Cour d'appel de Pau, Chambre sociale, 14 avril 2022, n° 21/00596

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CA Pau, ch. soc., 14 avr. 2022, n° 21/00596
Juridiction : Cour d'appel de Pau
Numéro(s) : 21/00596
Dispositif : Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours

Sur les parties

Texte intégral

JPL/SB


Numéro 22/1552

COUR D’APPEL DE PAU

Chambre sociale

ARRÊT DU 14/04/2022


Dossier : N° RG 21/00596 – N° Portalis DBVV-V-B7F-HZEH


Nature affaire :


Contestation du motif non économique de la rupture du contrat de travail


Affaire :

LA POSTE

LA POSTE – DSCC PAYS DE L’ADOUR


C/

E Z


Grosse délivrée le

à :


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE


AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

A R R Ê T

Prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour le 14 Avril 2022, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de Procédure Civile.

* * * * *

APRES DÉBATS

à l’audience publique tenue le 16 Février 2022, devant :

Monsieur X, magistrat chargé du rapport,

assisté de Madame LAUBIE, Greffière.

Monsieur X, en application des articles 805 et 907 du Code de Procédure Civile et à défaut d’opposition a tenu l’audience pour entendre les plaidoiries, en présence de Madame Y et en a rendu compte à la Cour composée de : Madame CAUTRES, Président

Monsieur X, Conseiller

Madame Y, Conseiller

qui en ont délibéré conformément à la loi.

dans l’affaire opposant :

APPELANTES :

LA POSTE

[…]

[…]

LA POSTE – DIRECTION SERVICE COURRIER […]

[…]

[…]


Représentés par Maître CLEMENT de la SELARL NATHALIE CLEMENT AVOCAT, avocat au barreau de DAX

INTIME :

Monsieur E Z

[…]

[…]

[…]


Représenté par Maître L’HOIRY de la SELARL L’HOIRY & VELASCO, avocat au barreau de BAYONNE

sur appel de la décision

en date du 18 FEVRIER 2021

rendue par le CONSEIL DE PRUD’HOMMES – FORMATION DE DEPARTAGE DE BAYONNE


RG numéro : 18/00105

EXPOSE DU LITIGE

M. E Z a été embauché le 18 octobre 2004 par la société La Poste en qualité de «'GRP FONC B1'».


Il a occupé le poste de facteur, d’agent rouleur distributeur, et, en dernier lieu, d’agent courrier.
À compter du 12 novembre 2015 jusqu’au 31 octobre 2020, il a été reconnu travailleur handicapé.


Le 26 septembre 2017, la société La Poste a déposé plainte contre X pour vol de courrier.


Le 4 octobre 2017, la société La Poste a décidé d’intégrer dix lettres tests dans deux tournées qu’elle a attribuées à M. E Z.


Le même jour, après avoir été interrogé, M. E Z a été mis à pied à titre conservatoire.


Le 5 octobre 2017, la société La Poste a déposé un complément de plainte contre M. E Z.


Le 12 octobre 2017, M. E Z a été convoqué à un entretien préalable fixé le 25 octobre 2017.


Par courrier reçu le 30 octobre 2017, il a été convoqué devant la commission consultative paritaire le 1er décembre 2017.


Le 11 décembre 2017, il a été licencié pour faute grave.


Le 29 mai 2018, il a saisi la juridiction prud’homale.

Par jugement du 18 février 2021, le conseil de prud’hommes de Bayonne a notamment':


- dit que le licenciement de M. E Z est nul,


- ordonné à la société La Poste de réintégrer M. E Z dans son ancien poste ou en cas d’impossibilité dans un poste équivalent,


- condamné la société La Poste à lui verser la somme de 26'988,52'€ brut à parfaire au jour de sa réintégration à titre de solde d’indemnité spéciale de licenciement nul,


- condamné la société La Poste à lui verser la somme de 3'000'€ au titre du préjudice moral lié au fait d’avoir subi une garde à vue,


- condamné la société La Poste à lui remettre les documents de travail (attestation Pôle Emploi et certificat de travail), ainsi qu’un bulletin de paie liquidatif, conformes à ce dispositif,


- ordonné l’exécution provisoire de cette décision,


- condamné la société La Poste aux éventuels dépens,


- condamné la société La Poste à lui verser la somme de 2'000'€ au titre de l’article 700 du code de procédure civile,


- dit que les sommes susvisées portent intérêts au taux légal à compter de l’acte introductif d’instance


- 29 mai 2018 – et que les intérêts seront capitalisés,


- condamné la société La Poste à rembourser les indemnités de chômage perçues par M. E Z à l’organisme (Pôle Emploi ou autre) les ayant versées.


Le 25 février 2021, la société La Poste a interjeté appel de ce jugement dans des conditions de forme et de délai qui ne sont pas contestées.

Par ordonnance du 20 mai 2021, la présidente de chambre déléguée par ordonnance du premier président a':


- rejeté les demandes principale, subsidiaire et infiniment subsidiaire de la société La Poste d’arrêt de l’exécution provisoire et d’aménagement de l’exécution provisoire,


- rejeté la demande de M. E Z en paiement de dommages-intérêts,


- condamné la société La Poste aux dépens,


- condamné la société La Poste à payer à M. E Z la somme de 1'000'€ en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

Par ordonnance du 21 octobre 2021, la présidente de la chambre sociale a':


- dit que le président de la chambre sociale, régulièrement saisi, ne peut connaître de la fin de non-recevoir tirée de l’article 564 du code de procédure civile ;


- débouté M. E Z de l’ensemble de ses demandes devant le président de la chambre sociale agissant dans une affaire à bref délai ;


- dit que les dépens de la présente procédure suivront le sort de l’instance au fond ;


- dit n’y avoir lieu à condamnation sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.


Le 28 octobre 2021, M. E Z a déféré cette dernière ordonnance devant la cour.

Par arrêt du 3 février 2022, la cour a notamment':


- confirmé la décision déférée du 21 octobre 2021, rendue par le président de la chambre sociale de la cour d’appel de Pau, sauf s’agissant du sort des dépens,


- statuant à nouveau de ce seul chef infirmé,


- condamné M. Z aux dépens exposés à l’occasion de la procédure d’incident,


- y ajoutant,


- débouté La Poste de sa demande de dommages et intérêts fondés sur l’article 1240 du code civil,


- dit n’y avoir lieu à application de l’article 700 du code de procédure civile,


- dit n’y avoir lieu à amende civile,


- condamné M. Z aux dépens exposés à l’occasion de la procédure de déféré.

Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par voie électronique le 14 février 2022, auxquelles il y a lieu de se référer pour l’exposé des faits et des moyens, la société La Poste, avec sa Direction Services Courrier Colis Pays de l’Adour, demande à la cour de :


- infirmer en toutes ces dispositions le jugement entrepris';


- débouter M. E Z de l’intégralité de ses demandes, fins et conclusions';


- en conséquence et statuant à nouveau';
- dire et juger que les faits de harcèlement moral invoqués par M. E Z ne sont pas constitués';


- dire et juger que le licenciement pour faute grave notifié à M. E Z par lettre du 11 décembre 2017 est parfaitement régulier et fondé';


- débouter M. E Z de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions';


- condamner M. E Z à lui restituer l’intégralité des sommes versées au titre des salaires sur la période du licenciement à la date de réintégration, voire toutes sommes versées en raison de l’exécution provisoire attachée au jugement du 18 février 2021, sommes dont le montant total sera à parfaire';


- si par extraordinaire le jugement entrepris était confirmé en ce qu’il a dit que le licenciement était nul, a ordonné la réintégration de M. E Z et l’a condamnée à lui verser les salaires qu’il aurait dû ainsi percevoir entre son licenciement et sa réintégration, il sera dit et jugé que sur la somme de 75'185,69'€ brut, soit 60'275,98'€ net (correspondant aux salaires versés à M. E Z pour la période de janvier 2018 à mai 2021 inclus, sa réintégration datant du 1er juin 2021), il sera déduit la somme 29'551,53'€ brut perçue par M. E Z au titre des indemnités chômage qu’elle a versées elle-même (en auto assurance) pour la période de février 2018 à juin 2020, outre les salaires perçus dans le cadre d’autres contrats de travail';


- en conséquence, et dans cette hypothèse, condamner M. E Z à restituer la somme de 29'551,53'€ brut au titre des indemnités chômage qu’elle a versées du 3 février 2018 au 16 juin 2020 (en auto assurance)';


- en tout état de cause, condamner M. E Z à lui verser la somme de 2'500'€ sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile pour les frais de 1ère instance, outre celle complémentaire de 2'500'€ sur le même fondement pour les frais afférant à cette procédure d’appel';


- condamner M. E Z aux entiers dépens de 1ère instance et d’appel.

Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par voie électronique le 14 février 2022, auxquelles il y a lieu de se référer pour l’exposé des faits et des moyens, M. E Z demande à la cour de':


- déclarer irrecevables les prétentions nouvelles présentées dans les conclusions du 22 juin 2021 et 23 septembre 2021,


- à titre principal,


- confirmer purement et simplement le jugement entrepris,


- dire que son licenciement est nul,


- ordonner à la société La Poste à sa réintégration dans son ancien poste ou en cas d’impossibilité dans un poste équivalent,


- condamner la société La Poste à lui verser la somme de 26'988,52'€ bruts à parfaire au jour de sa réintégration à titre de solde d’indemnité spéciale de licenciement nul,


- condamner la société La Poste à lui verser la somme de 3'000'€ au titre du préjudice moral du fait d’avoir subi une garde à vue et de fausses accusations,
- condamner l’employeur à lui remettre le cas échéant les documents de travail (attestation Pôle Emploi et certificat de travail), ainsi qu’un bulletin de paie liquidatif, conformes au dispositif de la décision à intervenir,


- condamner la société La Poste à lui verser la somme de 6'000'€ au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,


- ordonner l’exécution provisoire de la décision à intervenir pour le tout,


- dire que les condamnations prononcées porteront intérêts au taux légal à compter de l’acte introductif d’instance et que les intérêts seront capitalisés,


- condamner la société La Poste aux entiers dépens si ceux-ci sont rendus nécessaires,


- condamner la société La Poste au remboursement des indemnités de chômage qu’il a perçues à l’organisme qui les a versées,


- à titre subsidiaire,


- dire que son licenciement pour faute grave en date du 11 décembre 2017 est sans cause réelle et sérieuse,


- proposer qu’il soit réintégré dans son ancien poste ou en cas d’impossibilité dans un poste équivalent avec maintien de ses avantages acquis,


- condamner la société La Poste à lui verser les sommes suivantes :

* 60'000'€ à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse après constatation de l’inconventionnalité de l’article 1235-3 nouveau du code du travail ou à défaut à la somme de 18'257'€ à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

* 4'762,68'€ bruts à titre d’indemnité compensatrice de préavis,

* 2'001'€ bruts à titre d’indemnité compensatrice de congés payés,

* 10'054,50'€ à titre d’indemnité conventionnelle de licenciement (article 70 de la convention commune (½ x 12 x 1'587,56) + (1/3 x 1 x 1'587,56)),


- en tout état de cause,


- condamner la société La Poste à lui verser la somme de 6'000'€ au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,


- condamner la société La Poste aux entiers dépens si ceux-ci sont rendus nécessaires.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la nullité du licenciement.


En application des articles':


- L. 1152-1 du code du travail dans sa version applicable aux faits:

«Aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel »';


- L. 1154-1 du même code dans sa version applicable aux faits':


Lorsque survient un litige, le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l’existence d’un harcèlement


Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.


Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles.


L’article L 1152-2 dispose qu’aucun salarié ne peut, être sanctionné (…) pour avoir subi ou refusé de subir des agissements répétés de harcèlement moral et pour avoir témoigné de tels agissements ou les avoir relatés.


L’article L 1152-3 dispose que toute rupture du contrat de travail intervenue en méconnaissance des dispositions des articles L 1152-1 et L 1152-2, toute disposition ou tout acte contraire est nul.


En l’espèce, M. Z présente les éléments de fait suivants':


- en février 2009, il a été accusé de vol de colis et cela sans aucune preuve': après avoir été convoqué à la gendarmerie sur dénonciation de son employeur et convoqué à la Direction Opérationnelle Territoriale Courrier des Pays de l’Adour pour les faits reprochés, aucun élément n’est venu justifier l’accusation'; lors de l’entretien avec la Direction de La Poste à Pau le 17 mai 2009, l’employeur avait reconnu n’avoir aucun élément justifiant les soupçons portés à son encontre mais le compte-rendu de cet entretien ne lui a jamais été transmis';


- le 18 septembre 2012, une altercation est intervenue avec Mme A chef d’équipe du bureau de poste de Saint Pierre d’Irube': alors que des reproches lui étaient faits sur sa cadence de tri et qu’il essayait de se justifier, la chef d’équipe l’avait invectivé en lui disant : « tu ne vas pas te suicider quand même »'; poussé à bout, il avait exprimé sa colère en disant qu’il «'reviendra avec un fusil'» , ce pour quoi il a été sanctionné de 45 jours de mise à pied';


- le 26 septembre 2017, la hiérarchie a mandaté M. B pour porter plainte contre X « avec de très fort soupçons sur M. Z pour des faits de vol dans le courrier »'; dans la plainte qui a été déposée le 5 octobre 2017 il a été précisé que La Poste a fait des contrôles sur sa tournée sans qu’il le sache';


- le 4 octobre 2017, il a été mis à pied pour soupçon de « spoliation de plusieurs courriers » , l’employeur ayant mis en place un stratagème en injectant des lettres piégées sur deux tournées'; à la fin de sa journée de travail il a subi de la part de MM. B et H un véritable interrogatoire destiné à faire pression sur lui'; après avoir mis fin à 19h15 à cet interrogatoire en clamant son innocence, il a reçu un rappel par téléphone de son supérieur M. C pour revenir sur les lieux de travail, puis à 19h57 un message sur son téléphone portable privé envoyé par M. B l’informant d’une « convocation au commissariat » de Bayonne à 9h le lendemain';


- il n’a été en fait convoqué par les services de police que le 11 octobre 2017 et au cours de sa garde à vue qui a duré 7 heures il a toujours clamé son innocence';


- malgré un avis défavorable de la commission consultative paritaire, il a été licencié pour faute grave';
- dans le dossier transmis à la Direction de la Sûreté Globale en date du 20 octobre 2017, il a été encore accusé de vol de courrier pour des faits datant de mars 2017 à nouveau sans aucun élément et alors même que ces nouvelles accusations n’ont jamais été portées à sa connaissance .


Ces agissements pris dans leur ensemble, laissent supposer l’existence d’un harcèlement moral, de sorte qu’il convient d’examiner si des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement y sont opposés par l’employeur.


L’employeur fait valoir que':


- en 2009 aucune procédure pénale ou disciplinaire n’a été initiée à l’ encontre du salarié , aucun fait de vol ne lui ayant été reproché'; si le salarié produit un procès-verbal de convocation à témoin et un courrier du 10 avril 2018 d’un responsable syndical (M. D) ainsi qu’une attestation de la même personne, ces éléments ne permettent pas de rapporter la preuve que l’employeur aurait évoqué des accusations de vols à l’encontre de son salarié'; si celui-ci évoque encore une convocation au sein de la DOTC de Pau le 17 mars 2009 en soutenant qu’elle aurait refusé la présence à cet entretien d’un délégué syndical, cette convocation concernait simplement un entretien managérial et non une procédure disciplinaire';


- M. Z a fait l’objet d’un blâme, le 13 avril 2010 pour rétention volontaire de courrier, faits reconnus par le salarié';


- le salarié a fait l’objet d’une deuxième sanction le 05 décembre 2012, à savoir une mise à pied sanction de 45 jours avec privation totale de salaire, ce en raison des propos violents et menaçants à l’encontre d’une encadrante, Mme A'; la commission consultative paritaire a émis un avis favorable à la sanction proposée, et M. Z n’a contesté cette sanction, ni demandé son annulation';


- la gravité des faits commis par M. Z en septembre et octobre 2017 ont entraîné la mesure de licenciement'; elle n’a mis en place aucun stratagème clandestin ou déloyal'; dans le cadre de son pouvoir de contrôle des salariés, elle a chargé d’une enquête M. B qui était, à l’époque, le responsable régional de la sécurité et qui a été assisté de M. G H comme manager d’enquête.


Cela étant, si l’employeur conteste avoir imputé en 2009 des faits de vol de courriers au salarié, celui-ci a produit une convocation en qualité de témoin devant les services de gendarmerie le 02 mars 2009 dans le cadre d’une «'enquête pour vol commis par une personne en charge d’une mission d’un service public à l’occasion de son service'», ainsi qu’une convocation à se présenter le 17 mars 2009 à la DTOC des pays de l’Adour et une attestation établie par M. I D qui indique avoir accompagné son collègue le 17 mars 2009 en qualité de délégué syndical, précisant que «'un inspecteur de la sûreté de la Poste'» lui a indiqué qu’il ne pouvait assister son collègue lors de cet entretien et lui a intimé l’ordre de quitter la salle, ajoutant «'j’ai donc attendu mon collègue en dehors de la salle et celui-ci m’a rejoint un moment plus tard les suspicions dirigées à son encontre n’ayant pas été matérialisées m’a-t-il indiqué'». Il est également versé aux débats plusieurs attestations de salariés dont il ressort que les convocations devant la DSCC à Pau ont pour objet des motifs disciplinaires et ne portent pas sur des entretiens managériaux. Il résulte de ces éléments que le salarié a bien été suspecté dès 2009 de manquements dont le premier juge a retenu à juste titre qu’ils ont conduit à sa stigmatisation et l’ont atteint dans sa réputation dès lors que l’enquête menée a été laissée sans aucune suite et sans qu’il ait été mis hors de cause. Dans un courrier du 20 mai 2009, le salarié se référant à l''«'accusation mensongère'» dont il avait fait l’objet, indiquait avoir «'eu confirmation de ses supérieurs hiérarchiques qu’ils ne tiendraient en aucun cas compte de cette affaire tant qu’il n’y aurait pas de preuve contre moi'» ajoutant qu’il se sentait «'lésé'» dans la mesure où il n’avait pas eu de promotion, et qu’à son avis, il «'a été manipulé pour permettre à La Poste de s’en sortir indemne du fait que je ne fasse pas de vague sur cette histoire'».
De plus, si le blâme infligé, le 13 avril 2010 pour des faits de «'rétention de courriers'» constatés le 5 mars 2010, n’a pas été contesté, il sera relevé que dans les observations qu’il a faites dans le cadre de la procédure disciplinaire, il a expliqué que le défaut de distribution résultait d’une mauvaise connaissance de sa tournée et qu’il pensait pouvoir régulariser en réintroduisant le courrier dans la distribution du lendemain.


De même, s’il n’a pas contesté ses propos tenus devant sa chef d’équipe ayant justifié la mise à pied de 45 jours prononcée le 5 décembre 2012, il ressort du compte-rendu de la réunion de la commission consultative paritaire appelée à donner son avis sur la sanction que l’encadrante lui avait dit, après qu’il avait signalé ne pas être d’accord avec le tableau de service, qu’il aurait droit de faire des remarques lorsque sa cadence de tri serait suffisante alors que ce n’était pas la première fois qu’elle lui faisait ce type de réflexion'; il a précisé qu’il avait réagi sans réfléchir à une phrase ironique qu’il avait entendue et que les propos n’étaient pas dirigés à l’encontre de sa chef d’équipe'; tant les représentants du personnel que ceux de la direction dans cette commission ont évoqué les «'problèmes de santé'» du salarié et sa «'situation physique et sociale fragile'». Il sera encore relevé que dans un courrier daté du 8 novembre 2012 signé par plusieurs facteurs du bureau de poste de Saint-Pierre d’Irube et se référant à l’altercation intervenue le 18 septembre 2012 entre M. Z et Mme A, les signataires indiquent qu’ils subissent régulièrement des contrôles et des demandes d’explications de leur hiérarchie , ajoutant qu’un protocole de harcèlement moral contre un supérieur avait été effectué par trois agents en février-mars 2012 lors d’une grève et que «'toute cette pression hiérarchique fatigue et perturbe'».


S’agissant des faits ayant conduit au licenciement pour faute grave du salarié, il est constant que':


- après une plainte déposée le 26 septembre 2017 contre X mais faisant état de forts soupçons contre M. Z, La Poste a procédé à l’injection de 10 lettres piégées, 6 sur la tournée «'C 1012'»,et 4 sur la tournée «'C 1007'» qui au dernier moment’a été attribuée le 4 octobre 2017 au salarié ; ces 4 lettres étant selon les enquêteurs de La Poste retrouvées ouvertes';


- le 4 octobre 2017 en fin d’après-midi, alors que le salarié vient de terminer son travail, il subit un interrogatoire « en interne » avec des questions pressantes, dont il part en protestant vivement': il est alors mis à pied à titre conservatoire';


- le même jour à 20h, son employeur lui envoie un message sur son téléphone portable privé pour prévenir d’une convocation au commissariat de Bayonne le lendemain à 9h'; ce qui était faux, puisque la plainte de M. B, représentant La Poste, a été déposée au commissariat de police le 5 octobre 2017';


- M. Z a été convoqué et placé en garde à vue le 11octobre 2017 avant d’être relâché'; le premier juge relève à juste titre que cette procédure a été clôturée par un classement sans suite, non pas d’opportunité, mais pour infraction insuffisamment caractérisée et si une telle décision n’est pas assortie de l’autorité de la chose jugée, aucune autre orientation n’est venue l’infirmer.


- convoqué le 12 octobre 2017 soit dès le lendemain à un entretien préalable, le salarié a répété qu’il était innocent tandis que l’employeur lui demandait de dénoncer l’auteur des vols de courrier si ce n’est pas lui';


- il été licencié le 11 décembre 2017, ce malgré l’avis défavorable rendu par la commission consultative paritaire réunie le 1er décembre 2017.


L’enquête orientée menée de manière unilatérale par les représentants de l’employeur qui ont décidé d’utiliser de lettres-tests sur une tournée qu’ils ont ensuite contrôlée seuls en présence de M. C, supérieur hiérarchique du salarié mais hors la présence de celui-ci, n’a pas permis la caractérisation de l’infraction pénale qu’ils avaient préalablement dénoncée.
Les agissements de l’employeur et les procédés qu’il a mis en 'uvre en vue de la mise en cause pénale du salarié et ce en vain ainsi qu’à son licenciement, ont gravement porté à sa dignité.


L’assistante du service social de La Poste dans son rapport social indique : « M. Z ne reconnaît pas les faits qui lui sont reprochés. Il précise que le fait d’être soupçonné de vol est très difficile à vivre pour lui. Difficile au regard de ses valeurs et de son éducation et de l’image que ses proches et ses collègues ont de lui. »


Au regard de l’ensemble de ces éléments, la cour considère comme les premiers juges que les faits de harcèlement moral dénoncés par le salarié sont établis.


Le jugement entrepris sera dès lors confirmé de ce chef et en ce qu’il a dit que le licenciement de M. Z était nul.


Le salarié dont le licenciement est nul et qui demande sa réintégration a droit au paiement d’une somme correspondant à la réparation de la totalité du préjudice subi au cours de la période qui s’est écoulée entre son licenciement et sa réintégration, dans la limite du montant des salaires dont il a été privé.


En l’espèce, le salarié qui a sollicité sa réintégration et qui a été effectivement réintégré en exécution du jugement de première instance, sollicite la confirmation de cette décision en ce qu’il a condamné l’employeur à lui payer la somme de 26'988,52'€ brut à parfaire au jour de sa réintégration.


Le jugement entrepris doit être également confirmé de ce chef étant précisé que la somme de 75.185,69 € brut, soit 60.275,98 € net correspondant aux salaires pour la période de janvier 2018 à mai 2021 inclus a été réglée au salarié qui a été réintégré en date du 1er juin 2021.


Par ailleurs, le premier juge a relevé à juste titre que le salarié qui a été placé en garde à vue à la suite de la plainte déposée par l’employeur et classée sans suite, a subi de ce fait un préjudice moral distinct qu’il a justement évalué à un montant de 3.000 €. Le jugement entrepris sera par conséquent confirmé de ce chef.

Sur la demande reconventionnelle.


La SA La Poste forme, à titre subsidiaire, une demande reconventionnelle tendant à voir condamner M. Z à restituer la somme de 29.551,53 € brut au titre des indemnités chômage versées du 03 février 2018 au 16 juin 2020 par La Poste elle-même (en auto assurance).


Sur la recevabilité':


Aux termes de l’article 564 du code de procédure civile, à peine d’irrecevabilité relevée d’office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n’est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l’intervention d’un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d’un fait.


Selon l’article 566 du même code, les parties ne peuvent ajouter aux prétentions soumises au premier juge que les demandes qui en sont l’accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire.


L’article 567 dudit code prévoit que les demandes reconventionnelles sont également recevables en appel.


En l’espèce, la SA La Poste forme, à titre subsidiaire, une demande reconventionnelle tendant à voir condamner M. Z à restituer la somme de 29.551,53 € brut au titre des indemnités chômage versées du 03 février 2018 au 16 juin 2020 par La Poste elle-même (en auto assurance).
Cette demande qui tend à opposer compensation dans l’hypothèse de confirmation du jugement entrepris en ce qu’il a condamné l’employeur à lui verser les salaires qu’il aurait dû ainsi percevoir entre son licenciement et sa réintégration, est recevable.


Aux termes de l’article 910-4 du code de procédure civile':

«'A peine d’irrecevabilité, relevée d’office, les parties doivent présenter, dès les conclusions mentionnées aux articles 905-2 et 908 à 910, l’ensemble de leurs prétentions sur le fond. L’irrecevabilité peut également être invoquée par la partie contre laquelle sont formées des prétentions ultérieures.

Néanmoins, et sans préjudice de l’alinéa 2 de l’article 802, demeurent recevables, dans les limites des chefs du jugement critiqués, les prétentions destinées à répliquer aux conclusions et pièces adverses ou à faire juger les questions nées, postérieurement aux premières conclusions, de l’intervention d’un tiers ou de la survenance ou de la révélation d’un fait.'»


En l’espèce, si la SA La Poste n’a pas formulé de demande en restitution dans son premier jeu de conclusions, le différend sur ce point n’est né qu’à l’occasion de l’exécution du jugement entrepris postérieurement à ces premières conclusions, après et en raison de la réintégration du salarié.


La demande sera dès lors déclarée également recevable de ce chef.


Sur le fond':


Le préjudice subi par le salarié réintégré à la suite de la nullité du licenciement devant correspondre au montant de la rémunération dont il a été privé, il convient de déduire de ce montant les indemnités chômage qui lui ont été versées pendant la même période.


Il n’est pas contesté que le salarié a perçu entre février 2018 et juin 2020, des indemnités chômage versées par l’employeur en auto-assurance pour un montant total de 29.551,53 € brut.


Cette somme qui doit par conséquent se compenser avec les salaires réglés par l’employeur sur la même période, doit faire l’objet d’une restitution par ce dernier.

Sur les demandes accessoires.


Il n’y a pas lieu de statuer sur l’exécution provisoire du présent arrêt.


La SA La Poste qui succombe sera condamnée aux entiers dépens ainsi qu’à verser à M. Z une somme de 1.000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, en sus de la somme allouée par le premier juge sur le même fondement.

PAR CES MOTIFS


La cour statuant par mise à disposition au greffe, publiquement contradictoirement et en dernier ressort,

• Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions sauf à préciser que la somme due au salarié au titre des salaires jusqu’à sa réintégration s’élève à un montant de 75.185,69 € brut,


Y ajoutant,•


Déclare recevable la demande reconventionnelle formée par la SA La Poste,• • Condamne M. Z à restituer à la SA La Poste la somme de 29.551,53 € brut au titre des indemnités chômage perçues entre les mois de février 2018 et juin 2020,

• Condamne la SA La Poste aux entiers dépens ainsi qu’à verser à M. Z la somme de 1.000 €sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,.


Arrêt signé par Madame CAUTRES, Présidente, et par Madame LAUBIE, greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.


LA GREFFIÈRE, LA PRÉSIDENTE,
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Cour d'appel de Pau, Chambre sociale, 14 avril 2022, n° 21/00596