Tribunal de grande instance de Paris, 3e chambre 3e section, 1er avril 2011, n° 08/16795

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
TGI Paris, 3e ch. 3e sect., 1er avr. 2011, n° 08/16795
Juridiction : Tribunal de grande instance de Paris
Numéro(s) : 08/16795
Domaine propriété intellectuelle : DESSIN ET MODELE
Référence INPI : D20110102
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Sur les parties

Texte intégral

TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE PARIS JUGEMENT rendu le 01 Avril 2011

3e chambre 3e section N°RG: 08/16795

DEMANDERESSES Madame Vanessa B

SAS SOLUNE – VENESSA B […] 75011 PARIS

Société TSUKI […] 75006 PARIS représentée par Me Pascal NARBONI, avocat au barreau de PARIS, vestiaire E700

DÉFENDERESSE S.A.R.L. ZARA FRANCE […] 75012 PARIS représentée par Me Muriel ANTOINE LALANCE, de l’Association ANTOINE & BENOLIEL, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #R064

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Marie S, Vice-Président, signataire de la décision Anne CHAPLY, Juge, Mélanie B. Juge assistée de Marie-Aline PIGNOLET, Greffier, signataire de la décision

DEBATS

A l’audience du 25 Janvier 2011 tenue en audience publique

JUGEMENT

Prononcé par remise de la décision au greffe Contradictoire en premier ressort

EXPOSE DU LITIGE

Mme Vanessa B, qui exerce la profession de styliste, crée des vêtements de prêt à porter féminins et des accessoires de mode. La commercialisation de ses créations est assurée par les sociétés SOLUNE – VANESSA B et TSUKI, qu’elle dirige.

La société ZARA France exploite sous la marque ZARA des points de vente au détail de vêtements et d’accessoires de mode. Mme B prétend avoir créé, en février 2008, une robe-chemise en soie fluide lavée touché effet « peau de pêche », référencée thème VASE 001, modèle A080143, vendue au prix de 460€. Suite à la découverte de la vente par les magasins ZARA d’un chemisier à volant pour un prix de 39,90 € pièce, qui recopie selon elles les caractéristiques essentielles du modèle crée par Vanessa B, la société SOLUNE – VANESSA B et Mme Vanessa B ont été autorisées à pratiquer une saisie contrefaçon sur le modèle de chemisier litigieux par ordonnance du président du tribunal de grande instance de Paris en date du 10 octobre 2008. Les opérations de saisies ont été diligentées par la SCP Pascal et Mayeul ROBERT, huissiers de justice à Paris, qui s’est rendue le même jour dans deux magasins ZARA sis dans le 9e arrondissement de Paris, puis le 13 octobre au siège de la société ZARA F RANCE. C’est dans ces conditions que, par acte du 4 novembre 2008, la société SOLUNE – VANESSA B, Mme Vanessa B et la société TSUKI ont fait délivrer une assignation à la société ZARA FRANCE devant le présent tribunal en contrefaçon et concurrence déloyale et parasitaire. Par ordonnance du 3 mars 2010, le juge de la mise en état a rejeté une demande de communication de documents par la société ZARA FRANCE sollicitée par les demanderesses.

Dans leurs dernières conclusions, signifiées le 18 janvier 2011, Mme VANESSA B, la SAS SOLUNE – VANESSA B et la société TSUKI demandent au tribunal de :

- Constater que Vanessa B justifie avoir créé le modèle revendiqué en février 2008 et l’avoir divulgué au public sous son nom, en février 2008,
- Dire et juger Mme Vanessa B recevable en son action ;

- Dire et juger que la défenderesse, tiers recherché pour contrefaçon, n’a pas qualité pour contester la recevabilité de l’action engagée par SOLUNE – VANESSA B ;

- Constater en tout état de cause que SOLUNE – VANESSA B justifie avoir diffusé et exploité le modèle revendiqué depuis mars 2008 ;

- Dire et juger la société SOLUNE – VANESSA B recevable en son action ;

- Dire et juger la société TSUKI recevable en son action ;

- Les déclarer bien fondées ;

- Rejeter l’exception de nullité soulevée par ZARA ;

- Dire et juger les saisies contrefaçon réalisées les 10 et 13 octobre 2008 valables ;

- Dire et juger que le modèle de chemisier à plastron volante référencé 8124106687, importé, diffusé et commercialisé par la société ZARA France constitue la contrefaçon partielle, par imitation, du modèle de robe chemise référencé thème VASE 001 modèle A080143 créé par Mme Vanessa B et commercialisé par la société SOLUNE – VANESSA B ;

- Condamner la société ZARA France au paiement de 500 000 € à la société SOLUNE – VANESSA B à titre de provision sur dommages et intérêts pour contrefaçon avec intérêts de droit au taux légal, à compter de la date de l’assignation et anatocisme ;

— Faire interdiction à la défenderesse, sous astreinte définitive de 1 000 € par infraction constatée et par jour, d’importer, d’exposer, de vendre ou laisser circuler sur le territoire français le modèle de chemisier contrefaisant ;

- Ordonner la remise par la défenderesse des modèles de chemisier contrefaisants encore en sa possession, en vue de leur destruction, sous astreinte définitive de 1.000 € par jour de retard à compter de la date de la décision à intervenir ;

- Condamner la société ZARA France à payer à Mme Vanessa B la somme de 100 000€ à titre de dommages et intérêts pour violation de son droit moral avec intérêts de droit au taux légal, à compter de la date de l’assignation et anatocisme ;

- La condamner au paiement de 50 000 € à titre de dommages et intérêts à TSUKI au titre de la concurrence déloyale avec intérêts de droit au taux légal, à compter de la date de l’assignation et anatocisme, A titre subsidiaire, au cas ou par impossible la contrefaçon ne serait pas reconnue dire et juger que ZARA s’est rendue coupable de concurrence déloyale à l’encontre de la société VANESSA BRUNO,

— La condamner au paiement de 150 000 € à titre de dommages et intérêts à SOLUNE au titre de la concurrence déloyale avec intérêts de droit à compter de la date de l’assignation et anatocisme; En tout état de cause,
- Condamner la société ZARA France au paiement à chacune des demanderesses d’une somme de 18 000 € au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile avec intérêts de droit au taux légal, à compter de la date de l’assignation et anatocisme ;

- Ordonner la publication de la décision à intervenir dans cinq magazines ou journaux au choix des demanderesses, aux frais de la défenderesse dans la limite de 5.000 € par insertion ;

- Ordonner la publication in extenso de la décision à intervenir sur la page d’accueil du site internet www.zara.fr pendant une durée de douze mois et dans cinq magazines ou journaux du choix des demanderesses, aux frais de la défenderesse, dans la limite de 5.000 € par insertion.

- Ordonner l’exécution provisoire du jugement à intervenir ;

- La condamner en tous les dépens dont distraction au profit de Maître Narboni qui pourra les recouvrer directement en application de l’article 699 du code de procédure civile. Les demanderesses exposent que Mme B justifie de sa qualité d’auteur du modèle revendiqué, de sa date de création et de sa date de divulgation au public. Elles ajoutent que Mme B étant réputée être la créatrice du modèle revendiqué par l’effet de la divulgation du modèle sous son nom, il appartient à la défenderesse de rapporter la preuve contraire. Elles font valoir que, dans la mesure où ZARA ne revendique aucun droit sur le modèle opposé, cette société n’a pas qualité pour contester la recevabilité de l’action engagée par la société SOLUNE – VANESSA B, qu’en tout état de cause, la société SOLUNE justifie de l’exploitation du modèle revendiqué et de l’acquisition des droits

patrimoniaux sur le modèle et que ZARA ne produit aucun élément susceptible de renverser la présomption de titularité des droits d’auteurs dont bénéficie SOLUNE ou de prouver la création ou l’exploitation du chemisier par ZARA antérieurement à l’exploitation par SOLUNE du modèle créé par Vanessa B, laquelle confirme en tout état de cause expressément avoir cédé ses droits patrimoniaux à la société SOLUNE-VANESSA BRUNO. Les demanderesses prétendent apporter la preuve de la commercialisation du modèle revendiqué par la société TSUKI et des frais qu’elle a engagés pour la promotion des produits VANESSA BRUNO, justifiant ainsi de sa qualité à agir comme distributeur du modèle revendiqué en réparation d’actes de concurrence déloyale et parasitaire.

Elles concluent au rejet de l’exception de nullité des procès-verbaux de saisie- contrefaçon soulevée par la défenderesse, ajoutent à toutes fins que la validité de chacune des saisies contrefaçon effectuées indépendamment les unes des autres doit être appréciée séparément et prétendent qu’en toute hypothèse, la matérialité des actes de contrefaçon resterait établie par la production de la facture d’achat du chemisier contrefaisant. Elles se prévalent de l’originalité du modèle revendiqué en raison d’une combinaison inédite d’éléments traduisant un effort créatif et un parti pris esthétique portant l’empreinte de la personnalité de Mme B. Elles ajoutent que la protection du modèle sur le fondement du droit d’auteur est ainsi acquise, nonobstant le fait que certains des éléments le constituant, pris indépendamment, aient pu être connus ou communs aux autres produits du même type. Les demanderesses prétendent que le modèle commercialisé par ZARA reproduit partiellement le modèle VANESSA BRUNO par imitation des caractéristiques essentielles et de leur combinaison qui caractérisent l’originalité du modèle. Elles considèrent que les deux modèles produisent une impression d’ensemble identique, nonobstant l’existence de différences et concluent à la contrefaçon. La société SOLUNE argue d’un préjudice tiré de la banalisation et de la vulgarisation du modèle revendiqué ayant entraîné sa dépréciation du fait de la perte d’attractivité du modèle original. Elle se prévaut d’un préjudice d’image subi par la société SOLUNE et Mme B d’un préjudice d’image de la marque VANESSA BRUNO. La société SOLUNE excipe enfin d’un manque à gagner, du bénéfice tiré de la contrefaçon par la société ZARA et demande au tribunal d’ordonner une indemnisation dissuasive au regard de la personnalité et de l’importance économique du contrefacteur. Vanessa B se prévaut pour sa part d’un préjudice tiré de la violation de son droit moral. Les demanderesses invoquent une concurrence déloyale subie par la société TSUKI et se prévalent à ce titre de la vente massive à des prix très inférieurs de produits contrefaisants outrés largement inspirés du produit revendiqué, dans une moindre qualité, des efforts de promotion des modèles VANESSA BRUNO pour la saison

hiver 2008 et d’une atteinte à l’image de TSUKI résultant d’un risque de confusion entre les modèles pour le consommateur d’attention moyenne. A titre subsidiaire, au cas où le tribunal viendrait à écarter l’existence d’une contrefaçon vis-à-vis de la société SOLUNE du fait d’un défaut d’originalité du modèle revendiqué, les demandeurs prétendent que la concurrence déloyale et parasitaire doit être retenue à rencontre de la société ZARA qui se serait placée dans le sillage créatif de SOLUNE. Dans ses dernières conclusions signifiées le 20 janvier 2011, la société ZARA FRANCE demande au tribunal de: Vu les articles 122 et suivants du code de procédure civile, les livres I et III du code de la propriété intellectuelle et l’article 1382 du code civil,
- dire et juger que les saisies-contrefaçon réalisées les 10 et 13 octobre 2008 sont nulles et de nul effet. Les écarter des débats ainsi que les pièces qui y sont annexées.

- dire et juger Mme Vanessa B, les sociétés SOLUNE – VANESSA B et TSUKI irrecevables ou à tout le moins, mal fondées en toutes leurs demandes, fins et conclusions. En conséquence, Les en débouter purement et simplement.

- dire et juger la société ZARA FRANCE recevable et fondée en sa demande reconventionnelle.

- condamner in solidum Mme Vanessa B, les sociétés SOLUNE – VANESSA B et TSUKI à verser à la société ZARA FRANCE la somme de 20.000 € à titre de dommages et intérêts pour saisie et procédure abusives.

- condamner in solidum Mme Vanessa B, les sociétés SOLUNE – VANESSA B et TSUKI à payer à la société ZARA FRANCE la somme de 15.000 € sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

- condamner in solidum Mme Vanessa B, les sociétés SOLUNE – VANESSA B et TSUKI aux entiers dépens dont distraction au profit de Maître Muriel A, Avocat aux offres de droit, conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile. Les demanderesses ayant fait procéder à trois saisies sur le fondement d’une ordonnance unique, la défenderesse argue notamment de l’épuisement des droits conférés par l’ordonnance à l’achèvement de la première saisie, faute pour l’huissier d’avoir indiqué qu’il suspendait ses opérations, de l’impossibilité pour chaque huissier d’avoir pu présenter la minute de l’ordonnance alors que deux opérations se seraient déroulées simultanément, de l’absence de nécessité pour ZARA de justifier d’un préjudice particulier, et de l’existence d’irrégularités entraînant une nullité de fond impliquant l’inexistence de l’entier procès-verbal de saisie et de l’ensemble de ses annexes. Sur le fond, la défenderesse prétend que le modèle revendiqué par les demanderesses est dépourvu d’originalité, faute de présenter un apport personnel de création se distinguant de l’art antérieur.

Subsidiairement, elle argue de l’absence de ressemblances fautives entre les modèles.

Sur le grief de concurrence déloyale soulevé par la société SOLUNE – VANESSA B à titre subsidiaire, la défenderesse prétend que celui-ci repose sur les mêmes faits que ceux invoqués au titre de la contrefaçon. Elle conteste toute concurrence déloyale et parasitaire à l’égard de la société TSUKI et de la société SOLUNE, au motif que le modèle revendiqué n’apparaît pas comme un produit marquant pour le public et qu’un détournement de clientèle est exclu en présence de modèles ayant des usages différents. Elle réfute toute indemnisation dissuasive et considère que les demandes formulées sont exorbitantes au regard de la masse contrefaisante établie par les opérations de saisie-contrefaçon. A titre reconventionnel, elle soulève le caractère abusif de la présente procédure, se fonde sur la légèreté blâmable des agissements des demanderesses et allègue des faits de dénigrement public de la société ZARA FRANCE. L’ordonnance de clôture de la procédure est intervenue le 25 janvier 2011. MOTIFS DE LA DECISION I – Sur la validité des procès-verbaux de saisie-contrefaçon La société ZARA FRANCE soulève la nullité de l’ensemble des saisies au motif que l’huissier instrumentaire, autorisé par une ordonnance unique du président du tribunal de grande instance de Paris, ne pouvait pas diligenter plusieurs saisies sans suspendre ses opérations. Elle estime en outre que les deux saisies réalisées le 10 octobre 2008 dans deux endroits différents avec 44 minutes d’écart sont en fait des saisies simultanées et que l’huissier instrumentaire de la deuxième saisie ne pouvait pas être porteur de la minute de l’ordonnance présidentielle. Elle invoque en outre diverses irrégularités des procès-verbaux et conclut à la nullité de fond de ces actes. Les demanderesses font valoir que l’ordonnance a autorisé la réalisation de plusieurs opérations de saisies en plusieurs lieux, que plusieurs huissiers d’une même SCP peuvent agir pour le compte de celle-ci ce qui préserve le caractère unitaire de la saisie et que le caractère prétendument simultané de deux saisies n’est pas démontré. Elles contestent les prétendues irrégularités et considèrent que seule une nullité de forme serait encourue mais qu’en l’absence de grief établi, elle ne pourrait être prononcée. II convient au préalable de rappeler qu’un procès-verbal de saisie- contrefaçon constitue un moyen de preuve dont la nullité ne constitue pas une fin de non-recevoir au sens du code de procédure civile et n’entraîne pas l’extinction de la procédure ni ne la rend irrégulière mais a pour effet le rejet des prétentions du demandeur, si aucun autre moyen de preuve n’est fourni aux débats. Par application des articles 649, 114 et 119 du code de procédure civile, la nullité des actes d’huissier de justice est régie par les dispositions qui gouvernent la nullité

des actes de procédure; aucun acte de procédure ne peut être déclaré nul pour vice de forme si la nullité n’ en est pas expressément prévue par la loi, sauf en cas d’inobservation d’une formalité substantielle ou d’ordre public; les exceptions de nullité fondées sur l’inobservation des règles de fond relatives aux actes de procédure doivent être accueillies sans que celui qui les invoque ait à justifier d’un grief et alors même que la nullité ne résulterait d’aucune disposition expresse. En l’espèce, l’ordonnance présidentielle du 10 octobre 2008 autorisait expressément Mme Vanessa B et la société SOLUNE – VANESSA B à faire procéder par tout huissier de justice de leur choix, à la description et à la saisie réelle des produits argués de contrefaçon au siège social et dans plusieurs établissements précisément énumérés parmi lesquels ZARA -Galeries Lafayette H et ZARA – Opéra. C’est donc dans le respect des termes de l’ordonnance que l’huissier instrumentaire s’est rendu dans ces trois lieux pour y procéder à des saisies-contrefaçons distinctes et autonomes, dans le cadre d’une même autorisation valant pour différentes opérations de saisie, étant relevé à toutes fins qu’aucune clôture des opérations n’a été prononcée par l’huissier entre chaque saisie. Sur la réalisation de deux saisies simultanées en deux lieux distincts, le tribunal constate que la première saisie a été effectuée le 10 octobre 2008 à 16h01 au sein du magasin ZARA – Galeries Lafayette H et que la seconde est intervenue le 10 octobre 2008 à 16h45 au sein du magasin ZARA O. Cependant, le tribunal relève que la signification de l’ordonnance d’autorisation est intervenue dans chacun des lieux le même jour à 16h, donc au même moment en deux lieux distincts. 11 s’ensuit que la simultanéité des significations de l’unique ordonnance d’autorisation a nécessairement rendue impossible, lors de l’une des deux opérations, la présentation de la minute de l’ordonnance et ce, en contravention avec les articles 495 et 503 du code de procédure civile, selon lesquels l’ordonnance d’autorisation de la saisie-contrefaçon n’est exécutoire qu’au seul vu de la minute. Par conséquent, dès lors qu’il est établi en l’espèce qu’un des deux huissiers instrumentaires était dépourvu de la minute, sans que le tribunal soit en mesure de déterminer lequel, il y a lieu d’annuler les deux procès-verbaux litigieux dressés le 10 octobre 2008 pour défaut de pouvoir de l’huissier, à défaut pour celui des deux huissiers qui a procédé aux opérations minute en main de le prouver, la charge de la preuve incombant à ce titre à celui qui s’en prévaut. Par ailleurs, la société ZARA soulève la nullité du procès-verbal de saisie dressé le 13 octobre 2008 à son siège social en raison du caractère elliptique de ce procès- verbal. Elle fait valoir que rien ne permet de déterminer les conditions dans lesquelles l’huissier a procédé pour obtenir les déclarations de Mme Valérie M, directeur juridique. Il est exact que l’huissier, après avoir décliné son identité et présenté l’ordonnance a rédigé le procès-verbal de la façon suivante: " où étant et parlant à Mme Valérie M, directeur juridique habilité à recevoir l’acte, ainsi déclarée; Que j’allais, en vertu de l’ordonnance sus énoncée, procéder aux opérations prévues par ladite ordonnance.

A quoi il m’a été répondu: « Que le modèle de chemisier à plastron »volante« référence 8124106687 leur est fourni par la société INDITEX… » Cependant, l’huissier était autorisé selon les termes de l’ordonnance à « présenter le modèle contrefaisant joint au dossier pour identification » et "à consigner les déclarations des répondants et toute parole prononcé au cours des opérations tout en s’abstenant d’interpellation autres que celles nécessaires à l’accomplissement de sa mission ", Si le tribunal relève qu’aucune mention du procès-verbal ne permet de déterminer ce qui a suscité les déclarations de la saisie, il y a lieu de constater cependant qu’aucun dépassement de pouvoir de l’huissier n’est invoqué et qu’aucun grief n’est allégué ni établi, s’agissant d’une nullité de forme. Il y a donc lieu de rejeter la demande en nullité du procès-verbal de saisie-contrefaçon en date du 13 octobre 2008 dressé au siège social de la société ZARA FRANCE.

2 – Sur la protection au titre du droit d’auteur

— sur la titularité A titre liminaire, le tribunal constate qu’en l’état de ses dernières écritures, la société ZARA ne conteste plus ni la qualité d’auteur de Mme Vanessa B ni la qualité de cessionnaire des droits patrimoniaux de la société SOLUNE-VANESSA BRUNO. En tout état de cause, les documents versés aux débats, notamment le dessin original du modèle, la fiche technique, le patron du modèle, le look book de la collection VANESSA BRUNO automne-hiver 2008-2009 présentant le modèle revendiqué et l’attestation de Mme H, salariée de la société demanderesse relatant avoir vu personnellement Mme Vanessa B dessiner le modèle, qui sont tous concordants, établissent la qualité d’auteur de Mme B sur le modèle de robe-chemise créé en février 2008. Dès lors que l’auteur confirme dans ses écritures avoir cédé ses droits patrimoniaux sur le modèle à la société SOLUNE -VANESSA B, la titularité des droits est suffisamment établie.

- sur l’originalité Aux termes de l’article L.111-1 du code de la propriété intellectuelle, l’auteur d’une oeuvre de l’esprit jouit sur cette œuvre, du seul fait de sa création, d’un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous, comportant des attributs d’ordre intellectuel et moral ainsi que des attributs d’ordre patrimonial. Ce droit est conféré, selon l’article L. 112-1 du même code, à l’auteur de toute œuvre de l’esprit, quels qu’en soient le genre, la forme d’expression, le mérite ou la destination. Sont notamment considérées comme œuvres de l’esprit, en vertu de l’article L.112-2-14°, les créations des industries saisonnières de l’habillement et de la parure.

Il se déduit de ces dispositions le principe de la protection d’une œuvre sans formalité et du seul fait de la création d’une forme originale. Néanmoins, lorsque cette protection est contestée en défense, l’originalité d’une œuvre doit être explicitée par celui qui s’en prétend auteur, seul ce dernier étant à même d’identifier les éléments traduisant l’empreinte de sa personnalité. Les demanderesses excipent de l’originalité du modèle revendiqué du fait de la combinaison inédite des éléments suivants:

- un col chemisier à pointe de 5 cm,
- un plastron flou et volanté,
- le plastron est en forme de V qui part des épaules et descend jusqu’à la taille,
- le plastron recouvre les faces avant et arrière du modèle revendiqué et bénéficie d’une finition ourlet mouchoir, sa pointe est coupée et cousue au niveau de la couture de la taille, de façon symétrique, sur les faces avant et arrière des deux modèles,
- la patte de boutonnage sur le devant est masquée par un revers,
- la robe chemise est ajustée à la taille par un élastique, pour lui donner un effet blousé. Elles considèrent que cette combinaison précise traduit un parti pris esthétique portant l’empreinte de la personnalité créative de Mme Vanessa B, peu important que les éléments ainsi revendiqués aient pu être connus ou communs aux autres produits du même type.

Dès lors que seul l’auteur peut définir le parti pris esthétique traduisant l’empreinte de sa personnalité, il n’appartient pas au tribunal de s’y substituer pour rechercher d’office l’éventuelle originalité du produit pris en son ensemble. La défenderesse conteste l’originalité du modèle revendiqué en arguant d’une simple reprise d’une robe-chemise ou d’un chemisier à volants tout à fait classique. Il ressort en effet des documents produits aux débats par la défenderesse que l’association d’un col chemisier à pointe avec un plastron flou et volante partant des épaules et descendant jusqu’à la taille existait déjà en 1925 ainsi qu’un plastron coupé à la taille par une ceinture (Petit Echo de la Mode du 18 janvier 1925) et que la combinaison d’un plastron volante recouvrant la face avant et arrière du vêtement était connue antérieurement (Figaro Mode -Août 1904; DONNA novembre 1982; VOGUE BAMBINI avril 1982). Il est à ce titre indifférent que les modèles ne soient pas versés au débat dès lors que les documents produits permettent au tribunal de porter une appréciation utile sur les vêtements qu’ils reproduisent. Il y a lieu de rappeler par ailleurs que, s’agissant de droits d’auteur, aucune antériorité de toute pièce n’est exigée, la discussion portant sur l’originalité et non sur la nouveauté du produit revendiqué. L’ajustement de la robe chemise à la taille par un élastique, afin de donner un effet blousé au vêtement et la présence d’un revers pour masquer la patte de boutonnage

sont des éléments connus du fond commun de la mode et l’ourlet mouchoir est quant à lui une technique de couture particulièrement commune. Il s’ensuit que les éléments parcellaires de la robe chemise tels que revendiqués, qui sont banals et dont la combinaison connue antérieurement fait partie du fonds commun de la mode, ne démontrent aucunement l’empreinte de la personnalité de son auteur ; en conséquence, la robe chemise référencée VASE001ROBE de la collection automne-hiver 2008-2009 telle que décrite par les demanderesses n’est pas originale et n’est donc pas protégeable par le droit d’auteur. 3 – Sur la concurrence déloyale II convient de rappeler à titre liminaire que le principe est celui de la liberté du commerce et que ne sont sanctionnés au titre de la concurrence déloyale ou parasitaire que des comportements fautifs tels que ceux visant à créer un risque de confusion dans l’esprit de la clientèle sur l’origine du produit ou à profiter sans bourse délier des investissements de son concurrent.

En l’espèce, la société TSUKI à titre principal et la société SOLUNE – VANESSA B à titre subsidiaire, excipent d’actes de concurrence déloyale du fait de l’importance des ressemblances entre les produits et de la vente à un prix dérisoire par la société ZARA FRANCE de produits contrefaisants ou très largement inspirés du produit revendiqué dans une moindre qualité engendrant un risque de confusion. Il ressort des débats que la société ZARA a proposé à la vente à l’automne 2008 un chemisier à manches longues avec effet blouse, en matière synthétique, à plastron volante à l’avant et à l’arrière du vêtement, avec un lien apparant réglable au niveau de la taille interrompant la base du plastron des deux côtés du vêtement. Le tribunal observe qu’à part la présence d’un plastron et d’un col chemiser aucun élément n’est commun aux produits commercialisés par les parties à l’instance alors que les sociétés demanderesses ne peuvent revendiquer de monopole sur l’utilisation d’un plastron et d’un col chemisier, qui relèvent du fond commun de la mode. Le tribunal relève que les deux vêtements se distinguent nettement et produisent une impression d’ensemble différente, le produit commercialisé par la demanderesse ayant une coupe particulière présentant un contraste entre le bas, très sobre, et le haut plus détaillé, l’usage de manches courtes, une poche poitrine et l’utilisation d’une matière noble justifiant un prix plus élevé alors que le chemisier de la défenderesse est une blouse à plastron qui reprend les éléments banaux et communs du fond commun de la mode féminine. Les deux produits se distinguent du premier regard et la seule reprise du col et du plastron n’établit pas l’existence d’un risque de confusion pouvant amener le consommateur à croire à une origine commune des produits. Par ailleurs, la vente d’un produit à un prix moindre ne constitue pas, en soi, un acte fautif et les demanderesses doivent donc être déboutées de toute demande en concurrence déloyale.

En outre, les sociétés demanderesses ne démontrent pas une communication ou des investissements particuliers autour du modèle de robe VASE001ROBE, pour en faire un modèle représentatif de la collection VANESSA BRUNO et elles n’établissent pas non plus qu’il s’agissait d’un modèle phare de la collection. Par conséquent, elles ne démontrent aucune valeur économique de ce modèle et elles succombent dans l’administration de la preuve d’acte de parasitisme.

Au surplus, la réalisation de la société ZARA, si elle reprend l’idée non protégeable même au titre de la concurrence déloyale, d’un plastron volante sur les faces avant et arrière du vêtement, ne constitue pas une reprise de la robe chemise opposée et aucun comportement fautif n’est donc établi. Les sociétés demanderesses doivent donc être déboutées de ce chef. 4 – Sur les autres demandes Mme Vanessa B, la société SOLUNE – VANESSA B et la société TSUKI, qui succombent dans l’ensemble de leurs prétentions, doivent être déboutées de leurs demandes complémentaires de publication judiciaire. A titre reconventionnel, la société ZARA se plaint d’une procédure abusive mais l’exercice d’une action en justice constitue, en principe, un droit et ne dégénère en abus pouvant donner naissance à une dette de dommages-intérêts que dans le cas de malice, de mauvaise foi, ou d’erreur grossière équipollente au dol. Elle se prévaut d’un dénigrement public de la société ZARA devant des professionnels lors d’un colloque mais cette allégation n’est établie par aucun élément. De plus, la société ZARA ne rapporte pas la preuve d’une quelconque intention de nuire ou légèreté blâmable de la part des demandeurs, qui ont pu légitimement se méprendre sur l’étendue de leurs droits à son encontre et elle n’établit pas l’existence d’un préjudice autre que celui subi du fait des frais de défense exposés. Elle sera donc déboutée de sa demande à ce titre. Mme Vanessa B, la société SOLUNE – VANESSA B et la société TSUKI, qui succombent, seront tenues in solidum aux entiers dépens de l’instance, qui pourront être directement recouvrés par Maître Muriel A, conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile. Les condamne in solidum à payer à la société ZARA la somme de 8 000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile. Compte tenu de la nature de la décision, il n’y a pas lieu d’en ordonner l’exécution provisoire.

PAR CES MOTIFS.

LE TRIBUNAL,

par jugement rendu publiquement, par mise à disposition au greffe, contradictoire et en premier ressort, Annule les procès-verbaux de saisie-contrefaçon en date du 10 octobre 2008 réalisés au sein des magasin Zara Galeries Lafayette H et Zara O ; Déboute la société ZARA FRANCE de sa demande en nullité du procès-verbal de saisie-contrefaçon en date du 13 octobre 2008; Déclare Mme Vanessa B et la société SOLUNE -VANESSA B irrecevables en leurs demandes formées au titre du droit d’auteur; Déboute la société TSUKI et la société SOLUNE – VANESSA B de leurs demandes en concurrence déloyale ; Déboute la société ZARA FRANCE de sa demande reconventionnelle ; Condamne in solidum Mme Vanessa B, la société SOLUNE – VANESSA B et la société TSUKI aux entiers dépens de l’instance, qui pourront être directement recouvrés par Maître Muriel A, conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile; Condamne in solidum Mme Vanessa B, la société SOLUNE – VANESSA B et la société TSUKI à payer à la société ZARA la somme de 8 000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile;

Dit n’y avoir lieu à l’exécution provisoire de la présente décision ;

Rejette toutes autres demandes, plus amples ou contraires ;

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Tribunal de grande instance de Paris, 3e chambre 3e section, 1er avril 2011, n° 08/16795