Cour de cassation, Chambre criminelle, 4 décembre 2019, 18-85.205, Inédit

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
Cass. crim., 4 déc. 2019, n° 18-85.205
Juridiction : Cour de cassation
Numéro(s) de pourvoi : 18-85.205
Importance : Inédit
Décision précédente : Cour d'appel d'Orléans, 16 juillet 2018
Textes appliqués :
Articles 2 et 593 du code de procédure pénale et 1382 devenu 1240 du code civil.
Dispositif : Cassation partielle
Date de dernière mise à jour : 14 décembre 2021
Identifiant Légifrance : JURITEXT000039621729
Identifiant européen : ECLI:FR:CCASS:2019:CR02417
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Sur les parties

Texte intégral

N° M 18-85.205 F-D

N° 2417

EB2

4 DÉCEMBRE 2019

CASSATION PARTIELLE

Mme DE LA LANCE conseiller le plus ancien non empêché, faisant fonction de président,

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

________________________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

_________________________

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, a rendu l’arrêt suivant :

M. T… E… et M. J… Q… ont formé des pourvois contre l’arrêt de la cour d’appel d’Orléans, chambre correctionnelle, en date du 17 juillet 2018, qui a condamné, le premier, du chef de complicité d’usage de faux en écriture, le second, des chefs d’abus de confiance et usage de faux, à un an d’emprisonnement avec sursis, et a prononcé sur les intérêts civils.

La COUR, statuant après débats en l’audience publique du 23 octobre 2019 où étaient présents dans la formation prévue à l’article 567-1-1 du code de procédure pénale : Mme de la Lance, conseiller le plus ancien non empêché, faisant fonction de président en remplacement du président empêché, Mme Planchon, conseiller rapporteur, Mme Zerbib, conseiller de la chambre.

Greffier de chambre : Mme Darcheux.

Sur le rapport de Mme le conseiller PLANCHON, les observations de la société civile professionnelle FOUSSARD et FROGER et de la société civile professionnelle LYON-CAEN et THIRIEZ, la société civile professionnelle BARADUC, DUHAMEL et RAMEIX, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l’avocat général PETITPREZ.

Les pourvois sont joints en raison de la connexité.

Des mémoires ont été produits, en demande et en défense.

Faits et procédure

1. Il résulte de l’arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.

2. Le 24 mai 2006, le dirigeant de la société Baudin-Chateauneuf, entreprise de bâtiments et de travaux publics, spécialisée dans la construction de ponts, a déposé plainte avec constitution de partie civile au nom de sa société des chefs de faux et usage, escroquerie en bande organisée, abus de confiance, subornation de témoin et corruption, mettant en cause, notamment, M. T… E…, […], et M. Q…, […], détaché par la société Saria Technologie.

3. Selon la partie civile, la société Baudin Chateauneuf ayant obtenu la maîtrise d’oeuvre d’un marché de construction d’un pont et des routes d’accès à […], au lieudit de […] (Cameroun), avait envoyé sur place M. Q… pour occuper le rôle de directeur des travaux.

4. Le montant du projet s’élevait à 5 600 000 euros financés par l’intermédiaire de l’Agence Française de Développement (AFD) et devait dégager un bénéfice d’environ 600 000 euros au profit de la société Baudin Chateauneuf.

5. Cependant, celle-ci a constaté des pertes importantes, pour un montant total d’un million d’euros, en juin 2004.

6. Selon l’enquêteur privé mandaté par la société Baudin Chateauneuf pour enquêter au Cameroun, plusieurs entrepreneurs locaux, dont certains ont établi des attestations, ont expliqué avoir traité des chantiers parallèles, moyennant des commissions, avec M. Q… qui, soit, fournissait le personnel, les moyens de transport et les matériaux appartenant à la société Baudin Chateauneuf, soit se les procurait, à des prix exorbitants, avec la complicité des entreprises locales, et procédait au règlement des factures sur les fonds dont il avait la gestion dans le cadre du chantier de construction du pont.

7. A l’issue de l’information, le juge d’instruction a ordonné le renvoi devant le tribunal correctionnel des mis en examen, et notamment, de M. E…, du chef de complicité d’usage de faux et de M. Q… des chefs d’abus de confiance et usage de faux.

8. Par jugement en date du 10 décembre 2015, le tribunal correctionnel a déclaré les deux prévenus coupables des faits reprochés et les a condamnés, tous les deux, à un an d’emprisonnement avec sursis.

9. Sur les intérêts civils, il a déclaré recevable la constitution de partie civile de la société Baudin Chateauneuf et condamné MM. Q… et E… à lui payer, respectivement, la somme de 513 158 euros et la somme de 27 440 euros au titre de son préjudice financier, celle de 10 000 euros au titre de son préjudice moral, outre la somme de 7 000 euros au titre de l’article 475-1 du code de procédure pénale.

10. Les deux prévenus et le ministère public ont interjeté appel de cette décision.

Examen de la recevabilité du pourvoi de M. Q…

11. L’arrêt attaqué mentionne que le président a déclaré que l’arrêt serait prononcé le 12 juin 2018 et que ledit jour, le président a déclaré que le délibéré était prorogé et que l’arrêt serait prononcé le 10 juillet 2018.

12. L’arrêt a finalement été rendu le 17 juillet 2018, contradictoirement à l’égard, notamment, de M. Q….

13. Celui-ci s’est pourvu en cassation contre cette décision le 30 juillet 2018.

14. Les défendeurs font valoir que ce pourvoi est irrecevable car formé au delà du délai de 5 jours franc prévu par l’article 568 du code de procédure pénale.

15. Toutefois, en l’absence de mention dans l’arrêt attaqué de l’avis prévu à l’article 462 du code de procédure pénale informant les parties que le délibéré a été prorogé au 17 juillet 2018, date à laquelle il a effectivement été rendu, et aucune signification n’ayant été faite au demandeur, le délai de pourvoi n’a pu commencer à courir.

16. En conséquence, il convient de déclarer recevable le pourvoi de M. Q….

Examen des moyens

Sur les premier, deuxième et troisième moyens proposés pour M. E… et pour M. Q…

17. Ils ne sont pas de nature à être admis, en application de l’article 567-1-1 du code de procédure pénale.

Mais sur le quatrième moyen proposé pour M. Q…

Enoncé du moyen

18. Le moyen est pris de la violation des articles des articles 1382 (devenu l’article 1240) du code civil, 314-1 du code pénal, 2, 3, 459, 464, 512, 591 et 593 du code de procédure pénale.

19. Le moyen critique l’arrêt attaqué "en ce que l’arrêt attaqué a condamné M. Q… à verser à la Société Baudin Chateauneuf la somme de 55 811 euros, celle 27 440 euros, solidairement avec M. E…, au titre de l’usage de fausses factures, et celle de 5000 euros au titre de son préjudice moral :

1°) alors que seul doit être réparé un préjudice direct, personnel, actuel et certain causé par l’infraction ; que, dans ses conclusions, le prévenu soutenait qu’il avait payé les sommes visées dans les fausses factures, dans l’intérêt exclusif de la société Baudin Chateauneuf, conformément aux instructions qu’il avait reçues des représentants de ladite société sur le chantier ; que faute d’avoir recherché si les fonds versés correspondaient effectivement au paiement de dettes de la société, comme le soutenait le prévenu, la cour d’appel a privé sa décision de base légale ;

2°) alors que la cour d’appel n’a pas répondu aux conclusions qui soutenaient que la société Baudin Chateauneuf ne pouvait prétendre avoir été trompée sur l’usage de ses fonds, sans s’être expliquée sur le fait que les fonds n’étaient débloqués par la comptabilité qu’après vérification systématique des ordres de paiement, outre le contrôle du cabinet d’expert-comptable (conclusions, p. 13) ; qu’il en résultait que la société n’avait pu être trompée par des factures portant prétendument sur le contrôle béton, alors qu’elle prétendait que la facture était fausse puisqu’elle recourrait habituellement à un autre prestataire habituel pour ce type de contrat, ce qu’elle aurait pu constater dès la vérification de la facture avant paiement ou qu’elle n’ait pas constaté que la facture SEMOH était sans cause, si cette société n’était pas en relation d’affaire avec elle ; que, faute d’avoir répondu à ces conclusions, la cour d’appel n’a pas justifié sa décision ;

3°) alors qu’enfin et à tout le moins, le préposé n’est pas civilement responsable lorsqu’il agit dans les limites de ses missions ; qu’en ne recherchant pas si, comme le soutenait le prévenu, les fausses factures à la société Merkmale n’étaient pas destinées, conformément aux instructions du comptable de la partie civile, destiné à payer un intermédiaire en vue d’obtenir le dédouanement du matériel nécessaire au démarrage du chantier, la cour d’appel qui condamne le prévenu à rembourser la somme de 55 811 euros à la partie civile, n’a pas justifié sa décision".

Et sur le cinquième moyen proposé pour M. Q…

Enoncé du moyen

20. Le moyen est pris de la violation des articles 1382 devenu1240 du code civil, 314-1 du code pénal, 2, 3, 591 et 593 du code de procédure pénale.

21. Le moyen critique l’arrêt attaqué "en ce qu’il a condamné M. Q… à verser à la Société Baudin Chateauneuf la somme de 513 158 euros en réparation de son préjudice matériel et 27 440 euros, solidairement avec M. E… et celle de 5000 euros au titre de son préjudice moral ; alors que lorsque plusieurs fautes ont concouru à la production du dommage, la responsabilité de leurs auteurs se trouve engagée dans une mesure dont l’appréciation appartient souverainement aux juges du fond ; qu’en estimant que si la partie civile n’avait pas mis en oeuvre de système de contrôle suffisamment performant, ce fait ne pouvait justifier la limitation de son droit à réparation, les prévenus ayant abusé de la situation ; que, faute d’avoir expliqué quelles étaient les défaillances du mode de contrôle de la gestion du chantier et en quoi elles n’étaient pas fautives, quand le prévenu prétendait avoir toujours agi dans l’intérêt de la société, l’arrêt ne constatant pas l’existence d’un profit personnel tiré des infractions qui lui ont été imputées, la cour d’appel n’a pas justifié sa décision".

Réponse de la Cour

22. Les moyens sont réunis.

Vu les articles 2 et 593 du code de procédure pénale et 1382 devenu 1240 du code civil :

23. Tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision. L’insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.

24. Il résulte du premier de ces textes que lorsque plusieurs fautes ont concouru à la production du dommage, la responsabilité de leurs auteurs se trouve engagée dans une mesure dont l’appréciation appartient souverainement aux juges du fond.

25. Pour condamner M. Q… à payer à la partie civile les sommes de 513 158 euros et de 27 440 euros au titre de son préjudice matériel, la solidairement avec M. E… concernant la seconde, et 5 000 euros au titre de son préjudice moral, l’arrêt énonce, notamment, que les faits dont les demandeurs sont déclarés coupables engagent leur responsabilité civile et les obligent à en réparer les conséquences dommageables, par application de l’article 1240 du code civil.

26. Les juges ajoutent que les investigations ont montré que la société Baudin Chateauneuf avait été pour le moins défaillante dans les process mis en oeuvre pour les chantiers réalisés sur le sol africain et n’a pas mis en place des dispositifs de contrôle de justifications suffisants permettant ainsi la commission de ces différents délits.

27. La cour d’appel conclut que ce qui peut être vu comme une négligence ne peut entraîner une restriction du droit à indemnisation de la partie civile, les deux condamnés ayant délibérément abusé de la situation pour commettre des infractions.

28. En se déterminant ainsi, alors qu’elle relevait l’existence de fautes commises par la société Baudin Chateauneuf ayant permis la commission des différents délits dont M. Q… a été déclaré coupable, sans mieux s’expliquer sur les raisons pour lesquelles elle a estimé que les fautes de la partie civile ainsi relevées n’avaient pas contribué au dommage subi par elle, la cour d’appel n’a pas justifié sa décision.

29. La cassation est encourue de ce chef.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE et ANNULE l’arrêt susvisé de la cour d’appel d’Orléans, en date du 17 juillet 2018, mais en ses seules dispositions relatives à l’action civile de M. Q…, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;

Et pour qu’il soit à nouveau statué, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,

RENVOIE la cause et les parties devant la cour d’appel d’Orléans, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

Dit n’y avoir lieu à application de l’article 618-1 du code de procédure pénale ;

ORDONNE l’impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d’appel d’Orléans et sa mention en marge ou à la suite de l’arrêt partiellement annulé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le quatre décembre deux mille dix-neuf ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.

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Cour de cassation, Chambre criminelle, 4 décembre 2019, 18-85.205, Inédit