Cour d'appel de Paris, Pôle 1 - chambre 2, 18 novembre 2021, n° 21/06680

  • Ville·
  • Habitation·
  • Location·
  • Usage·
  • Résidence principale·
  • Durée·
  • Meubles·
  • Construction·
  • Autorisation·
  • Changement

Chronologie de l’affaire

Commentaire0

Augmentez la visibilité de votre blog juridique : vos commentaires d’arrêts peuvent très simplement apparaitre sur toutes les décisions concernées. 

Sur la décision

Référence :
CA Paris, pôle 1 - ch. 2, 18 nov. 2021, n° 21/06680
Juridiction : Cour d'appel de Paris
Numéro(s) : 21/06680
Sur renvoi de : Cour de cassation, 17 février 2021, N° F19-13.191
Dispositif : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours

Sur les parties

Texte intégral

Copies exécutoires

REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 1 – Chambre 2

ARRET DU 18 NOVEMBRE 2021

(n° , 10 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 21/06680 – N° Portalis 35L7-V-B7F-CDOS7

Décision déférée à la Cour : Arrêt du 18 Février 2021 -Cour de Cassation – pourvoi n° F 19-13.191 – renvoi après cassation

Arrêt de la cour d’appel de Paris du 20 décembre 2018 – RG 18/15685

Ordonnance du tribunal de grande instance de Paris en date du 11 juin 2018 – RG n°18/53140

APPELANTE

LA VILLE DE PARIS prise en la personne de Madame la Maire de Paris, Madame A B

Hôtel de Ville

[…]

Représentée et assistée par Me Fabienne DELECROIX de l’ASSOCIATION DELECROIX GUBLIN, avocat au barreau de PARIS, toque : R229

INTIMES

M. C X

[…]

08035 New Jersey / Etats-Unis

Représenté et assisté par Me Jean-Paul Z de la SELEURL YZ AVOCAT, avocat au barreau de PARIS, toque : C0794

Mme E Y

[…]

08035 New Jersey / Etats-Unis

Représentée et assistée par Me Jean-Paul Z de la SELEURL YZ AVOCAT, avocat au barreau de PARIS, toque : C0794

COMPOSITION DE LA COUR :

L’affaire a été débattue le 14 Octobre 2021, en audience publique, rapport ayant été fait par M. Thomas RONDEAU, Conseiller et Mme Michèle CHOPIN, Conseillère conformément aux articles 804, 805 et 905 du code de procédure civile, les avocats ne s’y étant pas opposés.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Marie-Hélène MASSERON, Présidente de chambre

Thomas RONDEAU, Conseiller

Michèle CHOPIN, Conseillère

Greffier, lors des débats : Lauranne VOLPI

ARRÊT :

— CONTRADICTOIRE

— par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

— signé par Marie-Hélène MASSERON, Présidente de chambre et par Lauranne VOLPI, Greffier, présent lors de la mise à disposition.

Exposé des faits

M. X et Mme Y sont propriétaires d’un appartement meublé d’une superficie de 23 m² situé, au 2e étage de l’immeuble soumis au droit de la copropriété sis […] à […], constituant le lot […].

La Ville de Paris leur reproche d’avoir donné ce bien en location meublée pour de courtes durées, en violation des dispositions du code de construction et de l’habitation.

Par acte du 20 décembre 2017, la Ville de Paris a fait assigner M. X et Mme Y devant le président du tribunal de grande instance de Paris statuant comme en matière de référé auquel elle a demandé de :

— constater 1'infraction commise par M. X et Mme Y ;

— condamner in solidum M. X et Mme Y à lui payer une amende de 50.000 euros ;

— ordonner le retour à l’habitation des locaux transformés sans autorisation, sis […] à […], sous astreinte de 1.000 euros par m² par jour de retard à compter de l’expiration du délai qu’il plaira au tribunal de fixer ;

— se réserver la liquidation de l’astreinte ;

— condamner in solidum M. X et Mme Y à lui payer la somme de 1.500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Par ordonnance rendue en la forme des référés le 11 juin 2018, la juridiction saisie a :

— déclaré recevable l’action de la Ville de Paris ;

— débouté la Ville de Paris de l’intégralité de ses demandes ;

— condamné la Ville de Paris à payer à M. X et Mme Y la somme de 2.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et à supporter les dépens de l’instance.

Par déclaration en date du 22 juin 2018, la Ville de Paris a fait appel des dispositions de cette ordonnance la déboutant de ses réclamations et la condamnant aux dépens ainsi qu’en application de l’article 700 du code de procédure civile.

Le 20 décembre 2018, la cour d’appel de Paris a :

— confirmé en toutes ses dispositions l’ordonnance rendue le 11 juin 2018 par le président du tribunal de grande instance de Paris ;

ajoutant à celle-ci,

— condamné la ville de Paris aux dépens d’appel et à payer à M. X et Mme Y la somme globale de 2.000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ;

— dit que Maître Z pourra recouvrer directement les dépens dont il a fait l’avance sans avoir reçu provision.

La cour relève notamment que l’action de la ville de Paris est recevable dès lors que le maire d’une commune est recevable, à compter du 20 novembre 2016, à saisir le président du tribunal de grande instance statuant comme en matière de référé au titre d’infractions commises antérieurement à cette date.

Elle confirme l’ordonnance entreprise en ce qu’elle a débouté la ville de Paris de ses demandes, dès lors que les locations du studio conclues pour le compte des intimés, par l’intermédiaire d’un site internet, pour des durées de 4 et 6 mois à des sociétés qui ont déclaré dans le bail y loger la même personne avec laquelle elles étaient liées par un contrat de travail, ne constituent pas des locations répétées de courte durée à une clientèle de passage au sens de l’article L. 631-7 du code de la construction et de l’habitation.

La Ville de Paris a formé un pourvoi contre cet arrêt, invoquant un moyen unique :

la location meublée constitue un changement d’usage soumis à autorisation lorsqu’elle intervient de manière répétée pour de courtes durées à une clientèle de passage qui n’y élit pas domicile, soit lorsqu’elle n’est pas consentie pour une durée d’un an au moins à une personne qui y fixe sa résidence principale ; en décidant du contraire, les juges du fond auraient violé les articles L. 631-7 et L. 652-1 du code de la construction et de l’habitation ainsi que les articles 2, 25-3, 25-4 et 25-7 de la loi du 6 juillet 1989.

Le 18 février 2021, la troisième chambre civile de la Cour de cassation a :

— dit que les articles L. 631-7 et L. 631-7-1 du code de la construction et de l’habitation sont conformes à la directive 2006/123 du 12 décembre 2006 ;

— cassé et annulé en toutes ses dispositions l’arrêt rendu le 20 décembre 2018 par la cour d’appel de Paris ;

— remis l’affaire et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, a renvoyé devant la cour d’appel de Paris autrement composée ;

— condamné M. X et Mme Y aux dépens ;

— en application de l’article 700 du code de procédure civile, rejeté la demande formée par M. X et Mme Y, les condamnant à payer à la Ville de Paris la somme globale de 3.000 euros.

La Cour de cassation indique :

'Selon l’article L. 631-7, alinéa 2, précité, constituent des locaux destinés à l’habitation toutes catégories de logements et leurs annexes, y compris les locaux meublés donnés en location dans les conditions de l’article L. 632-1. Selon l’article L. 631-7, alinéa 6, précité, le fait de louer un local meublé destiné à l’habitation de manière répétée pour de courtes durées à une clientèle de passage qui n’y élit pas domicile constitue un changement d’usage soumis à autorisation préalable. Selon l’article L. 632-1 précité, une location d’un logement meublé constituant la résidence principale du preneur est soumise au titre 1er bis de la loi du 6 juillet 1989.

Hormis les cas d’une location consentie à un étudiant pour une durée d’au moins neuf mois, de la conclusion, depuis l’entrée en vigueur de la loi du 23 novembre 2018, d’un bail mobilité d’une durée de un à dix mois et de la location du local à usage d’habitation constituant la résidence principale du loueur pour une durée maximale de quatre mois, le fait de louer, à plus d’une reprise au cours d’une même année, un local meublé pour une durée inférieure à un an, telle qu’une location à la nuitée, à la semaine ou au mois, à une clientèle de passage qui n’y fixe pas sa résidence principale au sens de l’article 2 de la loi du 6 juillet 1989 constitue un changement d’usage d’un local destiné à l’habitation et, par conséquent, est soumis à autorisation préalable.

Pour rejeter les demandes de la Ville de Paris, l’arrêt retient d’abord, d’une part, que l’article L. 631-7, en ce qu’il apporte une restriction aux conditions d’exercice du droit de propriété, doit faire l’objet d’une interprétation stricte, d’autre part, que seules les locations d’un local meublé à usage d’habitation qui répondent aux quatre conditions énoncées à l’alinéa ajouté à l’article L. 631-7 par la loi ALUR relèvent du champ d’application de ce texte et doivent être soumises à une autorisation préalable ; il retient ensuite que, selon le Conseil Constitutionnel, les locations d’un meublé qui ne remplissent pas toutes ces conditions ne sont pas soumises à ce régime d’autorisation préalable et que l’emploi de l’adverbe 'notamment’ avant la référence aux locations visées à l’article L. 632-1 confirme que ces dernières ne sont citées qu’à titre d’exemple ; il en déduit que, la notion de 'courte durée’ visée à l’article L. 631-7, dernier alinéa, ne recouvre pas toute location d’une durée inférieure à un an ou à neuf mois lorsque le local meublé est loué à un étudiant, de sorte que les deux seules locations d’une durée de quatre et six mois à deux sociétés pour y loger le même salarié ne constituaient pas des locations de courte durée à une clientèle de passage au sens de l’article L. 631-7.

En statuant ainsi, alors que les deux locations litigieuses avaient été conclues, entre mars 2016 et janvier 2017, pour des durées inférieures à un an ou neuf mois, la cour d’appel a violé les textes susvisés.'

Par déclaration en date du 1er avril 2021, la Ville de Paris a saisi la cour sur renvoi après cassation.

Par conclusions remises le 21 mai 2021, auxquelles il convient de se reporter pour plus ample exposé de ses prétentions et moyens, la Ville de Paris demande à la cour, au visa de l’article 2 de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 modifié par la loi n° 2014-366 du 24 mars 2014 et des articles L. 631-7, L. 632-1 et L. 651-2 du code de la construction et de l’habitation, de :

— dire la Ville de Paris recevable et bien fondée en son appel ;

— confirmer l’ordonnance sur la recevabilité de l’action de la Ville de Paris ;

— infirmer l’ordonnance du 11 juin 2018 en ce qu’elle a dit que les consorts X/Y n’ont pas commis d’infraction et a débouté la Ville de Paris de ses demandes de condamnation et l’a condamnée aux dépens et au paiement de la somme de 2.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

statuant à nouveau,

— juger que l’infraction prévue et réprimée par les articles L.637-1 et L.651- 2 du code de la construction et de l’habitation est caractérisée à l’encontre de Monsieur C X et de Madame G Y ;

en conséquence,

— condamner, in solidum, Monsieur C X et Madame G Y à payer à la Ville de Paris une amende civile de 50.000 euros ;

— ordonner le retour à l’habitation des locaux transformés sans autorisation, sis […] à […], sous astreinte de 1.000 euros/m² par jour de retard à compter de l’expiration du délai qu’il plaira au tribunal de fixer ;

— se réserver la liquidation de l’astreinte ;

— condamner, in solidum, Monsieur C X et Madame G Y à payer à la Ville de Paris la somme de 1.500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile de première instance et 2.000 euros en cause d’appel.

La Ville de Paris expose en substance les éléments suivants :

— la maire de Paris agissant pour le compte de la commune et non pour son compte personnel, l’arrêt du 24 mai 2017 doit être confirmé en ce qu’il déclare recevable l’action exercée au bénéfice de la ville de Paris ;

— l’infraction prévue à l’article L. 631-7 du code de la construction et de l’habitation est caractérisée par les éléments suivants :

le logement n’est pas la résidence principale des propriétaires ;

l’usage d’habitation est établi par la fiche de révision foncière de 1970 ;

les photographies prises lors de la visite correspondent à celles publiées sur internet ;

le logement a été loué du 16 mars au 16 juillet 2016 et du 16 juillet 2016 au 20 janvier 2017 ;

ces locations constituent donc un changement d’usage soumis à autorisation préalable que les propriétaires n’ont pas obtenue ;

les développements des défendeurs sont inopérants, l’existence d’un dommage n’étant pas un élément constitutif de l’infraction ;

— la Ville de Paris est donc fondée dans ses demandes de paiement d’une amende civile de 50.000 euros par les propriétaires ainsi que de retour à l’habitation des locaux transformés sans autorisation en application de l’article L. 651-2 du code de la construction et de l’habitation.

Par conclusions remises le 20 juin 2021, auxquelles il convient de se reporter pour plus ample exposé de leurs prétentions et moyens, M. X et Mme Y demandent à la cour, au visa des articles L.631-7, L.631-7-1, L.651-2 et L.632-1 du code de la construction et de l’habitation, des articles L.324-2 et suivants et D.324-1 et suivants du Code du tourisme, de l’article 1-1 de la loi Hoguet et des articles 9, 10 et 11 du code de procédure civile, de :

à titre principal,

— dire et juger qu’ils ne louent pas leur bien de manière répétée pour de courtes durées à une clientèle de passage qui n’y élit pas domicile au sens de l’article L.631-7 dernier alinéa du code de la construction et de l’habitation ;

— dire et juger en conséquence qu’ils ne se sont pas rendus coupables d’un changement d’usage prohibé au sens dudit article ;

— confirmer la décision dont appel en toutes ses dispositions ;

— débouter la Ville de Paris de l’intégralité de ses demandes, fins et prétentions ;

à titre subsidiaire,

— limiter l’amende à l’euro symbolique ;

en tout état de cause,

— débouter la Ville de Paris de sa demande de retour à l’habitation sous astreinte ;

à titre reconventionnel,

— condamner la Ville de Paris à payer à Madame Y et Monsieur X la somme de 5.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

— condamner la Ville de Paris aux entiers dépens dont distraction au profit de Maître Jean-Paul Z (SELARL YZ Avocat /AARPI Realex) Avocat au Barreau de Paris, conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

M. X et Mme Y exposent en substance les éléments suivants :

— à titre liminaire, les faits poursuivis consistent en la location d’un bien à un même occupant pendant dix mois consécutifs : aucune location saisonnière n’a été faite dans les locaux visés, seul un même locataire en déplacement professionnel a occupé les lieux pendant une durée de dix mois suite à la conclusion de deux baux successifs, ce qui rend l’engagement de cette procédure par la Ville de Paris sous couvert de lutte contre les locations saisonnières infondé et disproportionné ;

— à titre principal, l’interprétation de l’infraction prévue à l’article L. 631-7, al. 6, par la Cour de cassation du 18 février 2021 est contestable : le texte conditionne la constatation d’un changement d’usage à la présence cumulative des quatre critères posés, à défaut il aurait été rédigé de sorte à interdire toute location à d’autres fins que d’y établir la résidence principale du locataire ; l’article D. 324-1 du code du tourisme définit les meublés de tourisme en utilisant trois des conditions de l’article L. 631-7 du code de la construction et de l’habitation, ce dont il faut conclure que l’infraction vise nécessairement les locations saisonnières (soit les locations de moins de trois mois) conclues pour un motif touristique uniquement ; l’emploi de ces quatre conditions permet de distinguer les baux relevant d’une occupation résidentielle à moyenne durée de ceux qui constituent une occupation d’agrément pour des durées inférieures ;

— l’interprétation de l’infraction par la Cour de cassation du 18 février 2021 est contraire à celle du Conseil constitutionnel : l’emploi de l’adverbe 'notamment’ par le Conseil constitutionnel implique que des locations non principales qui ne répondraient pas cumulativement aux quatre conditions de l’article ne constituent pas un changement d’usage prohibé ;

— l’interprétation de l’infraction est contraire à l’esprit du texte et à sa finalité : l’exposé des motifs de la loi ALUR ainsi que la décision du Conseil constitutionnel démontrent bien que l’objectif de ces nouvelles dispositions est de lutter contre la transformation de locaux en meublés de tourisme destinés à la location saisonnière et non d’imposer la conclusion de baux à titre de résidence principale sous peine d’autorisation de changement d’usage ;

— au regard de ces différentes erreurs de raisonnement de la Cour de cassation, il faut en conclure qu’une durée totale consécutive de dixmois au profit d’un seul et même occupant ne saurait constituer une location de courte durée au sens de l’article L. 631-7 du code de la construction et de l’habitation et n’emporte donc pas un changement d’usage non autorisé ;

— l’attendu de principe des décisions de la Cour de cassation suppose que l’infraction ne peut être constituée qu’en cas d’existence de plus d’une location inférieure à un an au cours d’une période de référence d’une année, or la location du bien a été faite au profit d’un seul occupant pendant dix mois, les baux successifs s’expliquant par un changement d’employeur de cet occupant ; le critère de répétition n’est donc pas rempli ;

— le bail conclu l’a été au profit d’un salarié justifiant d’une mission temporaire et ce pour une durée de dix mois, soit les conditions de l’actuel bail mobilité qui n’existait pas à l’époque ;

— en outre, les propriétaires n’auraient pas pu conclure un bail à titre de résidence principale pour un locataire en situation de mobilité professionnelle dont le but n’est pas d’y installer sa résidence principale, et surtout dont l’employeur avait vocation à changer au cours du bail, ce qui leur aurait été reproché par la Ville de Paris comme une tentative de dissimulation de la durée réelle d’occupation des lieux ;

— à titre subsidiaire, l’amende doit être limitée à l’euro symbolique, compte tenu des circonstances particulières du litige ;

— la demande de condamnation des consorts Y et X au paiement d’une amende de 50.000 euros est disproportionnée au regard notamment de l’objectif de la réglementation, des plus complexes, du fait que la location elle-même n’a duré que dix mois et a cessé dès réception de l’assignation, de l’absence de profit, de la bonne foi des propriétaires et de l’absence de dommage ;

— en tout état de cause, la demande de retour à l’habitation sous astreinte doit être rejetée, celle-ci n’étant aucunement justifiée dès lors que l’appartement n’est plus offert à la location depuis réception de l’assignation.

SUR CE LA COUR

A titre liminaire, il sera relevé que la cour n’est pas saisie de la question de la recevabilité de la Ville de Paris, qui n’est plus contestée par les parties.

L’article L. 651-2 du code de la construction et de l’habitation, tel qu’issu de la loi du n°2016-1547 du 18 novembre 2016, dispose que toute personne qui enfreint les dispositions de l’article L. 631-7 ou qui ne se conforme pas aux conditions ou obligations imposées en application dudit article est condamnée à une amende civile dont le montant ne peut excéder 50.000 euros (anciennement 25.000 euros avant la loi du 18 novembre 2016) par local irrégulièrement transformé.

Cette amende est prononcée par le président du tribunal de grande instance, statuant en la forme des référés, sur requête du maire de la commune dans laquelle est situé le local irrégulièrement transformé ou de l’Agence nationale de l’habitat et sur conclusions du procureur de la République, partie jointe avisée de la procédure. Le produit de l’amende est intégralement versé à la commune dans laquelle est situé ce local. Le tribunal de grande instance compétent est celui dans le ressort

duquel est situé le local.

Sur requête du maire de la commune dans laquelle est situé le local irrégulièrement transformé ou de l’Agence nationale de l’habitat, le président du tribunal ordonne le retour à l’usage d’habitation du local transformé sans autorisation, dans un délai qu’il fixe. A l’expiration de celui-ci, il prononce une astreinte d’un montant maximal de 1.000 euros par jour et par mètre carré utile du local irrégulièrement transformé. Le produit en est intégralement versé à la commune dans laquelle est situé le local irrégulièrement transformé.

Passé ce délai, l’administration peut procéder d’office, aux frais du contrevenant, à l’expulsion des occupants et à l’exécution des travaux nécessaires.

Il résulte en outre de l’article L. 631-7, dans sa version résultant de la loi n°2014-366 du 24 mars 2014, que la présente section est applicable aux communes de plus de 200.000 habitants et à celles des départements des Hauts-de-Seine, de la Seine-Saint-Denis et du Val-de-Marne. Dans ces communes, le changement d’usage des locaux destinés à l’habitation est, dans les conditions fixées par l’article L. 631-7-1, soumis à autorisation préalable.

Constituent des locaux destinés à l’habitation toutes catégories de logements et leurs annexes, y compris les logements-foyers, logements de gardien, chambres de service, logements de fonction, logements inclus dans un bail commercial, locaux meublés donnés en location dans les conditions de l’article L. 632-1.

Un local est réputé à usage d’habitation s’il était affecté à cet usage au 1er janvier 1970. Cette affectation peut être établie par tout mode de preuve. Les locaux construits ou faisant l’objet de travaux ayant pour conséquence d’en changer la destination postérieurement au 1er janvier 1970 sont réputés avoir l’usage pour lequel la construction ou les travaux sont autorisés.

Toutefois, lorsqu’une autorisation administrative subordonnée à une compensation a été accordée après le 1er janvier 1970 pour changer l’usage d’un local mentionné à l’alinéa précédent, le local autorisé à changer d’usage et le local ayant servi de compensation sont réputés avoir l’usage résultant de l’autorisation.

Sont nuls de plein droit tous accords ou conventions conclus en violation du présent article.

Le fait de louer un local meublé destiné à l’habitation de manière répétée pour de courtes durées à une clientèle de passage qui n’y élit pas domicile constitue un changement d’usage au sens du présent article.

Pour l’application des dispositions susvisées, il y a donc lieu d’établir :

— l’existence d’un local à usage d’habitation, un local étant réputé à usage d’habitation s’il était affecté à cet usage au 1er janvier 1970, sauf pour les locaux construits ou faisant l’objet de travaux ayant pour conséquence d’en changer la destination postérieurement au 1er janvier 1970 qui sont réputés avoir l’usage pour lequel la construction ou les travaux sont autorisés ; le formulaire administratif de type H1 rempli à cette époque permet de préciser l’usage en cause ;

— un changement illicite, sans autorisation préalable, de cet usage, un tel changement étant notamment établi par le fait de louer un local meublé destiné à l’habitation de manière répétée pour de courtes durées à une clientèle de passage qui n’y élit pas domicile, hypothèse excluant notamment la location saisonnière de son logement résidence principale, pour une durée n’excédant pas 120 jours par an, la location d’un meublé résidence principale (titre 1er bis de la loi du 6 juillet 1989) ou encore la location d’un meublé dans le cadre d’un bail mobilité (titre 1er ter de la loi du 6 juillet 1989).

Il est en outre constant que, s’agissant des conditions de délivrance des autorisations, la Ville de Paris a adopté, par règlement municipal et en application de l’article L. 631-7-1 du code de la construction et de l’habitation, le principe d’une obligation de compensation par transformation concomitante en habitation de locaux ayant un autre usage, obligation de compensation qui n’apparaît pas voir été respectée dans le cadre de la présente procédure.

En l’espèce, il sera relevé que le logement n’est pas la résidence principale des propriétaires, l’usage d’habitation étant établi par la fiche de révision foncière de 1970 (pièce 2 Ville de Paris).

Il est également établi que le logement a été loué du 16 mars 2016 au 16 juillet 2016 à la société Sony Music, puis du 16 juillet 2016 au 20 janvier 2017 à la société Les Trois Mousquetaires (même pièce).

Si les intimés prétendent que ces deux contrats de location, souscrits par les deux employeurs successifs d’une même personne, à savoir M. H I, ne sauraient caractériser une location de courte durée répétée à une clientèle de passage n’y élisant pas domicile au sens des dispositions précitées, la Cour de cassation est venue préciser que, hormis la location d’un meublé pour un an ou, pour un étudiant, pour une durée de neuf mois, hormis la location de la résidence principale pour une durée maximale de quatre mois ou hormis la signature d’un bail mobilité depuis l’entrée en vigueur de la loi du 23 novembre 2018 (ici postérieure aux faits), le fait de louer, à plus d’une reprise au cours d’une même année, un local meublé pour une durée inférieure à un an ou neuf mois à une clientèle de passage qui n’y élit pas sa résidence principale constitue un changement d’usage soumis à autorisation préalable.

Il s’en déduit donc que les intimés, en louant à deux reprises le logement en cause sur une période inférieure à un an, ont procédé à un changement d’usage illicite sans autorisation, et encourent donc à ce titre l’amende civile prévue, peu important que le logement n’ait été loué sur la période que deux fois par deux employeurs, en vue de loger une même personne, les circonstances de l’espèce caractérisant une location de courte durée, de manière répétée, à une clientèle de passage qui n’y a pas élu domicile.

Il faut encore préciser :

— que les dispositions en cause ne définissent pas la notion de courte durée, la location pour des durées de quatre mois puis de six mois correspondant ainsi à cette notion, peu important, comme l’invoquent en vain les intimés, l’article D. 324-1 du code du tourisme relatif aux baux saisonniers ; que ne peut aucunement être retenu le fait que la courte durée de l’article L. 631-7 du code de la construction et de l’habitation correspondrait nécessairement à une période de moins de trois mois ;

— que la répétition est aussi parfaitement établie, dès lors que le bien en cause a été loué au moins deux fois sur la période considérée ;

— que la décision du Conseil Constitutionnel du 20 mars 2014 relative au dernier alinéa de l’article L. 631-7 ne vient pas contredire l’interprétation en cause, l’article 16 de la loi pour l’accès au logement et un urbanisme rénové ayant été, aux termes de cette décision, déclaré conforme à la Constitution, sans réserve d’interprétation ;

— que la supposée interprétation trop extensive des textes applicables, qui serait selon les intimés contraire à l’esprit du texte et à sa finalité, n’est pas établie, la cour, à la suite de la Cour de cassation, ne faisant qu’appliquer les dispositions applicables en la matière, peu important aussi l’affirmation selon laquelle la clarification ainsi opérée ne ferait que répondre à une exigence de lisibilité et d’effectivité du droit imposée par la Cour de justice de l’Union européenne, ce qui, à tout le moins, ne pose pas une quelconque difficulté.

Comme le relève à juste titre la Ville de Paris, les développements des intimés sur l’absence de dommage, les prétendus comportements singuliers de l’appelante ou ses prétendues affirmations mensongères importent également peu, le constat d’infraction établi caractérisant l’infraction aux dispositions des articles L. 637-1 et suivants du code de la construction et de l’habitation, tels qu’interprétés à l’aune de l’arrêt rendu par la Cour de cassation.

Sur le montant de l’amende civile, si l’infraction est caractérisée, la cour entend prendre en compte les particularités de l’espèce, à savoir les circonstances que le bien a été occupé par une seule personne au cours de la période et que l’entrée en vigueur du bail mobilité aurait pu permettre de régulariser la situation litigieuse.

S’agissant du profit réalisé, le loyer mensuel pratiqué par les intimés, 1.390 euros, est à comparer à un loyer de référence de 861,12 euros par mois, et même, si l’on retient le loyer de référence majoré, à un montant mensuel de 961,40 euros ; si les intimés font valoir des charges à hauteur de 200 voire 250 euros qui viendraient en plus en déduction, un tel montant n’est pas établi par les pièces versées (pièces 2 et 3).

Les intimés apparaissent avoir communiqué les éléments lors du contrôle, même si la circonstance qu’ils aient déclaré leurs revenus n’est pas déterminante, s’agissant d’une obligation fiscale dont on peut à tout le moins attendre qu’elle soit respectée par les propriétaires.

Le montant de la compensation pour le changement d’usage s’évalue, selon l’appelante, à 29.900 euros, les intimés produisant eux une plaquette d’un agent immobilier (pièce 20) montrant que cette somme peut aller jusqu’à environ 40.000 euros.

Au regard de l’ensemble des éléments, qui démontrent l’existence d’un profit, même si un seul occupant était présent dans l’appartement, l’amende civile sera justement fixée à la somme de 5.000 euros, à laquelle seront condamnés in solidum M. C X et Mme E Y.

Aussi, par infirmation de la décision entreprise, les intimés seront condamnés à régler cette amende.

S’agissant du retour à l’habitation, l’article L. 651-2 du code de la construction et de l’habitation dispose que le président du tribunal ordonne le retour à l’usage d’habitation du local transformé sans autorisation, dans un délai qu’il fixe. A l’expiration de celui-ci, il prononce une astreinte d’un montant maximal de 1.000 euros par jour et par mètre carré utile du local irrégulièrement transformé. Le produit en est intégralement versé à la commune dans laquelle est situé le local irrégulièrement transformé.

Si les intimés indiquent que l’appartement n’a plus jamais été loué, ils n’en justifient pas dans les pièces qu’ils produisent. Le retour à l’habitation sera donc ordonné, sous astreinte plus souplement appréciée, dans les conditions indiquées au dispositif, sans qu’il n’y ait lieu pour la cour de s’en réserver la liquidation.

Les intimés devront enfin indemniser l’appelante des frais non répétibles exposés en première instance et en appel et seront condamnés aux dépens de première instance et d’appel.

PAR CES MOTIFS

Statuant dans les limites de sa saisine,

Infirme l’ordonnance entreprise ;

Statuant à nouveau,

Condamne in solidum M. C X et Mme E Y à verser à la Ville de Paris une amende civile de 5.000 euros ;

Ordonne à M. C X et Mme E Y de procéder au retour à l’habitation des locaux transformés sans autorisation, […] à […], dans un délai de six mois à compter de la signification du présent arrêt, sous astreinte, passé ce délai, de 100 euros par jour de retard pour une durée maximum de 100 jours ;

Condamne in solidum M. C X et Mme E Y à verser à la Ville de Paris 1.500 euros au titre des frais non répétibles de première instance et 2.000 euros au titre des frais non répétibles d’appel, en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;

Condamne in solidum M. C X et Mme E Y aux dépens de première instance et d’appel ;

La Greffière, La Présidente,

Chercher les extraits similaires
highlight
Chercher les extraits similaires
Extraits les plus copiés
Chercher les extraits similaires
Inscrivez-vous gratuitement pour imprimer votre décision
Cour d'appel de Paris, Pôle 1 - chambre 2, 18 novembre 2021, n° 21/06680