Cour d'appel de Montpellier, 2e chambre sociale, 2 décembre 2020, n° 16/00206

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CA Montpellier, 2e ch. soc., 2 déc. 2020, n° 16/00206
Juridiction : Cour d'appel de Montpellier
Numéro(s) : 16/00206
Décision précédente : Conseil de prud'hommes de Montpellier, 11 septembre 2016, N° F14/01492
Dispositif : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée

Sur les parties

Texte intégral

PC/JF

Grosse + copie

délivrées le

à

COUR D’APPEL DE MONTPELLIER

2e chambre sociale

ARRET DU 02 DECEMBRE 2020

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 16/00206 – N° Portalis

DBVK-V-B7A-M3KO

Décision déférée à la Cour : Jugement du 12 SEPTEMBRE 2016

CONSEIL DE PRUD’HOMMES – FORMATION PARITAIRE DE MONTPELLIER

N° RG F14/01492

APPELANTE :

Madame F Y

née le […] à […]

de nationalité Française

[…]

[…]

Représentée par Me Me PORTE avocat pour Me Michel PIERCHON, avocat au barreau de MONTPELLIER

INTIMEE :

Association GAMMES

[…]

[…]

Représentée par Me Anne laure PERIES de la SELARL CAPSTAN – PYTHEAS, avocat au barreau de MONTPELLIER

ORDONNANCE DE CLOTURE DU 15 SEPTEMBRE 2020

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du Code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 06 OCTOBRE 2020,en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Monsieur H I, X, chargé du rapport.

Ce(s) magistrat(s) a (ont) rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

M. Jean-Pierre MASIA, Président

Monsieur H I, X

Mme Isabelle MARTINEZ, Conseillère

Greffier, lors des débats : M. Philippe CLUZEL

ARRET :

— contradictoire.

— prononcé par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile ;

— signé par M. Jean-Pierre MASIA, Président, et par M. Philippe CLUZEL, Greffier.

*

* *

EXPOSE DU LITIGE

Madame F Y a été engagée par l’établissement SSIAD Sillage de l’association Sillage (devenue Gammes) selon contrat à durée déterminée du 11 juillet 2007 en qualité de directrice relevant de la convention collective de l’hospitalisation privée à but non lucratif du SSIAD moyennant une rémunération annuelle brute de 34 564,99 €.

Le 3 avril 2013 madame Y a été placée en arrêt de travail, renouvelé jusqu’au 5 août 2013, pour maladie.

A l’occasion de la seconde visite de reprise du 5 juillet 2013, le médecin du travail, après étude du poste et des conditions de travail, concluait à une inaptitude définitive de la salariée à son poste.

Le 20 janvier 2014 madame Y a été licenciée pour inaptitude et impossibilité de reclassement.

Contestant le bien fondé de la rupture, le 22 juillet 2014, la salariée a saisi le conseil de prud’hommes de Montpellier aux fins de nullité du licenciement en raison d’un harcèlement moral accompagné d’une rétrogadation et subidiairement de condamnation de l’employeur à lui payer différentes sommes au titre d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse pour manquement à l’obligation de reclassement.

Par jugement du 12 septembre 2016 le conseil de prud’hommes de Montpellier a débouté la salariée de l’ensemble de ses demandes.

Le 12 octobre 2016 Madame F Y a relevé appel du jugement du conseil de prud’hommes.

Aux termes de ses dernières écritures du 20 janvier 2020 elle conclut à la réformation du jugement entrepris, à la nullité du licenciement en raison d’un harcèlement moral accompagné d’une rétrogadation, et subidiairement, à la condamnation de l’employeur à lui payer différentes sommes au titre d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse pour manquement à l’obligation de reclassement ainsi que de travail dissimulé. Elle réclame en définitive la condamnation de l’employeur à lui payer les sommes suivantes:

19 608,20 € à titre de rappel de salaire sur heures supplémentaires, outre 1960,82 € au titre des congés payés afférents,

à titre principal 89 092,44 € à titre de dommages-intérêts pour licenciement nul,

à titre subsidiaire 89 092,44 € à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

29 697,48 € à titre d’indemnité compensatrice de préavis, outre 2969,74 € au titre des congés payés afférents,

29 697,48 € à titre d’indemnité forfaitaire pour travail dissimulé,

5000 € au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

Elle sollicite également la remise par l’employeur des documents sociaux de fin de contrat et bulletins de paye réectifiés sous astreinte de 100 € par jour de retard pasé le délai de 15 jours de la décision à intervenir.

L’association Gammes dans ses dernières conclusions du 21 janvier 2020 conclut à titre principal à la confirmation du jugement entrepris, au débouté de la salariée de l’ensemble de ses demandes et subsidiairement au caractère manifestement excessif de ses demandes indemnitaires ainsi qu’à sa condamnation à lui payer une somme de 3000 € au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

L’ordonnance de clôture était rendue le 15 septembre 2020.

SUR QUOI

> Sur la nullité du licenciement

Aux termes de l’article L.1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

L’article L.1154-1 du même code dans sa rédaction applicable au litige prévoit qu’en cas de litige, le salarié concerné établit des faits qui permettent de présumer l’existence d’un harcèlement et il incombe alors à l’employeur, au vu de ces éléments, de prouver

que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

En application de l’article L1152-3 du code du travail, toute rupture du contrat de travail intervenue en méconnaissance des dispositions des articles L 1152'1 et L 1152'2, toute disposition ou tout acte contraire est nul.

><

En l’espèce, Madame Y soutient que l’employeur a modifié unilatéralement son contrat de travail dans la mesure où après avoir été embauchée en qualité de directrice de l’établissement SSIAD Sillage elle se retrouvait directrice-adjointe et en réalité sous la subordination de Madame Z comme le démontre l’organigramme qui avait été préparé par sa secrétaire le 18 septembre 2012 alors qu’elle exerçait jusque-là des fonctions de même niveau. Elle expose que par la suite elle recevait régulièrement des instructions péremptoires de cette dernière et notamment le 2 avril 2013 veille de son départ en arrêt maladie, que par ailleurs le directeur général lui laissait entendre que les dernières évolutions du poste n’étaient peut-être pas définitives et pourraient déboucher sur des « alternatives », formulation vague laissant la salariée dans l’expectative d’une menace incessante sur son avenir au sein de la structure.

Pour étayer ses affirmations Madame Y verse notamment débats :

'le contrat de travail du 11 juillet 2007 aux termes duquel elle était engagée par l’établissement SSIAD Sillage de l’association Sillage (devenue Gammes) selon contrat à durée déterminée en qualité de directrice, statut cadre, relevant de la convention collective de l’hospitalisation privée à but non lucratif. Ses attributions consistant aux termes de l’article 2 du contrat en une mission de direction dans l’intérêt de l’établissement et de son association gestionnaire, le même article précisant : « les fonctions, attributions et missions sont exercées sous l’autorité et dans le cadre des instructions données par le directeur-général désigné comme supérieur hiérarchique par le président de l’association ».

'La fiche de poste annexée au contrat de travail attribuait à la salariée la responsabilité du bon fonctionnement matériel, administratif et financier de l’établissement ; la responsabilité du personnel ; l’interface entre l’établissement et l’association ; la représentation de l’établissement et la participation aux relations extérieures de l’association.

'L’organigramme du groupement d’associations mutualisées d’économie sociale du 13 septembre 2010 duquel il ressort que Madame F Y était directrice du SSIAD Sillage et que Madame J Z était directrice du SSIAD Equilibre, toutes deux exerçant une autorité directe sur plusieurs services.

'L’organigramme du groupement d’associations mutualisées d’économie sociale du 25 octobre 2012 sur lequel madame Y apparaît comme directrice-adjointe chargée de missions d’appui à la gestion et suivi RH, plan de formation, évaluation interne et externe, système d’information et gestion des documents, communication, projet développement.

'Un projet d’organisation de la direction préparé par Madame Z le 18 septembre 2012.

'plusieurs courriels adressés par Madame Z à Madame Y entre octobre 2012 et avril 2013 et notamment un courriel du 1er octobre 2012 par lequel Madame Z reproche à Madame Y d’avoir accordé un congé parental et lui indique avoir passé une demi-heure sur le dossier en précisant : « je ne suis pas d’accord pour qu’on passe plus de temps sur ce dossier. Je te le mets de côté pour midi et te laisse t’en occuper » ; un courriel du 15 février 2013 ayant pour objet la formation pour l’année 2013 ainsi libellé : « tu prévois de t’en occuper ' ' ' ' » ; Un courriel du 2 avril 2013 à 14h50 où après qu’une information est été donnée par le directeur-général quelques heures plus tôt sur la taxe locale sur les publicités extérieures Madame Z adresse à Madame Y un courriel ainsi libellé : « où en es tu du projet signalétique ' » ; Un courriel du 2 avril 2013 à 14h58 où après que madame Y ait adressé un lien permettant d’accéder aux résultats d’une enquête d’évaluation interne des établissements Madame Z lui adresse le courriel suivant : « tu peux nous faire un retour rapide ' » ; Un courriel du 2 avril 2013 à 15h14 par lequel Madame Z adresse à Madame Y le courriel suivant : « fais le nécessaire pour que ce que tu as fait sois noté dans Apologic’ Il faut absolument que tu notes tout dans Apologic : visites, entretiens, réclamations’ » signé J Z directrice.

'Un courriel adressé le 22 mars 2013 par le directeur-général à son adjointe, à Madame Z et à Madame Y dont l’objet était : « poste de F Y et Réunion de direction » et dans lequel il est mentionné : « au cours de celle-ci (la réunion) nous préciserons l’évolution et l’organisation des fonctions de F Y à partir des propositions de celle-ci et sous le couvert d’J Z en tant que directrice du DPASD-OSP. Nous préciserons également le calendrier de réalisation et d’évaluation. Je préciserai les alternatives que nous envisageons dans le cas où cette nouvelle adaptation des fonctions ne produirait pas les résultats escomptés et les perspectives sur lesquelles nous avons échangé avec F Y et que nous lui recommandons de mettre en 'uvre parallèlement à l’évolution de ses fonctions de directrice adjointe’ en raison des congés d’J Z la semaine prochaine, il n’y aura pas de réunion de direction’ ».

'Les certificats médicaux d’arrêt de travail et de prolongation d’arrêt de travail du 3 avril 2013 au 5 août 2013 pour trouble anxieux et syndrome d’épuisement professionnel.

'Le certificat médical d’inaptitude définitive au poste établi par le médecin du travail le 5 juillet 2013.

'Le courrier adressé le 3 avril 2004 par le médecin du travail au Docteur A psychiatre ainsi que la réponse du Docteur A au médecin du travail indiquant le 14 juin 2013 avoir suivi Madame Y depuis le 15 avril 2013 pour un « état dépressif anxieux avec angoisses et crises de panique majeures, insomnies, anorexie, amaigrissement et troubles de la concentration apparemment réactionnelle à des difficultés professionnelles entraînant un sentiment de dévalorisation d’échec et d’incapacité ».

><

Madame Y établit ainsi qu’elle a de fait perdu sa place dans la hiérarchie de l’entreprise, recevant des directives précises sur un ton comminatoire d’une autre salariée antérieurement placée au même niveau de responsabilité qu’elle. Les documents qu’elle produit démontrent également que cette situation de fait recevait l’aval du directeur général et que la réorganisation retenue était encore loin d’être stabilisée, si bien que cette situation débouchait directement le 3 avril 2013 sur une

dégradation de l’état de santé de la salariée qui était placée en arrêt de travail ininterrompu jusqu’à la déclaration d’inaptitude définitive au poste. Les éléments qu’elle verse aux débats établissent ainsi l’existence matérielle de faits précis et concordants, qui pris dans leur ensemble, permettent de présumer l’existence d’un harcèlement moral à son encontre.

><

En défense, l’association Gammes fait valoir que Madame Y n’a pas été rétrogradée, que les classifications conventionnelles sont données à titre indicatif de sorte que l’employeur peut valablement créer des postes hors classifications conventionnelles ou bien moduler les missions ou dénominations des postes, qu’en outre elle ne démontre pas quelle tâche ou responsabilité lui aurait été retirée, que les modalités de la réorganisation des services ne supprimaient ni le service du SSIAD ni son poste de directrice si bien que les responsabilités de Madame Y n’étaient en aucun cas amoindries, qu’elle s’était vue confier des missions transversales qu’elle avait d’ailleurs elle-même proposées et que le nouvel organigramme démontrait qu’elle se trouvait toujours au même niveau que Madame Z, qu’au demeurant sa rémunération n’avait pas été modifiée. Contestant toute forme de harcèlement moral, l’association expose que Madame Y ne s’est jamais plainte. Elle ajoute que si la salariée produit une attestation de Monsieur B ancien directeur d’établissement celle-ci antérieure aux faits est parfaitement inopérante, qu’elle ne prouve à aucun moment avoir été menacée de devoir quitter l’association qu’elle ne peut se prévaloir d’aucun écart de langage de Madame Z qui l’aurait humiliée, qu’enfin elle ne rapporte pas la preuve du lien entre les conditions de travail et la dégradation de son état de santé.

A l’appui de ses moyens, l’association produit:

— le contrat de travail en date du 11 juillet 2007 ;

— les certificats d’arrêt de travail du 3 avril au 5 août 2013 ;

— la fiche de visite médicale en date du 17 juin 2013 ;

— l’avis d’inaptitude définitive en date du 5 juillet 2013 ;

— un courriel de Madame Y du 28 janvier 2013 qu’elle signe du titre de directrice adjointe,

— un courriel de Madame Z du 4 septembre 2012 aux termes duquel elle propose une réunion d’harmonisation à Madame Y,

— un échange de courriels entre M. C et Mme Y en date du 7 février 2013,

— un courriel de Madame Y du 9 octobre 2012, aux termes duquel elle demande à Madame Z de lui donner son avis sur la présentation de l’organigramme de répartition des fonctions afin de le modifier si cette dernière le souhaite,

— un courriel de compte-rendu d’activité de Madame Y adressé à Madame Z le 8 mars 2013 par lequel elle lui demande si elle a des remarques sur ce qu’elle a noté afin d’avancer et d’atteindre leurs objectifs dans un bon climat social,

— un courriel de Madame Y adressé à Madame Z et au directeur général le 2 avril 2013 pour validation et correction,

— un compte-rendu et ordre du jour de la réunion de direction du 2 avril 2013, à laquelle participent Madame Y et Madame Z,

— un courriel de Madame Y à Madame Z aux termes duquel elle lui adresse un document pour corrections éventuelles le 8 mars 2013,

— un courriel de Mme D, adjointe direction générale, et ordre du jour de la réunion du 17 juillet 2012,

— un courrier de Gammes à Madame Y du 27 octobre 2013 par lequel l’association conteste toute forme de rétrogradation ou de discrimination,

— un courrier au médecin du travail du 30 octobre 2013 pour l’examen d’une proposition de reclassement à la salariée,

— un courrier de proposition de poste de reclassement de l’association Gammes à Madame Y en date du 2 décembre 2013,

— la lettre de licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement du 20 janvier 2014,

— une attestation de Madame E assistante de direction indiquant que de 2008 à mars 2013 elle avait constaté que madame Y K au bureau aux environs de 9h30,

— un courriel de Monsieur C, directeur général, adressé à madame Y le 5 mars 2013, afin de la rencontrer avant une réunion avec les cadres intermédiaires,

— un courriel par lequel Madame D indique à madame Y le 19 février 2013 qu’elle-même et le directeur général souhaiteraient la rencontrer le 21 février à neuf heures,

— un compte-rendu de réunion du 21 décembre 2012 sur lequel madame Y est désignée comme directrice du SSIAD Sillage

— un compte-rendu de la réunion du 26 décembre 2012,

— un compte rendu de la réunion CE du 30 octobre 2012 sur lequel madame Y est désignée en qualité de directrice,

— les bulletins de salaires de madame Y des mois d’août et septembre 2013 ainsi que ceux de janvier 2012 à mai 2013,

— un courriel de madame Y en date du 2 décembre 2011 par lequel elle demande à Madame Z en la remerciant d’imprimer un document de le signer et de lui ramener pour diffusion,

— des courriels des 6 et 8 janvier 2012 aux termes desquels le directeur général félicite ses collaboratrices,

— des courriels du 20 janvier 2012,

— un compte-rendu de la réunion du 6 février 2012,

— un courriel de madame Y en date du 8 février 2012 relatif au tableau de répartition des fonctions,

— un courriel de madame Y du 9 février 2012 ainsi qu’un organigramme y annexé,

— un courriel de madame Y du 30 avril 2012,

— des courriels de madame Y du 31 août 2012 par lesquels elle assure le suivi d’une signature de contrat de travail,

— un compte-rendu du conseil d’administration du 29 octobre 2012,

— un compte-rendu de réunion CE du SSIAD EQUILIBRE, du 25 janvier 2013,

— une convocation des délégués du personnel du 29 novembre 2013 en vue de donner leur avis sur le reclassement de madame Y,

— les courriers relatifs à la recherche de reclassement de madame Y ainsi qu’à la rupture du contrat de travail,

— l’avis d’aptitude du 18 janvier 2012

><

Si l’employeur soutient que madame Y était à l’initiative de la réorganisation retenue en raison d’un courriel de la salariée en date du 8 février 2012 aux termes duquel madame Y fait une proposition de répartition des fonctions entre madame Z et elle-même. Ce courriel qui répondait à une demande de l’employeur visant à lister la répartition des fonctions entre les deux salariées en vue de la réorganisation de la structure ne résulte pas de son initiative. De plus l’organigramme annexé à ce courriel conserve à madame Y à égalité avec madame Z autorité sur les deux assistantes de direction, le cadre de santé, le cadre administratif et le pôle de gestion tandis que l’organisation en définitive retenue se limite à lui confier des tâches d’appui sans responsabilité directe d’aucun personnel, et ce alors même qu’il ressort des comptes-rendus de la réunion du 6 février 2012 qu’elle entendait demeurer directrice du SSIAD Sillage avec des mutualisations possibles. Il ressort en outre des autres pièces produites et notamment des comptes-rendus de réunion versés aux débats par l’employeur que l’organisation retenue était en définitive celle proposée par Madame J Z le 6 février 2012, celle-ci relevant néanmoins à cette occasion que l’association Sillage dont madame Y était directrice du SSIAD n’était pas partie prenante pour cette solution. Pour autant, dans un courriel que le directeur général adressait à la fois à madame Y et à madame Z le 22 mars 2013 et dont l’objet se rapportait à la définition du poste de madame Y, ce dernier n’hésitait pas à préciser que l’évolution et l’organisation des fonctions à la suite des propositions de Madame Y ne se réaliserait que sous couvert d’J Z directrice du DPSAD-OSP, si bien que l’employeur succombe à rapporter la preuve que la salariée était à l’origine de cette réorganisation, et ce d’autant plus que par la suite, les nombreux courriels des années 2012 et 2013 versés aux débats par madame Y établissent que celle-ci recevait de la part de son ancienne collègue des ordres et des directives très précises relatives à des tâches à accomplir sur un ton comminatoire, sans rapport avec la tonalité cordiale des échanges de mails antérieurs à la réorganisation produits par l’employeur, la plaçant de fait dans une situation de subordination à l’égard de madame Z, contrairement aux stipulations du contrat de travail , alors même que si son salaire n’avait pas été diminué, elle était privée des attributions essentielles de ses précédentes fonctions de direction d’établissement telles qu’elles étaient contractualisées dans la mesure où elle avait perdu l’intégralité de ses fonctions de management et n’exerçait plus aucune autorité directe sur le personnel comme cela ressort des organigrammes produits aux débats. Les documents produits et notamment ceux rappelés ci-avant démontrant au contraire qu’avec l’assentiment du directeur-général madame Y s’était retrouvée de fait sous la subordination directe de sa collègue qui la soumettait à des injonctions réitérées présentant un caractère vexatoire, les fonctions apparemment transversales lui ayant été confiées n’étant en réalité qu’une délégation de tâches consenties par la nouvelle directrice de la structure selon l’organisation que cette dernière avait envisagée avec l’aval du directeur général, ce qui plaçait madame Y à une incertitude permanente sur son devenir, dès lors que depuis septembre 2012, date à laquelle elle nommée directrice-adjointe au terme d’un processus de réorganisation dont l’employeur ne définit pas l’objet, et le terme de son contrat, les réunions, convocations à entretien, consultations sur la définition de son poste s’étaient succédées, et que près de huit mois plus tard l’employeur s’interrogeait toujours sur des alternatives possibles, situation directement à l’origine de la dégradation de son état de santé ayant débouché sur un arrêt de travail ininterrompu, pour syndrome d’épuisement professionnel et état dépressif anxieux accompagné d’un sentiment de dévalorisation d’échec et d’incapacité, jusqu’à la déclaration d’inaptitude définitive au poste.

C’est pourquoi, alors qu’à l’examen des pièces produites, la cour a constaté qu’étaient établis des faits permettant de présumer l’existence d’un harcèlement moral ainsi que l’absence de justification par l’employeur d’éléments objectifs étrangers à tout harcèlement, harcèlement moral est établi. Celui-ci étant à l’origine de l’inaptitude définitive de la salariée, le licenciement intervenu dans ce contexte est nul.

À la date de la rupture du contrat de travail la salariée avait une ancienneté de six ans et six mois révolus dans l’association. Elle justifie avoir été demandeur d’emploi au moins jusqu’au 4 novembre 2016 et s’être vue reconnaître la qualité de travailleur handicapé du 1er juillet 2016 au 30 juin 2021. Elle n’apporte pas d’élément actualisé sur sa situation au regard d’un éventuel emploi. Le salaire moyen des six derniers mois travaillés s’élevait à la somme de 4949,58 €. Compte tenu des circonstances telles qu’elles ressortent des pièces et des explications fournies, le préjudice en résultant pour la salariée sera fixé à la somme de 35 000 €.

La rupture injustifiée du contrat de travail du fait de l’employeur ouvre droit pour la salariée dont le contrat a été ainsi rompu à une indemnité de préavis, qui en application des dispositions de l’article 15. 02. 2.1 de la convention collective s’établit au regard de la classification de la salariée et de son ancienneté de services continus d’au moins deux ans, à six mois de salaire, soit une somme de 29 697,48 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis, outre 2969,74 euros au titre des congés payés afférents.

> Sur la demande de rappel de salaire sur heures supplémentaires

En application de l’article L. 3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, l’employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l’appui de sa demande, le juge

forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles. Si le décompte des heures de travail accomplies par chaque salarié est assuré par un système d’enregistrement automatique, celui-ci doit être fiable et infalsifiable.

Il résulte de ces dispositions, qu’en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l’appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’il prétend avoir accomplies afin de permettre à l’employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d’y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l’ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées. Après analyse des pièces produites par l’une et l’autre des parties, dans l’hypothèse où il retient l’existence d’heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l’importance de celles-ci et fixe les créances salariales s’y rapportant.

Comme le relève à juste titre la salariée le contrat de travail en son article 4 la soumet à un horaire de travail correspondant à l’horaire collectif applicable dans l’établissement. Sa rémunération mensuelle brute est fixée sur la base de 151,67 heures. Le livret d’accueil qu’elle verse aux débats fixe les horaires d’ouverture du secrétariat du lundi au vendredi de 8h30 à 12h30 et de 14 heures à 18 heures. Elle produit en outre de nombreuses convocations à des réunions entre 12 heures et 14 heures ou après 18 heures 30 au cours des trois dernières années précédant la rupture du contrat de travail. Elle verse également aux débats de nombreux échanges de mails professionnels après 18 heures dont elle établit un tableau récapitulatif.

S’il n’est pas justifié d’une demande de l’employeur relativement aux envois de courriels tardifs, les convocations à des réunions précisément datées tout autant que les horaires d’ouverture de l’établissement au public constituent des éléments suffisamment précis relativement aux horaires prétendument accomplis par la salariée pour permettre à l’employeur, tenu d’assurer le contrôle des heures de travail effectuées notamment en application des dispositions des articles D. 3171-2 et D. 3171-8 du code du travail qui lui imposent d’afficher l’horaire collectif de travail ou, à défaut, de décompter la durée de chaque salarié par un enregistrement quotidien et l’établissement d’un récapitulatif hebdomadaire, de répondre en produisant ses propres éléments. Or celui-ci qui conteste le fait que la salariée ait été soumise à l’horaire d’ouverture du secrétariat ne produit aucun élément sur l’horaire collectif et se limite à verser aux débats à cet égard une attestation de Madame E, assistante de direction, indiquant que de 2008 à mars 2013 elle avait constaté que madame Y K au bureau aux environs de 9h30. L’association n’apporte pas davantage d’élément sur le décompte du temps de travail à l’occasion des nombreuses réunions entre 12 heures et 14 heures dont la salariée fournit les dates.

Compte de ces éléments, et après analyse des pièces produites par l’une et l’autre des parties, il convient de fixer le montant du rappel de salaire sur heures supplémentaires portant sur les trois dernières années précédant la rupture du contrat de travail à une somme de 6500 €, outre 650 € au titre des congés payés afférents.

> Sur la demande d’indemnité forfaitaire pour travail dissimulé

Compte tenu de ce qui précède et du nombre limité d’heures de travail non mentionné sur les bulletins de paie par rapport à l’horaire effectivement accompli sur trois années,

l’élément intentionnel de l’infraction de travail dissimulé n’est pas établi. Aussi convient-il de débouter madame Y de sa demande d’indemnité forfaitaire pour travail dissimulé.

> Sur les demandes accessoires et reconventionnelles

La remise des documents sociaux de fin de contrat et bulletins de salaire rectifiés conformément au présent arrêt étant de droit il convient de l’ordonner, sans qu’il y ait lieu pour autant au prononcé d’une astreinte.

Compte tenu de la solution apportée au litige, l’association Gammes supportera la charge des dépens et de ses propres frais irrépétibles. Madame Y ayant dû exposer des frais pour assurer sa défense l’association Gammes sera en outre condamnée à lui payer une somme de 1000 € au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt contradictoire, mis à disposition au greffe,

Infirme le jugement rendu le 12 septembre 2016 par le conseil de prud’hommes de Montpellier, sauf en ce qu’il a débouté la salariée de sa demande d’indemnité forfaitaire pour travail dissimulé;

Et statuant à nouveau des chefs infirmés,

Prononce la nullité du licenciement de Madame par l’association Gammes en raison d’un harcèlement moral;

Condamne l’association Gammes à payer à Madame F les sommes suivantes:

'35 000 € à titre d’indemnité pour licenciement nul,

'29 697,48 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis, outre 2969,74 euros au titre des congés payés afférents,

'6500 € à titre de rappel de salaire sur heures supplémentaires, outre 650 € au titre des congés payés afférents,

Ordonne la remise par l’employeur à la salariée de bulletins de salaires et des documents sociaux de fin de contrat rectifiés conformément au présent arrêt;

Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires;

Condamne l’association Gammes à payer à Madame F une somme de 1000 € au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile;

Condamne 'association Gammes aux dépens;

LE GREFFIER LE PRESIDENT

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Cour d'appel de Montpellier, 2e chambre sociale, 2 décembre 2020, n° 16/00206