Tribunal de grande instance de Paris, 10 juin 1997, n° 9617202088

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Sur la décision

Référence :
TGI Paris, 10 juin 1997, n° 9617202088
Juridiction : Tribunal de grande instance de Paris
Numéro(s) : 9617202088

Sur les parties

Texte intégral

Sexp. Time SOLER le 24/09/04

17° C Ministère Public

c/

X

A

République française

Au nom du Peuple français

TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE PARIS

J

17eme chambre

N° d’affaire 9617202088 Jugement du 10 juin 1997 n° :

TRIBUNAL SAISI PAR : Citation à la requête du Procureur de la République

PERSONNE POURSUIVIE :

Nom : X

N : Y K L Né le : […]

A : PARIS 12E ARRONDISSEMENT (75)

Et de : Gabrielle X

Nationalité : française

Domicile : […]

[…]

Profession : sans

: célibataire Situation familiale

Situation pénale :

Comparution : COMPARANT

Assisté par Me FRANCIS CABALLERO, du Barreau près le Tribunal de

Grande Instance de Paris, qui a déposé des conclusions visées par Madame le Président et le Greffier et jointes au dossier.

b cu Page n° 3


17° Ch.

Jugement n° 2

PERSONNE POURSUIVIE :

: A Nom

: J M N

02 février 1966 Née le

: BRIVE LA GAILLARDE (19) A 2

: O A P de

: F G Et de française Nationalité : […]

[…]

: assistante de publicité Profession

Situation familiale : célibataire

Situation pénale :

: COMPARANTE Comparution

Assistée par Me FRANCIS CABALLERO, du Barreau près le Tribunal de

Grande Instance de Paris.

PARTIE CIVILE :

Z Nom

H I(s) :

CZ Me L SARDA Domicile

[…]

[…]

NON COMPARANT

Représenté par Me L SARDA, du Barreau près le Tribunal de Grande

Instance de Paris, qui a déposé des conclusions visées par Madame le Président et le Greffier et jointes au dossier.

DIFFAMATION PUBLIQUE ENVERS UN MEMBRE DU MINISTERE

Page n° 4


17° Ch.

Jugement n° 2

LE TRIBUNAL

96/1720208/8 2

Par actes du 11 octobre 1996, M. le Procureur de la République près le Tribunal de Grande Instance de PARIS a fait citer directement devant le tribunal correctionnel, à l’audience du 12 novembre 1996, Mme J A et M. Y

X pour avoir, à PARIS, le 10 mai 1996, étant les auteurs et les responsables de la diffusion d’un communiqué, intitulé « scandale du steak contaminé : nouvelles cachotteries du Ministère », commis le délit de diffamation publique envers un membre du Ministère, M. H Z, Ministre de l’Agriculture, de la Pêche et de l’Alimentation, à raison du titre et du passage suivant: :

« Il est intéressant de noter que le Ministère de l’Agriculture, une nouvelle fois, n’a pas cru bon d’informer la population sur ce point (l’existence de 200 vaches actuellement sous surveillance en raison de leurs troubles du comportement) et même, encore plus grave, d’assurer la sécurité des consommateurs ».

« En effet, les autres animaux appartenant aux deux cents troupeaux, concernés par ces cas, peuvent être librement commercés »… « il ont d’ailleurs été tous laissés ensemble, dans l’attente de développements de symptômes plus nets, autre mesure qui peut encore favoriser la contamination horizontale ». « (La situation dénoncée) nous amène une nouvelle fois à mettre en sérieux doute les déclarations du Ministère de l’Agriculture ».

« Le Ministère de l’Agriculture semble ne pas connaître son travail, alors nous allons lui dire ce qu’il faut faire. Un animal suspect doit être immédiatement isolé du troupeau ».

« Le Ministère pense restaurer la confiance des consommateurs en minimisant la gravité de la situation, c’est-à-dire en dissimulant certains faits comme ce fut le cas récemment. Si Monsieur Z fonctionne sur le mode »pas vu pas pris !« , il risque de s’attirer bien des déboires dans les prochaines semaines ».

Ces faits sont prévus et punis par les articles 23, 29 alinéa 1, 30, 31 alinéa 1, 42, 43, 47, 48 de la loi du 29 juillet 1881.

Ces poursuites ont été engagées à la suite d’une lettre, en date du 15 mai 1996, adressée par M. Z, au Garde des Sceaux.

Ce dernier sollicite la condamnation des prévenus à lui payer la somme de 1 F à titre de dommages-intérêts et celle de 10000F sur le fondement de l’article 475

1 du code de procédure pénale, ainsi que la publication du jugement à intervenir dans différents journaux.

Les prévenus ont présenté, sur le fondement de l’article 472 du code de procédure pénale, une demande de dommages-intérêts, s’élevant à 13015,41 F.

A l’audience du 12 novembre 1996, le Tribunal a renvoyé l’affaire au 28 janvier 1997, puis au 25 février, et enfin, au 13 mai suivant; à cette date, les deux prévenus étaient présents, assistés de Me CABALLERO; M. Z, qui s’est

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Jugement n° 2

constitué partie civile, était représenté par Me SARDA; avant toute défense au fond, le conseil de la défense a soulevé la nullité de la citation pour violation des dispositions de

l’article 53 de la loi de 1881; après avoir donné la parole aux parties sur cette exception, dans l’ordre prévu par la loi, le Tribunal a décidé de joindre l’incident au fond, en application de l’article 459 alinéa 3 du code de procédure pénale; après avoir procédé

à l’audition des prévenus, des témoins cités à la requête de la partie civile et de la défense, avoir entendu la plaidoirie du conseil de la partie civile, les réquisitions du Ministère public et la plaidoirie du conseil des prévenus, le Tribunal a avisé les parties que le jugement serait prononcé le 10 juin 1997 (article 462 alinéa 2 du code de procédure pénale).

A cette date, la décision suivante a été rendue :

P. 96/1720207/9 :

Par actes du 13 décembre 1996, M. le Procureur de la République près le Tribunal de Grande Instance de PARIS a fait citer directement devant le tribunal correctionnel, à l’audience du 14 janvier 1997, M. Y X et Mme

J A pour avoir, à PARIS, le 10 mai 1996, sciemment diffusé, de mauvaise foi, par un communiqué dont ils étaient les auteurs, au nom de l’Association

AEQUALIS, de fausses nouvelles de nature à troubler la paix publique, ledit

comm muniqué étant plus particulièrement incriminé à raison des passages suivants :

"Nous avons bénéficié de nouvelles informations confidentielles, liées au

« scandale du steak contaminé ». Certaines paraissent dans « France-Soir » aujourd’hui, relatives à l’existence de 200 vaches qui sont actuellement sous surveillance pour tenter de déceler si leurs troubles du comportement trouvent ou non leur origine dans une encéphalopathie…"

"Les autres animaux appartenant aux deux cents troupeaux concernés par ces cas; peuvent être, pour l’instant, librement commercés".

Ces faits sont prévus et punis par les articles 23, 27, 42, 43, 47, 48 de la loi du 29 juillet 1881.

Ces poursuites ont été engagées à la suite d’une lettre, en date du 15 mai 1996, adressée par le Ministre de l’Agriculture, au Garde des Sceaux.

A l’audience du 14 janvier 1997, l’affaire a été renvoyée au 25 février, puis au 13 mai 1997; à cette date, les deux prévenus étaient présents, assistés de Me

CABALLERO; l’Agent Judiciaire du Trésor, représenté par Me SARDA, s’est constitué partie civile, a sollicité la condamnation des prévenus à lui payer la somme de 1 F à titre de dommages-intérêts ainsi que celle de 15000F sur le fondement de l’article 475-1 du code de procédure pénale, ainsi que la publication d’extraits du jugement et d’un communiqué, dans différents journaux.

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2


17° Ch.

Jugement n° 2

Cette affaire mettant en cause les mêmes prévenus et le même communiqué, que dans les poursuites pour diffamation envers M. Z, le Tribunal a décidé d’évoquer ces deux dossiers au cours des mêmes débats.

Après avoir procédé à l’audition des prévenus, des témoins cités à la requête des parties, avoir entendu la plaidoirie du conseil de la partie civile, les réquisitions du Ministère public et la plaidoirie du conseil des prévenus, le Tribunal a avisé les parties que le jugement serait prononcé le 10 juin 1997 (article 462 alinéa 2 du code de procédure pénale).

A cette date, la décision suivante a été rendue :

SUR LA JONCTION DES PROCEDURES :

raison de la connexité des faits poursuivis dans les deux dossiers, il convient d’ordonner la jonction des deux procédures inscrites au rôle sous les numéros

P. 96/1720208/8 et P. 96/1720207/9, conformément à l’article 387 du code de procédure pénale.

SUR LE DELIT DE DIFFAMATION ENVERS UN MINISTRE :

* Sur la régularité de la citation :

Le conseil des prévenus soulève la nullité de la citation, aux motifs que deux qualifications apparaissent adaptées aux faits visés dans cet exploit d’huissier : la diffamation non publique, réprimée par l’article R. 621-11 du code pénal et la diffamation par voie de correspondance circulant à découvert, prévue par l’article 1er de la loi du 11 juin 1887; au regard de cette incertitude, qui serait reconnue par la partie civile elle-même, puisqu’elle a conclu à une éventuelle requalification par le Tribunal, les dispositions de l’article 53 de la loi de 1881 auraient été méconnues.

L’appréciation du caractère public de la diffamation, qui constitue l’un des éléments constitutifs du délit, ne saurait faire l’objet d’un examen dans le cadre des exceptions soulevées in limine litis, relatives à la régularité formelle de la citation introductive d’instance.

Le Tribunal répondra donc à ce moyen, lors de l’examen du fond.

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17" Ch.

Jugement n° 2

* Sur le caractère diffamatoire des propos :

M. X et Mlle A, membres de l’Association

AEQUALIS de défense des droits des animaux, ont signé un communiqué de presse, qu’ils ont diffusé le 10 mai 1996 auprès de divers organes de presse, tels que l’Agence France Presse, l’Agence Reuter, l’Associated Press, le Figaro, le Monde.

Dans ce texte, ils dénoncent le « scandale du steak contaminé », affirmant qu’ils détiennent des informations confidentielles, cachées au public par le en

Ministère de l’Agriculture, selon lesquelles, d’une part, 200 vaches seraient actuellement, en raison d’un comportement suspect, sous surveillance, pour permettre de rechercher si ces troubles ont pour origine une encéphalopathie spongiforme, et selon lesquelles, d’autre part, les autres animaux appartenant à ces 200 troupeaux continueraient à être librement commercialisés, dans l’attente des résultats de laboratoire, alors que ces animaux peuvent déjà être infectés, même s’ils ne présentent pas encore de symptômes alarmants, et devraient donc être consignés.

Une telle situation serait délibérément dissimulée aux consommateurs et le Ministre, M. Z, en serait informé; (« il fonctionnerait sur le mode »pas vu pas pris").

Comme le soulignent le Ministère public et la partie civile, il est ainsi imputé au Ministre de l’Agriculture, personnellement visé dans les dernières lignes du

texte. un fait précis : malgré sa connaissance des risques résultant de la commercialisation de certains animaux, pour la santé des consommateurs, le Ministre ne prend pas les mesures nécessaires pour l’interdire-, l’allégation d’un tel comportement qui, à le supposer établi, serait constitutif d’une infraction pénale et relèverait de la compétence de la Cour de la République, porte à l’évidence, atteinte à l’honneur de M.

Z, à raison de ses fonctions de Ministre de l’Agriculture, et relève bien de l’article 31 de la loi de 1881.

* Sur le caractère public de la diffamation :

Selon la défense, cet élément constitutif de la diffamation ne serait pas établi, puisque les passages poursuivis n’ont pas été repris dans la presse, ni dans le journal France-Soir, paru le même jour, sur le même sujet, ni dans d’autres médias; il ne s’agirait donc que d’une tentative de diffamation, qui n’est pas réprimée par la loi de 1881; enfin, si l’élément de publicité fait défaut, les faits ne pourraient être constitutifs que d’une contravention de diffamation non publique, que le Tribunal correctionnel n’est pas compétent pour apprécier.

L’article 23 de la loi de 1881 énumère les modes de publicité des délits de presse, parmi lesquels figure la diffusion d’écrits; en l’espèce, le communiqué de presse a été adressé, selon les dires même des prévenus, à plusieurs agences de presse. journaux ou médias, donc à des personnes dépourvues de « toute communauté d’intérêts », au sens de la jurisprudence, et il n’importe que le contenu du texte n’ait pas été repris par ses différents destinataires, qui, à eux seuls, constituaient déjà un public, au sens de la loi de 1881, la volonté des prévenus de rendre public le communiqué étant en outre

Page n° 8

S


179 ch.

Jugement n° 2

manifeste.

Les prévenus n’ont pas fait d’offre de preuve de la vérité des faits diffamataoires, mais font état de leur bonne foi.

* Sur la bonne foi:

Les prévenus invoquent leur bonne foi en soutenant qu’ils n’ont agi que dans le but de faire connaître la vérité et protéger la santé publique; ils précisent que le

Ministère avait bien dissimulé au public le nombre de vaches et de troupeaux suspects

(selon eux, 200, et non pas 26, comme cela a été officiellement annoncé), que ce point leur a été confirmé par M. B, journaliste, qui, lui-même, tenait cette information de M. C, vétérinaire, membre du Cabinet du Ministre, et par deux autres sources du Ministère qu’ils ne veulent pas révéler; c’est, en outre, à la suite d’une étude très approfondie des dossiers techniques qu’ils sont arrivés à la conclusion de l’existence

d’une dissimulation à l’opinion, des chiffres exacts des troupeaux contrôlés; ils estiment ne pas avoir dépassé, dans leur propos, la mesure exigée par la jurisprudence, la critique du comportement d’un Ministre, relevant normalement du rôle de toute association de consommateurs.

Ils concluent donc à leur relaxe.

La partie civile répond que les prévenus n’ont procédé à aucune enquête sérieuse; que celle-ci leur aurait permis de savoir que le chiffre de 200 bovins atteints de troubles de comportement était invraisemblable, puisqu’il y avait eu, depuis 1990, 148 troupeaux placés sous surveillance, c’est-à-dire, sous « arrêtés de suspicion », et que seuls

18 cas s’étaient révélés positifs, c’est-à-dire atteints d’E.S.B.; de manière plus précise, à la date du communiqué, il n’existait que deux troupeaux placés sous surveillance, l’un dans le Maine et Loire, et l’autre, dans la Manche, représentant environ 200 bêtes; le comportement de ces animaux était normal, mais ils étaient « consignés » pendant le temps nécessaire à l’analyse du cadavre des deux bovins qui, faisant partie du même cheptel, avaient eu un comportement suspect, avaient été abattus et avaient été envoyés pour examen au laboratoire de Lyon; la viande de ces 200 animaux, contrairement à ce qui est écrit dans le communiqué, ne pouvait, d’aucune manière, être commercialisée; M.

C avait donné ces renseignements à des journalistes, notamment à M. B, et c’est donc, avec malveillance qu’un amalgame a été fait par la défense entre les bêtes saines, placées sous surveillance, et les animaux au comportement suspect, qui, eux, sont immédiatement abattus et font l’objet d’une analyse.

Cette procédure mise en place par le Ministère de l’Agriculture est appliquée de manière rigoureuse, les agriculteurs sont intégralement indemnisés pour les inciter à déclarer immédiatement tout cas suspect; le Ministre a, en outre, toujours manifesté une transparence totale et une très grande volonté d’information; les prévenus ne peuvent donc, selon le Ministère public et la partie civile, bénéficier de la bonne foi.

m Page n° 9


[…]

Jugement n° 2

MOTIFS DU TRIBUNAL :

Les imputations diffamatoires sont réputées, de droit, faites avec intention de nuire, mais elles peuvent être justifiées, lorsque l’auteur établit sa bonne foi, en prouvant qu’il a écrit son ouvrage en se conformant à un certain nombre d’exigences, en particulier de sérieux de l’enquête et de prudence dans l’expression.

En l’espèce, il apparaissait parfaitement légitime pour une association ayant pour objet la défense des droits des animaux, et donc, naturellement conduite à enquêter sur les conditions d’abattage des bovins, de faire connaître au public les manquements du Ministère de l’Agriculture qu’elle aurait constatés, et de mettre en cause le comportement du Ministre, qui, en pleine épidémie, ne prendrait pas les mesures indispensables à la garantie de la santé des Français.

Mais les autres critères de la bonne foi ne sont pas réunis; en effet, l’audition à l’audience des fonctionnaires du Ministère de l’Agriculture a démontré que

l’enquête à laquelle s’étaient livrés les prévenus, n’a pas été effectuée av précision, ni diligence; alors que ceux-ci disent avoir une bonne connaissance des procédures administratives existantes, ils ont procédé à une confusion totale entre le nombre des bêtes « consignées » et des bêtes malades, c’est-à-dire « à comportement suspect »; même si les statistiques du Ministère de l’Agriculture pouvaient être contestées, il n’était pas admissible d’opérer une erreur aussi grossière : c’est-à-dire d’annoncer 200 bêtes malades, alors qu’il n’en existait que 2, en se référant uniquement à des chiffres avancés par un journaliste et en s’abstenant de procéder à des vérifications personnelles; ils ne pouvaient en outre ignorer que pendant toute la période nécessaire à l’attente des résultats de laboratoire (environ un mois), les bêtes saines, mais consignées -parce qu’ayant appartenu à un troupeau dans lequel un animal avait eu un comportement suspect et avait été abattu-, ne pouvaient en aucune façon être commercialisées; en annonçant le contraire, et en rendant responsable le Ministre, ils ont agi sans aucune prudence, démontrant ainsi qu’ils ont été en réalité animés par le souci de faire des révélations sensationnelles.

Le bénéfice de la bonne foi ne saurait dès lors leur être accordé.

Les éléments constitutifs du délit de diffamation publique envers un

Ministre sont donc réunis.

L’action civile de M. Z, Ministre de l’Agriculture, apparait recevable, et il y sera fait droit dans les limites fixées au dispositif.

SUR LE DELIT DE PROPAGATION DE FAUSSES NOUVELLES :

Selon le Ministère public, le communiqué établi par les prévenus au nom de l’association AEQUALIS, contiendrait deux nouvelles fausses :

* deux cents vaches auraient un comportement suspect et seraient placées sous surveillance afin de rechercher si les troubles qu’elles manifestent ont pour origine une encéphalopathie spongiforme;

ни s Page n° 10


17 Ch.

Jugement n° 2

* les autres animaux appartenant aux 200 troupeaux qui comprenaient ces bovins au comportement suspect, ne font l’objet d’aucune mesure et sont librement commercialisés.

La diffusion de ces nouvelles a été susceptible d’affoler le consommateur et de troubler l’ordre public en apportant une détérioration totale du marché de la viande bovine.

Ces deux informations seraient inexactes, comme le prouvent les statistiques du Ministère de l’Agriculture, les documents produits et le témoignage des fonctionnaires de l’Agriculture; la mauvaise foi des prévenus résulte enfin, de la diffusion de telles informations, malgré leur parfaite connaissance des procédures administratives établies par le Ministère, de la façon dont elles sont appliquées et de la situation réelle de cette maladie en France.

La défense répond que la fausseté de la nouvelle qu’ils ont divulguée n’est nullement démontrée, qu’elle n’est pas de nature à troubler la paix publique et qu’ils ont été inspirés en toute bonne foi par leur souci de protéger la santé publique et non pas la volonté de nuire au Ministre de l’Agriculture; les prévenus maintiennent qu’il existe 200 vaches « sous surveillance », que ces animaux « peuvent être librement commercés », selon les termes mêmes de l’arrêté du 3 décembre 1990, qui prévoit dans son article 9 alinéa

2, la possibilité pour les animaux marqués, de sortir « à destination, après transport direct, d’un abattoir soumis à une inspection vétérinaire permanente », même si le Ministre a prétendu que la pratique admministrative était plus rigoureuse et conduisait à l’incinération de tous les troupeaux comportant un animal suspect; la baisse de la consommation de la viande bovine, qui aurait été provoquée par le communiqué

d’AEQUALIS, ne saurait être qualifiée de « nouvelle à troubler la paix publique », qui est une notion plus étroite que celle de l’ordre public et qui se définit, selon la doctrine, comme « l’ordre dans la rue et la concorde entre les citoyens »; la simple évocation d’une hypothétique manifestation d’agriculteurs dans la rue n’en est nullement la démonstration; les différentes publications sollicitées qui, si elles étaient accordées, se chiffreraient à environ 300000 F, démontrent en outre la volonté de l’Etat de ruiner une association composée de bénévoles aux ressources limitées et réduire ainsi au silence des interlocuteurs gênants; les prévenus concluent donc à leur relaxe et sollicitent la somme de 12060 F pour abus de constitution de partie civile.

MOTIFS DU TRIBUNAL :

Le délit de diffusion de fausse nouvelle prévu par l’article 27 de la loi du

29 juillet 1881, exige la réunion de quatre éléments : la publicité, le caractère faux de la nouvelle, la possibilité de trouble de la paix publique et l’intention coupable.

* Sur la publicité; il convient de se reporter sur ce point à la motivation du

Tribunal, relative à l’examen du délit de diffamation envers un Ministre, selon laquelle le fait d’adresser à différents organes de presse un communiqué établissait l’élément de publicité, alors même que le texte n’aurait pas été repris par ces médias;

пи s Page n° 11



La Ch.

Jugement n° 2

* Sur le caractère faux de la nouvelle; ainsi que cela a été déjà exposé, il résulte des pièces communiquées, notamment des arrêtés et circulaires, des témoignages entendus à l’audience et des débats, que :

1 lorsqu’un animal présente un « comportement suspect ». c’est-à-dire, tremblements, irritabilité, agressivité, qui se prolongent pendant plus de 15 jours, la Direction des Services Vétérinaires du département en est informée, l’animal est abattu, avec destruction du cadavre, un prélévement de la tête étant adressé à un laboratoire agréé; un arrêté de « mise sous surveillance » de l’exploitation d’origine du bovin suspect est alors immédiatement pris par le préfet;

2 cet arrêté a pour effet de « consigner » l’ensemble des bêtes du troupeau, c’est-à dire d’interdire temporairement la vente, le déplacement ou l’exposition de l’ensemble des bovins de l’exploitation;

3 lorsque l’existence de l’encéphalopathie spongiforme bovine BSE est confirmée par les résultats de l’examen de l’encéphale, un arrêt portant « déclaration d’infection » est pris, ce qui entraîne depuis 1994 l’abattage de l’intégralité du troupeau dans des abattoirs spécialisés, la destruction des carcasses, et l’agriculteur est entièrement indemnisé.

Il est vrai qu’avant cette date, l’administration a reconnu que les viandes des animaux qui, selon elle, ne peuvent transmettre l’ESB pouvaient, en application de l’article 9 2° alinéa, être commercialisées, à la différence des abats et de la moëlle épinière qui devaient être détruits; une telle pratique aurait, selon le Ministère de

l’Agriculture, entièrement disparu, depuis 1994, même si elle n’a pas été prohibée par la modification de l’arrêté du 3 décembre 1990;

4 lorsque les résultats de laboratoire sont négatifs, l’arrêté de « mise sous surveillance » est rapporté, les bêtes de l’ensemble du troupeau pouvant être librement commercialisées.

Il résulte en outre des documents produits par le Ministère de l’Agriculture

-et les prévenus ne rapportent pas la preuve contraire- que depuis 1990, 148 troupeaux avaient fait l’objet d’un arrêté de « mise sous surveillance », les examens de laboratoire

n’ayant révélé l’existence d’ESB que pour 18 bêtes et que le 10 mai 1996, à la date du communiqué, deux troupeaux dans le Maine et Loire et dans la Manche, comportant

200 bêtes, étaient l’objet d’un tel arrêté, dans l’attente des résultats de l’analyse de

l’encéphale de deux bêtes ayant manifesté des troubles de comportement et ayant donc été abattues.

Selon la procédure examinée plus haut, ces 200 bêtes ne pouvaient nullement être librement commercialisées.

En affirmant le contraire : 200 vaches auraient manifesté des troubles de comportement, 200 troupeaux seraient concernés et les 40000 bovins appartenant à ces troupeaux seraient librement vendus, les prévenus ont incontestablement diffusé une fausse nouvelle.

in Page n° 12


17° Ch.

Jugement n° 2

SUR LA POSSIBILITE DE TROUBLE DE LA PAIX PUBLIQUE:

Il ne convient pas, malgré ce que soutient la défense, d’assimiler la notion de paix publique au seul ordre dans la rue; en effet, des réactions de panique généralisées chez des consommateurs, peuvent ruiner des secteurs entiers de l’économie

d’un pays et constituer des « troubles à la paix publique », alors surtout que l’opinion publique est déjà sensibilisée au sujet par la connaissance de l’existence d’une épidémie; tel est le cas en l’espèce; les fausses nouvelles relatives au maintien délibéré par le Ministère de l’Agriculture dans le circuit économique, de viandes suspectes, est de nature à troubler la paix publique.

* Sur la mauvaise foi :

Il appartient au Ministère public de rapporter la preuve de la mauvaise foi des prévenus; celle-ci résulte, ainsi que cela a été rappelé plus haut, sans équivoque, de leur parfaite connaissance des textes applicables, des procédures mises en oeuvre par le Ministère de l’Agriculture et de l’invraisemblance des chiffres qu’ils avançaient.

Le délit est donc constitué, et il sera fait droit aux demandes de l’Agent

Judiciaire du Trésor dans les limites fixées au dispositif.

PAR CES MOTIFS

Statuant publiquement, contradictoirement, en premier ressort, et après en avoir délibéré conformément à la loi.

Ordonne la jonction des procédures inscrites au rôle sous les numéros

$

P. 96/1720208/8 et P. 96/1720207/9.

Rejette l’exception de nullité de citation soulevée par les prévenus.

Déclare M. Y X et Mme A coupables des délits de diffamation publique envers un Ministre : M. H Z, Ministre de l’Agriculture, et de diffusion de fausses nouvelles de nature à troubler la paix publique, délits prévus et punis par les articles 27, 29 alinéa 1, 31 alinéa 1 de la loi du 29 juillet 1881.

En conséquence, les condamne chacun, à une peine de VINGT MILLE

FRANCS d’amende.

Statuant sur l’action civile, les condamne solidairement à payer à
Monsieur Z et à l’AGENT JUDICIAIRE DU TRESOR, la somme de UN

FRANC à titre de dommages-intérêts et celle de HUIT MILLE FRANCS sur le fondement de l’article 475-1 du code de procédure pénale.

Page n° 13

4 in


17° Ch.

Jugement n° 2

Ordonne la publication dans deux journaux au choix des parties civiles, et aux frais des prévenus, dans la limite de 15000F par insertion, du communiqué suivant:

"Par jugement du Tribunal correctionnel de PARIS, en date du 10 juin 1997, M.

Y X et Mme J A, responsables de l’Association AEQUALIS, ont été condamnés, chacun, à une peine de 20000F d’amende et à des dommages-intérêts pour avoir, à l’occasion d’un communiqué en date du 10 mai 1996, diffamé M. Z, Ministre de l’Agriculture, et diffusé une fausse nouvelle, relative à la contamination du cheptel français par l’encéphalopathie spongiforme bovine".

Dit n’y avoir lieu à exécution provisoire.

Rejette la demande formée par les prévenus sur le fondement de l’article 472 du code de procédure pénale.

Dit que la présente décision est assujettie d’un droit fixe de procédure de

600 F dont est redevable chacun des prévenus.

COMPOSITION DU TRIBUNAL lors des débats et du délibéré:

Madame RACT-MADOUX, Président,
Madame D et Madame E, Juges.

COMPOSITION DU TRIBUNAL lors du prononcé du jugement:

Madame RACT-MADOUX, Président, qui a donné lecture du jugement (en application ' de l’article 485 du code de procédure pénale), Madame D et Madame E, Juges.

GREFFIER- lors des débats: Mademoiselle CORNE lors du prononcé: Mademoiselle CORNE

MINISTERE PUBLIC: – lors des débats : Monsieur CORDIER lors du prononcé: Madame VASSALO PASQUET

[…]

SIGNE RACT-MADOUX ET CORNE

b

Page n° 14

n

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Tribunal de grande instance de Paris, 10 juin 1997, n° 9617202088