Cour d'appel d'Aix-en-Provence, 24 mars 2016, n° 15/04858

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CA Aix-en-Provence, 24 mars 2016, n° 15/04858
Juridiction : Cour d'appel d'Aix-en-Provence
Numéro(s) : 15/04858
Décision précédente : Tribunal de grande instance de Grasse, 9 février 2015, N° 13/05685

Sur les parties

Texte intégral

COUR D’APPEL D’AIX-EN-PROVENCE

10e Chambre

ARRÊT AU FOND

DU 24 MARS 2016

N° 2016/144

Rôle N° 15/04858

I Z épouse Y

C/

E C

CAISSE PRIMAIRE D’ASSURANCE MALADIE DES ALPES MARITIMES

G MUTUELLE

XXX

Grosse délivrée

le :

à :

Me Ramette

Me Ermeneux

Me Pinatel

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Tribunal de Grande Instance de GRASSE en date du 10 Février 2015 enregistré au répertoire général sous le n° 13/05685.

APPELANTE

Madame I Z épouse Y

née le XXX à XXX

de nationalité Française, demeurant XXX

représentée par Me Alexandre RAMETTE, avocat au barreau de NICE

INTIMEES

Madame E C

née le XXX à XXX

représentée par Me Agnès ERMENEUX-CHAMPLY de la SCP ERMENEUX-LEVAIQUE-ARNAUD & ASSOCIES, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE,

assistée de Me Emmanuel BRANCALEONI, avocat au barreau de NICE

CAISSE PRIMAIRE D’ASSURANCE MALADIE DES ALPES MARITIMES, XXX – XXX

représentée par Me Vincent PINATEL, avocat au barreau de MARSEILLE

G MUTUELLE venant aux droit de G H, prise en la personne de son représentant légal en exercice., XXX

défaillante

XXX Prise en la personne de son représentant légal en exercice., 313 Terrasses de l’Arche – XXX

défaillante

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

En application des dispositions des articles 785, 786 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 10 Février 2016 en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Madame Christiane BELIERES, Présidente, et Madame Françoise GILLY-ESCOFFIER, Conseiller, chargées du rapport.

Madame Christiane BELIERES, Présidente, a fait un rapport oral à l’audience, avant les plaidoiries.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Christiane BELIERES, Présidente

Madame Françoise GILLY-ESCOFFIER, Conseiller

Mme Patricia TOURNIER, Conseiller

Greffier lors des débats : Madame Geneviève JAUFFRES.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 17 Mars 2016. Ce jour le délibéré a été prorogé au 24 Mars 2016.

ARRÊT

Réputé contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 24 Mars 2016.

Signé par Madame Christiane BELIERES, Présidente et Madame Geneviève JAUFFRES, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Exposé des faits et de la procédure

Le 21 décembre 2009, Mme E C S-T, a pratiqué des soins sur Madame I Z épouse Y, qui était sa patiente depuis le 28 mai 2003, aux fins de soigner les dents numéros 14 et 15, après avoir pris un cliché rétro-alvéolaire de ces dents et avoir effectué une anesthésie locale.

Le traitement de la dent n° 15 s’est déroulé normalement ; en revanche Mme Z a ressenti dès le début des soins sur la dent n° 14 des douleurs importantes et un oedème s’est déclaré qui n’ont pas permis d’achever l’acte.

Mme Z s’est rendue le 22 décembre 2009 à l’hôpital Lenval où ont été constaté un oedème et une douleur persistante ayant conduit à la prescription d’une antibiothérapie.

Le 28 décembre 2009 Mme Z se rend au service des urgences odontologiques de l’hopital Saint Roch ; le 30 décembre 2009 est pratiquée une ouverture de la chambre pulpaire de la dent n° 14 et le 4 janvier 2010 est effectué un drainage de la cellulite faciale droite d’origine dentaire.

Au mois de juin 2010 après des infections répétées, la dent n° 14 est extraite.

Mme Z a saisi le juge des référés qui par ordonnance du 8 juin 2011 a prescrit une mesure d’expertise confiée au docteur X.

Par acte du 17 octobre 2013 Mme Z a assigné Mme C devant le tribunal de grande instance de Grasse en présence de la caisse primaire d’assurance maladie des Alpes-Maritimes (Cpam), de la mutuelle G mutuelle (mutuelle G) et de la société Axa Assurances vie mutuelle (société Axa), prises en leur qualité de tiers payeurs, en déclaration de responsabilité et réparation des préjudices subis.

Par jugement du 10 février 2015 cette juridiction a, au visa des articles 1147 du code civil et L. 1142-1 du code de la santé publique :

— dit que la preuve d’une faute liée à l’acte de soin réalisé le 21 décembre 2009 par Mme C n’est pas établie,

— dit que la preuve d’une faute liée à l’obligation de suivi de Mme C n’est pas établie,

— constaté que Mme C n’établit pas avoir informé préalablement Mme Z,

— dit que Mme Z ne rapporte pas la preuve d’un lien de causalité entre le défaut d’information et les préjudices allégués,

— dit en conséquence qu’aucune perte de chance n’est établie,

— dit qu’en définitive la responsabilité professionnelle de Mme C n’est pas établie dans les soins prodigués à Mme Z le 21 décembre 2009,

— débouté Mme Z de ses demandes d’indemnisation des préjudices,

— débouté en conséquence la Cpam de ses demandes à l’encontre de Mme C,

— condamné Mme Z à verser à Mme C la somme de 2 000 € au titre l’article 700 du code de procédure civile,

— débouté par voie de conséquence Mme Z de sa demande formulée au même titre,

— condamné Mme Z aux dépens,

— dit n’y avoir lieu d’ordonner l’exécution provisoire.

Le tribunal a considéré que les soins dentaires réalisés qui relèvent du choix thérapeutique étaient parfaitement indiqués et justifiés en raison de l’état dentaire de Mme Z et qu’aucun élément de constatation n’apportait la preuve formelle que Mme C avait commis une infraction entre la racine ou alvéole et la joue, laquelle aurait entraîné un 'dème puis une infection, que sur le plan de la surveillance l’expert avait relevé que le traitement préventif n’exclut pas l’éventualité d’une complication infectieuse qui peut toujours intervenir, qu’il y a eu continuité des soins puisque le praticien a téléphoné spontanément au patient dès le lendemain, soit le 22 décembre 2009 et que le fait qu’il n’y ait pas eu une nouvelle consultation ne pouvait être reproché à Mme C dans la mesure où la teneur de l’échange téléphonique n’était pas établi et que Mme Z avait consulté d’autres praticiens.

Il a estimé que si Mme C ne rapportait pas la preuve qu’elle avait préalablement informé Mme Z sur les risques de l’intervention aucun élément ne permettait de considérer que si elle avait été complètement informée y compris d’un risque exceptionnel, Mme Z aurait refusé les soins de sorte que la perte d’une chance n’était pas démontrée.

Par acte du 24 mars 2015, dont la régularité et la recevabilité ne sont pas contestées, Mme Z a interjeté appel général de cette décision.

Moyens des parties

Mme Z demande dans ses conclusions du 15 juin 2015, en application des articles L. 1142-1 et L.111-2 du code de la santé publique, 1134, 1135, 1147, 16 et 16-3 et 1382 du code civil, L. 376-du code de la sécurité socia, infirmant le jugement, de :

à titre principal

— déclarer commun le jugement à la Cpam, la mutuelle G et la société Axa,

— rejeter toutes les demandes de Mme C,

— juger que les préjudices qu’elle a subis ne relèvent pas de l’aléa thérapeutique,

— juger que Mme C a commis une faute dans l’acte thérapeutique ayant entraîné une effraction au niveau de l’alvéole ou de la gencive,

— juger qu’il existe un lien direct entre les lésions dont elle a été atteinte et le geste pratiqué,

— juger que Mme C a été imprudente et a failli à son obligation de suivi immédiat en ne prescrivant pas immédiatement des antalgiques ou des anti-inflammatoires voire des antibiotiques à titre préventif,

— juger à tout le moins qu’elle a perdu une chance de ne pas subir de complications médicales,

— condamner Mme C à lui verser les sommes suivantes à titre de dommages-intérêts : * déficit fonctionnel temporaire : 2 000 €

* souffrances endurées : 10'000 €

* déficit fonctionnel permanent : 5 000 €

* dépenses de santé futures : 3 000 €

— constater l’absence d’information préalable par Mme C,

— condamner en conséquence Mme C à lui verser la somme de 5 000 € à ce titre,

à titre subsidiaire, pour le cas dans lequel la cour ne serait pas suffisamment éclairée quant au chiffrage du déficit fonctionnel temporaire et du déficit fonctionnel permanent

— ordonner en application des articles 256 et suivants du code de procédure civile une consultation écrite de l’expert X afin qu’il complète son rapport d’expertise en indiquant les pourcentages du déficit fonctionnel temporaire et du déficit fonctionnel permanent sur la base des préconisations Dintilhac,

en toute hypothèse :

— condamner Mme C à lui verser la somme de 6 000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

— condamner Mme C aux dépens de première instance et d’appel y compris les frais d’expertise judiciaire avec distraction.

Mme Z fait valoir que Mme C a commis une faute technique car l’expert judiciaire a relevé que si les soins dentaires qui lui ont été proposés étaient, d’après le dossier, parfaitement justifiés, elle est entrée dans le cabinet de Mme C sans douleur ni doléance particulière, qu’au cours des soins elle a présenté une douleur très importante malgré l’anesthésie locale et un 'dème est apparu très rapidement après l’injection d’un produit désinfectant, que ceci est la conséquence d’une communication entre la zone de soins et la joue et qu’il y a donc eu forcément effraction au niveau de l’alvéole ou de la gencive par une manipulation et qu’il ne s’agit pas d’un aléa thérapeutique.

Elle ajoute que selon l’expert cette douleur et cet 'dème qui correspondaient à une situation anormale auraient dû justifier des soins particuliers de prescription avec anti-inflammatoires et éventuellement antibiotiques à titre préventif, que Mme C n’a pas prescrit un traitement médical particulier et lui aurait recommandé de prendre du paracétamol et de l’avertir en cas de douleurs persistantes, que dès lors Mme C a manqué à son obligation de suivi immédiat et que si cette prescription n’aurait peut-être pas empêché les complications, elle n’a pas été réalisée provoquant une perte de chance avec apparition de complications infectieuses. Elle estime que cette perte de chance est en lien direct et certain avec l’abstention fautive de Mme C.

Elle affirme enfin que l’expert retient l’absence d’information avant le début des soins n’ayant pas été mise en garde contre les complications éventuelles, ce qui lui a fait perdre une chance de se soustraire au risque qui s’est finalement réalisé.

Elle ajoute qu’elle a subi un second préjudice moral spécifique distinct de l’atteinte corporelle né d’une impréparation au risque encouru.

Mme C demande dans ses conclusions du 7 juillet 2015, en application des articles 1134, 1135 et 1147 du code civil, confirmant le jugement, de :

— débouter Mme Z de toutes ses demandes,

— la condamner à lui verser la somme de 3 000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

— la condamner aux dépens avec distraction.

Elle fait valoir qu’elle n’a commis aucune faute et qu’en toute hypothèse le lien de causalité entre la faute et le dommage n’est pas démontré puisque ce dernier s’est considérablement aggravé après l’intervention ultérieure des autres praticiens.

Sur son absence de faute ou de maladresse opératoire, elle relève d’une part, que l’expert a noté que le diagnostic a été correctement posé après un cliché préopératoire, d’autre part, que le traitement radiculaire a été mis en 'uvre de manière conforme aux données et recommandations de bonnes pratiques des sociétés savantes, que l’étiologie de l''dème gingival ne résulte pas d’une fausse route ni d’une perforation ni d’une fracture radiculaire, aucun document radiographique ni aucun certificat attestant ce fait, qu’en toute hypothèse le matériel utilisé pour les irrigations endocanalaires ne permet pas ce type de perforation de la paroi radiculaire en raison du diamètre et du peu de rigidité des micro- aiguilles utilisées. Selon elle le dommage est dû à un aléa thérapeutique.

Sur le suivi thérapeutique immédiat elle avance d’une part, que l’expert a lui-même noté que la prescription d’antalgiques, d’anti-inflammatoires, voire d’antibiotiques n’aurait peut-être pas empêché les complications, d’autre part, que les recommandations en vigueur largement diffusées à tous les chirurgiens-dentistes par la sécurité sociale et les organismes de formation continue depuis 2002 sont de ne pas abuser de prescriptions antibiotiques en l’absence de tout processus infectieux avéré, ce qui était le cas lors de l’intervention endodontique de Mme Z, que les recommandations les plus récentes, de 2011, sont de plus en plus restrictives pour la prescription d’antibiotiques, celle-ci ne devant plus être systématique en cas de traitement de dent nécrosée ou même en cas de chirurgie péri-apicale et doit être réservée au traitement d’une infection avérée, ce qui n’était pas le cas de Mme Z.

Elle ajoute que les recommandations de 2001 rappellent que les traitements par anti-inflammatoires ne doivent pas être prescrits en première intention au cours des infections bucco-dentaires, qu’enfin la non prescription d’un antalgique doit être fortement relativisée puisqu’elle a recommandé d’emblée à Mme Z de recourir à du paracétamol en cas de douleurs et lui a indiqué qu’elle était disponible pour contrôler les suites éventuelles.

Elle affirme avoir pris des nouvelles de sa patiente, laquelle lui a dit avoir pris des antibiotiques délivrés par sa pharmacienne, n’a jamais jugé opportun de la consulter et a même refusé de venir à son cabinet, rompant ainsi volontairement le contrat de soins.

Sur le défaut d’information qui lui est reproché, elle affirme que l’information peut être orale, que les modalités de cette information qui ne sont pas précisées par l’article L.111-2 du code de la santé publique ne peuvent que se déduire des faits de l’espèce, que la complication présentée par Mme Z est très exceptionnelle, non prévue ni décrite comme un risque grave, en l’absence en général de retentissement majeur, qu’il y a lieu de confirmer le jugement qui a considéré qu’elle suivait Mme Z depuis 6 ans et que les modalités de l’intervention ont pu être discutées.

La Cpam demande dans ses conclusions du 15 juin 2015, infirmant le jugement, de :

— lui donner acte de ce qu’elle s’en rapporte à justice sur la responsabilité de l’accident médical dont Mme Z a été victime le 21 décembre 2009,

— pour le cas dans lesquels la cour retiendrait la responsabilité totale ou partielle de Mme C, condamner celle-ci à lui rembourser la somme de 840,33 € avec intérêts légaux à compter du jour de la demande jusqu’au jour du règlement,

— condamner Mme C à lui verser la somme de 280,11 € correspondant à l’indemnité forfaitaire due en application de l’article L. 376-1 du code de la vie sociale,

— réserver ses droits quant au remboursement de toutes les sommes par elle versées ou à verser,

— condamner Mme C aux dépens avec distraction.

La Mutuelle G assignée par Mme Z par acte d’huissier du 18 juin 2015, délivré à personne habilitée et contenant dénonce de l’appel n’a pas constitué avocat.

Par courrier du 11 septembre 2015 elle a fait connaître le montant de sa créance définitive soit 866,40 € au titre de prestations en nature.

La Sa Axa assignée par Mme Z par acte d’huissier du 17 juin 2015, délivré à personne habilitée contenant dénonce de l’appel n’a pas constitué avocat.

Par courrier du 8 décembre 2015 elle a indiqué que le contrat de santé conclu avec Mme Z qui avait pris effet le 1er janvier 2011 ne pouvait couvrir ces problèmes dentaires.

L’arrêt sera réputé contradictoire conformément aux dispositions de l’article 474 du code de procédure civile.

Motifs de la décision

Sur la responsabilité et ses incidences

Deux types de fautes sont reprochées à Mme C : un manquement aux règles de l’art en raison d’une part d’une maladresse dans le geste opératoire d’autre part d’une négligence dans le suivi thérapeutique et un manquement à l’obligation d’information.

Sur les données de l’expertise

L’expert X indique dans son rapport du 5 mai 2012, que :

— le 21 décembre 2009 Mme Z a consulté Mme C qui la suivait depuis six ans environ pour un soin sur la dent numéro 14,

— elle ne présentait aucune lésion infectieuse particulière lors de l’examen du praticien qui a vérifié l’état des gencives, de l’alvéole dentaire et des dents,

— les soins ont provoqué dès le début, malgré l’anesthésie locale, une douleur et un 'dème importants de la joue droite à la suite de l’injection d’un produit désinfectant au niveau dentaire,

— ils ont été immédiatement interrompus et Mme Z a quitté le cabinet sans traitement particulier,

— Mme Z a déclaré que Mme C lui aurait dit de prendre du paracétamol en cas de douleur, que la douleur aurait empiré toute la nuit, la conduisant à se rendre le 22 décembre 2009 aux urgences de la clinique Santa Maria Lenval ou le docteur O P lui aurait prescrit des antibiotiques,

— l''dème et la douleur empirant, Mme Z a consulté en urgence le service des urgences dentaires de l’hôpital Saint Roch le 28 décembre 2009 où est prescrit un antibiotique et où est réalisée le 30 décembre 2009 une ouverture de la chambre pulpaire de la dent numéro 14 avec drainage et antibiothérapie,

— elle a été adressée au service de chirurgie maxillo-faciale au CHU de Nice Pasteur où a été pratiqué le 4 janvier 2010 un drainage en urgence, le médecin constatant une cellulite faciale aiguë droite d’origine dentaire.

Il estime que :

— l’existence d’une douleur dentaire et d’un 'dème immédiat est anormale et aurait du justifier des soins particuliers de prescription avec anti inflammatoires et éventuellement antibiotiques à titre préventif ,

— cet 'dème inflammatoire puis infectieux s’est produit à cause d’une effraction ou d’une communication entre racine ou alvéole de la dent et la joue qui habituellement ne communiquent pas (pages 14 et 16),

— la patiente présentait a priori une nécrose pulpaire compte tenu de son état dentaire asymptomatique qui a pu être décompensée par l’introduction d’un instrument,

— l''dème douloureux a évolué vers une infection qui a provoqué des complications graves de cellulite faciale nécessitant un traitement chirurgical adapté (page 16),

— le risque de voir apparaître un problème infectieux est toujours la hantise des praticiens,

— le fait de ne prescrire aucun traitement médical peut être considéré comme une anomalie compte tenu de cette douleur et de l''dème important que la patiente a présenté (page 13),

— un traitement antibiotique avec surveillance aurait pu être instauré immédiatement,

— cette prescription n’aurait peut-être pas empêché les complications mais elle n’a pas été réalisée (page 14),

— dans cette mesure on peut dire qu’il y a eu imprudence et que le praticien a failli à son obligation de suivi immédiat (page 13).

Il explique dans sa réponse du 23 avril 2012 au dire annexée au rapport (pièce n° 7) que

— la patiente avait présentée un oedème d’apparition brusque après des manipulations et le bon sens faisait qu’une prescription médicale était indispensable

— l’apparition d’un oedème brusque douloureux inflammatoire lors d’un traitement canalaire signifie une effraction au niveau de l’alvéole ou de la gencive par une manipulation ; le lien direct entre la lésion et le geste semble évident ; pour produire un tel résultat il faut une effraction entre région dentaire et joue ; il n’y a aucun doute sur une fausse route provoquée par des manipulations thérapeutiques.

Il considère que

— les lésions constatées sont en relation directe et certaine avec les fautes

— il n’y a pas eu d’information préalable écrite et la patiente déclare ne pas avoir eu d’explication particulière par le praticien,

Sur le manquement aux règles de l’art

L’article L. 1142-1 du code de la santé publique indique que 'les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d’actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu’en cas de faute'.

En l’espèce, il ressort clairement du rapport de l’expert que Mme C a commis dans les soins qu’elle a dispensés à Mme Z, d’une part une maladresse technique dans le geste de traitement de la dent n° 14, par effraction ou communication entre la racine ou l’alvéole de la dent et la joue, ce qui a entraîné une oedème inflammatoire puis infectieux, d’autre part, un manquement dans le suivi des soins, en laissant Mme Z repartir de son cabinet, malgré la douleur et l’oedème importants, sans prescription d’anti-inflammatoires ni d’antibiotiques, peu important à cet égard qu’elle ait pu prendre le lendemain par téléphone des nouvelles de sa patiente et que celle-ci n’ait pas par la suite repris contact avec son cabinet.

Par ailleurs, les constatations et conclusions de l’expert ne sont pas utilement remises en cause par les documents médicaux communiqués par Mme C, étant précisé que le diagnostic pré-opéatoire n’a pas été critiqué, qu’il n’est pas établi, ainsi que l’avance Mme C, qui se borne sur ce point à une simple affirmation, que le type de matériel qu’elle a utilisé sur Mme Z rend impossible une perforation de la paroi radiculaire, qu’il n’est pas démontré, par le seul rapport critique du docteur A, que l’effraction ou la communication entre la racine ou l’alvéole de la dent et la joue est un événement inhérent à l’acte médical lui-même et qui ne peut être maîtrisé, n’étant pas au surplus mis en évidence une particularité anatomique de Mme Z pouvant expliquer cette atteinte.

Si le défaut de prescription a pu n’être à l’origine que d’une perte de chance d’échapper au risque infectieux qui s’est réalisé, tel n’est pas le cas de la faute technique qui a été à la cause certaine, directe et intégrale des dommages subis.

Mme C doit, en conséquence, être déclarée responsable des préjudices subis par Mme Z en application des dispositions susvisées et être condamnée à l’indemniser de son entier préjudice corporel

L’expert conclut comme suit à son évaluation :

— consolidation fixée au mois de juin 2010,

— perte de gains professionnels actuels : à évaluer par les différentes parties,

— dépenses de santé futures : correction de la dent numéro 14 qui en l’absence d’infection n’aurait pas été extraite,

— perte de gains professionnels futurs : n’est pas en rapport avec l’accident sauf si un retentissement psychologique est avéré,

— incidence professionnelle : à évaluer en fonction de l’état psychologique et psychiatrique,

— déficit fonctionnel temporaire : période d’hospitalisation et d’arrêt de travail en rapport avec le problème dentaire et la cellulite faciale,

— souffrances endurées : 3/7 pour cellulite faciale ayant nécessité plusieurs gestes chirurgicaux dont une intervention chirurgicale sous anesthésie générale et retentissement psychiatrique,

— préjudice esthétique temporaire : néant,

— déficit fonctionnel permanent : perte d’une dent qui pourra être restaurée par implant, la couronne de cet implant devrait être changée tous les 15 ans,

— préjudice d’agrément : non signalé,

— préjudice esthétique permanent : néant.

Son rapport constitue une base valable d’évaluation du préjudice corporel subi à déterminer au vu des diverses pièces justificatives produites, de l’âge de la victime (née le 6/09/1963), de son activité (agent d’accueil) de la date de consolidation, afin d’assurer sa réparation intégrale et en tenant compte, conformément aux articles 29 et 31 de la loi du 5 juillet 1985, de ce que le recours subrogatoire des tiers payeurs s’exerce poste par poste sur les seules indemnités qui réparent des préjudices qu’ils ont pris en charge, à l’exclusion de ceux à caractère personnel sauf s’ils ont effectivement et préalablement versé à la victime une prestation indemnisant de manière incontestable un tel chef de dommage.

Préjudices patrimoniaux

temporaires (avant consolidation)

— Dépenses de santé actuelles 1 177,73 €

Ce poste correspond aux frais médicaux et pharmaceutiques pris en charge par la Cpam soit la somme de 311,33 €, et ceux pris en charge par la Mutuelle G soit 866,40 €.

permanents (après consolidation)

— Dépenses de santé futures 3 270,86 €

Ce poste vise les frais médicaux et pharmaceutiques médicalement prévisibles, rendus nécessaires par l’état pathologique de la victime après la consolidation et incluent les frais liés soit à l’installation de prothèses soit à la pose d’appareillages spécifiques nécessaires afin de suppléer le handicap physiologique.

Il est constitué en l’espèce :

* des frais futurs dentaires prévus par la Cpam à hauteur de 529 € outre les frais futurs supplémentaires éventuels à réserver

* des frais dentaires à la charge personnelle de la victime d’un montant de 1 370,93 € selon devis du docteur D, outre un renouvellement à prévoir, dont la victime sollicite la prise en charge, soit au total 2 741,86 €.

Préjudices extra-patrimoniaux

temporaires (avant consolidation)

— Déficit fonctionnel temporaire 1 200 €

Ce poste inclut la perte de la qualité de la vie et des joies usuelles de l’existence et le préjudice d’agrément et le préjudice sexuel pendant l’incapacité temporaire.

Il doit être réparé sur la base d’environ 800 € par mois, eu égard à la nature des troubles et de la gêne subie soit 1 173,33 € (800 € x 44 jours : 30 jours) arrondis à 1 200 € pendant la période d’incapacité totale de 44 jours soit du 5 janvier au 15 janvier 2010, du 10 mars 2010 au 25 mars 2010, du 21 avril 2010 au 28 avril 2010, du 15 mai 2010 au 17 mai 2010 et le 8 juin 2010.

— Souffrances endurées 8 000 €

Ce poste prend en considération les souffrances physiques et psychiques et les troubles associés supportés par la victime en raison des douleurs, de l’hospitalisation, des examens et des soins ; évalué à 3,5/7 par l’expert, il justifie l’octroi d’une indemnité de 8 000 €.

permanents (après consolidation)

— Déficit fonctionnel permanent /

Ce poste de dommage vise à indemniser la réduction définitive du potentiel physique, psychosensoriel ou intellectuel résultant de l’atteinte anatomo-physiologique à laquelle s’ajoutent les phénomènes douloureux et les répercussions psychologiques et notamment le préjudice moral et les troubles dans les conditions d’existence (personnelles, familiale et sociales).

L’expert a prévu la pose d’un implant ; celle-ci aura pour objet de restaurer intégralement l’état dentaire antérieur à l’accident ; il n’est donc pas établi qu’après celle-ci persiste un déficit fonctionnel permanent ; la demande formulée de ce chef doit être rejetée.

Le préjudice corporel global subi par Mme Z s’établit ainsi à la somme de 13 648,59€ soit, après imputation des débours des deux tiers payeurs, une somme de

* 840,33 € revenant à la Cpam qui en application de l’article 1153 du code civil produira intérêts légaux à compter de la demande en justice soit le 18 mars 2014, date des conclusions contenant cette demande formulée devant le premier juge

* 11.941,86 € revenant à la victime, provisions non déduites qui, en application de l’article 1153-1 du code civil, porte intérêts au taux légal à compter du prononcé du présent arrêt soit le 17 mars 2016.

Aux termes de l’article L 376-1 du code de la sécurité sociale en contrepartie des frais qu’elle engage pour obtenir le remboursement des prestations mises à sa charge, la caisse d’assurance maladie à laquelle est affiliée la victime recouvre une indemnité forfaitaire de gestion, d’un montant en l’espèce de 280,11 €, à la charge du responsable au profit de l’organisme national d’assurance maladie, indemnité qui diffère tant par ses finalités, que par ses modalités d’application, des frais irrépétibles exposés non compris dans les dépens de l’instance.

Sur le manquement à l’obligation d’information

Le manquement à l’obligation d’information prévue par l’article L 1111-2 du code de la santé publique ne peut donner lieu qu’à l’indemnisation d’une perte de chance d’échapper à l’intervention et aux conséquences du risque qui s’est réalisé et notamment à une atteinte à son intégrité physique et correspond à une fraction seulement des différents chefs de préjudice corporel subis.

Mme Z ayant été indemnisée de son préjudice corporel intégral ne peut solliciter sur ce fondement une quelconque somme, sa demande à ce titre étant devenue sans objet.

En revanche, il résulte des articles 16, 16-3, alinéa 2, et 1382 du code civil que toute personne a le droit d’être informée, préalablement aux investigations, traitements ou actions de prévention proposés, des risques inhérents à ceux-ci et que son consentement doit être recueilli par le praticien, hors le cas où son état rend nécessaire une intervention thérapeutique à laquelle elle n’est pas à même de consentir, que le non-respect du devoir d’information qui en découle, cause à celui auquel l’information était légalement due, un préjudice moral, détaché des atteintes corporelles, résultant d’un défaut de préparation psychologique aux risques encourus et du ressentiment éprouvé à l’idée de ne pas avoir consenti à une atteinte à son intégrité corporelle.

Il incombe à Mme C de rapporter la preuve qu’elle a informé Mme Z du risque de complications notamment infectieuses au cours du traitement ; or elle ne démontre pas qu’elle a rempli cette obligation alors que le traitement n’a pas été effectué en urgence ; aucun document écrit signé de ce patient ne figure dans son dossier ; la circonstance que Mme Z ait été sa patiente depuis de nombreuses années et que l’intervention sur la dent numéro 14 ait été programmée ne sont pas suffisantes à cet égard, étant précisé que Mme Z était en état de recevoir cette information.

Mme C a ainsi commis une faute ayant occasionné à Mme Z un préjudice moral autonome qui, au regard des principes du respect de la dignité de la personne humaine et d’intégrité du corps humain, ne peut être laissé sans réparation et qu’il convient de d’évaluer, eu égard aux circonstances de la cause, à la somme de 2 000 €; elle doit en conséquence être condamnée à lui verser cette somme qui porte intérêts au taux légal à compter du prononcé du présent arrêt.

Sur les demandes annexes

Mme C qui succombe dans ses prétentions et qui est tenue à indemnisation supportera la charge des entiers dépens de première instance et d’appel avec application de l’article 699 du code de procédure civile.

L’équité commande d’allouer à Mme Z une indemnité globale de 3 000 € au titre des frais irrépétibles de première instance et d’appel et de rejeter la demande formulée au même titre par Mme C.

Par ces motifs

La Cour,

— Infirme le jugement,

Statuant à nouveau et y ajoutant,

— Dit que Mme E C a engagé sa responsabilité envers Madame I Z épouse Y et est tenue d’en réparer les conséquences dommageables,

— Fixe le préjudice corporel global de Madame I Z épouse Y à la somme de 13 648,59 €,

— Dit que l’indemnité revenant à cette victime s’établit à 11.941,86 € et à la caisse primaire d’assurance maladie des Alpes-Maritimes à 840,33 €,

— Condamne Mme E C à payer les sommes suivantes à :

— Mme I Z épouse Y :

* 11.941,86 €, sauf à déduire les provisions versées, avec intérêts au taux légal à compter du 17 mars 2016

* 3 000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

— la Caisse primaire d’assurance maladie des Alpes-Maritimes :

* 840,33 € au titre de ses débours avec les intérêts légaux à compter du 18 mars 2014,

* 280,11 € au titre de l’indemnité forfaitaire de frais de gestion,

— Réserve les frais futurs supplémentaires éventuels de la caisse primaire d’assurance maladie des Alpes-Maritimes,

— Condamne Mme E C à verser à Mme Z la somme de 2 000 € en réparation de son préjudice moral autonome résultant du défaut d’information, outre les intérêts légaux à compter de ce jour,

— Déboute Mme E C de sa demande au titre de ses propres frais irrépétibles exposés.

— Condamne Mme E C aux entiers dépens de première instance et d’appel qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l’article 699 du Code de procédure civile.

Le greffier Le président

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Cour d'appel d'Aix-en-Provence, 24 mars 2016, n° 15/04858