Tribunal de grande instance de Paris, 3e chambre 3e section, 19 novembre 2010, n° 09/09854

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Sur la décision

Référence :
TGI Paris, 3e ch. 3e sect., 19 nov. 2010, n° 09/09854
Juridiction : Tribunal de grande instance de Paris
Numéro(s) : 09/09854
Domaine propriété intellectuelle : MARQUE
Marques : YAMAHA
Numéro(s) d’enregistrement des titres de propriété industrielle : 1694420 ; 1603550 ; 1512320 ; 1453370 ; 191387
Classification internationale des marques : CL09 ; CL15 ; CL28
Référence INPI : M20100714
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Sur les parties

Texte intégral

TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE PARIS JUGEMENT rendu le 19 Novembre 2010

3e chambre 3e section N°RG: 09/09854

DEMANDERESSES Société YAMAHA CORPORATION 10-1NAKAZAWA-CHO, HAMAMATSU-SHI,SHIZUOKA-KEN-JAPON agissant poursuites et diligences par Monsieur Mitsuru U

Société YAMAHA MUSIC EUROPE Gmbh ayant son siège à Siemensstrasse 22- 34-DE 25-462 Rellingen, Allemagne et son Ets principale […] venant aux droits de la Société YAMAHA MUSIQUE FRANCE SAS représentée par son Président, M. Nobuyuki N. Zone d’Activités Pariest […] 77183 CROISSY BEAUBOURG représentées par Me Anne VAISSE, du Cabinet BREMOND-VAISSE-RAMBERT& Associés, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #R038

DÉFENDERESSE Société BEANET SARL prise en la personne de son gérant, M. Lionel V. […] ZAC des Grandes Terres 69740 GENAS représentée par Me Vanessa BOUCHARA HADDAD, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #C0594 & Me Karine ETIENNE, LAMY & ASSOCIES, Avocat au Barreau Lyon,

COMPOSITION DU TRIBUNAL Agnès T, Vice-Président, signataire de la décision Anne CHAPLY, Juge Mélanie BESSAUD, Juge assistée de Marie-Aline PIGNOLET, Greffier, signataire de la décision

DÉBATS A l’audience du 5 Octobre 2010, tenue publiquement, devant Agnès T, Mélanie BESSAUD juges rapporteurs, qui, sans opposition des avocats, ont tenu seules l’audience, et, après avoir entendu les conseils des parties, en ont rendu compte au Tribunal, conformément aux dispositions de l’article 786 du Code de Procédure Civile

JUGEMENT Prononcé par remise de la décision au greffe Contradictoire en premier ressort

EXPOSE DU LITIGE La société YAMAHA CORPORATION fabrique des produits audio-vidéos de marque YAMAHA distribués en France par la société YAMAHA MUSIQUE FRANCE,

devenue aujourd’hui YAMAHA MUSIC EUROPE, dans le cadre d’un réseau de distribution sélective.

La société YAMAHA CORPORATION est titulaire des marques suivantes notamment pour les produits audio-vidéos de la classe 9 :

- marque française n° 1694420 déposée le 19 septe mbre 1991 et renouvelée le 16 août 2001
- marque française n° 1603550 déposée le 22 juil let 1980, régulièrement renouvelée depuis et pour la dernière fois le 28 mai 2010;

- marque française n° 1512320 du 1 er février 1989 renouvelée pour la dernière fois le 30 décembre 2008 ;

- marque française n° 1453370 du 27 avril 1978 réguli èrement renouvelée depuis et pour la dernière fois le 3 janvier 2008
- marque communautaire n° 191387 du 1 er avril 1996 renouvelée en 2006. La société BEANET exploite le site internet « www.toutpourlamicro.com », sur lequel elle commercialise notamment des produits audio-vidéos. La société YAMAHA MUSIC EUROPE indique avoir eu connaissance, en février 2009, de l’offre à la vente de produits audio-vidéos de la marque YAMAHA sur le site exploité par la société BEANET.

La société YAMAHA MUSIQUE FRANCE a adressé à la société BEANET trois mises en demeure restées infructueuses, les 18 février, 5 mars et 2 avril 2009, d’avoir à cesser toute publicité ou offre portant sur les produits de marque YAMAHA et ce, quel qu’en soit le support. En dépit de ces courriers, le site www.toutpouiiamicro.com a continué de proposer à la vente des produits audio-vidéos YAMAHA, ce que la société YAMAHA MUSIQUE FRANCE a fait constater par acte d’huissier du 18 mai 2009. La société YAMAHA CORPORATION et la société YAMAHA MUSIQUE FRANCE, devenue YAMAHA MUSIC EUROPE ont donc fait assigner, par acte délivré le 12 juin 2009, la société BEANET devant le tribunal de céans sur le fondement des atteintes portées à la marque YAMAHA et de la concurrence déloyale.

Dans leurs dernières écritures signifiées le 31 mai 2010, les sociétés YAMAHA demandent au tribunal de : Vu les articles L.713-2 et L.713-5 du code de la propriété intellectuelle, Vu l’article L. 115-33 du code de la consommation, Vu l’article 1382 du code civil ainsi que l’article L.446-6-I-60 du code de commerce, 1°) DIRE ET JUGER que la société BEANET a fait un u sage, non autorisé au sens de l’article L.713-2 et injustifié au sens de l’article L.713-5 du code de la propriété intellectuelle, de la marque YAMAHA dont la société YAMAHA CORPORATION est titulaire en France, pour désigner des produits de la classe 9, notamment dans le cadre des enregistrements suivants :

- n° 1694420, marque française déposée le 19 sep tembre 1991 (renouvelée le 16 août 2001),
- n°1603550, marque française déposée le 22 juille t 1980 (renouvelée les 20 juillet 1990 et 20 juillet 2000),

— n°15123320, marque française déposée le 1er fé vrier 1989 (renouvelée les 1er février 1999 et 30 décembre 2008),
- n° 1453370, marque française déposée le 27 avril 1978 (renouvelée les 8 mars 1988, 2 avril 1998 et 3 janvier 2008),
- n°191387, marque communautaire déposée le 1er avril 1996 (renouvelée en 2006 jusqu’au 1er avril 2016) ; CONSTATER que la commercialisation par la société BEANET de produits audio- vidéos YAMAHA sur son site www.toutpourlamicro.com engage sa responsabilité sur le fondement de l’article L.1 15-33 du code de la consommation; CONSTATER que la commercialisation par la société BEANET de produits audio- vidéos YAMAHA sur son site www.toutpourlamicro.com est constitutive d’agissements de marque d’appel à l’égard de la société YAMAHA MUSIC EUROPE en particulier et également de la société YAMAHA CORPORATION; En conséquence, INTERDIRE à cette société sous astreinte de 1.0006 par infraction constatée à compter du jugement, tout usage de la marque YAMAHA sur quelque support que ce soit;

ORDONNER la publication judiciaire du jugement dans six journaux au choix des demanderesses et ce aux frais de la défenderesse, dans la limite de 5.000 € HT par publication; CONDAMNER de ces chefs, la société BEANET à régler à la société YAMAHA CORPORATION la somme de 30.000 € à titre de dommages-intérêts et à la société YAMAHA MUSIC EUROPE celle de 20.000 €, sauf à parfaire; CONSTATER que la distribution par la société BEANET des produits audio-vidéos de marque YAMAHA en violation du réseau de distribution sélective YAMAHA engage sa responsabilité sur le fondement de l’article L.446-6-1-6° du code de commerce; En conséquence, CONDAMNER la société BEANET à payer à titre de dommages-intérêts la somme de 30.000 € à la société YAMAHA MUSIC EUROPE; 3°) CONDAMNER enfin la société BEANET à verser à ch acune des demanderesses une indemnité de 7.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile. ORDONNER l’exécution provisoire du jugement, nonobstant appel. LA CONDAMNER aux entiers dépens dont distraction au profit de Maître Anne VAISSE, Avocat aux offres du droit, en application de l’article 699 du code de procédure civile. Sur les atteintes portées aux marques YAMAHA, les demanderesses excipent du défaut d’autorisation et d’agrément de la société BEANET pour la vente des produits litigieux. Elles excluent tout épuisement des droits pour défaut de preuve de

l’épuisement et se prévalent de l’existence d’un réseau de distribution sélective, qui est régulier et constituerait en tout état de cause un motif légitime pour qu’elles s’opposent à la commercialisation des produits revêtus de la marque. Elles invoquent enfin une atteinte à la marque notoire YAMAHA. Par ailleurs, les sociétés YAMAHA soutiennent que la société BEANET, en citant la marque YAMAHA au sein de textes publicitaires contenus sur son site internet, a sciemment trompé le consommateur sur son droit de commercialiser des produits YAMAHA, ce qui constitue une violation du principe d’interdiction posé par l’article L. 115-33 du code de la consommation. En outre, elles lui reprochent l’utilisation de la marque YAMAHA comme marque d’appel au motif qu’elle ne pouvait s’approvisionner de façon licite et disposer des quantités suffisantes de produits audio-vidéos YAMAHA pour les proposer à sa clientèle. Enfin, elles soutiennent que la société défenderesse a commis des actes de concurrence déloyale en distribuant des produits YAMAHA en violation du réseau de distribution alors que les distributeurs agréés s’engagent à respecter certaines conditions énumérées dans le contrat de distribution sélective. Elles soulignent que la société BEANET a persévéré dans ses agissements malgré la première mise en demeure adressée le 18 février 2009 et s’est ainsi rendue complice de la violation du réseau de distribution sélective, ce qui constitue une faute au sens de l’article L.442-6-I-6 du code de commerce. Elles rappellent à toutes fins que l’approvisionnement auprès d’un distributeur agréé ne saurait exonérer la défenderesse de sa responsabilité. Par dernières conclusions signifiées le 24 novembre 2009, la société BEANET demande au tribunal de : Vu notamment les articles L.713-2, L.713-4 et L.713-5 du code de la propriété intellectuelle, Vu l’article 1382 du code civil, Vu l’article L. 115-33 du code de la consommation, Vu l’article L.442-6-1-6° du code de commerce,
- Dire et juger que l’approvisionnement de la SARL BEANET en produits YAMAHA est licite;

- Dire et juger que la société de droit japonais YAMAHA CORPORATION a épuisé ses droits sur les marques YAMAHA invoquées à l’appui de ses demandes;

- Par conséquent, dire et juger que la SARL BEANET n’a pas commis d’actes de contrefaçon de droit de marque au préjudice de la société de droit japonais YAMAHA CORPORATION au titre de l’article L.713-2 du Code de la propriété intellectuelle et débouter cette dernière de l’ensemble de ses demandes à ce titre;

- Dire et juger que la SARL BEANET n’a pas porté atteinte aux marques YAMAHA de la société de droit japonais YAMAHA CORPORATION au titre de l’article L.713-5 du code de la propriété intellectuelle et débouter cette dernière de ses demandes à ce titre ;

— Dire et juger que la SARL BEANET n’a pas contrevenu aux dispositions de l’article L.115-33 du code de la consommation et débouter la société de droit japonais YAMAHA CORPORATION et la SAS YAMAHA MUSIQUE FRANCE de leurs demandes à ce titre;

- Dire et juger que la SARL BEANET n’a pas commis d’actes de concurrence déloyale et/ou de parasitisme à l’encontre de la société de droit japonais YAMAHA CORPORATION et/ou de la SAS YAMAHA MUSIQUE FRANCE;

- En conséquence, débouter la société de droit japonais YAMAHA CORPORATION et la SAS YAMAHA MUSIQUE France de l’ensemble de leurs demandes à ce titre.

- Dire et juger que la SARL BEANET n’a commis aucune faute au regard de l’article L.442-6-I-6 du code de commerce et débouter la SAS YAMAHA MUSIQUE France de ses demandes à ce titre;

- Débouter la société de droit japonais YAMAHA CORPORATION et la SAS YAMAHA MUSIQUE France de l’ensemble de leurs autres demandes, fins et conclusions;

— A titre subsidiaire, ramener le montant des demandes de la société de droit japonais YAMAHA CORPORATION et la SAS YAMAHA MUSIQUE France à de plus justes proportions;

- En tout état de cause, condamner la société de droit japonais YAMAHA CORPORATION et la SAS YAMAHA MUSIQUE France in solidum à payer à la SARL BEANET la somme de 10.000 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile et en tous les dépens, distraits au profit de Me B, Avocat sur affirmation de son droit. La société BEANET conteste tout acte de contrefaçon au sens de l’article L.713-2 du code de la propriété intellectuelle au motif que les produits vendus sur son site sont des produits authentiques qui ont été mis licitement dans le commerce et se prévaut à ce titre de la théorie de l’épuisement du droit de marque par la mise sur le marché des produits avec le consentement du titulaire de la marque. Elle soutient que l’existence d’un réseau de distribution sélective ne peut faire obstacle à l’épuisement du droit en l’absence de conditions de vente dévalorisantes. Elle estime s’agissant de l’atteinte à la marque notoire, que les dispositions de l’article L.713-5 du code de la propriété intellectuelle sanctionnent, en dehors du principe de spécialité, toute usurpation de la notoriété d’une marque et ne peut être appliqué en présence de produits identiques. A toutes fins, elle soutient que la société YAMAHA ne rapporte pas la preuve, dont la charge lui incombe, de la renommée des marques YAMAHA ni de l’atteinte alléguée. Elle s’oppose à l’application des dispositions de l’article L.115-33 du code de la consommation et fait valoir à ce titre qu’elle n’a fait aucune publicité autour des produits YAMAHA mais a proposé à la vente des produits authentiques qu’elle détenait licitement en stock en ignorant l’existence d’un réseau de distribution sélective.

La société BEANET nie tout usage des marques YAMAHA à titre de marque d’appel et souligne qu’elle n’a jamais mis en avant ces marques sur son site sur lequel elle vend également des produits de marques prestigieuses telles que SONY ou PHILIPS. S’agissant enfin de la concurrence déloyale, elle fait valoir que le fait d’avoir commercialisé des produits relevant d’un réseau de distribution sélective ne constitue pas, à lui seul, un acte fautif de concurrence déloyale, puisqu’elle ignorait de bonne foi l’existence d’un tel réseau, qu’elle s’est approvisionnée auprès d’un grossiste qui n’était pas lui-même agréé mais avait acquis les produits auprès de deux centrales d’achat et qu’elle a cessé de s’approvisionner en produits YAMAHA postérieurement à la première mise en demeure qui lui a été envoyée par la société YAMAHA. Sur l’article L.442-6-I-6 du code de commerce, elle soutient qu’elle n’avait pas connaissance de l’existence d’un réseau de distribution sélective dont les sociétés BEANET ne démontrent pas le caractère licite et qu’elle a cessé de s’approvisionner dès les mises en demeure; que les seuls actes de vente postérieurs correspondent à l’écoulement du stock.

Subsidiairement, elle conteste le montant des indemnisations réclamées, compte tenu de la nature authentique des produits vendus, de sa bonne foi et de l’absence de preuve du préjudice allégué. L’ordonnance de clôture de la procédure est intervenue le 15 juin 2010.

EXPOSE DES MOTIFS * Sur la contrefaçon de marque Aux termes de l’article L 713-2 a) du code de la propriété intellectuelle « Sont interdits, sauf autorisation du propriétaire, la reproduction, l’usage ou l’apposition d’une marque, même avec l’adjonction de mots tels que : »formule, façon, système, imitation, genre, méthode « , ainsi que l’usage d’une marque reproduite, pour des produits ou services identiques à ceux désignés dans l’enregistrement » ; L’article L. 713-4 du code de la propriété intellectuelle dispose : "Le droit conféré par la marque ne permet pas à son titulaire d’interdire l’usage de celle-ci pour des produits qui ont été mis dans le commerce dans la Communauté économique européenne ou dans l’Espace économique européen sous cette marque par le titulaire ou avec son consentement. Toutefois, faculté reste alors ouverte au propriétaire de s’opposer à tout nouvel acte de commercialisation s’il justifie de motifs légitimes, tenant notamment à la modification ou à l’altération, ultérieurement intervenue, de l’état des produits." L’article 9 §1 a) du règlement CE n° 207/2009 du 26 février 2009, reprenant les termes du règlement CE 40/94 du 20 décembre 1993, sur la marque communautaire dispose que "La marque communautaire confère à son titulaire un droit exclusif. Le titulaire est habilité à interdire à tout tiers, en l’absence de son consentement, de faire usage dans la vie des affaires d’un signe identique à la marque communautaire

pour des produits ou des services identiques à ceux pour lesquels celle-ci est enregistrée". L’article 13 du règlement CE 207/2009 du 26 février 2009, reprenant les dispositions du règlement CE du 20 décembre 1993, dispose quant à lui que le droit conféré par la marque communautaire ne permet pas à son titulaire d’interdire l’usage de celle-ci pour des produits qui ont été mis dans le commerce dans la Communauté sous cette marque par le titulaire ou avec son consentement, sauf lorsque des motifs légitimes justifient que le titulaire s’oppose à la commercialisation ultérieure des produits, notamment lorsque l’état des produits est modifié ou altéré après leur mise dans le commerce. Il s’induit de ces textes que le principe de l’épuisement des droits constitue une limite au droit de propriété du titulaire d’une marque et qu’il ne saurait souffrir d’exception qu’en raison de motifs légitimes, dûment justifiés, tenant aux conditions dans lesquelles les produits marqués sont présentés et commercialisés auprès des consommateurs.

Il est acquis que les droits conférés par la marque ne sont épuisés que pour les exemplaires du produit qui ont été mis dans le commerce sur le territoire de la communauté avec le consentement du titulaire; que pour les exemplaires qui n’ont pas été mis dans le commerce sur ce territoire avec son consentement, le titulaire peut toujours interdire l’usage de la marque. Il s’ensuit que le principe d’épuisement ne concerne que des produits déterminés qui ont fait l’objet d’une première mise dans le commerce avec le consentement du titulaire de la marque. Sauf aménagement de cette règle de preuve en cas de risque de cloisonnement des marchés, il incombe à la partie qui se prévaut de l’épuisement du droit de marque de démontrer cet épuisement pour chacun des exemplaires authentiques du produit concerné par le litige. En l’espèce, il n’est pas contesté que la société BEANET a proposé à la vente des produits audio-vidéos reproduisant le signe YAMAHA, identique aux marques YAMAHA dont la société YAMAHA CORPORATION est titulaire, à savoir les marques françaises n°1694420, n°1603550, n°1512320 et n°1453370 ainsi que la marque communautaire n°191387, énumérées ci-dessus pour des produits identiques à ceux visés dans les enregistrements et en particulier les appareils pour l’enregistrement, la transmission, la reproduction du son ou des images, notamment des enceintes, micro-chaînes et des ampli-tuners, tel que cela résulte de l’impression écran non contestée du 5 mars 2009 et du procès-verbal d’huissier dressé le 18 mai 2009. Or, il n’est pas non plus contesté que la société défenderesse a proposé ces produits à la vente sans l’autorisation de la société YAMAHA. La société BEANET se prévaut de la théorie de l’épuisement du droit mais elle se contente d’indiquer s’être approvisionnée en produits authentiques YAMAHA auprès d’un grossiste, la société ACSSON, qui s’est lui-même fourni auprès des sociétés SMS DISTRIBUTION, enseigne du groupe BOULANGER et CAPROFEM, centrale d’achat du groupe DARTY, ce dont elle justifie mais ce qui ne suffit pas à rapporter la preuve d’une première mise sur le marché dans l’espace économique européen de

chacun des produits objets du présent litige par le titulaire de la marque ou avec son consentement. Au contraire, la société YAMAHA CORPORATION soutient que ces deux fournisseurs ne sont pas agréés et aucune preuve contraire n’est rapportée. Il s’ensuit qu’en l’absence de preuve d’une première commercialisation dans l’espace économique européen par le titulaire ou le distributeur en France des marques YAMAHA ou avec leur consentement, la société BEANET ne démontre pas avoir acquis licitement les produits authentiques litigieux et à défaut d’autorisation de la société YAMAHA CORPORATION, elle a fait un usage illicite, constitutif de contrefaçon par reproduction des quatre marques françaises et de la marque communautaire YAMAHA au sens des articles précités, au préjudice de la société YAMAHA CORPORATION, titulaire de ces marques.

L’épuisement des droits n’étant pas établi, il n’y a pas lieu de statuer sur l’exception visée au second alinéa de l’article L. 713-4 du code de la propriété intellectuelle. * Sur l’atteinte à la marque de renommée L’article L 713-5 du code de la propriété intellectuelle dispose que « l’emploi d’une marque jouissant d’une renommée pour des produits ou services non similaires à ceux désignés dans l’enregistrement engage la responsabilité civile de son auteur s’il est de nature à porter préjudice au propriétaire de la marque ou si cet emploi constitue une exploitation injustifiée de cette dernière ». Cet article est la transposition de l’article 5-2 de la directive du 21 décembre 1988 qui prévoit que « tout état membre peut également prescrire que le titulaire est habilité à interdire à tout tiers, en l’absence de son consentement, défaire usage dans la vie des affaires d’un signe identique ou similaire à la marque pour des produits ou services qui ne sont pas similaires à ceux pour lesquels la marque est enregistrée, lorsque celle-ci jouit d’une renommée dans l’état membre et que l’usage du signe sans juste motif tire indûment profit du caractère distinctif ou de la renommée de la marque ou leur porte préjudice ». Une marque de renommée doit être connue d’une partie significative du public concerné pour les produits ou services couverts par cette marque, le public pertinent étant constitué par le consommateur moyen des produits ou services pour lesquels cette marque est enregistrée, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé. S’agissant, comme en l’espèce de matériel audio-vidéo, le public pertinent est le grand public. En l’espèce, les sociétés YAMAHA se contentent d’arguer de la renommée incontestable des marques YAMAHA mais elles ne versent aucune pièce à l’appui de cette allégation, ni sondage d’opinion, ni coupures de presse ou extraits de campagnes publicitaires pouvant caractériser la connaissance qu’aurait le public concerné des marques opposées. La simple référence au seul slogan de la société défenderesse « Les grands marques à prix micro' » ne saurait suffire à établir la prétendue renommée des marques en litige et les sociétés YAMAHA doivent donc être déboutées de leurs demandes à ce titre.

* Sur l’article L. 115-33 du code de la consommation Aux termes de l’article L. 115-33 du code de la consommation, "les propriétaires de marques de commerce, de fabrique ou de service peuvent s’opposer à ce que des textes publicitaires concernant nommément leur marque soient diffusés lorsque l’utilisation de cette marque vise à tromper le consommateur ou qu’elle est faite de mauvaise foi. Les sociétés YAMAHA reprochent à la société BEANET de faire usage des marques YAMAHA pour faire croire aux internautes qu’elle serait autorisée à vendre les produits audio-vidéos de la marque YAMAHA, et ce de mauvaise foi dès lors qu’elle est parfaitement informée du mode de distribution des produits. A ce titre, elles font valoir qu’il n’est pas sérieux de la part d’un professionnel de prétendre ignorer l’existence d’un réseau de distribution sélective et elles observent que l’offre à la vente des produits sous la marque YAMAHA sur son site internet, qui constitue un support publicitaire, s’est poursuivie après la mise en demeure du 18 février 2009. La société BEANET prétend que le texte susvisé ne tendrait à sanctionner que les agissements par lesquels une société fait de la publicité autour d’un produit d’une marque dont elle ne détient qu’une faible quantité dans le but d’attirer la clientèle alors qu’elle ne peut offrir que des produits de moindre qualité. En toute hypothèse, elle fait valoir que l’offre à la vente de produits authentiques acquis licitement ne peut caractériser une faute au sens de l’article en cause. En l’espèce, il ressort du procès-verbal d’huissier dressé le 18 mai 2009 que la société BEANET offrait à la vente sur son site internet www.toutpoutlamicro.com des ampli-tuner, des enceintes amplifiées et des ampli-tuner audio/vidéo de marque YAMAHA, laquelle est nommément visée, avec la fiche technique détaillée des produits et il est ainsi établi que cet usage de marque était fait à titre de publicité. Or la société BEANET n’était pas autorisée à vendre les produits litigieux de marque YAMAHA, ce dont elle a eu connaissance à tout le moins dès réception le 20 février 2009 de la première mise en demeure adressée par la société YAMAHA MUSIQUE FRANCE lui rappelant l’existence d’un réseau de distribution sélective. La poursuite de la publicité après cette date a donc été effectuée de mauvaise foi, ce qui confère un caractère mensonger à cette publicité, dès l’instant où la défenderesse a été informée de l’existence du réseau et par conséquent de l’impossibilité pour elle de vendre licitement les produits dont elle faisait la publicité. La société BEANET a donc commis une faute au sens de l’article précité engageant sa responsabilité civile à l’égard de la titulaire des marques YAMAHA. * Sur la marque d’appel Les sociétés YAMAHA reprochent à la société BEANET d’avoir fait usage des marques YAMAHA à titre de marque d’appel. Il ressort en effet des pièces versées au débat que le site www.toutpourlamicro.com proposait à la vente des produits audio-vidéos YAMAHA et qu’elle était référencée comme revendeur de la marque YAMAHA dans les moteurs de recherche, alors que la société BEANET, éditrice du site, n’était pas agréée dans le cadre du réseau de distribution sélective, qu’elle ne disposait que d’une quantité limitée de produits de

cette marque et que l’étanchéité du réseau de distribution sélective lui interdisait de se réapprovisionner de façon licite dans un délai raisonnable pour les produits offerts à la vente. Ces faits, qui ne sont pas distincts de l’usage illicite des marques YAMAHA à l’égard de la société YAMAHA CORPORATION mais qui aggravent le préjudice en résultant, constituent cependant une faute civile au sens de l’article 1382 du code civil à l’égard du distributeur français des produits audio-vidéos de marque YAMAHA, la société YAMAHA MUSIC EUROPE dès lors qu’ils amènent le consommateur à se détourner des produits vendus par le distributeur officiel et il est indifférent à cet égard que d’autres marques de matériel audio-vidéo ait été citées sur le site internet de la société BEANET. * Sur la concurrence déloyale Les sociétés YAMAHA reprochent à la défenderesse des actes de concurrence déloyale à l’égard des distributeurs agréés du fait de la distribution des produits en violation du réseau de distribution sélectif. La distribution des produits YAMAHA par une société en violation du réseau de distribution agréée constitue une faute au regard de l’article L. 442-6-1-6 du code de commerce qui interdit à tout commerçant de participer directement ou indirectement à la violation de l’interdiction de revente hors réseau faite au distributeur lié par un accord de distribution sélective ou exclusive exempté au titre des règles applicables du droit de la concurrence. En l’espèce, la défenderesse conteste la licéité du réseau de distribution sélectif sur le fondement du règlement communautaire n°2790/1999 qui prévoit que ne sont exemptés de l’application de l’article 81 du Traité instituant la Communauté Européenne, qui interdit les pratiques anticoncurrentielles, que les réseaux de distribution sélective pour lesquels la part de marché du fournisseur ne dépasse pas 30% du marché pertinent sur lequel il vend ses biens ou services contractuels et qui ne contiennent aucune restriction ayant des effets anticoncurrentiels graves. A ce titre, la société YAMAHA MUSIC EUROPE revendique la licéité du réseau, invoque la décision rendue en ce sens par la cour d’appel de Paris le 24 octobre 2008 et produit un exemplaire de contrat de distribution sélective de produits audio-vidéos dont il ressort en effet qu’aucune des clauses noires imposant des obligations restrictives à ses partenaires, qui sont visées par le règlement ci-dessus, ne sont prévues. S’agissant des parts de marché, les sociétés YAMAHA soutiennent que leur part de marché est inférieure à 30%, ce que la société BEANET se contente de contester sans produire de preuve contraire. Il s’ensuit qu’en commandant et en commercialisant des produits sous la marque YAMAHA après avoir eu connaissance d’un réseau sélectif, la société BEANET, qui s’est réapprovisionnée illicitement en produits litigieux les 24 et 26 février 2009 et 2 avril 2009 et a sciemment poursuivi la vente de son stock jusqu’en juin 2009, ainsi que cela ressort de ses factures versées au débat, a engagé sa responsabilité du fait d’une concurrence déloyale à l’égard de la société YAMAHA MUSIC EUROPE, en

persistant dans ses agissements malgré l’injonction qui lui avait été faite et au mépris des contrats de distribution. * Sur les mesures réparatrices II convient de faire droit aux mesures d’interdiction dans les conditions fixées au dispositif de la présente décision.

Par ailleurs, les actes d’usage illicite des marques YAMAHA et d’usage de marque à titre de publicité trompeuse ont nécessairement entraîné une dépréciation de la valeur économique des marques YAMAHA au préjudice de la société YAMAHA CORPORATION, ce préjudice étant aggravé par les faits de marque d’appel, constitutifs de l’usage illicite à l’égard du titulaire de la marque. La société BEANET soutient qu’elle n’a réalisé un chiffre d’affaire que de 9797,66 euros sur l’ensemble de produits et que les seuls chiffres réalisés après la mise en demeure s’élèvent à 4664,68 euros. Elle prétend donc que le bénéfice s’élève à 10% soit au maximum 979 euros. Au vu des pièces versées au débat, notamment des factures d’achat et de vente des produits, le tribunal possède suffisamment d’éléments pour allouer au titre du préjudice résultant de l’atteinte aux cinq marques YAMAHA du fait de l’usage illicite et de la violation de l’article L115-33 du code de la consommation la somme globale de 30 000 euros à la société YAMAHA CORPORATION. En outre, la société YAMAHA MUSIC EUROPE a subi des actes distincts de concurrence déloyale par l’usage des marques YAMAHA à titre de marque d’appel et par la violation du réseau de distribution sélectif pendant cinq mois, sur un site internet destiné à un large public, qui justifie l’allocation d’une somme globale de 30 000 euros à titre de dommages et intérêts. Il sera en outre fait droit à la demande de réparation complémentaire sous forme de publication de la décision qui est ordonnée dans la limite de deux journaux au choix du demandeur à hauteur d’un coût de 4 000 euros HT par insertion et aux frais de la société BEANET. La société BEANET, qui succombe, sera tenue aux entiers dépens de l’instance, qui pourront être directement recouvrés par Maître Anne V, conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile. Elle devra en outre payer à chacune des sociétés YAMAHA CORPORATION et YAMAHA MUSIC EUROPE la somme de 5 000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile. Il est nécessaire en l’espèce et compatible avec la nature de l’affaire d’ordonner l’exécution provisoire de la présente décision, à l’exclusion des mesures de publication.

PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL,

par jugement rendu publiquement, par mise à disposition au greffe, contradictoire et en premier ressort, Dit que la société BEANET a fait un usage illicite des marques YAMAHA suivantes dont la société YAMAHA CORPORATION est titulaire en France :

- n° 1694420, marque française déposée le 19 sept embre 1991 (renouvelée le 16 août 2001)
- n°1603550, marque française déposée le 22 juille t 1980 (renouvelée les 20 juillet 1990 et 20 juillet 2000),
- n°l5123320, marque française déposée le 1er fé vrier 1989 (renouvelée les 1er février 1999 et 30 décembre 2008),
- n°1453370, marque française déposée le 27 avril 1978 (renouvelée les 8 mars 1988, 2 avril 1998 et 3 janvier 2008),
- n° 191387, marque communautaire déposée le 1er avril 1996 (renouvelée en 2006 jusqu’au 1er avril 2016) constitutif de contrefaçon de marque ; Constate que la commercialisation par la société BEANET de produits audio-vidéos YAMAHA sur son site www.toutpourlamicro.com engage sa responsabilité sur le fondement de l’article L.115-33 du code de la consommation à l’égard de la société YAMAHA CORPORATION; Constate que la commercialisation par la société BEANET de produits audio-vidéos YAMAHA sur son site www.toutpourlamicro.com est constitutive d’agissements de marque d’appel à l’égard de la société YAMAHA MUSIC EUROPE ; Constate que la distribution par la société BEANET des produits audio-vidéos de marque YAMAHA en violation du réseau de distribution sélective YAMAHA engage sa responsabilité sur le fondement de l’article L.446-6-I-60 du code de commerce à l’égard de la société YAMAHA MUSIC EUROPE; En conséquence, Interdit à la société BEANET sous astreinte de 150 euros par produit commercialisé à compter du délai d’un mois suivant la signification du présent jugement, tout usage de la marque YAMAHA sur quelque support que ce soit; Dit que le tribunal se réserve la liquidation des astreintes ainsi ordonnées, lesquelles seront limitées à 4 mois ; Autorise la publication judiciaire du jugement dans deux journaux au choix des demanderesses et ce aux frais de la défenderesse, dans la limite de 4 000 euros HT par publication; Condamne la société BEANET à paver à la société YAMAHA CORPORATION la somme de 30.000 euros (TRENTE MILLE EUROS) à titre de dommages-intérêts pour les faits de contrefaçon et de violation de l’article 115-33 du code de la consommation,

Condamne la société BEANET à payer à titre de dommages-intérêts 30 000 euros (TRENTE MILLE EUROS) à la société YAMAHA MUSIC EUROPE au titre de la concurrence déloyale;

Condamne la société BEANET aux entiers dépens qui pourront être directement recouvrés par Maître Anne VAISSE, Avocat au barreau de Paris, en application de l’article 699 du code de procédure civile; Condamne la société BEANET à verser à chacune des sociétés YAMAHA CORPORATION et YAMAHA MUSIC EUROPE une indemnité de 5 000 euros (CINQ MILLE EUROS) au titre de l’article 700 du code de procédure civile; Ordonne l’exécution provisoire de la présente décision, à l’exclusion des dispositions relatives aux mesures de publication judiciaire.

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Tribunal de grande instance de Paris, 3e chambre 3e section, 19 novembre 2010, n° 09/09854