Tribunal de grande instance de Paris, 8e chambre 2e section, 30 juin 2016, n° 14/10613

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
TGI Paris, 8e ch. 2e sect., 30 juin 2016, n° 14/10613
Juridiction : Tribunal de grande instance de Paris
Numéro(s) : 14/10613

Sur les parties

Texte intégral

T R I B U N A L

D E GRANDE

I N S T A N C E

D E P A R I S

8e chambre 2e section

N° RG :

14/10613

N° MINUTE :

Assignation du :

08 Juillet 2014

JUGEMENT

rendu le 30 Juin 2016

DEMANDERESSES

Madame A B épouse X

Madame C X

[…]

[…]

représentées par Maître Mario H, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant/postulant, vestiaire #P0156

DÉFENDERESSE

Société ICADE PROMOTION (nouvelle dénomination sociale de la société ICADE PROMOTION LOGEMENT)

[…]

[…]

représentée par Maître Olivier BANCAUD, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant/postulant, vestiaire #C0301

* * *

COMPOSITION DU TRIBUNAL

I J-K, Vice-présidente

Marion PRIMEVERT, Vice-président

D E, Juge

assistées de Sidney LIGNON, Greffier

DÉBATS

A l’audience du 19 mai 2016 tenue en audience publique devant I J-K et D E, juges rapporteurs, qui, sans opposition des avocats, ont tenu seules l’audience, et, après avoir entendu les conseils des parties, en ont rendu compte au Tribunal, conformément aux dispositions de l’article 786 du Code de Procédure Civile.

JUGEMENT

Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe

Contradictoire

en premier ressort

* * *

EXPOSE DU LITIGE

Madame A B épouse X et Madame C X sont respectivement usufruitière et nue-propriétaire d’un immeuble situé […] à Boulogne-Billancourt (92100), construit en 1912; les appartements de cet immeuble sont destinés à la location; Mesdames X ont confié à la Société FONCIA un mandat pour la gestion et la location de leurs appartements.

Entre 2012 et 2014, la Société ICADE PROMOTION LOGEMENT a réalisé, en qualité de maître d’ouvrage, une opération immobilière consistant en la construction d’un ensemble immobilier à usage d’habitation composé de 87 logements, le tout sur deux parcelles situées […] à Boulogne-Billancourt (92100), soit un bâtiment en mitoyenneté de l’immeuble de Mesdames X, contre le pignon ouest, qui est constitué de cinq étages, et qui présente cinq fenêtres et des grilles de prise d’air, lesdites cinq fenêtres étant situées respectivement dans cinq appartements distincts; la Société ICADE PROMOTION LOGEMENT a obtenu, par arrêtés du Maire de la Commune de Boulogne-Billancourt des 12 novembre 2008, 22 octobre 2010, 17 août 2011 et 5 décembre 2014, un permis de démolir, un permis de construire et trois permis de construire modificatifs permettant la réalisation de l’opération immobilière.

La Société ICADE PROMOTION LOGEMENT a saisi le Juge des Référés du Tribunal de céans, par exploit extrajudiciaire du 8 septembre 2011, d’une procédure de référé aux fins de désignation d’un expert judiciaire dans le cadre d’un référé préventif; par ordonnance de référé du 11 octobre 2011, Madame F Y a été désignée comme expert judiciaire; étaient notamment parties à ces opérations d’expertise Mesdames X; Madame Y a déposé le 20 février 2012 un pré-rapport d’expertise

Par acte du 2 novembre 2012, Mesdames X ont assigné la Société ICADE PROMOTION LOGEMENT devant le juge des référés du Tribunal de Grande Instance de Paris aux fins de désignation d’un expert judiciaire; par ordonnance de référé du 23 novembre 2012, Madame Y a été désignée en qualité d’expert judiciaire; elle a déposé son rapport le 11 avril 2014.

Par exploit d’huissier en date du 8 juillet 2014, Mesdames X ont assigné la Société ICADE PROMOTION LOGEMENT devant ce Tribunal.

Aux termes de leurs dernières conclusions, les demanderesses sollicitent de voir :

- dire que les cinq fenêtres du bâtiment sur rue de Mesdames X sont des vues, et notamment la fenêtre située au 5ème étage, en ce que sont réunis les critères de la vue définis par les articles 677 et 678 du Code civil,

- dire que, en tout état de cause, selon la jurisprudence constante de la Cour de Cassation et des Cours d’Appel, l’obturation de fenêtres, qu’il s’agisse de vues ou de jours de souffrance, passe nécessairement par une indemnisation des préjudices occasionnés, et ce, sur le fondement des troubles anormaux du voisinage et de l’article 544 du Code civil,

- dire que les cinq fenêtres de l’immeuble de Mesdames X avaient, avant leur obturation complète par la Société ICADE, une fonction importante d’éclairage naturel et une fonction importante d’aération naturelle,

- dire que l’obturation complète des cinq fenêtres de l’immeuble de Mesdames X par la Société ICADE a mis fin, de manière totale et définitive, à leurs fonctions d’éclairage et d’aération naturelle,

- dire que, comme l’a relevé l’expert dans son rapport du 11 avril 2014, les locataires se plaignent d’avoir perdu beaucoup en luminosité, en éclairage naturel et en aération naturelle depuis l’obturation des cinq fenêtres par la Société ICADE, ce qui leur a fait perdre en bien-être,

- dire que la Société ICADE a procédé à l’obturation complète des cinq fenêtres de l’immeuble de Mesdames X sans jamais recueillir l’autorisation de ces dernières, ni même leur avis,

- dire que l’obturation complète des cinq fenêtres de l’immeuble de Mesdames X est constitutive d’un trouble anormal du voisinage,

- dire que le trouble anormal du voisinage causé par l’obturation complète des cinq fenêtres de l’immeuble de Mesdames X par la Société ICADE donne nécessairement lieu à une indemnisation par la Société ICADE des préjudices occasionnés, conformément à la jurisprudence constante de la Cour de Cassation et des juges du fond,

- dire que l’obturation complète des cinq fenêtres de l’immeuble de Mesdames X par la Société ICADE a pour conséquence une diminution forfaitaire de valeur vénale de 20.000 euros par appartement, soit une diminution de valeur vénale totale, pour les 5 appartements, de 100.000 euros,

- dire que l’obturation complète des cinq fenêtres de l’immeuble de Mesdames X par la Société ICADE nécessite des travaux intérieurs d’occultation desdites fenêtres, devenues inutiles et inesthétiques, travaux d’un montant 5.860,789 euros,

- dire que l’obturation complète des cinq fenêtres de l’immeuble de Mesdames X cause un préjudice moral et de jouissance à Mesdames X, dans l’exercice de leur droit de propriété, en ce qu’elles subissent les nombreuses plaintes des locataires, relevées par l’expert dans son rapport du 11 avril 2014, et ont été contraintes de consacrer un temps important pour gérer la situation et l’expertise judiciaire, notamment en prenant des congés pour assister aux réunions d’expertise, demander des devis auprès des entreprises, organiser les visites de réunions d’expertise, et s’occuper du suivi administratif,

- dire que le préjudice moral et de jouissance causé par la Société ICADE à Mesdames X est tel qu’il ne saurait être estimé à moins de 20.000 euros,

- en conséquence, condamner la Société ICADE à payer à Mesdames X la somme de 20.000 euros par appartement, soit la somme totale de 100.000 euros, montant forfaitaire correspondant à la perte de valeur vénale de leurs cinq appartements causée par l’obturation complète de leurs cinq fenêtres par la Société ICADE,

- condamner la Société ICADE à payer à Mesdames X la somme de 5.860,789 euros TTC, correspondant au montant des travaux intérieurs d’occultation des fenêtres obturées par la Société ICADE,

- condamner la Société ICADE à payer à Mesdames X :

* la somme de 20.000 euros en réparation de leur préjudice moral et de jouissance,

* la somme de 14.775, 36 euros TTC sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile,

- dire que cette somme sera augmentée des intérêts au taux légal dus à compter de la date de la décision à intervenir,

- dire que ces intérêts seront capitalisés conformément à l’article 1153 du Code civil jusqu’à parfait paiement des sommes dues,

- condamner la Société ICADE aux entiers dépens, qui comprendront les frais et honoraires de l’expertise judiciaire d’un montant de 5.608,80 euros TTC selon l’ordonnance de taxe du 26 mai 2014, avec distraction au profit de la SCP G-H dans les termes de l’article 699 du Code de procédure civile,

- dire que toutes les condamnations prononcées à l’encontre de la Société ICADE, au bénéfice de Mesdames X, seront augmentées des intérêts au taux légal dus à compter de la date de la présente assignation,

- dire que ces intérêts seront capitalisés conformément à l’article 1153 du Code civil jusqu’à parfait paiement des sommes dues,

- prononcer l’exécution provisoire des condamnations prononcées à l’encontre de la Société ICADE au bénéfice de Mesdames X.

Elles font valoir que :

— au regard des constatations de Madame Y, les 5 fenêtres du bâtiment sur rue de Mesdames X peuvent être considérées comme des vues, au sens des articles 677 et 678 du Code civil; elles s’ouvrent complètement, ce qui les exclut du champ de définition des jours de souffrance qui ne comportent aucun ouvrant; la fenêtre du 5e étage est située à moins d'1 m 90 par rapport au sol; Mesdames X n’ont jamais reconnu que leurs fenêtres seraient juridiquement des jours de souffrance, n’étant pas juristes; en outre, ces fenêtres, avant leur obturation complète par la Société ICADE, servaient d’éclairage naturel et d’aération naturelle; Mesdames X seraient en droit de demander la démolition du bâtiment de la Société ICADE de ce seul fait, mais se limitent à demander des dommages et intérêts;

— même si les fenêtres obturées étaient qualifiées de jours de souffrance, Mesdames X seraient toujours en droit d’être indemnisées par la Société ICADE, car l’obturation de leurs fenêtres a pour conséquences préjudiciables la perte définitive et totale d’aération et d’éclairage naturels, ce que montrent également les constats de Madame Y; la Société ICADE avait elle-même pris en compte ces fonctions d’aération et d’éclairage des fenêtres dans son projet initial, dans lequel était prévue la construction de « cheminées de ventilation », destinées à conserver les fonctions d’aération et d’éclairage naturel des 5 fenêtres et des grilles de prise d’air de l’immeuble de Mesdames X (descriptifs du permis de construire d’origine et des permis de construire modificatifs d’avril 2010 et de juin 2011); la Société ICADE a par ailleurs pris la peine de créer une ventilation basse pour les cheminées de ventilation, positionnée au rez-de-chaussée de son bâtiment et sortant côté jardin, au-dessus de la rampe du parking; le calfeutrement total des fenêtres de Mesdames X n’était pas prévu dans le permis initial et nécessitait bien un permis de construire, ce que confirme le permis de construire modificatif du 5 décembre 2014;

— en tout état de cause, une telle indemnisation est prévue par la jurisprudence constante selon laquelle l’obturation de fenêtres, vues ou de jours de souffrance, passe nécessairement par une indemnisation des préjudices occasionnés, et ce sur le fondement des troubles anormaux du voisinage;

— sur les préjudices :

* la perte d’éclairage naturel : avant leur obturation complète par les travaux de la Société ICADE, les 5 fenêtres permettaient aux 5 appartements de Mesdames X de bénéficier d’un plein soleil toute la journée, puisqu’exposés à l’ouest; c’est ce l’expert a expressément relevé dans son rapport; chacune de ces fenêtres éclairait un large dégagement, qui constitue au moins 25 % de la surface totale de chaque appartement (courrier du Cabinet FONCIA du 4 mars 2013, rapport d’expertise); l’importance de la fonction d’éclairage des fenêtres a été confirmée par les locataires lors des réunions d’expertise, qui se sont plaints devant l’expert d’avoir perdu beaucoup en luminosité naturelle depuis l’obturation, ce qui leur a fait perdre en bien-être, en confort, contraints aujourd’hui d’allumer en permanence la lumière;

* la perte d’aération naturelle : les 5 fenêtres de Mesdames X s’ouvrent, et avaient, avant leur obturation une fonction d’aération naturelle importante; l’expert confirme que les 5 fenêtres participaient au renouvellement de l’air; le « compas d’ouverture » est uniquement un arrêt de confort choisi par Mesdames X au moment des travaux de rénovation des appartements, et qui peut parfaitement être retiré à tout moment afin de permettre aux fenêtres de s’ouvrir complètement; les locataires ont confirmé l’importance pour eux de cette fonction d’aération des fenêtres; en outre, eu égard à la superficie des appartements (1er et 2e étages : 43 m2; 3, 4 et 5emes étages : 56 m2), cette aération était primordiale; cette fonction a été reconnue par la Société ICADE, puisqu’elle avait elle-même prévu dans son projet initial de ne pas obturer les fenêtres litigieuses et d’installer des cheminées de ventilation (plans d’architecte du dossier de permis de construire);

* la diminution de la valeur vénale des 5 appartements : l’obturation complète des fenêtres des 5 appartements a entraîné des préjudices définitifs et importants, que sont la perte d’éclairage naturel et la perte d’aération naturelle par lesdites fenêtres; les locataires de Mesdames X se sont largement plaints de ces pertes et ont d’ailleurs, pour trois d’entre eux (sur 5 appartements), résilié leurs contrats de bail en 2014 (attestation du Cabinet FONCIA du 24 juin 2014 : les locataires des 2e, 3e et 4e étages ont donné congé à Mesdames X les 8 janvier 2014 et 17 mars 2014); depuis ces dates, les 3 appartements concernés sont vacants; l’expert a pris le soin de donner son avis sur les éléments permettant au juge d’opérer un calcul de la diminution de la valeur vénale des appartements de Mesdames X; c’est en prenant en compte tous ces éléments que le Cabinet FONCIA a donc estimé forfaitairement que la diminution de la valeur vénale pour chaque appartement ne serait pas inférieure à 20.000 euros, soit un préjudice total de 100.000 euros;

* la nécessité de travaux intérieurs d’occultation des fenêtres : les fenêtres du bâtiment de Mesdames X étant totalement obturées par l’immeuble de la Société ICADE, elles sont désormais complètement inutiles et inesthétiques; il est donc nécessaire de prévoir des travaux intérieurs d’occultation desdites fenêtres, évalués par l’entreprise JULIAN à un prix de 5.327,99 euros TTC (4.979,43 euros HT), auquel s’ajoutera un pourcentage d’usage de maîtrise d’œuvre de 10 %, soit un montant total de 5.860,789 euros TTC (5.477,373 euros HT) (devis du 9 juillet 2013 retenu par l’expert);

* le préjudice moral et de jouissance : Mesdames X subissent un préjudice moral et de jouissance important, de par les plaintes des locataires; cette situation cause au quotidien à Mesdames X du stress et de l’anxiété, très difficilement gérables, tant dans leurs vies personnelles que professionnelles (multiples réunions, courriers, demandes de devis auprès des entreprises, visites d’expertise, suivi administratif); ces travaux de la Société ICADE ont causé à Mesdames X une grande perte de temps et beaucoup d’inquiétude et de soucis.

Aux termes de ses dernières conclusions, la défenderesse sollicite de voir :

- juger que les ouvertures du mur pignon de l’immeuble de Mesdames X constituaient de simples jours de souffrance correspondant à une « tolérance par nature précaire » et pouvaient être « occultés librement et sans indemnisation » par l’édification d’une construction sur le terrain voisin,

- en conséquence, débouter Mesdames X de l’intégralité de leurs demandes,

- condamner Mesdames X à lui verser la somme de 3.000 euros en application de l’article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu’au paiement des entiers dépens qui seront recouvrés directement par la SELARL ATTIQUE Avocats, conformément aux dispositions de l’article 699 du Code de procédure civile.

Elle fait valoir que :

— les ouvertures occultées constituaient de simples jours de souffrance et non des vues :les ouvertures en cause doivent être qualifiées de jours de souffrance; en effet, le Code civil distingue les vues des jours de souffrance et définit, aux articles 676 et 677, les jours de souffrance qui doivent être peu accessibles et doivent être pratiqués à 1,90 mètre au-dessus du sol, aux autres étages que le rez-de-chaussée; la jurisprudence considère que les critères techniques mentionnés aux articles 676 et 677 ne sont plus qu’indicatifs, le critère déterminant du jour de souffrance étant lié à l’impossibilité de permettre une vue directe sur le fonds voisin; ainsi, une ouverture de dimensions modestes, à 1,75 mètre du sol, avec un châssis mobile, un vitrage en verre blanc martelé et protégée par une rangée de barreaux et un grillage à poule est valablement qualifiée de simple jour de souffrance; en l’espèce, il ressort du rapport d’expertise judiciaire que les ouvertures du mur pignon de l’immeuble de Mesdames X (occultées par l’édification de l’immeuble) avaient les caractéristiques suivantes : situées à environ 1,90 m ou 2 m du sol de chaque étage, dont les vitrages ont des dimensions approximatives de 39 cm sur 35 cm environ, pourvues de barreaux et grillages, ouvrant partiellement en leur partie haute, à l’aide d’une poignée difficilement accessible car située à environ 2,36 m à 2,48 m du sol, disposant de verres translucides, éclairant des couloirs étroits et non des pièces de vie ou des salles de bains, ne permettant pas d’avoir une vue sur le terrain voisin; l’expert judiciaire a considéré que « ces fenêtres présentent les caractéristiques de jours de souffrance à ceci près qu’elles sont ouvrantes. En dehors d’apporter de la lumière, elles ne présentent aucune des caractéristiques qui pourraient en faire des fenêtres d’agrément »; cette qualification est d’autant moins contestable que Mesdames X l’ont elles-mêmes expressément reconnue aux termes du courrier à la brigade des sapeurs-pompiers de Paris du 15 novembre 2011, et de leur dire n°7; par ailleurs, la Cour d’Appel de Paris a jugé que « le fait que l’ouverture soit située à une hauteur inférieure à celle prescrite par les textes ne peut être pris en considération (et ne remet donc pas en cause la qualification de jour de souffrance) si l’ouverture ne permet pas une vue aisée sur le fonds voisin » et la Cour de Cassation a également confirmé que dès lors que divers indices (notamment l’impossibilité d’avoir une vue directe sur le fonds voisin – qui est le critère déterminant) justifient la qualification de jour de souffrance, « il n’y a pas à s’assurer de leur hauteur par rapport au sol », au sens de l’article 677 du Code civil; dans le cas présent, le fait que l’ouverture du 5e étage soit située à 1,88 mètre du sol et non à 1,90 mètre ne remet aucunement en cause la qualification de jour de souffrance puisque ladite ouverture a les mêmes autres caractéristiques que les autres jours de souffrance du 1er au 4e étages (taille réduite, pourvus de barreaux et de grillages, ouvrant partiellement à l’aide d’une poignée difficilement accessible à plus de 2,36 m du sol, disposant de verres translucides et éclairant des couloirs) et qu’elle ne permet aucunement d’avoir une « vue directe et aisée sur le fonds voisin » ou de « regarder sur le fonds voisin de manière constante et normale sans fournir d’effort particulier », au sens de la jurisprudence; compte tenu de leurs caractéristiques rappelées ci-dessus, la qualification de jours de souffrance de ces ouvertures n’est donc pas contestable;

— les jours de souffrance constituent de simples « tolérances précaires » qui excluent toute indemnisation de préjudice en cas d’occultation : la Cour de Cassation confirme régulièrement que les jours de souffrance constituent une simple tolérance par nature précaire et qu’ils peuvent être occultés librement et sans indemnisation par l’édification d’une construction sur le terrain voisin; la Cour d’Appel de Paris précise également régulièrement que : « aucun droit n’est conféré au propriétaire d’un simple jour de souffrance considéré comme une tolérance à laquelle s’attache l’élément de précarité, puisque le propriétaire du fonds voisin peut être un terme à tout moment, notamment en élevant une construction en limite séparative, le trouble résultant de l’obturation d’un jour de souffrance ne peut être qualifié d’anormal puisqu’il résulte de l’exercice légitime du droit de propriété; la seule hypothèse où le caractère anormal pourrait être relevé concerne l’abus que le propriétaire voisin pourrait faire de son droit en obturant une ouverture avec pour seul objectif de nuire à son voisin »; contrairement à ce que soutiennent désormais Mesdames X, l’occultation de ces jours de souffrance ne nécessitait donc, en application de la jurisprudence constante de la Cour de Cassation, aucune autorisation particulière de la part de Mesdames X; les préjudices invoqués par elles (quelles que soient les incidences de leur obturation) ne sont pas indemnisables, de sorte que la demande d’indemnisation de ces dernières est dépourvue de tout fondement; les décisions citées par Mesdames X ne sont aucunement applicables au cas d’espèce puisqu’il s’agissait soit de cas d’obturation de fenêtres (ce qui n’est pas le cas en l’espèce puisqu’il s’agit de jours de souffrance), soit de troubles anormaux de voisinage liés à la privation de lumière et d’aération pour des pièces de vie ou des salles de bains ou cuisines (ce qui n’est également pas le cas en l’espèce puisqu’il s’agit de jours de souffrance donnant sur de simples couloirs); or, la jurisprudence a confirmé que l’obturation de jours de souffrance éclairant des couloirs et non des pièces de vie ne peut constituer un trouble anormal de voisinage et ne peut donner lieu à une quelconque indemnisation; l’expert a d’ailleurs précisé que « La perte de valeur à reconnaître est liée au statut juridique des fenêtres puisque les jours de souffrance, si le magistrat les qualifiait comme tels, sont par essence précaires et n’ouvrent pas droit à indemnité en cas de bouchement»;

— en tout état de cause et à titre surabondant, les préjudices allégués par Mesdames X ne sont aucunement établis et indemnisables :

* sur la prétendue perte de valeur de l’immeuble : il convient de rappeler qu’avant la réalisation de l’opération immobilière de la Société ICADE, étaient édifiés sur le terrain acquis par cette dernière notamment un bâtiment de quatre étages et un pavillon, à usage de foyers de travailleurs, qui étaient non seulement régulièrement occupés par des squatters mais également vétustes, délabrés, insalubres et disgracieux; les photographies de l’environnement immédiat, après réalisation de l’opération immobilière, attestent que ce nouvel ensemble immobilier de qualité va considérablement améliorer notamment l’aspect esthétique et l’environnement du quartier; ainsi, nonobstant l’obturation des jours de souffrance, il est acquis que la démolition des anciens bâtiments insalubres et squattés et la construction d’un ensemble immobilier de qualité va générer non pas une perte de valeur de l’immeuble contigu de Mesdames X mais, au contraire, une valorisation considérable de celui-ci pour les candidats locataires; la prétendue moins-value est fantaisiste et il est incohérent d’invoquer une prétendue perte de valeur de l’immeuble du fait de l’obturation des jours de souffrance puisque la valeur initiale de l’immeuble tenait compte de la configuration de l’immeuble et de la précarité des jours de souffrance qui pouvaient, à tout moment, être obturés du fait de la construction d’un immeuble sur le terrain voisin; il n’est aucunement démontré que l’obturation des jours de souffrance aurait, en cas de vente des appartements, une quelconque influence sur le prix de vente dans la mesure où le prix d’un appartement dépend de la commune d’implantation de l’immeuble, du quartier, de son environnement immédiat (considérablement valorisé par la présente opération), de sa configuration et de sa superficie et non pas de l’existence ou non d’un

jour de souffrance nécessairement précaire, situé dans un couloir; il est aussi incohérent de parler de perte de valeur des appartements puisque l’immeuble n’a pas vocation à être vendu à bref délai mais constitue un immeuble de rapport générant des revenus locatifs; or, il n’est pas démontré que l’obturation des jours de souffrance (qui constitue un élément pour le moins accessoire) pourrait avoir des incidences sur le montant des futurs loyers; les jours de souffrance en cause n’étaient pas situés dans un « véritable espace de vie » ou dans « un large dégagement» mais dans un couloir; l’éclairage et l’aération étaient limités puisque le verre du jour était «dépoli», que les appuis des baies étaient barreaudés et grillagés et que l’ouverture était limitée par un compas; l’aération des appartements est valablement assurée par les fenêtres existantes dans toutes les pièces; le couloir et l’entrée ne sont désormais aucunement privés de lumière puisque les pièces situées de part et d’autre du couloir, à savoir la salle de bains mais surtout la cuisine (qui est pourvue d’une porte vitrée à mi-hauteur) et la chambre disposent de fenêtres et de portes, qui peuvent régulièrement rester ouvertes et diffuser de la lumière et de l’air dans le couloir; l’expert Y relève que la prétendue perte de valeur de 20.000 euros par appartement est disproportionnée par rapport au prix du mètre carré à Boulogne, ne repose sur aucun élément tangible et n’est aucunement justifiée; l’administrateur de biens de Mesdames X a précisé que son évaluation a été effectuée « forfaitairement », « de façon similaire pour chaque appartement », ce qui confirme le caractère arbitraire de cette évaluation;

* sur le prétendu préjudice moral et de jouissance : il est rappelé, à nouveau, que les jours de souffrance constituent une simple « tolérance précaire » et que le propriétaire du fonds voisin ne fait qu’exercer ses droits légitimes de propriétaire en édifiant un immeuble occultant lesdits jours de souffrance; dans ces conditions, il ne saurait être valablement allégué une quelconque faute à l’encontre de la Société ICADE au titre d’un prétendu préjudice qui n’est pas indemnisable; en outre, la Société ICADE n’est pas responsable des incidences de la décision prise par Mesdames X d’initier une procédure d’expertise judiciaire et une procédure au fond alors même que la nature de jours de souffrance des ouvertures est manifeste;

* sur les travaux intérieurs : Mesdames X souhaitent manifestement, pour des motifs esthétiques, remplacer les baies devenues inutiles par des carreaux de plâtre à l’intérieur des appartements; ce choix ne concerne pas la Société ICADE;

— l’absence de nécessité d’un permis de construire modificatif : la Société ICADE a communiqué à l’expert judiciaire et à Mesdames X les éléments techniques mis en œuvre pour occulter les jours de souffrance ainsi que les validations nécessaires; Mesdames X persistent à soutenir que la modification des modalités d’occultation des jours de souffrance de leur immeuble rendrait nécessaire l’obtention d’un permis de construire modificatif; ces allégations sont infondées; en effet, un permis de construire modificatif est nécessaire uniquement en cas de modification d’un élément prévu par le permis initial et dont la mention sur les plans est imposée dans le cadre d’une demande de permis de construire; ce n’est aucunement le cas en l’espèce; il est rappelé à nouveau que les plans annexés à la demande de permis de construire mentionnent l’existence d’une « cour anglaise » mais ne précisent aucunement les modalités techniques de maintien en l’état ou d’obturation des jours de souffrance, ce qui est conforme aux dispositions du Code de l’urbanisme qui n’imposent pas ce type de précisions; la Société ICADE, qui n’a pas modifié la superficie de la cour anglaise laquelle a été maintenue, n’avait donc aucunement vocation à déposer une demande de permis de construire modificatif portant sur un simple aménagement technique (réponse ministérielle à question écrite n°13404 du 28 octobre 2004); ni l’article R.462-9 du Code de l’urbanisme ni aucune décision jurisprudentielle n’impose le dépôt d’une demande de permis de construire modificatif pour un simple ajustement technique intérieur dont la mention n’est pas exigée au stade du permis de construire initial; ceci est d’autant plus vrai que l’obturation des jours de souffrance concerne le mur pignon de l’immeuble de Mesdames X et non l’immeuble dont la construction a été autorisée par le permis de construire obtenu par la Société ICADE; le maître d’œuvre de l’opération, le Cabinet Z, ainsi que le service de l’urbanisme de Boulogne ont également confirmé que « l’ajout du bout de voile devant les jours de souffrance est un simple ajustement technique lié à la sécurité » et que cet ajustement « ne modifiant en rien ni les façades, ni la surface, ni rien de visible, il n’est pas nécessaire de déposer et d’obtenir un permis de construire modificatif »; l’expert a également considéré « qu’il n’y avait aucune raison pour ICADE de déposer un permis de construire modificatif »; enfin, la commune de Boulogne-Billancourt a, par attestation du 18 décembre 2014 et en application de l’article R.462-10 du Code de l’urbanisme, confirmé que « la conformité des travaux au permis de construire (…) n’a pas été contestée ».

L’ordonnance de clôture est intervenue le 21 janvier 2016; l’affaire a été examinée à l’audience du 19 mai 2016; la décision a été mise en délibéré au 30 juin 2016.

MOTIFS DE LA DECISION

— Sur les demandes d’indemnisation :

* sur la qualification des “cinq fenêtres” :

Aux termes de l’article 675 du Code civil, l’un des voisins ne peut, sans le consentement de l’autre, pratiquer dans le mur mitoyen aucune fenêtre ou ouverture, en quelque manière que ce soit, même à verre dormant.

L’article 676 du même code ajoute que le propriétaire d’un mur non mitoyen, joignant immédiatement l’héritage d’autrui, peut pratiquer dans ce mur des jours ou fenêtres à fer maillé et verre dormant. Ces fenêtres doivent être garnies d’un treillis de fer, dont les mailles auront un décimètre d’ouverture au plus, et d’un châssis à verre dormant.

Enfin, l’article 677 dudit code prévoit que ces fenêtres ou jours ne peuvent être établis qu’à vingt-six décimètres au-dessus du plancher ou sol de la chambre qu’on veut éclairer, si c’est à rez-de-chaussée, et à dix-neuf décimètres au-dessus du plancher pour les étages supérieurs.

Il est établi que le jour de souffrance est une ouverture destinée uniquement à éclairer le lieu où elle est pratiquée, et n’a pas pour fonction de laisser passer l’air ou de ménager une véritable vue sur l’extérieur, ses caractéristiques devant même par principe s’y opposer. Il faut donc entendre par jour de souffrance, les aménagements qui ne laissent passer que la lumière, mais non l’air ni le regard. Les vues permettent au contraire le passage de l’air aussi bien que de la lumière. Ce sont des fenêtres susceptibles d’être ouvertes et d’où, par conséquent, le regard peut librement porter sur la propriété d’autrui.

Il est également constant que la création ou l’existence d’un jour de souffrance ne confère pas à son propriétaire des droits équivalents à ceux résultant d’une vue. En effet, le jour de souffrance ne permet pas d’acquérir une servitude de vue et ne limite donc pas le droit de propriété du voisin sur son propre terrain. Ledit propriétaire ne peut dès lors pas être condamné à l’enlèvement des ouvrages ou matériaux présents sur son fonds et obstruant le jour, sans violer le caractère absolu de son droit de propriété. Ainsi, rien n’interdit donc de construire un mur ou un quelconque ouvrage, ou plantation, privatif, qui priverait le voisin d’éclairement par le (ou les) jour de souffrance. Dans ce cas, aucune autorisation du propriétaire du fonds voisin n’est nécessaire pour édifier une telle construction.

La détermination du caractère des ouvertures relève de l’appréciation souveraine des juges du fond.

En l’espèce, il ressort du rapport d’expertise judiciaire que :

— à l’extérieur, les 5 châssis litigieux sont situés sur le mur pignon de l’immeuble du […] à hauteur chacun des 5 étages dudit immeuble,

— à l’intérieur, ces 5 châssis sont situés dans le couloir de chaque appartement, étant précisé que le couloir est en L, une branche desservant les pièces principales sur rue et une autre la partie nuit; les châssis sont situés dans la zone desservant la partie nuit, juste après l’intersection des deux branches; ils éclairent largement le couloir de la zone nuit et contribuent assurément à l’agrément de l’entrée par la lumière diffuse qui en émane,

— les 5 châssis sont orientés plein ouest (soleil de l’après-midi), ce qui rend le couloir vers la chambre très lumineux,

— les 5 châssis sont de type rénovation (ouvrants neufs en bois sur dormants anciens en bois),

— les 5 châssis sont situés face à un mur, en partie haute du mur séparatif mitoyen,

— la partie vitrée est constituée de verre dépoli ou assimilé, lequel ne permet pas la vue extérieure,

— les ouvrants mesurent 45,5 cm de large x 41,5 cm de haut pour un clair de vitre de 39 cm x 35 cm,

— les poignées de manoeuvre sont situées en haut du châssis, à une hauteur nécessitant de se hisser sur un tabouret pour les atteindre (2,36 m pour la plus basse et 2,48 m pour la plus haute),

— l’ouverture est de type à soufflet (charnières sur le dormant inférieur, projection vers l’intérieur de la pièce),

— un compas limite l’ouverture du châssis à moins de 10 cm, bois compris, étant précisé que si le compas est défait, l’ouverture totale peut se faire, sous deux réserves cependant : le poids du vantail sur la charnière et l’inadaptation du système qui empiète sur la largeur du couloir à hauteur de visage d’adulte,

— aucune vue sur le fond de la Société ICADE PROMOTION LOGEMENT n’est possible, et ce même si les châssis s’ouvraient en totalité avec une projection intérieure de 180 ° (vue sur le ciel),

— les appuis de baies sont barreaudés et il est interposé du grillage à poule au devant desdites baies,

— les charnières des châssis sont implantées aux hauteurs suivantes :

L’expert indique que, dans le métier d’architecte, sont appelées “jours de souffrance” les fenêtres de petite taille, dont les allèges sont anormalement hautes, qui n’ouvrent pas depuis des pièces principales et qui ne permettent pas la vue sur le fond d’autrui.

La description par l’expert des 5 châssis concernés correspond au cas décrit par le Code civil; l’expert fait sienne la définition des articles 675 à 677 dudit code, en dépit de l’ouvrabilité des châssis, dans la mesure où ils répondent à toutes les autres règles dont celle de l’altitude qui est la plus contraignante. Il est précisé que le fait que les châssis soient ouvrants est constitutif d’une tolérance dont aurait bénéficié le constructeur de l’immeuble.

L’expert indique qu’on ne peut considérer qu’une fenêtre dont la hauteur d’allège imposée est supérieure à 1,90 m est une fenêtre d’agrément. Dans le cas présent, l’allège se trouve en moyenne à une hauteur de 1,96 m. L’absence d’agrément se trouve renforcée par l’opacité du verre et la difficulté de manoeuvrer le châssis (hauteur de la poignée à 2,30 m environ).

Il est par ailleurs souligné que la situation de ces châssis compte également. En effet, placés à l’entrée du couloir où ils font face à un mur, ils n’éclairent aucune pièce dite principale, ni secondaire en-dehors de la circulation du couloir, de sorte que leur bouchement ne condamnerait à l’obscurité aucun espace vital des appartements. Ces châssis ne permettent aucune vue sur l’extérieur, même s’il est indéniable qu’ils sont un élément agréable dans cette partie du logement.

Il est également ajouté que 4 des 5 châssis sont équipés de barreaux métalliques scellés en allège et linteaux depuis l’origine. Ce dispositif est doublé d’un grillage à poule destiné à empêcher les

éventuelles nidations.

Enfin, l’expert note que les poignées d’ouverture de ces châssis, situées en moyenne à 2,36 m, ne contribuent pas à en faire un élément aisé à manoeuvrer, ne s’avérant pas un moyen de confort y compris pour la ventilation naturelle. Il est d’ailleurs rappelé que ces châssis sont équipés d’un compas d’ouverture extrêmement court (10 cm au plus), ce qui correspond à un volume de ventilation minime voir inutile. Au regard des dispositions du Règlement Sanitaire de la Ville de Paris (article 66-3), qui précise les surfaces minimales ouvrantes nécessaires en fonction de la surface des locaux, lorsque ceux-ci sont ventilés naturellement, l’expert déduit que les châssis des couloirs ne contribuent pas particulièrement à ventiler les appartements concernés. Il est aussi précisé qu’il n’existe pas d’ouvrant à soufflet qui ne soit pas équipé de ce compas, lequel est inhérent à la manière dont s’ouvre ce type de châssis, le compas étant destiné à minimiser l’effort d’arrachement qui pèserait sur les charnières intérieures ainsi que le danger que représenterait l’abattant empiétant sur le couloir à hauteur de visage.

L’expert conclut dès lors que les cinq châssis litigieux présentent les caractéristiques de jours de souffrance, à ceci près qu’ils sont partiellement et limitativement ouvrants. En-dehors d’apporter une certaine lumière, ils ne présentent aucune des caractéristiques qui pourraient en faire des fenêtres d’agrément du fait :

. de leur hauteur,

. de la difficulté d’accéder à la poignée de manoeuvre,

. de la limitation systématique de leur ouverture à 10 cm au plus (excluant toute ventilation utile),

. de la nature du verre utilisé (dépoli),

. du barreaudage et du grillage,

. de l’absence de vue.

S’agissant du châssis du 5e étage, l’expert précise que le fait qu’il soit implanté à 1,88 m (et non 1,90 m) du sol ne change pas sa caractéristique au regard des autres critères susvisés et à l’esprit des ces éléments d’ouverture du mur pignon.

Au regard de l’ensemble des critères réunis sus-énoncés, et notamment des critères essentiels d’absence de vue et d’absence de ventilation utile, il apparaît que les cinq “fenêtres” litigieusesde l’immeuble de Mesdames X constituent bien des jours de souffrance, la description architecturale correspondant à la définition juridique du Code civil.

* sur les demandes d’indemnisation :

L’article 544 du Code civil dispose que la propriété est le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu’on n’en fasse pas un usage prohibé par les lois ou par les règlements.

Il convient de rappeler que la théorie des troubles anormaux de voisinage, fondée sur cet article, est une hypothèse de responsabilité sans faute, détachée de la responsabilité délictuelle des articles 1382, 1383 et 1384 du Code civil, et repose sur le principe que “nul ne doit causer à autrui un trouble excédant les inconvénients normaux du voisinage”. Un simple trouble de voisinage ne suffit pas à ouvrir droit à indemnisation. Il appartient au demandeur de caractériser l’anormalité du trouble, et pour se faire démontrer que les nuisances invoquées excèdent les inconvénients normaux du voisinage. S’agissant d’une question de fait, l’appréciation relève du pouvoir souverain des juges du fond.

A ce titre, il sera précisé que l’anormalité du trouble peut être caractérisée alors même que les dispositions légales, réglementaires ou conventionnelles sont respectées. En effet, le respect de telles dispositions n’exclue pas l’existence de troubles anormaux du voisinage. En conséquence, le respect d’un permis de construire ou d’un permis de démolir, comme dans le cas présent, ne fait pas obstacle à la caractérisation d’un trouble anormal de voisinage. Néanmoins, faut-il encore que celui-ci soit justifié.

Il a été rappelé ci-dessus que le jour de souffrance constitue par nature une tolérance précaire, et est susceptible d’occultation par l’édification d’un ouvrage sur le terrain voisin, tel qu’en l’espèce.

Il est établi que l’obturation de jours de souffrance n’excède pas les inconvénients normaux de voisinage lorsque ceux-ci n’étaient pas destinés à éclairer les pièces principales mais seulement des couloirs reliant les pièces entre elles, et n’entraîne pas réparation. A contrario, la suppression, même d’un jour de souffrance apportant de la lumière naturelle, est constitutive d’un trouble excessif de voisinage dès lors qu’elle affecte une pièce principale ou une chambre, et peut donner lieu dans ce cas à réparation.

Le demandeur peut prétendre à une réparation en nature (cessation du trouble, démolition de l’ouvrage…) ou en équivalent (dommages-intérêts).

En l’espèce, il ressort du rapport d’expertise que seule la fonction d’éclairage naturelle des cinq jours de souffrance concernés a été retenue, à l’exclusion de la fonction d’aération naturelle, l’expert ayant indiqué que les autres fenêtres “normales” des appartements permettent plus que largement d’atteindre les exigences du Règlement Sanitaire de la Ville de Paris, sans qu’il soit nécessaire de se hisser sur une chaise pour manoeuvrer les châssis des couloirs qui, au demeurant, s’ouvrent à peine, étant en outre indiqué que les appartements sont équipés d’une VMC dans les cuisines et les salles de bains. Seule une participation marginale de ces châssis au renouvellement de l’air, dans l’hypothèse d’un débridement du compas aux fins d’une ouverture totale, a été retenue par l’expert.

Il est enfin précisé que la Société ICADE PROMOTION LOGEMENT avait prévu initialement une cheminée (de plus de mètres d’emprise le long du mur pignon de l’immeuble de Mesdames X) permettant l’ouverture des châssis et la ventilation naturelle des cheminées. Toutefois, après que Mesdames X se sont inquiétées d’une possible propagation d’incendie d’un appartement à l’autre par le biais de la cheminée, la Société ICADE PROMOTION LOGEMENT a proposé la solution qui a été finalement mise en oeuvre, laquelle a été approuvée par les pompiers et la Société SOCOTEC; en tout état de cause, l’expert affirme que quelque soit le projet de la Société ICADE PROMOTION LOGEMENT relatif à la réalisation de la cheminée initialement prévue, aucun professionnel du bâtiment ne pouvait imaginer conserver une quelconque capacité d’éclairement aux châssis une fois la cheminée réalisée.

S’agissant de la fonction d’éclairage, il sera rappelé que chacun des cinq châssis est situé dans le couloir de chaque appartement, étant précisé que le couloir est en L, une branche desservant les pièces principales sur rue et une autre la partie nuit, les châssis étant par ailleurs situés dans la zone desservant la partie nuit, juste après l’intersection des deux branches. Ils éclairent largement le couloir de la zone nuit et contribuent assurément à l’agrément de l’entrée par la lumière diffuse qui en émane.

Dans le couloir, il est certes manifeste qu’après travaux, la situation a changé, dans la mesure où, désormais, si toutes les portes sont fermées, notamment celle de la chambre du fond, il est nécessaire d’allumer la lumière dans le couloir, ou si certaines portes sont ouvertes, la luminosité du couloir est diminuée. L’éclairage naturel ne provient aujourd’hui que de la chambre du fond, équipée d’une porte-fenêtre dont l’axe est légèrement déporté de l’axe du couloir.

Cependant, les châssis, placés à l’entrée du couloir où ils font face à un mur, n’éclairent aucune pièce dite principale, ni secondaire en-dehors de la circulation du couloir, de sorte que leur “bouchement” (obturation) ne condamne à l’obscurité aucun espace vital des appartements.

Il apparaît donc que les cinq jours de souffrance, obturés, étaient destinés à éclairer des pièces secondaires (couloir et indirectement entrée) et non des pièces principales (séjour, salon, chambres, cuisine, salle de bains). Dès lors, si la perte de luminosité est en l’espèce indéniable, elle ne constitue pas pour autant un trouble excédant les inconvénients normaux du voisinage.

Il convient en conséquence de débouter les demanderesses de l’ensemble de leurs demandes d’indemnisation.

— Sur les frais irrépétibles et les dépens :

Les demanderesses succombent à la présente procédure, et seront donc condamnées à verser à la défenderesse une somme de 3000 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu’aux dépens, qui comprendront les frais d’expertise.

— Sur l’exécution provisoire :

Il convient de prononcer l’exécution provisoire.

PAR CES MOTIFS

Le Tribunal , statuant par mise à disposition au greffe, par jugement contradictoire et en premier ressort :

DIT que les cinq fenêtres situées sur le mur pignon de l’immeuble sis […] à Boulogne-Billancourt (92100) appartenant à Madame A B épouse X et à Madame C X sont des jours de souffrance,

DEBOUTE Madame A B épouse X et Madame C X de leurs demandes d’indemnisation,

CONDAMNE Madame A B épouse X et Madame C X à verser à la Société ICADE PROMOTION la somme de 3000 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile,

DEBOUTE les parties du surplus de leurs prétentions respectives,

ORDONNE l’exécution provisoire du présent jugement,

CONDAMNE les demanderesses aux dépens, qui pourront être recouvrés par la SELARL ATTIQUE Avocats, conformément aux dispositions de l’article 699 du Code de procédure civile.

Fait et jugé à Paris le 30 Juin 2016

Le Greffier Le Président

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Tribunal de grande instance de Paris, 8e chambre 2e section, 30 juin 2016, n° 14/10613