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Sur la décision

Référence :
T. com. Paris, 15e ch., 27 avr. 2020
Juridiction : Tribunal de commerce de Paris

Texte intégral

La société Viaticum est une agence de voyages qui exploite le site www.bourse-des­ vols.com sous les noms commerciaux de « BDV » et de « Bourse des vols ». La société TripAdvisor LLC est une société américaine qui exploite entre autres le site www.tripadvisor.fr. La société TripAdvisor France est une société française qui exerce une activité de marketing, de communication et de relations publiques sur le marché français.

Le site de la société Viaticum permet la recherche et la réservation de billets d’avion en ligne en comparant les différentes offres des compagnies aériennes.

La société Viaticum reproche aux défenderesses d’avoir détourné leur clientèle en organisant un forum sur leur site, dénommé « Bourse des vols (BDV) », qui permet d’avoir accès à une rubrique de réservation en ligne concurrente. Sur ce forum des commentaires négatifs, à l’égard du site de la demanderesse apparaissent. Ces propos au nombre de 9 au moment de l’assignation sont, selon la demanderesse qualifiés de dénigrants, et selon les défenderesses qualifiés de diffamants.

Les 16 novembre 2017 et 22 novembre 2017 la société Viaticum a écrit aux défenderesses pour leur demander la suppression des propos litigieux. Les défenderesses ont à chaque fois refusé de les supprimer arguant de la liberté de la presse et qu’elles n’en n’étaient pas les auteurs.

Après avoir fait constater par huissiers le 12 décembre 2017, la présence de ces propos litigieux sur les pages du site des défenderesses, la société Viaticum a saisi le tribunal de céans afin qu’il ordonne la suppression du contenu litigieux et lui répare le préjudice subi.

Les sociétés TripAdvisor France et LLC contestent la compétence du tribunal de céans et affirment que les demandes sont soit prescrites soit irrecevables.

Ainsi est née la présente instance.

LA PROCEDURE

Par acte extrajudiciaire des 21 et 22 février 2018 la société Viaticum assigne respectivement la société TripAdvisor France et la société TripAdvisor LLC.

Par cet acte et à l’audience du 24 janvier 2020 la société Viaticum demande au tribunal de :

Vu la Convention de Bruxelles I bis,

Vu les règlements Rome I et Rome II,

Vu l’article 48 du Code de procédure civile,

Vu les articles L. 442-6,1, 2° et D 442-3 du Code de commerce,

Vu l’article L. 721-3 du code de commerce,

Vu les articles 1240 et 1241 du code civil, Vu les jurisprudences,

• Dire et juger que la clause attributive de loi applicable aux lois du Commonwealth de l’Etat du Massachussets invoquée par la société TripAdvisor n’est pas applicable au présent litige avec la société Viaticum, et que la loi applicable est le droit français,

• Dire et juger que la société TripAdvisor n’apporte pas la preuve de la diffusion de ses CGU contenant sa clause attributive de juridiction compétente auprès de la société Viaticum lors de la création de son compte en 2013, et de son acceptation par la·société Viaticum,

• Dire et juger que la clause attributive de compétence juridictionnelle de la société TripAdvisor est nulle en raison de :

– L’absence de consentement par la société Viaticum

– L’absence de désignation précise de la juridiction compétente

– L’absence de caractère très apparent de la clause

• Dire et juger que la clause de compétence juridictionnelle de la société TripAdvisor doit être réputée non écrite dans le litige qui l’oppose à la société Viaticum,

• Dire et juger que la clause de compétence juridictionnelle de la société TripAdvisor n’est pas opposable en matière délictuelle,

• Dire et juger que le Tribunal de commerce de Paris est seul compétent pour statuer sur la demande de déséquilibre significatif de la société Viaticum,

• Dire et juger que le Tribunal de commerce de Paris est incompétent pour statuer sur la demande de la société TripAdvisor fondée sur la loi de 1881 en nullité, et prescription de l’action de la société Viaticum,

• Dire et juger que le Tribunal de commerce de Paris est compétent pour connaître de l’action en concurrence déloyale intentée par la société Viaticum à l’encontre de la société TripAdvisor sur le fondement de l’article 1240 du Code civil,

• Dire et juger que le Tribunal de commerce de Paris est compétent pour connaître de l’action intentée par la société Viaticum à l’encontre de la société TripAdvisor au titre du parasitisme sur le. Fondement de l’article 1240 du Code civil,

• Rejeter par conséquent les exceptions de nullité et d’incompétence soulevées par la société TripAdvisor,

• Débouter la société TripAdvisor de ses demandes.

• Condamner in solidum les sociétés TripAdvisor à verser la somme de 7 000 euros à la société Viaticum au titre de l’article 700 du CPC, ainsi qu’aux entiers dépens.

A l’audience du 24 janvier 2020 les sociétés TripAdvisor France et LLC demandent au tribunal de :

Vu les articles 32, 48, 74, 118 et 123 du code de procédure civile,

Vu l’article R. 211-4 du code de l’organisation judiciaire,

Vu les articles 29, 53 et 65 de la loi du 29 juillet 1881,

Vu les articles 93-3 et 93-4 de la loi du 29 juillet 1982,

Vu les articles 1156 et 1998 du Code civil,

A titre principal :

• Juger que la clause attributive de juridiction stipulée dans les conditions d’utilisation du site www.tripadvisor.fr est valable et opposable à la société Viaticum ;

En conséquence,

• Se déclarer incompétent au profit des juridictions de l’Etat du Massachusetts aux Etats-Unis ;

A titre subsidiaire :

• Juger que l’action initiée par la société Viaticum à l’encontre des sociétés TripAdvisor LLC et TripAdvisor France sur le fondement – de l’article 1240 du code civil est une action en diffamation soumise aux dispositions de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse ;

En conséquence :

• Décliner sa compétence au profit du tribunal de grande instance de Paris à l’égard de toutes les demandes formulées contre les sociétés TripAdvisor LLC et TripAdvisor France ;

• Juger que l’assignation de la société Viaticum du 22 février 2018 est nulle en application de l’article 53 de la loi du 29 juillet 1881 ;

• Juger que l’action de la société Viaticum à l’encontre des sociétés TripAdvisor LLC et TripAdvisor France est irrecevable en application des articles 93-3 et 93-4 de la loi du 29 juillet 1982 ;

• Juger que l’action de la société Viaticum à l’encontre des sociétés TripAdvisor LLC et TripAdvisor France est prescrite en application de l’article 65 de la loi du 29 juillet 1881 ;

En toute hypothèse :

• Débouter la société Viaticum de l’ensemble de ses demandes ;

• Condamner la société Viaticum à payer aux sociétés TripAdvisor LLC et TripAdvisor France la somme de 20 000 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile ;

• Condamner la société Viaticum aux entiers dépens.

L’ensemble de ces demandes a fait l’objet de dépôts de conclusions ; celles-ci ont été échangées en présence d’un greffier qui en prend acte sur la cote de procédure.

A l’audience publique du 21 février 2020 l’affaire est confiée à un juge chargé d’instruire l’affaire.

Les parties ont été régulièrement convoquées à l’audience du juge chargé d’instruire l’affaire, pour le 13 mars 2020, audience à laquelle elles se présentent par leur conseil respectif.

Après avoir entendu leurs observations, le juge a prononcé la clôture des débats, et annoncé que le jugement, mis en délibéré, serait prononcé par sa mise à disposition au greffe le 6 avril 2020, en application des dispositions du 2e alinéa de l’article 450 du CPC, date reportée au 27 avril 2020.

LES MOYENS DES PARTIES

Après avoir pris connaissance de tous les moyens et arguments développés par les parties, tant dans leurs plaidoiries que dans leurs écritures, appliquant les dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, le tribunal les résumera succinctement de la façon suivante :

La société Viaticum soutient que :

• La société Viaticum n’a pas contracté avec les sites des sociétés TripAdvisor France et LLC, leurs conditions générales ne lui sont pas applicables et en conséquence les lois du Commonwealth de l’État du Massachusetts figurant aux CGU des demanderesses ne peuvent en l’espèce trouver application ;

• Elle conteste avoir eu connaissance des CGU des défenderesses et n’y a jamais consenti ni à une quelconque de ses clauses ;

• Les sociétés TripAdvisor France et LLC n’apportent pas la preuve qui leur incombe que le compte créé en 2013 par« Nathalie», la modératrice du site du BDV, le fut par une personne habilitée ;

• En tout état de cause, la clause est nulle pour défaut d’objet précis quant à la désignation de la juridiction compétente ;

• La clause litigieuse de par la taille de sa police de caractère n’est pas conforme aux dispositions de l’article 48 CPC ;

• En l’espèce, la clause de compétence des CGU de 2013 n’est pas opposable en matière délictuelle ;

• La clause litigieuse introduit un déséquilibre significatif entre les parties qui renvoie le litige au tribunal de commerce de Paris ;

• Il ne s’agit pas de diffamation mais bien de dénigrement dont elle est victime, l’action n’est pas prescrite, elle vise à se faire indemniser d’un acte de dénigrement visant bien son produit et non elle-même ;

• Les défenderesses en profitant de ses investissements se sont également rendues coupables d’actes de parasitisme qui devront être sanctionnés.

Les sociétés TripAdvisor France et LLC rétorquent que :

• En s’inscrivant sur le site, la société Viaticum a accepté la clause attributive de compétence au profit des juridictions de l’Etat du Massachusetts ;

• Aucun des griefs sur la compétence mentionnés par la société Viaticum, à savoir sa date d’acceptation, la stipulation apparente de la clause, l’absence de clic du cocontractant, l’absence de désignation de la juridiction compétente, l’exception de la clause à la nature délictuelle du conflit, ou encore le déséquilibre significatif, ne sont fondés en droit ;

• A supposer que le tribunal considère que les juridictions de l’Etat du Massachusetts ne seraient pas compétentes, il devra renvoyer l’affaire vers le tribunal judiciaire de Paris seul compétent pour traiter de la diffamation alléguée, les actes incriminés ne pouvant être assimilés à un dénigrement comme le soutient la demanderesse ;

• Elle n’a tenu ni publié les propos incriminés par la société Viaticum, il ne peut donc lui être reproché de chercher à détourner la clientèle de la demanderesse ce qui entraîne que les propos litigieux ne sauraient être qualifiés de dénigrants ;

• L’assignation du 22 février 2018 est entachée de nullité car les prescriptions de l’article 53 de la loi du 29 juillet 1881 ne sont pas respectées ;

• L’assignation de la demanderesse ayant été dirigée uniquement à l’encontre des sociétés TripAdvisor France et LLC sans désigner une personne mentionnée à l’article 93-3 de la loi du 29 juillet 1982. les demandes qui y sont visées sont irrecevables ;

• La prescription qu’elle soulève de l’action initiée par la demanderesse est recevable et l’action prescrite selon les dispositions de l’article 65 de la loi du 29 juillet 1881, 8 des 9 messages incriminés ayant été publiés trois mois avant l’acte introductif, et l’action étant entachée de nullité elle n’a pu interrompre la prescription à l’encontre du dernier message ;

DISCUSSION

Attendu que le contrat dont les conditions d’exécution opposent les parties a été signé avant la date d’entrée en vigueur, au 1er octobre 2016, de l’ordonnance n°2016-31 du 10 février 2016, le présent jugement fera référence aux anciens articles du code civil ;

Sur les exceptions et fins de non-recevoir

Sur la recevabilité

Attendu que la société TripAdvisor LLC a soulevé une exception d’incompétence territoriale et de litispendance que cette exception a été soulevée avant toute défense au fond et fin de non-recevoir, qu’elle est motivée et désigne un ensemble de juridiction qui, selon la société TripAdvisor LLC, est compétente ;

Attendu que le droit interne de l’Etat du Massachusetts désigné par la clause permet de déterminer le tribunal spécialement compétent, qu’elle est donc recevable ;

Sur le mérite

Attendu que l’article 48 CPC dispose que :

« Toute clause qui, directement ou indirectement, déroge aux règles de compétence territoriale est réputée non écrite à moins qu’elle n’ait été convenue entre des personnes ayant toutes contracté en qualité de commerçant et qu’elle n’ait été spécifiée de façon très apparente dans l’engagement de la partie à qui elle est opposée. »

Attendu qu’avant d’examiner si la clause litigieuse a été effectivement convenue entre les parties, le tribunal va examiner si elle a été spécifiée de façon très apparente dans l’engagement de la partie à qui elle est opposée ;

Attendu que l’examen des conditions générales de 2013, fait apparaître que le paragraphe « Droit applicable et tribunaux compétents » ou figure l’élection de for et la loi applicable est rédigée en petits caractères dans la même très petite taille de police que l’ensemble du texte des conditions générales et ne se différencie pas des autres paragraphes ; qu’il figure au milieu de trois pages de paragraphes sans qu’il ne soit facilement possible à l’œil de le distinguer du reste des autres paragraphes des CGU ;

Attendu de plus qu’à l’intérieur de ces conditions générales la société TripAdvisor LLC a souhaité rendre plus visible dans le paragraphe de la clause « Utilisation des salles de réunion, Informations télématiques et autres forum de discussion » sa deuxième partie qui énonce « tripadvisor ne revoit ni ne contrôle… » en l’inscrivant en gras de telle sorte que la société TripAdvisor LLC a elle-même souhaité rendre plus apparent cette partie du paragraphe à l’intérieur des CGU, considérant que seul ce texte devait être très apparent ;

En conséquence le tribunal dira sans qu’il soit nécessaire d’examiner les autres moyens que la clause attributive de compétence de la société TripAdvisor LLC, faute d’être spécifiée de façon très apparente, est nulle et en conséquence que le droit français est applicable et ses tribunaux compétents ;

Sur la compétence du tribunal de commerce de Paris

Attendu que les parties ne contestent pas que le dénigrement constitue un acte de concurrence déloyale pour lequel le tribunal de céans dans le cadre du droit commun est compétent et qu’il en est de même pour des actes de parasitismes ;

Attendu que la société TripAdvisor LLC avance que l’action de la société Viaticum à l’encontre des défenderesses serait une action en diffamation soumise aux dispositions de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, pour lequel seul le tribunal judiciaire serait compétent ;

Attendu que le dénigrement, susceptible de constituer un acte fautif au sens de l’article 1240 du code civil, est caractérisé dès lors qu’est constatée une critique déloyale d’un produit ou de services sans mise en cause d’une personne physique ou morale déterminée ;

Qu’en revanche, constitue une diffamation relevant des dispositions spécifiques de l’article 29 de la loi du 29 juillet 1881 des imputations qui visent un fait précis portant atteinte à l’honneur ou à la considération d’une personne, physique ou morale, qu’elles permettent d’identifier ;

Qu’en l’espèce, relève du régime juridique du dénigrement les propos incriminés publiés sur le site de la société TripAdvisor LLC, en ce qu’ils critiquent un produit, à savoir le service BDV de la société Viaticum et la qualité des prestations fournies par celui-ci, mais ne portent pas sur le comportement de la société Viaticum, personne morale parfaitement identifiée, jamais mentionnée ;

Attendu que les sociétés TripAdvisor France et LLC indiquent que les actes de parasitismes allégués par la société Viaticum résulteraient des commentaires litigieux et qu’en conséquence le tribunal devrait se déclarer incompétent, la compétence rationae materiae du tribunal saisi étant préliminaire ;

Attendu que le tribunal s’est déclaré compétent pour examiner ces commentaires litigieux avant tout examen au fond ;

Le tribunal déboutera la société TripAdvisor LLC et la société TripAdvisor France de leur demande d’incompétence du tribunal de commerce de Paris au profit du tribunal judiciaire de Paris et se déclarera compétent pour juger des actes de dénigrements et de parasitisme allégués, renverra les parties pour conclure au fond à la première audience utile de la quinzième chambre du tribunal de commerce de Paris et réservera les droits, moyens et dépens des parties ;

Sur l’application de l’article 700 CPC

Attendu que, pour faire valoir ses droits, la société Viaticum a engagé des frais non compris dans les dépens qu’il serait inéquitable de laisser à sa charge, le tribunal condamnera in solidum les sociétés TripAdvisor France et LLC à payer 7 000 € à la société Viaticum au titre de l’article 700 CPC ;

DECISION

Le tribunal statuant publiquement, en premier ressort sur les exceptions d’incompétence par jugement contradictoire,

• Dit recevable mais mal fondée l’exception d’incompétence territoriale et de litispendance soulevée par les sociétés TripAdvisor France et LLC ;

• Déboute les sociétés TripAdvisor France et LLC de leur exception d’incompétence au profit du tribunal judiciaire de Paris ;

• Se déclare compétent ;

• Dit que le greffe procédera à la notification de la présente décision par lettre recommandée avec accusé de réception adressée exclusivement aux parties,

• Dit qu’en application de l’article 84 du code de procédure civile, la voie de l’appel est ouverte contre la présente décision dans le délai de quinze jours à compter de ladite notification ;

• Condamne solidairement les sociétés TripAdvisor France et LLC à payer à la société Viaticum la somme de 7 000 € au titre de l’article 700 CPC ;

• Déboute les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraires au présent dispositif,

• Renvoie les parties à la première audience utile de la quinzième chambre du tribunal de commerce de paris pour conclure au fond soit le 26 juin 2020 (15e Ch. 14 H) ;

• Droits, moyens et dépens réservés.

En application des dispositions de l’article 871 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 13 mars 2020, en audience publique, devant M. Alain Wormser, juge chargé d’instruire l’affaire, les représentants des parties ne s’y étant pas opposés.

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