Cour d'appel d'Aix-en-Provence, Chambre 3-4, 24 février 2022, n° 19/17625

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Chronologie de l’affaire

Commentaire1

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www.avodire.fr · 6 avril 2022

Parmi les effets secondaires de la crise sanitaire sur les baux commerciaux, il a été imaginé un probable accroissement de la stipulation de loyers « binaires » (une part fixe et une part variable correspondant à un pourcentage du chiffre d'affaires), par nature mieux connectés à la réalité de l'activité du preneur. Cet arrêt de la Cour d'Appel d'Aix-en-Provence a le mérite d'attirer l'attention des rédacteurs de baux sur ce type de clause. En effet, la Cour de Cassation a eu l'occasion, par le passé, de préciser à plusieurs reprises que lorsque les parties à bail commercial …

 
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Sur la décision

Référence :
CA Aix-en-Provence, ch. 3-4, 24 févr. 2022, n° 19/17625
Juridiction : Cour d'appel d'Aix-en-Provence
Numéro(s) : 19/17625
Décision précédente : Tribunal de grande instance de Nice, 8 octobre 2019, N° 18/00034
Dispositif : Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours

Sur les parties

Texte intégral

COUR D’APPEL D’AIX-EN-PROVENCE

Chambre 3-4

ARRÊT AU FOND

DU 24 FEVRIER 2022

N° 2022/80

Rôle N° RG 19/17625 – N° Portalis DBVB-V-B7D-BFFRB

[…]


C/

SAS MONOPRIX EXPLOITATION


Copie exécutoire délivrée

le :

à :


Me ERMENEUX


Me BISTAGNE

Décision déférée à la Cour :


Jugement du Tribunal de Grande Instance de NICE en date du 09 Octobre 2019 enregistré au répertoire général sous le n° 18/00034.

APPELANTE

[…]

Prise en la personne de son représentant légal en exercice,


Dont le siège est sis […]

92867 ISSY-LES-MOULINEAUX CEDEX

représentée par Me Agnès ERMENEUX de la SCP ERMENEUX-CAUCHI & ASSOCIES, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE

INTIMEE

SAS MONOPRIX EXPLOITATION,


Dont le siège est sis […]

représentée par Me Jacques BISTAGNE, avocat au barreau de MARSEILLE *-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR


L’affaire a été débattue le 18 Janvier 2022 en audience publique. Conformément à l’article 804 du code de procédure civile, Madame Françoise FILLIOUX,, Coneiller, a fait un rapport oral de l’affaire à l’audience avant les plaidoiries.


La Cour était composée de :

Madame Laure BOURREL, Président

Madame Françoise FILLIOUX, Conseiller

Madame Florence ALQUIE-VUILLOZ, Conseiller

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : Mme Rime GHORZI.


Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 24 Février 2022.

ARRÊT


Contradictoire,


Prononcé par mise à disposition au greffe le 24 Février 2022,


Signé par Madame Laure BOURREL, Président et Mme Rime GHORZI, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

******

FAITS, PRÉTENTIONS DES PARTIES ET PROCÉDURE :


Suivant acte du 26 avril 1966, la SCI Nice Cimiez a donné à bail commercial à la société des supermarchés de la Méditerranée, aux droits de laquelle est venue la SAS Monoprix Exploitation, des locaux situés […] à Nice pour une durée de 25ans et pour un usage exclusif de 'magasin de vente d’articles multiples et d’alimentation correspondant aux normes de l’exploitation des magasins populaires actuels type Prisunic ou des magasins type supermarché ou encore magasins de type grands magasins'.


Par avenant en date du 8 mars 1979, les parties ont convenu que le loyer, à compter du 1er janvier 1978, serait fixé suivant deux composantes, dont l’une en fonction du chiffre d’affaires réalisé par le preneur.


Par acte du 30 juin 2003, le bail a été renouvelé pour une durée de 12 ans à compter du 1er avril 2003, moyennant un loyer annuel fixé à la somme de 247 623,30euros par an hors taxe et hors charges.


Le 24 mars 2015, la SAS Monoprix Exploitation a sollicité le renouvellement du bail à compter du 1er avril 2015 pour une durée de 12 ans.
Le 23 juin 2015, la SCI Nice Cimiez a accepté le principe du renouvellement à compter du 1er avril 2015 avec un loyer fixé à la somme de 800 000euros par an.


Par acte du 18 octobre 2018, précédé d’un mémoire du 29 mars 2017, la SCI Nice Cimiez a fait assigner devant le juge des loyers commerciaux du Tribunal de grande instance de Nice la SAS Monoprix Exploitation.


Par jugement contradictoire du 9 octobre 2019, le juge des loyers du Tribunal de Grande instance de Nice a


-Dit que le moyen de défense soulevé par la SAS Monoprix Exploitation tiré du défaut de pouvoir juridictionnel du juge des loyers commerciaux en matière de loyer binaire n’est pas une exception de compétence mais une fin de non recevoir pouvant en application de l’article 123 du code de procédure civile être soulevée en tout état de cause,


- Déclaré cette fin de non recevoir recevable en l’espèce, le principe de l’estoppel ne pouvant trouver matière à s’appliquer,


- Vu l’avenant au bail du 30 juin 2003 et le loyer binaire stipulé,


- Vu l’absence de clause du dit avenant relative à un recours au juge pour fixer le loyer du renouvellement,


- Déclare irrecevable la demande judiciaire de fixation du loyer sur renouvellement au 1er avril 2015 formé par la SCI Nice Cimiez et la condamne aux entiers dépens.


Le juge a retenu que le loyer binaire à double composante, l’une fixe correspondant à un loyer de base garanti et l’autre variable correspondant à un pourcentage du chiffre d’affaire du locataire, n’interdit pas de recourir au juge des loyers commerciaux pour évaluer le nouveau loyer garanti à la valeur locative lors du renouvellement lorsqu’une clause en ce sens est prévue au contrat, que l’avenant du 30 juin 2003 fixe un loyer binaire mais que le contrat ne contient aucune disposition relative au recours au juge lors du renouvellement pour fixer le loyer minimum à la valeur locative et le recours pour les périodes antérieures au juge des loyers est insuffisant pour justifier d’un accord sur le recours au juge.


Le 19 novembre 2019, la SCI Nice Cimiez a interjeté régulièrement appel de ce jugement.


Dans ses conclusions déposées et notifiées le 31 décembre 2021 la SCI Nice Cimiez demande à la Cour de :


Vu les articles 16,31 et 122 du code de procédure civile,


Vu la règle de l’estoppel,


Vu le principe selon lequel 'nul ne peut se contredire au détriment d’autrui',


Vu l’article 1134 ancien du code civil,


Juger recevable et bien fondée la SCI Nice Cimiez en son appel du jugement rendu par le juge

des loyers près le Tribunal de grande instance de Nice le 9 octobre 2019,


Y faisant droit,
Infirmer ledit jugement en ce qu’il a déclaré irrecevable la demande judiciaire de fixation du

loyer sur renouvellement au 1er avril 2015, formée par la […],


Débouter la SAS Monoprix Exploitation de l’ensemble de ses moyens, fins et prétentions,

Statuant à nouveau,


Juger recevable la SCI Nice Cimiez en sa demande de fixation par le juge des loyers de la partie fixe du loyer binaire du bail la liant à la SAS Monoprix Exploitation,


Juger irrecevable la société Monoprix Exploitation en son exception d’incompétence du juge

des loyers,


En toute hypothèse, juger que la convention des parties a attribué compétence au juge des loyers pour fixer le loyer du bail renouvelé,


Juger, en application des dispositions des articles L.145-33, L.145-34 et R.145-3 à R 145-8 du

code de commerce, qu’eu égard à la durée effective du bail expiré, le loyer de renouvellement dû par la Société Monoprix Exploitation à la SCI Nice Cimiez, au 1er avril 2015sera fixé à la valeur locative.


En conséquence, fixer le loyer du renouvellement à un montant annuel de 635.000 € hors taxes et hors charges.


Juger que les compléments de loyers arriérés produiront intérêts au taux légal à compter de la date d’effet du renouvellement, puis de chaque échéance, conformément aux dispositions de l’article 1155 du code civil.

A titre subsidiaire,


Désigner tel expert qu’il plaira à la Cour, avec pour mission de donner son avis sur la valeur locative, telle qu’elle résulte, à la date considérée, des éléments énoncés par les articles R.145-3 à R.145-8 du Code de commerce.


Dans ce cas, fixer le loyer provisionnel au montant du loyer du bail expiré, pendant la durée de la procédure.


Condamner la SAS Monoprix Exploitation aux entiers dépens de l’instance et autoriser, pour

ceux la concernant, la SCP Ermeneux ' Cauchi & Associes à en poursuivre le recouvrement

direct, sur le fondement de l’article 699 du Code de Procédure civile.


Condamner la SAS Monoprix Exploitation au paiement de la somme de 5 000euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.


Elle soutient que le premier juge prive incontestablement la SCI Nice Cimiez de son droit, garanti par la CSDHL, de voir sa cause examinée par un tribunal indépendant et impartial que la position adoptée par le juge des loyers près le Tribunal judiciaire de Nice, quand bien même elle se trouverait «conforme» à un arrêt de la 3ème chambre civile prononcé il y a près de 30 ans, prive incontestablement la SCI Nice Cimiez de tout accès à la saisine d’un tribunal, puisque son action est jugée irrecevable que la « norme jurisprudentielle » invoquée avec force par la SAS Monoprix Exploitation, issue de la jurisprudence dite « Théâtre Saint Georges » est elle-même soumise au contrôle de conventionnalité, que cette règle de droit interne s’avère non conforme à un droit garanti par la Convention, à savoir permettre l’accès à un tribunal indépendant et impartial.


Elle fait valoir l’existence d’une fin de non-recevoir tirée de la seule circonstance qu’une partie se contredise au détriment d’autrui et que la SAS Monoprix Distribution devra être jugée irrecevable en son exception d’incompétence, en raison de la volonté commune des parties au contrat de bail de soumettre la fixation du loyer renouvelé à la compétence du juge des loyers et qu’en raison de la modification radicale de sa position au cours des débats judiciaires, le preneur demandant dans son premier mémoire la fixation du loyer à 545.000 euros avant de soulever l’incompétence du juge du loyer, elle se contredit au détriment de la concluante.


En effet, elle souligne que lors du renouvellement du bail à effet du 1er avril 1991,les parties ont soumis leur différend relatif au quantum du loyer, à la compétence du juge des loyers du Tribunal de grande instance de Nice et qu’il résulte dès lors bien de la convention des parties que la compétence a été attribuée au juge des loyers pour déterminer le loyer fixe du bail.


Par conclusions du 29 décembre 2021, la société SAS Monoprix exploitation demande à la Cour de :


Confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,


Confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a retenu la possibilité utilisée par la SAS Monoprix Exploitation d’opposer une fin de non recevoir à l’action du bailleur,


Confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a rejeté la théorie de l’Estoppel invoquée par le SCI Nice Cimiez et a déclaré recevable la fin de non recevoir soulevée par la SAS Monoprix Exploitation sur le fondement de l’article 123 du code de procédure civile,


Confirmer que la demande judiciaire formée par la SCI Nice Cimiez de fixation du loyer au 1er avril 2015 est irrecevable,


Confirmer qu’aucune clause de l’avenant au bail du 30 juin 2003 ne permet d’intenter une action devant le juge des loyers commerciaux pour fixer le montant du loyer sur le renouvellement,


Confirmer que le juge des loyers commerciaux n’a pas été valablement saisi sur la base des avenants du bail liant les parties,


Débouter la SCI Nice Cimiez de sa demande tendant à prouver en substance que l’impossibilité résultant pour elle de la jurisprudence actuelle d’obtenir la fixation du loyer à la valeur locative porterait atteinte injustifiée à son droit d’accès au tribunal fondé sur l’article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950,


A titre subsidiaire si par extraordinaire la Cour ne reconnaissait pas le caractère binaire du bail et de ce fait, rejette la fin de non recevoir opposée à l’action du bailleur :


Dire que la révision du prix du loyer ne pourra être supérieure à 8% et que le loyer annuel ne pourra être inférieur à un montant correspondant à 1,50% du chiffre d’affaires hors taxes réalisé dans les locaux loués entre le 1er janvier et le 31 décembre de chaque année,


Donner acte à la SAS Monoprix Exploitation de ce qu’elle demande à ce que le loyer annuel soit fixé à la somme de 545 000euros à compter du 1er avril 2015,


Dire et juger que l’article L145-34 du code de commerce s’applique au bail liant les parties,
Rejeter la demande de la SCI Nice Cimiez sur la capitalisation des intérêts,


Condamner la SCI Nice Cimiez à lui payer la somme de 5 000euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens avec distraction au profit de Maître Bistagne.


Elle soutient qu’échappe aux dispositions du décret de 1953 et n’est régie que par la convention des parties, la fixation du loyer du bail commercial stipulant un prix constitué d’une redevance correspondant à un pourcentage des recettes et d’un loyer minimum, que les parties ont conclu un bail qui échappe à la révision légale découlant des articles L145-38 et 39 du code de commerce en application des dispositions de l’arrêt de la Cour de Cassation du 10 mars 1993 du 'Théâtre Saint Georges', qui a depuis toujours confirmé cette jurisprudence.


Sur la théorie de l’estoppel, elle fait valoir que les défenses au fond peuvent être invoquées en tout état de cause sans que la théorie de l’estoppel ne puisse être opposée au défendeur, que les prétentions de la locataire ont toujours été les mêmes à savoir bénéficier d’un loyer minimum.


Sur le caractère binaire du loyer, elle indique que dès 1966, le bail indique que la variation annuelle du loyer ne pouvait être supérieure à 8% et que le loyer annuel ne pouvait être inférieur à un montant correspondant à 1,5% du chiffre d’affaires, que cette clause est visée dans tous les avenants antérieurs à celui du 30 juin 2003, que l’avenant du 30 juin 2003 précise que le loyer annuel sera de 580 000francs et que la variation annuelle résultant du jeu de l’indexation ne peut être supérieure à 8% et que le loyer annuel ne pourra être inférieur à un montant correspondant à 1,5% du chiffre d’affaires hors taxes réalisé dans les locaux loués entre le 1er janvier et le 31 décembre de chaque année, que l’avenant du 21 juillet 1998 indique ' le bailleur considère qu’il loue les locaux sur le principe d’un loyer binaire … et qu’il ne s’agit pas d’un loyer plancher,' que le seul fait d’avoir saisi le juge en 1996 n’a pas crée une novation.


Elle soutient que la demande en fixation d’un loyer binaire devant le juge des loyers est recevable mais qu’elle doit être rejetée, de sorte que le droit de saisir le juge existe mais cette demande est mal fondée.


Pour plus ample exposé, la cour renvoie aux écritures déposées par les parties.


L’ordonnance de clôture est intervenue le 4 janvier 2022.

Motifs :

Sur le loyer binaire


Les parties sont en l’état d’un bail initial du 26 avril 1966 qui prévoit un loyer indexé sur l’indice du coût de la construction de 301 946 francs qui a fait l’objet de nombreux renouvellement dont un dernier en date du 30 juin 2003 avec effet à compter du 1er avril 2003 qui précise que ' par avenant du 11 janvier 2001, le montant du loyer minimum garanti annuel hors charge et hors taxes a été arrêté à la somme de 1 500 000 francs (226 673,53euros ) à compter du 9 octobre 2000… le loyer annuel ne peut être inférieur à un montant correspondant à 1,50% du chiffre d’affaires hors taxes réalisé dans les locaux entre le 1er janvier et le 31 décembre de chaque année…'


La stipulation selon laquelle le loyer d’un bail commercial est composé d’un loyer minimum et d’un loyer variable calculé sur la base d’un pourcentage du chiffre d’affaires constitue un loyer binaire. Une telle disposition n’interdit nullement de recourir au juge des loyers pour fixer lors

du renouvellement le minimum garanti en fonction de la valeur locative, à la condition expresse que le contrat comporte une clause qui prévoyait ce recours. En effet, l’existence d’un loyer binaire entraîne une incompatibilité avec les règles statutaires relatives aux baux commerciaux, puisque le loyer ainsi fixé échappe aux critères de l’article L 145-33 du code de commerce et se fonde sur des éléments étrangers aux dits critères légaux. Par une telle clause, les parties ont volontairement opter pour un statut qui a pour effet d’exclure l’application des mécanismes de contrôle du loyer par le juge des loyers.


En l’espèce, le recours par les parties à un loyer composé d’une partie fixe et d’un supplément variable en fonction du chiffre d’affaires interdit de soumettre le loyer lors du renouvellement au juge des loyers commerciaux en l’absence dans la convention de clause permettant la saisine du juge des loyers commerciaux lors du renouvellement.

Sur l’article 6 de la CSDHL :


La SCI Nice Cimiez soutient que l’application de telles dispositions ne serait pas conventionnelle au regard des dispositions de l’article 6 §1 de la Convention de Sauvegarde des droits de l’homme et des libertés (CSDHL) qui énonce 'Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera soit des contestations sur ses droits et obligations au caractère civil' puisqu’elles la priveraient de son droit de voir sa cause examinée par un tribunal indépendant et impartial.


Il est acquis et constant que l’article 6 §1 de la Convention de Sauvegarde des droits de l’homme et des libertés (CSDHL) reconnaît un droit reconnu d’accès à la justice et que s’il peut souffrir des limitations, elles ne doivent pas porter une atteinte excessive ou disproportionnée à ce droit d’accès en restreignant ' de manière ou à un point tel que son droit à un tribunal s’en trouve atteint dans sa substance même, et elles ne se concilient avec l’article 6§1 de la CSDHL que si elles tendent à un but légitime et s’il existe un rapport raisonnable entre les moyens employés et le but visé'. Ainsi, la réglementation nationale ou son application ne doit pas empêcher le justiciable d’utiliser une voie de recours disponible.


Toutefois, les règles de procédure civile peuvent apporter des limitations à la saisine des juridictions et il convient de procéder à une appréciation à la lumière des particularités de chaque procédure afin éviter un excès de formalisme qui porterait atteinte à l’équité mais également une souplesse excessive qui aboutirait à supprimer les conditions de compétence établies par la loi nationale et la jurisprudence.


En l’espèce, les règles appliquées n’ont pas porté atteinte au droit d’accès à un tribunal de la société Cimiez, qui a pu saisir le juge des loyers qui s’est déclarer incompétent de manière convaincante et raisonnable au regard des limitations du droit national applicable. Le simple fait que sa demande a été examinée démontre qu’elle a disposé d’un droit d’accès.


En effet, le droit d’accès aux tribunaux ne peut s’analyser en un droit absolu d’accès à toutes juridictions mais doit s’apprécier au regard des règles de compétences propres à chaque juridiction. L’irrecevabilité de sa demande constatée par le juge ne permet pas de conclure à la violation de son droit d’accès. Le simple fait que sa demande soit jugée irrecevable n’équivaut pas ipso facto une entrave injustifiée au droit d’accès à un tribunal du moment que ses prétentions ont été dûment examinées et discuter devant ce tribunal. Les limitations de compétence du juge des loyers poursuivent des buts légitimes qui se rattachent aux principes de la bonne administration de la justice et de la sécurité juridique.


De surcroît, la fixation du loyer binaire échappe aux dispositions du décret de 1953 et n’est régie que par la convention des parties. Mais cette règle jurisprudentielle, qui entrave le recours au juge des loyers, peut être aisément éludée par les parties en prévoyant par une convention qu’elles acceptent de soumettre la fixation du loyer lors du renouvellement aux dispositions de l’article L 145-33 du code de commerce et bénéficié dès lors d’un accès au juge des loyers commerciaux.
Enfin, l’interprétation contestée des règles de compétence ne porte pas atteinte au droit d’accès à un tribunal dans sa substance puisque les parties peuvent valablement soumettre leur contentieux au tribunal judiciaire en cas de litige concernant l’exécution du contrat qui statuera selon les principes de droit interne relatif aux contrats . Seul l’accès à la juridiction particulière que constitue le juge des loyers commerciaux est restreint eu égard aux compétences limitées de ce juge dont le rôle se réduit à la fixation du loyer du bail renouvelé et au fait que les parties ont volontairement opté pour un statuant excluant ce recours particulier . Les parties et notamment la SCI Nice Cimiez peuvent saisir le juge judiciaire du tribunal civil qui reste le seul juge compétent pour apprécier le contrat et connaître toutes contestations relatives aux droits et obligations de caractère civil . La SCI Nice Cimiez bénéficie bien d’une autre voie de recours judiciaire effective et disponible permettant de revendiquer ses droits concernant ce contrat devant un tribunal indépendant et impartial et de voir son litige tranché au fond par la juridiction compétente .


Ainsi la décision de première instance excluant le recours à un juge des loyers commerciaux ne porte pas atteinte au droit d’accès à un tribunal consacré par l’article 6 de la CSDHL .

Sur la théorie de l’estoppel


La SCI Nice Cimiez, en application du principe selon lequel une partie ne peut se contredit au détriment d’autrui , soutient que la position adoptée par la SAS Monoprix Exploitation est de nature à rendre irrecevable la fin de non recevoir soulevée pour défaut de pouvoir juridictionnel du juge des loyers en ce qu’elle a admis la compétence du juge des loyers dans un premier jeu de conclusions pour modifier sa position au cours des débats .


Toutefois, en application des dispositions de l’article 563 du code de procédure civil , les parties peuvent invoquer en tout état de cause pour justifier leurs prétentions soumises au premier juge des moyens nouveaux en cause d’appel , sans que la théorie de l’estoppel puisse leur être opposée.


La société Monoprix, qui avait dans un premier mémoire déposé le 30 novembre 2018, a admis la compétence du juge des loyers pour fixer le prix du bail renouvelé, a dès le 11 avril 2019 notifié un second mémoire aux termes duquel elle a conclu à son absence de pouvoir juridictionnel au motif que le loyer litigieux était un loyer binaire. S’agissant d’une fin de non recevoir, elle peut être soulevée en tout état de cause, dans un mémoire contradictoire qui a été librement débattu par les parties et la théorie de l’Estoppel ne peut lui être opposée.


Il convient de confirmer le jugement de première instance à ce titre

Sur la renonciation des parties :


La SCI Nice Cimiez soutient que les parties ont conventionnellement décidé de donner compétence au juge des loyers pour déterminer la partie fixe du loyer du bail renouvelé ainsi que cela résulterait de leur comportement qui nonobstant un loyer binaire, a donné compétence au juge des loyers pour fixer le loyer au 1er avril 1991.


Toutefois, si tous les justiciables peuvent renoncer à invoquer une fin de non recevoir, ce n’est qu’à la condition que cette renonciation soit libre, licite et sans équivoque. La fixation d’un loyer de structure binaire ne fait pas obstacle au recours à un juge des loyers commerciaux pour fixer la minimum garanti à la valeur locative à la condition que les parties l’acceptent expressément.


En l’espèce, le recours lors de la procédure ayant donné lieu au jugement du 7 juin 1996 au juge des loyers commerciaux pour fixer le loyer du bail renouvelé est insuffisant pour s’analyser en une renonciation claire et sans équivoque aux règles de compétence des juridictions et comme une volonté de soumettre tous les litiges à venir relatif au loyer du bail renouvelé au juge des loyers commerciaux alors que dans le bail initial du 1966, il était indiqué que les parties 'pour fixer le loyer désigneront le Président de la chambre syndicale des administrateurs de biens ou à défaut le bâtonnier de l’ordre des avocats qui désignera un expert ' et dans l’avenant du 21 juillet 1998 ' le bailleur considère toujours qu’il loue les locaux sur le principe d’un loyer binaire qu’il rappelle… Il ne s’agit pas d’un loyer plancher '. Les parties ont ainsi affirmé dès l’avenant du 11 janvier 2001 que le bailleur ' s’engage à ne pas invoquer la variation du loyer minimum garanti en cours de bail pour demander le déplafonnement en fin de bail et dans le cadre du renouvellement ' principe confirmé par avenant du 21 juillet 1998 démontrant que les parties ont entendu abandonner les principes régissant le statut des baux commerciaux et notamment la règle du déplafonnement du loyer.


Il convient de confirmer le jugement de première instance.


Il n’y a pas lieu de faire application de l’article 700 du code de procédure civile à l’une quelconque des parties ni pour la procédure de première instance ni pour celle d’appel.

PAR CES MOTIFS

LA COUR statuant par arrêt contradictoire :


Confirme le jugement déféré en toutes ces dispositions,


Y ajoutant :


Condamne la SCI Nice Cimiez aux dépens d’appel.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT
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