Cour d'appel de Paris, Pôle 4 chambre 10, 21 décembre 2023, n° 20/12132

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CA Paris, pôle 4 ch. 10, 21 déc. 2023, n° 20/12132
Juridiction : Cour d'appel de Paris
Numéro(s) : 20/12132
Importance : Inédit
Décision précédente : Tribunal judiciaire de Paris, 5 juillet 2020, N° 18/11664
Dispositif : Autre
Date de dernière mise à jour : 15 janvier 2024
Lire la décision sur le site de la juridiction

Sur les parties

Texte intégral

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 4 – Chambre 10

ARRET DU 21 DECEMBRE 2023

(n° , 13 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 20/12132 – N° Portalis 35L7-V-B7E-CCITN

Décision déférée à la Cour : Jugement du 06 Juillet 2020 -Tribunal judiciaire de PARIS RG n° 18/11664

APPELANTE

Madame [R] [L]

née le [Date naissance 4] 1955 à [Localité 11]

[Adresse 6]

[Localité 9]

Représentée par Me Matthieu BOCCON GIBOD de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477

Assistée de Me Anne-laure TIPHAINE de la SELARL COUBRIS ET ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : A0251

INTIMES

Monsieur [V] [E]

[Adresse 3]

[Localité 9]

ET

S.A. MMA IARD, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés ès qualités audit siège

[Adresse 2]

[Localité 8]

ET

SOCIETE MMA IARD ASSURANCES MUTUELLES, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés ès qualités audit siège

[Adresse 2]

[Localité 8]

Représentés et assistés par Me Olivia MAURY, avocat au barreau de PARIS, toque : R276

Monsieur [K] [M]

[Adresse 5]

[Localité 10]

Représenté par Me Sylvie KONG THONG de l’AARPI Dominique OLIVIER – Sylvie KONG THONG, avocat au barreau de PARIS, toque : L0069

Assisté de Me Jenna CHETRIT, avocat au barreau de SEINE-SAINT-DENIS, toque : 42,

CAISSE LOCALE DELEGUEE POUR LA SECURITE SOCIALE DE S TAVAILLEURS INDEPENDANTS venant aux droits et obligations du RSI

[Adresse 1]

[Localité 7]

Défaillante, régulièrement avisée le 24 Novembre 2020 par procès-verbal de remise à personne morale

COMPOSITION DE LA COUR :

L’affaire a été plaidée le 16 Novembre 2023, en audience publique, devant la Cour composée de :

Madame Florence PAPIN, Présidente

Madame Valérie MORLET, Conseillère

Madame Anne ZYSMAN, Conseillère

qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l’audience par Madame Florence PAPIN dans les conditions prévues par l’article 804 du code de procédure civile.

Greffier, lors des débats : Mme Catherine SILVAN

ARRET :

— réputé contradictoire

— par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

— signé par Florence PAPIN, Président, et par Ekaterina RAZMAKHNINA, greffier présent lors du prononcé.

***

RAPPEL DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE

Madame [R] [L] a souffert d’abcès dentaires récurrents, raison pour laquelle elle a consulté le docteur [V] [E] qui lui a annoncé un risque d’abcès généralisé et a préconisé la dépose de toutes ses couronnes.

Cette réhabilitation a été réalisée entre les mois de novembre 2011 et janvier 2012 pour un coût de 39 870 euros. Le docteur [E] a réalisé une réhabilitation complète des deux arcades avec dépose de toutes les prothèses, extraction de la dent 11, des couronnes unitaires céramo-métalliques sur les dents 17, 16, 15, 26 et 27, des couronnes unitaires céramo métalliques solidarisées sur les dents 23, 24 et 25, un bridge provisoire en résine de 22 à 14, la pose d’un implant en position 35, des couronnes céramo métalliques unitaires sur les dents 47, 46, 45, 44 et 34, six couronnes céramo métalliques solidarisées sur les dents 43, 42, 41, 32 et 33 et deux couronnes céramo céramique solidarisées sur les dents 36 et 37.

Insatisfaite du résultat, [R] [L] a consulté le docteur en chirurgie dentaire Miara au mois de mars 2012, puis le docteur en chirurgie dentaire [A] au mois d’avril 2012, et ces deux médecins ont conclu que ses dents avaient été mal soignées, que les nouvelles dents posées étaient trop petites, épaisses et en biais, qu’elles avaient été mal posées et qu’il existait un risque de descellement.

Invoquant le manque d’informations dispensées, le défaut de soins diligents et de précautions adoptées dans la réalisation des actes dentaires par le docteur [E], Madame [L] a adressé une réclamation à ce dernier qu’il a fait suivre à son assureur.

Madame [L] s’est alors tournée vers le docteur [X] (chirurgien dentiste) puis vers le docteur [M], (docteur en chirurgie dentaire) lequel a réalisé des soins entre les mois d’avril 2012 et juin 2014.

C’est dans ce contexte que le docteur [Y], mandaté par l’assureur de la plaignante, a, le 4 avril 2012, déposé un rapport dont les conclusions sont les suivantes :

« On peut donc affirmer qu’il y a eu une précipitation à la réalisation des travaux prothétiques… Les notes d’honoraires ne correspondent pas aux travaux prothétiques qui ont été réalisés… Compte tenu de l’inconfort occlusal et des demandes esthétiques répétées de la patiente on ne peut que regretter l’absence d’empathie du docteur [E] qui a refusé de recevoir en urgence cette patiente compte tenu de l’importance des travaux prothétiques qui avaient été réalisés par ce praticien et du montant des honoraires perçus… A l’examen ce jour j’ai constaté un descellement complet avec perte des prothèses en position 45 et 46 permettant de constater une très importante taille prothétique.

De même des clichés photographiques réalisés après la dépose de la partie antérieure du bridge maxillaire montrent une très importante taille des piliers en position 22 et 23 faisant émettre des réserves sur la pérennité de ces piliers.

Sur le cliché panoramique dentaire du 5 mars 2012 on constate qu’il n’y a pas eu de reprise du traitement radiculaire de la dent 33 qui présente toujours une lésion apicale ayant légèrement augmenté de volume.

Les prothèses qui ont été réalisées ne sont pas satisfaisantes sur le plan masticatoire avec des faces occlusales lisses sans aucun relief cuspidien.

De plus il existe un sur contour en regard des éléments prothétiques de position 33 à 43, a l’origine de difficultés phonatoires. »

L’expert a conclu que :

« Les prothèses qui ont été réalisées par le docteur [E] présentent de nombreuses insuffisances techniques et il faudra donc prévoir la réfection des travaux prothétiques qui ont été réalisés par ce praticien. Au total, il apparaît que la responsabilité civile professionnelle du docteur [E] est engagée dans ce dossier. »

Madame [L] a alors sollicité du président du tribunal de grande instance de Paris en référé la désignation d’un expert chirurgien-dentiste demande à laquelle il a été fait droit par ordonnance en date du 15 juin 2012.

Le docteur [P] a déposé son rapport d’expertise le 10 décembre 2012 et ses conclusions, faisant siennes celles du docteur [Y] concernant la précipitation des travaux prothétiques, l’absence de correspondance entre les notes d’honoraires et les travaux réalisés et les insuffisances techniques des prothèses ainsi que leur peu d’esthétisme, sont les suivantes :

« Nous estimons la responsabilité du docteur [E] engagée.

Date de consolidation : Non consolidé. La consolidation sera acquise après la reprise des traitements prothétiques et implantaires envisagés.

Un nouvel examen sera nécessaire dans un délai de 8 à 15 mois.

Dépenses de santé futures : 33 950 euros,

Frais divers : 924,16 euros,

Souffrances endurées : 1,5/7 à réévaluer après consolidation,

Préjudice esthétique temporaire : 2/7 ».

Le 10 juin 2013, Madame [L] a assigné le docteur [E] et son assureur, devant le tribunal judiciaire aux fins d’obtenir l’allocation d’une provision à hauteur de 51 768,93 euros, outre 2 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

Les parties se sont rapprochées et une provision de 30 000 euros a été versée à Madame [L] qui s’est désistée de son instance. Par ordonnance du 6 septembre 2013, il a été pris acte de ce désistement et de son acceptation par les défendeurs.

Par ordonnance en date du 28 octobre 2016, dont il n’a pas été relevé appel, le juge des référés du tribunal de grande instance de Paris a débouté Madame [L] de sa demande d’expertise dirigée à l’encontre du docteur [M] au motif « qu’aucun grief n’est formulé concernant les soins postérieurs pratiqués par le docteur [M] de telle sorte qu’aucun motif légitime n’est justifié au sens de l’article 145 du code de procédure civile ».

Madame [L] justifiant par la suite de la consolidation de son état de santé, a sollicité une nouvelle expertise pour fixer ses préjudices de manière définitive.

Le 21 décembre 2017, le docteur [P] a conclu comme suit :

« Date de consolidation : 07.11.2017.

Dépenses de santé futures : 33 018,77 euros (déduction faite des remboursements obligatoires et complémentaires déjà réalisés).

Perte de gains professionnels futurs : 30 demi-journées.

Frais divers : 924,16 euros .

Souffrances endurées : 2/7.

Préjudice esthétique temporaire : 2/7 ».

C’est dans ces circonstances que par actes délivrés le 1er octobre 2018, Madame [L] a assigné le docteur [E], les sociétés MMA Iard et MMA Iard assurances mutuelles, le docteur [M] et la RAM devant le tribunal de grande instance de Paris pour obtenir la réparation des préjudices subis. La Caisse Locale déléguée pour la sécurité sociale des travailleurs indépendants (CLSSI) venant aux droits du RSI est intervenue volontairement.

Le 06 juillet 2020, le tribunal de grande instance devenu le tribunal judiciaire de Paris a :

Mis hors de cause la RAM ;

Déclaré le docteur [V] [E] responsable des conséquences dommageables des soins dentaires prodigués à Madame [R] [L] ;

Condamné le docteur [V] [E], la société MMA Iard, les MMA Iard in solidum à réparer l’intégralité du préjudice subi par Madame [R] [L] ;

Condamné en conséquence le docteur [V] [E], la société MMA Iard, les MMA Iard in solidum à payer à Madame [R] [L] :

la somme de 30 942,93 euros au titre des dépenses de santé actuelles,

la somme de 3 000 euros au titre des souffrances endurées,

la somme de 1 500 euros au titre du préjudice esthétique temporaire,

la somme de 4 847,87 euros au titre des pertes de gains professionnels,

Ces sommes avec intérêts au taux légal à compter de ce jugement ;

Condamné en conséquence le docteur [V] [E], la société MMA Iard, les MMA Iard in solidum à payer à la caisse locale déléguée pour la sécurité sociale des travailleurs indépendants venant aux droits du RSI :

la somme de 2 592,86 euros au titre des prestations servies, avec intérêts au taux légal à compter du 12 décembre 2018, date de signification de ses conclusions contenant demande en paiement,

la somme de 864,28 euros au titre de l’indemnité forfaitaire de l’article L 376 du code de la sécurité sociale ;

Dit que les intérêts échus des capitaux produiront intérêts dans les conditions fixées par l’article 1343-2 du code civil ;

Condamné le docteur [V] [E], la société MMA Iard, les MMA Iard in solidum à payer à Madame [R] [L] la somme de 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

Condamné le docteur [V] [E], la société MMA Iard, les MMA Iard in solidum à payer à la caisse locale déléguée pour la sécurité sociale des travailleurs indépendants venant aux droits du RSI la somme de 800 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

Condamné Madame [R] [L] à payer au docteur [K] [M] la somme de 1 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

Condamné le docteur [V] [E], la société MMA Iard, les MMA Iard in solidum aux dépens qui comprendront notamment le coût de l’expertise judiciaire et les frais d’expertise et dépens du référé qui ont été réservés, s’agissant de frais de l’instance préparatoire au fond ;

Dit que les avocats en la cause en ayant fait la demande, pourront, chacun en ce qui le concerne, recouvrer sur la partie condamnée ceux des dépens dont ils auraient fait l’avance sans avoir reçu provision en application de l’article 699 du code de procédure civile ;

Ordonné l’exécution provisoire de la présente décision à concurrence des deux tiers de l’indemnité allouée et en totalité en ce qui concerne les frais irrépétibles et les dépens ;

Rejeté le surplus des demandes, plus amples ou contraires.

Ainsi Madame [R] [L] a été déboutée de ses demandes à l’encontre du docteur [M], ce dernier étant également débouté de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive.

Le 17 août 2020, elle a interjeté appel principal ; Monsieur [M] a interjeté un appel incident par conclusions signifiées le 15 février 2021.

Par ses dernières conclusions, notifiées par voie électronique le 10 mai 2021, Madame [R] [L] demande à la cour de  :

Vu l’article L1142-1 I alinéa 1 du code de la santé publique, vu les rapports d’expertise déposés les 10 décembre 2012 et 21 décembre 2017 par le docteur [P],

Recevoir la concluante en ses présentes écritures et l’y déclarer bien fondée ;

Y étant fait droit,

Infirmer le jugement entrepris en ce qu’il :

Condamné en conséquence le docteur [V] [E], la société MMA Iard, les MMA Iard in solidum à payer à Madame [L] :

la somme de 30 942,93 euros au titre des dépenses de santé actuelles,

la somme de 3 000 euros au titre des souffrances endurées,

la somme de 1 500 euros au titre du préjudice esthétique temporaire,

la somme de 4 847,87 euros au titre des pertes de gains professionnels,

Condamné Madame [L] à payer au docteur [M] la somme de 1 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

Par conséquent,

Infirmer le jugement entrepris en ce qu’il a rejeté la responsabilité du docteur [M] à l’égard des dommages subis par Madame [L] ;

Statuant à nouveau sur ce point,

A titre principal,

déclarer le docteur [M] responsable in solidum avec le docteur [E] des conséquences dommageables des actes de soins dentaires réalisés de novembre 2011 à avril 2014 sur la personne de Madame [L] ;

Les condamner en conséquence à indemniser les préjudices subis par Madame [L] ;

A titre subsidiaire,

ordonner avant dire droit une expertise selon mission précédemment détaillée afin de déterminer si le docteur [M] a commis des manquements à l’origine des dommages de Madame [L] ;

réserver l’indemnisation des préjudices subis dans l’attente du dépôt du rapport d’expertise ;

Infirmer le jugement entrepris en ce qu’il a insuffisamment évalué les préjudices de Madame [L] ;

Statuant à nouveau sur ce point,

Liquider les préjudices subis par Madame [L] de la façon suivante :

Dépenses de santé actuelles : 153 135,44 euros

Déficit fonctionnel temporaire : 4 590 euros

Souffrances endurées : 10 000 euros

Préjudice esthétique : 10 000 euros

Perte de gains professionnels : 444 376 euros

Dire et juger que le montant des condamnations porte intérêts à compter du jour de la délivrance de l’assignation ;

Confirmer le jugement entrepris en ses autres dispositions ;

Déclarer l’arrêt à intervenir commun à la CPAM venant aux droits et obligations du RSI ;

Condamner les docteurs [E] et [M] aux entiers dépens ainsi qu’à payer in solidum à Madame [L] la somme de 2 500 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ;

Débouter les docteurs [E] et [M] de leurs demandes contraires et reconventionnelles.

Concernant le docteur [M], elle fait valoir que la première expertise judiciaire ne le concernait pas, parce que ses soins n’avaient pas encore commencé lorsqu’elle avait initié sa demande en référé en mai 2012 et que ce n’est qu’à partir de 2014 qu’elle a eu des griefs à l’encontre de ce praticien et que lorsqu’en 2016, elle a demandé que la mesure lui soit étendue, le juge des référés a refusé pour des raisons procédurales.

Elle soutient que depuis lors, les éléments produits permettent de retenir sa responsabilité exposant avoir dû « tout faire refaire » à la suite de son intervention consistant en la pose de prothèses céramo- métalliques et d’inlay core métalliques alors même qu’elle lui avait indiqué ne plus vouloir de métal dans la bouche et que cela avait un effet opaque et uniforme sur les dents avec l’intérieur qui paraissait noirci en raison des collets métalliques qui ressortaient. Elle considère qu’il a manqué à son obligation d’information, qu’il n’a pas reçu son consentement libre et éclairé, ne lui a pas prodigué des soins attentifs et diligents puis a commis des manquements graves et avérés en ne terminant pas les soins commencés et dûment réglés.

Ses arguments concernant les différents postes de préjudice dont elle demande à la cour de majorer le montant seront repris poste par poste.

Par leurs dernières conclusions, notifiées par voie électronique le 15 février 2021, Monsieur [V] [E], chirurgien-dentiste, ainsi que les sociétés MMA Iard demandent à la cour de :

Recevoir les concluants en leurs écritures, les disant bien fondées ;

Confirmer le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Paris en date du 6 juillet 2020 dans son entier dispositif ;

Y ajoutant, que les condamnations seront prononcées en deniers ou quittances eu égard à la provision d’ores et déjà réglée ;

Débouter, en conséquence, Madame [L] de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;

Condamner Madame [L] à verser aux concluants la somme de 2 000 euros en cause d’appel, au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens d’appel.

Le docteur [E] et son assureur font valoir que le praticien, dont les soins ont été prodigués de novembre 2011 à janvier 2012, s’en rapporte à justice sur le principe de sa responsabilité qui ne peut s’étendre aux soins réalisés ultérieurement par d’autres praticiens dont le docteur [M] et que dès lors il ne peut être condamné au titre des soins de rattrapage entrepris à la suite. Il demande la confirmation de la décision déférée concernant les sommes allouées au titre des différents préjudices de Madame [R] [L] ainsi que les chefs de préjudice écartés.

Par ses dernières conclusions, notifiées par voie électronique le 19 septembre 2023, Monsieur [K] [M], docteur en chirurgie-dentaire, demande à la cour de :

In limine litis,

Mettre hors de cause le docteur [M] sur le fondement de l’article 122 du code de procédure civile ;

Dire irrecevable la demande d’expertise de Madame [L] au fondement de la précédente décision en date du 28 octobre 2016 revêtue de l’autorité de la chose jugée ;

Subsidiairement,

Confirmer la décision rendue en ce qu’elle a débouté Madame [L] de ses demandes à l’encontre du docteur [M] ;

Incidemment,

Vu les articles 32-1 du code de procédure civile et 1240 du code civil,

Dire recevable et bien fondé Monsieur [M] en toutes ses demandes ;

Condamner Madame [L] au paiement de la somme de 7 000 euros sur le fondement de l’article 32-1 du code de procédure civile pour procédure abusive ;

La condamner au règlement d’une somme de 3 000 euros sur le fondement de l’article 1240 du code civil ;

La condamner au paiement de la somme de 5 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens de l’instance.

Il fait valoir que :

' pendant la durée des opérations d’expertise qui se sont poursuivies de 2012 à 2017, Madame [R] [L] n’a jamais évoqué de manquement de sa part et qu’il n’a pas été attrait aux opérations,

' le docteur [I] qui est intervenu après lui aurait déposé et refait toutes les dents concernées par ses travaux,

' il doit être mis hors de cause sur le fondement de l’article 122 du code de procédure civile,

' la demande d’expertise, déjà rejetée en 2016 par le président du tribunal de Paris, décision revêtue de l’autorité de la chose jugée, est irrecevable,

' à titre subsidiaire, il reste créancier d’honoraires à hauteur de 17'600 euros,

' la plaignante se dit insatisfaite de ses soins parce qu’elle a procédé à une chirurgie esthétique qui a gonflé ses lèvres et modifié a posteriori l’aspect esthétique de ses dents qu’elle avait initialement reconnu comme parfait,

— il y a lieu de la débouter de sa demande et de la condamner sur le fondement de l’article 32 ' 1 du code de procédure civile et de l’article 1240 du code civil pour procédure abusive.

La CPAM du Puy de Dôme venant aux droits de la caisse locale déléguée pour la sécurité sociale des travailleurs indépendants a reçu la signification de la déclaration d’appel le 24 novembre 2020 par remise du procès-verbal à personne morale, habilitée à recevoir l’acte.

Le présent arrêt sera réputé contradictoire.

La clôture a été prononcée le18 octobre 2023.

MOTIFS

La responsabilité du docteur [E] n’est pas remise en cause par les parties devant la cour et ne sera par conséquent pas examinée.

La CPAM du Puy de Dôme, venant aux droits de la caisse locale déléguée pour la sécurité sociale des travailleurs indépendants, ayant été intimée devant la cour, le présent arrêt lui est de plein droit opposable sans qu’une mention spécifique à ce sujet ait à être ajoutée au dispositif du présent arrêt.

I-Sur la responsabilité du docteur [M] :

Le docteur [M] sollicite, en premier lieu, sa mise hors de cause sur le fondement de l’article 122 du code de procédure civile, qui sera analysée en une demande d’irrecevabilité des demandes à son encontre.

Il ne pourra être fait droit à cette fin de non-recevoir alors que ce praticien a prodigué des soins dentaires à l’appelante qui a de ce fait qualité et intérêt à agir à son encontre.

Sur le fond, les travaux du docteur [M] n’ont pas été soumis à Monsieur [P] ni à aucun autre expert intervenu de façon contradictoire.

L’ordonnance du juge des référés ayant refusé de lui étendre en 2016 la mesure d’expertise concernant le docteur [E], dont il n’a pas été interjeté appel, n’est pas produite par l’appelante.

Aucune expertise ne peut être ordonnée par la cour alors qu’une telle mesure ne peut pas suppléer la carence de preuve d’une partie et que le docteur [I], qui est intervenu après lui, a déposé et refait toutes les dents concernées par ses travaux.

Les pièces visées dans les conclusions de Madame [L] au soutien de ses demandes à l’encontre du docteur [M] sont insuffisantes pour retenir une faute de sa part alors que le docteur [I] dans son certificat de consolidation en date du 17 mai 2017 écrit que la reprise totale des prothèses a été effectuée par ses soins au motif que ' l’aspect et la fonctionnalité ne satisfaisaient pas la patiente’ et fait état dans ce document d’un devis concernant des canaux mal obturés et d’une racine fendue sans les rattacher expressément aux travaux réalisés par le docteur [M].

Dès lors, la décision déférée qui a débouté Madame [L] de ses demandes à l’encontre de ce praticien est confirmée.

II-Sur le préjudice de Madame [L] :

La date de la consolidation de l’état de santé de Madame [L] a été fixée au 7 novembre 2017.

Elle ne sollicite que l’indemnisation de préjudices antérieurs à la consolidation.

A-Sur l’indemnisation de préjudices patrimoniaux temporaires:

*Sur les dépenses de santé actuelles :

Le premier juge a condamné le docteur [E] et les sociétés MMA in solidum à payer à Madame [L] la somme de 30.942,93 euros au titre des dépenses de santé actuelles restées à charge imputables à son intervention.

Madame [L] demande devant la cour la somme de 153 135,44 euros (précisant qu’il convient de déduire de ce montant les sommes prises en charge par son organisme social) au titre des dépenses de santé actuelles, considérant que le préjudice à prendre en compte correspond non seulement à la facturation du docteur [E] mais également à tous les soins de rattrapage qui ont été entrepris à la suite (travaux des Docteurs [X], [M], [C] et [I]).

Le docteur [E] et son assureur sollicitent la confirmation de la décision déférée de ce chef ne pouvant être condamnés au titre de soins réalisés par d’autres praticiens.

Sur ce,

La créance de la caisse locale déléguée pour la sécurité sociale des travailleurs indépendants venant aux droits du RSI est établie à la somme de 9 525,13 euros.

L’expert a fixé le montant de ce préjudice à la somme de 30 018,77 euros après déduction des remboursements dont a bénéficié l’appelante incluant la dent 34 qu’il n’avait initialement pas retenue et après avoir isolé parmi les devis examinés, les seules dents pour lesquelles la responsabilité du docteur [E] est engagée.

Il mentionne aussi qu’au titre des consultations de février à mai 2012, il est resté à charge de Madame [R] [L], après remboursement, la somme de 924,16 euros.

Au regard de la pertinence des conclusions de l’expert, la décision déférée est confirmée du chef des dépenses de santé futures en lien avec les interventions fautives du docteur [E].

*Sur la perte de gains professionnels :

Le premier juge a alloué à Madame [L] au titre de la perte de gains professionnels la somme de 4.847,87 euros au vu du chiffre d’affaires moyen réalisé de 2012 à 2015.

Cette dernière demande à ce titre la somme de 444 376 euros. Elle expose exercer la profession d’architecte à titre libéral et travailler pour les collectivités territoriales et l’État et qu’elle a perdu des contrats, parce qu’elle manquait de confiance en elle en raison de ses problèmes de prononciation dans les réunions et de sa peur de voir ses bridges se fracturer et ses dents tomber, la représentation étant une composante essentielle de son métier.

Le docteur [E] et son assureur sollicitent la confirmation du jugement déféré de ce chef.

Sur ce,

L’expert a considéré que 30 demi-journées de travail sont concernées au titre de la perte de gains professionnels en se basant sur le nombre de demi-journées consacrées aux traitements. Il note qu’aucun arrêt de travail ne lui a été remis par Madame [L]. Sur cette base, le premier juge a fixé sa perte de gains professionnels à la somme de 4 847,87 euros.

Pour le surplus de la demande, l’appelante, qui dans le cadre de l’expertise avait évalué ce poste de préjudice à la somme de 65.762 euros alors que devant la cour elle demande la somme de 444.376 euros, n’établit pas suffisamment de lien de causalité direct et certain entre la baisse de son chiffre d’affaires et les interventions fautives du docteur [E].

L’attestation en date du 18 décembre 2017 de Monsieur [W], directeur AMO grands projets, selon lequel le mauvais déroulement de la présentation orale d’un projet leur aurait fait perdre un marché, qui ne comporte pas les mentions prévues à l’article 202 du code de procédure civile (notamment qu’elle est établie en vue de sa production en justice), est en tout état de cause insuffisante à établir ce lien de causalité de même que celle de Monsieur [G], architecte, évoquant ses problèmes d’élocution et selon lequel elle aurait à cette période renoncé à des appels d’offre, la perte du marché évoqué et ces refus pouvant avoir d’autres causes.

La décision déférée, alors que l’appelante ne critique pas spécifiquement le chiffre d’affaires moyen retenu par le tribunal, est dès lors confirmée de ce chef.

B-Sur les préjudices extra-patrimoniaux temporaires :

*Sur le déficit fonctionnel temporaire (DFT):

Le premier juge a débouté Madame [L] de sa demande au titre du déficit fonctionnel temporaire conformément aux conclusions de l’expert considérant que la gêne dont elle se prévalait pour s’exprimer, se nourrir et sourire relevait d’un préjudice esthétique et des souffrances endurées.

Madame [L] sollicite le versement de la somme de 4.590 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire exposant avoir subi d’une part une gêne le jour des interventions et les deux jours suivants ( soit 25 euros x 78 jours = 1.950 euros au titre du DFT) puis d’autre part pendant six ans une perte de qualité de vie et des joies usuelles de la vie courante, sa capacité à se nourrir et à s’exprimer étant entravée (5 % x 25 euros soit 2.640 euros au titre du DFP).

Le docteur [E] et son assureur sollicitent la confirmation de la décision déférée.

Sur ce,

Ce poste de préjudice indemnise l’invalidité subie par la victime dans sa sphère personnelle . Il inclut, pour la période antérieure à la consolidation, l’incapacité fonctionnelle totale ou partielle, le temps d’hospitalisation et les pertes de qualité de vie et des joies usuelles de la vie courante.

L’expert a considéré que Madame [L] n’avait pas subi de déficit fonctionnel temporaire.

Il résulte du dossier que les interventions brèves ont été suivies d’un retour à domicile. Aucune incapacité temporaire n’a également été retenue par l’expert. Dès lors la décision déférée, qui l’a déboutée de sa demande, est confirmée.

*Sur les souffrances endurées :

Le premier juge, dont le docteur [E] et son assureur sollicitent la confirmation de la décision, a alloué une somme de 3 000 euros au titre des souffrances endurées par Madame [L].

Cette dernière sollicite la somme de 10 000 euros exposant avoir souffert, suite aux soins en plus des douleurs physiques insoutenables lors de la pose des implants, de leur extraction et de la greffe osseuse, d’une grave dépression et de symptômes handicapant sa capacité de travail.

Sur ce,

L’expert a évalué les souffrances endurées par Madame [L] à deux sur sept exposant ne pas pouvoir se prononcer « sur l’imputabilité de l’apparition de cette dépression et les traitements en cause, cela ne faisant pas partie de notre champ de compétence ».

Un certificat médical en date du 11 mai 2012 émanant du docteur [H], dont la spécialité n’est pas précisée, fait état en pièce 20 de sa dépression grave sans mentionner la date de son apparition. Il note également, dans un certificat du 6 novembre 2012, une légère amélioration.

L’appelante n’a pas demandé, à l’occasion des opérations d’expertise, la désignation d’un sapiteur psychologue ou psychiatre susceptible de donner son avis de spécialiste sur son état mental en corrélation avec les interventions fautives.

Dès lors, elle n’établit pas suffisamment le lien de causalité entre les interventions du docteur [E] et la dépression dont elle a pu souffrir.

Cependant compte tenu du nombre d’interventions subies, il y a lieu, infirmant le jugement déféré de ce chef, de fixer le préjudice de Madame [L] au titre des souffrances endurées à la somme de 5 000 euros.

*Sur le préjudice esthétique temporaire :

Le tribunal, dont le docteur [E] et son assureur sollicitent la confirmation de la décision, a alloué, au titre du préjudice esthétique temporaire, une somme de 1 500 euros à Madame [L] qui sollicite devant la cour la somme de 10 000 euros de ce chef exposant que pendant six ans, quatre dents se situant en haut et au milieu de sa bouche avaient un aspect opaque, blanc et uniforme et étaient posées de travers.

Sur ce,

L’expert a évalué le préjudice esthétique temporaire à deux sur sept. Il note, page 18 de son rapport, le caractère particulièrement inesthétique des prothèses réalisées par le docteur [E]. Il y a lieu, infirmant le jugement déféré de ce chef, de fixer le préjudice esthétique temporaire de Madame [L] à la somme de 3 000 euros.

****

La cour condamne en conséquent le docteur [E] in solidum avec son assureur à payer à Madame [L], en deniers et quittance compte tenu de la provision de 30 000 euros déjà versée, la somme de 8 000 euros, qui portera intérêts à compter du présent arrêt.

III-Sur la demande du docteur [M] de dommages-intérêts pour procédure abusive :

L’exercice d’une action en justice constitue un droit et ne dégénère en abus pouvant donner naissance à une dette de dommages et intérêts que dans le cas de malice, de mauvaise foi, d’erreur grossière équivalente au dol, de légèreté blâmable ou de faute dont la preuve n’est pas rapportée en l’espèce.

La décision déférée, qui a rejeté la demande de dommages et intérêts pour procédure abusive du docteur [M], est confirmée. Il sera ajouté à la décision déférée dans un souci de clarté, son dispositif ne mentionnant pas spécifiquement sa demande.

IV-Sur les dépens et l’article 700 du code de procédure civile :

La décision déférée est confirmée en ce qui concerne les dépens et l’article 700 du code de procédure civile.

Le docteur [E] est condamné à verser à Madame [L] une indemnité de 2 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, Madame [L] sollicitant la condamnation du seul docteur [E] et pas de son assureur.

Le praticien est également condamné aux dépens d’appel.

Madame [L] est condamnée à payer au docteur [M] la somme de 1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

PAR CES MOTIFS

Confirme la décision entreprise sauf en ce qui concerne le préjudice au titre des souffrances endurées ainsi que le préjudice esthétique temporaire,

Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,

Fixe le préjudice esthétique temporaire de Madame [L] à la somme de 3 000 euros,

Fixe le préjudice de Madame [L] au titre des souffrances endurées à la somme de 5 000 euros,

Condamne en conséquent le docteur [E] in solidum avec la SA MMA IARD et la société MMA IARD Assurances Mutuelles à payer à Madame [L] en deniers et quittance la somme de 8 000 euros, qui portera intérêts à compter du présent arrêt,

Déboute le docteur [M] de sa demande au titre de dommages et intérêts pour procédure abusive,

Condamne le docteur [E] à verser à Madame [L] une indemnité de 2 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

Condamne Madame [L] à verser au docteur [M] une indemnité de 1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

Condamne le docteur [E] aux dépens de l’appel,

Déboute les parties de toutes demandes plus amples ou contraires.

LE GREFFIER, LA PRÉSIDENTE,

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Cour d'appel de Paris, Pôle 4 chambre 10, 21 décembre 2023, n° 20/12132