Cour d'appel de Douai, Troisieme chambre, 8 avril 2021, n° 20/01686

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CA Douai, troisieme ch., 8 avr. 2021, n° 20/01686
Juridiction : Cour d'appel de Douai
Numéro(s) : 20/01686
Décision précédente : Tribunal d'instance de Dunkerque, 30 décembre 2019, N° 11-19-0003
Dispositif : Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours

Sur les parties

Texte intégral

République Française

Au nom du Peuple Français

COUR D’APPEL DE DOUAI

TROISIEME CHAMBRE

ARRÊT DU 08/04/2021

N° de MINUTE : 21/182

N° RG 20/01686 – N° Portalis DBVT-V-B7E-S7UV

Jugement (N° 11-19-0003) rendu le 31 décembre 2019 par le tribunal d’instance de Dunkerque

APPELANTE

SCI BGB prise en la personne de ses représentants légaux

[…]

[…]

Représentée par Me Jean-Charles Courtois, avocat au barreau de Dunkerque

INTIMÉS

Monsieur F X

né le […] à Avion

de nationalité française

[…]

[…]

Madame G H épouse X

née le […] à Cambrai

de nationalité française

[…]

[…]

SAMCV Macif en sa qualite de subrogee dans les droits et actions de ses assures les epoux X, prise en la personne de son representant legal domicilie audit siege

2 et […]

[…]

Représentés par Me Marianne Devaux, avocate au barreau de Dunkerque substituée par Me Montagne, avocat au barreau de Dunkerque

DÉBATS à l’audience publique du 03 février 2021 tenue par Claire Bertin magistrate chargée d’instruire le dossier qui, a entendu seule les plaidoiries, les conseils des parties ne s’y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré (article 786 du code de procédure civile).

Les parties ont été avisées à l’issue des débats que l’arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe

GREFFIÈRE LORS DES DÉBATS :Harmony Poyteau

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ

Hélène Château, première présidente de chambre

Sara Lamotte, conseillère

Claire Bertin, conseillère

ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 08 avril 2021 (date indiquée à l’issue des débats) et signé par Hélène Château, présidente et Harmony Poyteau, greffière, à laquelle la minute a été remise par la magistrate signataire.

ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 8 décembre 2020

EXPOSE DU LITIGE ET DE LA PROCEDURE

Suivant acte notarié dressé par Maître Fournier, notaire à Dunkerque le 28 février 2003, M. et Mme X sont devenus propriétaires d’un immeuble à usage d’habitation situé […] à Grande-Synthe (59760), et du fonds et terrain en dépendant d’une superficie de 819 m².

Le 24 août 2007, la société civile immobilière BGB (ci-après la SCI BGB), propriétaire d’une parcelle voisine de celle des époux X, située au 46 de la même rue, a obtenu du maire de Grande-Synthe un permis de construire l’autorisant à édifier un bâtiment à usage de bureaux, d’atelier et de logement de garde.

La déclaration d’ouverture de chantier est intervenue le 11 juin 2008.

La SCI BGB a donné sa parcelle à bail à la société TAIB, spécialisée dans la location de matériel destiné aux entreprises de bâtiment et de travaux publics.

Par acte d’huissier du 26 mars 2019, M. et Mme X et la société d’assurance mutuelle Macif (ci-après la Macif) ont fait assigner la SCI BGB afin d’obtenir sa condamnation à payer la somme de 4 000 euros à M. et Mme X en réparation de leur trouble de jouissance en raison des nuisances sonores et visuelles subies, à verser à la Macif en sa qualité de subrogée dans les droits et actions des époux X une somme de 11 539,64 euros TTC correspondant aux dépens, honoraires d’expert et frais irrépétibles exposés dans le cadre de la procédure de référé expertise, à payer à la Macif et/ou aux époux X la somme de 1 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, et à supporter les entiers dépens de l’instance.

Par jugement du 31 décembre 2019, le tribunal d’instance de Dunkerque a :

— rejeté les fins de non recevoir tirées de l’autorité de la chose jugée, de la prescription et du défaut d’intérêt à agir des demandeurs,

— condamné la SCI BGB à payer à M. et Mme X la somme de 4 000 euros de dommages et intérêts,

— condamné la SCI BGB à payer à la Macif la somme de 11 539,64 euros,

— condamné la SCI BGB à payer à la Macif, à M. et Mme X une somme totale de 800 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

— rejeté la demande présentée à ce même titre par la SCI BGB,

— condamné la SCI BGB aux dépens de l’instance,

— dit n’y avoir lieu à assortir le jugement de l’exécution provisoire.

Par déclaration au greffe du 18 mars 2020, la SCI BGB a interjeté appel du jugement querellé en toutes ses dispositions, dans des conditions de délai et de forme qui ne sont pas critiquées.

Dans ses conclusions notifiées le 2 juin 2020, la SCI BGB sollicite l’infirmation du jugement querellé. Elle demande à la cour, au visa des articles 1351, 2224 du code civil, L. 114-1 du code des assurances, de :

— constater l’autorité de la chose jugée qui s’attache au jugement rendu le 27 février 2019 par le tribunal d’instance de Dunkerque en vertu du principe de concentration des moyens et de l’autorité de la chose jugée,

— dire que M. et Mme X et la Macif sont irrecevables à saisir à nouveau la juridiction de première instance,

subsidiairement,

— constater la prescription du trouble anormal de voisinage allégué survenu en 2007,

— constater la prescription de la créance invoquée par la Macif en application du code des assurances et des règles de la subrogation conventionnelle,

encore plus subsidiairement,

— constater l’absence d’intérêt à agir des demandeurs et l’absence de tout préjudice,

en toute hypothèse,

— débouter M. et Mme X et la Macif de l’intégralité de leurs demandes,

— les condamner solidairement à lui verser la somme de 4 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

— les condamner en tous frais et dépens de première instance et d’appel.

Elle expose que par acte du 14 septembre 2018, la Macif l’a fait assigner devant le tribunal d’instance de Dunkerque en sa qualité d’assureur protection juridique subrogé dans les droits et actions de ses assurés, M. et Mme X, afin de la voir condamner à rembourser une somme de 11 539,64 euros

au titre des dépens et honoraires d’expertise judiciaire exposés suite à la procédure initiée par ces derniers pour troubles anormaux du voisinage.

Elle rappelle que par jugement du 27 février 2019, le tribunal d’instance de Dunkerque a constaté l’intervention volontaire des époux X à la procédure, s’est déclaré compétent matériellement pour statuer sur le litige, a déclaré les demandes de M. et Mme X et de la Macif irrecevables, et les a condamnés aux dépens de l’instance, considérant que la Macif et les époux X n’avaient pas fait trancher le principe de sa responsabilité avant de solliciter sa condamnation à rembourser les frais d’expertise.

Elle relève qu’à aucun moment, M. et Mme X n’avaient cherché à engager sa responsabilité pour trouble anormal de voisinage, et qu’ils n’avaient même pas conduit la procédure d’expertise judiciaire à son terme.

Elle estime qu’en dépit de ce premier jugement, M. et Mme X l’ont fait assigner par acte du 26 mars 2019 reprenant des écritures identiques, mais sollicitant en outre sa condamnation à leur payer une somme de 4 000 euros en réparation du trouble de jouissance suite aux nuisances sonores et visuelles subies.

En premier lieu, elle expose qu’en vertu du principe de concentration des moyens, il appartient aux parties de saisir le juge de toutes les questions factuelles et juridiques pertinentes permettant d’aboutir au résultat recherché et d’en faire état dès l’instance initiale, le plaideur ayant la charge procédurale de présenter dès la première demande l’ensemble des moyens de nature à fonder celle-ci.

Elle rappelle que la sanction de la défaillance du plaideur à cet égard est l’irrecevabilité d’une seconde demande tirée de l’autorité de la chose jugée au sens de l’article 1351 ancien du code civil.

Elle propose à la cour de constater que le litige concerne les mêmes parties, le même contentieux avec les mêmes causes et les mêmes fondements, et que n’est démontré aucun fait juridique nouveau de nature à écarter l’autorité de la chose jugée.

Elle fait valoir que la nouvelle assignation du 26 mars 2019 n’a eu pour vocation que de remédier au fait que M. et Mme X et leur assureur avaient oublié de solliciter au préalable sa condamnation au titre des troubles anormaux de voisinage. Or elle relève que les intimés se sont abstenus d’interjeter appel du jugement du 27 février 2019, ce qui leur aurait permis, par l’effet dévolutif de l’appel, de solliciter sa condamnation sur le fondement des troubles anormaux du voisinage, cette nouvelle demande se rattachant aux demandes de première instance.

En deuxième lieu, elle soulève la prescription quinquennale de l’action, dans la mesure où les époux X, arguant avoir subi un trouble anormal de voisinage en 2007 en raison de l’édification d’un bâtiment à usage industriel, n’ont fait délivrer une assignation en référé expertise qu’en 2011, puis une assignation au fond en 2019, ce qui ne leur permet pas d’échapper à la prescription de leur action en responsabilité.

Elle soutient que l’action de la Macif est prescrite en application des dispositions de l’article L. 114-1 du code des assurances, dès lors que le fait générateur comme l’acquittement de la dette proviennent de l’ordonnance du 31 mai 2012, par laquelle le juge des référés a ordonné une expertise et une consignation. Elle considère qu’à la date de la subrogation conventionnelle le 15 août 2018, la dette était prescrite, et ajoute qu’elle peut valablement invoquer l’exception de prescription de la dette.

En troisième lieu, elle soulève la fin de non-recevoir tirée du défaut d’intérêt à agir de M. et Mme X faisant valoir qu’ils ne sollicitaient rien à titre personnel dans le cadre de la première instance mais seulement la subrogation de leur assureur et que, ayant vendu leur bien immobilier, ils ne subissaient plus aucun trouble de voisinage, d’autant que l’expert judiciaire Z avait évoqué les

mesures techniques réalisées le 8 décembre 2015, et que des riverains témoignaient de l’absence de toute nuisance.

Elle indique encore que M. et Mme X ne justifient d’aucun intérêt à agir contemporain lié à une quelconque responsabilité de sa part.

Sur le fond, elle conteste l’existence même des troubles sonores et esthétiques allégués.

Dans leurs conclusions notifiées le 25 août 2020, M. et Mme X et la Macif sollicitent la confirmation du jugement querellé. Ils demandent à la cour, y ajoutant, de condamner la SCI BGB à leur verser, ou l’un à défaut de l’autre, une somme de 3 000 euros au titre des frais irrépétibles d’appel sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’à supporter les entiers dépens d’appel.

Ils exposent que le gérant de la SCI BGB, qui était aussi le gérant de la société TAIB, s’était engagé par écrit à prendre toutes mesures nécessaires pour ne pas occasionner de nuisances sonores et visuelles à ses voisins, avec notamment la création d’une butte paysagère, lesquelles avaient été reprises dans l’arrêté délivrant permis de construire signé le 24 août 2007 par le maire de Grande-Synthe.

Ils constatent que les travaux ont commencé le 11 juin 2008, et que la SCI BGB a fait supprimer la haie de peupliers se trouvant en limite de propriété des époux X au mépris de l’article 1er du plan local d’urbanisme et du permis de construire, à tel point que la mairie de Grande-Synthe a refusé, par lettre recommandée avec accusé de réception du 22 avril 2010, de délivrer le certificat de conformité après achèvement des travaux.

Ils indiquent qu’ils ont subi des nuisances sonores en raison du va-et-vient incessant des engins de chantier sur le site, même la nuit, et de l’installation d’un nettoyeur haute pression industriel non isolé en limite de propriété.

Ils ajoutent que deux audiences de conciliation du 5 janvier et 9 mars 2010 sont demeurées infructueuses.

Ils produisent un rapport d’expertise amiable du 1er septembre 2010 établi par M. Y à l’initiative de la Macif, un procès-verbal de constat d’huissier du 9 novembre 2011, quatre attestations de riverains, et le rapport d’expertise judiciaire de M. Z du 16 mai 2017, desquels il résulte que la construction réalisée par la SCI BGB n’était pas conforme au permis de construire, que les mesurages acoustiques caractérisaient les nuisances sonores alléguées, que la vue était dégradée en raison de l’absence d’édification d’une butte paysagère, et que le trouble de jouissance des époux X pouvait être évalué à une somme annuelle de 500 euros depuis 2009.

Ils exposent que la SCI BGB n’a donné aucune suite à leur proposition de règlement amiable du différend par télécopie officielle du 15 mai 2018.

Ils font valoir qu’aux termes du jugement du 27 février 2019, le tribunal d’instance n’a pas statué sur le fond de leurs demandes, mais déclaré leurs demandes irrecevables au motif qu’il n’existait aucune décision reconnaissant la responsabilité de la SCI BGB ; que c’est dans ces conditions que le tribunal a considéré qu’il ne pouvait pas mettre les frais d’expertise et d’article 700 du code de procédure civile à la charge de la SCI BGB ; que si cette nouvelle procédure concerne les mêmes parties, les demandes ne sont pas similaires puisqu’il est expressément demandé qu’il soit statué sur la responsabilité de la SCI BGB ainsi que sur les préjudices subis par les époux X ; qu’en application de l’article 122 du code de procédure civile, une irrecevabilité exclut tout examen au fond ; que toute procédure ultérieure tendant à obtenir un jugement au fond ne se heurte à aucune fin de non recevoir tirée de l’autorité de la chose jugée.

Ils estiment que le principe de concentration des moyens au sens de l’article 1355 du code civil, en vertu duquel une partie déboutée de ses demandes ne peut engager une nouvelle procédure reprenant les mêmes demandes en invoquant de nouveaux moyens, ne concerne pas les demandes mais les moyens de défense ; qu’il n’existe aucune disposition légale ou jurisprudentielle qui impose à une partie, sous peine d’irrecevabilité, de formuler l’intégralité de ses demandes dès qu’elle en a connaissance sous peine d’irrecevabilité ultérieure d’une demande omise ; qu’il leur est possible d’engager une procédure pour formuler une demande puis une deuxième pour formuler une toute autre demande, étant précisé que dans le cadre de la précédente procédure, ils n’avaient formé aucune demande indemnitaire.

Ils déclarent qu’aucune prescription de l’action pour trouble anormal de voisinage n’est encourue à la date de la seconde assignation délivrée le 26 mars 2019, et que la Macif se trouvant subrogée dans les droits et actions des époux X, la prescription s’analyse au même titre que celle encourue par ces derniers ; que les premières nuisances subies ont débuté après la fin des travaux courant 2010 ; que M. et Mme X ont initié une action judiciaire en référé contre la SCI BGB par acte d’huissier du 8 décembre 2011 qui a donné lieu à l’ordonnance du 31 mai 2012 ; que l’expert judiciaire a déposé son rapport le l6 mai 2017 ; que le délai quinquennal de prescription n’a donc recommencé à courir qu’à compter de cette date déterminant avec certitude la réalité et l’origine des nuisances subies.

Ils rappellent que le délai de prescription biennal prévu par l’article L.114-1 du code des assurances ne concerne que les actions intentées entre assureur et assuré, et non le recours vis à vis du tiers responsable, et qu’il n’est pas applicable en l’espèce. Ils estiment que le point de départ de la prescription quinquennale est la date de la quittance subrogative signée le 15 août 2018 par les époux X, ou à défaut la date de dépôt du rapport d’expertise judiciaire le 16 mai 2017.

Ils font valoir que quand bien même ils ont quitté les lieux à l’été 2018, ils restent recevables à agir, dès lors qu’ils ont subi le trouble de jouissance, étant restés propriétaires de leur immeuble jusqu’à cette date, et les nuisances subies ayant été relevées par l’expert judiciaire.

Ils ajoutent encore qu’en qualité d’assureur protection juridique, la Macif a préfinancé les dépens de référé, les honoraires de l’expert judiciaire, ainsi que les frais et honoraires d’avocat ; que M. et Mme X ont signé une quittance subrogative au profit de la Macif le 15 août 2018 aux termes de laquelle ils l’ont subrogée dans leurs droits et actions ; que l’assureur a donc qualité et intérêt à agir sur le fondement de l’article L. 127-8 du code des assurances ; que suivant quittance subrogative du 15 août 2018, la Macif a payé la somme de 11 539,64 euros au titre des frais d’expertise judiciaire, des frais d’huissier et des honoraires d’avocat, alors qu’aucune somme n’est restée à la charge de M. et Mme X ; que la Macif est donc subrogée dans les droits et actions des assurés pour l’intégralité des sommes exposées.

Pour un plus ample exposé des moyens de chacune des parties, il y a lieu de se référer aux conclusions précitées en application des dispositions de l’article 455 du code de procédure civile.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 8 décembre 2020.

MOTIFS DE LA DECISION

A titre liminaire, en application de l’article 954 du code de procédure civile, la cour rappelle qu’elle n’est pas tenue de statuer sur les «'dire et juger'» et les «'constater'» qui ne sont pas des prétentions en ce qu’ils ne confèrent pas de droit à la partie qui les requiert dès lors qu’ils s’analysent en réalité comme le rappel des moyens invoqués, ou en ce qu’ils formulent exclusivement des réserves alors que la partie qui les exprime n’est pas privée de la possibilité d’exercer ultérieurement les droits en faisant l’objet.

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Sur la fin de non-recevoir tirée de l’autorité de la chose jugée

Aux termes de l’article 122 du code de procédure civile, constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l’adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut du droit d’agir, tel le défaut de qualité, le défaut d’intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée.

Aux termes de l’article 1355 du code civil, l’autorité de la chose jugée n’a lieu qu’à l’égard de ce qui a fait l’objet du jugement. Il faut que la chose demandée soit la même ; que la demande soit fondée sur la même cause ; que la demande soit entre les mêmes parties, et formée par elles et contre elles en la même qualité.

S’il incombe au demandeur, en application de ce texte, de présenter dès l’instance relative à la première demande, et avant qu’il ne soit statué sur cette demande, l’ensemble des moyens qu’il estime de nature à fonder celle-ci, il n’est pas tenu de présenter dans la même instance toutes les demandes fondées sur les mêmes faits.

En outre, la cour rappelle que lorsqu’une décision d’irrecevabilité a été rendue, une nouvelle demande ne se heurte pas à l’autorité de la chose jugée du moment que la cause d’irrecevabilité a entretemps disparu.

En l’espèce, il ressort de la lecture de l’acte d’huissier du 14 septembre 2018 que la Macif, en sa qualité de subrogée dans les droits et actions de M. et Mme X, a fait assigner la SCI BGB devant le tribunal d’instance de Dunkerque aux fins d’obtenir sa condamnation à lui payer la somme de 11 539,64 euros au titre des frais exposés dans le cadre de la procédure de référé expertise, outre les dépens et les frais irrépétibles.

Considérant qu’aucune demande de reconnaissance de responsabilité de la SCI BGB n’avait été préalablement formulée par les parties, le tribunal d’instance de Dunkerque a, dans son jugement rendu contradictoirement le 27 février 2019, constaté l’intervention volontaire à l’instance de M. et Mme X, s’est déclaré compétent matériellement pour statuer sur le litige, a déclaré les demandes de M. et Mme X et de la Macif irrecevables, et les a condamnés aux dépens.

Suivant nouvelle assignation du 26 mars 2019, M. et Mme X et la Macif ont fait assigner la SCI BGB afin d’obtenir sa condamnation à payer la somme de 4 000 euros à M. et Mme X en réparation de leur trouble de jouissance, à verser à la Macif en sa qualité de subrogée dans les droits et actions des époux X une somme de 11 539,64 euros TTC correspondant aux dépens, honoraires d’expert et frais irrépétibles exposés dans le cadre de la procédure de référé expertise, à payer à la Macif et/ou aux époux X la somme de 1000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, et à supporter les entiers dépens de l’instance.

S’il apparaît que cette seconde procédure concerne bien les mêmes parties et se fonde sur la même cause laquelle s’entend d’une situation de fait identique et inchangée, étant ici observé que les intimés décrivent dans leurs écritures les faits reprochés à la SCI BGB exactement dans les mêmes termes sans invoquer aucun nouvel élément postérieur à la première instance, il reste que l’objet du litige diffère en ce que M. et Mme X forment désormais une demande indemnitaire à l’encontre de la société BGB en réparation d’un trouble anormal de voisinage.

Étant ici rappelé que le principe de concentration des moyens au sens de l’article 1355 précité ne vise pas la concentration des demandes dès la première instance, mais seulement des moyens que les parties entendent invoquer au soutien de leurs prétentions, il s’ensuit que M. et Mme X sont recevables à agir, pour la première fois, contre la SCI BGB afin d’obtenir des dommages et intérêts

en réparation du trouble anormal de voisinage allégué.

Par ailleurs, aucune autorité de la chose jugée ne s’attache au jugement rendu le 27 février 2019 lequel a vu disparaître sa cause d’irrecevabilité et n’a pas statué au fond, M. et Mme X agissant désormais afin de voir déclarer la SCI BGB responsable de leur préjudice, ce qui ouvre ainsi droit à l’action subrogatoire de leur assureur, la Macif.

Il convient de rejeter la fin de non-recevoir soulevée par l’appelante tirée de l’autorité de la chose jugée.

Sur la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l’action

Aux termes de l’article 2224 du code civil, les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer.

L’article L. 114-1 du code des assurances, lequel prévoit que toute action dérivant d’un contrat d’assurance sont prescrites par deux ans à compter de l’évènement qui y donne naissance, n’est pas applicable en l’espèce, dès lors que le délai de prescription opposable à l’action subrogatoire de l’assureur est fonction de celui de l’action qui lui a été transmise.

La Macif exerçant par la voie subrogatoire l’action directe de M. et Mme X, le délai de prescription de l’action reste le délai quinquennal du droit commun.

S’agissant du point de départ de la prescription, il ressort du rapport d’expertise judiciaire de M. Z, en page 10, que M. et Mme X ont subi un préjudice annuel de 500 euros pour perte de jouissance de 2009 à 2016.

Si les nuisances sonores et visuelles ont pu commencé en 2009 comme l’indique l’expert, le délai de prescription de l’action a été suspendu, en application des dispositions de l’article 2239 du code civil, par l’assignation en référé délivrée le 8 décembre 2011 à la SCI BGB par M. et Mme X, et n’a recommencé à courir qu’à compter du jour où la mesure d’instruction a été exécutée le 16 mai 2017.

Il s’ensuit que le délai de prescription quinquennal n’était pas acquis le 26 mars 2019 à la date de délivrance de la seconde assignation.

En conséquence, l’action diligentée par les époux X et la Macif n’est pas prescrite.

La fin de non-recevoir tirée de la prescription de l’action est rejetée.

Sur la fin de non-recevoir tirée du défaut d’intérêt à agir

Aux termes de l’article 31 du code de procédure civile, l’action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d’une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d’agir aux seules personnes qu’elle qualifie pour élever ou combattre une prétention, ou pour défendre un intérêt déterminé.

En l’espèce, si M. et Mme X ont fini par vendre en juillet 2018 leur fonds sis […] à Grande-Synthe, ils restent recevables à agir pour le trouble anormal de voisinage subi pendant la période écoulée de 2009 à 2016, durant laquelle ils étaient bien propriétaires du fonds situé à proximité immédiate du terrain litigieux.

La Macif est, quant à elle, l’assureur protection juridique de M. et Mme X et produit, en application de l’article L.121-12 du codes assurances, une quittance subrogative régularisée le 15

août 2018 par ses assurés, démontrant ainsi qu’elle leur a versé une indemnité en règlement des frais de procédure dans le cadre de la procédure diligentée à l’encontre de la SCI BGB pour trouble anormal de voisinage.

Il s’ensuit que M. et Mme X et la Macif ont bien chacun intérêt à agir contre la SCI BGB en application de l’article 31 précité.

Sur l’existence d’un trouble anormal de voisinage

Il résulte des dispositions combinées des articles 544 et 651 du code civil que le droit pour un propriétaire de jouir et de disposer des choses de la manière la plus absolue est limité par l’obligation qu’il a de ne causer à la propriété d’autrui aucun dommage dépassant les inconvénients normaux de voisinage.

S’agissant d’un régime de responsabilité objectif, spécifique et autonome, le constat d’un dommage en lien certain et direct de cause à effet avec le trouble anormal suffit à entraîner la mise en 'uvre du droit à réparation de la victime du dommage indépendamment de toute faute commise.

Le respect de dispositions légales, réglementaires ou techniques n’exclut pas en soi l’existence éventuelle de troubles excédant les inconvénients normaux du voisinage.

En l’espèce, il ressort des pièces produites que M. et Mme X ont acquis le 28 février 2003, en zone urbaine pavillonnaire, un immeuble d’habitation et le terrain en dépendant sis […] à Grande-Synthe, à proximité immédiate d’une parcelle non bâtie sise au numéro 46 de la même rue, entourée d’arbres de grande hauteur, laquelle appartenait à la SCI BGB.

Suivant permis de construire délivré le 24 août 2007, la SCI BGB, a obtenu l’autorisation d’édifier sur sa parcelle un bâtiment à usage de bureaux, d’atelier et de logement de garde, à la condition que les travaux et aménagements respectent les dispositions réglementaires inscrites dans le plan local d’urbanisme de la commune, notamment l’absence de nuisances sonores et de perturbations du trafic routier, dont l’origine serait liée à l’activité nouvellement implantée ; il était également indiqué que le certificat de conformité ne serait délivré qu’après réalisation des travaux en ce compris les aménagements paysagers, les clôtures et le respect des prescriptions imposées.

Suivant attestation du 31 mai 2007, le gérant des sociétés BGB et TAIB s’est même personnellement engagé à ce que cette dernière prenne toutes mesures nécessaires dès son implantation pour ne pas occasionner de nuisances sonores.

La société TAIB a pris à bail la parcelle pour y exercer une activité de location de matériels de travaux publics avec chauffeurs, tels des pelles hydrauliques, bulldozers, chargeuses, porte-engins à destination des entreprises de bâtiment et de travaux publics.

Les travaux ont commencé le 11 juin 2008 pour s’achever le 31 décembre 2009, sans que la SCI BGB n’obtienne de la mairie de Grande-Synthe le certificat de conformité, celle-ci notifiant son refus de délivrance par lettre recommandée avec accusé de réception du 22 avril 2010, aux motifs que le plan paysager n’avait pas été respecté, l’aire d’engazonnement non réalisée ayant été remplacée par un revêtement stabilisé à usage de stockage divers, de dépôt d’engins et d’installation de containers, et que le programme de plantations et la butte paysagère demeuraient inachevés.

Par lettre du 18 avril 2011, le maire de Grande-Synthe a même déposé plainte auprès du procureur de la République de Dunkerque lui transmettant un procès-verbal d’infraction au code de l’urbanisme, sollicitant une remise en état des lieux conforme au permis de construire avec retrait du stockage et des éléments modulaires, et déplorant les nuisances sonores régulières subies par les riverains.

Dans un rapport d’expertise amiable du 1er septembre 2010 établi à la demande de la Macif, l’expert, M. Y, a constaté qu’un parc de stockage était implanté à environ deux cents mètres du fond de la propriété de M. et Mme X, alors qu’un espace vert était initialement prévu à cet endroit, qu’un local de nettoyage à haute pression constitué de simples tôles donnait directement sur le fond de la propriété, et qu’étaient entreposés des véhicules et des portes à cabine désaffectés ; il a précisé que l’article UB13 du plan local d’urbanisme stipulait que les plantations existantes devaient être maintenues et tout arbre de haute tige devait être remplacé, alors que les peupliers abattus n’avaient pas été replantés engendrant ainsi des nuisances visuelles.

Suivant procès-verbal de constat du 9 novembre 2011, l’huissier a constaté qu’étaient visibles depuis le terrain de M. et Mme X un bâtiment dont l’un des murs était composé de panneaux de polycarbonate, deux citernes de couleur verte, un camion citerne, un porte à cabine, une grue de couleur orange.

M. et Mme X produisent également des attestations de riverains, MM. A, B, C et Mme I J K, lesquels déplorent les nuisances sonores et olfactives occasionnées de jour, en semaine et le week-end en raison du passage d’engins, des bruits de recul, de démontage des godets, de marteau-piqueur, de bulldozers, et de nettoyage d’engins, et les nuisances visuelles apportées à leur environnement.

Dans son rapport d’expertise du 16 mai 2017, l’expert judiciaire M. Z indique que les nuisances visuelles sont constituées par la vue sur des matériaux et engins de chantier avec une butte actuelle peu, voire pas végétalisée.

Il ajoute que les nuisance sonores proviennent des bruits induits par le lavage haute pression disposé vers le fonds de M. et Mme X, et dont «'la paroi en méthacrylate est acoustiquement transparente'», et des bruits de manutention et d’évolution des engins.

Il souligne que des mesures techniques et mesurages acoustiques, réalisés à proximité des équipements incriminés et chez les requérants, caractérisent la réalité des nuisances sonores alléguées, et que la vue est dégradée en l’absence de butte paysagère.

Il est indifférent que M. D et Mme E viennent témoigner en avril 2019 n’avoir subi aucun bruit gênant provenant de la société TAIB depuis leur emménagement en juillet 2018 au […], dès lors que leur installation est postérieure aux faits reprochés.

De l’ensemble de ces pièces, constatations, énonciations, il ressort que M. et Mme X ont bien souffert entre 2009 et 2016, ainsi qu’ils l’allèguent, de troubles excédant les inconvénients normaux du voisinage, suite à l’installation et au développement de l’activité commerciale et industrielle de l’entreprise de location d’engins de travaux publics à proximité immédiate de leur terrain d’agrément, laquelle a incontestablement causé des nuisances sonores et visuelles pendant de nombreuses années, dont la fréquence, l’intensité et la permanence peuvent être qualifiées d’excessives et anormales, dès lors que la SCI BGB n’a pas respecté les exigences du permis de construire, s’est abstenue d’effectuer les aménagements promis et d’isoler sur le plan acoustique son nettoyeur haute pression, a entreposé des engins de chantier et des matériels désaffectés dans une zone non autorisée.

Il s’ensuit en l’espèce que la responsabilité de la SCI BGB suite aux troubles anormaux de voisinage subis par M. et Mme X est engagée.

Sur l’indemnisation du préjudice

Dans son rapport d’expertise judiciaire, M. Z chiffre à la somme de 500 euros par an, conforme à la demande de M. et Mme X, la perte de jouissance subie par ces derniers en raison des troubles anormaux de voisinage survenus depuis 2009.

Comme l’a exactement rappelé le premier juge, les troubles n’avaient pas cessé à la date de dépôt du rapport d’expertise judiciaire,et l’appelante ne rapporte pas la preuve d’avoir pris les mesures de nature à les faire cesser, telles que le rehaussement et la végétalisation de la butte, et la modification des parois de la station de lavage préconisés par l’expert.

Le jugement querellé sera confirmé en ce qu’il a condamné la SCI BGB à payer à M. et Mme X une somme de 4 000 euros de dommages et intérêts en réparation des nuisances sonores et visuelles subies de 2009 à 2016 pendant une durée de huit ans.

Sur le recours subrogatoire de l’assureur

Aux termes de l’article L. 121-12 du code des assurances, l’assureur qui a payé l’indemnité d’assurance est subrogé jusqu’à concurrence de cette indemnité, dans les droits et actions de l’assuré contre les tiers qui, par leur fait, ont causé le dommage ayant donné lieu à la responsabilité de l’assureur.

Aux termes de l’article L. 127-8 du code des assurances, le contrat d 'assurance de protection juridique stipule que toute somme obtenue en remboursement des frais et des honoraires exposés pour le règlement du litige bénéficie par priorité à l’assuré pour les dépenses restées à sa charge et, subsidiairement, à l’assureur, dans la limite des sommes engagées.

Au soutien de ses prétentions, la Macif produit l’ordonnance de taxe du 1er juin 2017 fixant la rémunération de l’expert judiciaire à la somme de 7 623,19 euros, les factures d’huissier d’un montant de 63,98, de 118,28 et de 82,51 euros, et la convention du 17 août 2018 et les notes d’honoraires d’avocat de nature à justifier des règlements effectués.

Elle produit également la quittance subrogative du 15 août 2018 par laquelle M. et Mme X reconnaissent qu’elle «'a financé la somme de 11 539,64 euros se décomposant comme suit :

7 623,19 euros de frais d’expertise,

264,377 euros de frais d’huissier,

3 651,68 euros d’honoraires d’avocat,

dans le cadre de la procédure introduite à l’encontre de la SCI BGB en leur nom et pour leur compte.

Ainsi, le présent règlement est intervenu à titre d’avance par la Macif sur le recours qu’il[s] [ont] exercé à l’encontre de la SCI BGB. En conséquence, il[s] déclare[nt] subroger dans [leurs] droits et actions la Macif pour répéter contre les responsables éventuels la somme sus-indiquée'».

En conséquence, la Macif justifiant du paiement préalable des frais et honoraires d’expert, d’huissier et d’avocat en vertu du contrat d’assurance protection juridique conclu par M. et Mme X, est bien fondée en son action subrogatoire tendant à obtenir remboursement de ces sommes auprès de la SCI BGB, tiers responsable des préjudices subis par les assurés, étant ici observé que ces derniers n’allèguent d’aucuns frais restés à leur charge.

Le jugement dont appel sera confirmé en ce qu’il a condamné la SCI BGB à payer à la Macif la somme de 11 539,64 euros de ce chef.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

Le sens de l’arrêt conduit à confirmer le jugement critiqué sur les dépens et les frais irrépétibles.

La SCI BGB qui succombe sera condamnée aux dépens d’appel.

L’équité commande de la condamner à payer à M. et Mme X et à la Macif la somme de 1 500 euros au titre des frais irrépétibles d’appel sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Statuant par mise à disposition au greffe, publiquement et contradictoirement,

Confirme en toutes ses dispositions le jugement rendu le 31 décembre 2019 par le tribunal d’instance de Dunkerque,

Y ajoutant,

Condamne la SCI BGB aux dépens d’appel,

La condamne en outre à payer en cause d’appel à M. et Mme X et à la société d’assurance mutuelle Macif la somme de 1 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

La Greffière La Présidente

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Cour d'appel de Douai, Troisieme chambre, 8 avril 2021, n° 20/01686