Cour d'appel de Caen, 2ème chambre civile, 14 janvier 2021, n° 18/01025

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Chronologie de l’affaire

Commentaire1

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Cabinet Neu-Janicki · 25 avril 2021

Dés lors qu'aucune stipulation expresse ne les met à la charge du locataire, les travaux de mise aux normes prescrits par la commission de sécurité sont en conséquence à la charge du bailleur qui doit indemniser le locataire de sa perte d'exploitation pour la période de fermeture administrative. C'est en vain que le bailleur soutient que les travaux de mise en conformité aux normes de sécurité incendie sont à la charge du preneur. Il ne peut invoquer la clause de prise de possession des lieux en l'état, ni la clause mettant à la charge du preneur toutes réparations. En effet, aucune …

 
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Sur la décision

Référence :
CA Caen, 2e ch. civ., 14 janv. 2021, n° 18/01025
Juridiction : Cour d'appel de Caen
Numéro(s) : 18/01025
Décision précédente : Tribunal de grande instance de Lisieux, 3 mai 2017, N° 17/00234
Dispositif : Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours

Sur les parties

Texte intégral

AFFAIRE : N° RG 18/01025 -

N° Portalis DBVC-V-B7C-GBTQ

Code Aff. :

ARRÊT N° JB.

ORIGINE : DECISION du Tribunal de Grande Instance de LISIEUX en date du 04 Mai 2017 -

RG n° 17/00234

COUR D’APPEL DE CAEN

DEUXIEME CHAMBRE CIVILE ET COMMERCIALE

ARRÊT DU 14 JANVIER 2021

APPELANT :

Monsieur E J K Y

né le […] à […]

[…]

[…]

représenté par Me Véronique V, avocat au barreau de LISIEUX,

assisté de Me Marie-Pierre NOUAUD, avocat au barreau de ROUEN

INTIMEE :

S.A.R.L. L’ILLUSION

N° SIRET : 527 817 126

[…]

[…]

prise en la personne de son représentant légal

représentée par Me H-Michel DELCOURT, avocat au barreau de CAEN

assistée de la SELAFA CHEVALIER-CASSAGNE-SALABERT-BESSE, avocat au barreau de PARIS,

C D :

Mademoiselle L M-Y représentée par M. E Y, son représentant légal, ayant-droit de Mme G Y

née le […] à […]

[…]

[…]

Monsieur N Y-O représenté par M. E Y, son représentant légal, ayant-droit de Mme G Y

né le […] à […]

[…]

[…]

Mademoiselle P Y-O représentée par M. E Y, son représentant légal, ayant-droit de Mme G Y

née le […]

[…]

[…]

représentés de Me Véronique V, avocat au barreau de LISIEUX,

assistés de Me Marie-Pierre NOUAUD, avocat au barreau de ROUEN

DEBATS : A l’audience publique du 05 novembre 2020, sans opposition du ou des avocats, Mme DELAHAYE, Président de Chambre, a entendu seule les plaidoiries et en a rendu compte à la cour dans son délibéré

GREFFIER : Mme LE GALL, greffier

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :

Mme DELAHAYE, Président de Chambre,

Mme GOUARIN, Conseiller,

Mme COURTADE, Conseillère,

ARRÊT prononcé publiquement le 14 janvier 2021 à 14h00 par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinea de l’article 450 du code de procédure civile et signé par Mme DELAHAYE, président, et Mme LE GALL, greffier

* * *

EXPOSE DU LITIGE

Suivant acte sous seing privé non daté, M. X, aux droits duquel se trouvent M. et Mme Y, a donné à bail commercial à la SARL H I, aux droits de laquelle vient la SARL l’Illusion, des locaux situés au […] à Trouville-sur-Mer pour une durée de 9 ans à compter du 1er février 2005 et moyennant un loyer annuel de 18.120 euros payable trimestriellement.

Par acte d’huissier du 9 juillet 2013, M. et Mme Y ont fait délivrer à la SARL l’Illusion un congé offrant le renouvellement du bail à compter du 1er février 2014 moyennant un loyer annuel

principal de 55.000 euros.

Par jugement rendu le 13 juillet 2016, estimant qu’il n’y avait pas de motif de déplafonnement, le juge des loyers commerciaux a débouté M. et Mme Y de leur demande de fixation du loyer du bail renouvelé à la somme de 55.000 euros.

A la suite du contrôle effectué le 8 septembre 2016 par la commission de sécurité, un diagnostic a été établi par l’Apave le 17 octobre 2016, lequel a mis en évidence l’existence de non-conformités des locaux loués au regard de la réglementation sécurité incendie.

Par lettre du 25 octobre 2016, la SARL l’Illusion a adressé aux bailleurs la copie du rapport de l’Apave et les a mis en demeure de procéder aux travaux de mise aux normes des locaux loués.

Le 2 décembre 2016, la commission de sécurité de l’arrondissement de Lisieux a émis un avis défavorable à la poursuite de l’exploitation qui a conduit la mairie de Trouville-sur-Mer à prendre, le 9 décembre 2016, un arrêté de fermeture de l’établissement notifié au preneur le 20 décembre 2016.

Par acte d’huissier du 26 décembre 2016, M. et Mme Y ont fait délivrer à la SARL l’Illusion une assignation en résiliation du bail, instance toujours pendante devant le tribunal de grande instance de Lisieux.

Par acte d’huissier du 21 février 2017, la SARL l’Illusion a fait assigner M. et Mme Y à jour fixe afin d’obtenir principalement la réalisation de travaux, la suspension des loyers et le prononcé d’une expertise afin de chiffrer leur préjudice.

Par jugement rendu le 4 mai 2017, assorti de l’exécution provisoire, le tribunal de grande instance de Lisieux a :

— condamné solidairement M. et Mme Y à faire réaliser les travaux destinés à remédier aux non-conformités relevées par l’Apave dans son rapport du 17 octobre 2016 et visées par la commission de sécurité dans son avis du 2 décembre 2016, en matière d’établissement recevant du public de 5e catégorie et donc à réaliser l’isolement de degré coupe-feu 1 heure de plancher haut de la cuisine et de la salle de restaurant et l’isolement coupe-feu 1h des poutrelles et poteaux métalliques de la réserve au sous-sol après renforcement de ces dernières, tels que préconisés, toutes préconisations ressortant du rapport de M. Z en date du 24 janvier 2017, ce dans un délai de trois mois à compter de la signification du jugement et sous astreinte de 500 euros par jour de retard passé ce délai ;

— autorisé la SARL L’Illusion à suspendre le paiement des loyers et des charges dus à M. et Mme Y jusqu’à l’autorisation administrative de réouverture de l’établissement ;

— condamné solidairement M. et Mme Y à verser à la SARL L’Illusion la somme de 10.000 euros à titre de provision à valoir sur les dommages et intérêts auxquels elle pourra prétendre en réparation du préjudice subi ;

— avant-dire droit ordonné une expertise sur la liquidation du préjudice de la SARL l’Illusion ;

— condamné solidairement M. et Mme Y à payer à la SARL L’Illusion la somme de 2.000 euros au titre des frais irrépétibles et aux dépens, avec le bénéfice de la distraction.

Par déclaration reçue le 24 mai 2017, M. et Mme Y ont interjeté appel de cette décision.

Mme Y est décédée le […], laissant pour lui succéder son époux, M. Y E et ses enfants, Mme Q-Y L, M. Y-O N et Mme

Y-O P.

Par ordonnance rendue le 20 décembre 2017, le conseiller chargé de la mise en état a ordonné la radiation du rôle de l’affaire sur le fondement des dispositions de l’article 526 du code de procédure civile.

L’affaire a été réinscrite après justification de l’exécution de la décision attaquée.

Par dernières conclusions reçues le 26 octobre 2020, M. Y E, M. Y-O N et Mme Y-O P, représentés par leur père, M. Y E et Mme Q-Y L demandent à la cour de :

— infirmer la décision du tribunal de grande instance ;

Statuant à nouveau

— juger que les travaux de mise en conformité prescrits sont à la charge du preneur ;

— condamner la société l’Illusion à leur verser la somme de 29.322,07 euros TTC ;

— la débouter de sa demande de suspension du paiement des loyers et des charges ;

— la condamner au paiement des loyers et charges impayés depuis le 4 mai 2017 jusqu’à la cession du 8 janvier 2018 ;

— débouter la société l’Illusion de sa demande d’expertise et de sa demande de provision ;

— condamner la société l’Illusion aux frais d’expertise déjà engagés ;

— ordonner la restitution de la consignation versée par les époux Y ;

A titre subsidiaire

— dire que la responsabilité de la société l’Illusion est engagée au titre des travaux exécutés dans la cuisine ;

— débouter la société l’Illusion de sa demande d’indemnisation au titre du préjudice lié à la fermeture de l’établissement ;

— en tout état de cause, ordonner que le démontage et l’éventuelle remise en place des panneaux seront laissés à la charge de la SARL l’Illusion pour la somme de 2.400 euros ;

En toute hypothèse

— constater que la demande de la société l’Illusion à hauteur de 176.756,22 euros est une demande nouvelle devant la cour ;

— débouter la société l’Illusion de sa demande d’évocation et dire n’y avoir lieu à évocation ;

— à titre subsidiaire, débouter la société l’Illusion de cette demande ;

— à titre plus subsidiaire, débouter la société l’Illusion de toute demande de dommages et intérêts pour la période comprise entre le 1er juillet et le 20 octobre 2017 ;

— débouter la société l’Illusion de sa demande à hauteur de la somme de 2.018,45 euros au titre de l’indemnité de rupture du contrat de travail de Mme A ;

— débouter la société l’Illusion de sa demande au titre de la rémunération de M. B à hauteur de 14.480,96 euros ;

— débouter la société l’Illusion de sa demande de remboursement de la taxe foncière 2017 pour 1.679,13 euros ;

En tout état de cause

— condamner la SARL l’Illusion à leur verser la somme de 8.516,50 euros au titre des frais irrépétibles exposés en première instance et en appel ;

— condamner la SARL L’Illusion aux dépens de première instance et d’appel ;

— autoriser la SCP S T U V à en poursuivre le recouvrement conformément à l’article 699 du code de procédure civile.

Par dernières conclusions reçues le 6 octobre 2020, la SARL l’Illusion demande à la cour de :

— déclarer les demandes irrecevables et en tout état de cause mal fondées ;

— débouter les consorts Y de leurs demandes ;

A titre subsidiaire

— confirmer le jugement entrepris dans toutes ses dispositions ;

— débouter les consorts Y de leurs demandes ;

Y ajoutant

— condamner les consorts Y à lui verser la somme de 168.774,67 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi, outre les intérêts au taux légal à compter de l’arrêt ;

— les condamner solidairement à lui verser la somme de 6.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

— condamner solidairement M. et Mme Y aux dépens en ce compris les frais d’expertise, dont recouvrement au profit de Me Delcourt.

En application des dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, il convient de se reporter aux dernières conclusions des parties pour l’exposé des moyens de celles-ci.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 28 octobre 2020.

MOTIFS

La recevabilité de l’intervention volontaire des ayants droit de Mme Y, décédée en cours d’instance, n’est pas contestée.

Sur la fin de non-recevoir tirée du défaut de qualité à agir de la SARL l’Illusion

Les appelants font valoir que par acte du 8 janvier 2018, la SARL l’Illusion a cédé son fonds de commerce à la société Piam Cook et qu’elle est désormais dépourvue du droit d’agir en application de la clause contractuelle claire et non équivoque relative à la subrogation.

Aux termes de l’acte de cession du fonds, le cédant a fait état de l’instance pendante devant la cour d’appel de Caen sur appel du jugement le 4 mai 2017 et déclaré faire son 'affaire personnelle’ de la présente procédure.

Il a en outre déclaré 'subroger purement et simplement l’acquéreur qui acceptera cette subrogation dans tous les droits, procédures, actions, obligations, droit au renouvellement du bail ou à l’indemnité d’éviction pouvant résulter des faits et actes sus-énoncés, sans aucune exception ni réserve ; tous les droits du vendeur étant transportés au bénéfice de l’acquéreur'.

Ces clauses comportent une contradiction dans leurs termes puisque, en déclarant faire son affaire de l’instance d’appel, la SARL l’Illusion n’a pas entendu subroger le cessionnaire dans ses droits et obligations alors que la clause qui suit immédiatement prévoit une subrogation totale sans exception ni réserve dans tous les droits, procédures et actions du vendeur.

En application de l’article 1156 ancien désormais 1188 du code civil, il convient d’interpréter le contrat d’après la commune intention des parties plutôt qu’en s’arrêtant au sens littéral de ses termes.

En précisant que le cédant faisait son affaire de la présence instance, la SARL l’Illusion s’est expressément réservée la poursuite de cette action. Cette clause particulière doit en conséquence prévaloir sur la clause type insérée à l’acte aux termes de laquelle le vendeur subroge l’acquéreur dans tous ses droits et actions.

Il convient en conséquence d’écarter la fin de non-recevoir tirée du défaut de qualité à agir.

Sur la charge des travaux de mise en conformité

Les consorts Y sollicitent le remboursement des travaux effectués en exécution du jugement frappé d’appel en faisant valoir que les travaux de mise en conformité sont à la charge du preneur.

Il résulte du procès-verbal établi par la commission de sécurité le 26 septembre 2016 qu’est préconisée la réalisation d’un diagnostic sécurité par un bureau de contrôle pour l’isolement des locaux en sous-sol et la cuisine en rez-de-chaussée. La commission précise à cet égard que 'si un feu survient au sous-sol, il trouvera suffisamment de combustible pour se propager et se développer à l’ensemble de l’établissement, d’où un risque de panique, de brûlures et d’asphyxie pour le public'.

Les conclusions du rapport de l’Apave du 17 octobre 2016 sont les suivantes :

' Le plancher haut de la cuisine et de la salle de restaurant ne présente pas le degré d’isolement au feu de degré coupe-feu 1 heure exigé.

Au sous-sol, réserve à alcools, si nous pouvons considérer que la dalle béton constitutive du plancher haut présente, compte-tenu de son épaisseur, un degré de résistance au feu de coupe-feu 1 heure, en revanche en l’absence de renseignements complémentaires sur la capacité portante à froid du plancher, nous demandons à ce qu’une protection complémentaire soit rapportée autour des poutrelles et poteaux métalliques afin de leur conférer une stabilité au feu d’une heure.

Pour les locaux vestiaires du personnel au sous-sol : en l’état, ces locaux vides de tout potentiel calorifique tel que constaté en dehors des casiers des personnels, nous considérons que l’isolement au feu desdits locaux répond à l’arrêté du 22 juin 1990 modifié, sauf avis contraire de la commission de sécurité. En tout état de cause, si ces locaux devaient changer d’affectation pour redevenir des réserves et donc reclassés en locaux à risques suivant l’article PE9, dans ce cas, il serait nécessaire de prévoir la protection des poutrelles afin de leur conférer une stabilité au feu d’une heure'.

Lors du contrôle effectué le 2 décembre 2016, la commission de sécurité a émis un avis défavorable à la poursuite de l’exploitation après avoir constaté que l’isolement de la salle de restaurant par rapport au tiers superposé n’était pas réglementaire et que la cuisine et la réserve du sous-sol n’étaient pas isolées réglementairement.

En l’espèce, les parties ne contestent pas la nécessité ni l’étendue des travaux de mise en conformité tels qu’ils résultent des avis de l’Apave et de la commission de sécurité mais sont en désaccord sur la charge desdits travaux.

Les consorts Y ne contestent pas que les travaux de mise aux normes de sécurité incendie relèvent de l’obligation de délivrance du bailleur mais soutiennent que les parties peuvent convenir de transférer tout ou partie des travaux ordonnés par l’administration à la charge du locataire.

En exécution de l’obligation de délivrance prévue par l’article 1719 du code civil, le bailleur doit fournir au locataire un local respectant les normes de sécurité applicables à l’immeuble loué au regard de l’activité contractuellement convenue.

L’obligation de délivrance du bailleur n’est pas limitée à la mise à disposition initiale du bien loué mais persiste pendant toute la durée du bail et il appartient au bailleur de mettre à la disposition de son locataire un bien en bon état et conforme à sa destination contractuelle, permettant une utilisation normale et sans danger des lieux, ce qui implique la mise aux normes des locaux loués au regard de la réglementation en matière de sécurité incendie.

Il en résulte que, sauf convention expresse contraire, le bailleur doit supporter le coût des travaux nécessaires pour que les lieux loués soient conformes aux normes exigées par la réglementation en vigueur lorsque cette mise aux normes a pour objet de permettre au locataire d’exercer son activité, dans les conditions prévues par la réglementation, l’activité prévue au bail, les rendant ainsi conformes à leur destination contractuelle.

Les appelants entendent se prévaloir de l’article 1er du contrat qui prévoit que le preneur prendra les lieux loués dans l’état où ils se trouveront le jour de l’entrée en jouissance sans pouvoir exiger du bailleur aucune réparation ni remise en état autre que celles qui seraient nécessaires pour assurer le clos et le couvert.

La clause de prise des lieux en l’état n’est cependant pas de nature à exonérer le bailleur de son obligation de délivrance d’un bien conforme aux normes de sécurité incendie.

Les consorts Y arguent également des dispositions de l’article 4 du contrat de bail qui disposent que toutes les réparations seront à la charge du preneur, lequel devra se conformer aux règlements et prescriptions administratives. Ils soutiennent en conséquence que le bailleur n’a pas à supporter la charge des travaux imposés par l’administration lorsque ces travaux résultent du choix de l’activité du locataire.

Contrairement à ce que soutiennent les appelants, cette clause relative à l’exécution des travaux n’est pas de nature à décharger le bailleur de son obligation de délivrance conforme en mettant à la charge du preneur les travaux de mise en conformité des lieux prescrits par l’administration au regard des normes de sécurité incendie.

Aucune clause du contrat versé aux débats ne transfère expressément au preneur la charge des travaux de sécurité prescrits par l’administration, lesquels incombent par principe au bailleur, sauf clause contraire du bail.

En outre, le bailleur ne saurait soutenir que la SARL l’Illusion aurait pu faire le choix d’exercer une activité ne supposant pas l’accueil du public, ce qui n’aurait pas imposé de mettre les locaux aux normes propres à l’activité de restaurant alors que la clause de destination du bail 'tous commerces’ inclut nécessairement l’activité de restauration exploitée dans les lieux et que l’obligation de délivrance consiste précisément à permettre au preneur d’user des locaux conformément à l’usage contractuellement prévu, ce qui doit s’entendre de tous les usages rendus possibles par la clause de destination des lieux.

Le bailleur était en conséquence tenu de délivrer des locaux conformes aux normes de sécurité incendie applicables aux établissements recevant du public.

Les travaux de mise aux normes prescrits par la commission de sécurité sont en conséquence à la charge du bailleur, lequel doit être débouté de sa demande de remboursement des travaux effectués en exécution du jugement déféré, qui sera confirmé dans ses dispositions ayant mis lesdits travaux à la charge de M. et Mme Y et ayant autorisé la suspension du paiement des loyers jusqu’à la décision de réouverture administrative de l’établissement, laquelle est intervenue avec effet au 20 octobre 2017.

Il n’y a pas lieu de faire droit à la demande de condamnation du preneur au paiement des loyers et des charges dus entre le 20 octobre 2017 et le 8 janvier 2018 dès lors que cette obligation résulte des dispositions contractuelles.

Sur l’expertise

Le jugement déféré doit recevoir confirmation en ce qu’il a ordonné une mesure d’expertise afin de chiffrer le préjudice subi par la SARL l’Illusion au titre de la perte d’exploitation, ce aux frais avancés des bailleurs dont la demande de remboursement de la consignation versée sera rejetée de même que la demande tendant au rejet de la demande de provision.

Sur la faute du preneur

Pour s’opposer à la demande indemnitaire, les appelants soutiennent que le preneur a engagé sa responsabilité en modifiant les locaux sans la surveillance de l’architecte et en installant des panneaux sandwiches sur le plafond et le mur de la cuisine.

Ainsi que l’a relevé à juste titre le premier juge, ces travaux sont cependant sans lien avec les non-conformités relevées par la commission de sécurité, lesquelles sont afférentes à l’absence ou à l’insuffisance de l’isolement coupe-feu. Il sera observé que ni la commission de sécurité ni l’Apave ne font d’observations sur l’installation des panneaux sandwiches. Il n’y a dès lors pas lieu de mettre à la charge du preneur le coût du démontage et de la remise en place de ces panneaux, ce coût étant rendu nécessaire par le manquement du bailleur à son obligation de délivrance et non par un quelconque manquement du preneur à ses obligations contractuelles.

En outre, la SARL l’Illusion fait valoir sans être démentie sur ce point que ces panneaux constituent une installation amovible auto-portée qui n’est fixée ni sur le mur ni sur le plafond. Elle justifie également avoir fait réaliser cette installation pour des raisons sanitaires en raison de l’état de vétusté du carrelage de la cuisine tel qu’il résulte du constat d’huissier établi le 1er octobre 2011.

Enfin, il ne saurait sérieusement être reproché au preneur d’avoir déféré immédiatement à l’arrêté du maire de Trouville ordonnant la fermeture de l’établissement, ledit arrêté étant exécutoire de plein droit.

Il en résulte qu’aucune faute du preneur de nature à supprimer ou à limiter son droit à indemnisation n’est caractérisée.

Sur l’évaluation du préjudice subi

La SARL l’Illusion forme une demande de dommages et intérêts d’un montant de 176.756,22 euros sur le fondement du rapport d’expertise qui a été déposé le 6 mars 2018.

Sur la fin de non-recevoir tirée du caractère nouveau de la demande

Les appelants soutiennent que la demande indemnitaire formée par le preneur est nouvelle en appel et qu’elle doit en conséquence être déclarée irrecevable

Si l’article 564 du code de procédure civile prohibe en principe les prétentions nouvelles en appel, la demande de liquidation du préjudice subi par le preneur est liée à l’évolution du litige caractérisée par le dépôt du rapport d’expertise au cours de la procédure d’appel et doit en conséquence être qualifiée de demande constituant l’accessoire, la conséquence ou le complément des demandes initiales au sens des dispositions de l’article 566 du même code, dans sa rédaction applicable en l’espèce.

La demande de dommages et intérêts formée par la SARL l’Illusion doit en conséquence être déclarée recevable.

Sur l’évocation

Aux termes de l’article 568 du code de procédure civile dans sa rédaction applicable aux appels formés avant le 1er septembre 2017, lorsque la cour d’appel est saisie d’un jugement qui a ordonné une mesure d’instruction, elle peut évoquer les points non jugés si elle estime de bonne justice de donner à l’affaire une solution définitive.

Ces dispositions confèrent à la cour statuant sur l’appel d’un jugement mixte ayant pour partie jugé au fond et pour partie ordonné une mesure d’expertise avant dire droit la faculté d’évoquer les points non jugés dans l’intérêt d’une bonne justice.

Pour s’opposer à cette demande, les appelants ne peuvent en conséquence faire valoir que le tribunal de grande instance de Lisieux n’est pas dessaisi du litige.

En l’espèce, compte-tenu du dépôt du rapport d’expertise pendant le cours de la procédure d’appel, il est de l’intérêt d’une bonne justice de statuer sur la demande indemnitaire formée par le preneur, de sorte qu’il convient d’évoquer cette demande.

Il n’est pas contesté que la fermeture de l’établissement a été ordonnée le 9 décembre 2016 au motif qu’il ne répondait aux normes applicables en matière de sécurité des établissements recevant du public.

Les consorts Y font valoir que les travaux ont été réalisés au mois de juin 2017 et que l’arrêté de réouverture n’est intervenu qu’au mois d’octobre 2017, de sorte que le preneur est seul responsable du fait qu’il a tardé à demander à la réouverture de l’établissement.

Il résulte cependant de l’arrêté de fermeture pris le 9 décembre 2016 par le Maire de la commune de Trouville-sur-Mer sur 'la réouverture des locaux au public ne pourra intervenir qu’après mise en conformité de l’établissement, une visite de la commission de sécurité et une autorisation délivrée par arrêté municipal'.

A la suite des travaux réalisés au mois de juin 2017, la commission de sécurité de l’arrondissement de Lisieux a procédé à la visite de l’établissement le 21 août 2017 et a édicté une prescription particulière consistant à parfaire l’isolement de la cuisine et des réserves.

Suivant procès-verbal établi le 14 septembre 2017, la commission a émis un avis favorable à l’ouverture au public et la mairie de Trouville-sur-Mer a pris un arrêté autorisant la réouverture au public à compter du 20 octobre 2017.

Il s’en déduit que le grief tiré du caractère tardif de la réouverture qui serait imputable au preneur n’est pas caractérisé et que la SARL l’lllusion est en conséquence fondée à solliciter la perte d’exploitation subie entre le 21 décembre 2016, date de la fermeture, et le 20 octobre 2017, date de l’autorisation de réouverture et ce, peu important que le preneur n’ait pas eu l’intention, compte tenu de la cession du fonds intervenue, de reprendre l’activité exploitée dans les lieux.

Le chiffrage du préjudice subi au titre de la perte d’exploitation tel qu’évalué par l’expert à partir d’une estimation du chiffre d’affaires et des charges d’exploitation n’est pas contesté dans son montant et s’établit en conséquence ainsi qu’il suit :

— période de fermeture du 21 au 31 décembre 2016 : 7.535 euros

— période de fermeture du 1er janvier au 31 juillet 2017 : 90.630,25 euros

— période de fermeture du 1er août au 19 octobre 2017 : 25.109,62 euros

Soit une perte de marge de 123.274,87 euros entre le 21 décembre 2016 et le 20 octobre 2017.

Il n’est en outre pas contesté que le préjudice au titre des frais de personnel et de direction sur la période s’élève à la somme de 9.537,77 euros pour la période du 1er janvier au 31 juillet 2017 et à la somme de 16.793,77 euros pour la période entre le 1er août et le 19 octobre 2017, soit la somme de 26.331,54 euros.

Le préjudice subi par la SARL l’Illusion consiste également dans les loyers et charges suspendus et dus entre le 20 décembre 2016 et le 31 mai 2017 à hauteur de la somme de 10.989,72 euros.

Soit la somme de 160.596,13 euros.

La SARL l’Illusion sollicite en outre le paiement de l’indemnité de rupture versée à Mme A, dont le contrat de travail a fait l’objet d’une rupture conventionnelle à effet au 31 octobre 2017.

L’expert a écarté ce chef de demande de l’évaluation du préjudice en relevant que cette rupture était intervenue tardivement, cinq mois après les autres salariés sans qu’il soit justifié de raisons particulières.

Les consorts Y font valoir à cet égard que Mme A était la compagne du dirigeant et que la rupture conventionnelle est exclusivement liée à la cession du fonds. Il est également précisé par l’expert en réponse à un dire du conseil du preneur que, pendant la période fermeture, Mme A a travaillé dans un autre établissement, la SARL DF Saint Germain, sans aucune refacturation.

Le délai écoulé entre la fermeture de l’établissement et la rupture conventionnelle confirme en effet l’absence de lien de causalité entre cette rupture et le manquement du bailleur à son obligation de délivrance.

Il convient en conséquence de débouter la SARL l’Illusion de sa demande formée à ce titre.

S’agissant de la perte de rémunération de M. B, c’est à juste titre que l’expert n’a retenu aucun préjudice à ce titre en relevant que le gérant avait travaillé dans un autre établissement au cours de la période de fermeture.

La demande formée au titre de la rémunération perdue liée à la fonction de cogérant de M. B doit en conséquence être rejetée dès lors que si ces fonctions de gestion et d’administration de la société ne sont pas subordonnées à l’exploitation effective de l’établissement, la période de fermeture n’a engendré aucun préjudice à ce titre.

La SARL l’Illusion sollicite enfin le remboursement de la taxe foncière remboursée au bailleur par le preneur en application des dispositions contractuelles à hauteur de la somme de 1.679,13 euros au titre de l’année 2017.

Il n’existe cependant aucun lien de causalité entre cette charge, due par le preneur en place au 1er janvier, et la mesure de fermeture administrative, de sorte que la demande formée à ce titre doit être rejetée.

Il convient en conséquence, déduction faite de la provision de 10.000 euros prévue par le jugement frappé d’appel, de condamner les consorts Y à verser à la SARL l’Illusion la somme de 150.596,13 euros à titre de dommages et intérêts.

Sur les frais et dépens

Les dispositions du jugement déféré à ce titre seront confirmées.

Parties perdantes, les consorts Y devront supporter in solidum la charge des dépens d’appel conformément aux dispositions de l’article 696 du code de procédure civile.

Les dépens incluront le coût de l’expertise judiciaire conformément aux dispositions de l’article 695 du code de procédure civile.

Il sera fait application des dispositions de l’article 699 du code de procédure civile au profit de Me Delcourt qui en a fait la demande.

En outre, il serait inéquitable de laisser à la charge de l’intimée les frais irrépétibles exposés à l’occasion de l’instance d’appel.

Aussi les consorts Y seront-ils condamnés in solidum à lui verser la somme de 5.000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile et déboutés de leur demande formée à ce titre.

PAR CES MOTIFS

Statuant publiquement, par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe,

Ecarte la fin de non-recevoir tirée du défaut de qualité à agir de la SARL l’Illusion ;

Confirme dans toutes ses dispositions le jugement rendu par le tribunal de grande instance de Lisieux le 4 mai 2017 ;

Y ajoutant et évoquant

Déboute les Consorts Y de leur demande de remboursement du coût des travaux ;

Dit n’y avoir lieu à condamnation au paiement des loyers dus entre le 20 octobre 2017 et le 8 janvier 2018 ;

Déboute les consorts Y de leur demande de restitution de la consignation versée à l’expert ;

Déboute les consorts Y de leur demande formée au titre du démontage et de la remise en place des panneaux sandwich ;

Déclare recevable la demande de dommages et intérêts formée par la SARL L’Illusion ;

Condamne M. Y E, M. Y-O N et Mme Y-O P, représentés par leur père, M. Y E et Mme Q-Y L à verser à la SARL l’Illusion la somme de 150.596,13 euros à titre de dommages intérêts ;

Déboute la SARL l’Illusion de sa demande de remboursement de l’indemnité de rupture conventionnelle de Mme A ;

Déboute la SARL l’Illusion de sa demande en paiement de la perte de rémunération de M. B ;

Déboute la SARL l’Illusion de sa demande de remboursement de la taxe foncière ;

Condamne in solidum M. Y E, M. Y-O N et Mme Y-O P, représentés par leur père, M. Y E et Mme Q-Y L aux dépens d’appel ;

Dit que les dépens comprendront le coût de l’expertise judiciaire ;

Dit qu’il sera fait application des dispositions de l’article 699 du code de procédure civile au profit de Me Delcourt ;

Condamne in solidum M. Y E, M. Y-O N et Mme Y-O P, représentés par leur père, M. Y E et Mme Q-Y L à verser à la SARL l’Illusion la somme de 5.000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;

Déboute les consorts Y de leur demande formée au titre des frais irrépétibles.

LE GREFFIER LE PRESIDENT

N. LE GALL L. DELAHAYE

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Textes cités dans la décision

  1. Code de procédure civile
  2. Code civil
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Cour d'appel de Caen, 2ème chambre civile, 14 janvier 2021, n° 18/01025