Cour d'appel de Grenoble, Ch. sociale -section b, 24 juin 2021, n° 19/01114

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Chronologie de l’affaire

Commentaires3

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Sur la décision

Référence :
CA Grenoble, ch. soc. -sect. b, 24 juin 2021, n° 19/01114
Juridiction : Cour d'appel de Grenoble
Numéro(s) : 19/01114
Décision précédente : Conseil de prud'hommes de Grenoble, 17 février 2019, N° 16/00826
Dispositif : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours

Sur les parties

Texte intégral

BF

N° RG 19/01114

N° Portalis DBVM-V-B7D-J5NA

N° Minute :

Copie exécutoire délivrée le :

la SCP GERMAIN-PHION JACQUEMET

la SCP VBA AVOCATS ASSOCIES

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE GRENOBLE

Ch. Sociale -Section B

ARRÊT DU JEUDI 24 JUIN 2021

Appel d’une décision (N° RG 16/00826)

rendue par le Conseil de Prud’hommes – Formation de départage de GRENOBLE

en date du 18 février 2019

suivant déclaration d’appel du 08 mars 2019

APPELANTE :

Madame N X

née le […] à […]

[…]

[…]

représentée par Me Laure GERMAIN-PHION de la SCP GERMAIN-PHION JACQUEMET, avocat au barreau de GRENOBLE

INTIMEE :

EURL STP 'RESTAURANT LE 5", prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité audit siège

[…]

[…]

représentée par Me Franck BENHAMOU de la SCP VBA AVOCATS ASSOCIES, avocat au barreau de GRENOBLE

COMPOSITION DE LA COUR :

LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :

Mme Blandine FRESSARD, Présidente,

M. Frédéric BLANC, Conseiller,

M. Antoine MOLINAR-MIN, Conseiller,

Assistés lors des débats de M. Fabien OEUVRAY, Greffier,

DÉBATS :

A l’audience publique du 28 avril 2021,

Madame FRESSARD, Présidente, chargée du rapport,

Les avocats ont été entendus en leurs observations.

Et l’affaire a été mise en délibéré à la date de ce jour à laquelle l’arrêt a été rendu.

EXPOSE DU LITIGE

N X a été embauchée le 3 mars 2012 par l’EURL STP dans le cadre d’un contrat de travail à durée indéterminée à temps partiel, en qualité de serveuse au sein du restaurant «'le 5'», niveau 1, échelon 2.

Par avenant en date du 1er juin 2014, elle a accepté une augmentation de son temps de travail à temps plein ainsi qu’une revalorisation de sa classification (niveau 2 échelon 3).

Le 1er mai 2015, elle a été promue manager de salle et est passée sous le statut de cadre.

En février et mars 2016, la fille et le gendre du gérant, Monsieur O Y, sont intervenus dans le restaurant.

Par courrier en date du 15 juin 2016, N X a indiqué à son employeur que ses conditions de travail s’étaient dégradées depuis l’intervention de ses enfants et que Monsieur G L, salarié embauché à compter du 22 avril 2016 en qualité de responsable de salle en contrat à durée déterminée, puis en contrat à durée indéterminée, avait, en réalité, repris ses missions et exerçait sur elle des pressions importantes, notamment en remettant en cause sa manière de répartir les pourboires.

Madame N X a été placée en arrêt de travail à compter du 17 juin 2016.

Par courrier en date du 27 juin 2016, le gérant du '5' a rappelé à Madame N X l’objectif de l’intervention de sa fille et de son gendre, son refus de remettre en cause sa manière de travailler et a justifié la présence de Monsieur G L tant par son expérience que par des missions différentes de celles qu’elle exerçait.

Par requête déposée le 7 juillet 2016, N X a saisi le conseil de prud’hommes de GRENOBLE afin de solliciter la résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de son employeur.

Par avis rendus par le médecin du travail en date des 2 et 16 janvier 2017, Madame N X a été déclarée inapte à son poste et à tous postes dans l’entreprise.

Par courrier en date du 20 février 2017, elle a été licenciée pour inaptitude professionnelle.

Suivant jugement en date du 18 février 2019, le conseil de prud’hommes de GRENOBLE a :

— DEBOUTE Mme N X de sa demande au titre d’un préjudice moral sur le fondement de l’article 1240 du Code civil,

— DEBOUTE Mme N X de sa demande au titre d’un préjudice moral sur le fondement de l’article L. 1 152-4 du code du travail,

— DEBOUTE Mme N X de sa demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail,

— CONSTATE que le licenciement de Mme N X a une cause réelle sérieuse,

— DEBOUTE Mme N X de sa demande au titre de l’indemnité compensatrice de préavis et de l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

— DEBOUTE L’EURL STP 'Restaurant le 5' de sa demande reconventionnelle,

— CONDAMNE Mme N X au paiement des entiers dépens.

La décision rendue a été notifiée par lettres recommandées avec accusé de réception signé le 20 février 2019 par l’EURL STP tandis que celui de Madame N X a été retourné avec la mention «'destinataire inconnu à cette adresse'».

Appel de la décision a été interjeté par N X par déclaration de son conseil au greffe de la présente juridiction du 8 mars 2019.

Aux termes de ses conclusions notifiées par voie électronique le 5 juin 2019, N X sollicite de la cour de':

— REFORMER le jugement de première instance en ce qu’il :

— Déboute Mme N X de sa demande au titre d’un préjudice moral sur le fondement de l’article 1240 du code civil

— Déboute Mme N X de sa demande au titre d’un préjudice moral sur le fondement de l’article L.1 152-4 du code du travail

— Déboute Mme N X de sa demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail

— Constate que le licenciement de Mme N X a une cause réelle et sérieuse

— Déboute Mme N X de sa demande au titre de l’indemnité compensatrice de préavis et de l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

— Condamné Mme N X aux entiers dépens.

Statuer de nouveau,

— CONSTATER que Madame X a été victime d’agissements constitutifs de harcèlement moral

et à tout le moins que la société EURL STP a violé son obligation de sécurité à l’égard de la salariée.

— CONDAMNER, en conséquence, la société EURL STP à verser à Madame X les sommes de:

—  8 000 € nets à titre de dommages et intérêts pour le préjudice moral sur le fondement de l’article 1240 du code civil,

—  8 000 € nets à titre de dommages et intérêts pour le préjudice moral sur le fondement de l’article L.1152-4 du code du travail.

A titre principal,

— PRONONCER la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de la société EURL STP.

A titre subsidiaire

— DIRE et JUGER le licenciement notifié à Madame X comme étant sans cause réelle et sérieuse.

En tout état de cause

— CONDAMNER en conséquence la société EURL STP à verser à Madame X les sommes suivantes :

—  8 508,00 € bruts au titre de l’indemnité compensatrice de préavis (soit 3 mois de salaire), outre 850,80 € bruts au titre des congés payés afférents

—  17 016,00 € nets à titre de dommages et intérêts au titre de la nullité de la rupture à titre principal, ou subsidiairement à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

— CONDAMNER la société EURL STP à verser à Madame X la somme de 2000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux dépens.

Aux termes de ses conclusions notifiées par voie électronique le 26 août 2019, l’EURL STP RESTAURANT LE CINQ sollicite de la cour de':

— CONFIRMER le jugement rendu le 18 février 2019 par le conseil de prud’hommes de Grenoble ;

— REJETER la demande de résiliation judiciaire de Madame X ;

— CONFIRMER le caractère réel et sérieux du licenciement pour inaptitude ;

A titre subsidiaire,

— REJETER ou RAMENER ses demandes à de justes proportions ;

— CONDAMNER Madame N X à payer la somme de 2.500 euros en application de l’article 700 du Code de procédure civile ;

— CONDAMNER Madame N X aux entiers dépens.

Pour un exposé complet des moyens et prétentions des parties, il convient au visa de l’article 455 du code de procédure civile de se reporter à leurs écritures susvisées.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 11 mars 2021 et l’affaire fixée pour être plaidée à l’audience du 28 avril 2021. La décision a été mise en délibéré au 24 juin 2021.

MOTIFS DE L’ARRET

- Sur le harcèlement moral :

L’article L.1152-1 du code du travail énonce qu’aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

L’article 1152-4 du code du travail précise que l’employeur prend toutes dispositions nécessaires en vue de prévenir les agissements de harcèlement moral.

Sont considérés comme harcèlement moral notamment des pratiques persécutrices, des attitudes et/ou des propos dégradants, des pratiques punitives, notamment des sanctions disciplinaires injustifiées, des retraits de fonction, des humiliations et des attributions de tâches sans rapport avec le poste.

Le harcèlement moral est sanctionné même en l’absence de tout élément intentionnel.

Le harcèlement peut émaner de l’employeur lui-même ou d’un autre salarié de l’entreprise.

Il n’est en outre pas nécessaire que le préjudice se réalise. Il suffit pour le juge de constater la possibilité d’une dégradation de la situation du salarié.

A ce titre, il doit être pris en compte non seulement les avis du médecin du travail mais également ceux du médecin traitant du salarié.

L’article L 1154-1 du code du travail dans sa rédaction applicable au litige, précise qu’en cas de litige relatif à l’application des articles L 1151-1 à L 1152-3 et L 1152-3 à L 1152-4, (') le salarié établit des faits qui permettent de présumer l’existence d’un harcèlement.

Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles.

La seule obligation du salarié est d’établir la matérialité des faits précis et concordants, à charge pour le juge d’apprécier si ces éléments, pris dans leur ensemble et non considérés isolément, permettent de présumer l’existence d’un harcèlement, le juge ne pouvant se fonder uniquement sur l’état de santé du salarié mais devant pour autant le prendre en considération.

En l’espèce, N X invoque les faits suivants,'constitutifs, selon elle, d’agissements caractérisant des agissements de harcèlement moral subis à partir du début de l’année 2016 :

— le gérant exerçait une pression grandissante au sein de l’établissement marqué par un fort turn-over du personnel,

— les conditions de travail se sont dégradées à partir du début de l’année 2016 et notamment avec l’arrivée, dans le restaurant, de la fille et du gendre du gérant qui ont instauré un climat délétère en

adoptant une attitude volontairement hostile voir irrespectueuse,

— la salariée s’est vue mise au placard, son poste ayant progressivement été vidé de son contenu avec l’arrivée du 'responsable de salle', M. G L,

— elle a fait l’objet de propos hostiles et dénigrants de la part de ce dernier,

— dès l’instant où elle a été placée en arrêt de travail, l’employeur a mené une enquête interne à charge pour la salariée,

— son état de santé s’est dégradé jusqu’à justifier une déclaration d’inaptitude à son poste.

Et, pour étayer ses affirmations, N X produit notamment les éléments suivants, tirés des attestations de six collègues ou anciens collègues de travail.

Ainsi, au soutien du contexte social dégradé et des pressions exercées par le gérant M. Y, les attestations des trois salariés GARCIA, GUERARD et J font état':

— pour M. GARCIA, en poste de septembre 2013 à octobre 2015 de «'fortes pressions morales et managériales de la part de M. Y'», lequel «'passe son temps à critiquer le travail de ses collaborateurs'» ,

— pour M. GUERARD, en poste de mars à octobre 2015 d'«'un dirigeant lunatique qui ne savait pas ce qu’il veut. (. ..) Au fur et à mesure, l’entente dans l’équipe se dégradait à cause de la pression, des mensonges de M. Y sur les uns et sur les autres (en disant par exemple que le travail de telle ou telle personne était de la « merde '' pour reprendre ses termes) »,

— pour Mme Z, en poste de janvier 2011 à janvier 2016 au restaurant 'le 5", d’un «'patron (qui) disait un jour tout allait bien, le lendemain plus rien n’allait. L’ambiance en cuisine est donc devenue tendue. Chaque jour nous attendions ce que le patron reprocherait ''

La cour relève, cependant, que les pressions, telles que décrites de manière générale et imprécise, auraient concerné l’ensemble du personnel, sur la période ayant précédé celle au cours de laquelle Mme X évoque des agissements de harcèlement moral, la salariée appelante n’étant pas personnellement et spécialement visée par les méthodes managériales de M. Y'; les pressions ainsi alléguées ne sont pas matériellement suffisamment établies au soutien des prétentions de harcèlement moral de Mme X.

Au soutien de la dégradation des conditions de travail de Mme X en raison des brimades orchestrées par la fille et le gendre de M. Y, M. A atteste 'des brimades et insultes à l’encontre de Melle X et des autres employés- dont je faisais également partie- de la part du gendre de M. Y, dès son arrivée au courant du mois de février 2016, lorsque celui-ci nous l’a imposé sous prétexte d’améliorer notre façon de travailler. Il est également arrivé à Melle X de ressortir en larmes de réunions avec M. Y et son gendre (…)'», tandis que M. C confirme que « A partir du mois de février, le gendre Monsieur D, et la fille du patron, Mr Y, sont venus travailler dans le restaurant. (') MrTorres prenait le rôle de responsable de salle et mettait en cause les ordres de Madame F. Il prenait les serveurs en souffre-douleur et critiqu(ait) en permanence le travail de ceux-ci auprès des autres serveurs ''.

Au soutien de la mise au placard de Mme X, suite au départ de M. D, M. A, atteste avoir constaté que « Dès son arrivée au sein de l’établissement en avril 2016, G (L) a toujours été présenté comme le nouveau responsable de salle au lieu de simple employé. De plus, ce dernier faisait comprendre à l’aide de certains sous-entendus qu’il venait d’être recruté pour occuper le poste de Melle X. », quand M. H confirme : « Depuis mon retour dans le restaurant 'le 5' en mai 2016, j’ai remarqué que le travail de N était devenu plus difficile. En effet, le postulant au poste de second de salle: G prenait ses décisions seuls’ L’autorité d’N commençait petit à petit à disparaitre créant des conditions de travail très pénibles.'»

Et la comparaison des missions confiées d’une part à Mme X en qualité de «'manager de salle'» avec celles confiées à M. L, «'responsable de salle'» à partir du 22 avril 2016, telles qu’elles résultent de leurs contrats de travail respectifs, met en lumière que leurs attributions étaient identiques.

Au soutien du dénigrement dont Mme X a fait l’objet de la part de M. L, sont produites les attestations de M. A et de M. H constatant, pour le premier, que «'G P de monter plusieurs salariés contre Mlle X' et, pour le second, que 'G S N devant différents employés du restaurant ''.

Et pour étayer ses allégations de mise en 'uvre d’une enquête interne à charge entre les 22 et 23 juin 2016, soit cinq jours après son arrêt de travail, la salariée appelante met en lumière que les attestations des salariés sont, en réalité, des comptes-rendus, dactylographiés par l’employeur lui-même, des réponses des salariés interrogés sous la forme d’un questionnaire très orienté, notamment sur la façon de manager de Mme X, l’existence de tensions pendant le travail avec elle, sa façon de gérer les pourboires, leur perception de l’arrivée de G L et de la venue de sa fille et de son gendre.

Etant précisé que cette enquête interne fait suite au courrier daté du 15 juin 2016 que Mme X a adressé à son employeur pour dénoncer d’une part, ce qu’elle n’objective par aucun autre élément probant, le souhait exprimé par celui-ci, à l’occasion de leur entretien du 23 mai 2016, de conclure une rupture conventionnelle du contrat de travail et d’autre part des pressions et une situation de souffrance au travail, rappelant l’employeur à son obligation de sécurité.

Enfin, au soutien de l’atteinte à son état de santé, N X produit d’une part les attestations de deux collègues de travail, M. A témoignant de ce que «'il est arrivé à Melle I de ressortir en larmes de réunions avec Mr Y et son gendre'» et Mme J, ayant pu constater chez Melle X pendant la période d’avril à septembre 2015 « des changements physiques (perte de poids), ainsi que des psychologiques (malaises dûs au stress, fatigues, ne se nourrissait plus lors des repas du personnel)'», étant relevé que ces dernières constatations ne concernent pas la période litigieuse telle que mise en avant par la salariée appelante.

D’autre part divers documents médicaux sont versés aux débats qui établissent que':

— dès le 17 mai 2016, Madame X a rencontré le médecin du travail, lequel a constaté que I’état de santé de la salariée nécessitait des soins,

— la salariée a été contrainte de suspendre son activité professionnelle dès le 17 juin 2016, pour syndrome de stress post traumatique,

— le Docteur K atteste, le 14 décembre 2016, du suivi et de la dégradation de l’état de santé de Mme X en ces termes : « Elle nous a consulté fin mai 2016, pour des malaises d’allure vagale à répétition. Les causes de ces malaises se sont vite orientées vers un syndrome anxieux en rapport avec un conflit avec son employeur. Courant juin 2016, la patiente revient nous consulter et décrit cette angoisse en permanence avec trouble du sommeil. Sur les recommandations du médecin du travail, nous démarrons un arrêt de travail pour « stress post traumatique '', la patiente décrivant toujours une relation tendue avec son employeur ''.

— lors de deux visites médicales de reprises des 2 et 16 janvier 2017, le médecin du travail déclare Mme X « inapte au poste et à tous les postes dans l’entreprise : l’état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans un emploi de l’entreprise » .

N X établit, ainsi, l’existence matérielle de faits précis et concordants, qui pris dans leur ensemble permettent de présumer l’existence d’un harcèlement moral à son encontre.

L’employeur, pour sa part, fait valoir qu’il a encouragé la progression de carrière de Mme X qui n’avait ni expérience, ni diplôme dans la restauration à son entrée dans l’entreprise, qu’il n’a jamais entendu la mettre au placard ou la remplacer, et n’a jamais exercé de pressions à son égard, contrairement à ce qu’elle prétend sans preuve. Aucun agissement de harcèlement moral n’a jamais été exercé sur la salariée qui, au contraire, a bénéficié de l’aide et du soutien de son employeur durant toute la relation de travail.

Et la société STP RESTAURANT 'Le 5" produit aux débats les auditions des neuf salariés auxquelles elle a procédé dans le cadre d’une enquête interne diligentée les 22 et 23 juin 2016, suite à la plainte de Mme X, adressée à son employeur par courrier daté du 15 juin précédent, qui faisait état d’une souffrance au travail de l’ensemble du personnel et du manquement de l’employeur à son obligation de sécurité.

Or, il ressort de cette enquête qu’aucun salarié n’a ressenti de l’agressivité de la part de la fille et du gendre de M. Y, le gérant, lorsque ces derniers sont venus durant deux mois 'partager leur expérience de l’organisation et du service d’un restaurant' et qu’aucun de ces neuf salariés n’a été témoin du fait que M. G L aurait tenté ou dit vouloir prendre la place de Mme X, laquelle en revanche est décrite par plusieurs d’entre eux comme agressive et autoritaire dans sa manière de donner des directives, certains se plaignant également de sa méthode de distribution des pourboires.

Cependant la cour relève que ces neuf témoignages ont été recueillis par l’employeur à partir d’un même questionnaire élaboré par ce dernier, constitué de questions très fermées et très orientées, ne laissant aucune place à la spontanéité et la liberté de parole des salariés dont les réponses très similaires ont alimenté un dossier à charge de la salariée appelante, qui avait dénoncé une situation de souffrance au travail, cette enquête interne apparaissant dans ces conditions plutôt comme un dévoiement de ce que l’employeur qualifie, sans en convaincre la cour, d’enquête «'pour prendre la mesure des faits dont se plaignait Mme X'».

En effet si l’employeur souligne que les reproches formulés par Mme X sur les conditions dans lesquelles sont intervenus la fille et le gendre du gérant, ne sont plus d’actualité en juin 2016, l’un et l’autre ayant quitté le restaurant «'le 5'» dès le début du mois d’avril, après y avoir passé deux mois, il n’apporte aucun élément sur la mission qui leur avait été confiée et les moyens qui leur avaient été donnés pour la mener à bien. De même n’interroge-t-il jamais les salariés, dans le cadre de l’enquête interne critiquée, sur les tensions dont ils auraient pu être témoins entre Mme X et ces deux intervenants extérieurs à l’équipe.

La société le restaurant «'le 5'» n’explique pas plus dans quelles circonstances, étrangères à toutes brimades ou dénigrements tels que dénoncés par la salariée appelante, celle-ci a pu «'ressortir en larmes de réunions avec M. Y et son gendre (…) lequel prenait le rôle de responsable de salle et mettait en cause les ordres de Madame F'».

Par ailleurs, pour corroborer les témoignages concordants des neuf salariés au sujet de la place bien définie de M. L par rapport à celle de Mme X, et combattre les témoignages de messieurs A et H évoqués précédemment, l’employeur verse aux débats les trois contrats successifs qu’il a signés avec M. G L qui mettent en lumière le poste de responsable de salle sur lequel il a été recruté, d’abord en CDD puis en CDI.

L’employeur produit également une attestation établie par ce dernier qui critique l’attitude négative

adoptée par Mme X à son égard ainsi qu’à l’égard de nombreux de ses collaborateurs.

Cependant, si les salariés interrogés par l’employeur ont exprimé apprécier le travail avec M. L, aucun n’a été questionné, ni ne s’est exprimé, sur les tensions qui existaient entre ce dernier et Mme X, alors que cette dernière dénonce de son côté le comportement de celui-ci à son égard tandis qu’il prenait peu à peu sa place au sein du restaurant.

Enfin la société n’explique en rien pourquoi elle a procédé à l’embauche de M. L dans les conditions rappelées ci-dessus, pour exercer des missions identiques à celle de Mme X, laquelle a objectivé par la production des témoignages évoqués précédemment, que son poste de manager de salle a été vidé progressivement de son contenu, d’abord lors de la présence de M. D qui s’est octroyé ses fonctions et a mis à mal son autorité, puis par l’embauche de M. L, en qualité de responsable de salle, l’employeur échouant à établir en quoi leurs missions étaient bien distinctes et complémentaires.

Enfin l’employeur verse aux débats les attestations d’une ancienne salariée et de quatre clients qui témoignent de l’évolution professionnelle positive de Mme X au sein du restaurant dans lequel elle paraissait à l’aise, évolution favorisée par les capacités d’écoute et la générosité de M. Y à son égard, Mme Q R, directrice administratif, rappelant dans quelles conditions Mme X a pu progresser dans son travail entourée et soutenue par toute l’équipe, notamment quant elle a fait l’objet de l’insubordination de M. A à son égard, ou s’est plainte des conditions de travail chez son précédent employeur, notaire, ces éléments corroborant l’attitude appropriée de Mme X dans le cadre de son emploi et l’absence de difficulté au sein du restaurant dans lequel elle exerçait ses missions de manager de salle.

Dès lors, il résulte de l’ensemble des énonciations qui précèdent que l’employeur échoue à démontrer que les faits matériellement établis par N X sont justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. Le harcèlement moral est établi.

Et, compte tenu des circonstances du harcèlement subi, malgré sa courte durée, et des conséquences dommageables qu’il a eues pour N X tant au niveau de ses droits et de son avenir professionnel que de son état de santé, telles qu’elles ressortent des pièces et des explications fournies comme des documents médicaux versés aux débats, le préjudice en résultant pour la salariée appelante doit être réparé par l’allocation de la somme de 2000,00 euros à titre de dommages-intérêts.

Le jugement est infirmé sur ce point.

- Sur l’obligation de prévention et de sécurité

Aux termes de l’article L 4121-1 du code du travail, l’employeur est tenu, pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs, de prendre les mesures nécessaires qui comprennent des actions de prévention des risques professionnels et de la pénibilité au travail, des actions d’information et de formation et la mise en place d’une organisation et de moyens adaptés. L’employeur doit veiller à l’adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l’amélioration des situations existantes.

Etant rappelé que l’article L1152-4 du code du travail précise que l’employeur prend toutes dispositions nécessaires en vue de prévenir les agissements de harcèlement moral.

Et l’employeur doit notamment transcrire et mettre à jour un document unique des résultats de l’évaluation des risques, (physiques et psycho-sociaux), pour la santé et la sécurité des salariés qu’il est tenu de mener dans son entreprise, ainsi que les facteurs de pénibilité en vertu de l’article R 4121-1 et suivants du code du travail.

Il convient de rappeler qu’en cas de litige, il incombe à l’employeur, tenu d’assurer l’effectivité de l’obligation de sécurité mise sa charge par les dispositions précitées, de justifier qu’il a pris les mesures suffisantes pour s’acquitter de cette obligation.

La réparation d’un préjudice résultant d’un manquement de l’employeur suppose que le salarié qui s’en prétend victime produise en justice les éléments de nature à établir d’une part la réalité du manquement et d’autre part l’existence et l’étendue du préjudice en résultant.

Et, dès lors que le harcèlement moral est établi aux termes des énonciations qui précèdent, l’employeur ne peut s’exonérer de sa responsabilité, sauf à démontrer que dès l’instant où il a été informé de l’existence de faits susceptibles de constituer un harcèlement moral, il a pris les mesures immédiates propres à les faire cesser, et qu’il a pris, antérieurement à la survenance de ces faits, toutes les mesures de prévention prévues par les articles L.4121-1et L.4121-2 du code du travail.

Au cas d’espèce, il est cependant constant qu’il n’existait au sein de l’entreprise aucun document d’évaluation des risques professionnels, l’employeur ne justifiant d’aucune politique de prévention des risques au sein de l’établissement le restaurant «'le 5'».

Mme X a alerté son employeur, par courrier du 15 juin 2016, d’une situation de souffrance au travail en lien avec la dégradation de ses conditions de travail entraînant une dégradation de son état de santé.

La société a répondu à cette alerte, d’une première part, par la mise en 'uvre d’une enquête interne, les 22 et 23 juin, dont il a déjà été démontré qu’elle avait été à charge et non pas révélatrice d’une volonté objective de l’employeur de mieux comprendre les agissements dénoncés par Mme X pour les faire cesser.

D’une deuxième part, l’employeur s’est étonné, par courrier, daté du 27 juin 2016, adressé à Mme X, de ses doléances récentes et infondées, l’invitant à reprendre le travail dans de meilleures dispositions d’esprit, tout en admettant, dans ses écritures devant la cour, l’existence d’échanges verbaux antérieurs au cours desquels le conflit existant entre la salariée appelante et le nouveau responsable de salle, M. L, avait été nécessairement évoqué, puisque l’employeur admet que, début juin 2016, Mme X, qui n’était pas encore en arrêt de travail, avait oralement demandé le licenciement de ce dernier.

Prenant prétexte de son pouvoir de direction pour justifier du choix de ses salariés, la société STP RESTAURANT LE 5, tenue d’assurer l’effectivité de l’obligation de sécurité mise sa charge par les dispositions précitées, échoue cependant à justifier qu’elle a pris les mesures suffisantes pour s’acquitter de cette obligation.

En conséquence, par infirmation de la décision entreprise, la salariée, dont l’état de santé s’est dégradé à un point tel qu’elle a finalement été déclarée inapte à tous les postes de l’entreprise, justifie d’un préjudice au titre du manquement de l’employeur à son obligation de prévention et de sécurité que la cour évalue, compte tenu du temps très limité de la persistance de la situation litigieuse, à la somme de 800,00 €.

- Sur la résiliation judiciaire du contrat de travail'

Il ressort des dispositions de l’article 1184, devenu 1224, du code civil, qu’il relève du pouvoir souverain des juges du fond d’apprécier si l’inexécution par l’un des cocontractants de certaines des dispositions résultant d’un contrat synallagmatique présente une gravité suffisante pour en justifier la résiliation.

Tout salarié est ainsi recevable à demander devant le juge prud’homal la résiliation de son contrat de

travail s’il justifie de manquements de l’employeur à ses obligations nées de ce contrat, si leur gravité rend impossible la poursuite du contrat de travail.

Or, il apparaît en l’espèce au visa de l’ensemble des énonciations qui précèdent que les agissements de harcèlement moral caractérisés constituent un manquement suffisamment grave de l’employeur à ses obligations nées du contrat de travail le liant à N X pour empêcher la poursuite de la relation de travail.

C’est ainsi que, par infirmation de la décision entreprise, Mme X est bien fondée en sa demande de résiliation judiciaire du contrat de travail, laquelle doit produire les effets d’un licenciement nul à la date du 20 février 2017, date à laquelle a été prononcé le licenciement pour inaptitude.

Dès lors, la salariée appelante est bien fondée à obtenir le versement de la somme de 8508,00 € bruts au titre de l’indemnité compensatrice de préavis, outre 850,80 bruts au titre des congés payés afférents.

Et, au regard de la rémunération mensuelle brute que percevait l’intéressée à la date de la rupture, de son ancienneté au service du même employeur, des circonstances du licenciement dont elle a fait l’objet, en l’absence d’éléments sur sa situation personnelle et professionnelle, il convient de fixer le préjudice subi à raison de la perte injustifiée de son emploi par N X à la somme de 17'016,00'€.

-Sur les demandes accessoires

Infirmant le jugement déféré, la cour condamne l’EURL STP 'RESTAURANT LE CINQ', partie perdante à l’instance, aux dépens de première instance et d’appel et dit que l’équité et les situations économiques respectives des parties justifient que la société soit condamnée à verser à N X la somme de 2000,00 € par application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS':

La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire, après en avoir délibéré conformément à la loi,

INFIRME le jugement entrepris en toutes ses dispositions

STATUANT à nouveau et y ajoutant

CONDAMNE la société EURL STP 'RESTAURANT LE CINQ’ à verser à N X les sommes de :

—  2 000,00 € nets à titre de dommages et intérêts au titre du harcèlement moral,

—  8 00,00 € nets à titre de dommages et intérêts au titre du manquement de l’employeur à son obligation de prévention et de sécurité

PRONONCE la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de la société EURL STP 'RESTAURANT LE CINQ’ à la date du 20 février 2017

CONDAMNE en conséquence la société EURL STP 'RESTAURANT LE CINQ’ à verser à N X les sommes suivantes :

—  8 508,00 € bruts au titre de l’indemnité compensatrice de préavis, outre 850,80 € bruts au titre des congés payés afférents.

—  17 016,00 € nets à titre de dommages et intérêts au titre de la nullité de la rupture

CONDAMNE la société EURL STP 'RESTAURANT LE CINQ’ à verser à N X la somme de 2000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNE la société EURL STP 'RESTAURANT LE CINQ’ aux dépens de première instance et d’appel.

Prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

Signé par Mme Blandine FRESSARD, Présidente et par Mme Q COLAS, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

La Greffière La Présidente

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Cour d'appel de Grenoble, Ch. sociale -section b, 24 juin 2021, n° 19/01114