Cour d'appel de Paris, Pôle 5 chambre 4, 20 décembre 2017, n° 13/04879

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Chronologie de l’affaire

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www.grall-legal.fr · 8 juillet 2022

Dans un jugement du 10 mai 2022[1], le Tribunal de commerce de Paris a transmis à la Cour de cassation une QPC portant sur la potentielle méconnaissance par les dispositions de l'article L. 442-1, I, 1° du code de commerce, des droits et libertés garantis par la Constitution, tels que la liberté contractuelle ou la liberté d'entreprendre. Principal enjeu : la capacité donnée au juge avec la rédaction issue de l'ordonnance n°2019-359 du 24 avril 2019[2], d'effectuer « un pur contrôle du prix », y compris dans des contrats ayant fait l'objet d'une libre négociation. Le contrôle du prix par …

 

Simon François-luc · Lettre des Réseaux · 17 décembre 2021

TC Rennes, 22 octobre 2019, n°2017F00131 Le ministre de l'Economie et des Finances supporte la charge de la preuve des éléments constitutifs du déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties. Cette preuve ne saurait être établie par la production de procès-verbaux contenant les déclarations péremptoires et non démontrées des prétendues victimes. Le ministre de l'Economie et des Finances supporte en toutes circonstances la charge de la preuve, conformément à l'article 9 du Code de procédure civile « (…) le ministre de l'Économie, demandeur à l'action, ayant la charge …

 

Simon François-luc · Lettre des Réseaux · 17 décembre 2021

TC Rennes, 22 octobre 2019, n°2017F00131 Le ministre chargé de l'économie a l'obligation de verser aux débats les contrats dont il entend faire juger qu'ils comportent des dispositions relevant du déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties. Autrement dit, la juridiction saisie par le ministre ne peut accueillir les demandes qu'il formule au titre de contrats qu'il s'abstient de verser aux débats. Ce faisant, la demande du ministre doit être rejetée. Dans cette affaire, le ministre chargé de l'économie avait notamment demandé au tribunal de commerce de Rennes de …

 
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Sur la décision

Référence :
CA Paris, pôle 5 ch. 4, 20 déc. 2017, n° 13/04879
Juridiction : Cour d'appel de Paris
Numéro(s) : 13/04879
Importance : Inédit
Décision précédente : Tribunal de commerce d'Évry, 5 février 2013, N° 2009F00727
Dispositif : Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours
Date de dernière mise à jour : 1 novembre 2022
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Sur les parties

Texte intégral

Grosses délivrées RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 5 – Chambre 4

ARRÊT DU 20 DÉCEMBRE 2017

(n° , 15 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : 13/04879 (dossier joint : 13/11192)

Décision déférée à la Cour : Jugement du 06 Février 2013 -Tribunal de Commerce d’EVRY – RG n° 2009F00727

APPELANTE

M. LE MINISTRE DE L’ECONOMIE ET DES FINANCES

Demeurant : [Adresse 1]

[Adresse 1]

Représenté par Mme [U] [B], inspectrice, et par M. [Q] [R], directeur régional des entreprises, en vertu d’un pouvoir général

Représenté par Mme [X] [J] , chargée du suivi du contentieux civil des pratiques commerciales restrictives de concurrence au sein de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, en vertu d’un pouvoir spécial

INTIMÉE

SAS ITM ALIMENTAIRE INTERNATIONAL, anciennement ITM ALIMENTAIRE FRANCE, et venant aux droits des sociétés radiées SNC SPAL BOISSONS, SNC SCA LS FRAIS, SNC SCA LAITS ET DERIVES et SNC SCA CONDIMENTS ET DERIVES

Ayant son siège social : [Adresse 2]

[Adresse 2]

N° SIRET : 341 192 227 (PARIS)

prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège

Représentée par Me Matthieu BOCCON GIBOD de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477

Ayant pour avocats plaidant : Me Yann UTZSCHNEIDER du LLP WHITE AND CASE LLP, avocat au barreau de PARIS, toque : J002, et Me Mickaël RIVOLLIER, avocat au barreau de PARIS, toque : T03

INTERVENANT

M. LE PROCUREUR GENERAL PRES LA COUR D’APPEL DE PARIS

En ses bureaux sis : Palais de Justice de PARIS

[Adresse 3]

[Adresse 3]

COMPOSITION DE LA COUR :

L’affaire a été débattue le 08 Novembre 2017, en audience publique, devant la Cour composée de :

Madame Irène LUC, Présidente de chambre, rédacteur

Madame Dominique MOUTHON VIDILLES, Conseillère

Madame Laure COMTE, Vice-Présidente Placée,

qui en ont délibéré.

Un rapport a été présenté à l’audience par Madame Irène LUC dans les conditions prévues par l’article 785 du Code de Procédure Civile.

Greffier, lors des débats : Madame Cécile PENG

ARRÊT :

— contradictoire

— par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

— signé par Madame Irène LUC, président et par Madame Cécile PENG, greffier auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

FAITS ET PROCÉDURE

Le ministre de l’économie a diligenté une enquête auprès des enseignes de la grande distribution afin de vérifier la conformité de leurs pratiques aux exigences de la loi dite LME du 4 août 2008.

À l’occasion de cette enquête, les contrats commerciaux passés entre les enseignes de la grande distribution, parmi lesquelles les sociétés défenderesses, et un certain nombre de leurs fournisseurs ont été examinés de manière systématique.

Estimant certaines clauses de la convention d’affaires 2009 signée par les sociétés SPAL Boissons, SCA LS Frais, SCA Laits et dérivés, SCA Condiments et dérivés et ITM Alimentaire France, aux droits desquelles vient la société ITM Alimentaire International, contraires aux prescriptions de l’article L. 442-6, I, 2° du code de commerce, le ministre de l’économie a assigné les sociétés défenderesses devant le tribunal de commerce d’Evry le 2 novembre 2009.

L’article 2 de cette convention intitulé « Résultat de la négociation en vue de déterminer le prix » stipule : « Conformément aux dispositions légales, cette négociation a été menée sur la base des conditions générales de vente communiquées par le Fournisseur, et établies unilatéralement par ce dernier. A ce titre, étant donné qu’elles constituent le socle de la négociation, elles sont annexées à la présente convention, sans pour autant valoir acceptation pure et simple de leur contenu. Les clauses ci-dessous énumérées de manière non exhaustive seront exclues ou rediscutées d’un commun accord au motif qu’elles peuvent être considérées comme déséquilibrées et/ou abusives ou ne relèvent pas de la négociation commerciale et/ou relèvent d’un autre document signé par les deux parties. Il s’agit notamment de clauses relatives : – (') ; – aux conditions particulières pour la passation et/ou l’acceptation des commandes ; – à l’exclusion des réserves si ces dernières ne sont pas mentionnées sur les bons de livraisons ; – à des délais abusivement écourtés pour contester le bien fondé ou le règlement d’une facture ; – (') ; – à l’application des Conditions Générales de Vente aux services rendus par le distributeur ; – aux conditions logistiques incompatibles avec l’organisation du « Groupement des Mousquetaires'; – (') ; – à l’exonération ou la limitation de responsabilité du fournisseur.».

Selon le ministre, cette clause contrevient aux dispositions de l’article L. 442-6, I, 2° du code de commerce car elle est non réciproque, injustifiée et porte atteinte à la sécurité juridique devant bénéficier aux fournisseurs. En outre, elle induit, sans aucune justification ni contrepartie, des obligations drastiques pour les fournisseurs et ne tient pas compte, le cas échéant, de leurs contraintes justifiées.

Par ailleurs, l’article 4.2 alinéa 6 de la convention d’affaires 2009 prévoit : « Par ailleurs, le paiement des factures et avoirs par le fournisseur présume de la réalisation effective des obligations et services et du caractère justifié et proportionné des rémunérations versées au titre de l’année écoulée ». Le ministre estime que cette clause caractérise également une pratique de déséquilibre significatif.

Les défenderesses ont soulevé in limine litis la nullité de l’assignation et l’incompétence territoriale du tribunal de commerce d’Evry.

Le tribunal ayant rejeté ces exceptions par un jugement du 15 décembre 2010, les défenderesses ont formé un contredit devant la cour d’appel de Paris qui, dans un arrêt du 25 mai 2011, a confirmé la compétence du tribunal de commerce d’Evry, puis, le 25 juillet 2011, un pourvoi en cassation.

Le 19 janvier 2012, la Cour de cassation a constaté la déchéance dudit pourvoi, aucun mémoire n’ayant été déposé dans le délai légal.

C’est dans ces conditions que les parties ont été convoquées à nouveau devant le tribunal de commerce d’Evry pour y plaider au fond.

Le 6 février 2013, le tribunal de commerce d’Evry a :

— rejeté la demande de nullité de l’assignation et dit recevable la demande du ministre chargé de l’économie,

— débouté le ministre de toutes ses demandes,

— condamné le ministre à payer à la société ITM Alimentaire International venant aux droits des sociétés SPAL Boissons, SCA LF Frais, SCA Laits et dérivés, SCA Condiments et dérivés et ITM Alimentaire France, la somme de 10.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

— débouté la société ITM Alimentaire International venant aux droits des sociétés SPAL Boissons, SCA LS Frais, SCA Laits et dérivés, SCA Condiments et dérivés et ITM Alimentaire France de ses autres demandes,

— condamné le ministre aux dépens,

— liquidé les dépens à recouvrer par le greffe à la somme de 511,53 euros, dont 83,83 euros de TVA.

Le tribunal de commerce a estimé que les clauses de l’article 2 « n’ajoutent rien au fait que toute négociation commerciale, quelles que soient les parties en cause, peut aboutir à une exclusion de tout ou partie des conditions générales, qu’elles soient de vente ou d’achat ; que ces clauses, qui renvoient à une négociation qui, en tout état de cause, aurait pu avoir lieu en leur absence n’ont pas de valeur juridique réelle ; que c’est à l’issue de cette négociation qu’un déséquilibre significatif pourrait éventuellement être constaté et non en vertu de clauses qui ne font qu’ouvrir un espace de discussion ; que le ministre postule qu’en raison d’une « asymétrie par les rapports de force entre la plupart des fournisseurs et les distributeurs » la négociation sera défavorable aux fournisseurs, mais que d’une part, il ne se donne pas les moyen d’en faire la démonstration et que d’autre part il ne prouve pas que la situation serait substantiellement différente en l’absence de la clause contestée ».

S’agissant de la clause de l’article 4, il a jugé qu’elle «ne fait que reprendre la substance du droit commun des obligations selon laquelle la charge de la preuve du paiement indu incombe aux demandeurs en restitution».

La cour d’appel de Paris a été saisie de l’appel à l’encontre des deux jugements, le premier par ITM Alimentaire International, le second par le ministre chargé de l’économie. Les deux appels ont été joints par ordonnance du 28 janvier 2014.

Par arrêt avant-dire-droit du 11 mars 2015, la cour d’appel a déclaré l’action du ministre recevable, rejeté la demande de mise hors de cause de la société ITM Alimentaire International, saisi la Commission d’Examen des Pratiques Commerciales pour avis sur les dispositions de l’article 2 de la convention d’affaires de 2009 et invité celle-ci à donner toutes les précisions utiles notamment sur les usages, pratiques et expériences permettant à la cour d’apprécier lesdites clauses au regard de l’article L.442-6, I, 2° du code de commerce, et, enfin sursis à statuer sur toutes les demandes.

La Commission d’examen des pratiques commerciales a transmis son rapport le 25 juin 2015.

La Commission souligne que l’article 2 de la convention d’affaires 2009 est fréquent dans les contrats rédigés présentés par les distributeurs lors des négociations commerciales annuelles. Elle souligne en outre que les clauses énumérées à cet article 2, qui peuvent être renégociées d’un commun accord aux termes de cet article, sont des clauses qui figurent fréquemment dans les conditions générales de vente (CGV) des fournisseurs. La Commission refuse d’entrer dans l’analyse clause par clause, relevant que la Cour de cassation impose une appréciation globale et concrète du contrat litigieux et l’impossibilité pour elle de «se prononcer par rapport à l’économie générale de la relation dans la mesure où seule la convention d’affaires 2009 est disponible». Elle relève ensuite que la convention de 2009 entre dans le champ de l’article L.441-7 du code de commerce et que l’article 2 de cette convention doit être compris comme une clause du contrat final. Selon la Commission, «le problème posé est par conséquent moins celui de l’existence d’un déséquilibre significatif que celui de la remise en cause du contrat signé entre les parties et de l’incertitude qui en découle du point de vue de la force exécutoire. En effet, le risque que présente cette convention d’affaires est de voir le distributeur revenir sur certaines clauses du contrat établi à l’issue de la négociation. Autrement dit, avec un tel dispositif contractuel, rien n’est stable et le contrat est susceptible d’être constamment remis en cause sur la base de la rédaction de l’article 2 visant la possible suppression ou re-discussion des six points des CGV, ces points étant en outre listés de façon non exhaustive. En définitive, la question préalable, avant d’analyser l’existence ou non d’un déséquilibre significatif, est celle de la force obligatoire des contrats. Dans le cas présent, l’article 2 implique que la négociation n’est jamais véritablement achevée et que, par conséquent, l’accord de volonté des parties peut être privé de force obligatoire».

Saisie d’un pourvoi contre l’arrêt du 11 mars 2015 de la cour de céans par la société ITM Alimentaire International, la Cour de cassation a, dans un arrêt du 18 février 2016, renvoyé au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité suivante : «les dispositions de l’article L.442-6, III du code de commerce, telles qu’interprétées par la jurisprudence comme autorisant le prononcé d’une amende civile à l’encontre d’une personne morale à laquelle une entreprise a été transmise sont-elles contraires au principe suivant lequel nul n’est punissable que de son propre fait, qui découle des articles 8 et 9 de la Déclaration des droits de l’homme et citoyen en ce qu’elles permettent de condamner directement une société absorbante en raison de comportements exclusivement imputables à une société absorbée '».

Par décision du 18 mai 2016 (QPC 2016-542), le Conseil constitutionnel a répondu par la négative, estimant que le principe de personnalité des peines n’était pas violé lorsqu’une société absorbante répondait, sur le fondement de l’article L.442-6, III du code de commerce, des pratiques commises par des sociétés absorbées.

Par arrêt du 26 avril 2017, la Cour de cassation a déclaré irrecevable le pourvoi de la société ITM contre l’arrêt de la cour d’appel du 11 mars 2015, celui-ci n’ayant pas tranché une partie du principal et n’ayant pas mis fin à l’instance.

LA COUR

Vu l’appel interjeté par le ministre de l’économie et ses dernières conclusions notifiées le 24 octobre 2017, par lesquelles il est demandé à la cour de :

vu les faits exposés et les pièces produites,

vu les dispositions de l’article L.442-6, I, 2° et L.442-6, III du code de commerce,

— infirmer le jugement prononcé par le tribunal de commerce d’Evry du 6 février 2013, sauf en ce qu’il a rejeté la demande de nullité de l’assignation, dit recevable la demande du ministre chargé de l’économie et débouté la société ITM Alimentaire International, venant aux droits des sociétés SPAL Boissons, SCA LS Frais, SCA Laits et dérivés, SCA condiments et dérivés et ITM Alimentaire France de ses autres demandes,

— juger que le principe selon lequel le doute profite à la partie poursuivie n’est pas applicable à la présente procédure,

— juger qu’en tout état de cause, l’existence de la pratique litigieuse est démontrée puisque le ministre communique toutes les pièces essentielles à la solution du litige prouvant que le groupement des Mousquetaires a imposé à ses fournisseurs des clauses significativement déséquilibrées dans sa convention d’affaires 2009, sans que la société intimée n’ait jamais pris la peine de prouver que ces clauses étaient rééquilibrées,

— juger que les stipulations prévues par l’article 2 alinéa 2 de la convention d’affaires 2009 créent un déséquilibre significatif dans les droits et les obligations des parties au profit de la société ITM Alimentaire International et plus généralement du groupement des Mousquetaires,

— juger que les stipulations prévues à l’article 4.2 alinéa 6 de la convention d’affaires 2009 créent un déséquilibre significatif dans les droits et les obligations des parties au profit de la société ITM Alimentaire International et plus généralement du groupement des Mousquetaires,

— dire que ces clauses contreviennent aux dispositions de l’article L.442-6, I, 2° du code de commerce,

— enjoindre la société ITM Alimentaire International et plus généralement toutes sociétés faisant partie du groupement des Mousquetaires de cesser pour l’avenir les pratiques consistant à mentionner les clauses susvisées dans leurs futures conventions commerciales,

— condamner la société ITM Alimentaire International au paiement d’une amende civile de 2 millions d’euros,

— condamner la société ITM Alimentaire International à verser au Trésor Public la somme de 10.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

— condamner en outre la société ITM Alimentaire International à publier à ses frais, sous huit jours à compter de la signification du jugement à intervenir, le dispositif dudit jugement sur son site internet et dans trois quotidiens nationaux,

— condamner la société ITM Alimentaire International aux entiers dépens,

— si, par extraordinaire, la cour d’appel de Paris ne donnait pas droit aux demandes du ministre, rejeter la demande parfaitement disproportionnée de la société ITM Alimentaire International consistant à voir le ministre condamné à payer la somme de 40.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

Vu les dernières conclusions notifiées le 30 octobre 2017 par la société ITM Alimentaire International, intimée, par lesquelles il est demandé à la cour de :

vu l’article L.442-6, I, 2° du Code de commerce,

vu le principe de la présomption d’innocence,

— donner acte à la société ITM Alimentaire International de son absence d’acquiescement à l’arrêt rendu par la cour d’appel de Paris le 11 mars 2015 dans la présente instance,

— juger que l’existence d’un doute au sujet du caractère déséquilibré des clauses doit profiter à la société ITM Alimentaire International et exclut donc toute condamnation de cette dernière,

— juger qu’en l’absence de communication des actes d’enquête dressés par ses services et de l’intégralité des documents récupérés auprès des fournisseurs concernant la relation d’affaires et juridique existant entre les cinq fournisseurs objets des poursuites et les sociétés du Groupement des Mousquetaires, le ministre de l’économie ne rapporte pas la preuve de l’étendue des droits et obligations des parties,

— juger que le ministre de l’économie ne rapporte pas la preuve d’une soumission des cocontractants concernés par les poursuites,

— juger que la Commission d’examen des pratiques commerciales, dans l’avis rendu à la demande de la Cour, n’a caractérisé aucun déséquilibre ni a fortiori aucun caractère significatif d’un tel déséquilibre,

— juger qu’il n’y a pas de déséquilibre dans l’article 2 des Conventions conclues par les sociétés poursuivies avec les fournisseurs concernés,

— juger qu’il n’y a pas de déséquilibre dans l’article 4 des Conventions conclues par les sociétés poursuivies avec les fournisseurs concernés,

en conséquence,

— confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a débouté le ministre de l’économie de ses demandes d’amende civile et de cessation des pratiques,

— débouter le ministre de l’économie de l’ensemble de ses demandes et prétentions,

— condamner le ministre de l’économie à verser à la société ITM Alimentaire International la somme de 40 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

— condamner le ministre de l’économie aux entiers dépens, dont distraction au profit de la SELARL Lexavoué par application de l’article 699 du code de procédure civile ;

SUR CE

Sur les demandes déjà tranchées par l’arrêt du 11 mars 2015

Il convient de reprendre les dispositions de l’arrêt du 11 mars 2015 figurant en pages six à huit en ce qui concerne les moyens soulevés concernant la recevabilité de l’action du ministre, à savoir la contestation de la validité de l’assignation, les prétendues violations des principes de l’égalité des armes et de légalité des infractions, les moyens d’irrecevabilité tirés du défaut d’objet de l’action du ministre, de la violation de l’article 5 du code civil et, enfin, du principe de la personnalité des peines.

Il y a donc lieu de déclarer l’action du ministre recevable, l’assignation étant régulière, les principes de l’égalité des armes et de légalité des infractions n’ayant pas été enfreints, la circonstance que les pratiques dénoncées avaient cessé ne privant pas la demande du ministre de son objet et le juge n’étant pas conduit à méconnaître l’article 5 du code civil en statuant sur la demande du ministre, et, enfin, de refuser la demande de mise hors de cause de la société ITM Alimentaire International, le principe de la personnalité des peines n’interdisant pas qu’une amende civile puisse être prononcée contre la société absorbante pour des pratiques commises par les sociétés absorbées.

Sur la recevabilité de l’action du ministre au regard de la présomption d’innocence

Le ministre de l’économie soutient que l’arrêt de la cour d’appel de Paris du 11 mars 2015 est exécutoire de plein droit et que ses demandes sont recevables. Il prétend que le principe selon lequel le doute profite à la partie poursuivie n’est pas applicable à la présente procédure puisque le présent litige n’est pas un procès répressif et que l’action engagée par lui est une action de nature civile, soumise aux règles du code de procédure civile. De plus, le ministre rappelle que le Conseil constitutionnel qualifie l’amende civile que le juge civil peut prononcer à la demande du ministre, d’amende pécuniaire non pénale. En conséquence, il estime qu’il ne peut être soutenu par la société intimée que sa condamnation porterait atteinte à la présomption d’innocence, d’autant plus qu’aucun doute n’existe quant à la caractérisation de clauses significativement déséquilibrées dans la convention d’affaires 2009, puisqu’il communique toutes les pièces essentielles à la solution du litige, sans que la société intimée n’ait jamais pris la peine de prouver que ces clauses étaient rééquilibrées par d’autres clauses de la convention.

La société ITM Alimentaire International considère que, face à l’incertitude qui transparaît de la présente procédure, il n’est pas possible de prononcer une condamnation à son encontre sans violer le principe selon lequel le doute profite à la partie poursuivie. L’intimée soutient en effet que le principe de la présomption d’innocence, qui régit tout procès répressif, s’applique également au III de l’article L. 442-6 du code de commerce. Elle prétend que la cour n’a pas déjà jugé le moyen selon lequel le présent litige constituerait un procès répressif, puisque cet argument n’était pas alors soulevé et que la cour n’a tranché, dans son premier arrêt, que la question de savoir si le ministre pouvait refuser à la société ITM Alimentaire International l’accès au dossier d’enquête la concernant. Enfin, l’intimée réitère son moyen selon lequel le refus du ministre de l’économie de communiquer son dossier méconnaît les prescriptions de l’article 6 de la CESDH, l’intimée n’ayant pas, notamment, la possibilité d’accéder à d’éventuelles pièces à décharge. Par conséquent, elle soutient que le ministre ne démontre pas les déséquilibres significatifs dont il invoque l’existence, à défaut de communiquer tous les éléments touchant à la relation contractuelle et d’affaires entre les parties, qui serviraient de cadre aux conventions 2009 et sans lesquelles aucune analyse des déséquilibres significatifs ne serait possible et conclut donc à l’irrecevabilité de l’action du ministre.

***

Il convient de souligner que l’arrêt de la cour du 11 mars 2015 a précisé que l’action visée par l’article L.442-6, III du code de commerce était une action de nature civile sur le plan du droit national, soumise aux règles du code de procédure civile, seule la définition de l’infraction relevant de la « matière pénale ».

En ayant statué sur les moyens invoqués par la société ITM Alimentaire International, fondés sur la violation des articles 6 et 7 de la CEDH, la cour a également implicitement admis que l’infraction concernée, le déséquilibre significatif, bien que sa sanction soit qualifiée d’ « amende non pénale » par le Conseil constitutionnel, et qu’elle soit constatée et sanctionnée par le juge commercial, relevait de la « matière pénale », au sens de ce texte.

Il convient à cet égard de rappeler qu’aux termes de sa décision du 13 mai 2011, le Conseil constitutionnel a, de même, appliqué les principes de la procédure pénale à la pratique de déséquilibre significatif, et, notamment, le principe de légalité des délits et des peines, relevant « que, conformément à l’article 34 de la Constitution, le législateur détermine les principes fondamentaux des obligations civiles et commerciales ; que, compte tenu des objectifs qu’il s’assigne en matière d’ordre public dans l’équilibre des rapports entre partenaires commerciaux, il lui est loisible d’assortir la violation de certaines obligations d’une amende civile à la condition de respecter les exigences des articles 8 et 9 de la Déclaration de 1789 au rang desquelles figure le principe de légalité des délits et des peines qui lui impose d’énoncer en des termes suffisamment clairs et précis la prescription dont il sanctionne le manquement ».

Mais la cour a estimé que, nonobstant l’appartenance de l’infraction à la matière pénale, le principe de l’égalité des armes prévue à l’article 6 de la CEDH n’avait pas été violé, nonobstant le caractère dissymétrique des parties en présence, d’une part le ministre doté de pouvoirs d’enquête et d’autre part les parties privées soupçonnées d’avoir enfreint l’article L. 442-6 du code de commerce. L’équilibre entre les parties est assuré par la soumission de l’action du ministre aux dispositions du code de procédure civile, et, dans le cadre de cette action, par le fait que l’ensemble des pièces fondant les poursuites, transmises au juge par le ministre chargé de l’économie, sont communiquées aux parties et soumises au débat contradictoire. Il n’est pas soutenu ici que des pièces résultant des investigations de la DGCCRF auraient été communiquées au juge sans être soumises au débat contradictoire. Le moyen, qui se borne à contester de manière générale l’absence de communication de l’entier dossier du ministre, n’établit pas en quoi les droits de la défense de la société ITM Alimentaire International auraient été, dans l’affaire en cause, précisément violés. Par ailleurs, les prérogatives nécessaires à l’accomplissement d’une mission de protection de l’ordre public économique ont déjà été jugées comme ne constituant pas, en elles-mêmes, une atteinte au principe de l’égalité des armes dès lors que les éléments sur lesquels se fondent la poursuite et qui sont communiqués au juge sont également soumis au débat contradictoire. La cour a relevé à cet égard que, sur le plan procédural, les parties, y compris le ministre, avaient la liberté de choisir les pièces qu’elles entendaient produire au soutien de leurs prétentions, soumises à la libre discussion des parties, et qu’il appartenait ensuite au juge d’examiner les pièces produites au soutien des demandes respectives et d’en apprécier le caractère probant.

Si le principe de la présomption d’innocence, selon lequel le doute profite à l’accusé, s’applique à la pratique de déséquilibre significatif, celle-ci relevant de la matière pénale au sens de l’article 6 de la CEDH, il appartient au juge commercial de vérifier que le ministre apporte la démonstration de la caractérisation de la pratique, par des éléments suffisamment probants, conformément à l’article 9 du code de procédure civile, selon lequel «Il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention».

Mais la société ITM Alimentaire International ne saurait déduire l’existence d’un doute sur son implication dans les pratiques litigieuses de la circonstance que la cour d’appel ait jugé utile de consulter pour avis la CEPC.

Par ailleurs, la circonstance que le ministre ait refusé, malgré les demandes réitérées de la société ITM Alimentaire International, de communiquer des éléments de son dossier d’enquête, doit être prise en compte par le juge, qui doit en tirer toutes conséquences de droit, selon les règles qui s’appliquent à la communication de pièces entre parties, définies aux articles 132 du code de procédure civile et suivants.

Mais la société ITM Alimentaire International ne saurait exciper de ces refus l’irrecevabilité ab initio de la demande du ministre, la cour ayant l’obligation de statuer au vu des éléments qui lui sont présentés.

Il y a donc lieu de déclarer recevable la demande du ministre et de confirmer le jugement entrepris sur ce point.

Sur le déséquilibre significatif allégué par le ministre

Selon l’article L. 442-6, I, 2° du code de commerce : « Engage la responsabilité de son auteur et l’oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers : (') 2° De soumettre ou de tenter de soumettre un partenaire commercial à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties ».

Les deux éléments constitutifs de cette pratique restrictive de concurrence sont, en premier lieu, la soumission ou la tentative de soumission et, en second lieu, l’existence d’obligations créant un déséquilibre significatif. L’insertion de clauses dans une convention type ou un contrat d’adhésion qui ne donne lieu à aucune négociation effective des clauses litigieuses peut constituer ce premier élément. L’existence d’obligations créant un déséquilibre significatif peut notamment se déduire d’une absence totale de réciprocité ou de contrepartie à une obligation, ou encore d’une disproportion importante entre les obligations respectives des parties.

Les clauses sont appréciées dans leur contexte, au regard de l’économie du contrat et in concreto. La preuve d’un rééquilibrage du contrat par une autre clause incombe à l’entreprise mise en cause, sans que l’on puisse considérer qu’il y a inversion de la charge de la preuve. Enfin, les effets des pratiques n’ont pas à être pris en compte ou recherchés.

Sur la soumission ou tentative de soumission des fournisseurs à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties

Le ministre estime que la soumission et la tentative de soumission sont caractérisées en l’espèce par :

— l’existence d’un contrat type imposé aux fournisseurs comportant les clauses litigieuses ayant une portée générale et dont la rédaction entraîne une insécurité juridique,

— l’imposition d’obligations non réciproques, le groupement des Mousquetaires n’apportant pas la preuve d’un rééquilibrage du contrat,

— la tentative de soumission résultant du contexte d’asymétrie du rapport de force en faveur du distributeur et du déséquilibre des clauses au détriment des fournisseurs.

Le ministre soutient que la clause de renégociation (article 2 de la convention d’affaires) ne permet de renégocier que des clauses CGV Fournisseur.

La société ITM Alimentaire International souligne que la définition de la pratique de l’infraction de déséquilibre significatif dans le code de commerce englobe une notion de soumission, que le juge se doit de rechercher pour chaque cas et chaque contrat. Elle soutient que le ministre ne rapporte pas en l’espèce la preuve d’une soumission des cinq fournisseurs concernés et soulève :

— l’absence de présomption de soumission dans le secteur de la grande distribution,

— le caractère insuffisant de l’étude du contenu rédactionnel des clauses pour en déduire l’effet de soumission.

***

L’élément de soumission ou de tentative de soumission de la pratique de déséquilibre significatif implique la démonstration de l’absence de négociation effective des clauses incriminées.

Si la structure d’ensemble du marché de la grande distribution peut constituer un indice de rapports de forces déséquilibrés, se prêtant difficilement à des négociations véritables entre distributeurs et fournisseurs, cette seule considération ne peut suffire à démontrer l’élément de soumission ou de tentative de soumission d’une clause du contrat signé entre eux, même si ce contrat est un contrat-type. Cet indice doit être complété par d’autres indices.

En effet, certains fournisseurs, qui constituent des grands groupes, peuvent résister à l’imposition d’une clause qui leur est défavorable. Tous les fournisseurs ne sont pas de taille égale et n’ont pas une puissance de négociation équivalente. Par conséquent, tous ne peuvent pas être contraints de la même façon par les distributeurs. Certes, la menace d’éviction des linéaires d’un des grands distributeurs n’est pas sans conséquence, même pour les gros fournisseurs, mais il est notable que ceux-ci arrivent aussi à imposer des restrictions de concurrence et ne sont pas dépourvus de moyens d’action.

La preuve de l’absence de négociation effective peut résulter de la circonstance que des fournisseurs cocontractants ont tenté, mais ne sont pas parvenus, à obtenir la suppression des clauses litigieuses dans le cadre de négociations ou qu’aucune suite n’a été donnée aux réserves ou avenants proposés par les fournisseurs pour les modifier.

Le ministre verse aux débats cinq conventions signées par les sociétés Danone, Mars, Hero France, Conserves de France et Saint-Jean, dont il n’est pas démontré qu’elles n’aient pas fait l’objet de négociations effectives.

En l’espèce, en effet, le ministre n’apporte aucun élément de preuve afférent aux circonstances factuelles dans lesquelles les cinq contrats versés à la procédure ont été conclus.

S’il a pu être déduit, dans d’autres cas, un indice de soumission ou de tentative de soumission de déséquilibre significatif, de l’adoption, par un nombre significatif de fournisseurs, de clauses identiques qui leur étaient manifestement défavorables, indice conforté par d’autres indices, tel n’est pas le cas dans la présente espèce.

La société ITM Alimentaire International relève en effet à juste titre que les clauses litigieuses ne figurent que dans cinq contrats conclus par des fournisseurs, dont elle justifie qu’ils ne peuvent être qualifiés de PME ou de TPE.

Mis à part les groupes Danone et Mars, dont le pouvoir de marché n’est pas à démontrer, puisqu’ils réalisent des dizaines de milliards d’euros de chiffres d’affaires et s’appuient sur des portefeuilles de marques incontournables pour tout distributeur, le fournisseur Conserves de France a en effet déclaré avoir réalisé en 2008 un chiffre d’affaires total de 228,6 millions d’euros, dont 19,6 millions d’euros avec les sociétés poursuivies (correspondant à 8,57% de son activité), le fournisseur Saint-Jean a réalisé, en 2008, un chiffre d’affaires total de 51,7 millions d’euros, dont (selon ses déclarations) 3,5 millions d’euros avec les sociétés poursuivies (correspondant à 6,77% de son activité) et enfin le fournisseur Hero France était, en 2008 et en 2009, une filiale du groupe suisse Hero qui, en 2011, a réalisé un chiffre d’affaires de 1,43 milliard de Francs Suisses (soit 1,16 milliard d’euros au taux de conversion actuel). Les 6,8 millions d’euros de chiffre d’affaires qu’elle a déclarés réaliser avec les sociétés poursuivies représenteraient moins de 1% de son activité. Ces chiffres, établis par la société ITM Alimentaire International, ne sont pas sérieusement contestés par le ministre.

Si le ministre prétend que les clauses litigieuses ont été «intégrées dans toutes les conventions» (p.53 de ses conclusions) ou que «tous les fournisseurs de la société intimée ont donc été concernés par ces clauses» (p.56), il n’appuie cette affirmation sur aucun élément de preuve, son action ne reposant que sur les cinq conventions précitées, seules communiquées aux débats.

De plus, sur ces 5 conventions, la société Danone Eaux France a négocié l’article 2 prétendument imposé par les sociétés poursuivies, dont elle a obtenu modification par un « avenant à la convention d’affaires ITM 2009 », annexé à la Convention 2009 et paraphé par les deux parties (annexe 4.1 de l’assignation devenue pièce n° 20.1 du Ministre), ce qui démontre l’existence de négociations bien réelles sur les clauses litigieuses.

En outre, la société ITM Alimentaire International verse aux débats le résultat des négociations concernant la Convention d’affaires 2009 par deux autres fournisseurs, Orangina/Schweppes et Herta (pièces 27 et 28 d’ITM). Il en résulte que la société Orangina/Schweppes a obtenu la modification du texte-même de la Convention, notamment s’agissant des articles 2 et 4.2 critiqués par le ministre et que la société Herta a fait adopter par la SCA LS Frais un avenant à la Convention d’affaires modifiant les articles 2 et 4.2 prétendument imposés.

Le ministre s’appuie essentiellement sur l’audition du 18 juin 2009 de la société Mars par les enquêteurs de la DGCCRF pour démontrer la soumission : le directeur commercial petcare de Mars a en effet déclaré : «Concernant le contrat commercial pré-rédigé remis le jour même de sa signature sans aucune possibilité de modification par les fournisseurs, il comporte des clauses abusives et contraires à nos CGV. Faute de pouvoir les amender directement dans le document, elles font l’objet d’un courrier séparé destiné à les dénoncer mais dont l’effet est limité compte tenu du fait que ce courrier n’est pas signé des deux parties».

Mais la société ITM verse aux débats une déclaration du même directeur commercial (pièce 31 d’ITM), du 2 juillet 2009, dans laquelle celui-ci revient sur ses propos : «Contrairement à ce que j’ai déclaré par procès-verbal du 18 juin 2009, aucun courrier d’amendement n’est parti à l’adresse de la centrale Intermarché. Ce contrat étant le même dans ses grandes lignes depuis plusieurs années et bien que présentant des termes contraires à nos CGV, il ne nous a pas semblé utile de le dénoncer compte tenu du fait qu’Intermarché ne met pas à exécution en ce qui nous concerne les clauses que nous jugeons abusives (constat fait sur les dernières années). Aussi, pour éviter l’ouverture d’un nouveau champ de négociation, nous avons choisi le statu quo». Ces propos démontrent qu’en l’espèce, la société Mars n’a pas voulu réouvrir un espace de négociation et a choisi de ne pas dénoncer les clauses litigieuses. La seule déclaration du 18 juin 2009 de la société Mars, contredite le 2 juillet 2009, ne saurait donc suffire à établir la soumission des fournisseurs.

Il n’est donc pas démontré par le ministre que les clauses litigieuses pré-rédigées par ITM constituaient une composante intangible des cinq contrats examinés et n’avaient pu faire l’objet d’aucune négociation effective. Il n’est pas établi qu’aucune suite n’ait été donnée aux réserves ou avenants proposés par les fournisseurs pour les modifier, quand ceux-ci en ont manifesté la volonté, aux termes d’une négociation qui était à leur portée.

Contrairement aux assertions du ministre, il ne peut être inféré du seul contenu des clauses ou du contexte économique caractérisé par une forte asymétrie du rapport de force en faveur du distributeur la caractérisation de la soumission ou tentative de soumission exigée par le législateur. L’insertion de clauses « déséquilibrées » dans un contrat-type ne peut suffire en soi à démontrer cet élément, seule la preuve de l’absence de négociation effective pouvant l’établir, la soumission ne pouvant être déduite de la seule puissance de négociation du distributeur, in abstracto. Le ministre soutient en vain que la majorité des fournisseurs d’ITM serait concernée par la clause, et serait dans l’incapacité de résister aux demandes d’ITM, car il n’en rapporte pas la preuve, seules 5 conventions étant versées aux débats.

La soumission ou tentative de soumission requise par l’article L. 442-6, I, 2° du code de commerce n’est donc pas établie. La pratique de déséquilibre significatif n’est donc pas constituée, sans qu’il soit utile d’examiner la réalisation de la deuxième condition, tenant à l’existence d’obligations créant un déséquilibre significatif.

Il y a lieu de confirmer le jugement entrepris sur ce point.

De manière surabondante

Sur l’existence d’obligation créant un déséquilibre significatif dans l’article 2 de la convention annuelle 2009

Le ministre considère que l’article 2 de la convention d’affaires 2009 du groupement des Mousquetaires crée un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties, car il permet au distributeur de renégocier ou d’exclure les clauses des CGV Fournisseur, sans aucune réciprocité prévoyant que les fournisseurs peuvent également renégocier les CGA du distributeur, et sans justification puisqu’aucun élément objectif et nouveau ne permet de justifier une telle renégociation ou exclusion et crée le risque que le distributeur renégocie tout au long de l’année la convention d’affaires.

La société ITM Alimentaire International estime d’une part, que le mécanisme général de la clause critiquée n’induit aucun déséquilibre et d’autre part, ne met aucune « obligation » à la charge des partenaires commerciaux.

***

L’article L.442-6, I, 2° du code de commerce, qui doit s’interpréter strictement, vise le fait de «soumettre un partenaire commercial à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties».

La clause litigieuse prévoit que : « Les clauses ci-dessous énumérées de manière non exhaustive seront exclues ou rediscutées d’un commun accord au motif qu’elles peuvent être considérées comme déséquilibrées et/ou abusives ou ne relèvent pas de la négociation commerciale et/ou relèvent d’un autre document signé par les deux parties. Il s’agit notamment de clauses relatives : – (') ; – aux conditions particulières pour la passation et/ou l’acceptation des commandes ; – à l’exclusion des réserves si ces dernières ne sont pas mentionnées sur les bons de livraisons ; – à des délais abusivement écourtés pour contester le bien fondé ou le règlement d’une facture ; – (') ; – à l’application des Conditions Générales de Vente aux services rendus par le distributeur ; – aux conditions logistiques incompatibles avec l’organisation du « Groupement des Mousquetaires; – (') ; – à l’exonération ou la limitation de responsabilité du fournisseur ».

En l’espèce, la clause litigieuse ne contient aucune obligation positive, mais renvoie à la faculté, pour les parties, d’exclure ou rediscuter des clauses des CGV des fournisseurs d’un commun accord ; elle renvoie donc à de possibles négociations futures. La cour ne peut à cet égard approuver l’assertion du ministre selon laquelle «le fournisseur se retrouve, par application de cette clause, débiteur d’une obligation incontestable de renégocier ou d’exclure ces conditions générales de vente qui, bien qu’intégrées à la convention d’affaires 2009, ne sont pas acceptées par le distributeur». Le renvoi à un futur et hypothétique commun accord des parties ne constitue nullement une obligation imposée aux fournisseurs.

Le ministre considère qu’une clause d’emblée contraire aux principes posés par les articles L. 441-6 et L. 441-7 du code de commerce, selon lesquels les CGV Fournisseur constituent le socle de la négociation commerciale et la convention unique est négociée annuellement, ce qui s’oppose à des remises en cause, au cours de l’année, des droits et obligations obtenus dans le cadre de cette convention, est constitutive d’un déséquilibre significatif.

Mais il est admis, ainsi que l’a rappelé la CEPC, citée dans les conclusions d’ITM Alimentaire International que «les cocontractants peuvent légalement décider, d’un commun accord, d’écarter pour partie les conditions du fournisseur, sous réserve de ne pas créer un déséquilibre significatif au sens de l’article L. 442-6 du code de commerce».

Ce procédé n’est donc pas en soi constitutif d’une obligation source de déséquilibre significatif, celui-ci devant s’apprécier lors de la négociation effective de clauses déséquilibrées.

Sur l’existence d’obligation créant un déséquilibre significatif dans l’article 4.2 alinéa 6 de la convention annuelle 2009

Le ministre rappelle que l’article 4.2 alinéa 6 de la convention d’affaires 2009 prévoit : « Par ailleurs, le paiement des factures et avoirs par le fournisseur présume de la réalisation effective des obligations et services et du caractère justifié et proportionné des rémunérations versées au titre de l’année écoulée ».

Or, le ministre soutient que :

— le paiement des factures et avoirs par le fournisseur ne saurait présumer de la réalisation effective des obligations et services par le distributeur: le ministre estime que la clause renverse les obligations légales des parties et qu’en créant par contrat une présomption de réalisation de la prestation ou de l’obligation liée au paiement de la facture ou de la facture d’avoir, qui est une obligation dont le fournisseur ne peut s’affranchir, le groupement des Mousquetaires transfère indûment ses obligations légales sur les fournisseurs, ce qui caractérise un déséquilibre significatif entre les parties au détriment des fournisseurs,

— le paiement des factures et avoirs par le fournisseur ne peut présumer du caractère justifié et proportionné des rémunérations versées au titre de l’année écoulée : le ministre soutient à ce titre que le caractère justifié et proportionné d’une rémunération ne peut être déterminé qu’après l’analyse du contenu de la prestation ou de l’obligation réalisée et non sur le fondement du simple paiement d’une facture,

— en renversant la charge de la preuve de la réalisation de la prestation, le groupement des Mousquetaires transfère indûment ses obligations légales sur les fournisseurs, ce qui caractérise un déséquilibre significatif entre les parties au détriment des fournisseurs ; grâce à cette clause, le distributeur peut s’assurer que la charge de la preuve ne lui incombe plus et il dispose alors de la possibilité de facturer des services à ses fournisseurs sans même avoir à les réaliser,

— les prestations ou obligations annuelles rémunérées par acompte ne peuvent être présumées réalisées et leurs montants ne peuvent être qualifiés de justifiés ou de proportionnés.

La société ITM Alimentaire International soutient que la preuve des obligations réciproques des parties est régie par l’article 1315 du code civil et que l’article L.442-6, III du code de commerce n’a aucun effet juridique nouveau dans les relations entre fournisseurs et distributeurs, car la preuve de la réalisation des services pesait déjà sur le distributeur. Par ailleurs, la société intimée souligne que la stipulation critiquée n’est pas contraire à ces principes puisque tout fournisseur qui contesterait devoir une facture de services demeure libre de ne pas la payer et de soulever toute contestation qu’il juge utile. Ainsi, elle estime que si le distributeur veut en obtenir le règlement, il lui appartient de démontrer qu’il a effectivement rendu le service, sans que la clause critiquée n’y change quelque chose. Elle soutient également que c’est uniquement si les factures émises au titre de l’année écoulée sont réglées que la présomption trouve à s’appliquer, aucune présomption ne s’inférant du paiement d’une ou plusieurs factures au cours de l’année, tant que le bilan global ne peut être réalisé ; il est alors inexact d’affirmer que le paiement de factures d’acomptes signifie automatiquement que le service a été rendu. De plus, l’intimée soutient que cette clause constitue davantage un appel à la prudence du fournisseur, attirant son attention sur les conséquences que le droit commun met à sa charge en cas de paiement.

***

L’obligation de payer les factures du distributeur relatives à ses services pèse sur les fournisseurs qui ne peuvent s’en affranchir que dans le cadre d’une exception d’inexécution, si le distributeur n’a pas effectué les prestations convenues. Le paiement des factures ne saurait valoir a priori renonciation des fournisseurs à les contester, non seulement quant aux prestations effectuées mais aussi quant au caractère non proportionné de la rémunération. Le paiement des factures ne constitue en effet qu’un indice qui peut être invoqué par le distributeur, mais non une preuve en soi, de l’exécution de la prestation et du caractère non manifestement disproportionné, dont la charge de la preuve repose sur lui, en vertu de l’article L.442-6, III du code de commerce. Celui-ci dispose en effet notamment que : « Dans tous les cas il appartient au prestataire de services, au producteur, au commerçant, à l’industriel ou à la personne immatriculée au répertoire des métiers qui se prétend libéré de justifier du fait qui a produit l’extinction de son obligation ». La loi prévoit donc qu’il appartient en l’occurrence au distributeur d’apporter la preuve de l’exécution de son obligation ou de la prestation de service qui lui incombe.

Or, la clause en cause instaure une présomption de réalisation de la prestation et du caractère équilibré de la rémunération découlant du paiement des factures. A supposer même que cette présomption soit une « présomption simple», réfragable, elle conduit à renverser la charge de la preuve, dès lors qu’une fois payées, le distributeur n’aura plus à justifier de la réalité des prestations et de leur rémunération. En revanche, pèsera sur les fournisseurs la charge de renverser la présomption. Le fardeau de la preuve sera donc plus lourd qu’en droit commun, car il s’agira, non plus de contredire un simple indice, mais de renverser une présomption.

La société ITM ne saurait donc exonérer la clause sous couvert qu’elle ne constituerait que le rappel des règles de preuves existantes, ce qui est inexact.

Cette clause accorde aux distributeurs un avantage excessif, contraire à la loi et contraint le fournisseur à contrôler, par ses propres moyens, l’effectivité des services rendus par les enseignes, alors que ce contrôle par un fournisseur est très complexe, compte-tenu notamment de la multitude des points de ventes concernés, le distributeur pouvant de son côté de façon beaucoup plus aisée, conserver des preuves de l’effectivité de ses prestations afin de pouvoir les justifier par la suite.

Cette disposition crée donc un déséquilibre significatif dans la relation commerciale entre le fournisseur et le distributeur en ce qui concerne les moyens de preuve.

La société ITM ne démontre pas son rééquilibrage par une autre clause de la Convention.

Sur les demandes du ministre

Les pratiques d’imposition ou de tentative d’imposition de déséquilibre significatif n’étant pas constituées, le ministre sera débouté de ses demandes de cessation des pratiques illicites, de paiement d’une amende civile et de publication de l’arrêt sur le site de l’enseigne Intermarché ainsi que dans trois quotidiens nationaux.

Sur les dépens et frais irrépétibles

Le ministre succombant au principal, sera condamné à supporter les dépens et à payer à la société ITM Alimentaire International la somme de 10 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

CONFIRME le jugement entrepris en toutes ses dispositions,

DONNE acte à la société ITM Alimentaire International de son absence d’acquiescement à l’arrêt rendu par la cour d’appel de Paris le 11 mars 2015 dans la présente instance,

DÉCLARE l’action du ministre recevable,

REJETTE la demande de mise hors de cause de la société ITM Alimentaire International,

JUGE que le ministre de l’économie ne rapporte pas la preuve de pratiques de déséquilibre significatif commis par la société ITM Alimentaire International, relatifs aux articles 2 et 4 de la Convention de 2009,

DÉBOUTE le ministre de l’ensemble de ses demandes,

LE CONDAMNE aux dépens,

LE CONDAMNE à verser à la société ITM Alimentaire International la somme de 10 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

Le Greffier La Présidente

Cécile PENG Irène LUC

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Cour d'appel de Paris, Pôle 5 chambre 4, 20 décembre 2017, n° 13/04879