Cour d'appel de Toulouse, 4ème chambre section 3, 18 décembre 2020, n° 19/03869

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Chronologie de l’affaire

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Cette newsletter revient sur cinq décisions notables en matière d'hygiène, sécurité et conditions de travail. Risques psychosociaux et faute inexcusable : nouvelle illustration (CA Toulouse, 18 décembre 2020, n°19/03869) Confronté à de graves difficultés économiques, un employeur augmente sensiblement les objectifs de l'un de ses salariés lors de son entretien annuel d'évaluation. L'intéressé conteste cette revalorisation, la qualifiant d'irréaliste mais l'employeur maintient sa position. Les conditions de travail viennent par la suite à se détériorer. Le salarié n'est notamment pas …

 
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Sur la décision

Référence :
CA Toulouse, 4e ch. sect. 3, 18 déc. 2020, n° 19/03869
Juridiction : Cour d'appel de Toulouse
Numéro(s) : 19/03869
Décision précédente : Tribunal de grande instance d'Agen, 14 juillet 2019, N° 17/00063
Dispositif : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée

Sur les parties

Texte intégral

18/12/2020

ARRÊT N°

N° RG 19/03869 – N° Portalis DBVI-V-B7D-NEZU

CD/ND

Décision déférée du 15 Juillet 2019 – Tribunal de Grande Instance d’AGEN (17/00063)

M. J K

SAS CRENO IMPEX

C/

M A X

Z X

Y X

CAISSE PRIMAIRE D’ASSURANCE MALADIE DE LOT ET GARONNE

REFORMATION

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

***

COUR D’APPEL DE TOULOUSE

4e chambre sociale – section 3

***

ARRÊT DU DIX HUIT DÉCEMBRE DEUX MILLE VINGT

***

APPELANTE

SAS CRENO IMPEX

[…]

[…]

représentée par Me Emmanuelle DESSART de la SCP DESSART-DEVIERS, avocat au barreau de TOULOUSE substituée par Me Emmanuel TURPIN, avocat au barreau de SAINT-MALO

INTIMÉES

Madame M A X

[…]

[…]

représentée par Me Alann GAUCHOT, avocat au barreau de PARIS

Mademoiselle Z X, mineure, représentée par sa mère Madame A X

[…]

[…]

représentée par Me Alann GAUCHOT, avocat au barreau de PARIS

Mademoiselle Y X, mineure, représentée par sa mère Madame A X

[…]

[…]

représentée par Me Alann GAUCHOT, avocat au barreau de PARIS

CAISSE PRIMAIRE D’ASSURANCE MALADIE DE LOT ET GARONNE

[…]

[…]

représentée par Me Anthony PEILLET, avocat au barreau de TOULOUSE

COMPOSITION DE LA COUR

L’affaire a été débattue le 29 Octobre 2020, en audience publique, devant la Cour composée de :

C. DECHAUX, conseillère faisant fonction de président

P. POIREL, conseiller

A. MAFFRE, conseiller

qui en ont délibéré.

Greffier, lors des débats : C. DELVER

ARRÊT :

— CONTRADICTOIRE

— prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile

— signé par C. DECHAUX, conseillère faisant fonction de président, et par N.DIABY, greffier de chambre.

EXPOSÉ DU LITIGE:

La société Creno Impex est un groupement d’achat qui commercialise des fruits et légumes de ses adhérents, agriculteurs et coopératives du sud de la France. Elle a embauché le 2 novembre 1994 M. N-R X pour occuper des fonctions de vendeur (statut cadre, avec forfait jours).

M. X a été placé en arrêt maladie du 25 février au 25 mai 2015, puis du 21 août au 29 août 2015 et à nouveau le 8 septembre 2015, étant précisé que cet arrêt était prescrit jusqu’au 10 octobre 2015. Il est décédé par autolyse (pendaison) à son domicile le 23 septembre 2015. Il était marié et père de deux enfants mineurs, Y née le […], et Z née le […].

Mme M A, sa veuve, a demandé le 30 novembre 2015 à la caisse primaire d’assurance maladie du Lot et Garonne la prise en charge de ce décès comme accident du travail au titre de la législation professionnelle.Après enquête, la caisse primaire d’assurance maladie du Lot et Garonne a décidé le 16 septembre 2016 de reconnaître le caractère professionnel de l’accident mortel survenu à M. N-R X.

La société Creno Impex a saisi la commission de recours amiable de sa contestation de cette décision, puis le 3 février 2017, en l’état d’une décision implicite de rejet, le tribunal des affaires de sécurité sociale.

Par ailleurs, Mme A veuve X, agissant en son nom personnel et es qualité d’administratrice légale sous contrôle judiciaire de ses deux enfants mineures Y et Z X a saisi le 23 février 2017, le tribunal des affaires de sécurité sociale aux fins de reconnaissance de la faute inexcusable de la société Creno Impex dans l’accident du travail de M. X.

Enfin, le 15 mai 2018, la société Creno Impex a à nouveau saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale d’Agen de sa contestation de la décision de décision implicite de rejet de la commission de recours amiable du Lot et Garonne.

Par jugement en date du 15 juillet 2019 le tribunal de grande instance d’Agen, pôle social, après avoir joint les procédures, a:

* dit que l’accident mortel du 23 septembre 2015 dont a été victime M. N-R X est d’origine professionnelle,

* déclaré opposable à son employeur, la société Creno Impex, la décision de la caisse primaire d’assurance maladie du Lot et Garonne du 16 septembre 2016 de prise en charge de cet accident,

* déclaré recevable l’action des ayants droit de M. N-R X en reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur dans son décès,

* dit que l’accident mortel du 23 septembre 2015 dont a été victime M. N-R X est dû à la faute inexcusable de son employeur la société Creno Impex,

* ordonné la majoration à son taux maximum de la rente servie à Mme A veuve X ainsi qu’à ses deux enfants mineurs, Y et Z X,

* alloué à Mme A veuve X au titre de l’action successorale pour le préjudice moral subi par M. N-R X la somme de 20 000 euros,

* alloué à Mme A veuve X au titre de son préjudice moral personnel la somme de 50 000 euros,

* alloué à Y et à Z X, à chacune, au titre de leur préjudice moral personnel, la somme de 30 000 euros,

* dit que la caisse primaire d’assurance maladie du Lot et Garonne fera l’avance de l’ensemble des sommes à verser à Mme A veuve X ainsi qu’à ses deux enfants mineures, Y et Z X au titre de la majoration de la rente et de l’indemnisation complémentaire des préjudices,

* déclaré recevable l’action récursoire de la caisse primaire d’assurance maladie du Lot et Garonne à l’encontre de la société Creno Impex,

* condamné la société Creno Impex à rembourser à la caisse primaire d’assurance maladie du Lot et Garonne l’ensemble des sommes versées au titre de l’action successorale ainsi qu’à ses deux enfants mineurs,

* condamné la société Creno Impex à payer à Mme A veuve X la somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

* condamné la société Creno Impex à payer à la caisse primaire d’assurance maladie du Lot et Garonne la somme de 1 000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

* débouté les parties du surplus de leurs demandes.

Ce jugement est assorti de l’exécution provisoire.

La société Creno Impex a interjeté régulièrement appel dans des conditions de délai et de forme qui ne sont pas discutées.

Par conclusions remises à la cour par voie électronique le 23 octobre 2020, reprises oralement à l’audience, auxquelles il est expressément renvoyé pour l’exposé plus ample de ses moyens et arguments, la société Creno Impex sollicite la réformation du jugement entrepris et demande à la cour de:

* ordonner l’audition de M. N B.

* dire qu’elle n’a commis aucune faute inexcusable à l’égard de M. X,

* débouter Mme X de l’ensemble de ses demandes tant personnelles qu’es qualité de représentante légale de ses enfants et subsidiairement de réduire l’ensemble des dommages et intérêts sollicités,

* 'constater’ l’inopposabilité à son égard de la décision de la caisse primaire d’assurance maladie en date du 16 septembre 2016,

* dire que le suicide de M. X est sans lien direct et certain avec ses conditions de travail et 'constater’ en conséquence l’absence de tout accident du travail,

* réformer la décision de la caisse primaire d’assurance maladie du 16 septembre 2016,

* condamner solidairement Mme X et la caisse primaire d’assurance maladie au paiement de la somme de 4 000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile

ainsi qu’aux éventuels dépens.

Par conclusions remises à la cour par voie électronique le 27 octobre 2020, reprises oralement à l’audience, auxquelles il est expressément renvoyé pour l’exposé plus ample de ses moyens et arguments, Mme A veuve X, agissant tant en son nom personnel qu’es qualité de représentante légale de ses enfants mineurs, Y et Z X, lui demande à titre préliminaire de débouter la société Creno Impex de sa demande d’enquête aux fins d’audition de M. B.

Si celle-ci était ordonnée, elle demande à la cour de dire qu’elle interviendra en présence et au contradictoire des parties et de réserver ses droits quant à une contre-enquête.

Elle sollicite en tout état de cause la confirmation du jugement entrepris en toutes ses dispositions et demande à la cour de:

* débouter la société Creno Impex de l’ensemble de ses demandes,

* condamner la société Creno Impex au paiement de la somme de 3 500 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile et de mettre à sa charge les dépens.

Par conclusions réceptionnées par le greffe le 22 juin 2020, reprises oralement à l’audience, auxquelles il est expressément renvoyé pour l’exposé plus ample de ses moyens et arguments, la caisse primaire d’assurance maladie du Lot et Garonne sollicite la confirmation du jugement entrepris en ce qu’il a reconnu l’origine professionnelle de l’accident mortel du 23 septembre 2015 dont a été victime M. X et l’opposabilité à la société Creno Impex de sa décision de prise en charge de cet accident au titre de la législation professionnelle.

Elle demande à la cour de statuer ce que de droit sur la demande de la société Creno Impex et de constater qu’elle s’en rapporte à justice sur le principe de la faute inexcusable.

Dans l’hypothèse où la faute inexcusable serait confirmée, elle demande à la cour de:

* confirmer la condamnation de la société Creno Impex au remboursement des sommes dont elle effectuera l’avance au titre de l’action successorale et des préjudices propres des ayants droit ainsi qu’au titre de la majoration à son taux maximum du capital des rentes des ayants droit versées,

* confirmer son action récursoire à l’encontre de la société Creno Impex.

MOTIFS

La cour est saisie par les conclusions des parties d’un litige portant:

— sur la décision de la caisse de prise en charge du décès de M. X au titre de la législation professionnelle,

— sur l’opposabilité de la décision de la caisse à l’employeur,

— sur l’existence d’une faute inexcusable de son employeur à l’origine de ce décès.

* sur la demande d’audition de M. B:

Par applications combinées des articles 9 et 222 du code de procédure civile, il incombe d’une part à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention et à la partie qui demande une enquête de préciser la nature des faits dont elle entend rapporter la preuve, étant précisé qu’il appartient au juge qui ordonne l’enquête de déterminer les faits pertinents à

prouver.

La société Creno Impex sollicite l’audition de M. N B, supérieur hiérarchique de M. X, qui partageait le même bureau que lui et disposait d’une sous-délégation de pouvoirs portant sur les règles en matière de sécurité des salariés du bureau d’Agen, au motif que la cour étant saisie d’un litige portant sur la faute inexcusable de l’employeur doit apprécier ses méthodes managériales ou les contraintes.

Mme X et ses filles s’opposent à cette demande, et après avoir relevé qu’elle n’est pas conforme aux dispositions du code de procédure civile, soutiennent que la société Creno Impex cherche à se soustraire de sa propre responsabilité par rapport aux objectifs qu’elle a fixés à M. X, au contexte économique et aux circonstances ayant entouré ces objectifs lors de l’entretien annuel d’évaluation du 20 janvier 2015 et aux conséquences qui en sont résultées sur l’état de santé de M. X.

En l’espèce, la découverte du corps de M. X pendu dans son jardin le 23 septembre 2015 par son épouse vers 14 heures 30 a donné lieu à une enquête préliminaire de la brigade territoriale de gendarmerie d’Agen, dans le cadre de laquelle M. N B a été entendu le 13 août 2016. Dans le cadre de l’instruction de la demande de reconnaissance du caractère professionnel du décès de M. X, l’agent enquêteur assermenté de la caisse a en outre procédé à l’audition, notamment, de M. B le 13 juillet 2016 (dans le cadre d’un procès-verbal d’audition daté et signé par l’intéressé) et la société Creno Impex verse en outre aux débats trois attestations de M. B (en date des 21 janvier 2016, 11 septembre 2018 et 24 octobre 2020).

Alors que la société Creno Impex ne précise pas sur quels points précis qui n’auraient pas déjà été abordés par M. B dans le cadre des deux procès-verbaux et des trois attestations précitées devrait porter l’audition sollicitée, il ne peut être considéré qu’elle présente une utilité à la solution du litige.

Cette demande doit être rejetée.

* sur le caractère professionnel du décès de M. N-R X:

La caisse primaire d’assurance maladie du Lot et Garonne a décidé le 16 septembre 2016 de reconnaître le caractère professionnel de l’accident mortel survenu à M. N-R X le 23 septembre 2015. Cette décision est consécutive à la demande de la veuve du salarié de reconnaissance d’un accident du travail et non point d’une maladie professionnelle.

Il résulte de l’article L.411-1 du code de la sécurité sociale qu’est considéré comme accident du travail, quelle qu’en soit la cause, l’accident survenu par le fait du travail à toute personne salariée ou travaillant, à quelque titre que ce soit, pour un ou plusieurs employeurs ou chefs d’entreprise.

L’accident survenu pendant le temps et sur le lieu du travail est présumé être un accident du travail sauf à l’employeur ou à l’organisme social de rapporter la preuve qu’il a une cause totalement étrangère.

La charge de la preuve du fait accidentel incombe au salarié (ou à ses ayants droit), qui doit donc établir, autrement que par ses propres affirmations les circonstances exactes de l’accident et son caractère professionnel.

Pour retenir l’existence d’un lien direct et certain entre le travail et le décès de M. N-R X, les premiers juges ont considéré que l’entretien annuel du 20 avril 2015 tenu avec ses deux supérieurs hiérarchiques, au cours duquel les objectifs fixés se sont avérés synonymes d’échec pour le salarié compte tenu des circonstances économiques de la société et de la perte de ses principaux clients dont le chiffre d’affaires était essentiel dans son activité, était à l’origine de la dépression du salarié dont le

travail est devenu la raison de son mal-être psychologique, prenant toute place dans son quotidien.

La société Creno Impex soutient que les causes d’une dépression, voire d’un suicide sont multiples et ne peuvent généralement être attribuées à un seul événement. Elle en déduit que si le fait générateur de la dépression ne peut être daté, aucun accident du travail ne peut être reconnu.

Tout en procédant à une confusion avec la conscience par l’employeur du risque lié à l’état de santé du salarié (qui n’est à examiner qu’au titre de la faute inexcusable, ce qui implique que préalablement le caractère professionnel du décès est retenu et le caractère professionnel du décès), elle soutient que l’état dépressif de M. X étant antérieur au 20 janvier 2015, son décès n’est pas survenu par le fait du travail.

Elle relève qu’il a été médicalement constaté que le salarié faisait une fixation obsessionnelle sur son travail et en déduit qu’en réalité le salarié a développé une névrose obsessionnelle, laquelle est indépendante de toute rationalité ne permettant pas de conclure à l’existence d’un lien entre son travail et son suicide.

Mme X et ses enfants, lui opposent que l’entretien d’évaluation du 20 janvier 2015 a été l’élément déclencheur de l’état de santé de M. X et que les conclusions de la médecine du travail, comme les préconisations et contre-indications qu’elle a posées, sont claires précises et dépourvues de toute ambiguïté à cet égard.

La caisse primaire d’assurance maladie soutient que les éléments recueillis dans le cadre de l’enquête à laquelle elle a procédé mettent en évidence le lien existant entre le décès de M. X et son travail, et qu’il appartient à l’employeur de renverser la présomption en démontrant que ce décès a une cause totalement étrangère au travail.

Le décès par autolyse de M. X s’analyse au regard des dispositions de l’article L.411-1 du code de la sécurité sociale en un événement soudain ayant entraîné des lésions létales. Pour autant il est survenu le 23 septembre 2015 au domicile du salarié, placé par son médecin depuis le 8 septembre 2015 en arrêt de travail.

N’étant pas survenu au temps et lieu du travail, la présomption d’accident du travail n’est pas applicable, mais ce suicide peut constituer un accident du travail si un lien avec le travail est établi.

En l’espèce, il résulte de l’enquête de la caisse que:

*en dehors de deux arrêts paternité en 2008 et 2013, M. X a fait l’objet d’arrêts de travail uniquement en 2015, du 25 février au 3 mai, du 21 au 29 août 2015 et à compter du 8 septembre 2015 jusqu’à son décès le 23 suivant,

* en 2015, il a été en congés du 15 au 24 février et du 26 juillet au 9 août.

Le certificat médical post-mortem en date du 13 octobre 2015 établi par le Dr C, médecin généraliste mentionne un traitement à compter du 25 février 2015 pour syndrome dépressif, hospitalisation à compter de cette date jusqu’au 6 mars puis suivi médicamenteux et spécialisé psychiatrique.

Le Dr I, médecin du travail, a donné le 26 mai 2015 un avis favorable à la reprise du travail de M. X, en effectuant cet examen à la demande de l’employeur, tout en lui écrivant le jour même qu’il ne pouvait 'qu’encourager la reprise car l’arrêt a plutôt des effets négatifs sur lui' et en attirant expressément son attention sur 'deux aspects:

. il n’est pas encore totalement remis et ses performances pourraient encore, quelques temps, se trouver réduites,

. Cette réflexion contraste avec ce qui semble le plus l’avoir perturbé, c’est à dire une augmentation spectaculaire et vécue comme irréaliste de ses objectifs'.

Le contrat de travail de M. X en date du 20 octobre 1994, mentionne qu’il est embauché par la société Creno Impex en qualité de vendeur, niveau VII échelon I et que sa rémunération brute mensuelle forfaitaire est fixée à 12 500 francs sur 12 mois. Ce contrat ne mentionne pas de prime et ne comporte pas de clause d’objectifs.

Il résulte par contre tant de ses bulletins et du tableau récapitulatif relatif à l’évolution de ses salaires sur les années 2008 à 2015 qu’il percevait une prime de treizième mois et des primes de rendement, le montant annuel de ces dernières ayant été de 3 000 euros en 2008, puis 1 800 euros en 2009, 1 400 euros de 2010 à 2013, 1 000 euros en 2014.

Il est établi que M. X a eu un entretien annuel d’évaluation le 20 janvier 2015, dans le cadre duquel il a effectué le commentaire suivant: 'réajustement des objectifs après échange commun positif. Toujours motivation personnelle pour avancer au sein de l’entreprise' et que son responsable a mentionné 'recadrage positif dans la définition des objectifs. Inquiétudes justifiées pour l’avenir mais apte et motivé pour surmonter les difficultés'.

Lors de son audition le 22 juin 2017 dans le cadre de l’enquête préliminaire de gendarmerie, M. O H, directeur général de la société Creno Impex a déclaré que son groupe, en 2012, était en passe de perdre la moitié de son activité, qu’ils avaient alors renégocié avec des affiliés partants pour que leur départ soit étalé dans le temps jusqu’en mars 2017. Comme le portefeuille de clients de ses commerciaux risquait de baisser, il a demandé qu’ils commencent à prospecter de nouveaux clients, la prime 'potentielle’ d’objectifs de M. X ayant été doublée pour 2015-2016. Il a confirmé sa présence lors de l’entretien du 21 janvier 2015 ainsi que celles de M. D, coordinateur des bureaux d’achats et de M. B et affirmé qu’il n’y a pas eu de contrainte sur M. X pour signer les objectifs. Il a également reconnu avoir été 'alerté sur la mesure des objectifs de M. X' par le médecin du travail ajoutant que 'l’analyse du médecin était erronée dans la compréhension du fonctionnement de la grille', 'les objectifs étaient réalisables'.

M. N B à quant à lui confirmé le 13 août 2016 lors de son audition par les gendarmes, que lors de l’entretien d’évaluation du 21 janvier 2015, il avait été remis à M. X un tableau avec les chiffres de l’année et qu’il lui avait été demandé de prospecter aussi pour remplacer les adhérents qui étaient partis, qu’en 'prenant connaissance de ces tableaux, N-R nous a immédiatement fait part de son inquiétude pour remplir les chiffres (….) C’était une augmentation de 10 pourcentage environ, ce n’était pas infaisable'.

Dans le cadre de l’enquête de la caisse, M. B a précisé que dans la journée du 21 janvier 2015, M. X avait reparlé des objectifs fixés au directeur général, que dans l’après midi 'ils ont reçu M. X pour lui présenter des objectifs rectifiés' que ce dernier a signé 'lors du deuxième entretien' et que 'peu après, un soir M. X (lui) a dit en partant qu’il n’était pas bien et qu’il était limite déprime'.

Il résulte donc de ces éléments convergents que lors de l’entretien annuel d’évaluation du 21 janvier 2015 qui s’est déroulé en présence de trois personnes hiérarchiquement supérieures, dont le directeur général de la société en personne, M. X a signé, le jour même, des objectifs supérieurs aux années précédentes, après avoir indiqué qu’ils n’étaient pas pour lui réalisables, et ce dans un contexte où la société qui l’employait était confrontée à de graves difficultés économiques.

La cour constate que le premier arrêt de travail de M. X qui est du 25 février 2015 a donc été prescrit un mois après cet entretien annuel d’évaluation.

Le Dr E, médecin psychiatre au pôle accueil urgences psychiatriques liaison La Candélie à Agen, écrit dans un courrier en date du 29 août 2016 au Dr F, médecin conseil, que M. X a été hospitalisé du 25 février au 6 mars 2015 dans l’unité de crise et de court séjour du centre hospitalier d’Agen, adressé par son médecin traitant, le Dr C, qui évoquait dans son courrier 'des troubles dépressifs évoluant depuis près de trois semaines', que sur le plan des antécédents, 'il n’avait jamais été hospitalisé en milieu psychiatrique, son témoignage ainsi que celui de son épouse mettaient en évidence l’absence d’épisodes dépressifs antérieurs, même s’il avait très mal vécu un licenciement professionnel survenu il y a plusieurs années', qu’à l’admission il a été noté son amaigrissement avec une perte de poids (5 à 8 kilos en trois semaines) et des troubles du sommeil et de l’appétit et sur le plan clinique, ce médecin psychiatre indique qu’il s’est plaint 'essentiellement de ses problèmes professionnels', disant 'cogiter toutes les nuits en pensant à son travail', qu’il était 'obsédé à l’idée d’avoir pu commettre des fautes professionnelles' et se 'sentait très culpabilisé par un sentiment de déchéance, par une perte de statut', 'se sentir totalement déconsidéré, dévalorisé, mis en échec', estimant qu’on 'exigeait de lui des objectifs impossibles à atteindre et il se sentait perdu sans solution'.

La teneur de ce courrier d’un médecin spécialiste, dont le service a pris en charge durant les deux premières semaines du premier arrêt de travail situé chronologiquement seulement un mois après l’entretien annuel du 21 janvier 2015, et après diagnostic par le médecin traitant d’un état dépressif durant depuis trois semaines, corrobore l’ensemble des témoignages recueillis par la caisse tant de proches de M. X comme son épouse (infirmière de profession) que de ses collègues et également des nombreuses attestations dont celle de son beau-père M. P A (consultant en ressources humaines) chez lequel il a séjourné mi-février 2015 durant 4 jours, quant à l’effet déclencheur de la dégradation très importante de l’état de santé psychique de M. N-R X de l’entretien du 21 janvier 2015, M. A relatant dans son attestation que M. X 'était paniqué car il avait été contraint selon ses mots de signer ces objectifs manifestement inatteignables sous la double pression de N B et du directeur commercial qui était venu exprès à Agen. Il avait le sentiment d’être piégé car il était persuadé qu’il serait licencié s’il n’atteignait pas ces fameux objectifs'.

Il est établi que M. X après avoir repris le travail le 4 mai 2015, après un arrêt de deux mois, a, à nouveau, fait l’objet de deux arrêts de travail et que la poursuite des soins (traitement médicamenteux) n’a pas permis une réelle amélioration de son état de santé.

La cour relève en effet que les gendarmes ont noté à la fin de leur procès-verbal de transport du 24 septembre 2015 avoir contacté le Dr G qui a leur a confirmé avoir reçu en consultation M. X le 21 septembre 2015, qu’il avait envisagé une hospitalisation dans une clinique de Toulouse, laquelle avait été refusée par M. X et son épouse.

L’ensemble des témoignages recueillis dans le cadre de l’enquête administrative, qui sont corroborés par les très nombreuses attestations versées aux débats par ses ayants droit, mettent en évidence que M. X était un homme souriant, sociable, ouvert sur les autres, très apprécié tant de ses proches que de ses voisins et de ses collègues, qu’il était également considéré comme un bon professionnel, qu’il résulte des éléments médicaux qu’il n’avait manifesté antérieurement ni trouble psychiatrique, ni état dépressif.

Par contre, ces mêmes éléments établissent un lien direct étroit entre l’entretien du 21 janvier 2015 et la dégradation de son état de santé jusqu’à son décès par autolyse le 23 septembre 2015.

La convergence de l’ensemble de ces éléments conduit la cour, comme les premiers juges, à retenir que l’entretien du 21 janvier 2015 constitue l’élément déclencheur de la dégradation de l’état de santé de M. X jusqu’à son suicide et que son décès présente en conséquence un lien étroit avec son travail justifiant la reconnaissance faite par la caisse de son caractère professionnel.

Le jugement entrepris doit donc être confirmé à cet égard.

* sur l’opposabilité à la société Creno Impex de la décision de prise du décès de M. X au titre de la législation professionnelle:

Il résulte de l’article R.441-11 du code de la sécurité sociale que:

I – lorsque la déclaration d’accident du travail n’émane pas de lui, un double est envoyé par la caisse à l’employeur à qui la décision est susceptible de faire grief par tout moyen permettant de déterminer sa date de la réception. L’employeur peut émettre des réserves motivées. La caisse adresse également un double de cette déclaration au médecin du travail.

III- En cas de réserves motivées de la part de l’employeur ou si elle l’estime nécessaire, la caisse envoie avant décision à l’employeur et à la victime d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle un questionnaire portant sur les circonstances ou la cause de l’accident ou de la maladie ou procède à une enquête auprès des intéressés.

Une enquête est obligatoire en cas de décès.

L’article R.441-14 du code de la sécurité sociale alinéa 3 dispose que dans tous les cas prévus, au dernier alinéa de l’article R.441-11, la caisse communique à la victime ou à ses ayants droit et à l’employeur, au moins dix jours francs avant de prendre sa décision, par tout moyen permettant d’en déterminer la date de réception, l’information sur les éléments recueillis et susceptibles de leur faire grief, ainsi que sur la possibilité de consulter le dossier mentionné à l’article R.441-13.

La société Creno Impex soutient que la caisse n’a pas respecté le délai de dix jours francs et par suite le principe du contradictoire, par suite d’une erreur d’adresse lors de l’envoi dont la conséquence a été qu’elle n’a réceptionné le courrier du 26 août 2016 que le 19 septembre suivant alors que celui-ci l’informait de la possibilité de consulter les pièces du dossier avant prise de décision le 16 septembre 2016, date qui a été celle de la décision de prise en charge.

La caisse réplique avoir respecté le délai de dix jours entre la notification de la clôture de l’instruction et sa décision, par l’envoi aux parties de son courrier du 26 août 2016, dont l’accusé de réception à la société lui a été retourné signé et complété le 19 septembre 2016, avec une date de première présentation le 19 août 2016, la deuxième présentation ayant été effectuée le 3 septembre 2016 par les services de la Poste, avec la mention différée raison client.

Il est exact que l’avis de réception du courrier du 26 août 2016 par lequel la caisse informe la société Creno Impex que l’instruction du dossier relatif à l’accident du travail de M. X du 23 septembre 2015 est terminée et de 'la possibilité de venir consulter les pièces du dossier préalablement à la prise de décision sur le caractère professionnel du décès qui interviendra le 16 septembre 2016" comporte à hauteur de la mention 'présenté//avisé le’ la date du 19/09.

Il est donc exact que ce courrier a été réceptionné après la décision de la caisse, ce qui a fait obstacle à l’exercice par la société Creno Impex du droit qui lui est reconnu de consulter les pièces du dossier.

Cet avis de réception, qui comporte la référence 2C 093 828 9801 4, a été adressé 'route de Toulouse marché gare Agen 47 550 Boe' c’est à dire à la même adresse que celle mentionnée sur le courrier du 26 août 2016. Il résulte de l’historique des envois recommandés de la caisse, que le pli correspondant a été déposé et pris en charge le 29 août 2016 par la Poste, qu’à la date du 3 septembre 2016 il était en situation 'en attente de seconde présentation à Le passage d’Agen', la même mention étant reprise à celle du 10 septembre 2016 et que le 19 septembre 2016 il était en situation de 'en cours de traitement à le passage d’Agen'.

Ainsi s’il existe une incohérence entre l’absence de mention d’une date de présentation du pli recommandé au destinataire à une date autre que celle de la réception, avec l’historique des suivis, il

est cependant établi que ce pli a bien été distribué à l’adresse qui y était mentionnée.

Si la société Creno Impex procède par allégation en soutenant que la distribution tardive de ce pli recommandé est imputable à une erreur d’adresse de la caisse primaire d’assurance maladie, pour autant, il est exact que la société a été privée de la possibilité d’exercer son droit de consultation et que sa décision du 16 septembre 2016 de reconnaître le caractère professionnel de l’accident mortel survenu à M. X l’a été sans que la caisse s’assure que l’employeur avait bien réceptionné son courrier l’informant de ce droit.

Contrairement à ce qui a été retenu par les premiers juges, il ne peut être considéré que le principe du contradictoire a été respecté, la société ayant été privée de la possibilité d’exercer son droit de consultation du dossier avant la décision de la caisse.

Par réformation du jugement entrepris, la décision de la caisse primaire d’assurance maladie du Lot et Garonne du 16 septembre 2016 de reconnaître le caractère professionnel de l’accident mortel survenu à M. X le 23 septembre 2015 doit être déclarée inopposable à la société Creno Impex.

* sur la faute inexcusable

Dans le cadre de son obligation de sécurité destinée à prévenir les risques pour la santé et la sécurité des salariés, l’employeur doit, notamment, en application des articles L.4121-1 et L.4121-2 du code du travail:

* mettre en place une organisation et des moyens adaptés et veiller à l’adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l’amélioration des situations existantes,

* adapter le travail à l’homme en particulier en ce qui concerne la conception des postes de travail ainsi que les choix des équipements de travail et les méthodes de travail et de production, en vue notamment de limiter le travail monotone et le travail cadencé et de réduire les effets de ceux-ci sur la santé,

* planifier la prévention en y intégrant, dans un ensemble cohérent, la technique, l’organisation du travail, les conditions de travail, les relations sociales et l’influence des facteurs ambiants.

Il doit ainsi éviter les risques et évaluer ceux qui ne peuvent pas l’être, planifier la prévention en y intégrant, dans un ensemble cohérent, la technique, l’organisation du travail, les conditions du travail, les relations sociales et l’influence des facteurs ambiants.

Les articles R.4121-1 et R.4121-2 du code du travail font obligation de transcrire et de mettre à jour au moins chaque année, dans un document unique les résultats de l’évaluation des risques pour la santé et la sécurité des travailleurs.

Il résulte des dispositions des articles L.1152-1 à L.1152-3 du code du travail, qu’aucun salarié ne doit subir des agissements répétés de harcèlement moral ayant pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

Peuvent caractériser un harcèlement moral, les méthodes de gestion mises en oeuvre par un supérieur hiérarchique dès lors qu’elles se manifestent pour un salarié déterminé par des agissements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptibles de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou compromettre son avenir professionnel.

Le manquement à cette obligation de sécurité a le caractère d’une faute inexcusable au sens de l’article L. 452-1 du code de la sécurité sociale lorsque l’employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié et qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver.

Il suffit que la faute inexcusable de l’employeur soit une cause nécessaire de l’accident du travail pour engager sa responsabilité.

C’est au salarié (ou à ses ayants droit) qu’incombe la charge de la preuve de la faute inexcusable, et par voie de conséquence d’établir que son accident présente un lien avec une faute commise par son employeur, dans le cadre de son obligation de sécurité.

La société Creno Impex qui conteste avoir exposé M. X à un risque soutient ne pas avoir eu conscience du danger auquel il aurait été exposé. Tout en faisant état d’un contexte de crise depuis l’année 2013 par suite du départ de 60% de ses 80 adhérents du groupement d’achat et de l’accord négocié pour que les adhérents sortants poursuivent leurs achats jusqu’en mars 2017, elle expose que le challenge consistait à les convaincre de rester et qu’il avait été fixé au bureau d’Agen un objectif portant sur le développement d’une clientèle extérieure aux adhérents existants, la fixation des objectifs entre les trois personnes composant l’équipe de M. B, dont M. X, l’ayant été dans des proportions identiques et raisonnables, au terme de l’entretien annuel d’évaluation, après discussion et un délai de réflexion sur la journée, les objectifs ont été réajustés, et signés par M. X sans y avoir été contraint.

Elle soutient d’une part que l’entretien d’évaluation s’est déroulé dans des conditions idéales, que les objectifs étaient réalisables et d’autre part que le salarié évoluait dans un environnement professionnel optimal, qui n’était pas dégradé et que le forfait jour mis en place à la suite de l’accord de réduction du temps de travail ne lui faisait pas accomplir des 'heures supplémentaires exorbitantes au regard de son statut cadre’ et conteste avoir eu conscience de l’état de santé du salarié, en l’absence de signal d’alerte de la part de M. X alors que les préconisations du médecin du travail ne constituaient nullement une alerte sur la situation de ce salarié.

Elle soutient avoir mis en place des mesures de prévention soulignant que son document unique d’évaluation des risques professionnels prend en compte le risque psychologique, ainsi que le risque de stress de violence interne.

Mme X et ses enfants répliquent que la société Creno Impex avait conscience du danger auquel était exposé M. X dans les suites de l’entretien annuel du 20 janvier 2015, au cours duquel les objectifs qui lui ont été fixés étaient objectivement de nature à provoquer chez lui un sentiment d’échec, puisque M. X a alors manifesté ses inquiétudes mais n’a pu refuser de les signer. Elles soulignent que cet entretien était dirigé par M. H, directeur général de la société et M. D responsable du bureau de Valence et coordonnateur des achats, que la dégradation de l’état de santé de M. X qui s’en est suivie a été reconnue par M. B dans ses diverses auditions, que le médecin du travail a alerté l’employeur de la nécessité de revoir les chiffres en raison des répercussions que faisaient peser ces objectifs sur son état de santé, sans que pour autant ce soit fait et que la dégradation de l’état de santé de M. X avait également été perçue par ses collègues de travail.

Elles soutiennent que les objectifs fixés en 2015 étaient irréalisables pour être supérieurs à ceux fixés l’année l’année précédente dans des proportions très importantes (le chiffre d’affaires pour la clientèle externe étant en augmentation de 257% par rapport à celui réalisé l’année précédente) et dans le contexte du départ d’adhérents du groupe entraînant une perte potentielle de 50%, que le médecin du travail a écrit à l’employeur le 26 mai 2015 en insistant sur la nécessité de revoir les chiffres à l’aune de la faisabilité, qu’en ce qui concerne les jours de RTT, M. X n’a pu en bénéficier depuis 2012, la journée déduite en 2014 et 2015 correspondant à la journée de solidarité, les RTT lui ayant été

payées de 2011 à 2015 inclus, que le forfait jours n’était pas respecté puisqu’il a travaillé 227 jours en 2012, 216 en 2013 et 219 jours en 2014, sans tenir compte des samedis matin travaillés non comptabilisés. Elles soutiennent que les méthodes de management mises en place au sein de la société constituent un manquement à son obligation de sécurité et sont à l’origine du décès de M. X.

En l’espèce, la cour vient de reconnaître que le décès de M. X présente un lien direct avec son travail.

Dans son procès-verbal d’audition en date du 13 juillet 2016, établi par l’agent enquêteur de la caisse primaire d’assurance maladie, qu’il a signé, M. B a déclaré:

— avoir été à l’origine de l’embauche par la société Creno Impex de M. X en 1994, qu’il connaissait comme fournisseur et qui venait d’être licencié, qu’il était très compétent, rigoureux et avec un très bon relationnel,

— vers 2013, un nouveau directeur qui est resté pendant environ un an et demi, a mis en place des objectifs à atteindre,

— M. H est ensuite arrivé comme directeur général avec une nouvelle politique et surtout la perte potentielle de 50% du chiffre dû au départ des sortants, ce qui a suscité beaucoup d’inquiétudes de la part des salariés du bureau d’Agen concernant leur avenir et la nouvelle direction a mis en place:

* l’entretien annuel avec la fixation d’objectifs globaux et individuels: désormais les primes dépendaient de l’atteinte ou du dépassement des objectifs,

* une politique commerciale différente concernant la recherche de la clientèle,

— lors de l’entretien d’évaluation du 21 janvier 2015, qui s’est déroulé en présence du directeur général, M. H et du coordonnateur des bureaux, M. D, ces derniers ont fixé à M. X les objectifs pour l’année, M. X a dit 'qu’il était un peu septique et a demandé que l’on revoie ces objectifs car il ne pensait pas pouvoir y arriver', qu’il a ensuite discuté séparément avec eux et que dans l’après-midi messieurs H et D ont revu M. X en entretien, lui ont présenté les objectifs rectifiés et M. X les a acceptés en signant son entretien annuel et le tableau des objectifs.

Il résulte des entretiens d’évaluation de 2012 et 2013 qu’aucun objectif n’a alors été imparti au salarié.

L’entretien dévaluation du 20 janvier 2015 est signé par M. X, le responsable N+1 et visé par le N+2. La cour a précédemment repris les mentions du salarié et de son supérieur direct qui mettent en évidence les 'inquiétudes’ manifestées par le salarié au regard des objectifs fixés.

Il est ainsi établi, que les objectifs fixés à M. X ne l’ont pas été par M. B, supérieur hiérarchique direct, disposant d’une délégation de pouvoir en matière de sécurité (justifiée) et auteur du document unique d’évaluation des risques professionnels 2015, mais bien par M. H (N+2) et avec M. D (N+1).

Il résulte des déclarations de M. B, qui sont corroborées par celles de M. H à la gendarmerie que la cour a précédemment reprises, que M. X a eu ainsi un entretien individuel, qui s’est déroulé toute la journée, avec non seulement son supérieur hiérarchique direct, mais aussi le coordonnateur des bureaux et le directeur général en personne, et que si cet entretien s’est déroulé sur toute la journée c’est parce que M. X, dont l’évaluation professionnelle met en évidence la satisfaction de son employeur sur la qualité de son travail, n’a pas accepté dans un premier temps de

signer les objectifs fixés, les a discutés puis a finalement accepté les objectifs 'réajustés'.

La cour considère que ces circonstances de la fixation de ces objectifs (qui ne sont pas prévus par le contrat de travail) ne caractérisent pas une situation de libre échange, le salarié étant en présence de ses trois supérieurs hiérarchiques.

De plus, il est établi par les tableaux 'objectifs & bonus’ des périodes 2013/2014 et 2014/2015 signés par M. X, que:

* en 2013/2014, l’objectif qui lui a été fixé, a porté sur un chiffre d’affaires pour le développement de la clientèle Creno de 1 600 000 euros et pour le développement externe de 80 000 euros,

* en 2014/2015, l’objectif qui lui a été fixé a été pour le développement de la clientèle Creno d’un chiffre d’affaires de 1 800 000 euros et pour le développement externe de 500 000 euros.

Il est donc exact que la comparaison des éléments chiffrés des objectifs ainsi fixés met en évidence, alors que dans le même temps la société est confrontée à une perte significative de sa clientèle, une exigence d’objectifs déconnectée de la réalité, compte tenu de l’augmentation significative exigée du salarié au regard des objectifs réalisés l’année précédente, alors même qu’il est considéré comme un bon élément, ces tableaux établissant qu’il a dépassé en 2014 de 60 000 euros l’objectif fixé pour le développement externe.

Ainsi, s’il est acquis aux débats que les objectifs initialement fixés ont été diminués par l’employeur, pour autant le consentement donné par M. X l’a été après des discussions qui ont perduré sur la journée, dont il ne peut être considéré qu’elles se seraient déroulées dans un climat serein compte tenu du contexte économique dans lequel se trouvait la société.

L’acceptation par le salarié, dont l’entreprise est confrontée à de très graves difficultés, ainsi que reconnu par le directeur général lui-même dans son audition à la gendarmerie, ne peut qu’être effectivement le résultat d’une contrainte, laquelle est corroborée par les propos tenus par le salarié à M. A dont l’attestation de ce dernier fait état.

Or il résulte aussi des bulletins de salaires de M. X de la période du mois de janvier 2012 au mois de septembre 2015, comme des fiches RTT qu’il a paraphées à hauteur de son nom, d’une part qu’il était depuis 2012, par suite de l’accord conclu au sein de l’unité économique et sociale Creno sur la durée et l’aménagement du temps de travail le 15 février 2001, et de la reconnaissance de son statut de cadre niveau 8 ech.1 sur l’emploi d’acheteur vendeur, sous le régime du forfait 218 jours/an, qu’il avait au:

* 31 décembre 2013 au titre de l’année un solde de congés payés acquis de 19 et un solde de RTT de 10 ces chiffres étant repris sur le bulletin de paye de janvier 2014, puisqu’il y est fait état d’un solde de congés payés acquis de 17 et un solde de RTT de 10,

* 31 décembre 2014, au titre de l’année un solde de congés payés acquis de 15 et un solde de RTT de 11, ces chiffres étant repris sur le bulletin de paye de janvier 2015, puisqu’il y est fait état d’un solde de congés payés acquis de 11 et un solde de RTT de 11.

Il est ainsi également établi qu’au moment de l’entretien annuel de 2015, M. X n’avait pu prendre du fait même de l’organisation du travail mise en place dans cette société et des objectifs de chiffre d’affaires fixés, les congés et RTT auxquels il avait légalement droit.

Les circonstances même dans lequel s’est déroulé l’entretien d’évaluation 2015, les objectifs fixés au salarié déconnectés de la réalité économique dans laquelle évolue la société, les conditions de travail ne permettant pas la prise des jours de congés et de RTT caractérisent une méthode de gestion mise en oeuvre par M. H, directeur général, exposant le salarié qui y est confronté, alors qu’il occupe son emploi depuis 20 ans dans cette société, à un risque pyscho-social, risque que la société n’ignore pas puisqu’elle verse aux débats un document unique d’évaluation des risques professionnels du site d’Agen, daté du 30 janvier 2015 qui liste le risque 'stress, violence interne' ayant pour cause ' surcharge de travail, mauvaise communication, isolement social' et qui préconise comme moyens de prévention notamment un ' management participatif' et des ' entretiens annuels où les problèmes d’environnement de travail peuvent être abordés'.

Cette méthode de gestion étant imputable au directeur général de la société et non point à M. B, responsable du site d’Agen, il importe peu que ce dernier se soit vu reconnaître une délégation de compétence en matière de sécurité sur ce site.

Il est établi que le Dr I médecin du travail, a écrit le 26 mai 2015, à M. H que 'si ce qu’il (M. X) me rapporte est la réalité, elle me paraît en effet contradictoire avec le bon sens et son objet serait d’augmenter les performances (….) Mettre à l’évidence le salarié en situation d’échec annoncé (alors qu’il est dans l’entreprise depuis 22 ans) pourrait être interprété comme une volonté délibérée de le mettre en difficulté plutôt que de l’aider à mieux faire. Aussi y aurait-il absolue obligation de revoir les chiffres à l’aune de la faisabilité de son activité telle qu’elle peut s’envisager réellement, en tenant compte du caractère général de l’entreprise et du marché'.

La société Creno qui ne justifie nullement après réception de ce courrier particulièrement clair et dépourvu d’ambiguïté du médecin du travail avoir notifié à M. X une révision des objectifs fixés le 20 janvier 2015 procède par allégation en soutenant avoir proposé le 9 juillet 2015 'des solutions’ que M. X a refusé et lui avoir accordé des congés 'au-delà des pratiques en période de haute activité'.

Le manquement de la société Creno Impex dans son obligation de prévention du risque auquel elle a exposé M. X tant en raison des objectifs fixés le 20 janvier 2015, que des conditions dans lesquelles il a été amené à signer de tels objectifs, que dans ses méthodes de travail conduisant à faire obstacle à ce que le salarié puisse prendre les congés et les RTT auxquels il a légalement droit, et enfin dans l’absence de suite donnée au courrier du médecin du travail du 26 mai 2015 qui l’a expressément alertée sur le risque auquel les objectifs fixés exposaient M. X, alors même qu’elle ne pouvait en ignorer les conséquences caractérise un manquement réitéré dans son obligation de prévention des risques psycho-sociaux, auquel elle a exposé M. X, à l’origine du décès de ce dernier, et par suite sa faute inexcusable.

Ainsi que retenu par les premiers juges, cette faute inexcusable est à l’origine du décès survenu le 23 septembre 2015.

Le jugement entrepris doit donc être confirmé à cet égard.

* Sur les conséquences de la faute inexcusable:

Lorsque l’accident du travail est dû à la faute inexcusable de l’employeur, la victime ou ses ayants droit ont droit, en application des dispositions des articles L.452-1 et suivants du code de la sécurité sociale, à une rente majorée et à une indemnisation complémentaire de ses préjudices, et depuis la décision du Conseil constitutionnel en date du 18 juin 2010, à une réparation de son (leur) préjudice(s) au-delà des dispositions du livre IV du code de la sécurité sociale.

En cas d’accident suivi de mort, le montant de la majoration est fixé sans que le total des rentes et majorations servies à l’ensemble des ayants droit puisse dépasser le montant du salaire annuel et les ayants droit de la victime, peuvent, depuis la décision précitée n°2010-8 du Conseil constitutionnel demander en application de l’article L.452-3 du même code à l’employeur réparation de leur préjudice moral.

Il résulte des articles L.434-8 et L.434-10 du code de la sécurité sociale qu’ont droit à une rente viagère égale à une fraction du salaire annuel de la victime le conjoint et les enfants, mais pour ces derniers jusqu’à une limite d’âge, que l’article R.434-15 du code de la sécurité sociale fixe à 20 ans.

Il est établi que la caisse a attribué à:

* Mme M A veuve X une rente de veuve de 40 %,

* Mlle Y X née le […] et à Mlle Z X née le […], une rente de 25 %.

Le jugement entrepris doit être confirmé, en ce qu’il a, faisant application des dispositions de l’article L.452-2 alinéa 2 du code de la sécurité sociale, fixé au maximum la majoration de la rente servie à Mme A veuve X et à Mlles Y et Z X, étant précisé cependant que concernant ces dernières ces rentes ne sont dues que jusqu’à leurs 20 ans respectifs.

Concernant le préjudice moral de M. X, il est établi par les documents médicaux qu’il a développé un syndrome anxiodépressif très sévère dès février 2015, qu’il a été hospitalisé en milieu spécialisé pendant une quinzaine de jours et que son décès est survenu le 23 septembre 2015, à l’âge de 49 ans, alors que le dernier spécialiste qui l’avait reçu en consultation lui avait proposé une nouvelle hospitalisation en milieu spécialisé.

Durant ces huit mois, il a alterné des arrêts et travail et des reprises difficiles du travail son mal-être ayant été perçu non seulement par ses proches mais aussi dans son milieu professionnel, y compris par son supérieur immédiat M. B.

La cour considère comme les premiers juges que son acte suicidaire traduit un sentiment d’impasse irrémédiable avec sentiment de mort imminente puisque cette perspective lui a paru être le seul moyen de mettre un terme à la souffrance psychique ressentie, ce qui justifie l’indemnité de 20 000 euros allouée.

Cette somme revenant à la succession de M. X, elle devra cependant être versée entre les mains du notaire chargé du règlement de sa succession et non à sa veuve.

Concernant les préjudices moraux des ayants droit de M. X, la cour considère, compte tenu des éléments soumis à son appréciation, que si les indemnités allouées par les premiers juges aux enfants mineures de M. X, âgées respectivement de 7 et 2 ans à la date du décès de leur père, constituent une juste appréciation de leurs préjudices respectifs, tel n’est pas le cas du préjudice moral de Mme M A veuve X, qui était mariée avec M. N-R X depuis 2007 (date exacte du mariage illisible sur la copie du livret de famille versé aux débats), soit depuis environ huit ans, cette indemnité devant être ramenée à la somme de 30 000 euros.

S’agissant des indemnités allouées à Y et Z X, dont la cour vient de confirmer les montants, la caisse primaire d’assurance maladie du Lot et Garonne devra les virer sur des comptes ouverts aux noms respectifs de ces deux enfants mineurs, après en avoir préalablement informé le juge des tutelles des mineurs du tribunal judiciaire d’Agen.

Le jugement entrepris doit être confirmé en ce qui concerne de la rente majorée et des indemnités allouées à laquelle est tenue la caisse primaire d’assurance maladie du Lot et Garonne ainsi qu’en ce qui concerne son action récursoire auprès de la société Creno Impex en application des dispositions des articles L.452-1 à L.452-3 du code de la sécurité sociale, dès lors que l’inopposabilité de la décision de prise en charge de l’accident du travail, que la cour vient de juger, n’y fait pas obstacle.

L’équité justifie l’application faite par les premiers juges au bénéfice de Mme X et de la caisse primaire d’assurance maladie des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile en

première instance et qu’il soit fait application des mêmes dispositions en cause d’appel au bénéfice de Mme X.

Succombant en ses prétentions, la société Creno Impex ne peut utilement solliciter une indemnité sur le même fondement et doit être condamnée aux dépens.

PAR CES MOTIFS,

— Rejette la demande d’audition de M. N B,

— Réforme le jugement entrepris en ce qu’il a déclaré opposable à la société Creno Impex la décision de la caisse primaire d’assurance maladie du Lot et Garonne en date du 16 septembre 2016 reconnaissant le caractère professionnel de l’accident mortel survenu à M. N-R X le 23 septembre 2015 et sur l’indemnité allouée à Mme M A veuve X,

— Le confirme sur le surplus,

Statuant à nouveau des chefs réformés et y ajoutant,

— Dit inopposable à la société Creno Impex la décision de la caisse primaire d’assurance maladie du Lot et Garonne en date du 16 septembre 2016 reconnaissant le caractère professionnel au décès survenu à M. N-R X le 23 septembre 2015,

— Dit que l’indemnité de 20 000 euros allouée par le jugement entrepris en réparation des souffrances endurées par M. N-R X devra être versée par la caisse primaire d’assurance maladie du Lot et Garonne entre les mains du notaire chargé du règlement de la succession de M. N-R X,

— Dit que la caisse primaire d’assurance maladie du Lot et Garonne devra virer les indemnités revenant à Y et Z X sur des comptes ouverts aux noms respectifs de ces deux enfants mineurs, après en avoir préalablement informé le juge des tutelles des mineurs du tribunal judiciaire d’Agen,

— Fixe à la somme de 30 000 euros l’indemnisation du préjudice moral de Mme M A veuve X,

— Rappelle que la caisse primaire d’assurance maladie du Lot et Garonne fera l’avance de la majoration de la rente et des indemnités allouées et en récupérera directement et immédiatement le montant auprès de la société Creno Impex,

— Condamne la société Creno Impex à Mme M A veuve X la somme de 3 500 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

— Déboute la société Creno Impex du surplus de ses demandes,

— Condamne la société Creno Impex aux dépens.

Le présent arrêt a été signé par C. DECHAUX, conseillère faisant fonction de président et N.DIABY, greffier.

LE GREFFIER LA PRÉSIDENTE

N.DIABY C. DECHAUX

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Cour d'appel de Toulouse, 4ème chambre section 3, 18 décembre 2020, n° 19/03869