Tribunal de grande instance de Paris, 17 octobre 2019, n° 19/07942

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Sur la décision

Référence :
TGI Paris, 17 oct. 2019, n° 19/07942
Juridiction : Tribunal de grande instance de Paris
Numéro(s) : 19/07942

Sur les parties

Texte intégral

TRIBUNAL

DE GRANDE

INSTANCE

DE PARIS

3ème chambre 1ère section JUGEMENT EN LA FORME DES REFERES rendu le 17 octobre 2019 N° RG 19/07942

N° Portalis

352J-W-B7D-CQHJ U

N° MINUTE: 13

Assignation du : 01 juillet 2019

DEMANDERESSE

Société SOCIETE CIVILE DES PRODUCTEURS

PHONOGRAPHIQUES (SCPP) agissant par l’intermédiaire de son Directeur général gérant M. X Y

[…]

[…]

représentée par Me Nicolas BOESPFLUG, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #E0329

DÉFENDERESSES

S.A. ORANGE

[…]

[…]

représentée par Maître Christophe CARON de l’AARPI Cabinet Christophe CARON, avocats au barreau de PARIS, vestiaire #C0500

S.A.S. FREE

[…]

représentée par Me Yves COURSIN, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #C2186

Expéditions

exécutoiresdélivrées le : 21/10/19

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Décision du 17 Octobre 2019 3ème chambre 1ère section

N° RG 19/07942

N° Portalis 352J-W-B7D-CQHJU

S.A. SOCIETE FRANCAISE DU RADIOTELEPHONE Z

[…]

représentée par Maître Pierre-olivier CHARTIER de l’AARPI CBR ASSOCIES, avocats au barreau de PARIS, vestiaire #R0139

S.A. BOUYGUES TELECOM

[…]

[…]

représentée par Me François DUPUY,de la SCP HADENGUE et Associés avocat au barreau de PARIS, vestiaire #B0873

S.A.S. Z A SAS

[…]

[…]

représentée par Maître Pierre-olivier CHARTIER de l’AARPI CBR ASSOCIES, avocats au barreau de PARIS, vestiaire #R0139

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Nathalie SABOTIER, 1ère vice-présidente adjointe Gilles BUFFET, Vice président Karine THOUATI, Juge

assistée de Alice ARGENTINI, Greffier

DEBATS

A l’audience du 10 Septembre 2019 tenue en audience publique

JUGEMENT

Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe Contradictoire en premier ressort

EXPOSÉ DU LITIGE :

Ayant constaté que le site internet YGGTORRENT exploité sous le nom de domaine « yggtorrent.is » mettait illicitement à la disposition du public par le biais de liens de téléchargement des phonogrammes de son répertoire, la SOCIÉTÉ CIVILE DES PRODUCTEURS PHONOGRAPHIQUES (ci-après « SCPP ») a fait assigner les sociétés ORANGE, FREE, SOCIETE FRANCAISÉDURADIOTELEPHONE

Z (ci-après Z), Z A et BOUYGUES TELECOM devant le tribunal de grande instance de Paris statuant en la forme des référés afin d’obtenir la mise en oeuvre par ces derniers en leur qualité de principaux fournisseurs d’accès à internet, des mesures propres à empêcher l’accès par leurs abonnés, à ce site à partir du territoire français.

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"

Décision du 17 Octobre 2019

3ème chambre lère section

N° RG 19/07942 No Portalis 352J-W-B7D-CQHJU

Par un jugement du 12 octobre 2018, le tribunal de grande Instance de Paris a ainsi ordonné aux sociétés ORANGE, FREE, Z. Z A et BOUYGUES TELECOM de mettre en oeuvre toutes mesures propres à empêcher l’accès au site YGGTORRENT..

Postérieurement à ce jugement et au terme de plusieurs procedures. d’actualisation, la SCPP a fait constater par ses agents assermentés, conformément à l’article L.331-2 du code de la propriété intellectuelle, que les noms de domaine yggtorrent.ch>etyggserver.net’non visés par les précédents jugements, permettaient d’accéder au site internet YGGTORRENT, déjà reconnu entièrement ou quasi entièrement contrefaisant, ainsi qu’à son contenu litigieux téléchargeable, selon procès-verbaux de constat du 10 mai 2019.

C’est dans ces circonstances que, par exploits d’huissier en date des

}

27 juin et 1er juillet 2019, la SCPP a fait assigner les sociétés ORANGE, FREE, Z, Z A et BOUYGUES TELECOM devant le tribunal de grande instance de Paris, statuant en la forme des référés et ce, en application des dispositions de l’article L.336-2 du code de la propriété intellectuelle, aux fins de:

-ORDONNER aux sociétés ORANGE, FREE, Z Z A et BOUYGUES TELECOM de mettre en oeuvre toutes mesures propres

à empêcher l’accès au site YGGTORRENT à partir du territoire français par leurs abonnés par le blocage des noms de domaine yggtorrent.cli>etyggserver.net> au plus tard dans les quinze jours de la décision à intervenir et pendant une durée de dix-huit mois à compter de la mise en œuvre des mesures ordonnées,

- DIRE que les fournisseurs d’accès à internet devront informer la SCPP de la mise en oeuvre des mesures ordonnées,

- DIRE qu’en cas d’évolution du litige, la SCPP poutra saisir le Tribunal de Grande Instance de Paris statuant en la forme des référés ou le Président du Tribunal de Grande Instance de Paris statuant en référé aux fins d’actualisation des mesures ordonnées,

-DIRE que le coût de la mise en oeuvre des mesures ordonnées restera

à la charge des fournisseurs d’accès à internet,

- DIRE que chaque partie conservera la charge de ses frais et dépens,

- RAPPELER le caractère exécutoire par provision de la décision à intervenir.

En réponse, dans ses dernières conclusions développées oralement à l’audience, auxquelles il sera renvoyé pour un exposé de ses moyens conformément à l’article 455 du code de procédure civile, la société ORANGE demande au tribunal, au visa de l’article

L.336-2 du code de la propriété intellectuelle, de :

Lui DONNER ACTE de ce qu’elle ne s’oppose pas à la mesure de blocage sollicitée par la SCPP dès lors qu’elle réunit les conditions, exigées par le droit positif, que sont : la preuve de l’atteinte à un droit d’auteur ou à un droit voisin, le caractère judiciaire préalable et

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impératif de la mesure dans son principe, son étendue et ses modalités, y compris pour son actualisation; la liberté de choix de la technique à utiliser pour réaliser le blocage ; la durée limitée de la mesure.

- DIRE que, dans un délai de quinze jours à compter de la décision à intervenir, la société ORANGE ne peut être enjointe que de bloquer l’accès aux seuls noms de domaine précisément mentionnés dans l’assignation et qui portent atteinte à un droit d’auteur ou à un droit voisin.

- PRENDRE ACTE que la société ORANGE s’en remet à sa décision concernant la durée de 18 mois des mesures de blocage sollicitée par la demanderesse.

- DIRE que la SCPP doit indiquer au conseil de la société ORANGE si les noms de domaine visés ne sont plus actifs, en parallèle de la signification du jugement à venir et par lettre officielle, afin de préciser qu’il n’est plus nécessaire de procéder aux blocages des noms de domaine visés dans la décision.

- DIRE que la SCPP doit indiquer au conseil de la société ORANGE, postérieurement au jugement, la fermeture du site auquel renvoient les noms de domaine visés par le jugement à venir, et dont elle aurait connaissance, afin que les mesures de blocage afférentes puissent être levées.

-- DIRE que chaque partie conservera à sa charge ses frais et dépens.

En réponse, dans ses dernièrès conclusions développées oralement à l’audience, auxquelles il ra renvoyé pour un exposé de ses moyens conformément à l’article 455 du code de procédure civile, la société BOUYGUES TELECOM demande au tribunal, au visa de l’article L.336-2 du code de la propriété intellectuelle, de :

- Apprécier si la SCPP a qualité pour agir,

Apprécier si l’atteinte aux droits d’auteur et aux droits voisins

-

invoquée par la SCPP,

MApprécier si les demandes de la SCPP respectent le principe de proportionnalité,

En tout état de cause,

- Enjoindre à la société BOUYGUES TELECOM de mettre en oeuvre les mesures propres à prévenir l’accès à ses abonnés, situés sur le territoire français, dans un délai de 15 jours à compter de la décision à intervenir, et pour une durée de 18 mois, au noms de domaine suivants: « yggtorrent.ch » O

O C

« yggserver.net »

- Dire que la SCPP devra indiquer aux conseils des fournisseurs d’accès à internet, dont la société BOUYGUES TELECOM, si le nom de domaine visé dans son assignation n’est plus actif afin que les mesures de blocage ordonnées le concernant puissent être levées.

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Condamner la SCPP au paiement des entiers dépens de l’instance.

En réponse, dans ses dernières conclusions développées oralement à l’audience, auxquelles il sera renvoyé pour un exposé de ses moyens conformément à l’article 455 du code de procédure civile, la société FREE demande au tribunal, au visa de l’article L.336-2 du code de la propriété intellectuelle, de :

- juger que toutes éventuelles mesures de blocage (et leur adaptation) ne pourront être prises que sous le contrôle strict de l’autorité judiciaire, exclusivement;

- juger que toutes éventuelles mesures de blocage ne pourront être prises que vis-à-vis des seuls deux noms de domaine litigieux « yggtorrent.ch » et « yggserver.net », et actifs, au jour où votre tribunal statuera;

- juger que d’éventuelles mesures de blocage ne pourront être mises en œuvre que dans un délai de quinze jours après signification, et selon les modalités que la société FREE estimera les plus adaptées à l’objectif à remplir en fonction, notamment, des contingences de son réseau ;

- juger que toutes éventuelles mesures ne pourront être prises que pour une durée déterminée, pour laquelle la société FREE s’en remet à l’appréciation de votre tribunal, à charge, en tout état de cause, pour la demanderesse de justifier, avant leur expiration, de la nécessité de leur maintien ou de leur modification pour une nouvelle durée, qui serait fixée par l’autorité judiciaire ; juger que la SOCIÉTÉ CIVILE DES PRODUCTEURS PHONOGRAPHIQUES SCPP (SCPP) devra avertir officiellement la société FREE, dans l’hypothèse où le(s) noms de domaine(s) dont elle aurait obtenu le blocage, s’avérerai(en)t finalement inactif(s).

En réponse, dans leurs dernières conclusions développées oralement à l’audience, auxquelles il sera renvoyé pour un exposé de leurs moyens conformément à l’article 455 du code de procédure civile, les sociétés Z et Z A demandent au tribunal, au visa de l’article L.336-2 du code de la propriété intellectuelle, de :

APPRECIER si la SCPP a qualité à agir et si l’atteinte qu’elle invoque est constituée ;

APPRECIER s’il est proportionné et strictement nécessaire à la protection des droits en cause, au regard notamment (i) des risques d’atteinte au principe de la liberté d’expression et de communication (risques d’atteintes à des contenus licites et au bon fonctionnement des réseaux) (ii) de l’importance du dommage allégué, (iii) des risques d’atteinte à la liberté d’entreprendre des FAI, et (iv) du principe d’efficacité, d’ordonner aux FAI, dont Z et Z A, la mise en œuvre des mesures de blocage sollicitées ;

Si le Tribunal considère qu’il est proportionné et strictement nécessaire à la protection des droits en cause d’ordonner la mise en oeuvre par les FAI, dont Z et Z A, de mesures de blocage du Site, il lui est demandé de :

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- ENJOINDRE à Z et Z A de mettre en œuvre, dans un délai de quinze jours à compter de la signification de la décision à intervenir, des mesures propres à prévenir l’accès de leurs abonnés, situés sur le territoire français, aux noms de domaine suivant :

❤yggtorrent.ch »

«yggserver.net '>

- DIRE que les mesures de blocage mises en œuvre par les FAI, dont Z et Z A, seront limitées à une durée de douze (12) mois, à l’issue de laquelle la SCPP devra saisir le Tribunal, afin de lui permettre d’apprécier la situation et de décider s’il convient ou non de reconduire lesdites mesures de blocage ;

- DIRE que les parties pourront saisir le Tribunal en cas de difficultés ou d’évolution du litige;

- CONDAMNER la SCPP aux dépens de la présente instance.

MOTIFS DE LA DÉCISION

1 – Sur la qualité à agir de la SOCIÉTÉ CIVILE DES PRODUCTEURS PHONOGRAPHIQUES

Aux termes de l’article L. 122-1 du code de la propriété intellectuelle, "Le droit d’exploitation appartenant à l’auteur comprend le droit de représentation et le droit de reproduction.>1

L’article L.122-2 du même code précise que "La représentation consiste dans la communication de l’oeuvre au public par un procédé quelconque, et notamment :2 Par télédiffusion. La télédiffusion s’entend de la diffusion par tout procédé de télécommunication de sons, d’images, de documents, de données et de messages de toute nature. 99.

et l’article L. 122-3 alinéa 1« que »La reproduction consiste dans la fixation matérielle de l’oeuvre par fous procédés qui permettent de la communiquer au public d’une manière indirecte.

Selon l’article L.122-4, « Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite. » 23

De la même manière, l’article L.213-1 alinéa 2 prévoit que "L’autorisation du producteur de phonogrammes est requise avant toute reproduction, mise à la disposition du public par la vente, l’échange ou le louage ou communication au public de son phonogramme autres que celles mentionnées à l’article L.214-1.#

Enfin, il résulte de l’article L.336-2 qu’ "En présence d’une atteinte à un droit d’auteur ou à un droit voisin occasionnée par le contenu d’un service de communication au public en ligne, le tribunal de grande instance, statuant le cas échéant en la forme des référés, peut ordonner à la demande des titulaires de droits sur les oeuvres et objets protégés, de leurs ayants droit, des organismes de gestion collective régis par le titre II du livre III ou des organismes de défense professionnelle visés à l’article L. 331-1, toutes mesures propres à prévenir ou à faire cesser

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une telle atteinte à un droit d’auteur ou un droit voisin, à l’encontre de toute personne susceptible de contribuer à y remedier. La demande peut également être effectuée par le Centre national du cinéma et de l’image animée."

Aux termes de ses statuts (pièce n°2 du demandeur), la SOCIÉTÉ CIVILE DES PRODUCTEURS PHONOGRAPHIQUES est un organisme de gestion collective des droits des producteurs de phonogrammes, régie par le Titre II du Livre HI du Code de la propriété intellectuelle, qui a notamment pour objet la défense de l’intérêt collectif de la profession exercée par ses membres (article 3, 1°) et l’action en justice pour défendre les droits qu’elle exerce en son nom propre ou au nom des associés et pour faire cesser et sanctionner toutes infractions aux droits qui leur sont reconnus par le code de la propriété intellectuelle (article 3, 4°).

Il résulte de l’ensemble de ces éléments que cet organisme est recevable à agir afin de faire cesser la mise à la disposition du public en ligne non autorisée des phonogrammes de son répertoire..

2- Sur l’atteinte aux droits d’auteur ou aux droits voisins

Par jugement rendu le 12 octobre 2018, le tribunal de grande instance a constaté le caractère contrefaisant du site YGGTORRENT accessible

à cette époque par le nom de domaine « yggtorrent.is », celui-ci étant quasiment entièrement dédié à la représentation et la mise à la disposition a du public en ligne de phonogrammes, du répertoire de la

SCPP le consentement des auteurs ni des producteurs. Par ordonnance de référé du 10 janvier 2019 puis jugement du 18 avril 2019 en la forme des référés le tribunal de grande instance de Paris à constaté que le site poursuivait son activité illicite via d’autres noms de domaine.

Il est établi par les procès-verbaux de l’agent assermenté B C-D du 10 mai 2019, produits dans le cadre de la présente procédure que le site YGGTORRENT persiste à mettre à disposition du public, sans autorisation, des phonogrammes du répertoire de la SCPP, pouvant être téléchargés à partir des noms de domaine yggserver.net> et yggtorrent.ch, en particulier l’album suivant: « BROL » de l’artiste française ANGELE.

Les différents procès-verbaux produits aux débats ont mis en évidence que les phonogrammes proposés en téléchargement sur le site YGGTORRENT, accessible via de nouveaux noms de domaine, peuvent être téléchargés par les internautes au moyen de leur connexion internet souscrite auprès, notamment, des sociétés ORANGE, BOUYGUES TELECOM, FREE, Z ou encore Z FIBRES, sans aucune difficulté et sans avoir besoin d’un intermédiaire ou d’un appareil supplémentaire et peuvent être écoutés avec une qualité sonore équivalente à celle d’un phonogramme du commerce.

Comme à l’occasion du précédent jugement du 18 avril 2019, le tribunal observe que l’illicéité du site est assumée par ses concepteurs ainsi que le démontre sa dénomination comprenant le terme « forrent », ce dernier terme renvoyant à BitTorrent qui est un protocole de transfert de

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données de pair à pair, c’est à dire sans l’intermédiaire d’un distributeur dûment autorisé. De la même manière, l’absence d’indication des mentions exigées par les articles 6.III.1 et 6.III.2 de la LCEN pour le site objet du litige et l’anonymisation intégrale de ce site par le biais de ses différents prestataires (enregistrement anonymisé du nom de domaine, utilisation du prestataire Cloudflare), tendent à démontrer la connaissance du caractère entièrement ou quasi entièrement illicite des liens postés sur les sites litigieux par les personnes qui contribuent à cette diffusion et la difficulté pour les auteurs et producteurs de poursuivre les responsables de ces sites.

Il ressort de ces éléments que la SOCIÉTÉ CIVILE DES PRODUCTEURS PHONOGRAPHIQUES est bien fondée à solliciter la prescription des mesures propres à faire cesser ces violations de ses droits.

3- Sur les mesures sollicitées

L’article L.336-2 du code de la propriété intellectuelle réalise la transposition en droit interne de l’article 8 §3, de la directive 2001/29/CE du Parlement européen et du Conseil du 22 mai 2001, sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information, aux termes duquel : « Les États membres veillent à ce que les titulaires de droits puissent demander qu’une ordonnance sur requête soit rendue à l’encontre des intermédiaires dont les services sont utilisés par un tiers pour porter atteinte à un droit d’auteur ou à un droit voisin ». Le seizième considérant de cette directive rappelle que les règles qu’elle édicte doivent s’articuler avec celles issues de la directive 2000/31/CE du Parlement européen et du Conseil du 8 juin 2000, relative à certains aspects juridiques des services de la société de l’information, et notamment du commerce électronique, dans le marché intérieur (dite « directive sur le commerce électronique »).

Interprétant ces dispositions la Cour de justice de l’Union européenne a dit pour droit dans l’arrêt Scarlet Extended c/ Sabam (C-70/10) du 24 novembre 2011 qu’ "ainst qu’il découle des points 62 à 68 de l’arrét du 29 janvier 2008; Promusicae (C-275/06, Rec. p. 1-271). la protection du droit fondamental de propriété, dont font partie les droits liés à la propriété intellectuelle, doit être mise en balance avec celle d’autres droits fondamentaux.

45 Plus précisément, il ressort du point 68 dudit arrêt qu’il incombe aux autorités et aux juridictions nationales, dans le cadre des mesures adoptées pour protéger les titulaires de droits d’aute d’assurer un juste équilibre entre la protection de ce droit et celle des droits fondamentaux de personnes qui sont affectées par de telles mesures. Ainsi, dans des circonstances telles que celles de l’affaire au 46 principal, les autorités et les juridictions nationales doivent notamment assurer un juste équilibre entre la protection du droit de propriété intellectuelle, dont jouissent les titulaires de droits d’auteur, et celle de la liberté d’entreprise dont bénéficient les opérateurs tels que les FAI en vertu de l’article 16 de la charte.

Or, en l’occurrence, l’injonction de mettre en place le système de filtrage litigieux implique de surveiller, dans l’intérêt de ces titulaires, l’intégralité des communications électroniques réalisées sur le réseau du FAI concerné, cette surveillance étant en outre illimitée dans le temps, visant toute atteinte future et supposant de devoir protéger non

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seulement des œuvres existantes, mais également celles futures qui n’ont pas encore été créées au moment de la mise en place dudit système.

48 Ainsi, une telle injonction entraînerait une atteinte caractérisée à la liberté d’entreprise du FAI concerné puisqu’elle l’obligerait à mettre en place un système informatique complexe, coûteux, permanent et à ses seuls frais, ce qui serait d’ailleurs contraire aux conditions prévues à l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2004/48, qui exige que les mesures pour assurer le respect des droits de propriété intellectuelle ne soient pas inutilement complexes ou coûteuses.

49 Dans ces conditions, il convient de constater que l’injonction de mettre en place le système de filtrage litigieux doit être considérée comme ne respectant pas l’exigence que soit assuré un juste équilibre entre, d’une part, la protection du droit de propriété intellectuelle, dont jouissent les titulaires de droits d’auteur, et, d’autre part, celle de la liberté d’entreprise dont bénéficient les opérateurs tels que les FAI

50 De plus, les effets de ladite injonction ne se limiteraient pas au FAI concerné, le système de filtrage litigieux étant également susceptible de porter atteinte aux droits fondamentaux des clients de ce FAI, à savoir à leur droit à la protection des données à caractère personnel ainsi qu’à leur liberté de recevoir ou de communiquer des informations, ces droits étant protégés par les articles 8 et 11 de la charte.

51 En effet, il est constant, d’une part, que l’injonction de mettre en place le système de filtrage litigieux impliquerait une analyse systématique de tous les contenus ainsi que la collecte et l’identification des adresses IP des utilisateurs qui sont à l’origine de l’envoi des contenus illicites sur le réseau, ces adresses étant des données protégées à caractère personnel, car elles permettent l’identification précise desdits utilisateurs.

52 D’autre part, ladite injonction risquerait de porter atteinte à la liberté d’information puisque ce système risquerait de ne pas suffisamment distinguer entre un contenu illicite et un contenu licite, de sorte que son déploiement pourrait avoir pour effet d’entrainer le blocage de communications à contenu licite. En effet, il n’est pas contesté que la réponse à la question de la licéité d’une smission dépende également de l’application d’exc au droit eptions légale d’auteur qui varient d’un Etat membre à l’autre. En outre, certaines auvres peuvent relever, dans certains Etats membres, du domaine public ou elles peuvent faire l’objet d’une mise en ligne à titre gratuit de la part des auteurs concernés."

Dans l’arrêt UPC Telekabel Wien du 27 mars 2014 (C-314/12), là Cour de justice a dit pour droit que: "48 Pour ce qui est de la liberté d’entreprise, il doit être constaté que l’adoption d’une injonction, telle que celle en cause au principal, restreint cette liberté. 49 En effet, le droit à la liberté d’entreprise comprend notamment le droit, pour toute entreprise, de pouvoir librement disposer, dans les limites de la responsabilité qu’elle encourt pour ses propres actes, des ressources économiques, techniques et financières dont elle dispose. 50 Or, une injonction, telle que celle en cause au principal, fair peser sur son destinataire une contrainte qui restreint la libre utilisation des ressources à sa disposition, puisqu’elle l’oblige à prendre des mesures qui sont susceptibles de représenter pour celui-ci un coût important, d’avoir un impact considérable sur l’organisation de ses activités ou de requérir des solutions techniques difficiles et complexes.

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51 Cependant, une telle injonction n’apparaît pas porter atteinte à la substance même du droit à la liberté d’entreprise d’un fournisseur d’accès à Internet, tel que celui en cause au principal.

52 D’une part, une injonction, telle que celle en cause au principal, laisse à son destinataire le soin de déterminer les mesures concrètes à prendre pour atteindre le résultat visé de sorte que celui-ci peut choisir de mettre en place des mesures qui soient les mieux adaptées aux ressources et aux capacités dont il dispose et qui soient compatibles avec les autres obligations et défis auxquels il doit faire face dans l’exercice de son activité.

53 D’autre part, une telle injonction permet à son destinataire de s’exonérer de sa responsabilité en prouvant qu’il a pris toutes les mesures raisonnables. Or, cette possibilité d’exonération a de toute évidence pour effet que le destinataire de cette injonction ne sera pas tenu de faire des sacrifices insupportables, ce qui paraît justifié notamment au regard du fait que ce dernier n’est pas l’auteur de l’atteinte au droit fondamental de propriété intellectuelle ayant provoqué l’adoption de ladite injonction.

54 À cet égard, conformément au principe de sécurité juridique, le destinataire d’une injonction, telle que celle en cause au principal, doit avoir la possibilité de faire valoir devant le juge, une fois connues les mesures d’exécution qu’il a prises et avant qu’une décision lui imposant une sanction ne soit, le cas échéant, adoptée, que les mesures prises étaient bien celles qui pouvaient être attendues de lui afin d’empêcher le résultat proscrit.

55 Cela étant, lorsque le destinataire d’une injonction, telle que celle en cause au principal, choisit les mesures à adopter afin de s’y conformer, il doit veiller à respecter le droit fondamental des utilisateurs d’Internet à la liberté d’information."

Aussi, conformément aux dispositions de l’article L.336-2 du code de la propriété intellectuelle, interprétées à la lumière des directives évoquées ci-dessus, telles qu’elles-mêmes interprétées par la Cour de justice de l’Union européenne, il sera enjoint aux sociétés ORANGE, BOUYGUES TELECOM, FREE, Z et Z FIBRES de mettre en oeuvre et/ou faire mettre en oeuvre, toutes mesures propres à empêcher l’accès, à partir du territoire français et/ou par leurs abonnés, à raison d’un contrat souscrit sur ce territoire, par tout moyen efficace et, notamment, par le blocage des seuls noms de domaine ci-après visés au dispositif permettant l’accès au site litigieux, après avoir pris en compte les sites d’ores et déjà désactivés qui lui auront été signalés par la SOCIÉTÉ CIVILE DES PRODUCTEURS PHONOGRAPHIQUES.

Ces mesures devront être mises en oeuvre sans délai, et au plus tard à l’expiration d’un délai de 15 jours suivant la signification de la présente décision, et pendant une durée de 18 mois.

L’actualisation des mesures ordonnées en cas d’évolution du litige en raison de la mise en oeuvre de moyens de contournement du blocage, pourra être envisagée par le tribunal statuant en la forme des référés, mais également, sous réserve que soit caractérisée l’existence d’un trouble manifestement illicite, par le juge des référés.

Les coûts des mesures de blocage, compris selon les opérateurs entre 25 et 450 euros, de sorte qu’ils n’apparaissent pas comme étant de nature à porter atteinte à la « substance même de leur droit à la liberté d’entreprendre », seront à la charge des fournisseurs d’accès internet.

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Conformément aux dispositions de l’article 492-1, 3° du code de procédure civile, et en l’absence de circonstances justifiant qu’il en soit décidé autrement, il convient de rappeler que la présente décision est exécutoire à titre provisoire.

Enfin, eu égard aux circonstances du présent litige, chaque partie consérvera la charge de ses frais irrépétibles et de ses dépens.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal, statuant publiquement en la forme des référés, par jugement contradictoire et en premier ressort, mis à disposition au greffe,

Constate que le site YGGTORRENT jugé contrefaisant par le tribunal de grande instance de Paris par jugement du 12 octobre 2018 est désormais accessible via les noms de domaine yggtorrent.ch> et yggserver.net';

En conséquence,

Ordonne à la société ORANGE, à la société BOUYGUES TELECOM, à la société FREE, ainsi qu’aux sociétés Z et Z FIBRES, de mettre en oeuvre et/ou faire mettre en oeuvre, toutes mesures propres à empêcher l’accès, à partir du territoire français, y compris les collectivités d’outre-mer, de la Nouvelle Calédonie et des Terres australes et antarctiques françaises, par leurs abonnés par tout moyen efficace et notamment par le blocage des noms de domaine suivants : yggtorrent.ch> et yggserver.net',

au plus tard dans les quinze jours de la signification de la présente décision, pendant une durée de 18 mois à compter de la mise en oeuvre des mesures ordonnées,

Dit que la SOCIÉTÉ CIVILE DES PRODUCTEURS PHONOGRAPHIQUES devra indiquer aux fournisseurs d’accès à internet les noms de domaine dont elle aurait appris la fermeture ou la disparition afin d’éviter des coûts de blocage inutiles;

Dit que les fournisseurs d’accès à internet devront informer la SOCIÉTÉ CIVILE DES PRODUCTEURS PHONOGRAPHIQUES de la réalisation de ces mesures en lui précisant éventuellement les difficultés qu’ils rencontreraient ;

Dit qu’en cas d’évolution du litige, notamment par modification des noms de domaine ou chemins d’accès au site visé, la SOCIÉTÉ CIVILE DES PRODUCTEURS PHONOGRAPHIQUES pourra en référer à la présente juridiction statuant en la forme des référés ou en saisissant le juge des référés, en mettant en cause par voie d’assignation les parties appelées à la présente instance ou certaines d’entre elles, afin que l’actualisation des mesures soit ordonnée ;

Dit que le coût de la mise en oeuvre des mesures ordonnées sera à la charge des fournisseurs d’accès à internet;

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Décision du 17 Octobre 2019

3ème chambre 1ère section

N° RG 19/07942 N° Portalis 352J-W-B7D-CQHJU

Rappelle que la présente décision est exécutoire par provision;

Dit que chaque partie conservera la charge des ses frais irrépétibles et de ses dépens.

Fait et jugé à Paris le 17 octobre 2019.

La Greffière La Présidente

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N° RG: N° RG 19/07942 – N° Portalis 352J-W-B7D-CQHJU

EXPÉDITION exécutoire dans l’affaire :

1er Demandeur : Société SOCIETE CIVILE DES PRODUCTEURS

PHONOGRAPHIQUES et autres

contre ler Défendeur : S.A. ORANGE et autres

EN CONSÉQUENCE, LA RÉPUBLIQUE FRANÇAISE mande et ordonne:

A tous les huissiers de justice, sur ce requis, de mettre ladite décision à exécution,

Aux Procureurs Généraux et aux Procureurs de la République près les Tribunaux de Grande Instance d’y tenir la main,

A tous commandants et officiers de la force publique de prêter main-forte lorsqu’ils en seront requis.

En foi de quoi la présente a été signée et délivrée par nous Greffier en Chef soussigné au Greffe du Tribunal de Grande Instance de Paris

AL DE GRA

p/Le C INSTANCE

E

S

P

R

I

A

D

2017-182


1. E F G H

13 ème page et dernière

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Tribunal de grande instance de Paris, 17 octobre 2019, n° 19/07942