Cour d'appel de Paris, 16 décembre 2015, n° 14/15527

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CA Paris, 16 déc. 2015, n° 14/15527
Juridiction : Cour d'appel de Paris
Numéro(s) : 14/15527
Décision précédente : Tribunal de grande instance de Paris, 1er avril 2014, N° 11/10915

Texte intégral

Grosses délivrées REPUBLIQUE FRANCAISE

aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 3 – Chambre 1

ARRÊT DU 16 DÉCEMBRE 2015

(n° , 10 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : 14/15527

Décision déférée à la Cour : Jugement du 02 Avril 2014 – Tribunal de Grande Instance de PARIS – RG n° 11/10915

APPELANTE

Madame M A ès qualités de tutrice naturelle et légale, sous contrôle judiciaire, de son fils mineur Z C, né le XXX à XXX

XXX

XXX

représentée par Me Stéphane FERTIER de l’AARPI JRF AARPI, avocat au barreau de PARIS, toque : L0075

assistée de Me Isabelle REIN-LESCASTEREYRES, avocat au barreau de PARIS, toque : E0989

INTIMÉES

Madame G C épouse E, née le XXX à XXX

XXX

XXX

représentée par Me Patricia HARDOUIN de la SELARL 2H AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque : L0056

assistée de Me Véronique LARTIGUE, avocat au barreau de PARIS, toque : R005

Madame X F divorcée C, née le XXX à XXX

XXX

XXX

représentée et assistée par Me Olivia DONATO, avocat au barreau de PARIS, toque : A0301

COMPOSITION DE LA COUR :

L’affaire a été débattue le 29 Septembre 2015, en audience publique, devant la Cour composée de :

Madame Evelyne DELBÈS, Président de chambre, chargée du rapport

Madame Monique MAUMUS, Conseiller

Mme Nicolette GUILLAUME, Conseiller

qui en ont délibéré

Greffier lors des débats : Madame Emilie POMPON

ARRÊT :

— contradictoire

— par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

— signé par Madame Evelyne DELBÈS, Président et par Madame Emilie POMPON, Greffier présent lors du prononcé.

***

I C, de nationalité libanaise, est décédé le XXX à Monaco. Il s’était marié le 1er septembre 1962 avec Mme X F sous le régime de la séparation de biens Avec son épouse, il avait adopté sa nièce, Mme G C épouse E. De la relation qu’il avait entretenue avec Mme M A, est né, le XXX, Z C, lequel est de nationalité libanaise et française.

Par testament authentique reçu le 12 juin 1991 par Maître Perrine, notaire à Paris, I C avait institué son épouse B universelle.

L’actif de sa succession comprend des biens immobiliers situés au Liban, en France et à Monaco et des meubles meublants, oeuvres d’art et valeurs mobilières situés au Liban, à Monaco, à Guernesey, à Paris et en Suisse.

Par acte du 29 juillet 2005, Mme M A, agissant en qualité de représentante légale de son fils mineur, Z C, a assigné Mme F veuve C et Mme C épouse E devant le tribunal de grande instance de Paris aux fins de partage de la succession de I C.

Par jugement du 5 janvier 2010, le tribunal de grande instance de Paris :

— s’est déclaré compétent pour statuer sur les demandes tendant à l’ouverture des opérations de comptes, liquidation et partage des immeubles situés en France et des meubles dépendant de la succession de I C, en application, pour ces derniers, des articles 14 et 15 du code civil à raison de la nationalité française de Z C, et sur le droit de prélèvement prévu par l’article 2 de la loi du 14 juillet 1819,

— a sursis à statuer sur ces demandes dans l’attente des décisions définitives des juridictions française et libanaise saisies,

— s’est déclaré incompétent pour statuer sur les demandes de partage judiciaire des immeubles dépendant de la succession situés en dehors du territoire français et renvoyé les parties à se mieux pourvoir à cet égard.

Mme E avait engagé une action en partage devant les juridictions libanaises. Par arrêt du 16 mars 2010, la cour d’appel de Beyrouth a, par application de l’article 22 de la loi libanaise relative à la succession des non musulmans, attribué à Mme E 87,5 % et à Z C 12,5 % de l’entière succession. La cour de cassation a, par arrêt du 21 juin 2011, rejeté les pourvois formés contre cette décision. Les juridictions libanaises ont, par décisions des 13 janvier 2009 et 21 juin 2011, dénié à Mme F la qualité d’héritier en raison de son statut d’ex-épouse divorcée.

Mme E avait aussi engagé, devant le tribunal de grande instance de Paris, une action afin de contester la filiation de Z C à l’égard du défunt. Par un jugement du 1er mars 2011, dont il n’a pas été interjeté appel, le tribunal de grande instance de Paris a confirmé la paternité de I C à l’égard de Z.

L’instance en partage ayant repris devant lui, le tribunal de grande instance de Paris a, par jugement du 2 avril 2014, pour l’essentiel :

— dit que le testament authentique du 12 juin 1991 doit recevoir application,

— rappelé que la loi française est applicable au partage des biens immobiliers situés en France,

— rappelé que le Conseil constitutionnel a, par décision du 5 août 2011, déclaré le droit de prélèvement institué par l’article 2 de la loi du 14 juillet 1819 non conforme à la Constitution,

— dit que Z C ne peut se prévaloir de cette disposition,

— constaté que la loi successorale libanaise applicable à la succession mobilière est contraire à l’ordre public international français,

— dit, en conséquence, que la décision libanaise qui a statué sur la dévolution successorale ne peut être reconnue en France,

— dit que la loi successorale libanaise doit être écartée au profit de la loi française pour la liquidation et le partage de la succession mobilière située en France,

— dit que Mme M A n’est pas tenue au rapport des donations reçues à titre personnel,

— ordonné le partage judiciaire des biens immobiliers situés en France et des meubles et/ou valeurs mobilières dépendant de la succession de I C et situés en France,

— désigné le président de la Chambre interdépartementale des notaires de Paris, avec faculté de déléguer tout membre de sa chambre et de le remplacer en cas de nécessité, pour y procéder,

— commis un magistrat pour les surveiller,

— dit n’y avoir lieu à application de l’article 700 du code de procédure civile,

— rejeté toute autre demande,

— rappelé que les copartageants peuvent, à tout moment, abandonner les voies judiciaires et poursuivre le partage à l’amiable,

— ordonné l’exécution provisoire,

— ordonné l’emploi des dépens en frais de partage et dit qu’ils seront supportés par les copartageants dans la proportion de leurs parts dans l’indivision.

Mme M A, en qualité de tutrice sous contrôle judiciaire de son fils mineur, Z, et Mme E ont interjeté appel de cette décision par déclarations des 21 juillet et 5 septembre 2014.

Une ordonnance du 23 septembre 2014 a prononcé la jonction de ces deux procédures d’appel.

Dans ses dernières écritures du 14 septembre 2015, Mme A, ès qualités, demande à la cour de :

— la recevoir en son appel, l’y déclarer bien fondée, y faisant droit et statuant à nouveau:

— dire que la loi française est applicable au partage des biens immobiliers situés en France,

— dire que la loi française est également applicable, dans sa vocation subsidiaire en tant que loi du for, à la succession mobilière mondiale, la loi libanaise devant être évincée en raison de sa contrariété à la conception française et européenne de l’ordre public international,

— dire que la décision libanaise qui s’est prononcée sur la dévolution successorale, étant rendue sur le fondement d’une loi contraire à la conception française et européenne de l’ordre public international, ne saurait être reconnue en France,

— dire que le divorce intervenu au Liban entre Madame X F et I C doit être reconnu en France,

— en conséquence, à titre principal,

— évincer la loi et la décision libanaises du règlement de la succession de I C sur le fondement de leur contrariété à la conception française et européenne de l’ordre public international en raison, d’une part, de leur caractère discriminatoire et, d’autre part, de l’atteinte qu’elles portent à la réserve héréditaire de Z C,

— appliquer la loi française à l’ensemble de la succession mobilière mondiale en tant que loi du for, applicable dans sa vocation subsidiaire, après éviction de la loi libanaise ainsi qu’à la succession immobilière française,

— à titre subsidiaire,

— constater que l’abrogation du droit de prélèvement ne s’applique pas à la succession de I C,

— dire Z C bien fondé à exercer son droit de prélèvement sur les biens situés en France à hauteur de la valeur des biens dont il a été privé en application de la loi libanaise discriminatoire,

— ordonner le prélèvement par Z C à hauteur de 24 714 525,67 euros, à parfaire, sur les biens situés en France,

— à titre très subsidiaire,

— dire que selon un mécanisme compensatoire jurisprudentiel que le tribunal (sic) de céans appliquera pour assurer le respect des droits fondamentaux et le principe d’égalité des héritiers, Z C est bien fondé à prélever sur les biens meubles situés en France, jusqu’à concurrence de la part qui lui revient dans la succession de I C, en application de la loi française, soit 24 714 525 ,67 euros, à parfaire, – en toute hypothèse,

— constater que Mme X F, divorcée de I C, au moment du décès de ce dernier, n’a pas la qualité de conjoint survivant,

— ordonner l’ouverture des opérations de comptes, liquidation et partage des biens dépendant de la succession,

— réserver les peines du recel successoral,

— à défaut pour Mme G E de fournir les éléments demandés sur l’étendue des libéralités dont elle a bénéficié, désigner tel expert qu’il plaira à la Cour, aux frais avancés de Mme E, avec mission de :

+ entendre les parties et se faire remettre tous documents utiles ou nécessaires à l’exercice de sa mission,

+ procéder à toutes recherches en France et à l’étranger auprès de toute autorité publique et de tout établissement financier ou bancaire afin de rechercher la preuve du financement des biens immobiliers dont G C épouse E est propriétaire à Monaco, en Suisse et au Liban,

— désigner tel notaire qu’il plaira à la cour afin de procéder aux opérations de compte, liquidation et partage des biens immobiliers situés en France et des biens mobiliers en France comme à l’étranger dépendant de la succession,

— condamner Mme G E à payer une somme de 60 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et à supporter les entiers dépens d’appel dont distraction, pour ceux la concernant, au profit de la AARPI JRF, avocats, en la personne de Maître Fertier, conformément l’article 699 du Code de procédure civile.

Dans ses dernières conclusions du 25 septembre 2015, Mme E demande à la cour de :

— sur le testament du 12 juin 1991,

— à titre principal,

— constater que le bénéficiaire du testament est l’épouse du défunt, au jour du décès,

— dire que le divorce intervenu au Liban en 1998 entre Mme X F et I C par décision aujourd’hui définitive doit être reconnu en France,

— en conséquence, dire que le testament du 12 juin 1991 ne peut recevoir application au bénéfice de Mme F qui n’avait pas au jour du décès la qualité d’épouse et d’héritière,

— à titre subsidiaire,

— dire que les paragraphes II et III du legs sont radicalement inapplicables, Mme F divorcée, n’ayant au jour du décès ni objets mobiliers à usage commun ni la qualité de conjoint survivant et donc de successible,

— sur le déclenchement de l’ordre public français :

— à titre principal,

— constater que l’arrêt de la cour d’appel de Beyrouth du 16 mars 2010, aujourd’hui définitif, a été rendu par la juridiction compétente et sans fraude,

— constater que le seul actif successoral mobilier français est un compte à la banque Saradar d’un montant de l’ordre de 5 % de l’ensemble des actifs successoraux,

— constater que la succession a été, après exequatur, liquidée en application de la décision libanaise, au Liban et à Guernesey et est en cours de liquidation à Monaco, sous réserve du pourvoi en révision intenté par Mme A,

— constater que le partage en France et en application de la décision libanaise ne génère in concreto aucune situation de nature à révéler un degré élevé de contrariété à l’ordre public international français,

— en conséquence, débouter Mme A de sa demande d’éviction de la loi et de la décision libanaise du règlement de la succession mobilière,

— à titre subsidiaire, dans l’hypothèse où la cour confirmerait le déclenchement de l’ordre public international français,

— dire que l’effet positif de l’ordre public se limitera à la substitution de la loi française au partage de l’unique actif mobilier français entre les deux héritiers, sans qu’il y ait lieu à réduction ou rapport des libéralités,

— confirmer le jugement en ce qu’il a :

— rappelé que la loi française est applicable au partage des biens immobiliers situés en France,

— rappelé que le Conseil constitutionnel a, par décision du 5 août 2011, déclaré le droit de prélèvement institué par l’article 2 de la loi du 14 juillet 1819 non conforme à la Constitution,

— dit que Z C ne peut se prévaloir de cette disposition,

— dit que Mme M A n’est pas tenue au rapport des donations reçues à titre personnel,

— ordonné le partage judiciaire des biens immobiliers situés en France et des meubles et/ou valeurs mobilières dépendant de la succession de I C situés en France,

— désigné le président de la Chambre interdépartementale des notaires de Paris, avec faculté de déléguer tout membre de celle-ci et de le remplacer en cas de nécessité, pour y procéder,

— commis un magistrat pour les surveiller,

— déclarer Mme A, ès qualités, non fondée en son appel et l’en débouter,

— en toute hypothèse, condamner l’intéressée à lui payer la somme de 60 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens dont distraction au bénéfice de la Selarl 2H, avocats, en la personne de Maître Hardouin conformément à l’article 699 du code de procédure civile.

Dans ses conclusions du 26 mars 2015, Mme F demande à la cour de confirmer le jugement dont appel en ce qu’il a dit que le testament authentique du 12 juin 1999 doit recevoir application et de condamner les appelantes aux dépens.

SUR CE

Sur la loi applicable et l’exception d’ordre public

Considérant que selon les règles de conflit de lois françaises, la succession mobilière est régie par la loi du dernier domicile du défunt et la succession immobilière par la loi de situation de l’immeuble ;

Considérant que le jugement n’est pas critiqué en ce qu’il a dit la loi française applicable au partage des biens immobiliers situés en France ; qu’il sera confirmé de ce chef ;

Considérant que la loi ayant vocation à régir la succession mobilière de I C est la loi libanaise et ce, que le dernier domicile du défunt ait été situé à Monaco, où il est décédé, ou au Liban, la règle de conflit monégasque désignant la loi nationale du défunt, de nationalité libanaise, pour régir sa succession ;

Considérant que la cour d’appel de Beyrouth a, dans un arrêt du 16 mars 2010, statué sur le sort de tous les biens du défunt dont elle a opéré le partage entre la fille adoptive de I C, Mme G E, qui a reçu 87,5 % de la succession, et son enfant naturel, Z, qui a reçu 12,5 % ; que Mme F, considérée comme divorcée du défunt, a été, quant à elle, écartée de la succession aux termes d’un arrêt de la cour d’appel de Beyrouth en date du 13 janvier 2009 ; que les pourvois formés contre ces deux décisions ont été rejetés par la Cour de cassation du Liban par arrêt du 21 juin 2011 ;

Considérant que le droit successoral libanais varie selon l’appartenance communautaire du défunt ; que I C appartenant à la communauté grecque-orthodoxe, sa succession est régie par la loi du 23 juin 1959 relative aux successions, des non mahométans ;

Considérant que l’article 22 de cette loi dispose que 'l’enfant naturel reconnu volontairement (…) succède à son auteur. Sa part successorale est :

— du quart de la part qu’il eût recueilli s’il avait été légitime, au cas où le père ou la mère laisse des descendants légitimes’ ;

Considérant que Mme A demande à la cour de dire la loi française applicable à la succession mobilière mondiale du défunt, en évinçant la loi libanaise comme contraire à la conception française et européenne de l’ordre public international en ce qu’elle opère une discrimination successorale à raison de la naissance, qui touche ici un mineur de nationalité française qui a toujours résidé en France et qui a, avec ce pays, les liens juridiques les plus étroits, et en ce qu’elle occasionne une grave atteinte à la réserve héréditaire de l’intéressé, laquelle a, en droit français, un caractère impératif ; qu’elle soutient que la décision de la cour d’appel de Beyrouth du 16 mars 2010 ne peut être reconnue en France dès lors qu’elle fait application, au partage des meubles, de la loi libanaise contraire à la conception française et européenne de l’ordre public international;

Considérant que Mme E fait plaider que la décision libanaise et l’application de la loi libanaise ne génèrent aucune situation de nature à révéler un degré élevé de contrariété à l’ordre public international français, dont l’appréciation doit se faire in concreto, alors que la succession de I C a très peu de liens avec la France et que Z, qui a bénéficié de libéralités importantes, n’est en rien lésé ; qu’elle fait valoir que, dans l’hypothèse où la cour confirmerait le déclenchement de l’ordre public international français, l’effet positif de celui-ci devra être limité à la substitution de la loi française au partage de l’unique actif mobilier situé en France, à savoir un compte à la banque Saradar et ce, sans qu’il y ait lieu à réduction ou à rapport des libéralités ;

Considérant que les dispositions de la loi étrangère applicable ne sont pas contraires à l’ordre public international français par cela seul qu’elles diffèrent des dispositions impératives du droit français, mais uniquement en ce qu’elles contreviennent à des principes considérés comme essentiels par celui-ci ;

Considérant que l’article 310 du code civil français dispose que 'Tous les enfants dont la filiation est légalement établie ont les mêmes droits et les mêmes devoirs dans leurs rapports avec leur père et mère. Ils entrent dans la famille de chacun d’eux'; que l’article 733 du même code dispose que la loi ne distingue pas selon les modes d’établissement de la filiation pour déterminer les parents appelés à succéder; que l’article 735 ajoute que les enfants succèdent à leurs père et mère mêmes s’ils sont issus d’union différentes ;

Considérant que l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme proclame que toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale ; que ladite Convention assure, aux termes de son article 14, la jouissance des droits et libertés qu’elle reconnaît, sans distinction aucune fondée, notamment, sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l’origine nationale ou sociale, l’appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation ; que la Déclaration universelle des droits de l’homme pose le principe de l’égalité de traitement des enfants, qu’ils soient nés ou non dans le mariage ;

Considérant que la discrimination établie en matière de succession par la loi libanaise au détriment de la filiation naturelle par rapport à la filiation légitime est incompatible avec le principe d’égalité des filiations ainsi érigé et reconnu par l’opinion française et européenne comme fondamental ; qu’aucune raison impérieuse ne justifie qu’une différence de traitement fondée sur la naissance hors mariage soit jugée compatible avec l’ordre public international français en ce qui concerne Z, mineur de nationalité française vivant en France, et alors que partie de l’actif successoral est situé en France ; que Mme E admet elle-même que l’application de la loi libanaise à l’ensemble des actifs successoraux, dont elle estime la valeur, passif déduit, à plus de 36 millions d’euros, voit Z ne recevoir qu’un tiers de celle-ci, libéralités, par elle unilatéralement appréciées en leur existence et leur valeur, comprises ;

Considérant que si la décision libanaise a été rendue par un tribunal compétent et sans fraude, elle ne peut produire ses effets en France en ce que, appliquant à la succession mobilière du défunt la loi successorale libanaise qui ne respecte pas le principe d’égalité des filiations et qui confère des droits successoraux limités aux enfants naturels, elle heurte la conception française de l’ordre public international ;

Considérant que la contrariété à l’ordre public international français de la loi et de la décision libanaise qui en fait application impose le déclenchement de l’exception d’ordre public ;

Considérant que la discrimination opérée par la loi successorale libanaise entre les filiations justifie à elle seule ce déclenchement sans qu’il y ait lieu de rechercher si ladite loi serait en outre contraire à celui-ci en ce qu’elle ne connaît pas la réserve héréditaire, étant observé que Z C n’est pas écarté de la succession de son père et a bénéficié de nombreuses libéralités de sa part;

Considérant que la substitution de la loi française, applicable par exception, à la loi libanaise normalement applicable doit être limitée au partage des actifs mobiliers de la succession situés en France où les effets discriminatoires de la loi et de la décision étrangères ne peuvent être tolérés ; que la compétence des juridictions françaises n’emporte pas vocation de la loi française à régir l’ensemble de la succession ;

Considérant que la preuve n’étant pas rapportée de l’existence en France de ce seul actif mobilier, la cour ne peut limiter l’application de la loi française au seul compte ouvert à la banque Saradar ; qu’il appartiendra au notaire commis de déterminer l’actif mobilier successoral situé en France ;

Considérant que le régime du rapport et de la réduction des libéralités lors du calcul des parts des différents bénéficiaires relèvent de la loi successorale ; que la loi française est par suite applicable à cet égard à la masse successorale constituée des biens immobiliers et mobiliers situés en France ;

Considérant que le jugement qui n’est pas critiqué de ce chef sera confirmé en ce qu’il a dit que Mme M A n’est pas tenue au rapport des donations qu’elle a reçues à titre personnel ;

Sur le droit de prélèvement

Considérant que Mme A demande à la cour, si elle refuse d’appliquer la loi française à l’ensemble de la succession mobilière du défunt et limite la portée de sa décision aux biens mobiliers situés en France, de compenser la discrimination subie par Z à l’étranger en application de la loi et de la décision libanaises en lui permettant d’exercer le droit de prélever sur l’intégralité des biens situés en France une part égale à la valeur de ceux situés à l’étranger dont il a été privé et ce, en application de l’article 2 de la loi du loi du 14 juillet 1819 ;

Considérant que l’article 2 de la loi du 14 juillet 1819 dispose que :

'Dans le cas de partage d’une même succession entre des cohéritiers étrangers et français, ceux-ci prélèveront sur les biens situés en France une portion égale à la valeur des biens situés en pays étranger dont ils seraient exclus, à quelque titre que ce soit en vertu des lois et coutumes locales’ ;

Considérant que le droit de prélèvement résultant de ce texte a été déclaré non conforme à la Constitution par une décision du Conseil Constitutionnel en date du 5 août 2011 et ce, sur le fondement de sa contrariété à l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 ;

Considérant qu’aux termes de l’article 62 alinéa 2 de la Constitution, une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l’article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil Constitutionnel ou d’une date ultérieure fixée par cette décision ; qu’en l’absence de précision dans la décision du 5 août 2011, le droit de prélèvement est abrogé depuis le 6 août 2011, date de la publication de ladite décision ;

Considérant que les parties sont en désaccord sur le point de savoir si le droit de prélèvement peut être invoqué par un héritier pour une succession qui, telle celle de I C, s’est ouvert avant le 6 août 2011 ;

Considérant que Mme A fait plaider que Z a acquis son droit à prélèvement, qui constitue, selon elle, un bien, dès le décès de I C en 2005, le partage ayant un effet déclaratif, et qu’il ne peut donc être remis en cause par la décision d’abrogation du Conseil Constitutionnel rendue et publiée postérieurement; qu’elle ajoute que l’application, en l’espèce, de l’abrogation porterait atteinte aux droits de Z sur ses biens, droits protégés par l’article 1er du protocole n° 1 de la CEDH;

Considérant que le droit de prélèvement ne constitue pas un bien au sens de l’article 1er du dit protocole ; que par ailleurs, il s’analyse, non pas comme une règle de dévolution, mais comme une règle de partage, de sorte que son abrogation emporte interdiction de s’en prévaloir dans toutes les successions ouvertes avant le 6 août 2011 mais non liquidées à cette date, telle celle de I C ;

Considérant que Z C ne peut, par suite, se prévaloir du droit de prélèvement résultant des dispositions de l’article 2 de la loi du 14 juillet 1819 ;

Sur le prélèvement compensatoire

Considérant que Mme A demande subsidiairement à la cour de dire que Z est fondé à opérer, sur les biens successoraux situés en France, un prélèvement compensatoire pour assurer le respect du principe d’égalité des héritiers et ce, à concurrence de la part lui revenant dans la succession de son père dont il est privé du fait de l’application de la loi libanaise en raison de sa filiation naturelle ;

Considérant qu’elle fait plaider que la mise en oeuvre d’un tel mécanisme compensatoire s’impose au regard des droits fondamentaux protégés par la CEDH et qui font que le juge français a l’obligation de prendre toutes les mesures nécessaires pour éviter de porter atteinte à un droit garanti lorsque le législateur manque de prendre les mesures appropriées, ce qui est le cas en l’espèce, après l’abrogation du droit de prélèvement par le Conseil Constitutionnel ;

Considérant que le mécanisme invoqué par Mme A conduirait à rétablir le prélèvement nationaliste prohibé par la décision du 5 août 2011 ; que si un prélèvement compensatoire sur des biens situés en France a pu être accordé à des héritiers, à titre de sanction du recel de meubles situés à l’étranger dont ils avaient été victimes et dont le partage était soumis à la loi française en vertu des règles de conflit de lois, une telle mesure ne peut être autorisée pour compenser les effets du morcellement des masses successorales résultant, comme en l’espèce, du jeu normal des dites règles ; que les premiers juges ont justement relevé qu’il appartient au seul législateur de rétablir un droit de prélèvement conforme à la constitution et aux traités internationaux, s’il l’estime nécessaire ;

Sur le testament du 12 juin 1991

Considérant que par testament authentique du 12 juin 1991, I C a disposé :

'J’institue mon épouse ma B universelle.

En cas d’existence de descendants au jour de mon décès et si la réduction est demandée, le présent legs sera réduit à celle des quotités disponibles entre époux permises par la loi que ma B choisira'

Considérant que Mme E et Mme A soutiennent que Mme F qui était divorcée de I C au jour du décès de celui-ci, n’a pas la qualité de successible de l’intéressé et ne peut bénéficier du testament ; que Mme E fait valoir, au visa de l’article 265 du code civil, que le divorce a, en toute hypothèse, emporté révocation de celui-ci ;

Considérant que Mme F soutient qu’elle n’est pas divorcée du défunt; qu’elle indique que si un jugement de divorce a bien été rendu le 16 novembre 1998, une mention d’annulation y a été apposée à raison de son inexécution, une réconciliation étant intervenue ; qu’elle sollicite donc la confirmation du jugement entrepris en ce qu’il a dit que le testament du 12 juin 1991 doit recevoir application, sous réserve des règles de la réduction des libéralités en présence de descendants du défunt ; qu’elle prétend, pour le cas où la cour retiendrait l’existence d’un divorce, à la non révocation de la libéralité que constitue le testament à son égard, faisant plaider que les dispositions de l’article 265 du code civil issu de la loi du 26 mai 2004, invoquées par Mme E, sont inapplicables à un divorce prononcé avant son entrée en vigueur ;

Considérant que des pièces mises aux débats, il ressort qu’en 1998, les époux C/F ont engagé une procédure de divorce auprès de l’archevêché grec-orthodoxe à Paris et qu’un jugement prononçant leur divorce a été rendu le 16 novembre 1998 par l’évêque Gabriel Saliby, autorité compétente pour ce faire ; que la cour d’appel de Beyrouth a, dans son arrêt du 13 janvier 2009 jugé que l’annulation de ce jugement, non intervenue dans les mêmes formes que la décision de divorce elle-même, était irrégulière et décidé d’écarter, en conséquence, totalement Mme Y de la succession du défunt ;

Considérant que s’agissant du divorce de deux époux de nationalité libanaise, prononcé par une autorité libanaise en vertu de la loi libanaise, l’arrêt de la cour d’appel de Beyrouth, devenu définitif, s’impose à la cour en ce qu’il a jugé relativement au jugement de divorce du 16 novembre 1998 et aux effets de celui-ci dans le cadre de la succession du défunt ;

Considérant que Mme F n’est donc pas héritière du défunt ;

Considérant qu’elle ne peut pas se prévaloir non plus de la qualité de B; qu’en effet, étant divorcée de I C au jour du décès de celui-ci, elle ne peut prétendre au bénéfice du testament du 12 juin 1991 établi par le défunt en faveur de 'mon épouse’ ;

Considérant que le jugement sera en conséquence infirmé en ce qu’il a dit que le testament du 12 juin 1991 doit recevoir application ;

Sur la demande d’expertise de Mme A

Considérant que Mme A demande à la cour de désigner un expert, aux frais avancés de Mme E, avec mission de rechercher en France et à l’étranger, auprès de toute autorité publique et de tout établissement financier ou bancaire, la preuve du financement des biens immobiliers dont l’intéressée est propriétaire à Monaco, en Suisse et au Liban et de déterminer l’étendue des libéralités qu’elle a reçues du défunt ;

Considérant que l’objet du litige étant limité aux droits successoraux des parties sur les biens immobiliers et mobiliers situés en France, la demande d’expertise visant à rechercher le financement des biens immobiliers dont Mme E est propriétaire à Monaco, en Suisse et au Liban y est étrangère et sera rejetée ;

Considérant que l’article 146 du code de procédure civile dispose qu’une mesure d’instruction ne peut être ordonnée sur un fait que si la partie qui l’allègue ne dispose pas d’éléments suffisants pour le prouver et qu’en aucun cas, une telle mesure ne peut être ordonnée en vue de suppléer la carence de la partie dans l’administration de la preuve qui lui incombe ;

Considérant que faute pour Mme A de produire un quelconque commencement de preuve de l’existence de libéralités susceptibles d’être soumises à la loi successorale française dont elle n’aurait pas connaissance, sa demande tendant à voir désigner un expert à l’effet de procéder aux investigations qu’elle requiert doit être rejetée;

Considérant que les premiers juges ont justement rappelé que le notaire liquidateur, dont l’une des missions est de reconstituer la masse mobilière et immobilière à partager, peut s’adjoindre s’il l’estime utile, tout expert de son choix ;

Sur les autres demandes

Considérant que Mme A demande à voir réserver les peines du recel successoral ; que la cour n’a toutefois pas à réserver des droits et actions dont une partie a le libre exercice ;

Considérant qu’il n’y a pas lieu de constater enfin, comme le demande Mme E, que la succession a été, après exequatur, liquidée en application de la décision libanaise au Liban et à Guernesey et est en cours de liquidation à Monaco, sous réserve du pourvoi de Mme A, un tel constat étant dépourvu de toute incidence dans le présent litige et n’étant, en toute hypothèse, constitutif d’aucun droit;

Sur l’article 700 du code de procédure civile

Considérant que l’équité commande de ne pas faire application, en l’espèce, des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;

Considérant que le jugement sera confirmé en toutes ses autres dispositions non critiquées ;

PAR CES MOTIFS

Confirme le jugement déféré sauf en ce qu’il a dit que le testament du 12 juin 1991 doit recevoir application,

Statuant à nouveau de ce chef et y ajoutant,

Dit que le testament du 12 juin 1991 ne peut recevoir application au bénéfice de Mme F,

Dit la loi française applicable au rapport et à la réduction des libéralités relativement aux actifs immobiliers et mobiliers du défunt situés en France,

Rejette toute autre demande,

Dit n’y avoir lieu à application de l’article 700 du code de procédure civile,

Ordonne l’emploi des dépens en frais de partage,

Rappelle que cet emploi exclut l’application des dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT

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Cour d'appel de Paris, 16 décembre 2015, n° 14/15527