Cour d'appel de Versailles, Chambre commerciale 3 1, 22 février 2024, n° 22/01333

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CA Versailles, ch. com. 3 1, 22 févr. 2024, n° 22/01333
Juridiction : Cour d'appel de Versailles
Numéro(s) : 22/01333
Importance : Inédit
Décision précédente : Tribunal de commerce de Versailles, 27 janvier 2022, N° 2020F00348
Dispositif : Autre
Date de dernière mise à jour : 27 février 2024
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Sur les parties

Texte intégral

COUR D’APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 57B

Chambre commerciale 3-1

(ex-12e chambre)

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 22 FEVRIER 2024

N° RG 22/01333 – N° Portalis DBV3-V-B7G-VBJ5

AFFAIRE :

S.A.S. LEADER UNDERWRITING

C/

S.A.S. [E]

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 28 Janvier 2022 par le Tribunal de Commerce de VERSAILLES

N° Chambre : 4

N° RG : 2020F00348

Expéditions exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées le :

à :

Me Martine DUPUIS

Me Oriane DONTOT

TC VERSAILLES

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE VINGT DEUX FEVRIER DEUX MILLE VINGT QUATRE,

La cour d’appel de Versailles a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :

S.A.S. LEADER UNDERWRITING agissant tant en som propre qu’en sa qualité de mandataire en France de MIC INSURANCE COMPANY

RCS Versailles n° 750 686 941

[Adresse 4]

[Localité 3]

Représentée par Me Martine DUPUIS de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 625 et Me Charlotte BIERG, Me Luc BIGEL & Me Hamza AKLI du cabinet DLA PIPER FRANCE LLP, Plaidants, avocats au barreau de PARIS, vestiaire : R235

APPELANTE

****************

S.A.S. [E]

RCS Lyon n° 852 529 635

[Adresse 1]

[Localité 2]

Représentée par Me Oriane DONTOT de la SELARL JRF AVOCATS & ASSOCIES, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 617 et Me Matthieu OLLIVRY du cabinet DENTONS, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : T03

INTIMEE

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 07 Décembre 2023 les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Madame Nathalie GAUTRON-AUDIC, Conseiller chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Monsieur François THOMAS, Président,

Madame Nathalie GAUTRON-AUDIC, Conseiller,

Madame Bérangère MEURANT, Conseiller,

Greffier, lors des débats : M. Hugo BELLANCOURT,

EXPOSÉ DES FAITS

La SAS Leader Underwriting, créée en 2003, est un intermédiaire d’assurance inscrit en qualité de courtier auprès du registre ORIAS ; elle est le distributeur exclusif en France des produits d’assurance de la société Millenium Insurance Company Ltd., basée à Gibraltar, spécialiste de l’assurance construction opérant en libre prestation de service (LPS). En décembre 2020, la société Millenium Insurance Company Ltd. a transféré son activité assurantielle en France à la SA MIC Insurance Company, ayant son siège en France.

La SASU [E], créée en 2019, fournit, selon ses statuts, des « prestations de conseil dans le domaine de l’analyse financière et l’actuariat destinées notamment à assister le grand public et les professionnels sur les concepts de solvabilité et gestion des risques. (…) La société contribue à promouvoir la stabilité financière ainsi qu’à favoriser la vulgarisation d’analyses indépendantes afin de faciliter un choix d’assurance éclairé ».

La société Leader Underwriting ainsi que la société MIC Insurance Company s’estiment victimes d’actes de dénigrement commis par la société [E], auteur d’un rapport ('Opinion') relatif à la solvabilité de la société Millenium Insurance Company, rédigé le 3 mars 2020 et diffusé sur les réseaux sociaux ainsi qu’à la presse spécialisée.

Par lettre du 20 avril 2020, le conseil de la société Millenium Insurance Company a mis en demeure la société [E] de faire cesser la diffusion de ce rapport à la presse. Cette lettre est demeurée sans réponse.

Par acte du 10 août 2020, la société Leader Underwriting, en sa qualité de mandataire en France de la société Millenium Insurance Company, a fait assigner la société [E] devant le tribunal de commerce de Versailles.

Par jugement contradictoire du 28 janvier 2022, le tribunal de commerce de Versailles a :

— Déclaré irrecevable la demande de la SAS Leader Underwriting, en qualité de mandataire en France de la société Millenium Insurance Company, pour défaut de qualité à agir ;

— Débouté la SAS Leader Underwriting de l’ensemble de ses demandes ;

— Débouté la SAS [E] de sa demande de dommages et intérêts ;

— Condamné la SAS Leader Underwriting à payer à la SAS [E], la somme de 25.000 € au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;

— Mis les dépens à la charge de la société Leader Underwriting.

Par déclaration du 7 mars 2022, la société Leader Underwriting a interjeté appel du jugement.

PRÉTENTIONS DES PARTIES

Par dernières conclusions notifiées le 6 septembre 2023, la société Leader Underwriting, agissant tant en son nom propre qu’en sa qualité de mandataire en France de la société MIC Insurance Company, demande à la cour de :

— La déclarer recevable et bien fondée en son appel ;

Y faisant droit,

— Infirmer le jugement rendu le 28 janvier 2022 (RG 2020F00348) en ce qu’il a :

— Déclaré irrecevable la demande de la société Leader Underwriting, en qualité de mandataire en France de la société MIC Insurance Company, pour défaut de qualité à agir ;

— Débouté la société Leader Underwriting de l’ensemble de ses demandes ;

— Condamné la société Leader Underwriting au paiement d’une somme de 25.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

— Mis les dépens à la charge de la société Leader Underwriting ;

— Confirmer le jugement rendu le 28 janvier 2022 en ce qu’il a :

— Débouté la société [E] de sa demande de dommages-intérêts pour procédure abusive ;

Statuant à nouveau,

— Déclarer que la société Leader Underwriting dispose de la pleine capacité à agir, tant pour son préjudice que pour celui de la société MIC Insurance Company dont elle justifie du mandat ;

— Déclarer la société Leader Underwriting recevable à agir tant en son nom propre qu’en sa qualité de mandataire en France de la société MIC Insurance Company ;

— Juger que la société [E] a réalisé un acte de dénigrement dont les conséquences dommageables pèsent sur les sociétés Leader Underwriting et MIC Insurance Company ;

— Ordonner la suppression du rapport de la société [E] sur la société MIC Insurance Company de tous médias, réseaux sociaux y faisant référence ;

— Condamner la société [E] à verser à la société Leader Underwriting la somme de 800.398 € au titre de son préjudice financier ainsi que celui de la société MIC Insurance Company causés par l’acte de dénigrement ;

— Condamner la société [E] à verser à la société Leader Underwriting la somme de 350.000 € au titre de son préjudice d’image ainsi que celui de la société MIC Insurance Company causés par l’acte de dénigrement ;

En tout état de cause,

— Déclarer mal fondé l’appel incident de la société [E] et l’en débouter ;

— Condamner la société [E] à verser à la société Leader Underwriting la somme de 15.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

— Condamner la société [E] aux entiers dépens sur le fondement de l’article 699 du code de procédure civile.

Par dernières conclusions notifiées le 31 août 2023, la société [E] demande à la cour de :

— Confirmer le jugement du tribunal de commerce de Versailles en date du 28 janvier 2022 en toutes ses dispositions sauf en ce qu’il a rejeté à la demande de la société [E] pour procédure abusive ;

En conséquence,

— Débouter la société Leader Underwriting de toutes ses demandes, fins et conclusions ;

Statuant à nouveau,

— Condamner la société Leader Underwriting à payer 100.000 € au titre des articles 32-1 et 559 du code de procédure civile ;

— Condamner la société Leader Underwriting à payer 25.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile en appel, ainsi qu’aux entiers dépens, dont distraction au profit de Me Oriane Dontot, JRF & Associés, conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 19 octobre 2023.

Pour un exposé complet des faits et de la procédure, la cour renvoie expressément au jugement déféré et aux écritures des parties ainsi que cela est prescrit par l’article 455 du code de procédure civile.

MOTIFS

Sur la recevabilité de l’action de la société Leader Underwriting

La société [E] soutient que l’action en dénigrement introduite par la seule société Leader Underwriting est irrecevable faute de pouvoirs et de qualité à agir en justice en lieu et place de la société Millenium Insurance Company. Elle fait valoir que l’action en dénigrement fondée sur l’article 1240 du code civil est une action strictement personnelle ; que l’Opinion litigieuse ne vise que la société Millenium Insurance Company et que la société Leader Underwriting, qui n’est pas désignée ou susceptible d’être identifiée dans le rapport, n’est en rien la victime personnelle d’un prétendu dénigrement causé à la société Millenium Insurance Company. Elle observe à cet égard que la lettre de mise en demeure du 20 avril 2020 lui a été adressée par les conseils de cette dernière et non pour le compte de la société Leader Underwriting. Elle rappelle que nul ne plaide par procureur et qu’un mandat de représentation en justice doit être spécial, précis et respecter les dispositions de l’article 1984 du code civil. Elle souligne qu’aucun acte de procédure ne mentionne la société Millenium Insurance Company comme partie au procès. Elle estime que les mandats délivrés par la société MIC Insurance Company et qu’elle critique, les qualifiant notamment de confus et contradictoires, sont inefficaces et ne permettent pas de considérer que la société Leader Underwriting a agi en qualité de mandataire en justice de la société Millenium Insurance Company. Elle observe que dans les décisions de justice invoquées par l’appelante, celle-ci agissait bien en qualité de mandataire de la société Millenium Insurance Company au titre de ses activités d’assurance, donc dans le cadre du mandat spécial confié.

La société Leader Underwriting répond qu’elle dispose de la pleine capacité à agir tant pour son propre préjudice que pour celui de la société MIC Insurance Company, qui l’a mandatée, et qu’en conséquence elle est parfaitement recevable à agir tant en son nom propre qu’en sa qualité de mandataire en France de la société MIC Insurance Company. Elle invoque sa qualité de mandataire exclusif en France de cette dernière, découlant de la technique du 'coverholder’ inspirée du droit britannique de la distribution d’assurance, qui lui a permis de représenter cette société dans tous les actes de gestion et d’administration sur le territoire français et notamment dans le cadre de la représentation de l’assureur devant toutes les juridictions. Elle se prévaut d’une dizaine de décisions qui ont reconnu sa capacité à représenter en justice la société MIC Insurance Company. Elle produit en cause d’appel deux mandat spéciaux de représentation fournis par la société MIC Insurance Company justifiant de sa capacité à agir au nom et pour le compte de celle-ci dans le présent litige et permettant, conformément aux dispositions de l’article 126 du code de procédure civile, de régulariser la situation en appel. Elle précise que, pour s’affranchir des difficultés liées au Brexit, les actifs et le passif de la société Millenium Insurance Company ont été transférés à la société MIC Insurance Company, ce qui permet à cette dernière d’être valablement substituée à la société Millenium Insurance Company dans l’exercice des actions en justice qu’elle a ou qu’elle aurait pu intenter.

La société Leader Underwriting ajoute qu’elle est par ailleurs recevable à agir en son nom propre, en tant que victime des actes de dénigrement de la société [E], n’étant certes pas nommée expressément dans le rapport litigieux mais pourtant bien identifiable, compte tenu du lien spécial et connu de tous qui l’unit à la société MIC Insurance Company en tant que distributeur exclusif en France des produits et des services de cette société.

*****

Selon l’article 122 du code de procédure civile, constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l’adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d’agir, tel le défaut de qualité, le défaut d’intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée.

L’article 126 du même code précise que dans le cas où la situation donnant lieu à fin de non-recevoir est susceptible d’être régularisée, l’irrecevabilité sera écartée si sa cause a disparu au moment où le juge statue.

En l’espèce, il résulte des conclusions d’appel de la société Leader Underwriting que celle-ci déclare agir « tant en son nom propre qu’en sa qualité de mandataire en France de MIC Insurance Company ».

Elle produit en cause d’appel un mandat en date du 12 octobre 2022 par lequel le directeur général délégué de la société MIC Insurance Company lui a donné « mandat spécial, au sens des articles 1984 et suivants du code civil, de représenter les intérêts de MIC Insurance Company dans le litige actuel à l’encontre de la société [E] en raison du dénigrement réalisé par cette dernière à notre encontre et dont appel a été régularisé suivant jugement du tribunal de commerce de Versailles en date du 28 janvier 2022 ».

Par ce mandat, la société MIC Insurance Company a donné à la société Leader Underwriting mandat d’agir en justice pour représenter ses intérêts dans le différend qui l’oppose à la société [E], sachant qu’il ressort des pièces versées aux débats (pièce 31 appelante : compte-rendu de la réunion du conseil d’administration de la société Millenium Insurance Company du 21 avril 2020 ; pièce 25 appelante : article du 18 février 2021 extrait de L’Argus de l’assurance) que courant décembre 2020, la société Millenium Insurance Company, basée à Gibraltar, a transféré son portefeuille de contrats d’assurance à la société MIC Insurance Company SA, créée à cet effet sur le territoire français et chargée de porter l’activité assurantielle en France de cette compagnie, après avoir obtenu l’agrément de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR).

Il a été rappelé supra que l’irrégularité tenant à l’absence de pouvoir peut être régularisée avant que le juge statue, ce qui est bien le cas avec ce mandat. Dès lors, il convient de retenir que la société Leader Underwriting dispose de la capacité à agir au nom et pour le compte de la société MIC Insurance Company, par infirmation du jugement entrepris.

S’agissant de son propre intérêt à agir, il est établi et non discuté que la société Leader Underwriting a été le distributeur exclusif en France des produits et des services de la société Millenium Insurance Company. Le mandat du 12 octobre 2022 dont il vient d’être fait état rappelle que la société Leader Underwriting distribue depuis plus de 10 ans les polices portées par la société Millenium Insurance Company et que leurs images sont intimement liées, ce que confirment au demeurant les articles de la presse spécialisée versés aux débats.

Aussi, et bien que la société Leader Underwriting ne soit effectivement pas nommée dans le rapport ('Opinion') rédigé le 3 mars 2020 par la société [E], les critiques portées sur la solvabilité de la société Millenium Insurance Company sont susceptibles d’avoir une incidence sur l’activité et la réputation de son courtier en France. Il s’en déduit que l’appelante a un intérêt à agir également pour son propre compte dans la présente instance.

La société Leader Underwriting sera en conséquence déclarée recevable à agir tant en son nom propre qu’en sa qualité de mandataire en France de la société MIC Insurance Company.

Sur le dénigrement

L’appelante prétend que le contenu du rapport publié par la société [E] est constitutif de dénigrement au sens de l’article 1240 du code civil et que ce dénigrement a engendré pour elle et la société MIC Insurance Company un préjudice considérable qu’il convient de réparer. Elle rappelle les éléments constitutifs du dénigrement et les considère réunis, comme le démontrent le rapport litigieux et les articles publiés dans la presse. Elle explique que les spécificités techniques, administratives et juridiques de l’assurance construction ont pour effet de nécessiter le respect de normes comptables et actuarielles particulièrement strictes pour les assureurs autorisés à pratiquer de telles activités et que si l’ACPR n’est pas l’autorité de tutelle des assureurs agissant sous le régime du passeport européen, elle est néanmoins tout à fait fondée à prononcer à leur encontre des sanctions disciplinaires. Elle fait valoir que la société [E] est un actuaire, soit un professionnel du monde de l’assurance ; qu’elle était totalement informée du contexte anxiogène de l’assurance construction où plusieurs assureurs, agissant tout comme la société Millenium Insurance Company sous le schéma de la LPS (libre prestation de service), ont été placés en liquidation judiciaire ; qu’elle était également parfaitement informée de ce que la majorité des rapports sur les activités des assureurs sont soumis aux régulateurs concernés et ne sont pas publics ; qu’en émettant son rapport contenant des formulations dénigrantes et récurrentes, en surlignant plusieurs termes en caractères gras, en mettant uniquement en avant des sujets selon elle douteux, en instillant le soupçon, en affirmant que la société MIC Insurance Company ne serait pas conforme au droit européen et en l’assimilant aux précédentes faillites, elle connaissait pertinemment l’impact de son rapport sur la clientèle des sociétés MIC Insurance Company et Leader Underwriting. Elle évoque « l’acharnement » dont fait preuve la société [E] à l’encontre de la société MIC Insurance Company. Elle observe que l’intimée tente aujourd’hui d’affirmer par la voix de son conseil « qu’elle n’a jamais édité ou publié sous son nom sur les faillites précédentes des assureurs en LPS » mais qu’une rapide recherche permet d’identifier un article de M. [S] [F] (président de la société [E]) cosigné avec M. [G] [T] intitulé « Jauger la solvabilité d’un assureur : un art difficile » dans lequel, l’intimée s’étend sur « les défaillances d’assureurs étrangers opérant sous le régime de la libre prestations de services » (pièce 27 : Article Tribune de l’Assurance) et que dans le dossier de presse de la société [E] deux pages entières sont dédiées à la faillite des assureurs (pièce 21: Dossier de presse « Des exemples récents de faillites »). Elle avance que la société [E] donne ainsi l’illusion d’avoir procédé à une analyse objective, alors qu’il n’en est rien, bien au contraire.

Après avoir procédé à un rappel juridique sur la notion de dénigrement sans situation de concurrence dans le cadre du droit à l’information des consommateurs, la société [E] répond qu’elle n’a fait qu’user de sa liberté d’expression et utilisé des propos mesurés, objectifs et fondés, dans l’unique but d’informer le grand public. Elle expose que son objet social et sa raison d’être est de fournir à ce dernier une information neutre, technique et actuarielle portant sur les données financières et prudentielles des acteurs de l’assurance, et ce dans un simple but de vulgarisation. Elle soutient que l’Opinion querellée ne critique en rien les services et produits d’assurance de Millenium Insurance Company mais s’interroge uniquement sur la transparence de ses données financières et sur son respect de la réglementation prudentielle, qu’elle ne recherche aucun avantage concurrentiel, qu’elle ne manifeste aucune intention malveillante, qu’elle repose sur des éléments objectifs, corroborés par la suite par les critiques bien plus virulentes de la presse professionnelle, qu’elle est exprimée en termes mesurés. Elle compare son activité en matière prudentielle et d’assurance avec celle des analystes financiers, qui doivent pouvoir exercer leur libre critique des produits financiers, des émetteurs et sociétés cotées sans craindre des actions en justice en dénigrement. Elle estime que la démarche de la société Leader Underwriting est un dévoiement à des fins de pression commerciale d’une action en justice visant à priver la société [E] de sa liberté d’information des consommateurs sur des éléments de critiques mesurés et techniques. Elle insiste sur l’emploi dans le rapport du conditionnel ainsi que de la forme interrogative. Elle fait observer qu’il aurait suffi à la société Millenium Insurance Company de transmettre les informations manquantes, respectant ainsi la réglementation applicable, tout en indiquant qu’elle ne remet pas en cause le travail et les validations de l’autorité de contrôle de Gibraltar à laquelle était soumise la société Millenium Insurance Company. L’intimée énonce qu’elle n’a fait que s’interroger sur le manque de transparence de cette dernière, sur l’accroissement sans autre explication de ses fonds propres et sur la hausse extrêmement forte de ses actifs immobiliers, sans toutefois exprimer son avis sur le niveau de provisionnement des sinistres. Elle précise que l’Opinion date du 3 mars 2020 et porte exclusivement sur les données financières disponibles à cette date sur la seule société de droit de Gibraltar, Millenium Insurance Company ; qu’elle ne porte ni sur la nouvelle société française, MIC Insurance Company, ni sur la procédure d’agrément de celle-ci, ni sur le transfert de portefeuille clients réalisé pour créer cette nouvelle activité. En réponse aux accusations adverses, qu’elle qualifie de fausses et malveillantes, elle expose qu’elle n’est ni courtier, ni intermédiaire d’assurance ; que M. [F] n’a manqué à aucune obligation déontologique ; que la société [E] ne compte aucun associé, M. [T] ne présentant aucun lien juridique avec elle ; que la société Millenium Insurance Company n’est aucunement une « cible » et que la société [E] s’est contentée de produire une seule Opinion, objective et mesurée, sur cette société, son activité étant par ailleurs très variée et impliquant différents sujets et acteurs de l’assurance.

*****

L’article 1240 du code civil prévoit que tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.

Caractérise un acte de dénigrement constitutif de concurrence déloyale le fait de jeter le discrédit sur une entreprise concurrente en répandant dans le public des informations malveillantes sur les produits, les services ou la personne d’un concurrent, peu important qu’elles soient exactes et peu important l’existence d’une concurrence réelle entre les produits/services/sociétés en cause. L’action en concurrence déloyale suppose seulement l’existence d’une faute, sans requérir un élément intentionnel.

En l’espèce, la société Leader Underwriting reproche à la société [E] des actes de dénigrement découlant de la diffusion publique à toute la presse spécialisée d’un rapport ('Opinion') et de citations dans la presse à l’encontre des services et de la solvabilité de la société MIC Insurance Company, anciennement Millenium Insurance Company, et de son représentant exclusif en France.

Il convient de rechercher si les agissements litigieux ont ou non dépassé le droit de libre critique, conforme aux usages commerciaux.

Le rapport dont il est fait état, composé de 8 pages, a été publié le 3 mars 2020 par la société [E] sous le titre « Interrogations sur le niveau de solidité financière d’un assureur : Millenium Insurance Company Limited » et mentionne dès la première page :

« ' Un manque de transparence (malgré des obligations réglementaires) et une qualité des données perfectibles,

' Un niveau de fonds propres sujet à de nombreux questionnements (les valorisations de certains actifs et passifs sont surprenantes notamment en raison de leurs brusques et importantes évolutions 'favorables'),

' Des exigences de capital (SCR), calculées par l’assureur, réduites grâce notamment à des hypothétiques produits futurs. » [en caractères gras dans le rapport].

Il est établi que ce rapport a été diffusé sur les réseaux sociaux et cité par le journal Les Echos du 17 avril 2020 dans un article intitulé « Inquiétudes sur le dernier assureur de Gibraltar encore actif en France » ainsi que par le journal La Tribune de l’assurance dans son édition du 20 avril 2020 sous le titre « Encore du MIC mac dans l’assurance construction ! ». L’article des Echos reprend l’interrogation de la société [E], selon laquelle « Les fonds propres de MIC sont sujets à de nombreux questionnements », en indiquant que la société Millenium Insurance Company a « dopé » son ratio de solvabilité en revalorisant son parc immobilier ou encore en relevant « un manque de diversification notoire dans ses investissements ». L’article de La Tribune de l’assurance mentionne à titre de préambule que « La solvabilité du survivant des assureurs construction opérant en LPS depuis Gibraltar [présenté plus avant dans l’article comme un « rescapé du mouvement de faillites qui a frappé le secteur de l’assurance construction »] pose toujours question en France. Dans une analyse publiée ce lundi, l’actuaire [E] s’interroge sur le niveau de solidité financière de Millenium Insurance Company (MIC). La faute, selon lui, à un manque de transparence des données mises à disposition du public par la compagnie ». L’appelante démontre que M. [F], président de la société [E], a relayé ces propos sur les réseaux sociaux.

La lecture du rapport de la société [E] révèle que tout en citant des données objectives, reposant sur des éléments chiffrés rendus publics et soumis au contrôle de la Commission des services financiers de Gibraltar (autorité de contrôle à laquelle était soumise la société Millenium Insurance Company Ltd. du fait de son implantation à Gibraltar), l’auteur du rapport se livre à des conjectures, pour aboutir à remettre en cause la solvabilité de l’assureur et implicitement sa capacité à assumer ses engagements vis-à-vis de ses assurés et ce, comme le souligne l’appelante, dans un contexte particulier et alors bien connu du secteur de l’assurance où plusieurs entreprises d’assurance immatriculées au sein de différents Etats membres de l’Union Européenne et opérant en France ont connu des difficultés financières ayant conduit quelques unes d’entre elles à des liquidations (Gable Insurance AG au Liechtenstein, Elite Insurance Company Ltd. à Gibraltar, CBL Insurance DAC en Irlande, Alpha Insurance au Danemark), ces défaillances ayant été préjudiciables pour les assurés français qui ont été privés pour certains de couverture d’assurance.

Outre les citations reprises dans les articles de presse susvisés des Echos et de la Tribune de l’assurance, il peut notamment être relevé dans le rapport litigieux les commentaires suivants :

— « contrairement aux obligations réglementaires précisées dans l’article 292 du Règlement Délégué (UE) 2015/35 de la Commission Européenne du 10 octobre 2014, les SFCR [Solvency & Financial Condition Report – Rapport sur la solvabilité et la situation financière] de Millennium Insurance Company Limited ne semblent [souligné par la cour] pas mettre suffisamment en évidence les changements importants survenus dans l’activité et les résultats de l’entreprise d’assurance » : sur ce point, l’appelante répond sans être utilement contredite que la société n’a pas subi de changement important cette année-là. Ainsi, dès le début du rapport, la société [E] instille le doute sur le sérieux et la fiabilité de l’assureur.

— « la pertinence du programme de réasssurance de MIC semble poser question [souligné par la cour]. En effet, malgré les très fortes pertes survenues ces dernières années sur certains segments d’activité, les S/P de réassurance (sinistres cédés / primes cédées) ont largement été inférieurs à 50% ces trois dernières années (entre 2016 et 2018) d’où peut être [souligné par la cour] un déséquilibre financier entre réassureurs et cédante » : l’appelante objecte, sans être contredite, que la société [E] n’a pas accès aux informations relatives à son programme de réassurance et qu’en outre, pour analyser correctement le résultat de réassurance, il faudrait prendre en compte les commissions versées par les réassureurs ; l’intimée ne répond pas sur ce point. Or, le souci, revendiqué par la société [E], d’informer le grand public, ne peut la conduire à livrer une analyse dénuée de fondement et reposant essentiellement sur des suppositions, qui aboutissent par les termes employés à dévaloriser la société Millenium Insurance Company.

— « la valorisation des actifs semble étonnante [souligné par la cour]. Effectivement, la valeur des biens immobiliers de MIC a crû de plus de 125% (+17 M€) entre 2017 et 2018. Cette évolution fait suite à une importante hausse (environ +50%) de la valorisation de cette même catégorie d’actifs entre 2016 et 2017. La valeur du parc immobilier a donc augmenté entre 2016 et 2018 de plus de 230%. Aussi, la rentabilité 2018 des biens immobiliers de MIC semble faible illustrant potentiellement une éventuelle surestimation [souligné par la cour] de leur valeur de marché » : l’appelante souligne que la société [E] fait ainsi croire à une surévaluation de ses biens immobiliers existants alors qu’en réalité, suite à l’augmentation de capital réalisée par la société Millenium Insurance Company en 2017, celle-ci a bénéficié de l’apport de nouveaux biens immobiliers, d’où l’augmentation de la valeur du parc immobilier. Une fois encore, l’auteur du rapport, sans disposer de toutes les informations nécessaires et sous couvert d’interrogations, se permet de tirer des conclusions négatives concernant la valeur des actifs de l’assureur et partant sa solidité financière.

De manière générale, la cour observe que le rapport de la société [E] laisse entendre que la société Millenium Insurance Company ne se conforme pas aux critères prudentiels en arguant d'« un manque de transparence malgré des obligations règlementaires » ou de l’absence de certaines informations pourtant obligatoires, laissant ainsi planer un sérieux doute sur la légalité de son activité.

Le rapport se conclut ainsi : « Malgré le ratio de solvabilité réglementaire de 144 % présentés dans le SFCR 2018 (Rapport sur la solvabilité et la situation financière) de MIC, [E] s’interroge sur le niveau de solidité financière de cet assureur.

En effet, des manquements ont été identifiés en matière de transparence et de qualité des données communiquées. [E] encourage ainsi la société Millenium Insurance Company à publier des précisions sur les différents points soulevés dans cette publication.

Par ailleurs, les valorisations de certains actifs et passifs peuvent parfois sembler optimistes. (…) l’utilisation par MIC de méthodologies de calcul plus prudentes associée à la prise en compte de la baisse des taux et des révisions réglementaires prudentielles à venir pourraient conduire à une diminution significative du ratio de solvabilité de la société. (…)

En outre, la stratégie d’investissements de MIC semble paraître peu appropriée sur le long terme. Des potentiels axes d’amélioration ont également été identifiés dans la gestion des risques de MIC, sa qualité de souscription et son programme de réassurance.

L’opinion de [E] pourrait être amenée à évoluer suivant d’éventuelles nouvelles informations transmises par l’assureur à [E] ou bien rendues publiques.

Des éclairages de la part de la société Millenium Insurance Company Limited aux nombreuses interrogations soulevées ci-dessus seraient fortement appréciables. Ils permettraient notamment à [E] d’affiner (et éventuellement revoir) son opinion sur le niveau de solidité financière de cet assureur. » [en caractères gras dans le rapport].

Il sera observé qu’après avoir employé dans le rapport des termes du type « semble », « paraît », « peut-être » et entretenu à dessein le flou sur la solidité financière de la société Millenium Insurance Company, le rapport se conclut sur un ton particulièrement affirmatif en visant notamment des manquements en matière de transparence et de qualité des données, renvoyant le lecteur à une mauvaise image de l’assureur. Le fait également d’utiliser tout au long du rapport, et spécifiquement dans son introduction et sa conclusion, des caractères gras pour les mots importants accentue encore la présentation négative qui est faite de la société.

En outre, l’auteur du rapport conclut son propos en indiquant qu’il serait éventuellement disposé à réviser son opinion si la société Millenium Company acceptait de transmettre de nouvelles informations. Pour autant, la société [E], qui dénonce de façon péremptoire le manque de transparence de la société Millenium Company, ne justifie pas avoir sollicité de cette dernière un quelconque complément d’information, préalablement à l’écriture de son rapport.

Au regard de l’ensemble de ces éléments, la cour dira que les termes employés par la société [E] dans son rapport en date du 3 mars 2020 présentent un caractère dénigrant pour la société Millenium Insurance Company, dont l’activité assurantielle en France est désormais exercée par la société MIC Insurance Company, en ce qu’ils sont de nature à entacher l’image de l’assureur auprès de ses clients et partenaires, ainsi qu’en attestent les courriers produits par l’appelante (ses pièces 16 et 20).

Bien que la société Leader Underwriting ne soit pas nommée dans le rapport de la société [E], il ne peut être sérieusement contesté qu’il était notoire dans le secteur de l’assurance que cette société était le distributeur exclusif en France des produits de la société Millenium Insurance Company. Aussi convient-il de retenir également l’existence d’une faute de la société [E] à son égard, par infirmation du jugement entrepris.

Sur les préjudices subis par les sociétés Leader Underwriting et MIC Insurance Company

L’appelante soutient que les propos dénigrants répétés et relayés de la société [E] lui ont causé un lourd préjudice financier de même qu’à la société MIC Insurance Company. Elle fait valoir que suite à la publication du rapport incriminé, de nombreux clients et partenaires ont exprimé leurs plus vives inquiétudes quant à la prétendue incapacité de la société MIC Insurance Company à assumer ses engagements, ce qui a eu un impact direct sur la capacité de la société Leader Underwriting à conserver ses clients assurés auprès la société MIC Insurance Company, assimilée aux assureurs défaillants, ainsi qu’à acquérir de nouveaux clients. Elle souligne que la société MIC Insurance Company était en cours de demande d’agrément auprès de l’ACPR et que l’émission du rapport [E], facilement accessible sur internet et relayé par la presse spécialisée, aurait pu remettre en cause une possible délivrance d’agrément. Elle affirme que les propos dénigrants de la société [E] ont nécessairement eu pour effet d’affaiblir l’image de la société MIC Insurance Company et de son distributeur exclusif en France ; qu’ils ont eu un réel impact sur le nombre d’affaires nouvelles souscrites auprès de la société MIC Insurance Company par l’intermédiaire de la société Leader Underwriting, qui a drastiquement chuté dans les semaines qui ont suivi la publication du rapport [E]. Elle indique que le préjudice financier ainsi subi par la société Leader Underwriting a été évalué par son expert-comptable à la somme de 318.398 €, auquel il faut ajouter le préjudice financier lié au nombre de résiliations ou de non-renouvellements des affaires existantes qui s’élève à 82.000 €, et que le préjudice financier subi par la société MIC Insurance Company doit être évalué à 400.000 €, soit un préjudice financier total de 800.398 €.

La société Leader Underwriting ajoute qu’au-delà du préjudice financier, elle a ainsi que la société MIC Insurance Company subi un préjudice d’image estimé à 350.000 €. Elle sollicite en conséquence la condamnation de la société [E] à lui payer la somme globale de 1.150.398 € en réparation des préjudices subis, dont elle affirme qu’ils sont nécessairement en lien avec ses propos dénigrants.

La société [E] répond que, même à imaginer qu’elle aurait commis une faute, ce qui n’est pas le cas, la société Leader Underwriting ne rapporte pas la preuve d’un lien de causalité entre cette faute et les préjudices allégués, dont il est demandé réparation à hauteur de la somme exorbitante de plus d’un million d’ €. Elle prétend qu’au jour de l’édition de son Opinion en mars 2020, elle n’était en rien informée des projets des actionnaires de la société Millenium Insurance Company ; qu’elle ne saurait être tenue responsable du Brexit et du fait que Gibraltar est un quasi-paradis fiscal à la législation assez « libérale » ; que la procédure passée d’agrément de la société MIC Insurance Company ne la concerne en rien ; qu’au demeurant, celle-ci a obtenu son agrément ; qu’ainsi l’Opinion de [E] n’a eu aucun impact négatif ; qu’en outre le Groupe Leader Insurance a connu une croissance de chiffre d’affaires de 14,7 % en 2020. Elle critique l''Attestation de mission’ qui a permis la nouvelle évaluation du préjudice financier de l’appelante et soutient qu’en réalité ce document démontre l’absence de préjudice subi. Elle indique que les baisses de chiffre d’affaires constatées dans l''Attestation de mission’ ont été causées par le Covid ; que la période considérée correspond également pour la société Leader Underwriting et le groupe MIC à une grande période d’instabilité en raison de l’entrée en application du Brexit. Elle relève que le préjudice financier de la société MIC Insurance Company est évalué « à la louche » à la somme de 400.000 € et qu’il en va de même du préjudice d’image fixé de manière péremptoire à 350.000 €. Elle conclut enfin que toute condamnation indemnitaire impliquerait la faillite immédiate de la société [E], qui a généré un chiffre d’affaires de 2.000 € pour un résultat de 165 € au titre de son premier exercice 2019-2020.

*****

Il s’infère nécessairement d’actes de dénigrement constitutifs de concurrence déloyale un trouble commercial générant un préjudice, fût-il seulement moral.

En l’espèce, l’appelante ne justifie pas du préjudice financier allégué. S’agissant de celui qu’aurait subi la société MIC Insurance Company, elle n’explicite pas la somme de 400.000 € dont elle réclame le paiement. S’agissant du préjudice financier subi par la société Leader Underwriting pour le portefeuille de contrats d’assurance portés par MIC Insurance Company et souscrits en France, elle produit certes une attestation de son expert-comptable faisant état d’une variation de la marge commerciale sur affaires nouvelles de – 318.398 €, par comparaison des périodes d’avril à décembre 2019 et d’avril à décembre 2020, mais ne démontre pas que cette baisse est en lien avec le dénigrement de la société [E]. Elle invoque aussi un préjudice financier lié au nombre de résiliations ou de non-renouvellements des affaires existantes qui s’élèverait à 82.000 € mais ne justifie pas de la moindre résiliation ou du moindre non-renouvellement de contrat par un client, se limitant à verser aux débats le courrier en date du 28 avril 2020 d’un client qui fait part de son inquiétude après « la lecture d’un article provenant de [E] » et évoquant la possibilité de résilier son contrat d’assurance, ainsi que deux courriers des 27 et 29 avril 2020 de deux sociétés d’assurance réclamant des éléments pour rassurer leurs clients et éviter un transfert de portefeuille. Enfin, le rapport de la société [E], bien que dénigrant à l’égard de la société Millenium Insurance Company, n’a pas empêché la société MIC Insurance Company d’obtenir en décembre 2020 l’agrément de l’ACPR lui permettant de proposer ses produits aux assurés français. La demande d’indemnisation d’un préjudice financier, qui n’est en l’état pas démontré, ne peut donc prospérer.

La cour retiendra en revanche l’existence d’un préjudice moral et spécifiquement d’image en relation avec le dénigrement subi. En effet, les courriers susvisés des 27, 28 et 29 avril 2020 (pièces 16 et 20 Leader Underwriting) démontrent que le rapport litigieux, par son caractère malveillant, a porté atteinte à la réputation de la société Millenium Insurance Company et ainsi à celle de son représentant exclusif en France, la société Leader Underwriting, les clients et partenaires manifestant dans ces courriers leur inquiétude quant à la fiabilité et à la solvabilité de l’assureur. Au surplus et comme indiqué précédemment, l’image négative que donne le rapport de la société Millenium Insurance Company a été relayée par la presse spécialisée (Cf. Articles des Echos et de la Tribune de l’assurance évoqués supra), et ce dans le contexte de faillites déjà rappelé. En conséquence, la cour fera une juste évaluation de ce préjudice d’image en condamnant la société [E] à verser à la société Leader Underwriting la somme de 20.000 € à ce titre, étant observé que l’intimée ne communique aucun élément sur sa situation financière actuelle comme passée.

Sur les demandes de suppression du rapport et de publication de la décision

L’appelante sollicite de la cour qu’elle ordonne « la suppression du rapport de [E] sur MIC Insurance Company de tous médias, réseaux sociaux y faisant référence ».

L’intimée s’y oppose en faisant valoir qu’en l’absence de toute faute, de tout préjudice et compte tenu de la volonté de nuire de la société Leader Underwriting, cette demande ne peut qu’être rejetée, d’autant plus qu’elle est formulée de manière trop générique par l’appelante.

*****

Il sera d’abord rappelé qu’en vertu de l’article 954 alinéa 3 du code de procédure civile, la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif des conclusions, de sorte que la demande d’astreinte ainsi que celle aux fins de publication de la décision à intervenir sur le site internet de la société [E], qui sont uniquement abordées dans les motifs des conclusions de la société Leader Underwriting (page 37), ne seront pas examinées.

S’agissant de la demande de suppression du rapport, elle apparaît en effet trop générale pour prospérer, la société Leader Underwriting ne précisant pas quels médias ou réseaux sociaux elle vise. Il convient d’ajouter que le rapport est maintenant relativement ancien, que l’activité assurantielle de la société Millenium Insurance Company dont il est fait état dans ce rapport a été transférée à la société de droit français MIC Insurance Company, de sorte qu’au jour où la cour statue, la demande de suppression ne se justifie plus.

Le jugement entrepris doit en conséquence être confirmé sur ce point.

Sur la procédure et l’appel abusifs

La société [E] sollicite, au visa des articles 32-1 et 559 du code de procédure civile, la condamnation de la société Leader Underwriting à lui payer la somme de 100.000 € pour procédure et appel abusifs en réparation des préjudices subis. Elle fait valoir qu’en première instance, la présente « procédure bâillon » a été engagée dans le seul but de faire taire un analyste financier pour ne pas gêner une procédure d’agrément ; qu’en appel, cette action, qu’elle estime infondée et qui est désormais dénuée de toute actualité et pertinence, a été maintenue pour des raisons financières parfaitement étrangères à la manifestation de la vérité. Elle souligne qu’un appel ne saurait se résumer à une voie de réformation sur l’article 700 du code de procédure civile. Elle fait état d’un préjudice d’image pour la société mais aussi d’un préjudice en termes de perte de temps de travail et de gain manqué pour son président, ce dernier ayant également subi un préjudice lié au stress induit par l’agressivité et la fausseté des accusations de la société Leader Underwriting.

La société Leader Underwriting estime que la demande de la société [E] pour procédure et appel abusifs est infondée. Elle expose qu’en faisant appel de la décision du tribunal de commerce de Versailles, elle a souhaité non seulement en demander la réformation en ce qu’il l’a condamnée au paiement de la somme de 25.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile mais aussi obtenir la condamnation de la société [E] pour les actes de dénigrement qu’elle a commis. Elle rappelle, au visa de références jurisprudentielles, que le simple fait de reprendre les mêmes conclusions qu’en première instance n’est pas suffisant pour caractériser un abus du droit d’appel et que l’abus d’exercice d’une voie de recours ne résulte pas du seul caractère infondé et abusif de la procédure. Elle fait observer que la société [E] ne démontre en rien l’existence des préjudices allégués alors pourtant qu’elle sollicite sa condamnation à lui payer une somme qu’elle qualifie d’exorbitante et fantaisiste.

*****

Au regard de la solution du litige, la demande de dommages et intérêts formulée par la société [E] au titre de la procédure abusive ne peut prospérer.

Le jugement entrepris sera confirmé de ce chef.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

Les dispositions du jugement déféré relatives aux dépens et à l’article 700 du code de procédure civile seront infirmées.

En application des articles 696 et 699 du code de procédure civile, la société [E] supportera les entiers dépens de première instance et d’appel. Elle sera en outre condamnée à verser à la société Leader Underwriting la somme de 5.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La COUR, statuant publiquement, par arrêt contradictoire,

INFIRME le jugement rendu le 28 janvier 2022 par le tribunal de commerce de Versailles sauf en ce qu’il a débouté la société Leader Underwriting de sa demande de suppression du rapport de la société [E] de tous medias et en ce qu’il a débouté la société [E] de sa demande de dommages-intérêts pour procédure abusive ;

Statuant à nouveau et y ajoutant,

DÉCLARE la société Leader Underwriting recevable à agir tant en son nom propre qu’en sa qualité de mandataire en France de la société MIC Insurance Company ;

DIT que la société [E] s’est rendue coupable d’actes de dénigrement au préjudice de la société Leader Underwriting et de la société MIC Insurance Company ;

CONDAMNE la société [E] à verser à la société Leader Underwriting la somme de 20.000 € à titre de dommages-intérêts en réparation de son préjudice d’image et de celui de la société MIC Insurance Company ;

CONDAMNE la société [E] aux entiers dépens de première instance et d’appel, dans les conditions de l’article 699 du code de procédure civile ;

CONDAMNE la société [E] à verser à la société Leader Underwriting la somme de 5.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

REJETTE toute autre demande.

Prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

Signé par Madame Bérangère MEURANT, Conseiller pour le Président empêché, et par M. BELLANCOURT, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le greffier, Le conseiller,

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Textes cités dans la décision

  1. Code de procédure civile
  2. Code civil
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Cour d'appel de Versailles, Chambre commerciale 3 1, 22 février 2024, n° 22/01333