Tribunal de commerce de Paris, 13 avril 2021, n° 2020017687

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
T. com. Paris, 13 avr. 2021, n° 2020017687
Juridiction : Tribunal de commerce de Paris
Numéro(s) : 2020017687

Texte intégral

112

Copie exécutoire : REPUBLIQUE FRANCAISE Me HERNÉ Pierre

Copie aux demandeurs : 2

Copie aux défendeurs : 2 AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

TRIBUNAL DE COMMERCE DE PARIS

1 ERE CHAMBRE

JUGEMENT PRONONCE LE 13/04/2021

PAR SA MISE A DISPOSITION AU GREFFE

21

RG 2020017687

25/06/2020

ENTRE:

SAS X, dont le siège social est […]

804986552

Partie demanderesse : assistée de Me GOUESSE Etienne Avocat (RPJ037902) et comparant par Me HERNÉ Pierre Avocat (B835).

ET:

SA ELECTRICITE DE FRANCE, dont le siège social est […]

Paris – RCS B 552081317

Partie défenderesse assistée du Cabinet GIDE LOYRETTE NOUEL Avocats (T3) et comparant par Mes V. TREHET GERMAIN-THOMAS & S. VICHATZKY Avocats

(J119).

APRES EN AVOIR DELIBERE

Les faits – Objet du litige

EDF, est l’opérateur historique de la production d’électricité en France ; des directives européennes ont ouvert à la concurrence les activités de production et de commercialisation de l’électricité ; elles ont été transposées en droit français par les lois du 9 aout 2004 et du 7 décembre 2006 qui, pour atteindre cet objectif de concurrence, ont notamment transformé le statut d’EDF, anciennement un EPIC et devenue une SA, séparé les activités en concurrence des activités régulées (transport et distribution) afin de garantir la neutralité de ces dernières à l’égard des acteurs de marché.

X, ci-après Z, est un fournisseur d’électricité alternatif actif en France depuis 2015, dont la clientèle est exclusivement constituée de professionnels ( à l’exclusion de tout particulier) ; elle a commercialisé 1735 TWH d’électricité en 2020 pour un chiffre d’affaires d’environ 200 millions € ; elle s’est développée à la faveur de l’ouverture à la concurrence des marchés de l’électricité et des dispositifs incitatifs mis en place par l’Etat pour obliger EDF à faire une place à ses concurrents, nouveaux entrants,en créant une situation de concurrence sur le marché de la fourniture de l’électricité; le dispositif principal est l’accès régulé à l’électricité nucléaire historique, ci-après Y.

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L’Y, au centre du présent litige puisque c’est dans le cadre de celui-ci qu’EDF et Z ont conclu le 26 octobre 2016 un Accord cadre, ci-après le contrat, a été instauré par la loi du 7 décembre 2010 de « nouvelle organisation du marché de l’électricité » dite loi

NOME ; l’un des principaux objectifs de ce dispositif est de permettre à tous les opérateurs, fournissant des consommateurs finaux résidant sur le territoire métropolitain continental, d’accéder en quantité limité à l’électricité nucléaire historique à un prix régulé, décorélé du marché, afin de stimuler la concurrence sur le marché de la fourniture au détail d’électricité ;

à cette fin les fournisseurs, autorisés (selon les dispositions de l’article R.336-1 du code de

l’énergie), dits alternatifs ont la possibilité de se voir fournir une certaine quantité d’électricité d’origine nucléaire « à un prix régulé consenti à des conditions économiques équivalentes à celles résultant pour EDF de l’utilisation de ses centrales nucléaires »; les objectifs de

I’Y figurent dans l’article L.336-1 du code de l’énergie et consistent notamment à

< assurer la liberté de choix du fournisseur d’électricité tout en faisant bénéficier l’attractivité du territoire et l’ensemble des consommateurs de la compétitivité du parc électronucléaire ».

L’Y repose sur un cadre réglementaire défini par des arrêtés du Ministre en charge de 'Énergie, sur le fondement de la loi NOME ; ainsi un arrêté a fixé, sur proposition de la Commission de Régulation de l’Énergie, ci-après CRE, le prix, auquel les volumes d’électricité alloués aux opérateurs alternatifs leur seront cédés, à 42 €/MWh depuis le 1er janvier 2012; le Ministre a également, après avis de la CRE, fixé le volume global maximal annuel de cession d’électricité à des opérateurs alternatifs à ce prix régulé de 42€; par ailleurs le cadre contractuel,régissant les relations entre les opérateurs alternatifs et EDF, à savoir l’Accord-cadre, doit être conforme à un modèle déterminé par l’arrêté du Ministre de l’Énergie du 28 avril 2011, après une délibération de la CRE le 14 avril 2011 ; le volume

d’électricité à prix régulé, qu’un opérateur alternatif est en droit d’acheter à EDF, est fixé pour une durée d’un an par la CRE qui vérifie a posteriori l’adéquation du volume souscrit par rapport à la consommation effective des consommateurs finaux; ledit fournisseur ne peut obtenir des droits qu’après avoir signé l’Accord-cadre; par ailleurs la Caisse des Dépôts, ci après CDC, a pour mission d’assurer l’intermédiation des paiements en facturant et en recouvrant les sommes dues par les fournisseurs, au nom et pour le compte d’EDF, sur instruction de la CRE; enfin le Réseau de Transport d’Electricité, ci-après RTE, en tant que gestionnaire du réseau de transport, procède au transfert de l’électricité régulé, au titre de I’Y, au fournisseur alternatif, selon les informations notifiées par la CRE; RTE a pour mission essentielle de veiller, en temps réel, à ce que la quantité d’électricité injectée dans le réseau soit en permanence strictement égale à la quantité soustraite; elle n’est pas liée par

l’Accord-cadre entre EDF et les fournisseurs alternatifs et elle ne peut agir, sur l’interruption ou la livraison d’électricité, qu’en vertu d’une notification de la CRE, qui assure par ailleurs à son égard des fonctions de contrôle.

Les obligations d’EDF et des fournisseurs alternatifs sont fixés par les article L.336-10 et suivants qui prévoient que :

- EDF n’a pas connaissance ex ante des volumes demandées par chacun des fournisseurs, ni ex. post des transferts d’électricité effectués par RTE à ces derniers,

-les fournisseurs alternatifs sont libres de s’approvisionner sur le marché libre mais une fois transmise leur demande d’électricité régulés, à la CRE, ils doivent acheter les quantités totales d’électricité correspondantes aux volumes qui leur ont été octroyés par cette dernière, pour une période d’une année entière, au cours de la période de livraison selon des modalités prévues par l’article R.336-13 la demande de droits est une obligation ferme d’acheter et d’accepter les livraisons qu’ils recevront de RTE et ce selon le calendrier arrêté ; en cas de défaut de paiement, c’est la CRE qui informe RTE et EDF afin, si la situation n’était pas régularisée, d’arrêter les livraisons, en cas de volume excédentaire par rapport à la revente aux clients finaux, la CR E notifie au

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fournisseur et à EDF le complément de prix afin de neutraliser les gains liés à la revente de volume d’électricité obtenu à prix régulé sur le marché de gros.

Le modèle d’Accord-cadre a fait l’objet d’une concertation par la CRE de tous les acteurs concernés, en particulier EDF et les fournisseurs ; la CRE a indiqué que sa oposition, qui a été adoptée par l’arrêté du Ministre, a « veillé, dans le cadre des stipulations obligatoires, à garantir un équilibre préservant les intérêts des fournisseurs et d’EDF » ; le fournisseur, dans les 15 jours suivant la délivrance par la CRE d’un récépissé justifiant de sa demande de droits d’électricité régulé, est en droit d’obtenir la signature par EDF d’un Accord-cadre ; il résulte donc de ce qui précède et de l’ensemble des textes réglementaires, pris sur le fondement de la loi NOME par le Ministre chargé de l’Énergie, que les Accords-cadres signés entre EDF et les fournisseurs alternatifs sont des contrats très réglementé, dont les stipulations doivent être strictement conformes au modèle type de l’arrêté du Ministre, et dont l’exécution est étroitement contrôlée par le CRE.

L’Accord-cadre, qui définit les droits et obligations des parties, contient une clause attributive de compétence au présent tribunal, et comprend notamment un article 13-1 qui stipule que les obligations des parties sont suspendues immédiatement en cas de survenance d’un événement de force majeure, dont la définition figure à l’article 10, et ce pendant la durée dudit évènement; cette suspension a notamment pour conséquence d’interrompre, « de plein droit », les cessions annuelles d’électricité à prix régulé par EDF aux fournisseurs alternatifs, « dès la survenance » de l’évènement qualifié de force majeure, et délie donc ces derniers de leur obligation de recevoir le transfert par RTE des volumes d’électricité qui leur ont été attribués par la CRE.

Dans le cadre du Contrat conclu le 26 octobre 2016 avec EDF, Z a sollicité la CRE, à la fin novembre 2019, afin d’obtenir au titre de l’année 2020 un volume, correspondant à son volume éligible sur la base des consommations de ses clients ; cependant, demande totale des fournisseurs alternatifs excédant le plafond fixé par arrêté de 100TWh, Z

n’a été servie qu’à hauteur de 68% de sa demande (les autres fournisseurs ont été écrêtés dans les mêmes conditions); cette limitation a eu pour conséquence qu’Z, qui avait conclu avec des consommateurs finaux des engagements de long terme de volume de leur vendre une certaine quantité d’électricité à un prix fixé en fonction du prix régulé de 42€, a été obligée d’acheter sur le marché le solde de la consommation desdits clients et ce au cours fluctuant dudit marché au lieu de bénéficier du prix régulé de 42€.

Pour faire face à l’épidémie de Covid, des mesures dites de confinement, mise en oeuvre

l’arrêté du 16 mars 2020, ont eu pour conséquence un effondrement de la consommation

d’électricité, des entreprises et administrations, et donc du cours de l’électricité des mois de mars, avril, et mai 2020, cours passé aux alentours de 15€/MWh après une chute de 50%; cette modification de comportement des acteurs économiques, conséquence directe des mesures prises par les Autorités administratives sur le fondement de la loi d’urgence, a eu pour conséquence directe une réduction brutale et violente, d’environ 30%, de la demande

d’électricité des clients d’Z et des défauts de paiement de certains d’entre eux ; le

Ministre chargé de l’Économie et des Finances a indiqué dans un communiqué que la situation relevait d’un cas de force majeure.

Z, ne pouvant stocker l’électricité, celle-ci étant par essence même non stockable,

s’est alors trouvée obligée d’une part de devoir continuer à acheter à EDF, et à prendre livraison, des quantités initialement stipulées en novembre 2019 au prix de 42€, en raison de son engagement ferme d’achat, et d’autre de devoir revendre sur le marché libre l’excèdent, par rapport à la consommation de ses clients, à un prix qui a évolué entre 20 et

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25€, enregistrant en conséquence des pertes très importantes; elle a alors demandé à EDF le 18 mars 2020 de suspendre l’application du Contrat, sur le fondement des dispositions des articles 10 et 13 relatifs à la force majeure, et en conséquence de faire interrompre par RTE ses livraisons des volumes qui lui avaient été notifiés par la CRE à la fin de 2019 pour l’année 2020; le 23 mars 2020, EDF lui a répondu qu’elle ne considérait pas qu’on se trouvait dans un cas de force majeure car Z « ne serait pas dans l’impossibilité totale

d’exécuter son obligation contractuelle correspondente au paiement des volumes notifiés par la CRE et parce que la force majeure ne peut être invoquée par le débiteur pour s’exonérer

d’une obligation pécuniaire» ; elle indiquait en outre qu’elle attendait de connaitre la position de la CRE.

La CRE, dans une délibération du 26 mars 2020, a précisé les facilités de paiement qu’elle octroyait aux fournisseurs alternatifs, a refusé de réduire les volumes d’électricité régulées délivrés, en fonction des quantités allouées à chacun des fournisseurs alternatifs à la fin de

2019, pour l’année entière 2020, et a dit que «elle considérait que la force majeure ne trouverait à s’appliquer que si la situation économique de chacun d’entre eux rendait totalement impossible l’exécution de l’obligation paiement. », que « les conséquences d’une suspension totale des contrats Y, en raison de l’activation des clauses de force majeure, seraient en effet disproportionnées… une telle situation créerait un effet d’aubaine pour les fournisseurs, au détriment d’EDF, əllənt à l’encontre des principes du dispositif AREHN qui repose sur un engagement ferme des parties pendant un an. En conséquence, la CRE ne transmettra pas à RTE une évolution des volumes d’Y, livrés par RTE aux fournisseurs, liée à une demande d’activation de la clause force majeure » mais que « cela ne préjugeait pas des aménagements que les parties au Contrat peuvent dans le cadre de l’article 19, apporter à leurs relations contractuelles pour tenir compte de la situation sanitaire ».

Deux associations de fournisseurs ont alors saisi, par une requête en référé les 4 et 15 avril 2020, le Conseil d’Etat aux fins d’ordonner « la suspension de l’exécution de la délibération de la CRE et d’enjoindre à celle-ci de transmettre à RTE l’évolution des volumes liée à

l’activation de la clause de sauvegarde », clause entrainant l’arrêt de la transmission de

l’électricité Y par RTE à un fournisseur alternatif ; par une ordonnance du 17 avril 2020, le Conseil les a déboutées en considérant que « les conditions de l’urgence n’était pas satisfaite » car « les considérations d’ordre général de la CRE, sur l’interprétation de l’article 10 de l’Accord-cadre et son analyse des conséquences d’une suspension totale des contrats, ne constituaient pas le motif du refus »; le Conseil a ajouté que : « la divergence

d’interprétation, opposant les associations requérantes à la CRE au sujet de la portée des dispositions des articles 10 et 13…, a ainsi pour conséquence non pas une impossibilité générale et définitive de mise en œuvre effective de la clause de suspension des contrats pour cause de force majeure, mais seulement le report de cette mise en œuvre jusqu’à ce que les fournisseurs concernés, saisissent le juge compétent, dont il lui avait été indiqué par les parties qu’il était déjà saisi d’actions en référé, qui appréciera, au cas par cas, si les conditions posées par l’article 10 sont réunies. » ; le Conseil a enfin précisé que « L’interprétation des dispositions de l’article 10, donnée par la CRE dans la délibération contestée, n’a pas pour objet et ne saurait avoir pour effet, contrairement à ce qui est soutenu, de lier l’appréciation du juge ».

Z, considérant qu’il n’appartenait en toute hypothèse pas à la CRE d’être juge de l’interprétation du Contrat, puisque celui-ci comportait une clause attributive de compétence au présent tribunal, et que la CRE n’avait pas elle le pouvoir d’être juge de l’interprétation du contrat, a réitéré sa demande de suspension du contrat et des livraisons d’électricité à prix

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régulé, par un courrier du 10 avril 2020, et EDF a maintenu sa position, par un courrier du 17 avril 2020, en persistant dans son refus de mettre en œuvre les articles 10 et 13 du Contrat;

Z, qui a bénéficié des mesures d’étalement de ses paiements, a alors assigné EDF le 4 mai 2020 d’une part pour que ce tribunal juge que c’est à bon droit qu’elle invoque la force majeure, d’autre part que les stipulations du Contrat relatives à la suspension des livraisons, en cas de force majeure, auraient dû être mises en œuvre et enfin pour obtenir la condamnation d’EDF à réparer les préjudices qu’elle a subis du fait du refus de cette dernière d’exécuter de bonne foi le contrat.

Par ailleurs, d’autres fournisseurs alternatifs ont choisi de saisir ce tribunal par la voie d’une requête en référé et son président a rendu plusieurs ordonnances, les 20 et 27 mai 2020 dans leur cas, dans lesquelles il a « pris en considération que le contrat (du fournisseur ayant présenté la requête), dont le modèle s’impose à tout acteur de l’Y, s’inscrit dans un contexte réglementé tout en observant qu’en y adhérant les parties se sont engagées à en respecter l’ensemble des dispositions, celles-ci traduisant leur volonté commune …», puis il a « estimé que sont manifestement réunies les conditions de la force majeure telle que définie à l’alinéa 1 de l’article 10 de l’Accord-cadre liant les parties » et il a relevé que

< suivant les dispositions de l’article 13-1 de l’Accord-cadre, « la survenance d’un événement de force majeure entraine la suspension immédiate du contrat dès « la survenance » de celui-ci et « de plein droit » l’interruption de la cession annuelle d’électricité » ; en conséquence le président de ce tribunal a ordonné à EDF de ne plus s’opposer aux dispositions des articles 10 et 13 relatives à la suspension de l’ Accord-cadre ( de la partie ayant présenté la requête en référé), en raison de l’existence d’un cas de force majeure, tel que défini par l’article 10 ;ces ordonnances ont été confirmées par trois arrêts de la Cour d’appel du 28 juillet 2020.

C’est dans ce contexte que le tribunal de céans est saisi au fond par X, qui

n’était pas partie aux requêtes présentées en référé par d’autres fournisseurs alternatifs.

Procédure

Par acte en date du 24/05/2020, la société Sas X assigne la société Electricite de

France sa

Par cet acte la société Sas X demande au tribunal, dans le dernier état de ses prétentions, de :

Juger qu’elle a sollicité de bonne foi et à raison l’application des stipulations de

l’Accord-Cadre et que celui-ci devait être suspendu à compter du 16 mars 2020 et ce jusqu’à ce que le cours de l’électricité repasse au-dessus de 366/MWh,

Juger corrélativement que EDF aurait dû accepter, de bonne foi, la suspension de

l’Accord-cadre et qu’elle est donc responsable des conséquences préjudiciables qui sont résulté de son refus d’appliquer le contrat ; Dès lors,

Juger que, sauf à parfaire à la date du jugement à intervenir, son préjudice s’établit à une somme de 8.768.3856;

Condamner EDF à lui payer cette somme;

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● Condamner EDF à lui verser une somme de 20.000 euros en application de

l’article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.

Aux l’audiences des 28 septembre et 7 décembre 2020 et 11 janvier 2021, la société Électricité de France demande au tribunal de :

Vu l’article R. 311-1 du code de justice administrative,

Vu les articles 49 et 378 du code de procédure civile,

RENVOYER au Conseil d’Etat la question préjudicielle formulée par EDF et posée dans les termes suivants :" Dans les circonstances de fait et de droit exposées ci dessus, l’Accord-cadre au sens de l’arrêté du 28 avril 2011 pris en application du Il de l’article 4-1 de la loi n° 2000-108 relative à la modernisation et au développement du service public de l’électricité, constitue-t-il un contrat administratif relevant de la compétence du juge administratif ? ",

SURSEOIR A STATUER jusqu’à ce que le Conseil d’État se soit prononcé, à titre préjudiciel, sur l’Accord-cadre, tel que prévu par l’arrêté du 28 avril 2011 pris en application du II de l’article 4-1 de la loi n° 2000-108 relative à la modernisation et au développement du service public de l’électricité, A titre subsidiaire,

Se déclarer incompétent pour juger statuer sur un litige administratif,

Et en tout état de cause :

REJETER la demande de provision d’X,

CONDAMNER X à payer à EDF la somme de 10.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et aux dépens;

Aux audiences des 26 octobre 2020 et 11 janvier 2021 X demande, en réponse sur l’incident, au tribunal de :

Vu les articles 1101 et suivants, 1217 et 1231-2 du code civil,

Vu les articles 67 et suivants, 482 et suivants, et 861 et suivants du code de procédure civile,

Juger que l’Accord-Cadre Y est un contrat de droit privé et relève bien de sa compétence, en application de son article 19,

Juger la demande de renvoi irrecevable ou mal fondée ;

Consécutivement,

Rejeter la demande de sursis à statuer d’EDF dans l’attente de la question

préjudicielle posée au Conseil d’Etat ;

En outre,

Juger que les stipulations de l’Accord-Cadre Y sur la force majeure

trouvaient matière à s’appliquer entre les parties,

Juger que le refus d’EDF d’appliquer de bonne foi le contrat caractérise un manquement de sa part à ses obligations contractuelles, engage sa responsabilité et l’oblige à indemniser X de l’intégralité de ses préjudices, Dès lors, dans l’attente des observations d’EDF sur la période de force majeure à considérer et le différentiel de cours à prendre en considération, et avant dire droit,

Juger la demande incidente d’X recevable et fondée,

Condamner EDF à verser à X une provision de 4.000.000 euros à

valoir sur la réparation de son préjudice ;

En tout état de cause,

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Condamner EDF à verser à X une somme de 20.000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile et aux dépens ;

Par un jugement avant dire droit du 26 janvier 2021, ce tribunal a : Dit non fondée la fin de non-recevoir opposée par X à la question

préjudicielle soulevée par EDF,

Dit non fondée la demande de poser une question préjudicielle au Conseil d’Etat, Requalifie la question préjudicielle, soulevée par EDF, en une question à poser au

Tribunal des conflits, et non au Conseil d’Etat,

Déboute EDF de sa demande de voir poser une question préjudicielle sur la nature du Contrat,

Dit recevable l’exception d’incompétence soulevée, à titre subsidiaire, par EDF,

Dit que le Contrat Y, conclu, le 26 octobre 2016, entre EDF et X est un contrat de droit privé,

Déboute EDF de son exception d’incompétence,

Se dit compétent en vertu de la clause attributive de compétence contenu à

l’article 19 dudit contrat,

Déboute EDF de toutes ses demandes de sursis à statuer,

● Déboute X de sa demande de provision,

Fait injonction à EDF de conclure au fond avant le 20 février 2021 et renvoie à

l’audience du juge chargé d’instruire du 22 mars 2021, Condamne la société Électricité de France sa à payer à X, au titre

● des incidents, la somme de 10.000€ au titre de l’article 700 du code de procédure civile, déboutant pour le surplus, Condamne Électricité de France sa aux dépens de l’incident dont ceux à recouvrer

par le greffe liquidé à la somme de 74.5€ dont 12.2€ de TVA.

A l’audience du 22 mars 2021, X demande au tribunal, dans le dernier état de ses prétentions, de :

Vu les stipulations de l’Accord-Cadre Y et notamment son article 19, les dispositions des articles 1101 et suivants, 1217 et 1231-2, du Code civil,

Juger que les stipulations de l’Accord-Cadre Y sur la force majeure trouvaient matière à s’appliquer entre les parties à compter du 17 mars 2020 et jusqu’au 1er septembre 2020;

Juger que le refus d’EDF d’appliquer de bonne foi le Contrat caractérise un manquement de sa part à ses obligations contractuelles, engage sa responsabilité et l’oblige à l’indemniser de l’intégralité de ses préjudices;

A titre principal,

Condamner EDF à lui verser une somme de 8.658.335,32 € euros en réparation du

préjudice consécutif au refus d’EDF d’appliquer les stipulations contractuelles et correspondant au différentiel de prix des quantités d’Y achetées par elle avec le cours de marché constaté sur la période, Condamner EDF à lui verser une somme de 100.000 euros de dommages et intérêts en réparation du préjudice que lui a causé sa résistance abusive ;

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мя N° RG: 2020017687 TRIBUNAL DE COMMERCE DE PARIS

JUGEMENT DU MARDI 13/04/2021

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A titre subsidiaire, sí le tribunal devait considérer qu’EDF ne doit être condamnée qu’à indemniser les seules conséquences de la force majeure,

Condamner EDF à lui verser une somme de 3.487.602€ en réparation de la perte qu’elle a éprouvée sur la revente des volumes non commercialisés,

Condamner EDF à lui verser une somme de 100.000 euros de dommages et intérêts

en réparation du préjudice que lui a causé sa résistance abusive,

En tout état de cause;

Condamner EDF à lui verser une somme de 100.000 euros en application de l’article

700 du code de procédure civile et aux dépens

A l’audience du 22 mars 2021, EDF demande au tribunal, dans le dernier état de ses prétentions, de :

Vu l’article 107, paragraphe 1°r, du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, Vu les articles 1218 et 1231-1 du code civil,

DEBOUTER X de l’intégralité de ses demandes, fins et prétentions ;

En tout état de cause,

Ecarter l’exécution provisoire de droit du jugement à intervenir;

CONDAMNER X à luí payer la somme de 100.000 euros au titre de l’article

700 du code de procédure civile;

CONDAMNER X aux entiers dépens de la présente instance.

L’ensemble de ces demandes a fait l’objet du dépôt de conclusions : celles-ci ont été échangées en présence d’un greffier qui les a visées et elles ont été régularisées par le juge chargé d’instruire.

A l’audience en date du 22 /03/2021, après avoir entendu les parties en leurs explications et observations, le juge chargé d’instruire l’affaire clôt les débats, met l’affaire en délibéré et dit que le jugement sera prononcé par sa mise à disposition au greffe le 13/04/2021. Les parties en ont été avisées en application de l’article 450 alinéa 2 du code de procédure civile.

Sur les exceptions de nullité de l’article 10 du contrat conclu entre les deux parties : 1

Moyens

En défense EDF soulève une double exception de nullité de l’article 10 de l’Accord-cadre :

-d’une part en ce que cet article serait illicite pour 3 raisons : Car il contreviendrait aux dispositions des articles L.336-2 du code de l’énergie, qui réserve

l’appréciation des conditions économiques de la fourniture de l’électricité nucléaire historique aux seules autorités publiques,

Car il contrevient à l’article L.336-3 qui fixe la durée des encagements des deux parties 7

pendant un an

Car la suspension des volumes Y n’est prévu par ledit article L.336-3 que dans le

seul cas d’événement majeur affectant la production des centrales nucléaires,

Et d’autre part car d’une part il remettrait en cause les obligations essentielles des parties et auraient un caractère potestatif.

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En demande Z réplique que les arguments d’EDF pour conclure à la nullité de l’article

10 sont non fondés :

-d’une part l’article 10 du contrat ne saurait être contraire à la loi NOME :

En effet l’article 336-2, qui renvoie à la compétence des Ministres la fixation du volume et du prix de l’électricité Y, dispose également que les conditions pratiques de la cession de ladite électricité seront fixées par un arrêté ministériel: c’est sur ce fondement qu’un arrêté du Ministre de l’Énergie a fixé le modèle d’Accord cadre, comportant l’article 10 objet du litige,

.Par ailleurs le fait, que l’article L.336-3 ait donné aux Ministres compétents la possibilité en cas d’incident nucléaire de suspendre le dispositif, est sans rapport avec la possibilité pour une des deux parties contractantes d’invoquer la force majeure; en effet cette habilitation législative est nécessaire pour permettre au pouvoir réglementaire

d’intervenir dans un contrat de droit privé ;

-d’autre part il n’est pas potestatif car le fournisseur alternatif, qui invoque la force majeure, doit convaincre EDF que les conditions en sont remplies et, si comme en l’espèce cette dernière ne s’exécute pas, en convaincre le juge ; que le fait que les fournisseurs alternatifs ne puissent plus exécuter leurs obligations dans des conditions économiques raisonnables ne dépend aucunement da sa volonté ; que de plus pour revêtir le caractère de force majeur, il faut que l’événement susceptible de la constituer soit « extérieur » ce qui signifie que le dit événement n’est pas le fait d’une partie ; qu’au surplus en l’espèce le Ministre de l’Économie lui-même a indiqué que la Covid constituaient un cas de force majeure pour les acteurs économiques ;

Sur ce,

Attendu que la loi NOME du 7 décembre 2010 a créé un dispositif d’Accès Régulé à

l’Electricité d’origine Nucléaire Historique dit Y consistant, pour ouvrir les marchés amont et aval de l’électricité et pour faire bénéficier le consommateur final des meilleures conditions pouvant résulter de la concurrence, à reconnaitre aux fournisseurs d’électricité alternatifs un droit d’accès à un tarif préférentiel,fixé par arrêté des ministres compétents, et

à une quantité limitée d’électricité issue du parc historique de production nucléaire d’EDF; que dans ce cadre le fournisseur alternatif fait connaître à la Commission de Régulation de l’Énergie, dite CRE, la quantité d’électricité dont il souhaite disposer au cours de l’année et que celle-ci fixe la quantité à laquelle il aura droit, étant entendu que le fournisseur alternatif

a alors l’obligation de recevoir et de payer le volume qui lui aura été alloué, et qu’EDF, pour sa part, est tenue de le lui fournir; que l’un des principaux objectifs de ce mécanisme est de permettre à tous les opérateurs, fournissant de l’électricité au consommateur final, de bénéficier d’un prix avantageux, décorélé de celui du marché libre et fixe pendant une durée d’un an; que ce mécanisme a été soumis à la Commission Européenne qui l’a approuvé ; que les Ministres compétents ont fixé par un arrêté, après une délibération de la CRE prise après consultation d’EDF et des fournisseurs alternatifs, un Accord cadre type devant régir les relations entre les divers intervenants sur le marché de l’électricité et notamment servir de fondement contractuel aux rapports entre EDF et tel ou tel fournisseur alternatif ; que ce tribunal, saisi dans le cadre de la présente instance d’une demande d’EDF de question préjudicielle au Conseil d’Etat sur la nature de l’Accord cadre, a jugé qu’il n’y avait lieu de poser ladite question car il relevait de sa seule compétence de dire quelle était la nature de celui-ci ; qu’il a jugé que l’Accord cadre était un contrat de droit privé.

Attendu que, le 26 octobre 2016, EDF et Z ont conclu un Accord cadre ; que fin novembre 2019, cette dernière a transmis, pour l’année 2020, à un moment ou le cours anticipé du MWh sur le marché libre de gros était de l’ordre de 46 € et ou le prix régulé dans

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la cadre de l’Y était de 42€, une demande à la CRE en tenant compte de sa prévision

à la fin de 2019 de la consommation, anticipée par elle, d’électricité de ses clients;

Attendu que la CRE lui a alors alloué pour l’année 2020 un volume d’électricité de 122MW, qu’elle s’était engagée à prendre livraison au prix de 42€, et qu’EDF se devait de lui fournir à ce prix; que, pour couvrir les besoins de sa clientèle excédant ce volume, elle devrait

s’approvisionner sur le marché de gros puisqu’à la différence d’autres intervenants elle ne dispose pas de centrales électriques ; que l’année 2020 a été marquée par les décisions gouvernementales, suite à l’épidémie de COVID ( qu’il est inutile de rappeler ici), qui ont entrainé une récession sans précédent depuis la guerre et pour la première fois depuis plus

d’un demi-siècle une très forte baisse de la demande d’électricité par les consommateurs finaux (entreprises et administrations), autre que la clientèle de particuliers; que cette situation représente une anomalie historique puisqu’il a été observé depuis un siècle que, hors les périodes de guerre, la consommation d’électricité a constamment cru de près de 2%/an en moyenne de longue période ; que simultanément les prix du marché libre de gros se sont effondrés de plus de 50% (13 € en avril par exemple); que le contrat Y stipule que Z est obligée de prendre livraison du volume alloué par la décision de la CRE, prise à la fin de chaque année pour l’année suivante, et de le payer au prix fixe de 42€ sans pouvoir s’opposer à ce qu’EDF lui envoie lesdits volume d’électricité, par l’intermédiaire de RTE ; que, comme la caractéristique de l’électricité est d’être un bien non stockable, Z, recevant un volume supérieur à la demande que lui adressait ses clients dans le cadre de contrat d’approvisionnement de long terme, n’avait dès lors pas d’autre choix que de revendre cet excédent à perte sur le marché libre de gros (le cours sur ledit marché ayant été constamment et très fortement inférieur à son prix d’achat de 42€ pendant la période du confinement);

Attendu que dans ce contexte Z a alors activé la clause de force majeure, stipulée par

l’article 10 du contrat, et qu’elle a, conformément aux stipulations de cet article dès le 18 mars 2020, le jour où les mesures de confinement sont entrées en vigueur, notifié à EDF qu’elle invoquait la force majeure du fait de la survenance des conséquences de l’épidémie sur la consommation d’électricité et sur son prix sur le marché libre; Attendu que, lorsque la survenance d’un Évènement de force majeure est notifiée par une partie à l’autre, l’article 13 du même contrat stipule que l’Accord cadre doit être suspendu ce qui signifie l’arrêt des livraisons par EDF d’électricité Y;

Attendu que cette dernière a répondu d’une part qu’elle considérait que les conditions de la force majeure, telles que définies par l’article 10 du contrat, n’étaient pas remplies et qu’en outre elle ne pouvait suspendre de son propre chef l’Accord cadre, décision qui selon elle relevait de la CRE, à qui il revenait d’interpréter le contrat; que, après plusieurs échanges entre les parties et avec la CRE, cette dernière par des délibérations, des 26 mars puis 9 avril 2020, s’est refusée à suspendre l’accord et a renvoyé les deux parties à discuter des aménagements pour tenir compte de la situation si telle était leur volonté commune ; que, le

Conseil d’Etat, saisi en référé par différents fournisseurs alternatifs d’un recours contre ces décisions, les a déboutés par une ordonnance du 17 avril 2020 tout en indiquant que la question de l’interprétation de l’article 10 ne relevait pas de la compétence de la CRE mais de celle de ce tribunal, en vertu de la clause attributive de compétence contenue dans

l’Accord cadre, et qu’il en était d’ailleurs déjà saisie par des requêtes en référé de certains fournisseurs alternatifs, autres que Z ; que, par plusieurs ordonnances successives, ce tribunal a jugé en référé que les conditions de l’article 10 étaient réunies et a enjoint à EDF de cesser immédiatement de fournir de l’électricité Y aux différents requérants, dont ne faisait pas partie Z ; que toutes ces ordonnances ont été confirmés en référé par la Cour d’appel de Paris ; que, nonobstant ces décisions judiciaires successives du Conseil d’Etat, de ce tribunal et de la cour d’Appel (rendues il est vrai en référé), EDF s’est

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refusée, en ce qui concernait Z, à suspendre l’accord cadre et l’envoi du courant électrique Y à cette dernière ; qu’Z s’est donc vu obligée de payer à la CDC, pour le compte d’EDF, tout le volume de courant fourni au prix de 42€ alors que les cours du marché libre de gros étaient en moyenne sur la période environ deux fois moins élevé ;

Attendu qu’Z, estimant qu’EDF avait commis une faute contractuelle en refusant

d’appliquer les articles 10 et 13 du contrat, a saisi au fond ce tribunal pour que cette dernière soit condamnée à lui réparer le préjudice qu’elle avait ainsi subi.

Attendu que à titre principal EDF soutient que l’article 10 de l’Accord cadre serait nul car il serait illicite, car il contreviendrait au principe de la force obligatoire des contrats, en remettant en cause des obligations essentielles de celui-ci et parce que cette clause aurait un caractère potestatif ; qu’il convient donc, avant d’examiner si les conditions de la force majeure telles que définies par ledit article sont réunies, de se prononcer sur sa validité.

1) Sur le caractère licite de l’article 10

Attendu qu’EDF fait valoir que l’article 10 serait contraire aux articles L.336-2 et 3 du code de l’Énergie, issus de la loi NOME ; qu’en effet le premier de ces articles énonce que les conditions, dans lesquelles s’effectue la vente d’Y, sont définies par arrêté du Ministre de l’Énergie après avis de la CRE ; que dès lors que, ledit Ministre fixe le volume global maximum annuel de l’Y, il lui reviendrait d’apprécier les conditions économiques des volumes de livraison ; qu’il en résulterait, selon EDF, que seul le Ministre, ou la CRE par délégation, pourrait décider de suspendre l’Accord cadre et qu’il leur reviendrait donc d’apprécier si les conditions de la force majeure seraient réunies ; mais, attendu que le même article L.336-2 édicte que le Ministre arrête les stipulations de l’Accord cadre ; que

c’est ce qu’il a fait en fixant par un arrêté le modèle type d’Accord cadre auquel se sont donc conformé EDF et HDRO dans le contrat qu’elles ont conclu; que ledit contrat stipule d’une part la définition et les conditions de mise en œuvre de la force majeure et d’autre part contient une clause attributive de compétence à ce tribunal;

Attendu que les contrats constituent la loi entre les parties ; que, en arrêtant le modèle type d’Accord cadre, le Ministre a épuisé la délégation que le législateur lui a octroyée ; que les seuls autres domaines, où la loi lui a donné des pouvoirs, concernent le volume globa! annuel d’Y et le prix de celle-ci ; que le Ministre, ayant arrêté le contenu du modèle d’ Accord cadre, n’a plus le pouvoir d’interférer avec la volonté des parties dès lors que celles ci se sont engagées pour une durée d’une année sur le fondement de ce modèle type ; que le pouvoir réglementaire ne dispose pas de la faculté de modifier ou d’interpréter, pendant sa durée de vie, un contrat, dont le tribunal a dit précédemment qu’il était de droit privé,; qu’en effet les actes réglementaires ne peuvent pas rétroactivement modifier des contrats de droit privé, ni déroger à une clause de compétence attributive à ce tribunal; que seul le législateur pourrait le faire car la loi peut être rétroactive en dehors de la matière pénale ; que le Ministre ne pouvait modifier le contenu du modèle type d’Accord cadre que pour les contrats futurs, ce qu’il a d’ailleurs fait en ce qui concerne l’article 10 et ce pour les seuls contrats conclus postérieurement à l’arrêté fixant un nouveau modèle d’Accord cadre ; que la CRE

n’avait pas plus le pouvoir d’interpréter l’Accord cadre ce qu’elle n’a d’ailleurs pas fait se contentant de constater qu’il ne lui revenait pas de suspendre le contrat conclu entre EDF et Z; que c’est la raison pour laquelle le Conseil d’Etat a refusé d’annuler la délibération de la CRE, considérant qu’elle ne pouvait avoir fait grief, tout en rappelant qu’il revenait à ce tribunal d’interpréter l’Accord cadre en raison de la clause attributive de compétence et que celui-ci était d’ailleurs saisi en référé de litiges sur ce point; qu’il en résulte que le moyen

d’EDF, tiré de la violation par l’article 10 de l’article L.336-2, n’est pas pertinent;

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Attendu qu’EDF soutient ensuite que ledit article violerait l’article L.336-3 qui dispose que le volume maximal d’ Y est fixé pour une durée annuel et que dès lors l’appréciation des conditions économiques justifiant l’invocation de la force majeure pendant une période infra annuelle contreviendrait à cet article du code de l’énergie ; qu’il est toutefois difficile de comprendre le raisonnement d’EDF sur ce point ; qu’en effet, le contrat étant d’une durée annuelle, il est incontestable que la force majeure ne peut être invoquée que pour l’exécution d’un contrat conclu pour cette durée mais qu’évidemment, si l’événement constitutif de cette force majeure n’a affecté qu’une partie de cette période annuelle, l’Accord cadre ne peut être suspendu que pendant cette durée, que c’est d’ailleurs expressément ce qu’a stipulé l’article 13 qui précise que « la suspension se prolongera aussi longtemps que l’évènement qui en est à l’origine n’aura pas pris fin » ; que, dès lors que l’Accord cadre conclu entre EDF et Z est pour une durée annuelle, il ne déroge pas aux dispositions de l’article L.336 3; que par contre, rien dans l’article 10 ne stipule que la force majeure devrait être appréciée sur l’ensemble de l’année et qu’il résulte même de l’article 13 le contraire ; que ce moyen est donc sans aucun fondement sérieux.

Attendu enfin qu’EDF soutient que cet article serait contradictoire avec une des autres dispositions du même article L.336-3 qui prévoit que les Ministres compétents pourraient suspendre l’AERNH en cas de circonstances exceptionnelles affectant les centrales nucléaires ; qu’il est cependant difficile de voir en quoi le fait, que la loi ouvre aux Ministres une telle possibilité, serait contraire avec la possibilité pour une des deux parties d’invoquer la force majeure en demandant à l’autre partie de suspendre de l’Accord cadre ; qu’il en résulte au contraire que la loi a ainsi défini de manière particulièrement limitative une condition très spécifique permettant aux Ministres d’interférer, sans tenir compte de la volonté d’une des deux parties, dans l’exécution d’un contrat de droit privé; que a contrario il relève des seuls co-contractants de se prévaloir d’une disposition de l’Accord cadre pour en faire suspendre l’exécution ; que, si l’une des deux parties conteste à l’autre le droit de se prévaloir d’une disposition, celle-ci peut, après avoir exécuté les stipulations de ladite disposition et suspendu le contrat, saisir ce tribunal aux fins de voir interpréter la clause contestée et trancher le litige ; que ce moyen est donc particulièrement non pertinent;

Attendu qu’il résulte de ce qui précède que les articles 10 et 13 ne sont en rien contraires à

Joi NOME.

2) Sur sa validité au regard du principe de la force obligatoire du contrat :

Attendu tout d’abord qu’EDF soutient que, si la jurisprudence admet l’aménagement contractuel de la définition de la force majeure édictée par l’article 1218 du code civil

(événement extérieur, imprévisible, irrésistible), c’est à la condition que cet aménagement ne remette pas en cause les obligations essentielles du contrat, obligation de payer les livraisons, et ne constitue pas une clause potestative ; qu’en ce qui concerne le premier point l’article 10 n’a nullement prévu qu’Z serait dispensée de payer les livraisons régulièrement effectuées mais que, en cas de force majeure, l’Accord cadre serait suspendu et que EDF ne devrait plus alors effectuer de livraison ; que dès lors il en résulte que ledit article ne remet nullement en cause l’obligation essentielle du fournisseur de payer les livraisons régulièrement effectuées; que le litige ne porte nullement sur ce point mais sur la faute qu’aurait pu commettre EDF en poursuivant ses livraisons alors que la force majeure avait été invoquée ; qu’il en résulte que l’article 10 ne contrevient pas à la faculté qu’ont les parties d’aménager contractuellement la définition que la loi donne à la notion de force majeure ;

Attendu ensuite que, s’agissant de la potestativité, il ne suffit pas à un fournisseur de considérer, que les circonstances économiques de l’Y sont devenus déraisonnables

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mais qu’il lui revient de démontrer l’existence d’un événement qui lui est extérieur qu’il ne pouvait prévoir et qui rend impossible dans des conditions économiques raisonnables

l’exécution du contrat ; qu’en l’espèce, il est difficile de comprendre en quoi Z aurait pu avoir la moindre influence sur la survenue d’une pandémie et a fortiori sur les décisions gouvernementales qui ont suivi, décisions sans aucun précèdent dans l’histoire mondiale et qui ont affecté, dans des proportions elles-aussi sans aucun précédent depuis au moins la guerre, le volume de la consommation d’électricité en France et le cours de celle-ci sur le marché libre de gros; que la seule spécificité du contrat réside dans le fait que l’article 13 stipule que, dès invocation d’un Évènement de force majeure par une des parties, l’autre partie a l’obligation d’en suspendre l’exécution, quitte, si elle contestait le bien fondé de cette invocation de l’article 10, de saisir le juge de la faute qu’aurait commise l’autre partie en l’obligeant à suspendre le contrat ; que de surcroît le bénéfice des articles 10 et 13 est ouvert aux deux parties mais que leur situation n’est pas symétrique, puisque EDF est en situation d’interrompre les livraisons d’électricité alors que le fournisseur alternatif n’a pas la possibilité, pour des raisons techniques, de s’opposer aux livraisons si EDF décidait de violer délibérément les obligations que lui imposent l’article 13; que ce moyen tiré de la potestativité est donc dénué du moindre fondement;

Attendu qu’il en résulte que les articles 10 et 13 de l’Accord cadre ne sont donc pas contraires au principe de la force obligatoire du contrat et n’ont aucun caractère potestatif ;

En conséquence de tout ce qui précède, le tribunal dira que les articles 10 et 13 de l’Accord cadre Y ne sont pas nuls et déboutera EDF de son exception de nullité.

Sur le bien-fondé de l’invocation de la force majeure par Z: 11

Moyens

En défense EDF soutient que l’épidémie COVID ne constitue pas un cas de force majeure car les conséquences, sur la consommation d’électricité, des mesures de confinement adoptées par le Gouvernement, ne présentent pas un caractère irrésistible ; en effet, Z n’était pas empêchée objectivement d’exécuter ses obligations; elle fait valoir que la situation économique d’HDRO, résultant de la situation, ne rendait pas totalement impossible pour elle de respecter son obligation de paiement à EDF; Elle ajoute qu’Z n’a pas démontré une diminution de la consommation de ses clients d’autant plus qu’elle se targe dans sa communication publique d’avoir une clientèle de particuliers et d’avoir réalisé une augmentation de son chiffre d’affaires au cours de la période ; elle indique qu’Z ne rapporte pas la preuve d’avoir dû revendre sur le marché libre de gros, à des prix inférieurs à celui du tarif Y, 30% du volume d’électricité Y.

Elle fait valoir par ailleurs qu’Z n’a pas démontré que l’exécution de ses obligations ne pouvait plus se faire dans des conditions économiques raisonnables; en effet il n’est pas déraisonnable de se fournir en électricité d’origine nucléaire au tarif Y comme l’a démontré la cour des Comptes selon laquelle, outre que celui-ci n’a pas été réévalué depuis

2012 et donc ne tient pas compte de l’inflation, ce prix est inférieur au cout de production d’électricité nucléaire ; elle rappelle que le dispositif Y est fondé sur un partage des risques entre elle-même et les fournisseurs alternatifs et que l’équilibre contractuel serait rompu si tous les risques étaient supportés par elle-même ce qui serait la conséquence d’une suspension de l’accord; elle indique ainsi que lorsque, en 2017, 23 de ses réacteurs étaient à l’arrêts, elle a du se fournir en électricité à l’étranger au prix du marché libre, à une époque où ceux-ci étaient supérieurs au tarif réglementé pour pouvoir fournir les producteurs alternatifs ; elle ajoute enfin que le dispositif Y est un mécanisme facultatif qui ne

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constitue pas une garantie contre les risques inhérents à la variation des prix du marché de gros de l’électricité

En demande Z fait valoir que les mesures prises par le Gouvernement dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire ont eu pour conséquences une chute forte et sans précédent de la consommation d’électricité ; que lesdites mesures ont bien un caractère extérieur aux parties; que aussi bien la pandémie en elle-même que surtout les décisions de confinement étaient bien irrésistibles et imprévisibles ; que d’ailleurs le Ministre de l’Économie et des Finances et la direction juridique de Ministère ont expressément qualifié de force majeure la COVID pour les marchés publics de l’Etat et des collectivités locales et que ce tribunal, confirmé par la cour d’appel, certes en référé, a jugé que les critères de la force majeure stipulés par l’article 10 des contrats AREHN étaient bien remplis du fait des mesures prises ; qu’en effet le prix sur le marché libre de l’électricité, qui avant le confinement s’établissait dans une fourchette de 50 à 55 € ,est brutalement passé à une moyenne journalière inférieure à 20€ ;

Enfin Z fait valoir que l’article 10 a contractuellement aménagé le critère de l’impossibilité d’exécuter le contrat en stipulant que la dite impossibilité doit s’apprécier par rapport à des conditions économiques raisonnables ; que l’appréciation desdites conditions doit être opérée en fonction de l’objectif du mécanisme de l’Y consistant en la création

d’un accès avantageux des fournisseurs alternatifs, nouveaux entrants sur ce marché de

l’électricité, à un tarif privilégié pour stimuler la concurrence, faire bénéficier le consommateur de cet accès privilégié et sécuriser l’approvisionnement des fournisseurs alternatifs; or la baisse brutale de grande ampleur de la demande d’électricité va se traduire, comme l’électricité n’est pas un bien stockable, par un écart, entre la quantité de celle-ci achetée par les fournisseurs alternatifs à l’avance à EDF au prix fixe de 42€ et la demande de leurs clients; ils seront donc contraints de revendre cet excédent ( de l’ordre de 20 à 30% par rapport au volume qu’ils avaient anticipés de la demande normale de leurs clients) au prix du marché libre largement inférieur à leur prix d’achat ( du simple au double);

Sur ce,

Attendu que l’article 10 du contrat stipule « la force majeure désigne un événement extérieur, irrésistible et imprévisible rendant impossible l’exécution des obligations des Parties dans des conditions économiques raisonnables » (souligné du tribunal); que les mesures gouvernementales mises en œuvre pour lutter contre la pandémie de la COVID ont entrainé une violente chute de la consommation d’électricité, et donc de la demande des clients de Z de -30% selon elle, et une forte chute des prix sur le marché libre de gros (divisé par deux), qui est ainsi passé très fortement en dessous de celui du tarif régulé de l’Y; qu’une telle situation remettait en cause le fondement même de ce dispositif dont l’objet est, pour stimuler la concurrence et pour faire bénéficier les consommateurs finaux de la rente nucléaire d’EDF, d’ouvrir aux fournisseurs alternatifs, dans la limite de certaines quantités fixés annuellement par les Ministres compétents et la CRE, l’accès à une électricité à un prix décoté et décorélé par rapport à celui du marché et stable dans le temps au moins pendant la durée annuelle du contrat ; que de plus Z a subi une forte baisse de la demande de ses clients mais était néanmoins contrainte d’acheter la quantité initialement prévue, avant le déclenchement de l’épidémie de Covid et des mesures gouvernementales qui en ont résulté ; qu’Z s’est donc retrouvée obligée de recevoir une quantité d’électricité supérieure à ses besoins et que, comme celle-ci n’est pas stockable, elle n’avait pas eu d’autre possibilité que de la revendre sur le marché de gros à un prix moitié moindre que celui qu’elle avait payé à EDF.

سلام


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Attendu que le tribunal rappelle que l’Événement, constitutif de la force majeure, doit être apprécié au jour de la notification par le fournisseur alternatif à EDF de sa survenance et non dans les semaines qui ont suivies ; qu’il convient de ne pas mélanger l’appréciation du bien fondé de ladite notification, au moment où elle a été faite, avec la durée pendant laquelle le contrat aurait du être suspendu.

Attendu qu’EDF ne conteste pas le caractère extérieur et imprévisible des mesures étatiques et de leurs conséquences sur le marché de l’énergie ; qu’elle soutient par contre que la condition de l’irrésistibilité de l’événement ,rendant impossible l’exécution des obligations des parties dans des conditions raisonnable, ne serait pas remplie ; qu’elle soutient tout d’abord que l’irrésistibilité découle de la nature insurmontable de l’évènement rendant impossible son exécution et qu’HDRO ne rapporte pas la preuve qu’il lui était impossible d’exécuter ses engagements, qu’elle ne démontre pas qu’elle a été obligé de revendre un excédent

d’électricité sur le marché de gros du fait de la baisse de la demande de ses clients ; que de plus la suspension des livraisons Y aurait offert à Z l’avantage injustifié de pouvoir, pour les 70% de la demande subsistante de ses clients, acheter l’électricité à un prix inférieur au tarif Y ce qui reviendrait à faire peser tout le risque de la variabilité des cours sur EDF;

Attendu cependant que EDF mélange les critères d’irrésistibilité et d’impossibilité d’exécution et ce sans tenir compte du fait que l’article 10 du contrat a aménagé les critères de l’article 1218 du code civil en stipulant que l’impossibilité doit s’apprécier en fonction de conditions économiques raisonnables ; que, pour être irrésistible, un événement doit être inévitable dans sa survenance et insurmontable dans ses effets ; que Z n’a aucune prise sur la chute de la demande d’électricité et des prix sur le marché de gros, l’Événement de force majeure, et que, comme elle ne peut stocker l’électricité, ni trouver soudainement des clients nouveaux alors que l’économie est entrée en récession, ní obtenir une réduction de la quantité d’électricité Y, elle n’a pu que se retrouver avec un excédent d’électricité qu’elle a été obligée d’acheter du fait de l’Accord cadre à un prix deux fois supérieur à celui du marché ; qu’il en résulte que les mesures gouvernementales ont bien un caractère d’irrésistibilité pour Z ;

Attendu qu’EDF soutient enfin que le critère « impossibilité d’exécuter dans des conditions économiques raisonnables » ne serait pas rempli; qu’en effet le prix de cession de

l’électricité Y est particulièrement compétitif, que rien dans le dispositif ne fait référence au prix de gros, que HYGRO n’était pas obligée de souscrire à l’Accord cadre, que rien n’empêche cette dernière, si la demande de ses clients est inférieure aux volumes qu’elle s’est engagée à acquérir auprès d’elle, d’en revendre l’excédent sur le marché de gros; elle ajoute que la notion d’impossibilité d’exécuter dans des conditions économiques raisonnables renvoie à une situation économique confinant à l’impossibilité d’exécuter et non à un simple renchérissement pour un temps limité des couts de l’opération économique ;elle fait valoir en outre que suivre la thèse de HYGRO reviendrait à lui transférer les risques des évolutions de la consommation et des variations des prix de marché.

Attendu tout d’abord que c’est à tort qu’EDF se raccroche à la notion usuelle de la jurisprudence et de l’article 1218 du code civil de « l’impossibilité d’exécuter » omettant que l’article 10 de ce contrat a en effet défini le critère de l’impossibilité comme le fait que

l’obligation ne peut être exécutée dans des conditions économiquement raisonnables ce qui change profondément le sens et la portée dudit critère ; que la notion de conditions économiques raisonnable doit être appréciée par rapport à l’objectif poursuivi par le législateur en instituant le dispositif Y qui consistait à créer un accès avantageux pour les fournisseurs alternatifs, nouveaux entrants sur le marché, à une électricité à prix coutant dont le prix de revient du fait de l’origine ( parc nucléaire amorti) était particulièrement

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compétitif ; que d’ailleurs l’Autorité de la Concurrence avait noté « le mécanisme a été conçu en faisant l’hypothèse d’un maintien des prix de marché de gros à des niveaux supérieurs » ; que bien sûr le marché de gros connait des fluctuations saisonnières mais que le but du mécanisme est justement de sécuriser pour une durée d’une année l’approvisionnement des fournisseurs alternatifs à des conditions économiques raisonnablement avantageuses ; que le mécanisme n’a jamais été conçu pour permettre à EDF de vendre sa production à des conditions avantageuses par rapport au cours de l’électricité ; qu’à fortiori il serait complétement contraire aux objectifs recherchés par la loi NOME de pénaliser les fournisseurs alternatifs en les obligeant non seulement à acheter une quantité fixée à

l’avance d’électricité à un prix supérieur à sa valeur sur le marché mais surtout, du fait de la forte baisse de la demande d’électricité par les entreprises et administrations (l’essentiel de la clientèle d’Z) et du caractère non stockable de l’électricité, de les contraindre à revendre à perte l’électricité Y; que c’est dans ce contexte que doit être apprécié le caractère ou non économiquement raisonnable de l’obligation de continuer à acheter une quantité d’électricité, déterminée plusieurs mois avant l’apparition de la pandémie, à un prix fixé l’année d’avant et ce pour une période d’une année ;

Attendu que les pièces produites montrent une baisse moyenne d’environ 20% de la consommation d’électricité par les entreprises et administrations, pendant la période du confinement et les mois qui ont suivi, et une chute de moitié des prix du marché de gros, qui ont oscillé entre le tiers et la moitié du tarif Y; que les conséquences des mesures gouvernementales, prises pour lutter contre la pandémie, ont donc été d’une telle ampleur

,sans aucun précédent depuis la dernière guerre, que l’équilibre même du mécanisme Y s’en est trouvé bouleversé et que les fournisseurs alternatifs n’étaient plus en mesure de l’exécuter dans des conditions économiquement raisonnables ;

Attendu qu’il résulte de ce qui précède que les conditions de la force majeure, stipulées par l’article 10 de l’Accord cadre, sont donc bien réunies du fait des conséquences, sur

l’évolution simultanée des volumes de la consommation d’électricité et des prix du marché de gros de celle-ci, des mesures gouvernementales prises dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire pour faire face à la pandémie de COVID; Le tribunal dira que c’est à bon droit que X a notifié à EDF, dès le 18 mars

2020, la survenance d’un événement constitutif d’un cas de force majeure afin que cette dernière suspende l’exécution du contrat et notamment cesse de lui fournir de l’électricité

Y.

Sur la faute commise par EDF en refusant de suspendre la fourniture d’électricité

Moyens

En défense EDF soutient qu’elle n’avait pas l’obligation de suspendre l’Accord-cadre de plein droit car l’appréciation des conditions économiques raisonnables est subjective ; elle rappelle d’ailleurs qu’une telle décision ne lui incombe pas mais relève du seul pouvoir de la CRE ce que cette dernière, saisi par les producteurs alternatifs a refusé de le faire et que subsidiairement ce pouvoir appartient aux Ministres chargés de l’énergie et de l’économie ; Elle soutient en outre qu’une telle décision serait illégale car constitutive d’une aide d’Etat car octroyer une baisse des volumes initialement prévus par l’Accord-cadre, alors que les conditions contractuelles ne l’exigent pas, constituerait un avantage pour Z qui n’aurait pu l’obtenir dans des conditions normales de marché ; que de surcroît il s’agirait d’une aide sélective car les autres fournisseurs alternatifs, n’ayant pas introduit d’actions judiciaires, seraient eux tenus d’exécuter leurs obligations ; elle précise que cet avantage

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serait nécessairement imputé à l’Etat et financé par des ressources publiques dès lors que pour le mettre en œuvre la CRE et la CDC organisme public devrait intervenir et du fait qu’il en résulterait une diminution de ses revenus ce qui,comme elle est une entreprises publique, signifierait une perte de recettes pour l’Etat; elle soutient enfin que cette aide entrainerait une distorsion de concurrence entre Z et les autres fournisseurs alternatifs non seulement français mais également européen car le marché de de l’électricité est ouvert

à d’autres entreprises européennes et qu’en outre l’électricité fait l’objet d’importants échanges entre les pays de l’Union

En demande Z réplique que les article 10 et 13 stipulent que la suspension de la fourniture d’électricité Y prend effet dès la survenance de l’événement de force majeure qui entraine de plein droit l’interruption de la cession annuelle d’électricité ; elle rappelle que la cour d’appel, à laquelle avait été déférée une ordonnance en référé de ce tribunal saisi par plusieurs autres fournisseurs alternatifs, a jugé que les dispositions de l’article 13.1 ne font aucune référence à un quelconque accord préalable de la CRE ou de la CDC et que cette suspension est clairement automatique ;il en résulte que, si à tort EDF refuse de suspendre les livraisons, elle engag sa responsabilité contractuelle sur le fondement de l’obligation d’exécution de bonne foi des conventions ; Elle ajoute que, si la loi NOME a donné aux Ministres compétents le pouvoir d’interférer avec le contrat de droit privé Y en cas d’incident d’une centrale nucléaire, la loi n’a pas prévu par contre pas la possibilité pour ces derniers de le faire pour les dispositions des articles 10 et 13 du contrat Y;

Sur ce,

Attendu que l’article 10 du contrat stipule que « les obligations des parties sont suspendues pendant la durée de l’Évènement de force majeure » et que l’article 13.1 prévoit dans ce cas que « la suspension prend effet dès la survenance de l’Évènement de force majeure et entraine de plein droit l’interruption de la Cession annuelle d’électricité. La partie invoquant la force majeure doit la notifier à la CRE, à la CDC et à l’autre partie… » ; (souligné du tribunal); qu’Z soutient que EDF, en refusant de suspendre la cession d’électricité, bien qu’elle lui ait notifiée la survenance d’un événement de force majeure, a commis une faute en manquant à son devoir de loyauté ;

Attendu que cette dernière réplique que l’obligation de suspension ne repose pas sur elle mais sur la CRE et que ce prononcé est retardé, si l’autre partie conteste que les critères de la force majeure sont remplis, jusqu’à la décision du juge ; que cependant la rédaction de l’article 13 est impérative et dépourvue d’ambiguïté et stipule clairement que « dès la survenance de l’événement… la suspension est de plein droit » ; que cet article ne prévoit nullement une quelconque intervention de la CRE qui n’aurait d’ailleurs aucune compétence pour intervenir dans l’interprétation du contrat de droit privé liant les deux parties; que c’est d’ailleurs ce qu’a jugé la Cour d’appel de Paris saisi de plusieurs ordonnances en référé de ce tribunal ordonnant la suspension immédiate sous astreinte de livraisons d’électricité

Y; que la Cour a ainsi observé que « l’article 13-1 ne fait aucune référence à un quelconque accord préalable de la CRE… ce dispositif est clairement présenté comme ayant un effet automatique…. Cette temporalité est adaptée à celle d’un contrat annuel et manifestement en lien avec l’impossibilité de stocker l’électricité livrée … de sorte qu’aucun retard n’est envisageable, la saisine préalable d’une instance la privant de son effet… cette clause est outre bilatérale et préserve les droits de chacun, puisque la partie qui subit l’interruption et qui en conteste le bien-fondé peut soit saisir le juge des référés, pour faire aloir que l’événement invoqué n’est pas constitutif d’un cas de force majeure et faire ordonner la reprise des livraisons, soit le juge du fond en réparation de son préjudice si la

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clause a été mise en œuvre à mauvais escient ..»; que le tribunal ne peut que faire sienne cette motivation ; que le moyen d’EDF n’est donc pas pertinent;

Attendu ensuite que EDF soutient subsidiairement que l’obligation de prononcer la suspension incombe aux Ministres compétents puisque l’article L.336-3 du code de l’énergie dispose que « en cas de circonstances exceptionnelles affectant les centrales nucléaires les

Ministres peuvent suspendre l’Y » ; que cependant EDF commet un contresens; qu’en effet le pouvoir réglementaire ne peut intervenir dans l’exécution d’un contrat que s’il y

a été expressément habilité par une disposition législative antérieure à la signature dudit contrat; que la loi est d’interprétation stricte et que, si elle a prévu cette possibilité d’intervention des Ministres dans la vie des contrats, elle ne le fait que dans le cas très précis, très límité et très exceptionnel d’un incident dans une centrale nucléaire ; que l’article

L.336-3 précité est inapplicable à la présente espèce ; que contrairement à ce que soutient EDF l’a contrario de cet article ne conduit nullement à considérer qu’en l’absence d’arrêté ministériel, EDF ne peut suspendre les livraisons mais bien au contraire que les Ministres n’ont pas été habilités par le législateur pour intervenir dans la mise en oeuvre de l’article 10 relatif à la force majeure ; qu’EDF, et elle-seule, devait suspendre la livraison d’électricité et ce immédiatement au reçu de la notification d’Z, quitte à contester ultérieurement devant le juge le bien fondée de la mise en œuvre de l’article 10 par Z et à lui réclamer en cas de préjudice des dommages et intérêts pour usage à mauvais escient de la clause relative la force majeure ; que ce moyen est donc complètement inopérant ;

Attendu qu’il résulte de ce qui précède qu’EDF, en ne suspendant pas les Cessions d’électricité Y, a violé les dispositions combinées des articles 10 et 13-1 de l’Accord cadre ;

En conséquence le tribunal dira qu’EDF a commis une faute contractuelle engageant sa responsabilité.

IV Sur le montant du préjudice subi par Z

Moyens

En défense EDF soutient tout d’abord que le juge n’aurait pas eu le pouvoir de suspendre les livraisons de volumes d’Y et donc a fortiori d’indemniser les conséquences de cette non suspension car une telle décision s’apparenterait à une aide d’Etat prohibée par le traité de l’Union Européenne. Elle fait valoir en outre que Z demande l’indemnisation de la perte sur la revente de

l’électricité Y qu’elle n’aurait pas pu consommer mais qu’elle n’apporte aucune justification des montants qu’elle retient pour faire ses calculs ; elle souligne que Z établit son estimation de manière unilatérale sans qu’elle soit confirmée par un tiers, notamment son expert-comptable; ainsi elle évoque une baisse de la consommation de ses clients de 30% sans en rapporter la preuve, elle omet l’effet d’aubaine qui lui aurait permis de se fournir sur le marché libre à un prix inférieur au tarif Y et à celui qu’elle facture pour les 70% nécessaire pour satisfaire la demande de ses clients, elle compare le prix annuel de l’Y avec des prix journaliers sur le marché libre, et en outre elle calcule son préjudice sur une durée de 6 mois alors que le confinement n’a pas duré aussi longtemps et que la consommation d’électricité est revenue assez rapidement à la normale en sortie de confinement à un niveau proche de la norme. Enfin elle rappelle qu’Z a publié de très bons résultats sur la période.

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En demande Z réplique tout d’abord que l’indemnisation du préjudice qu’elle a subi, du fait du refus par EDF de suspendre les livraisons d’électricité, ne saurait constituer une aide d’Etat puisque l’objectif de l’Y est de permettre une ouverture à la concurrence du marché en donnant normalement accès aux fournisseurs alternatifs à un prix discounté en obligeant EDF à leur vendre à son prix de revient historique et donc à un prix en dessous du marché ; qu’à l’inverse, en cas de circonstances exceptionnelles, quand le prix du marché

s’effondre, obliger les fournisseurs alternatifs à acheter à EDF une électricité à un prix supérieur à celui-ci reviendrait à subventionner EDF puisqu’elle lui garantirait un prix supérieur à celui du marché ; qu’en outre l’article 107 1 du traité de l’Union Européenne définit l’aide de l’Etat comme un avantage économique qu’aucune entreprise n’aurait pu obtenir sur le marché en l’absence d’intervention de l’Etat et qu’en l’occurrence la suspension des livraisons aurait eu pour seul effet de permettre à Z de

s’approvisionner sur ledit marché sans aucune intervention de l’Etat ;

Elle ajoute que le montant de son préjudice direct résulte d’avoir été obligé d’acheter les quantités d’électricité qu’EDF lui a tort fourni au prix de 42€ alors que, si cette dernière s’était conformée à ses obligations stipulées par les articles 10 et 13 de l’Accord cadre, elle aurait pu acquérir les volumes nécessaires à la fourniture de ses clients au prix du marché en moyenne de 20€ ;

Elle précise que la période à prendre en compte n’est pas uniquement celle correspondant au confinement, comprise entre le 16 mars et le 11 mai 2020, mais celle pendant laquelle les conséquences économiques, ayant résulté des mesures gouvernementales, se sont traduites par une baisse durable et anormale, car exceptionnelle, de la demande d’électricité de ses clients et des prix de marché ; elle fait valoir que l’analyse des cours du marché de l’électricité montre que la situation n’est revenue à la normale que le 31 aout et que dès lors son préjudice est égal au volume Y fournit par EDF, durant ces 5 mois et demi, soit 122MW que multiplie l’écart entre les 42€ du tarif réglementé et la moyenne journalière des cours constaté sur le marché libre pendant cette période. Enfin elle réplique que son préjudice n’est pas constitué uniquement par les pertes qu’elle a subies, dont elle a pu limiter le montant grâce à une politique très proactive, pertes égales au à l’écart entre le volume d’électricité fourni par EDF et ce qu’elle a pu revendre à ses clients, cet écart ayant dû être revendu sur le marché à un prix inférieur au tarif Y de 42€ qu’elle avait payé; qu’en effet la faute d’EDF, commise en refusant de suspendre la fourniture d’électricité, l’a privé de la possibilité d’acquérir à un prix inférieur au 42€ les volumes dont elle avait besoin pour répondre à la demande de ses clients. Elle précise qu’en effet son préjudice n’est pas les conséquences dommageables ayant résulté de la situation économique, constitutives de la force majeure, mais le fait que la faute d’EDF l’a contraint à acheter une électricité à un prix supérieur à celui du marché.

Sur ce,

1) Sur l’illégalité d’une indemnisation du préjudice subi

Attendu qu’ EDF soutient que le juge n’aurait pas le pouvoir de constater l’existence d’un cas de force majeure et donc ne pourrait pas ordonner la suspension des livraisons ; qu’il en résulterait a fortiori qu’il ne pourrait pas prononcer une condamnation d’EDF à indemniser un fournisseur alternatif car une telle indemnisation serait constitutive d’une aide de l’Etat ; qu’en effet seul Z et ceux des fournisseurs alternatifs, qui ont saisi ce tribunal, bénéficieraient soit de la suspension des livraisons, s’ils ont agi en référé, soit de l’indemnisation des conséquences de la non suspension ce qui caractériserait une aide sélective; qu’en outre la seconde condition caractérisant une aide, à savoir qu’elle soit imputable à l’Etat et financée par des ressources publiques, serait remplie car l’Etat est actionnaire d’EDF; que de plus cela entrainerait une distorsion de concurrence entre

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Z qui serait indemnisée et ses concurrentes qui n’ayant pas saisi ce tribunal ne le

serait pas ;

Attendu que le point de départ du raisonnement d’EDF repose sur le fait que « une décision du juge, qui viendrait confirmer les demandes d’Z sur le fondement de l’article 10, procéderait d’une lecture extensive de cet article » et « la décision du juge, qui viendrait remettre en cause les dispositions de l’Accord cadre, relèverait d’une appréciation intuitu personae au regard du cas d’Z » ; que pour le moins ce raisonnement est juridiquement audacieux puisqu’il suppose que, s’il devait y avoir condamnation d’EDF, cela ne pourrait provenir que d’une mauvaise appréciation par le juge, pourtant désigné par une clause attributive de compétence, de la portée de l’article 10; que pour EDF toute interprétation de l’article 10, non conforme à sa propre analyse, est donc illicite; que par ailleurs, EDF est une entreprise privée, qu’on est en présence d’un contrat de droit privé, que ledit contrat est conforme au modèle d’Accord cadre résultant d’un arrêté ministériel, et que l’ensemble du dispositif Y a été validé par la Commission Européenne ; que surabondamment, si EDF avait estimé l’article 10 illégal, il lui appartenait de saisir le Conseil d’Etat d’un recours contre l’arrêté ministériel ; que, sans qu’il soit nécessaire de développer plus longuement la motivation, le tribunal dira ce moyen dépourvu de la moindre pertinence.

En conséquence, le tribunal déboutera EDF de sa demande de dire qu’une indemnisation du préjudice d’Z serait constitutive d’une aide d’Etat au sens du traité de l’Union

Européenne.

2) Sur la détermination du quantum du préjudice

Attendu qu’Z soutient que son préjudice est égal à la multiplication du volume

d’électricité Y, que lui a livré EDF, par l’écart entre 42€ et le prix moyen sur le marché de libre de gros au cours de la période pendant laquelle les mesures gouvernementales ont entrainé la forte chute de la consommation et des prix ; que EDF s’oppose cette approche en faisant valoir notamment que :

Qu’Z ne justifie pas le montant effectif de ses pertes subies car elle ne démontre pas que la baisse de la demande de ses clients a bien été de 30% et parce qu’elle ne rapporte pas non plus la preuve que sa stratégie d’approvisionnement, de couverture sur le marché à terme de l’électricité et la nature de son portefeuille de clients n’auraient pas réduit l’effet mécanique sur ses résultats du fait de son refus de suspendre les livraisons,

Que doit être écarté de l’évaluation l’effet d’aubaine qui serait résulté pour

Z de la possibilité, pour les 70% des volumes de consommation subsistantes de ses clients, de s’approvisionner à un cours inférieur à 42€ et donc d’accroitre sa marge par rapport à la situation précédente la pandémie, Qu’il n’y a lieu de comparer le prix Y de 42€ fixé pour une période d’une année avec des cours journaliers sur le marché de gros ;

Attendu qu’il est certes exact que les conséquences de la faute commise par EDF en violant les dispositions combinées des articles 10 et 13-1 de l’Accord cadre sont de deux natures différentes :

-perte directe et immédiate du fait de devoir revendre sur le marché, à un cours inférieur de moitié au prix facturé par EDF, la partie des livraisons de cette dernière excédant la demande de ses clients du fait de la chute de la consommation d’électricité,

-gain manqué de ne pas avoir pu, pour les 70% restante de la demande de ses clients, acquérir l’électricité au prix du marché au lieu du tarif Y;

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Attendu cependant que le tribunal n’est pas saisi d’une demande d’indemnisation ou de compensation par une entreprise des conséquences négatives sur son activité des mesures gouvernementales, prises dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire, mais d’une demande de réparation du préjudice subi par Z du fait de la faute contractuelle d’EDF ; que cette faute a consisté, comme il a été vu ci-dessus, à refuser de suspendre ses livraisons

d’Y malgré le caractère impératif de l’article 10 et « le caractère automatique », comme l’a dit la cour d’appel de Paris, des dispositions de l’article 13: « dès qu’une des parties notifie la survenance d’un Évènement de force majeure, la suspension de la fourniture Y est de droit » et qu’il en résulte qu’elle doit donc immédiatement être opérée ;

Attendu que cette faute a eu une double conséquence d’une part elle a amené Z à recevoir une quantité d’électricité supérieure à ses besoins et d’autre part elle a obligé

Z à payer un prix supérieur à celui du marché la partie de la consommation de ses clients subsistantes ;

Attendu que pour évaluer le préjudice subi par Z du fait de la faute d’EDF, il convient donc de replacer Z dans la situation qui aurait été la sienne si les livraisons avaient été suspendues dès sa notification du 18 mars 2020 et donc si elle n’avait pas été contrainte de recevoir et d’acheter à 42€ toutes les livraisons d’EDF pendant cette période ; qu’il n’y a pas lieu de s’interroger sur l’avantage, « l’effet d’aubaine », qu’aurait pu tirer Z de la situation dans laquelle elle aurait été en mesure de réaliser, sur la partie de la demande de ses clients subsistante, une marge supérieure à celle qu’elle réalise habituellement du fait de

l’écart entre son prix d’acquisition de 42€ au titre de l’Y et le prix moyen de ses ventes dans des contrats long terme ;

Attendu qu’il résulte de ce qui précède que, pour déterminer la situation contrefactuelle, il suffit effectivement, comme le soutient Z, de multiplier les volumes d’Y, reçus par cette dernière d’EDF au cours de la période, par l’écart pendant ladite période entre 42€ et le cours moyen de l’électricité sur le marché libre de gros;

Attendu qu’il convient pour le tribunal de établir la période pendant laquelle les conditions économiques de l’exécution de l’AREHN sont devenues « déraisonnables », définition contractuelle par l’article 10 de la force majeure ; que cette période est celle pendant laquelle EDF aurait dû, comme le lui prescrivait l’article 13 du même contrat, suspendre l’exécution du contrat;

Attendu qu’il résulte de l’examen des diverses pièces produites par Z (pièces 25 et 26 et les tableaux et graphiques remises par cette dernière lors de l’audience) comme de

l’analyse que le tribunal a pu faire de celles d’EDF (notamment de son rapport d’expertise, sa pièce 28, et les déclarations du président de RTE) que les volumes de consommation en

France se sont effondrés de près de 20% le 17 mars et n’ont remonté que vers la fin mai 2020 peu après la fin du premier confinement ; que la chute du cours de l’électricité sur le marché libre a été encore plus violente: que si on prend les moyennes mensuelles, qu’on les corrige de la saisonnalité et qu’on les compare aux mêmes mois de 2019, année où à la différence du passé le cours avait été inférieur pendant cette période de 5,5 € par rapport au prix Y de 42€, la chute est spectaculaire : l’écart est en effet en moyenne de 15€ par rapport au prix Y soit un écart 3 fois plus important que celui constaté pendant les mêmes mois de l’année 2019, période au cours de laquelle l’écart entre le cours du marché et le prix Y avait été le plus fort récemment ; qu’il est donc établi que la période, au cours de laquelle les producteurs alternatifs se sont retrouvés confrontés simultanément à une violente baisse de la consommation et à une baisse historique des cours du marché,

s’étale du 17 mars à la fin mai 2020 ( le président de la RTE a en effet déclaré qu’à la fin du mois de mai la consommation d’électricité était redevenu normale) ;

[…]


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Attendu qu’il résulte des calculs du tribunal que le préjudice direct et certain subi par Z, égal au volume livré au titre de l’Y, du 17 mars au 31 mai, multiplié par l’écart entre 42€ et le cours moyen du marché sur ces 2 mois et demi, cours auquel Z aurait pu se fournir si le contrat avait été suspendu comme il l’a été par les ordonnances de ce tribunal pour 4 autres fournisseurs alternatifs, s’élève à 5.880.000 millions € ;

En conséquence, le tribunal condamnera EDF à payer à X, au titre du préjudice subi du fait de la non suspension du contrat Y pendant la période du 17 mars au 31 mai 2020, à la somme de 5.880.000€, déboutant pour le surplus.

V- Sur la résistance abusive :

Attendu que certes EDF a décidé de méconnaitre délibérément l’article 13 du contrat, qui lui imposait de suspendre immédiatement et de plein droit le contrat AREHN dès la notification par Z de la survenance d’un Évènement constitutif d’un cas de force majeure, quitte à faire valoir ultérieurement ses arguments sur le fait que ladite notification était injustifiée et de réclamer alors l’indemnisation du préjudice subi en raison de celle-ci; que cependant, cette faute ayant été commise, EDF n’a pas abusé de son droit de soutenir au fond une autre interprétation des articles 13 et 10, en s’appuyant sur les déclarations de la CRE ; que certes le Conseil d’Etat avait rappelé dès le mois d’avril 2019 qu’il revenait à ce tribunal d’interpréter lesdits articles et non à la CRE mais que la décision du Conseil d’Etat comme les arrêts de la Cour d’appel de Paris dans le même sens ont été rendus en référé ; que, si EDF a fait preuve d’une certaine mauvaise foi en se contredisant dans ses dernières écritures sur le sens du terme irrésistible de l’article 10 du contrat: p15 elle reconnait que force majeure est définie comme « l’impossibilité d’exécuter les contrats dans des conditions économiques raisonnables » pour faire ensuite de longs développements pour soutenir que ledit article aurait stipulé que l’Évènement, constitutif de la force majeure, doit rendre impossible l’exécution du contrat, en raison de son caractère irrésistible ; qu’il ne ressort cependant pas clairement des débats que les conditions pour qualifier une résistance d’abusive sont parfaitement réunies ;

En conséquence, le tribunal déboutera X de sa demande de dommages et intérêts pour résistance abusive.

VI Sur l’article 700 du CPC, l’exécution provisoire et les dépens/

Attendu qu’il serait inéquitable de laisser à la charge de Z les frais irrépétibles qu’elle a du supporter pour assurer sa défense dans les incidents soulevés par EDF; En conséquence le tribunal condamnera EDF à payer à X la somme de 100.000€ au titre de l’article 700 du CPC ;

Attendu que le tribunal estime l’exécution provisoire compatible et nécessaire avec la nature de l’affaire il l’ordonnera ;

Attendu qu’EDF succombe, Le tribunal la condamnera aux dépens.

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PAR CES MOTIFS

Le Tribunal statuant par jugement contradictoire en premier ressort :

Déboute la SA ELECTRICITE DE FRANCE de ses exceptions de nullité des articles 10 et 13 du contrat pour illicéité et pour potestativité,

Dit que c’est à bon droit que la SAS X a notifié à EDF, dès le 18

mars 2020, la survenance d’un événement constitutif d’un cas de force majeure afin que cette dernière suspende l’exécution du contrat et notamment cesse de lui fournir de l’électricité Y,

Dit que la SA ELECTRICITE DE FRANCE a commis une faute contractuelle

engageant sa responsabilité en continuant à livrer de l’électricité Y après la notification par la SAS X de la survenance d’un Évènement constitutif d’un cas de force majeure

Déboute la SA ELECTRICITÉ DE FRANCE de sa demande de dire qu’une indemnisation du préjudice d’Z serait constitutive d’une aide d’Etat au sens du traité de l’Union Européenne,

Condamne la SA ELECTRICITE DE FRANCE à payer à la SAS X, au titre du préjudice subi du fait de la non suspension du contrat Y pendant la période du 17 mars au 31 mai 2020, la somme de 5.880.000€, déboutant pour le surplus

Déboute la SAS X de sa demande de dommages et intérêts fondée

sur la résistance abusive,

Condamne la SA ELECTRICITE DE FRANCE à payer à la SAS X la

somme de 100.000€ au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

Ordonne l’exécution provisoire.

Condamne la SA ELECTRICITE DE FRANCE aux dépens dont ceux à recouvrer

• par le greffe liquidé à la somme de 138,65 € dont 22,68 € de TVA.74.5€ dont

12.2€ de TVA,

En application des dispositions de l’article 871 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 22/03/2021, en audience publique, les représentants des parties ne s’y étant pas opposés, devant juge chargé d’instruire l’affaire.

Ce juge a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré du tribunal, composé de : M. A

Careil, Mme B C et M. D E

Délibéré le 29 mars 2021 par les mêmes juges.

Dit que le présent jugement est prononcé par sa mise à disposition au greffe de ce tribunal, les parties en ayant été préalablement avisées lors des débats dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

La minute du jugement est signée par M. A Careil président du délibéré et par Mme Lucilla Jamois, greffier.

Le greffier. Le président. le te

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Tribunal de commerce de Paris, 13 avril 2021, n° 2020017687