Cour de cassation, Chambre commerciale, 16 septembre 2020, 18-11.034, Inédit

  • Servitude·
  • Position dominante·
  • Marché de gros·
  • Rabais·
  • Sociétés·
  • Diffusion·
  • Opérateur·
  • Concurrent·
  • Tyrol·
  • Concurrence

Chronologie de l’affaire

Commentaire1

Augmentez la visibilité de votre blog juridique : vos commentaires d’arrêts peuvent très simplement apparaitre sur toutes les décisions concernées. 

Anne-sophie Choné-grimaldi · L'ESSENTIEL Droit de la distribution et de la concurrence · 1er novembre 2020
Testez Doctrine gratuitement
pendant 7 jours
Vous avez déjà un compte ?Connexion

Sur la décision

Référence :
Cass. com., 16 sept. 2020, n° 18-11.034
Juridiction : Cour de cassation
Numéro(s) de pourvoi : 18-11.034
Importance : Inédit
Décision précédente : Cour d'appel de Paris, 20 décembre 2017, N° 16/15499
Dispositif : Rejet
Date de dernière mise à jour : 14 décembre 2021
Identifiant Légifrance : JURITEXT000042372212
Identifiant européen : ECLI:FR:CCASS:2020:CO00432
Lire la décision sur le site de la juridiction

Sur les parties

Texte intégral

COMM.

FB

COUR DE CASSATION

______________________

Audience publique du 16 septembre 2020

Rejet

Mme MOUILLARD, président

Arrêt n° 432 F-D

Pourvoi n° R 18-11.034

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 16 SEPTEMBRE 2020

1°/ la société TDF, société par actions simplifiée,

2°/ la société TDF Infrastructure Holding, société par actions simplifiée, anciennement dénommée société Tyrol Acquisition1,

3°/ la société TDF Infrastructure, société par actions simplifiée, anciennement dénommée société Tyrol Acquisition 2,

ayant toutes trois leur siège est […] ,

ont formé le pourvoi n° R 18-11.034 contre l’arrêt rendu le 21 décembre 2017 par la cour d’appel de Paris (pôle 5, chambre 7), dans le litige les opposant :

1°/ à la présidente de l’Autorité de la concurrence, domiciliée […] ,

2°/ au ministre de l’économie de l’industrie et du numérique, domicilié DGCCRF, […] ,

défendeurs à la cassation.

La présidente de l’Autorité de la concurrence a formé un pourvoi incident contre le même arrêt.

Les demanderesses au pourvoi principal invoquent, à l’appui de leur recours, les quatre moyens de cassation annexés au présent arrêt.

La demanderesse au pourvoi incident invoque, à l’appui de son recours, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Poillot-Peruzzetto, conseiller, les observations de la SCP Piwnica et Molinié, avocat des sociétés TDF, TDF Infrastructure Holding et TDF Infrastructure, de la SCP Baraduc, Duhamel et Rameix, avocat de la présidente de l’Autorité de la concurrence, et l’avis de Mme Pénichon, avocat général, après débats en l’audience publique du 9 juin 2020 où étaient présentes Mme Mouillard, président, Mme Poillot-Peruzzetto, conseiller rapporteur, Mme Darbois, conseiller, et Mme Labat, greffier de chambre,

la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et Procédure

1. Selon l’arrêt attaqué (Paris, 21 décembre 2017), saisie par la société Itas Tim, opérateur de diffusion de services audiovisuels concurrent de la société TDF, l’Autorité de la concurrence (l’Autorité), après avoir notifié des griefs, a, par décision n° 16-D-11 du 6 juin 2016 (la décision de l’Autorité), dit qu’il est établi que la société TDF, en tant qu’auteur des pratiques, et les sociétés Tyrol Acquisition, devenue TDF Infrastructure Holding, et Tyrol Acquisition 2, devenue TDF Infrastructure, en leurs qualités de sociétés mères de la société TDF, ont enfreint les dispositions de l’article L. 420-2 du code de commerce et celles de l’article 102 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE), d’une part, en mettant en oeuvre une communication trompeuse et dénigrante auprès des collectivités locales (article 1er) et, d’autre part, en mettant en oeuvre une politique de remise tarifaire dite « de plaque géographique » en faveur des éditeurs de programmes télévisuels dits opérateurs de « multiplex » qui s’approvisionnent auprès de la société TDF pour une part importante, ou pour la totalité, des sites de diffusion d’une zone géographique déterminée (article 2).

2. L’Autorité a infligé, solidairement, aux sociétés TDF, TDF Infrastructure Holding et TDF Infrastructure (les sociétés TDF) une sanction pécuniaire au titre des pratiques visées à l’article 1er et une autre au titre des pratiques visées à l’article 2.

3. Sur le recours des sociétés TDF, la cour d’appel a annulé l’article 1er de la décision de l’Autorité, mais seulement en tant qu’il a dit établi que les sociétés TDF avaient enfreint les dispositions des articles L. 420-2 du code de commerce et 102 du TFUE en mettant en oeuvre une communication dénigrante auprès des collectivités locales. Elle a, en conséquence, réduit la sanction pécuniaire infligée au titre de la pratique de communication trompeuse. Enfin, la cour d’appel a rejeté tous les autres moyens d’annulation ou de réformation de la décision de l’Autorité.

Examen des moyens

Sur le premier moyen et le deuxième moyen, pris en sa première branche, du pourvoi principal, ci-après annexés

4. En application de l’article 1014,alinéa 2, du code de procédure civile, il n’y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le deuxième moyen du pourvoi principal, pris en ses deuxième, troisième, quatrième, cinquième et sixième branches

Enoncé du moyen

5. Les sociétés TDF font grief à l’arrêt de rejeter leur recours contre la décision de l’Autorité en ce qu’elle disait qu’il est établi qu’elles ont enfreint les dispositions de l’article L. 420-2 du code de commerce et celles de l’article 102 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, en mettant en oeuvre une remise de plaque géographique et en ce qu’elle leur a infligé solidairement une sanction pécuniaire d’un montant de 9 millions d’euros, alors :

« 1°/ que les rabais d’exclusivité ou de fidélité sont ceux dont l’octroi est lié à la condition que le client s’approvisionne pour la totalité ou une partie importante de ses besoins auprès de l’entreprise en position dominante : qu’en affirmant que « appréciée au niveau de chaque plaque géographique, la remise de plaque réunit toutes les caractéristiques d’un rabais d’exclusivité au sens de la jurisprudence des juridictions de l’Union », après avoir retenu que "le bénéfice de chaque remise de plaque (

) ne pouvait être qualifié de rabais d’exclusivité", la cour d’appel qui n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations a violé les articles 102 TFUE et L 420-2 du code de commerce ;

2°/ que face à des rabais d’exclusivité, le juge est notamment tenu d’analyser l’importance de la position dominante de l’entreprise sur le marché pertinent ainsi que le taux de couverture du marché par la pratique contestée ; qu’en affirmant au contraire que "dès l’instant où les concurrents de la société TDF (

) sont tous des opérateurs d’envergure nationale, le constat que la remise de plaque a produit un effet d’éviction, fut il limité à une seule plaque, suffit à conclure au bien-fondé du grief n° 3", la cour d’appel a violé les articles 102 du TFUE et L 420-2 du code de commerce ;

3°/ que pour établir le caractère anticoncurrentiel d’un rabais d’exclusivité, le juge de la concurrence est désormais tenu non seulement d’analyser, l’importance de la position dominante de l’entreprise sur le marché pertinent et le taux de couverture du marché par la pratique contestée, ainsi que les conditions et les modalités d’octroi des rabais en cause, leur durée et leur montant, mais aussi d’apprécier l’existence éventuelle d’une stratégie visant à évincer les concurrents au moins aussi efficaces ; qu’en se bornant à affirmer que « la remise de plaque a eu potentiellement un effet d’exclusion de la concurrence » ou encore « qu’afin d’établir le caractère abusif d’une pratique, l’effet anticoncurrentiel de celle-ci sur le marché doit exister, sans être nécessairement concret, la démonstration d’un effet anticoncurrentiel potentiel étant suffisante », après avoir admis que « l’Autorité ne pouvait présumer, comme elle l’a fait, que les remises de plaque étaient constitutives d’un abus de position dominante », la cour d’appel qui a statué par des motifs impropres à démontrer concrètement l’existence d’une éventuelle stratégie d’éviction de TDF, n’a pas légalement justifié sa décision de base légale au regard des articles 102 du TFUE et L. 420-2 du code de commerce ;

4°/ que pour établir le caractère anticoncurrentiel d’un rabais d’exclusivité, le juge de la concurrence est désormais tenu d’apprécier l’existence éventuelle d’une stratégie visant à évincer les concurrents au moins aussi efficaces ; qu’en considérant que les requérantes ne démontrent pas positivement l’absence d’effet concret de la pratique sur le marché, ainsi que le souligne justement l’Autorité dans ses observations, quand il incombait, au contraire, à l’Autorité de la concurrence d’établir l’existence d’une stratégie d’éviction de TDF, la cour d’appel qui a inversé la charge de la preuve a violé les articles 102 du TFUE et L. 420-2 du code de commerce ;

5°/ que pour établir le caractère anticoncurrentiel d’un rabais d’exclusivité, le juge de la concurrence est désormais tenu d’apprécier l’existence éventuelle d’une stratégie visant à évincer les concurrents au moins aussi efficaces ; qu’en reprochant à la société TDF d’avoir abusé de sa position dominante en instituant des remises de plaques géographiques prétendument assimilables à des rabais d’exclusivité, tout en admettant qu’aucune relation de cause à effet ne peut être démontrée entre les pratiques de remises de plaques et les disparitions, de plusieurs sociétés du secteur, la cour d’appel qui n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé de plus fort les articles 102 du TFUE et L 420-2 du code de commerce. »

Réponse de la Cour

6. En premier lieu, l’arrêt énonce d’abord que, selon la jurisprudence de l’Union européenne, les rabais d’exclusivité, dont l’octroi est subordonné à la condition que le client s’approvisionne pour la totalité ou une partie importante de ses besoins auprès de l’entreprise en position dominante, sont présumés incompatibles avec l’objectif d’une concurrence non faussée dans le marché commun parce qu’ils ne reposent pas, sauf circonstances exceptionnelles, sur une prestation économique justifiant cet avantage financier mais tendent à enlever à l’acheteur, ou à restreindre dans son chef, la possibilité de choix en ce qui concerne ses sources d’approvisionnement et à barrer l’accès au marché aux autres producteurs, de tels rabais tendant en effet à empêcher, par la voie d’un avantage financier, l’approvisionnement des clients auprès des producteurs concurrents (CJUE, 13 février 1979, T… /Commission, C-85/76, point 89 ; 9 novembre 1983, Michelin/Commission, C-322/81, point 71 ; 19 avril 2012, Tomra e.a./Commission, C-549/10 P, point 70 ; 6 septembre 2017, Intel/Commission, C-413/14 P, point 137). Il en déduit que, pour apprécier si un rabais peut être qualifié de rabais d’exclusivité, il convient de prendre en considération les besoins du client sur le marché sur lequel le fournisseur détient une position dominante.

7. L’arrêt relève ensuite que, du point de vue des besoins du client, la remise litigieuse se distingue des rabais d’exclusivité des arrêts T… et Intel en ce que, dans ces affaires, ces besoins étaient appréciés sur le marché géographique retenu tandis que dans le système de rabais litigieux, les besoins de l’opérateur de multiplex sur une seule plaque géographique donnée sont pris en compte pour qu’il puisse, ou non, bénéficier de la remise de plaque, indépendamment du choix de cet opérateur sur les autres plaques. Ayant constaté que le bénéfice de chaque remise de plaque n’était pas subordonné à la condition que l’opérateur de multiplex confie la totalité ou une partie importante de ses besoins de diffusion à la société TDF sur le marché de gros aval, qui est un marché national, l’arrêt retient que le système de rabais mis en place par la société TDF ne peut être qualifié de rabais d’exclusivité dont le caractère abusif est présumé lorsqu’ils émanent d’une entreprise en position dominante et en déduit qu’il lui incombe de rechercher si le système de remise de plaque en cause est constitutif d’un abus de position dominante. Il rappelle qu’afin de déterminer si une entreprise en position dominante a exploité de manière abusive cette position en appliquant un système de rabais, qui n’est ni un rabais d’exclusivité, présumé constituer un abus au sens de l’article 102 du TFUE, ni un rabais de quantité, lequel n’est pas, en principe, de nature à enfreindre ce même article, il faut apprécier l’ensemble des circonstances, notamment les critères et les modalités de l’octroi du rabais, et examiner si ce rabais tend, par un avantage qui ne repose sur aucune prestation économique qui le justifie, à enlever à l’acheteur, ou à restreindre dans son chef, la possibilité de choix, en ce qui concerne ses sources d’approvisionnement, à barrer l’accès du marché aux concurrents, à appliquer à des partenaires commerciaux des conditions inégales à des prestations équivalentes ou à renforcer la position dominante par une concurrence faussée. L’arrêt énonce ensuite qu’il est de jurisprudence constante des juridictions de l’Union que des rabais accordés pour des quantités individualisées correspondant à la totalité ou à la quasi-totalité de la demande ont le même effet que des clauses expresses d’exclusivité, en ce sens qu’ils amènent le client à s’approvisionner pour la totalité ou pour la quasi-totalité de ses besoins auprès de l’entreprise en position dominante.

8. Ayant estimé, au terme de son analyse, que la remise de plaque réunissait toutes les caractéristiques d’un rabais d’exclusivité, la cour d’appel qui a, d’abord, en raison de ses caractéristiques propres, exclu cette qualification permettant de présumer son caractère abusif et a, ensuite, par l’examen des conditions d’octroi et de mise en oeuvre de cette remise, retenu qu’en pratique, elle produisait le même effet qu’un rabais d’exclusivité, consistant, pour le client, à être incité à s’approvisionner pour la totalité ou la quasi-totalité de ses besoins auprès de la société TDF, n’a pas méconnu les conséquences légales de ses constatations.

9. En deuxième lieu, s’agissant de la forte position dominante sur le marché aval de diffusion de la société TDF, l’arrêt se fonde sur la taille des sociétés ou groupes concurrents, sur la forte notoriété de la société TDF, sur le capital d’informations et de relations qu’elle détient du fait de sa qualité d’ancien opérateur historique de la diffusion hertzienne, sur son intégration verticale sur tout le territoire, sur sa qualité d’opérateur incontournable, ainsi que sur le caractère limité du contre-pouvoir de ses clients et constate que les parts de marchés détenues par la société TDF sur le marché de gros aval sont très fortes en volume comme en valeur. S’agissant du taux de couverture du marché pertinent par la pratique en cause, il relève que les remises de plaque ont concerné 40% du total des points de diffusion et qu’elles ont concerné, pour la clientèle de certains « multiplex », la quasi-totalité du déploiement du réseau complémentaire numérique.

10. En l’état de ces constatations et appréciations, la cour d’appel ne s’est pas bornée, pour apprécier l’existence d’un effet d’éviction anticoncurrentiel, à retenir que, dès l’instant où les concurrents de la société TDF sont tous des opérateurs d’envergure nationale, la remise de plaque avait produit un effet d’éviction, fût-il limité à une seule plaque, mais a, contrairement à ce que soutient le moyen pris en sa deuxième branche, examiné l’importance de la position dominante de la société TDF et le taux de couverture de la pratique.

11. En troisième lieu, l’arrêt retient, d’abord, que la société TDF ne démontre pas positivement l’absence d’effet concret de la pratique sur le marché. Après avoir, ensuite, relevé que l’Autorité avait constaté que la remise de plaques vise à l’approvisionnement exclusif pour la totalité ou une grande partie des besoins du client multiplex sur une plaque géographique donnée, confère des taux loin d’être négligeables, puisque variant entre 3 et 23 % et conduit à d’importantes économies en fin de contrat du fait que les accords de prestation de service de diffusion sont conclus par les opérateurs multiplex avec la société TDF généralement pour une durée de cinq ans, la remise leur étant accordée pour cette même durée, il en déduit que la remise proposée en contrepartie de la diffusion des programmes des opérateurs à partir d’au moins 70 % des sites de diffusion de chacune des plaques est une puissante incitation faite aux opérateurs de multiplex qui s’adressent de toutes façons à la société TDF pour une part significative de leurs besoins de diffusion, de sorte que le système a eu potentiellement un effet d’exclusion lors des appels d’offres et, lorsque la société TDF les a emportés, pendant la durée des contrats conclus. Il relève que, selon l’ARCEP, nonobstant la régulation sectorielle sur le marché de gros amont, le développement de la concurrence sur le marché de gros aval est resté limité et souligne que le constat du succès d’un concurrent, la société Itas Tim, comme le fait que la concurrence se soit développée pendant la période couverte par la pratique, n’écartent pas l’effet d’éviction dès lors qu’à défaut de la pratique litigieuse, le développement de la concurrence aurait été plus important.

12. En l’état de ces constatations et appréciations, la cour d’appel, qui n’avait pas à examiner l’existence d’une stratégie d’éviction eu égard à sa démonstration des effets potentiels de la pratique en cause sur la concurrence sur le marché de gros aval, réduite dans son intensité et limitée dans son développement, ni à en démontrer les effets concrets, et qui n’a pas inversé la charge de la preuve en observant que, face à l’établissement de l’effet potentiel de la pratique sur la concurrence, la société TDF ne démontrait pas positivement son absence d’effet concret, a pu statuer comme elle a fait.

13. Et en l’absence de doute raisonnable quant à l’interprétation du droit de l’Union européenne sur les questions soulevées par le moyen, il n’y a pas lieu de saisir la Cour de justice de l’Union européenne d’une question préjudicielle.

14. Le moyen n’est donc pas fondé.

Sur le troisième moyen de ce même pourvoi

Enoncé du moyen

15. Les sociétés TDF font grief à l’arrêt de rejeter tous les autres moyens d’annulation ou de réformation de la décision de l’Autorité et spécialement celui contestant l’imputation aux sociétés Tyrol Acquisition 1 SAS, désormais TDF Infrastructure Holding SAS, et Tyrol Acquisition 2, à présent TDF Infrastructure SAS, des pratiques qui sont reprochées à la société TDF, alors

« que si la détention de la totalité du capital d’une filiale par une société mère laisse présumer que cette dernière exerce une influence déterminante sur la politique commerciale de sa filiale, cette présomption d’imputabilité à une société mère du comportement d’une filiale n’est pas irréfragable et ne dispense pas le juge de motiver spécialement sa décision ; que la circonstance que la société mère constitue une « holding pure », sans fonctions opérationnelles, est de nature à renverser la présomption d’influence déterminante : qu’en décidant le contraire, la cour d’appel a violé les articles 102 du TFUE, L. 420-2 du code de commerce et L. 464-2 du code de commerce. »

Réponse de la cour

16. L’arrêt retient exactement que le fait de se revendiquer holdings financières et de soutenir n’avoir, en conséquence, aucune implication quelconque dans la gestion opérationnelle de la société TDF, n’est pas, à lui seul, de nature à permettre aux sociétés Tyrol Acquisition 1 et Tyrol Acquisition 2, qui détenaient directement ou indirectement la quasi-totalité du capital de la société TDF, de renverser la présomption de leur influence déterminante sur les pratiques suivies par cette dernière.

17. Le moyen n’est donc pas fondé.

Sur le quatrième moyen de ce même pourvoi

Enoncé du moyen

18. Les sociétés TDF font grief à l’arrêt de fixer le montant de l’amende infligée solidairement aux sociétés TDF SAS, en tant qu’auteur des pratiques, et aux sociétés Tyrol Acquisition 1 SAS, devenue TDF Infrastructure Holding SAS, et Tyrol Acquisition 2 SAS, devenue TDF Infrastructure SAS, en leur qualité de sociétés mères de la société TDF SAS, à la somme de 8,2 millions d’euros au titre du grief n° 1, alors :

1°/ que le juge de la concurrence ne peut pas intégrer dans les termes de son analyse des valeurs des ventes sans lien avec l’infraction ; que la valeur des ventes prise en compte pour déterminer l’assiette de la sanction correspond aux ventes réalisées par la société sanctionnée sur le marché concerné par la pratique répréhensible ; qu’en considérant que l’Autorité avait pu valablement retenir comme valeur des ventes au titre du grief n° 1, non seulement l’ensemble du chiffre d’affaires réalisé en France par la vente de services de diffusion de la TNT sur le marché de gros amont auprès des opérateurs tiers, mais également l’ensemble du chiffre d’affaires réalisé en France par la vente de services de diffusion de la TNT sur le marché de gros aval auprès des clients MUX quand les pratiques qualifiées d’abus de position dominante au titre du grief n° 1 ne se sont déployées que sur le seul marché de gros amont, la cour d’appel qui a relevé artificiellement le montant de l’assiette de la sanction, a méconnu le principe de proportionnalité de la sanction en violation de l’article L 464-2 du code de commerce, et du communiqué du 16 mai 2011 relatif à la méthode de détermination des sanctions pécuniaires ;

2°/ qu’en affirmant que « ni l’ANFR ni aucune autorité publique n’a encouragé les pratiques objet du deuxième volet du grief n° 1 », après avoir admis qu’au vu de l’analyse de l’ANFR dont elle avait connaissance, la société TDF « était fondée à considérer que les centres qu’elle exploitait restaient protégés par les servitudes mises en place en application des articles L. 54 et L. 57 du code des postes et des communications électroniques, nonobstant le fait qu’elle-même n’était plus un service de l’Etat depuis sa privatisation en 2004 », ou encore que, contrairement à ce que l’autorité a retenu « les décrets de servitudes n’avaient pas disparu de l’ordre juridique en 2009 et 2010 », ce dont il résultait que l’ANFR et les pouvoirs publics ont encouragé la prétendue instrumentalisation des servitudes en laissant penser que TDF pouvait encore les utiliser librement, la cour d’appel qui n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé l’article L 464-2 du code de commerce ;

3°/ qu’il résulte des énonciations de l’arrêt attaqué que la cour d’appel a réduit le degré de gravité du grief n° 1 dans la mesure seulement où elle a « écarté l’accusation selon laquelle la société TDF se serait présentée comme un service de l’Etat et jugé non établie la pratique objet du troisième volet du grief n° 1 » ; qu’en affirmant, pour refuser de considérer le rôle des pouvoirs publics comme une circonstance atténuante, de la pratique d’instrumentalisation des servitudes que « la cour a tenu compte tant du rôle qu’a joué l’ANFR que du maintien dans l’ordre juridique des décrets de servitude pendant la durée des pratiques, en écartant certain des aspects du deuxième volet du grief n° 1, ce qui l’a, entre autres, conduite à retenir un moindre degré de gravité, se traduisant par un pourcentage de la valeur des ventes de 7 % au lieu de 9 % (de sorte que) rien ne justifie d’en tenir compte une seconde fois à titre de circonstance atténuante » quand il ressort au contraire de l’arrêt attaqué que la réduction de la gravité de l’infraction n’était pas justifié par le deuxième volet du grief n° 1 et par le comportement des pouvoirs publics ayant maintenu les servitudes existantes, mais seulement par le fait que TDF ne s’est jamais présentée comme un service de l’Etat contrairement à ce qui était soutenu par le troisième volet du grief, la cour d’appel a violé l’article L 464-2 du code de commerce ;

Réponse de la cour

19. En premier lieu, après avoir relevé que si le point 33 du communiqué « sanction » précise que la référence retenue pour donner une traduction chiffrée à l’appréciation de la gravité des faits et de l’importance du dommage causé à l’économie est la valeur de l’ensemble des catégories de produits ou de services en relation avec l’infraction vendues par l’entreprise durant son dernier exercice comptable complet de participation à celle-ci, le point 39 ajoute que la méthode peut être adaptée dans les cas particuliers où cette référence aboutirait à un résultat ne reflétant manifestement pas l’ampleur économique de l’infraction ou le poids relatif de chaque participant, l’arrêt relève que les barrières instaurées par la société TDF pour s’opposer à l’implantation de pylônes concurrents avaient pour finalité principale d’empêcher ou limiter la concurrence par les infrastructures sur le marché de gros aval, de sorte que le lien entre les marchés amont et aval est établi.

20. Rappelant ensuite que, selon les points 33 et 34 du communiqué « sanction », les ventes à prendre en compte sont toutes celles réalisées en France pour l’ensemble des catégories de produits ou services en relation avec l’infraction, de sorte qu’il n’est pas nécessaire d’établir que chaque vente prise en compte est directement affectée par l’infraction, l’arrêt relève que les services de diffusion hertzienne terrestre en mode numérique dont l’ensemble est commercialisé sur le territoire métropolitain constituent les services en relation avec le grief n° 1.

21. De ces énonciations, constatations et appréciations, la cour d’appel a justement déduit que les ventes réalisées en France sur le marché de gros aval étaient en relation avec l’infraction, de sorte que leur prise en compte dans l’assiette de la sanction ne méconnaissait pas le principe de proportionnalité.

22. En second lieu, après avoir relevé que les servitudes mises en place en application des articles L. 54 et L. 57 du code des postes et télécommunications électroniques, qui ont pour finalité de protéger les installations en bénéficiant contre les risques de perturbation des émissions et réceptions radioélectriques, n’emportent pas impossibilité absolue d’implanter un pylône électrique dans la zone couverte puisqu’est prévue la possibilité d’une autorisation d’implantation, et en avoir déduit que, même si elle était fondée à considérer que les centres qu’elle exploitait restaient protégés par ces servitudes, la société TDF avait la possibilité d’émettre un avis favorable, l’arrêt relève que cette dernière s’est opposée, sans analyse au cas par cas et sur le fondement d’une opposition de principe, aux projets d’implantation de pylônes concurrents, et retient qu’elle a ainsi, par une instrumentalisation des servitudes constitutive d’une politique de communication trompeuse auprès des collectivités locales, cherché à faire obstacle à l’implantation de pylônes de ses concurrents. C’est donc sans méconnaître les conséquences légales de ses constatations que la cour d’appel a retenu que ni l’ANFR ni aucune autorité publique n’avait encouragé les pratiques d’instrumentalisation des servitudes radioélectriques à l’occasion des avis rendus aux collectivités locales sous le couvert d’une consultation en tant que service de l’Etat, ce qui rend inopérant le grief de la troisième branche, qui critique des motifs surabondants.

23. En conséquence, le moyen, pour partie inopérant, n’est pas fondé pour le surplus.

Et sur le moyen unique du pourvoi incident relevé par l’Autorité

Enoncé du moyen

24.L’Autorité fait grief à l’arrêt d’annuler l’article 1er de sa décision mais seulement en tant qu’il a dit établi que la société TDF SAS, en tant qu’auteur des pratiques, et les sociétés Tyrol Acquisition 1 SAS, devenue TDF Infrastructure Holding SAS, et Tyrol Acquisition 2 SAS, devenue TDF Infrastructure SAS, en leur qualité de sociétés-mères, avaient enfreint les dispositions des articles L. 420-2 du code de commerce et 102 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, en mettant en oeuvre une communication dénigrante auprès des collectivités locales, de reformer l’article 5 de la décision n° 16-D-11 en tant qu’il avait infligé au titre des pratiques visées à l’article 1er une sanction pécuniaire d’un montant de 11,6 millions, de dire que la pratique visée par le troisième volet du grief n° 1 n’était pas établie et d’infliger, au titre de la pratique de communication trompeuse visée à l’article 1er de la décision n° 16-D-11, solidairement, aux sociétés TDF SAS, Tyrol Acquisition 1 SAS, devenue TDF Infrastructure Holding SAS, et Tyrol Acquisition 2 SAS, devenue TDF Infrastructure SAS, une sanction pécuniaire d’un montant de 8,2 millions d’euros, alors :

« 1°/ que la personne visée par le dénigrement ne doit pas nécessairement être nommée, du moment qu’elle est aisément identifiable ; qu’en l’espèce, le courriel envoyé par la société TDF mentionnait les risques de perturbation radioélectrique, du fait de l’implantation d’un pylône d'« une société concurrente » ; que le secteur de la diffusion de la télévision par voie hertzienne étant restreint et le nombre d’acteurs présents sur ce marché étant réduit, ces « sociétés concurrentes » étaient aisément identifiables, à savoir les sociétés Itas Tim et TowerCast ; que la cour d’appel a constaté que le courriel type envoyé par la société TDF aux collectivités locales visait tout projet d’implantation « d’un pylône concurrent » ; qu’en énonçant cependant que ce courriel type « se borne à une présentation des conséquences de la colocalisation de deux pylônes, certes incomplète, et à ce titre trompeuse, mais neutre en ce qu’elle n’est pas orientée contre les sociétés concurrentes de la société TDF », la cour d’appel n’a pas tiré les conséquences légales de ses constatations et a violé les articles 102 du TFUE et L. 420-2 du code de commerce ;

2°/ que le courriel type envoyé par la société TDF aux collectivités locales énonçait "dans certains cas une Déclaration Préalable est déposée par une société concurrente afin de pouvoir ériger un nouveau pylône à proximité immédiate du site TDF existant. [

] Il est donc nécessaire de nous aviser de la chose afin d’anticiper toute perturbation" ; qu’ainsi ce courriel n’évoquait que les perturbations résultant de l’implantation d’un nouveau pylône concurrent à côté d’un pylône existant appartenant à la société TDF ; qu’en affirmant cependant qu’il se déduisait de ce courriel que "le risque de perturbation résult[ait] de toute implantation d’un nouveau pylône à côté d’un premier pylône, quels que soient les exploitants respectifs de l’un et de l’autre", la cour d’appel l’a dénaturé et a ainsi violé le principe qui interdit au juge de dénaturer les documents de la cause ;

3°/ qu’ en ne présentant que les perturbations liées à l’installation de pylônes concurrents, sans préciser que les mêmes perturbations pouvaient être observées dans l’hypothèse où la société TDF hébergeait plusieurs émetteurs (service de mutualisation) sur l’un de ses pylônes, cette société a orienté son courriel contre les sociétés concurrentes d’une façon dénigrante ; qu’en affirmant néanmoins le contraire, la cour d’appel a violé les articles 102 TFUE et L. 420-2 du code de commerce. »

Réponse de la Cour

25. L’arrêt relève souverainement que le courriel se borne à une présentation des conséquences de la colocalisation de deux pylônes, neutre en ce qu’elle n’est pas orientée contre les sociétés concurrentes de la société TDF, de sorte que le risque de perturbation résulte de toute implantation d’un nouveau pylône à côté d’un premier pylône, quels que soient les exploitants respectifs de l’un et de l’autre. Il en déduit que le courriel ne constitue pas une critique de l’entreprise poursuivant le projet d’implantation d’un nouveau pylône ou de ses produits ou services.

26. En l’état de ces constatations et appréciations, la cour d’appel a pu retenir que le caractère dénigrant du courriel, qu’elle n’a pas dénaturé, n’était pas démontré.

27. Le moyen n’est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi principal et incident ;

Condamne les société TDF, TDF Infrastructure Holding, TDF Infrastructure aux dépens ;

En application de l’article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes formées par les sociétés TDF, TDF Infrastructure Holding et TDF Infrastructure et les condamne à payer à la présidente de l’Autorité de la concurrence la somme globale de 3 000 euros ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du seize septembre deux mille vingt.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits au pourvoi principal par la SCP Piwnica et Molinié, avocat aux Conseils, pour les sociétés TDF, TDF Infrastructure Holding et TDF Infrastructure.

PREMIER MOYEN DE CASSATION

Il est fait grief à l’arrêt attaqué de n’avoir annulé que partiellement l’article 1er de la décision n°16-D-11 de l’Autorité de la concurrence sur la pratique de dénigrement visée par le troisième volet du grief n° 1 et d’avoir, en conséquence, dit que la pratique d’abus de position dominante était établie sur l’autre volet du grief à savoir, en instrumentalisant, à l’occasion des avis rendus aux collectivités locales sous couvert d’une consultation en tant que service de l’État, l’existence de servitudes radioélectriques pour s’opposer à l’implantation d’infrastructures concurrentes alors que ces servitudes sont dépourvues de base légale depuis son changement de statut, sur une période courant de mars 2009 à mars 2010, et réduit le montant de l’amende infligée solidairement aux sociétés TDF SAS, en tant qu’auteur des pratiques, et aux sociétés Tyrol Acquisition 1 SAS, devenue TDF Infrastructure Holding SAS, et Tyrol Acquisition 2 SAS, devenue TDF Infrastructure SAS, en leur qualité de sociétés mères de la société TDF SAS, à la somme de 8,2 millions d’euros ;

AUX MOTIFS QUE sur les moyens relatifs au grief n° 1

1. Sur la position dominante de la société TDF sur le marché de gros amont (

)

44.Le marché de gros amont de diffusion par voie hertzienne terrestre de programmes télévisuels en mode numérique confronte l’offre d’hébergement émanant d’opérateurs de diffusion qui possèdent des infrastructures de diffusion et la demande d’opérateurs de diffusion qui souhaitent bénéficier d’un hébergement de leurs équipements. Il s’agit d’un marché de dimension nationale.

45.Il résulte d’abord des éléments fournis par l’Autorité aux paragraphes 46, 51, 54 et 56 de la décision attaquée, non contestés par les requérantes, que, à la date de février 2012, le groupe TDF disposait d’environ 8 730 sites en France (Saisine 09/0109F, cote 5589), qui sont les supports de services de diffusion audiovisuelle ou de services de communications électroniques, dont environ 3 600 sont exploités pour la diffusion hertzienne terrestre de programmes télévisuels. Par comparaison, les sociétés Itas Tim, towerCast et Onecast – seuls autres opérateurs détenant, à l’époque des faits, des infrastructures de diffusion – disposaient de, respectivement, 189 sites, 500 sites (dont 119 utilisés pour la diffusion TNT) et 2 sites.

46.Ainsi, à la date de février 2012, les sites propriété du groupe TDF représentaient environ 92 % du total des sites en France, et 92 % des sites exploités pour la diffusion TNT, étant souligné que ce pourcentage était nécessairement plus élevé encore entre mars 2009 et mars 2010, période couverte par les deuxième et troisième volets du grief n° 1, puisque, selon les requérantes (mémoire récapitulatif, point 87), au moins deux de ses concurrents, les sociétés Itas Tim et towerCast, ont développé leurs infrastructures de diffusion tout au long de la période des pratiques.

47.Cela signifie que, à la période couverte par le grief n° 1, un opérateur de diffusion ne disposant pas de ses propres sites de diffusion, n’avait le plus souvent pas d’autre choix que de contracter avec la société TDF pour bénéficier d’un hébergement sur les installations de cette dernière.

48.Ensuite, toute concurrence sur le marché de gros amont présuppose la détention préalable d’infrastructures de diffusion, puisqu’un opérateur de diffusion qui ne dispose pas de telles infrastructures n’est pas en mesure de proposer une offre de gros d’hébergement.

49.Or, c’est à juste titre que, aux paragraphes 145 à 147 de la décision attaquée, l’Autorité a souligné l’existence de barrières à l’entrée sur le marché amont.

50.À cet égard, le fait, invoqué par les requérantes (mémoire récapitulatif, point 87) que, depuis le dépôt de sa plainte en septembre 2009, la société Itas Tim a implanté environ 350 sites de diffusion de la TNT, notamment en répliquant onze sites considérés comme non réplicables par l’ARCEP, n’est pas de nature à infirmer le constat qui précède. En effet, ce nombre doit être rapporté aux milliers de sites de diffusion qui constituent les réseaux principal et complémentaire numériques.

51.De même, il importe peu que le coût de construction d’un site de diffusion soit relativement faible, ainsi que le soulignent les requérantes (mémoire récapitulatif, point 88), les barrières à l’entrée sur le marché de gros à l’entrée tenant, d’une part, au caractère très tendu du déploiement de la TNT (décision attaquée, § 145) et étant, d’autre part, de nature géographique, administrative, technique et réglementaire (décision attaquée, § 146 et 147).

52. L’Autorité a d’ailleurs constaté que les barrières à l’entrée ont fait preuve de leur efficacité lors du déploiement du réseau complémentaire numérique, pour lequel les opérateurs de diffusion concurrents avaient fait le choix de privilégier la concurrence par les infrastructures (décision attaquée, § 245).

53. Enfin, ces données objectives se traduisent dans les parts de marché détenues par la société TDF. Ainsi que le relève l’Autorité, au paragraphe 141 de la décision attaquée, à l’époque des faits, la société TDF détenait une part de marché en volume avoisinant 85 % sur le marché de gros amont. En valeur, elle détenait à la même époque, une part de marché supérieure à 80 % sur l’ensemble du marché (amont et aval) de la diffusion de la TNT.

54. À cet égard, il convient de rappeler que, selon la jurisprudence constante des juridictions de l’Union, si la signification des parts de marché peut différer d’un marché à l’autre, la possession, dans la durée, d’une part de marché extrêmement importante constitue, sauf circonstances exceptionnelles, la preuve de l’existence d’une position dominante, et des parts de marché de plus de 50 % constituent des parts de marché extrêmement élevées (CJUE, arrêts du 3 juillet 1991, AKZO/Commission, C-62/86, point 60, et du 6 décembre 2012, AstraZeneca/Commission, C-457/10 P, point 176).

55.Au vu de ces éléments, c’est à juste titre que l’Autorité a retenu que la société TDF détenait une position dominante forte sur le marché amont.

56.Le fait que la société TDF était soumise à la régulation sectorielle imposée par l’ARCEP ne constitue pas une circonstance exceptionnelle, au sens de la jurisprudence précitée, de nature à remettre ce constat en cause.

57.Premièrement, il résulte de la pratique de la Commission de l’Union européenne (ci-après la « Commission ») [décision 2003/707/CE du 21 mai 2003, relative à une procédure d’application de l’article 82 CE (Affaires COMP/C-1/37.451, 37.578, 37.579 — Deutsche Telekom AG) (JOUE L 263, p. 9) ; décision du 4 juillet 2007 relative à une procédure d’application de l’article 82 du traité CE (Affaire COMP/38.784 — Wanadoo España contre Telefónica) (JOUE 2008, C 83, p. 05)], validée par les juridictions de l’Union (TUE, arrêts du 10 avril 2008, Deutsche Telekom/Commission, T-271/03, et du 29 mars 2012, Telefónica et Telefónica de España/Commission, T-336/07 ; CJUE, arrêts du 14 octobre 2010, Deutsche Telekom/Commission, C-280/08 P, et Telefónica et Telefónica de España/Commission, précité), que la régulation sectorielle d’un marché n’est pas exclusive de la détention d’une position dominante par une entreprise sur ce même marché.

58.Deuxièmement, les obligations imposées à la société TDF par l’ARCEP sur le marché de gros amont au titre de la régulation sectorielle, dans le but affirmé de substituer, sur le marché de gros aval, une concurrence par les services à la concurrence par les infrastructures, n’était pas de nature à priver cette société de son avance sur ses concurrents en matière d’infrastructures de diffusion, mais était au contraire susceptible de favoriser son maintien, en offrant à ses concurrents une alternative à l’implantation de leur propres infrastructures. Or, ainsi qu’il a déjà été souligné, s’il ne possède pas d’infrastructures de diffusion, un opérateur de diffusion ne peut pas entrer sur le marché de gros amont.

59.Troisièmement, la position dominante visée à l’article 102 CE concerne une position de puissance économique détenue par une entreprise qui lui donne le pouvoir de faire obstacle au maintien d’une concurrence effective sur le marché en cause en lui fournissant la possibilité de comportements indépendants dans une mesure appréciable vis-à-vis de ses concurrents, de ses clients et, finalement, des consommateurs. L’existence d’une position dominante résulte en général de la réunion de facteurs divers, qui, pris isolément, ne seraient pas nécessairement déterminants (CJUE, arrêt AstraZeneca/Commission, précité, point 175 ; TUE, arrêts du 12 décembre 2000, Aéroports de Paris/Commission, T-128/98, point 147 ; du 17 décembre 2003, British Airways/Commission, T-219/99, point 189).

60.Or, aucune des obligations mises à sa charge par les décisions de l’ARCEP n° 2006-0161 et n° 2009-0484 n’était susceptible de priver la société TDF d’un tel pouvoir.

61.L’obligation imposée à la société TDF de faire droit à toute demande raisonnable d’accès à ses infrastructures de diffusion moyennant rémunération n’empêchait pas celle-ci d’adopter des comportements indépendants, notamment en matière de fixation des prix d’hébergement.

62.Quant aux obligations de non-discrimination et de transparence pour la fourniture des offres de gros de diffusion hertzienne terrestre de programmes télévisuels en mode numérique, et de publication d’une offre de référence technique et tarifaire des offres de gros de diffusion hertzienne terrestre de programmes télévisuels en mode numérique, elles avaient pour seul objet, et pour seul effet, de prévenir la mise en oeuvre par la société TDF d’une pratique de ciseau tarifaire.

63.Sous cette seule limite, qui résulte, en dehors de toute régulation sectorielle, de l’interdiction des pratiques anticoncurrentielles, lesdites obligations ne privaient pas la société TDF de la possibilité d’adopter des comportements indépendants, notamment s’agissant de la fixation des prix d’hébergement sur ses infrastructures, vis-à-vis de ses concurrents, dont les propres infrastructures étaient insuffisamment développées.

64.La décision n° 2006-0161 ne fixait aucune autre limite à la fixation de ses prix par la société TDF, la seule véritable contrainte, au demeurant bien faible, résultant de l’obligation qui lui était faite de prévoir un délai de six mois entre l’annonce d’une modification de ses tarifs et sa mise en application.

65.Il est vrai que, par la décision n° 2009-0484 (article 7), l’ARCEP a imposé à la société TDF l’orientation de ses tarifs vers les coûts.

66.Il convient toutefois de relever, d’une part, que cette obligation nouvelle ne s’est appliquée qu’aux tarifs d’hébergement sur les sites déclarés non réplicables par l’ARCEP. Or ceux-ci ne sont qu’au nombre de 78 (dont 66 sites du réseau principal numérique et 12 sites du réseau complémentaire numérique), ce qui représente un pourcentage très faible des sites exploités pour la diffusion de la TNT. De surcroît, pour la période couverte par le grief n° 1, le déploiement du réseau principal numérique était déjà achevé, tandis que le réseau complémentaire numérique était, quant à lui, en plein développement. Or, rapporté au nombre total de sites de diffusion du réseau complémentaire, le nombre de 12 sites soumis à l’obligation d’orientation des tarifs vers les coûts est insignifiant.

67.D’autre part, ainsi que l’ont jugé les juridictions de l’Union, le fait qu’un opérateur ait été obligé d’ouvrir ses infrastructures à la concurrence à des prix orientés vers les coûts ne suffit pas à démontrer l’absence de position dominante de celui-ci. En effet, si la capacité d’imposer des augmentations de prix régulières constitue incontestablement un élément susceptible d’indiquer l’existence d’une position dominante, elle n’en constitue nullement un élément indispensable, l’indépendance dont jouit une entreprise dominante en matière de prix tenant davantage à la capacité de fixer ces derniers sans devoir tenir compte de la réaction des concurrents, clients et fournisseurs que dans la capacité de les augmenter (TUE, arrêt Telefónica et Telefónica de España/Commission, précité, point 166).

68.Ainsi, nonobstant la régulation sectorielle, pour toute la période couverte par le grief n°1, la société TDF a conservé la possibilité d’adopter des comportements indépendants de ses concurrents et de ses clients W… sur le marché de gros amont.

69.L’ensemble des moyens contestant la position dominante forte de la société TDF sur le marché de gros amont pendant la période couverte par le grief n° 1 sont donc rejetés.

QUE sur les pratiques sur le marché de gros amont et l’instrumentalisation des servitudes (deuxième volet du grief)

70. À titre liminaire, la cour rappelle que, ainsi que l’expose l’Autorité, au paragraphe 35 de la décision attaquée, le code des postes et des communications électroniques prévoit deux types de servitudes radioélectriques. D’une part, les servitudes de protection des centres de réception radioélectriques contre les perturbations électromagnétiques (servitudes « brouillage/réception » ou PT1, prévues aux articles L. 57 à L. 62-1 du code des postes et des communications électroniques), qui posent des conditions ou restrictions à l’implantation ou l’utilisation d’équipements potentiellement perturbateurs. D’autre part, les servitudes de protection des centres radioélectriques d’émission et de réception contre les obstacles (servitudes « obstacles » ou PT2, prévues aux articles L. 54 à L. 56-1 du code des postes et des communications électroniques), qui posent des conditions ou des restrictions à l’implantation de bâtiments dans le périmètre qu’elles définissent.

71.Dans sa rédaction en vigueur à la date des faits, le chapitre III « Droits de passage et servitudes » du titre II « Ressources et police » du livre II « Les communications électroniques » du code des postes et des communications électroniques comporte notamment une section 2, intitulée « Servitudes de protection des centres radioélectriques d’émission et de réception contre les obstacles » et constituée des articles L. 54 à L. 56-1, et une section 3, intitulée « Servitudes de protection des centres de réception radioélectriques contre les perturbations électromagnétiques » et constituée des articles L. 57 à L. 62-1.

72.L’article L. 54 du code des postes et des communications électroniques, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2004-669 du 9 juillet 2004, dispose :

« Afin d’empêcher que des obstacles ne perturbent la propagation des ondes radioélectriques émises ou reçues par les centres de toute nature exploités ou contrôlés par les différents départements ministériels, il est institué certaines servitudes pour la protection des communications électroniques radioélectrique ».

73.Aux termes de l’article R. 24 alinéa 1er du code des postes et des communications électroniques, dans toute zone de servitude instaurée en vertu à l’article L. 54 « il est interdit, sauf autorisation du ministre dont les services exploitent le centre ou exercent la tutelle sur lui, de créer des obstacles fixes ou mobiles dont la partie la plus haute excède une cote fixée par le décret prévu à l’article R. 25. »

74.L’article L. 57 du code des postes et des communications électroniques, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2004-669 du 9 juillet 2004, dispose :

« Afin d’assurer le fonctionnement des réceptions radioélectriques effectuées dans les centres de toute nature, exploités ou contrôlés par les différents départements ministériels, il est institué certaines servitudes et obligations pour la protection des réceptions radioélectriques. »

75.Il résulte de l’article R. 28 du code des postes et des communications électroniques que les zones de servitude visées à l’article L. 57 sont qualifiées de « zone de protection radioélectrique » et que, pour les centres dits de première et de deuxième catégories, il est institué, à l’intérieur de la zone de protection, une « zone de garde radioélectrique ».

76.Aux termes de l’article R. 30 alinéa 2, « dans la zone de garde radioélectrique, il est interdit de mettre en service du matériel électrique susceptible de perturber les réceptions radioélectriques du centre ou d’apporter des modifications à ce matériel, sans l’autorisation du ministre dont les services exploitent le centre ou exercent la tutelle sur lui ».

77. De nombreux sites de diffusion exploités par Télédiffusion de France puis, avant sa privatisation, par la société TDF, ont bénéficié de servitudes instaurées par décret.

78. Considérant que, depuis sa privatisation, la société TDF ne remplissait plus les conditions pour continuer à se prévaloir desdites servitudes, l’Autorité, se fondant sur l’analyse des rapports de cette société avec cinq communes (Château-Gontier, Condé-sur-Noireau, Sisteron, Ruy-Montceau et Vendôme), lui reproche en substance d’avoir, lorsqu’elle était consultée par une collectivité territoriale sur un projet d’implantation d’un pylône concurrent dans une zone couverte par une servitude, acceptée de répondre comme si elle était encore un service de l’Etat, en s’opposant au projet (

.).

87. La cour relève, à titre liminaire, que, ainsi que le souligne l’Autorité, le deuxième volet du grief n° 1 ne reproche pas à la société TDF un dénigrement.

88.En premier lieu, il est constant que, à la date à laquelle des servitudes ont été mises en place par décret en vertu des articles susmentionnés du code des postes et télécommunications, devenu le code des postes et des communications électroniques, les sites en bénéficiant étaient exploités par les services de l’État ou sous leur tutelle, mais que cette situation a définitivement pris fin avec l’entrée en vigueur de la loi du 31 décembre 2003 et la privatisation de la société TDF en 2004.

89.L’Autorité en déduit que ces servitudes étaient caduques à la date des faits.

90.Mais, d’une part, force est de constater que les décrets de servitudes n’avaient pas disparu de l’ordre juridique en 2009 et 2010.

91.Or, si l’exploitation par les services de l’Etat des centres radioélectriques d’émission et de réception et des centres de réception radioélectrique était une condition sine qua non pour l’établissement de servitudes autour de ces centres en application des articles L. 54 et L. 57 du code des postes et des communications électroniques, il ne résulte d’aucune disposition légale ou réglementaire que lesdites servitudes, une fois instituées, disparaîtraient du seul fait que les centres radioélectriques d’émission et de réception cesseraient d’être exploités par les services de l’Etat. La cour relève d’ailleurs que le législateur a également prévu, aux articles L. 56-1 et L. 62-1 du code des postes et des communications électroniques, la possibilité, pour des opérateurs privés, de demander que des servitudes radioélectriques soient instituées au bénéfice des centres qu’ils gèrent, possibilité jamais mise en oeuvre, faute d’adoption des décrets d’application.

92.Dès lors, la réponse à la question du sort desdites servitudes, après la privatisation de la société TDF, n’allait pas de soi.

93.D’autre part, l’ANFR elle-même a considéré que la société TDF continuait de bénéficier des servitudes jusqu’à l’abrogation effective des décrets les ayant instaurées.

94.Le groupe de travail sur les servitudes radioélectriques, mis en place par la COMSIS, précisait, dans ses conclusions de juillet 2010, que, s’agissant de la validité des servitudes de France Télécom et TDF, « [l]'analyse juridique développée par l’ANFR figurant en pièce jointe a été validée par le groupe de travail (PJ n° 1) » (Saisine 09/0109F, cote 6942). Or, dans ladite pièce jointe n° 1, intitulée « Etude juridique relative à l’abrogation des servitudes dont bénéficient les opérateurs France Telecom (FT) et Télédiffusion de France (TDF) », l’ANFR écrivait que, « [s]ur la base [des] articles [L. 54 et L. 57 du code des postes et communications électroniques], FT et TDF ont bénéficié et bénéficient toujours de décrets portant création de servitudes », ajoutant que « [l]e fait que FT et TDF bénéficient de servitudes auxquelles ne peuvent prétendre leurs concurrents peut constituer pour elles un avantage » (Saisine 09/0109F, cote 6949). Ainsi, si l’ANFR soulignait également que les décrets de servitudes étaient « devenus illégaux du fait du changement de statut juridique respectif de ces désormais sociétés privées [TDF et France Télévisions] » (Saisine 09/0109F, cote 6950), elle n’en déduisait nullement la disparition des servitudes ni le fait que la société TDF n’en serait plus bénéficiaire, mais seulement la nécessité impérieuse d’abroger lesdits décrets.

95.Par ailleurs, projetant l’implantation d’un parc éolien dans une zone concernée par une servitude radioélectrique sur la commune d’Izé, une société Zelya avait posé à l’ANFR des questions ayant trait à cette servitude. Par deux courriels des 16 mai et 8 juin 2012, un représentant de l’ANFR a invité la société TDF à répondre elle-même auxdites questions.

Le premier courriel était ainsi libellé : « L’ANFR a engagé une démarche visant à abroger l’ensemble des servitudes de TDF et de France Telecom. Si le processus devant mener à l’abrogation de ces décrets est engagé, les décrets sont pour le moment toujours effectifs et opposables. Il revient à TDF et France TDF (sic), en tant que bénéficiaires de ces servitudes, de se prononcer sur les projets pouvant les impacter. Ou s’il devait s’avérer que TDF considère que ces décrets n’ont dès à présent plus à être gérés (considérés comme inexistants) merci de nous l’indiquer. » (Saisine 09/0109F, cote 17914). Dans le second courriel, l’ANFR écrivait : « Les servitudes de TDF n’étant pas abrogées, il vous appartient de vous prononcer sur les sujets pouvant les impacter. » (Saisine 09/0109F, cote 17917).

96.Dans ces conditions, et sans qu’il soit besoin pour la cour de se prononcer sur le bien-fondé de l’analyse juridique de l’ANFR, il y a lieu de constater que la société TDF, qui connaissait cette analyse, était fondée à considérer que les centres qu’elle exploitait restaient protégés par les servitudes mises en place en application des articles L. 54 et L. 57 du code des postes et des communications électroniques, nonobstant le fait qu’elle-même n’était plus un service de l’Etat depuis sa privatisation en 2004, et qu’elle pouvait donc se prononcer sur les projets d’implantation de pylônes radioélectriques dans les zones de servitude.

97.Mais, en second lieu, il résulte du libellé des articles R. 24 alinéa 1er et R. 30 alinéa 2 du code des postes et des communications électroniques, que les servitudes établies en application des articles L. 54 et L. 57 du code des postes et des communications électroniques n’emportent pas une impossibilité absolue d’implanter un pylône radioélectrique dans la zone couverte, puisqu’y est réservée la possibilité d’une autorisation d’implantation.

98.En effet, ces servitudes ont pour finalité de protéger les installations en bénéficiant contre les risques de perturbation des émissions et réceptions radioélectriques. À défaut d’un tel risque, rien ne justifie de refuser l’installation d’un bâtiment ou la mise en service de matériel électrique dans la zone de servitude.

99.La société TDF, personne morale de droit privé, dès lors qu’elle se reconnaissait elle-même comme le gestionnaire des servitudes, avait donc la possibilité d’émettre un avis favorable.

100. Or, en troisième lieu, la société TDF ne pouvait ignorer qu’une situation dans laquelle un opérateur économique jouit du droit discrétionnaire d’autoriser ou de refuser l’implantation d’infrastructures destinées à la concurrencer est incompatible avec une concurrence libre et non faussée.

101. Dans ces conditions, eu égard à la responsabilité particulière pesant sur elle en sa qualité d’entreprise en position dominante sur le marché de gros amont, il appartenait à la société TDF, lorsque son avis était sollicité par une collectivité territoriale, soit de refuser de se prononcer sur le projet d’une entreprise concurrente d’implantation d’un pylône dans une zone couverte par une servitude, son silence valant alors non-opposition au projet – position qu’elle a adoptée à compter de 2010 –, soit de n’émettre un avis négatif que dans les seuls cas où, à l’issue d’une analyse du projet concurrent, elle aboutissait au constat que celui-ci serait de nature à perturber le bon fonctionnement de ses propres infrastructures, et d’émettre un avis positif dans tous les autres cas.

102.Encore faut-il ajouter d’emblée que, eu égard à la mise en place de la COMSIS, laquelle garantit qu’il peut être remédié rapidement à d’éventuelles perturbations, un avis négatif ne pouvait être légitime qu’en cas de risque avéré de graves perturbations ne pouvant être réglées par les mesures que la COMSIS a le pouvoir de prendre. Or, c’est à juste titre que l’Autorité souligne qu’un tel risque est infinitésimal, voire inexistant, s’agissant de l’implantation d’un pylône radioélectrique, qui est une armature métallique très légère insusceptible de constituer un obstacle à la propagation des ondes radioélectriques (décision attaquée, § 127). Le seul exemple de perturbations consécutives à l’implantation d’un nouveau pylône qu’ont pu citer les requérantes – qui concernait la commune de Sisteron – (mémoire récapitulatif, points 121 et 128) le confirme, puisque, outre qu’il n’y avait pas de servitudes, les perturbations ont été réglées en une seule journée par une simple modification technique sur l’émetteur de la société TDF (décision attaquée, § 182).

103.Force est de constater que, dans tous les dossiers que l’enquête de ses services d’instruction a porté à la connaissance de l’Autorité, la société TDF a opposé un refus de principe aux projets d’implantation, sans aucune analyse au cas par cas. Il apparaît ainsi qu’elle s’est fondée sur la simple existence de servitudes, et non sur le constat d’un risque avéré de graves perturbations.

104.Il s’agissait d’une politique d’entreprise, ainsi que le démontre le fait que les cinq communes concernées (Château-Gontier, Condé-sur-Noireau, Sisteron, Ruy-Montceau et Vendôme) sont réparties sur l’ensemble du territoire national.

105.S’il en était besoin, un élément démontre que la société TDF était consciente du caractère abusif de cette politique : s’agissant d’un projet d’implantation d’un pylône par la société Itas Tim à proximité d’une de ses installations, la société TDF, sollicitée par la mairie de Vendôme, s’est, dans un courrier du 5 mai 2010, prévalue d’une servitude de type PT2 (Saisine 09/0109F, cote 6580), ce qui a conduit la mairie de Vendôme à s’opposer au projet (Saisine 09/0109F, cotes 6582 et 6583). La société Itas Tim lui en ayant fait le reproche, la société TDF a, dans son courrier en réponse du 18 mai 2010 (Saisine 09/0109F, cote 6585), nié avoir émis un avis négatif, alors que son courrier du 5 mai 2010 ne pouvait qu’être interprété comme une opposition à la réalisation du projet. Par ailleurs, dans le cadre de la procédure initiée par la société Itas Tim devant la COMSIS concernant ce même projet, la société TDF s’est gardée de se prévaloir de ladite servitude, et a uniquement invoqué des arguments techniques pour s’opposer à cette implantation, arguments d’ailleurs écartés par la COMSIS par décision du 21 mai 2010 (Saisine 09/0109F, cote 6586).

106.Un autre indice démontre encore que la société TDF, sous couvert de faire respecter les servitudes établies autour de certains de ses pylônes, poursuivait une politique anticoncurrentielle. Ainsi que l’a souligné l’Autorité aux paragraphes 95 à 97 de la décision attaquée, sollicitée le 26 octobre 2009 par le maire de Ruy-Montceau, la société TDF s’est opposée à un projet d’installation d’un pylône par la société Itas Tim en invoquant les servitudes PT1 et PT2 dont bénéficiaient prétendument ses propres installations (Saisine 09/0109F, cotes 6563 et 6564), alors que ces servitudes n’existaient pas. Mieux, comme l’a relevé l’Autorité aux paragraphes 92 à 94 de la décision attaquée, la société TDF a, par courrier du 2 mars 2009, reproché à la mairie de Sisteron de ne pas l’avoir consultée sur un autre projet d’Itas Tim se situant, selon elle, à l’intérieur du périmètre d’une servitude de protection radioélectrique, alors qu’une telle servitude n’avait jamais existé (Saisine 09/0109F, cotes 223 et 224). Dans l’un et l’autre cas, la société TDF ne saurait alléguer une erreur, alors que chaque servitude est établie par décret.

107. Enfin, va dans le même sens l’abandon de ladite politique à compter de 2010, sans qu’il soit justifié par une évolution du cadre réglementaire ou de l’analyse de l’ANFR. À cet égard, et contrairement à l’interprétation qui pourrait être faite des paragraphes 103 et 104 de la décision attaquée, la décision de la COMSIS du 21 mai 2010, relative à l’implantation d’un pylône par la société Itas Tim sur la […], n’a pas pu, en tant que telle, persuader la société TDF de l’illicéité de sa pratique antérieure. En effet, ainsi qu’il a déjà été relevé, dans le cadre de ce litige, la servitude dont bénéficiait la société TDF n’a même pas été évoquée devant la COMSIS.

108.Le constat qu’une opposition de principe aux projets d’implantation concurrente était inacceptable au regard des règles de la concurrence aurait dû être fait par la société TDF dès sa privatisation, en 2004, et en tout cas dès le moment où la question du sort des servitudes est devenue cruciale avec le déploiement du réseau complémentaire numérique à partir de mars 2008.

109.Dès lors, c’est à juste titre que l’Autorité a reproché à la société TDF d’avoir, par une instrumentalisation des servitudes constitutive d’une politique de communication trompeuse auprès des collectivités locales, cherché à faire obstacle à l’implantation de pylônes par ses concurrents en vue d’empêcher, par le recours à des moyens différents de ceux qui gouvernent une compétition normale par les mérites, le développement d’une concurrence par les infrastructures, pratique constitutive d’un abus de position dominante.

110.C’est en vain que les requérantes font valoir qu’il n’est ni établi que les servitudes ont constitué une barrière à l’entrée susceptible d’entraver le développement de la concurrence sur le marché de la diffusion, ni démontré que les avis de la société TDF ont causé un retard dans le développement des infrastructures concurrentes.

111. Il résulte en effet de l’instruction (décision attaquée, § 87, 99, 102) que plusieurs refus de maires de voir la société Itas Tim implanter un pylône radioélectrique ont été provoqués par l’opposition de la société TDF au projet, ce qui suffit à conclure que les avis de la société TDF ont eu un effet sur le développement de la concurrence par les infrastructures. Même si ces refus ont été finalement levés, après des démarches de la société Itas Tim, ils ont obligé cette société à mobiliser des ressources et du temps pour surmonter les oppositions initiales des maires, et ont retardé le développement de ses infrastructures.

112.Le deuxième volet du grief n° 1 est donc établi.

b. Sur le dénigrement des sociétés concurrentes auprès des communes de la plaque Alsace (troisième volet du grief) (

) ;

144.Dès lors, il y a lieu de constater que le troisième volet du grief n° 1, relatif à la mise en oeuvre d’une politique de communication dénigrante auprès des collectivités locales, n’est pas établi (

) ;

1°) ALORS QU’afin d’empêcher que des obstacles ne perturbent la propagation des ondes radioélectriques émises ou reçues par les centres de toute nature et d’assurer le fonctionnement des réceptions radioélectriques effectuées dans les centres de toute nature, le législateur avait institué diverses servitudes de protection des centres radioélectriques d’émission et de réception, dont bénéficiait notamment la société TDF ; que contrairement à ce que l’Autorité de la concurrence avait retenu, ces servitudes n’étaient pas caduques entre mars 2009 et mars 2010 ; qu’en interdisant, de fait, à la société TDF de faire usage des servitudes radioélectriques dont elle bénéficiait, après avoir expressément admis que la société TDF « était fondée à considérer que les centres qu’elle exploitait restaient protégés par les servitudes mises en place en application des articles L. 54 et L. 57 du code des postes et des communications électroniques, nonobstant le fait qu’elle-même n’était plus un service de l’Etat depuis sa privatisation en 2004, et qu’elle pouvait donc se prononcer sur les projets d’implantation de pylônes radioélectriques dans les zones de servitude », la cour d’appel qui n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé les textes susvisés dans leur version applicable en la cause, ensemble les articles 102 TFUE et L 420-2 du code de commerce ;

2°) ALORS QUE ne sont pas soumises aux dispositions de l’article L 420-2 du code de commerce, les pratiques qui résultent de l’application d’un texte législatif ou d’un texte réglementaire pris pour son application ; qu’en affirmant que la société TDF avait abusé de sa position dominante en instrumentalisant les servitudes dont elle bénéficiait de manière à faire obstacle à l’implantation de pylônes par ses concurrents en vue d’empêcher, par le recours à des moyens différents de ceux qui gouvernent une compétition normale par les mérites, le développement d’une concurrence par les infrastructures, après avoir souligné que contrairement à ce que l’Autorité de la concurrence avait retenu, ces servitudes n’étaient pas devenues caduques entre mars 2009 et mars 2010 et que la société TDF était fondée à s’en prévaloir, la cour d’appel a violé de plus fort les articles 102 du TFUE, L 420-2 et L 420-4 du Code de commerce ;

3°) ALORS QUE dans le périmètre de ces servitudes, il est interdit de mettre en service du matériel électrique susceptible de perturber les réceptions radioélectriques du centre, d’apporter des modifications à ce matériel, ou encore de créer des obstacles fixes ou mobiles dont la partie la plus haute excède une cote fixée par le décret, sans l’autorisation du ministre dont les services exploitent le centre ou exercent la tutelle sur lui ; qu’en retenant, pour reprocher à la société TDF d’avoir opposé un refus de principe aux projets d’implantation, sans aucune analyse au cas par cas qu’il résulte du libellé des articles R. 24 alinéa 1er et R. 30 alinéa 2 du code des postes et des communications électroniques, que les servitudes établies en application des articles L. 54 et L. 57 du code des postes et des communications électroniques n’emportent pas une impossibilité absolue d’implanter un pylône radioélectrique dans la zone couverte, puisqu’y est réservée la possibilité d’une autorisation d’implantation, quand il n’appartient pas à TDF mais au ministre de délivrer cette éventuelle autorisation d’implantation, la cour d’appel a violé les textes susvisés dans leur rédaction applicable en la cause ;

4°) ALORS QU’en retenant pour reprocher à la société TDF d’avoir abusé de sa position dominante en instrumentalisant les servitudes dont elle bénéficiait de manière à faire obstacle à l’implantation de pylônes par ses concurrents en vue d’empêcher, par le recours à des moyens différents de ceux qui gouvernent une compétition normale par les mérites, le développement d’une concurrence par les infrastructures, qu’un avis négatif de TDF sur des implantations concurrentes « ne pouvait être légitime qu’en cas de risque avéré de graves perturbations », la cour d’appel qui a ajouté à la loi une condition qu’elle ne comporte pas, a violé les articles L 54 et s., R 21 et s. du CPCE dans leur rédaction applicable en la cause, ainsi que les articles 102 du TFUE et L 420-2 du Code de commerce ;

5°) ALORS QU’en se bornant à reprocher à la société TDF d’avoir abusé de sa position dominante en instrumentalisant les servitudes dont elle bénéficiait de manière à faire obstacle à l’implantation de pylônes par ses concurrents en vue d’empêcher, par le recours à des moyens différents de ceux qui gouvernent une compétition normale par les mérites, le développement d’une concurrence par les infrastructures, sans vérifier comme elle y avait été invitée, si ces servitudes avaient empêché l’installation d’infrastructures concurrentes, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 102 du TFUE et L 420-2 du Code de commerce.

DEUXIEME MOYEN DE CASSATION

Il est fait grief à l’arrêt attaqué d’avoir rejeté tous les moyens du recours formé contestant la décision déférée en ce qu’elle a dit qu’il est établi que la société TDF SAS, en tant qu’auteur des pratiques, et les sociétés Tyrol Acquisition 1 SAS , devenue TDF Infrastructure Holding SAS, et Tyrol Acquisition 2 SAS, devenue TDF Infrastructure SAS, en leur qualité de sociétés mères de la société TDF SAS, ont enfreint les dispositions de l’article L. 420-2 du code de commerce et celles de l’article 102 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, en mettant en oeuvre une remise de plaque géographique et en ce qu’elle leur a infligé solidairement une sanction pécuniaire d’un montant de 9 millions d’euros ;

AUX MOTIFS QUE sur les moyens relatifs au grief n° 3

145.Les requérantes soutiennent que la société TDF ne détient pas une position dominante sur le marché de gros aval (1.) Elles font valoir en outre que la pratique de la remise de plaque n’était pas anticoncurrentielle et qu’en tout état de cause, elle était objectivement justifiée (2.).

1. Sur la position dominante de la société TDF sur le marché de gros aval (

)

154.Le marché de gros aval de diffusion par voie hertzienne terrestre de programmes télévisuels en mode numérique est un marché sur lequel l’ensemble des opérateurs de diffusion offrent des services de diffusion aux éditeurs de programmes télévisuels, regroupés et représentés par les opérateurs de multiplex ; il s’agit d’un marché de dimension nationale.

155.C’est par une motivation suffisante, que la cour fait sienne, que l’Autorité a caractérisé la forte position dominante dont jouit la société TDF sur le marché de gros aval (décision attaquée, § 141 à 144 et 148 à 149).

156.En premier lieu, il est erroné de prétendre, comme le font les requérantes, que l’Autorité se serait exclusivement fondée sur le critère des parts de marchés qu’elle détient pour conclure qu’elle était en position dominante.

157.L’Autorité a également retenu, au nombre des éléments caractérisant la position dominante de la société TDF :

– le fait que les opérateurs concurrents sont significativement plus petits qu’elle, tant au regard de leurs parts de marchés sur le territoire national qu’au regard de leur taille ou de la taille de leur groupe (décision attaquée, § 142) ;

– la forte notoriété de la société TDF ainsi que le capital unique d’informations et de relations qu’elle détient, découlant de sa situation particulière d’ancien opérateur historique de la diffusion hertzienne bénéficiant d’un monopole d’État (décision attaquée, § 143 et 144) ;

– le fait que, la société TDF ayant hérité du réseau historique d’infrastructures déployé sur la totalité du territoire national du temps du monopole, elle est le seul opérateur verticalement intégré présent sur tout le territoire (décision attaquée, § 143) ;

– le contre-pouvoir limité de ses clients (les W…) (décision attaquée, § 148 et 149).

158.S’agissant de l’indice tiré de la taille relative des opérateurs alternatifs, et des groupes dont ils dépendent, par rapport à celle de la société TDF, si les requérantes rappellent que les sociétés towerCast et Itas Tim appartiennent à des groupes importants – respectivement NRJ et Itas –, il n’en reste pas moins que, ainsi que l’a rappelé l’Autorité sans être démentie (observations, point 71), les groupes NRJ et Itas ont une taille inférieure à celle du groupe TDF.

159.De plus, les requérantes ne contestent pas que les sociétés Itas Tim, towerCast et Onecast, opérateurs concurrents sur le marché de gros aval, étaient significativement plus petites que la société TDF. Afin de mesurer l’importance de l’écart entre la société TDF et ses concurrents à la fin de la période couverte par le grief n° 3, il convient de rappeler l’analyse qu’a faite l’ARCEP dans son avis n° 09-A-09 du 17 avril 2009 : « en face de TDF, trois types de concurrents peuvent être distingués. Tout d’abord towerCast, seul véritable acteur disposant de quelques infrastructures alternatives à celles de TDF [

] Les parts de marché de towerCast semblent cependant stagner. De leur côté, TF1, qui a créé OneCast [

] et Canal Plus, qui s’auto-diffuse partiellement, n’ont pas la « masse critique » pour concurrencer efficacement TDF dans le domaine de la diffusion. Enfin, la société Itas Tim semblerait a priori disposer d’un modèle économique prometteur car elle est une filiale d’un groupe actif dans la vente d’infrastructures de diffusion. Cependant, cette entreprise de 25 salariés seulement, et à l’heure actuelle sans chiffre d’affaires, n’a commencé ses activités qu’en septembre 2008 et n’a répondu que très partiellement aux derniers appels d’offres, n’obtenant qu’une part minime des fréquences proposées. »

160.S’agissant de la forte notoriété de la société TDF, comme du fait qu’elle est le seul opérateur verticalement intégré présent sur tout le territoire, c’est en vain que les requérantes prétendent que ces avantages seraient annihilés par la régulation sectorielle mise en place par l’ARCEP sur le marché de gros amont.

161.En effet, si cette régulation sectorielle a effectivement permis une concurrence par les services sur le marché de gros aval, elle n’a eu aucune incidence sur la notoriété de la société TDF et le capital unique d’informations et de relations qui est le sien.

162.Par ailleurs, il ne saurait être sérieusement contesté que, nonobstant la régulation sectorielle sur le marché de gros amont, la détention par la société TDF d’un réseau historique d’infrastructures déployé sur la totalité du territoire national, tandis que ses concurrents doivent, le plus souvent, être hébergés sur les installations de la société TDF, donne à cette société un avantage considérable sur le marché de gros aval. C’est à juste titre que l’Autorité a souligné, au paragraphe 149 de la décision attaquée, que la société TDF « est le seul opérateur de diffusion en mesure de se positionner, sans délai et à partir de ses propres infrastructures, sur la totalité des points de services mis en concurrence dans le cadre du déploiement de la TNT, ce qui lui confère une capacité commerciale sans équivalent pour un grand nombre de sites ». De même, ainsi que l’indique l’Autorité (observations, point 83), l’examen des candidatures et du résultat des appels d’offres lancés pour le déploiement de la TNT confirme que la société TDF est un opérateur incontournable pour les opérateurs de multiplex : d’une part, elle a été la seule à répondre à une grande proportion des appels d’offres du réseau complémentaire de la TNT ; d’autre part, elle a remporté une grande majorité des appels d’offres du réseau principal numérique comme du réseau complémentaire, même lorsque des concurrents ont proposé des offres alternatives plus compétitives en prix.

163.Il peut d’ailleurs être noté que les opérateurs de diffusion concurrents ont privilégié la concurrence par les infrastructures sur le réseau complémentaire numérique (décision attaquée, § 245), ce qui démontre que la solution de l’hébergement sur les installations de la société TDF ne présente pas les mêmes avantages pour un opérateur que la construction et l’exploitation de ses propres installations.

164.Enfin, les requérantes contestent vainement l’affirmation de l’Autorité selon laquelle le pouvoir de négociation des opérateurs de multiplex serait limité.

165.Ce caractère limité découle d’abord du caractère de partenaire incontournable qu’a la société TDF, ainsi qu’il vient d’être exposé, et qui conduit les opérateurs de multiplex à contracter avec elle, nonobstant des prix plus élevés.

166.Comme le fait justement valoir l’Autorité (observations, points 89 à 91), l’intégration verticale n’était pas une alternative crédible aux services de l’opérateur historique de diffusion, ainsi que le démontre le fait que les MUX SMR6, qui compte TF1 parmi ses chaînes, et NRJ12, membre du groupe NRJ, ont néanmoins choisi la société TDF pour la majorité de leurs appels d’offres, et non, pour l’une, Onecast, membre du groupe TF1, et, pour l’autre, towerCast, membre du groupe NRJ, la disparition de la société Onecast en 2014 en étant une autre preuve.

167.Les limites au pouvoir de négociation des opérateurs de multiplex sont ensuite la conséquence, rappelée au paragraphe 149 de la décision attaquée, de l’obligation de couverture en numérique de 95 % de la population française, qui pèse sur eux, ce qui leur interdit de refuser de passer contrat avec un diffuseur pour la diffusion de leurs programmes à partir d’un site au motif, par exemple, que les prix pratiqués leur apparaîtraient trop élevés. Or, ainsi que le souligne justement l’Autorité (observations, point 88), dans les zones de déploiement où, hors TDF, aucun autre diffuseur n’avait répondu, les opérateurs de multiplex se trouvaient de facto captifs des offres de l’opérateur historique. C’est en vain que les requérantes soutiennent que l’Autorité aurait méconnu la possibilité des éditeurs de s’auto-diffuser, alors que, comme le rappelle cette dernière (observations, point 96), le choix de l’auto-diffusion ne concerne que Canal Plus, et pour une partie seulement de ses besoins de diffusion hertzienne.

168.Enfin, c’est à juste titre que l’Autorité a indiqué, au paragraphe 148 de la décision attaquée, que le nombre relativement réduit des acheteurs (huit opérateurs de multiplex entrés progressivement sur le marché de la TNT entre 2005 et 2012, et six seulement pendant la période couverte par le grief n° 3), qui pourrait leur procurer une puissance d’achat, doit être relativisé au regard du nombre encore plus réduit des offreurs, qui a oscillé, depuis 2005, entre trois et quatre.

169.Tous les éléments rappelés ci-dessus, et dont les requérantes contestent en vain l’exactitude, sont pertinents aux fins de conclure à l’existence d’une position dominante, y compris sur un marché fonctionnant par appels d’offres, tel le marché de gros aval.

170.À cet égard, il peut être relevé que, tandis que la société TDF répond à la totalité des appels d’offres des opérateurs de multiplex, la société Itas Tim n’a, aux dires même des requérantes (mémoire récapitulatif, point 257, note 232), répondu qu’à 300 à 400 appels d’offres sur un total de 1 518, soit un taux de participation de 20 à 26 %.

171.Ce constat suffit à démontrer que le fonctionnement d’un marché par appels d’offres n’est pas exclusif d’une situation de position dominante sur ce marché, et peut même exacerber les avantages dont jouit l’entreprise en position dominante par rapport à ses concurrents, notamment lorsque ces derniers, qui n’ont pas les mêmes moyens, n’ont pas la possibilité de la concurrencer sur chaque appel d’offres.

172.En second lieu, le critère des parts de marchés reste pertinent pour apprécier l’existence d’une position dominante sur un marché fonctionnant par appels d’offres.

173.En effet, même si chaque appel d’offres constitue un marché instantané résultant de la rencontre d’un appel d’offres et des soumissions déposées en réponse, l’aptitude d’un opérateur à remporter un nombre substantiel d’appels d’offres et, partant, à détenir, sur le marché global, des parts de marchés élevées, est un indice qu’il détient une position de puissance économique.

174.Les parts de marchés détenues par la société TDF sur le marché de gros aval sont très fortes : en volume, elles étaient de plus de 70 % au cours de la période couverte par le grief n° 3 (décision attaquée, § 141) ; en valeur, elles ont été respectivement de 84 % en 2005, 85 % en 2006, 83 % en 2007, 79 % en 2008 et 79 % en 2009 (décision attaquée, § 309).

175.En l’espèce, l’importance de ces parts de marché apparaît à la fois comme la conséquence des caractéristiques du marché de gros aval et des spécificités de la société TDF, rappelées ci-dessus, sur lesquelles l’Autorité s’est fondée pour conclure à l’existence d’une position dominante, et comme la preuve de cette position dominante.

176.Il peut être ajouté qu’aux dires mêmes des requérantes (mémoire récapitulatif, point 258), les prix pratiqués par les concurrents de la société TDF « sont significativement plus bas » que les siens. Dès lors que, malgré des prix « significativement » plus élevés, la société TDF a conservé des parts de marché très élevées, en volume comme en valeur, l’affirmation qui précède vaut reconnaissance de ce que la société TDF pouvait se permettre, sur le marché de gros aval, des comportements indépendants dans une mesure appréciable vis-à-vis de ses concurrents, de ses clients W… et, finalement, des consommateurs.

177.Ladite position dominante peut être qualifiée de forte, étant rappelé qu’aux termes de la jurisprudence des juridictions de l’Union déjà citée, des parts de marché de plus de 50 % constituent des parts de marché extrêmement élevées (CJUE, arrêts précités AKZO/Commission, point 60, et Astra Zeneca / Commission, point 176).

178.Il y a lieu de rejeter l’ensemble des moyens contestant la détention d’une forte position dominante par la société TDF à l’époque des pratiques.

2. Sur le système de remise de plaque géographique

179.À titre liminaire, la cour rappelle que, par le grief n° 3, l’Autorité reproche à la société TDF, en tant qu’auteur de la pratique, et aux sociétés TDF Infrastructure Holding et TDF Infrastructures, en tant que ses sociétés mères, une pratique de rabais d’exclusivité constitutive d’un abus de position dominante.

180.La remise de plaque, qui est la pratique de rabais incriminée, est, ainsi que l’a exposé l’Autorité aux paragraphes 107 et 108 de la décision attaquée, une remise liée au nombre de sites de diffusion de la société TDF que chaque opérateur de multiplex sélectionne à l’intérieur de zones géographiques délimitées par TDF pour chaque appel d’offres. Plus précisément, une remise sur la part « émission » du prix de la prestation de diffusion proposée par la société TDF, est accordée lorsqu’un opérateur de multiplex retient cette société pour un certain nombre de sites de l’appel d’offres sur un même sous-ensemble géographique appelé « plaque géographique ». La remise de plaque est le plus souvent proposée lors du second tour de l’appel d’offres. Ses taux et seuils de déclenchement sont détaillés aux paragraphes 109 et suivants de la décision attaquée.

a. Sur le caractère anticoncurrentiel de la pratique

181.Les requérantes soutiennent que la décision attaquée n’a pas démontré à suffisance de droit le caractère anticoncurrentiel de la remise de plaque.

182.En ce sens, elles exposent que la qualification de « rabais d’exclusivité » attribuée à la remise de plaque est juridiquement erronée dans la mesure où le bénéfice de cette remise s’appréciant séparément au niveau de chaque plaque, son octroi n’est pas lié à un approvisionnement des opérateurs de multiplex auprès de la société TDF pour une part importante de leurs besoins sur le marché pertinent, qui est le marché de gros aval national.

183.Selon les requérantes, la remise de plaque ne présente aucune caractéristique susceptible de la rendre fidélisante : elle fonctionne sur la base d’une grille de remises par paliers progressifs, n’a aucun caractère rétroactif, et le calcul du rabais auquel le client a droit n’est entouré d’aucune incertitude. Partant, elle serait dépourvue de tout effet d’éviction.

184.Elle constituerait un rabais quantitatif, ainsi que l’a qualifiée l’ARCEP dans son avis du 29 novembre 2011 rendu à la demande de l’Autorité dans le cadre de l’instruction au fond.

185.Subsidiairement, les requérantes font valoir que l’Autorité ne pouvait pas présumer le potentiel d’éviction de la remise de plaque dans la mesure où la régulation sectorielle de l’ARCEP neutralise le caractère « fort » de la position dominante de la société TDF et, par conséquent, son statut de partenaire incontournable pour ses clients W….

186.À titre encore plus subsidiaire, les requérantes font valoir que lorsque, comme en l’espèce, un système de rabais relève du passé, l’analyse de son potentiel d’éviction est nécessairement d’une autre nature que pour un système encore proposé, et ne saurait se limiter à une analyse prospective. La démonstration de l’absence d’effets concrets d’éviction d’un rabais relevant du passé démentirait par définition tout « potentiel » d’éviction.

187.Elles reprochent à l’Autorité de ne pas avoir pris en compte l’absence totale d’effet concret de la remise de plaque dans l’analyse de son potentiel d’éviction. Selon elle, en effet, le mécanisme n’a produit aucune éviction réelle, comme le démontre le fait que les concurrents de la société TDF se sont fortement développés à l’époque des pratiques et alors que les remises étaient pratiquées par l’ensemble des diffuseurs. Au surplus, elles soulignent que lesdits concurrents pratiquaient des tarifs inférieurs à ceux de la société TDF, ce qui démontrerait qu’ils pouvaient répliquer ses offres commerciales.

188.Sur ce point, les requérantes invitent la cour, dans l’hypothèse où elle viendrait à considérer que l’application de l’article 102 TFUE soulève une difficulté d’interprétation, à saisir la Cour de justice d’un recours préjudiciel afin de lui poser les questions suivantes, visant en substance à savoir dans quelle mesure l’absence de potentiel d’éviction réel d’une remise doit être pris en compte : « – Compte tenu du caractère pénal des sanctions infligées pour les infractions aux règles de concurrence, l’absence d’effet d’éviction concret de pratiques relevant du passé mises en oeuvre par une entreprise en position dominante, telles que celles en cause au principal, est-elle de nature à jeter un doute raisonnable sur l’effet d’éviction potentiel desdites pratiques et, partant, sur l’existence d’une infraction à l’article 102 du TFUE ?

– Le refus de prendre en considération l’absence d’effet d’éviction concret dans l’analyse du potentiel d’éviction d’un comportement relevant du passé, tel que celui en cause au principal, méconnaît-il les principes de la responsabilité personnelle, d’individualité des peines et in dubio pro réo ? » (

)

193.À titre liminaire, la cour relève que la description que fait l’Autorité du mécanisme de déclenchement de la remise de plaque et de ses taux, aux paragraphes 109 à 115 de la décision attaquée, n’est pas critiquée par les requérantes.

194.Elle rappelle également que, selon une jurisprudence constante des juridictions de l’Union, l’article 102 du TFUE n’a aucunement pour but d’empêcher une entreprise de conquérir, par ses propres mérites, la position dominante sur un marché. Cette disposition ne vise pas non plus à assurer que des concurrents moins efficaces que l’entreprise occupant une position dominante restent sur le marché (CJUE, arrêt du 6 septembre 2017, Intel/Commission, C-413/14 P, point 133 et jurisprudence citée).

195.Ainsi, tout effet d’éviction ne porte pas nécessairement atteinte au jeu de la concurrence. Par définition, la concurrence par les mérites peut conduire à la disparition du marché ou à la marginalisation des concurrents moins efficaces et donc moins intéressants pour les consommateurs du point de vue notamment des prix, du choix, de la qualité ou de l’innovation (CJUE, arrêt Intel/Commission, précité, point 134 et jurisprudence citée).

196.Cependant, il incombe à l’entreprise qui détient une position dominante une responsabilité particulière de ne pas porter atteinte, par son comportement, à une concurrence effective et non faussée dans le marché intérieur (CJUE, arrêt Intel/Commission, précité, point 135 et jurisprudence citée).

197.C’est pourquoi l’article 102 TFUE interdit, notamment, à une entreprise occupant une position dominante de mettre en oeuvre des pratiques produisant des effets d’éviction pour ses concurrents considérés comme étant aussi efficaces qu’elle-même, renforçant sa position dominante en recourant à des moyens autres que ceux qui relèvent d’une concurrence par les mérites. Dans cette perspective, toute concurrence par les prix ne peut donc être considérée comme légitime (CJUE, arrêt Intel/Commission, précité, point 136 et jurisprudence citée).

198.En premier lieu, il est constant que les rabais d’exclusivité, dont l’octroi est lié à la condition que le client – quel que soit par ailleurs le montant, considérable ou minime, de ses achats – s’approvisionne pour la totalité ou une partie importante de ses besoins auprès de l’entreprise en position dominante, sont présumés incompatibles avec l’objectif d’une concurrence non faussée dans le marché commun parce qu’ils ne reposent pas – sauf circonstances exceptionnelles – sur une prestation économique justifiant cet avantage financier, mais tendent à enlever à l’acheteur, ou à restreindre dans son chef, la possibilité de choix en ce qui concerne ses sources d’approvisionnement et à barrer l’accès au marché aux autres producteurs. En effet, de tels rabais tendent à empêcher, par la voie de l’octroi d’un avantage financier, l’approvisionnement des clients auprès des producteurs concurrents (CJUE, arrêts du 13 février 1979, T… /Commission, 85/76, point 89 ;du 9 novembre 1983, Michelin/Commission, 322/81, point 71 ; du 19 avril 2012, Tomra e.a./Commission, C-549/10 P, point 70 ; du 6 septembre 2017, Intel/Commission, C-413/14 P, point 137).

199.Aux fins d’apprécier si un rabais peut être qualifié de rabais d’exclusivité, il convient de prendre en considération les besoins du client sur le marché sur lequel il a été constaté que le fournisseur détient une position dominante.

200.En effet, c’est parce que la position dominante d’une entreprise sur un marché lui assure un volume minimal des ventes qui y sont réalisées, qu’un système de rabais d’exclusivité fondé sur le volume total des achats sur ledit marché est efficace : le client, qui est de toute façon tenu de s’adresser à cette entreprise pour un certain volume d’achats, est incité à augmenter ce volume, plutôt que de s’approvisionner pour le surplus de ses besoins auprès de la concurrence, afin d’atteindre le seuil fixé pour une remise qui s’appliquera à la totalité desdits achats ; et c’est parce que cet effet se produit au niveau du marché tout entier qu’il emporte un effet d’éviction a priori assez puissant pour pouvoir présumer l’abus de position dominante.

201.Ainsi que l’a indiqué la Commission dans l’affaire Intel/Commission, pour défendre la qualification de rabais d’exclusivité, « les rabais d’exclusivité présentent des caractéristiques anticoncurrentielles telles qu’il est généralement inutile de démontrer leur capacité de restreindre la concurrence. Ainsi, ces rabais [ont] un effet dissuasif engendré par la perspective pour l’entreprise cliente de perdre les rabais sur la part non disputable du marché. Il en [résulte] qu’ils restreignent généralement la liberté des clients de choisir leurs sources d’approvisionnement en fonction de l’offre la plus attrayante. » (CJUE, arrêt Intel/Commission, précité, point 122).

202.Force est de constater qu’une différence fondamentale distingue la remise de plaque en cause en l’espèce des rabais d’exclusivité objet des arrêts précités T… /Commission et Intel/Commission.

203.Dans le premier de ces deux arrêts, un rabais de 1 % était accordé au client si, au niveau du marché commun, la totalité de ses achats à la société La Roche en vitamines A, B2, B6, C, E et H atteignait 60 % des besoins de ce client ; il était de 1,5 % si les achats atteignaient 70 %, et de 2 % s’ils atteignaient 80 % (CJUE, arrêt T… /Commission, précité, point 97).

204.Dans l’arrêt Intel/Commission, un rabais était accordé au client si, au niveau mondial, la totalité de ses achats à la société Intel en CPU x86 – un type de processeur – destinés à ses ordinateurs portables atteignait au moins 80 % des besoins de ce client (TUE, arrêt Intel/Commission, précité, point 79).

205.Dans ces deux arrêts, les besoins du client et le volume de ses achats étaient appréciés sur le même marché : c’est le cumul des achats réalisés sur le marché pertinent qui, rapporté aux besoins du client sur ce même marché, conditionnait l’octroi du rabais pour la totalité desdits achats.

206.Certes, dans son arrêt Intel/Commission, précité, le Tribunal a limité à un segment (celui des CPU x86 destinés aux ordinateurs portables) du marché pertinent (le marché mondial des CPU x86) son analyse du caractère d’exclusivité du rabais.

207.Mais, d’une part, dans le cadre du pourvoi formé contre cet arrêt devant la Cour de justice, l’approche du Tribunal a été critiquée par l’avocat général L… (points 208 à 213 de ses conclusions), qui a notamment fait valoir que « [l]e constat d’un abus de sa position dominante par une entreprise tenant à l’éviction d’un concurrent ne saurait dépendre d’une segmentation apparemment arbitraire du marché ». Le fait que, par son arrêt Intel/Commission, précité, la Cour de justice ait cassé ledit arrêt sur le fondement d’un autre moyen de droit, ne saurait être interprété comme validant le choix du Tribunal d’analyser l’effet d’éviction du système de rabais en cause sur un segment du marché pertinent.

208.D’autre part, et en tout état de cause, la présente espèce se distingue de l’affaire Intel/Commission : même limité à un segment du marché pertinent, le bénéfice du rabais en cause dans l’affaire Intel/Commission reposait sur le cumul des achats effectués par un client sur l’ensemble du marché, tel que défini géographiquement, ce qui n’est pas le cas en l’espèce, ainsi qu’il va être dit ci-après.

209.Dans le système de rabais mis en place par la société TDF, le bénéfice ou non de la remise de plaque, pour une plaque géographique donnée, est indépendant du choix de ses prestataires sur les autres plaques effectué par l’opérateur de multiplex. Ainsi, le fait pour un opérateur de multiplex de confier à la société TDF la diffusion de ses chaînes à partir d’au moins 70 % des sites d’une plaque n’entraîne aucune baisse rétroactive des prix que lui a facturés la société TDF sur les plaques pour lesquelles les contrats de diffusion ont déjà été conclus. À l’inverse, le fait pour un opérateur de multiplex de ne pas confier la diffusion de ses chaînes à la société TDF sur une plaque donnée, ne lui fait perdre aucune des remises de plaques dont il pourrait déjà bénéficier sur d’autres plaques.

210.La raison en est que le bénéfice de la remise est apprécié au niveau de la plaque considérée, exclusivement en fonction des besoins de l’opérateur de multiplex sur cette plaque et de l’importance de la prestation confiée à la société TDF. C’est pourquoi le nombre total de sites qu’un opérateur de multiplex confie la société TDF au plan national pour diffuser ses chaînes est absolument indifférent, lorsqu’il s’agit d’apprécier s’il a droit ou non à une remise sur une plaque donnée.

211.Il s’ensuit qu’à chaque fois qu’un opérateur de multiplex lance un ensemble d’appels d’offres pour une plaque géographique donnée, son choix de contracter ou non avec la société TDF, s’il intègre la possibilité d’obtenir une remise sur cette plaque, ne dépend pas du volume global de contrats de diffusion passés avec cette société au niveau national.

212.Dès lors que le bénéfice de chaque remise de plaque n’était pas subordonné à la condition que l’opérateur de multiplex confie la totalité ou une partie importante de ses besoins de diffusion à la société TDF sur le marché de gros aval, qui est un marché national, le système de rabais mis en place par cette société ne pouvait être qualifié de rabais d’exclusivité.

213.Dans ces conditions, l’Autorité ne pouvait présumer, comme elle l’a fait, que les remises de plaque étaient constitutives d’un abus de position dominante.

214.En second lieu, il incombe à la cour de rechercher si, en instaurant le système de remise de plaque, la société TDF a abusé de sa position dominante.

215.À cet égard, il convient de rappeler que, afin de déterminer si une entreprise en position dominante a exploité de manière abusive cette position en appliquant un système de rabais qui n’est ni un rabais d’exclusivité – qui est présumé constituer un abus au sens de l’article 102 du TFUE – ni un rabais de quantité – qui n’est pas, en principe, de nature à enfreindre ce même article –, il faut apprécier l’ensemble des circonstances, notamment les critères et les modalités de l’octroi du rabais, et examiner si ce rabais tend, par un avantage qui ne repose sur aucune prestation économique qui le justifie, à enlever à l’acheteur, ou à restreindre dans son chef, la possibilité de choix, en ce qui concerne ses sources d’approvisionnement, à barrer l’accès du marché aux concurrents, à appliquer à des partenaires commerciaux des conditions inégales à des prestations équivalentes ou à renforcer la position dominante par une concurrence faussée (CJUE, arrêts Michelin/Commission, précité, point 73 ; du 15 mars 2007, British Airways/Commission, C-95/04 P, point 67 ; Tomra e.a./Commission, précité, point 71, et du 6 octobre 2015, Post Danmark, C-23/14, point 29).

216.Premièrement, les éléments de fait et de droit sur lesquels l’Autorité et, sur recours, la cour se sont fondés pour conclure à une position dominante forte de la société TDF sur le marché de gros aval sont les mêmes en tous points du territoire national.

217.De leur côté, si les requérantes produisent une analyse économique dans laquelle il est soutenu qu’il n’a, à aucun moment de l’instruction, été démontré que la société TDF est localement en position dominante, elles ne démontrent pas que la structure de marché et de la concurrence pourraient être significativement différente sur telle ou telle plaque géographique.

218.Il convient donc de considérer que la position dominante forte de la société TDF est établie sur l’ensemble des plaques géographiques concernées par le système de remise de plaque.

219.Or, pour les raisons déjà exposées lors de l’examen de l’existence d’une position dominante forte de la société TDF sur le marché de gros aval, la régulation sectorielle intervenue sur le marché de gros amont n’a pas été de nature à priver la société TDF de l’assurance qu’elle conserverait une part non contestable – ou non disputable – du marché de gros aval. En effet, d’une part, les concurrents de la société TDF n’étaient pas en mesure de répondre à tous les appels d’offres. D’autre part, le fait que la société TDF ait remporté des appels d’offres alors même qu’elle proposait les prix les plus élevé démontre que la part non disputable du marché de gros aval n’était pas cantonnée aux appels d’offres auxquels elle seule a répondu.

220.Deuxièmement, appréciée au niveau de chaque plaque géographique, la remise de plaque réunit toutes les caractéristiques d’un rabais d’exclusivité au sens de la jurisprudence des juridictions de l’Union.

221.Il est de jurisprudence constante des juridictions de l’Union que des rabais accordés pour des quantités individualisées correspondant à la totalité ou à la quasi-totalité de la demande ont le même effet que des clauses expresses d’exclusivité, en ce sens qu’ils amènent le client à s’approvisionner pour la totalité ou pour la quasi-totalité de ses besoins auprès de l’entreprise en position dominante.

222.Or, ainsi qu’il ressort du tableau figurant au paragraphe 111 de la décision attaquée, l’attribution à la société TDF, par un opérateur de multiplex, de la diffusion de ses programmes à partir d’au moins 70 % des sites de diffusion d’une plaque conditionne l’obtention du premier (et parfois unique) seuil de remise pour 59 % des plaques concernées par la pratique, et l’obtention du seuil intermédiaire de remise pour 95 % des plaques présentant deux seuils de remise ; de même, l’attribution à la société TDF, par un opérateur de multiplex, de la diffusion de ses programmes à partir d’au moins 80 % des sites de diffusion d’une plaque conditionne l’obtention du seuil supérieur de remise pour 100 % des plaques présentant trois seuils de remise.

223.C’est donc à juste titre que l’Autorité a constaté, au paragraphe 113 de la décision attaquée, que la part des sites qu’un opérateur de multiplex doit confier à la société TDF pour obtenir les remises correspond la plupart du temps à une fraction considérable des sites de la plaque géographique considérée.

224.Or, du fait des obligations de couverture qui leur incombent, la majorité des opérateurs de multiplex ont besoin de retenir un diffuseur pour chacun des sites composant les appels d’offres, dans la mesure où ceux-ci correspondent aux objectifs de déploiement fixés par le CSA.

225.Il s’ensuit qu’exiger que l’opérateur de multiplex retienne, pour la diffusion de ses programmes sur une plaque donnée, au moins 70 % des sites proposés par la société TDF dans son offre, équivaut à subordonner le bénéfice de la remise à la condition qu’il lui confie au moins 70 % de ses besoins de diffusion sur cette même plaque. Il en va de même pour chaque seuil de remise, lorsque la société TDF a proposé deux ou trois seuils de remise.

226.En d’autres termes, si la remise de plaque dépend formellement du nombre de sites de diffusion de la société TDF à partir desquels sont diffusés les programmes de l’opérateur de multiplex, elle dépend de facto de la part des besoins de diffusion de ce dernier, satisfaits par la société TDF.

227.Ces seuils sont en moyenne les mêmes pour toutes les plaques, quel que soit le nombre de sites de diffusion par plaque – nombre allant de deux à trente-deux sites (décision attaquée, § 109) –, ce qui suffit à démontrer que ce n’est pas le volume confié à la société TDF qui est le critère d’attribution de la remise, et exclut donc la qualification de rabais quantitatif, laquelle suppose que le rabais est lié exclusivement au volume des achats effectués auprès du producteur concerné. À cet égard, il est indifférent que, dans son avis du 29 novembre 2011, l’ARCEP ait, au détour d’une phrase, qualifié la remise de plaque de « remises quantitatives » (Saisine 09/0109F, cote 2648). En effet, lorsqu’elle se prononce sur l’existence d’une position dominante, a fortiori sur l’existence d’un abus d’une telle position, l’Autorité, seule chargée de poursuivre et sanctionner les pratiques anticoncurrentielles, n’est pas tenue par les appréciations de l’ARCEP. Au demeurant, dans ce même avis, l’ARCEP indique n’être pas en mesure « d’exprimer un avis sur la matérialité de ces pratiques » qu’elle n’a, à l’évidence, pas analysé de façon approfondie.

228.Il est exact que le marché fonctionnant par appels d’offres, il n’y a pas d’effet rétroactif au sens strict du terme, en ce sens que la remise est acquise et son pourcentage arrêté en un trait de temps, dès la signature des contrats de diffusion entre l’opérateur de multiplex et la société TDF pour la plaque considérée. De même, le bénéfice de la remise s’appréciant au niveau de chaque plaque, il est aisé pour l’opérateur de multiplex de calculer la remise dont il bénéficiera en fonction de la part de ses besoins de diffusion confiés à la société TDF.

229.Pour autant, les remises de plaque ne sont pas des rabais progressifs – à savoir des rabais accordés uniquement sur les achats qui dépassent le volume requis pour atteindre le seuil fixé –, mais produisent un effet cumulatif, en ce sens que la décision d’un opérateur de multiplex de confier au moins 70 % des sites de diffusion d’une plaque à la société TDF emporte remise pour le volume d’affaires tout entier réalisé sur cette plaque.

230.Or, c’est davantage l’effet cumulatif d’un rabais qu’un éventuel effet rétroactif stricto sensu, qui est susceptible de fermer le marché à la concurrence. Ainsi que l’ont jugé les juridictions de l’Union, l’incitation à s’approvisionner exclusivement ou presque exclusivement auprès de l’entreprise en position dominante est particulièrement forte lorsque des seuils sont combinés à un système en vertu duquel le bénéfice lié au franchissement, selon le cas, du seuil de prime ou d’un seuil plus avantageux se répercute sur tous les achats effectués par le client pendant la période considérée et pas exclusivement sur le volume d’achats excédant le seuil en question (TUE, arrêt du 9 septembre 2010, Tomra Systems e.a./Commission, T-155/06, point 260). Tel est également le sens de la communication de la Commission 2009/C45/02 intitulée « Orientations sur les priorités retenues par la Commission pour l’application de l’article 82 du traité CE aux pratiques d’éviction abusives des entreprises dominantes » (JOUE 2009, C47, p. 7, point 37).

231.C’est donc à juste titre que l’Autorité souligne que la remise de plaque repose sur une logique d’approvisionnement exclusif pour la totalité ou une grande partie des besoins du client W… sur la plaque géographique considérée.

232.Par ailleurs, outre qu’ils s’appliquent sur la totalité de la prestation de diffusion sur une plaque donnée, les taux de remise sont loin d’être négligeables, variant entre 3 % et 23 % (décision attaquée, § 109).

233.Au surplus, les contrats de prestation de services de diffusion passés par les opérateurs de multiplex avec l’opérateur de diffusion, notamment la société TDF, sont de longue durée, en général cinq ans, de sorte que la remise de plaque, accordée pour cette même durée, représente, à l’issue du contrat, des économies importantes pour l’opérateur de multiplex.

234.Dans ces conditions, la remise de plaque proposée par la société TDF, en position dominante sur chaque plaque considérée, et dont le bénéfice suppose que l’opérateur de multiplex confie la diffusion de ses programmes à la société TDF à partir d’au moins 70 % des sites de diffusion de cette plaque – représentant en même temps 70 % des besoins de diffusion de l’opérateur de multiplex – est une puissante incitation faite aux opérateurs de multiplex, qui s’adressent de toutes façons à la société TDF pour une part significative de leurs besoins de diffusion, de lui en confier au moins 70 % sur la majorité des 43 plaques géographiques concernées par la pratique.

235.Partant, la remise de plaque a eu potentiellement un effet d’exclusion de la concurrence lors des appels d’offres pour la diffusion à partir des sites localisés sur ces plaques, puis pendant toute la durée des contrats de diffusion, généralement de cinq ans, conclus par la société TDF lorsqu’elle a remporté des appels d’offres.

236.Troisièmement, pendant la période visée, entre mars 2005 et mars 2009, correspondant aux phases 3 à 8a du déploiement de la TNT, la pratique incriminée a été d’une envergure certaine, quand bien même celle-ci a varié selon l’opérateur de multiplex considéré. Sur ce point, la cour renvoie au tableau figurant au paragraphe 119 de la décision attaquée, dont la société TDF n’a pas contesté l’exactitude des données qu’il contient, et dont il ressort notamment que, pour les W… R2, R3, R4 et R6, environ la moitié du déploiement du réseau principal numérique au cours des phases 3 à 6 et la quasi-totalité du déploiement du réseau complémentaire numérique au cours des phases 7 et 8a, ont été touchées par le système de remise de plaque.

237.C’est à tort que, au point 250 de leur mémoire récapitulatif, pour déterminer la part du marché couverte par le système de remise de plaque, les requérantes comparent le nombre de 357 sites inclus dans les 43 plaques géographiques concernées par la pratique (décision attaquée, § 118) avec le nombre de 1626 zones de diffusion définies par le CSA.

238.En effet, outre que les zones de diffusion et les sites de diffusion ne coïncident pas exactement – le nombre de sites étant plus élevé –, ce nombre de 1626 zones couvertes par la TNT n’a été atteint qu’à l’issue du déploiement de la TNT sur l’ensemble territoire métropolitain, fin 2011. Or, à l’époque de la pratique visée par le grief n° 3, entre mars 2005 et mars 2009, le marché de gros aval ne s’était, par hypothèse, pas encore étendu aux zones de diffusion où le déploiement de la TNT n’avait pas commencé ni, partant, aux sites s’y trouvant. Une juste appréciation de l’intensité de ladite pratique suppose donc de comparer le nombre de sites concernés par les offres de remise de plaque au nombre total de site de diffusion mis en service entre mars 2005 et mars 2009.

239.Pour la période couverte par le grief n° 3, en prenant pour exemple les offres adressées par la société TDF au W… SMR6 (Saisine 09/0190F, cotes 14572 à 15016), le nombre total de sites mis en service pour la diffusion de la TNT s’est élevé à 459 (phase 4 : 24 sites ; phase 5a : 10 sites ; phase 5b : 9 sites ; phase 6a : 7 sites; phase 6b : 12 sites ; phase 7a1 :70 sites ; phase 7b1 : 53 sites ; phase 7b2 : 44 ; phase 7c1 : 49 sites ; phase 7c/7d :91 sites ; phase 8a : 71 sites, outre 19 sites pour la phase 3), de sorte que le nombre non contesté de 357 sites concernés par les remises de plaque représente 77 %. 240.À retenir, comme l’a fait l’Autorité, non pas le nombre de sites de diffusion, mais le nombre de points de diffusion – critère d’ailleurs plus pertinent, dès lors que la remise de plaque a été proposée avec une intensité variable selon les opérateurs de multiplex –, on aboutit à 1 022 points de services concernées par les remises de plaque (décision attaquée, § 256), sur 2 445 points de service mis en service au cours des phases 3 à 8a (observations de l’Autorité, point 163), chiffres non contestés par les requérantes, soit environ 40 % du total. L’importance de la pratique est plus forte encore si on limite l’analyse à la concurrence pour conquérir la clientèle des W… R2, R3, R4 et R6, pour lesquels la quasi-totalité du déploiement du réseau complémentaire numérique (phases 7 et 8) a été touchée par les remises de plaque (décision attaquée, §120).

241.Au demeurant, dès l’instant où les concurrents de la société TDF (towerCast, Onecast et Itas Tim) sont tous des opérateurs d’envergure nationale, le constat que la remise de plaque a produit un effet d’éviction, fût-il limité à une seule plaque, suffit à conclure au bien-fondé du grief n° 3. En effet, en ne permettant pas à ses concurrents de pouvoir la concurrencer, ne serait-ce que sur une partie seulement du marché de gros aval, la société TDF a abusé de sa position dominante.

242.Ainsi, eu égard à ses caractéristiques, à ses taux, à ses seuils de déclenchement, à sa durée et à son étendue, le système de remise de plaque a été de nature à limiter l’intensité de la concurrence sur le marché de gros aval.

243.Quatrièmement, la circonstance que, à la date à laquelle la pratique visée au grief n° 3 a été sanctionnée – le 6 juin 2016 –, ladite pratique avait cessé depuis de nombreuses années, n’emporte pas les conséquences que lui prête la société TDF. En particulier, il ne saurait conduire à ne fonder l’application des articles L. 420-2 du code de commerce et 102 du TFUE que sur des effets avérés et à écarter toute prise en compte d’effets potentiels.

244. Il est de jurisprudence constante des juridictions de l’Union, laquelle n’opère aucune distinction selon que la pratique examinée a cessé ou est toujours en cours, que, afin d’établir le caractère abusif d’un système de rabais mis en place par une entreprise en position dominante, l’effet anticoncurrentiel de celui-ci sur le marché doit exister, mais ne doit pas être nécessairement concret, étant suffisante la démonstration d’un effet anticoncurrentiel potentiel (CJUE, arrêt du 17 février 2011, TeliaSonera Sverige, C-52/09, point 64, et Post Danmark, précité, point 66).

245.L’interprétation soutenue par les requérantes, qui réduirait la portée de la jurisprudence précitée, a été explicitement condamnée par le Tribunal de l’Union dans son arrêt Telefónica et Telefónica de España/Commission, précité (point 272). Dans cette affaire, les parties soulignaient le laps de temps qui s’était écoulé entre le commencement du comportement incriminé et l’adoption de la décision, et en concluaient qu’il n’était « pas approprié de faire un test d’effets probables, la Commission disposant du temps nécessaire pour démontrer la matérialité des prétendus effets anticoncurrentiels ». Le Tribunal a rejeté cet argument en relevant qu’il « ne trouve […] aucun fondement dans la jurisprudence ». Le pourvoi formé contre cet arrêt a été rejeté, la Cour de justice réaffirmant qu’afin d’établir le caractère abusif d’une pratique, l’effet anticoncurrentiel de celle-ci sur le marché doit exister, sans être nécessairement concret, la démonstration d’un effet anticoncurrentiel potentiel étant suffisante (CJUE, arrêt Telefónica et Telefónica de España/Commission, précité, point 124).

246.Au demeurant, si les requérantes prétendent démontrer positivement l’absence d’effet concret de la pratique sur le marché, il n’en est rien, ainsi que le souligne justement l’Autorité, aux points 195 à 200 de ses observations.

247.En effet, les succès de la société Itas Tim ne sont pas de nature à exclure tout effet d’éviction de la concurrence, alors que, ainsi que l’a jugé la Cour de justice, un système de rabais mis en place par une entreprise en position dominante produit un effet d’éviction non seulement lorsqu’il rend impossibles l’accès des concurrents au marché ainsi que le choix par les clients entre plusieurs sources d’approvisionnement, mais également lorsqu’il les rend plus difficiles (CJUE, arrêt British Airways/Commission, précité, point 68).

248.Ainsi, le constat que la concurrence s’est développée pendant la période couverte par la pratique n’est pas exclusif d’un effet d’éviction, lorsqu’à défaut de cette pratique, le développement de la concurrence aurait pu être plus important.

249.Or, ainsi que l’a notamment constaté l’ARCEP dans ses analyses, nonobstant la régulation sectorielle sur le marché de gros amont, le développement de la concurrence sur le marché de gros aval est resté très limité.

b. Sur la justification de la pratique (

)

253.Aux termes de l’article L. 420-4 I 2° du code de commerce, dans sa rédaction en vigueur à la date des pratiques, « [n]e sont pas soumises aux dispositions des articles L. 420-1 et L. 420-2 les pratiques [

d]ont les auteurs peuvent justifier qu’elles ont pour effet d’assurer un progrès économique, y compris par la création ou le maintien d’emplois, et qu’elles réservent aux utilisateurs une partie équitable du profit qui en résulte, sans donner aux entreprises intéressées la possibilité d’éliminer la concurrence pour une partie substantielle des produits en cause ».

254.Quatre conditions doivent être cumulativement satisfaites pour octroyer, sur le fondement de cette disposition, une exemption à une pratique jugée anticoncurrentielle : la réalité du progrès économique, le caractère indispensable et adapté des pratiques en cause pour l’obtenir, l’existence d’un bénéfice pour les consommateurs et l’absence d’élimination de toute concurrence.

255.Par ailleurs, il est de jurisprudence constante des juridictions de l’Union (CJUE, arrêt Post Danmark, précité, points 47 à 49, et jurisprudence citée) qu’une entreprise en position dominante peut néanmoins justifier des agissements susceptibles de relever de l’interdiction énoncée à l’article 102 du TFUE.

256.En particulier, une telle entreprise peut démontrer que l’effet d’éviction qui résulte de son comportement peut être contrebalancé, voire surpassé, par des avantages en termes d’efficacité qui profitent également aux consommateurs.

257.Il appartient à l’entreprise en position dominante de démontrer que les gains d’efficacité susceptibles de résulter du comportement considéré neutralisent les effets préjudiciables probables sur le jeu de la concurrence et les intérêts des consommateurs sur les marchés affectés, que ces gains d’efficacité ont été ou sont susceptibles d’être réalisés grâce audit comportement, que ce dernier est indispensable à la réalisation de ceux-ci et qu’il n’élimine pas une concurrence effective en supprimant la totalité ou la plupart des sources existantes de concurrence actuelle ou potentielle.

258.En l’espèce, il ne saurait être sérieusement contesté que l’augmentation du nombre de sites d’une même zone géographique à partir desquels sont diffusés les programmes d’un opérateur de multiplex entraîne pour le diffuseur des économies d’échelle, au travers de la mutualisation de coûts fixes. Il paraît non moins évident que, s’agissant, non pas de ventes, mais de prestations de service, de telles économies d’échelles sont réalisées par paliers successifs, au fur et à mesure de l’augmentation du nombre de sites d’un opérateur de diffusion retenus par un opérateur de multiplex.

259.Pour autant, les requérantes échouent à justifier objectivement le système de remise de plaque mis en place par la société TDF.

260.D’abord, l’effet d’exclusion de la remise de plaque est d’autant plus important que le pourcentage de remise accordé aux opérateurs de multiplex est élevé.

261.Or, la société TDF n’a pas démontré – ni même entrepris de le faire – que, sur chacune des 43 plaques géographiques concernées par une remise de plaque, les pourcentages de remises ne dépassaient pas les économies d’échelle qu’elle réalisait en cas d’atteinte du ou des seuils(s) de remise.

262.Ensuite, il était loisible à la société TDF de faire porter le bénéfice de la remise sur les seuls sites de diffusion de la plaque concernée qui permettent d’atteindre le seuil garantissant une économie d’échelle, en supprimant ainsi l’effet « rétroactif » (c’est-à-dire cumulatif) qui est la caractéristique essentielle des rabais d’exclusivité.

263.À la lumière des deux constatations qui précèdent, la cour constate que les requérantes échouent à démontrer que le système de remise de plaque, tel qu’il a été organisé, était indispensable à la réalisation de gains d’efficacité, alors que des modalités moins attentatoires au maintien d’une concurrence effective étaient envisageables.

264.Enfin, et surtout, les requérantes n’allèguent pas, et a fortiori ne démontrent pas, que les gains d’efficacité susceptibles de résulter du système de remise de plaque neutralisent les effets préjudiciables probables sur le jeu de la concurrence et les intérêts des consommateurs sur les marchés affectés et que ce système n’élimine pas une concurrence effective en supprimant la totalité ou la plupart des sources existantes de concurrence actuelle ou potentielle.

265 .À cet égard, la cour relève que l’évolution du secteur a été marquée par la disparition de la société Onecast, rachetée par la société Itas Tim en 2014, puis celle de la société Itas Tim elle-même, rachetée par la société TDF en 2016 (décision attaquée, § 91), et ce alors même que s’ouvrait à ces sociétés, avec le déploiement de la TNT entre 2005 et 2011, un marché en principe prometteur. Même si aucune relation de cause à effet ne peut être démontrée entre les pratiques et ces disparitions, ces dernières démontrent le caractère fragile de la concurrence sur les marchés de la diffusion de la TNT.

266.Dès lors, il y a lieu de constater que les requérantes n’établissent pas que le système de remise de plaque serait objectivement justifié (

) ;

1°) ALORS QU’en affirmant que la société TDF jouit d’une forte position dominante sur le marché de gros aval qui est un marché de dimension nationale, tout en constatant que le système de remise de plaque était nécessairement local, la cour d’appel a violé les articles 102 TFUE et L 420-2 du Code de commerce ;

2°) ALORS QUE les rabais d’exclusivité ou de fidélité sont ceux dont l’octroi est lié à la condition que le client s’approvisionne pour la totalité ou une partie importante de ses besoins auprès de l’entreprise en position dominante : qu’en affirmant que « appréciée au niveau de chaque plaque géographique, la remise de plaque réunit toutes les caractéristiques d’un rabais d’exclusivité au sens de la jurisprudence des juridictions de l’Union » (§220), après avoir retenu que « le bénéfice de chaque remise de plaque (

) ne pouvait être qualifié de rabais d’exclusivité » (§212), la cour d’appel qui n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations a violé les articles 102 TFUE et L 420-2 du Code de commerce ;

3°) ALORS QUE face à des rabais d’exclusivité, le juge est notamment tenu d’analyser l’importance de la position dominante de l’entreprise sur le marché pertinent ainsi que taux de couverture du marché par la pratique contestée ; qu’en affirmant au contraire que « dès l’instant où les concurrents de la société TDF (

) sont tous des opérateurs d’envergure nationale, le constat que la remise de plaque a produit un effet d’éviction, fut il limité à une seule plaque, suffit à conclure au bien-fondé du grief n° 3 » (§241), la cour d’appel a violé les articles 102 TFUE et L 420-2 du Code de commerce ;

4°) ALORS QUE pour établir le caractère anticoncurrentiel d’un rabais d’exclusivité, le juge de la concurrence est désormais tenu non seulement tenue d’analyser, l’importance de la position dominante de l’entreprise sur le marché pertinent et le taux de couverture du marché par la pratique contestée, ainsi que les conditions et les modalités d’octroi des rabais en cause, leur durée et leur montant, mais aussi d’apprécier l’existence éventuelle d’une stratégie visant à évincer les concurrents au moins aussi efficaces ; qu’en se bornant à affirmer que « la remise de plaque a eu potentiellement un effet d’exclusion de la concurrence » (§235) ou encore « qu’afin d’établir le caractère abusif d’une pratique, l’effet anticoncurrentiel de celle-ci sur le marché doit exister, sans être nécessairement concret, la démonstration d’un effet anticoncurrentiel potentiel étant suffisante (§245) », après avoir admis que « l’Autorité ne pouvait présumer, comme elle l’a fait, que les remises de plaque étaient constitutives d’un abus de position dominante » (§ 213), la cour d’appel qui a statué par des motifs impropres à démontrer concrètement l’existence d’une éventuelle stratégie d’éviction de TDF, n’a pas légalement justifié sa décision de base légale au regard des articles 102 TFUE et L 420-2 du Code de commerce ;

5°) ALORS QUE pour établir le caractère anticoncurrentiel d’un rabais d’exclusivité, le juge de la concurrence est désormais tenu d’apprécier l’existence éventuelle d’une stratégie visant à évincer les concurrents au moins aussi efficaces ; qu’en considérant que les requérantes ne démontrent pas positivement l’absence d’effet concret de la pratique sur le marché, ainsi que le souligne justement l’Autorité dans ses observations (§246), quand il incombait, au contraire, à l’Autorité de la concurrence d’établir l’existence d’une stratégie d’éviction de TDF, la cour d’appel qui a inversé la charge de la preuve a violé les articles 102 TFUE et L 420-2 du Code de commerce ;

6°) ALORS QUE pour établir le caractère anticoncurrentiel d’un rabais d’exclusivité, le juge de la concurrence est désormais tenu d’apprécier l’existence éventuelle d’une stratégie visant à évincer les concurrents au moins aussi efficaces ; qu’en reprochant à la société TDF d’avoir abusé de sa position dominante en instituant des remises de plaques géographiques prétendument assimilables à des rabais d’exclusivité, tout en admettant qu’aucune relation de cause à effet ne peut être démontrée entre les pratiques de remises de plaques et les disparitions, de plusieurs sociétés du secteur (§265), la cour d’appel qui n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé de plus fort les articles 102 TFUE et L 420-2 du Code de commerce.

TROISIEME MOYEN DE CASSATION (imputabilité)

Il est fait grief à l’arrêt attaqué d’avoir rejeté tous les autres moyens d’annulation ou de réformation de la décision n° 16-D-11 et spécialement celui contestant l’imputation aux sociétés Tyrol Acquisition 1 SAS, désormais TDF Infrastructure Holding SAS, et Tyrol Acquisition 2, à présent TDF Infrastructure SAS, des pratiques qui sont reprochées à la société TDF ;

AUX MOTIFS QUE sur l’imputabilité des pratiques

267.Les requérantes contestent l’imputation aux sociétés Tyrol Acquisition 1 SAS, désormais TDF Infrastructure Holding SAS, et Tyrol Acquisition 2, à présent TDF Infrastructure SAS, des pratiques qui sont reprochées à la société TDF. Elles soutiennent en effet que ces deux sociétés ne sont que des holdings financières qui ne font que détenir, directement ou indirectement, la participation de plusieurs actionnaires dans la société TDF SAS, de sorte qu’elles n’ont aucune implication dans sa gestion opérationnelle.

268.L’Autorité fait valoir que, selon la jurisprudence, la circonstance qu’une société mère se comporte uniquement comme une société holding de participation ne suffit pas à renverser la présomption d’imputabilité.

269.Il est constant que, dans le cas particulier où une société mère détient, directement ou indirectement par le biais d’une société interposée, la totalité ou la quasi-totalité du capital de sa filiale auteur d’un comportement infractionnel, il existe une présomption réfragable que cette société mère exerce une influence déterminante sur le comportement de sa filiale.

270.Il ressort du paragraphe 269 de la décision attaquée que la société Tyrol Acquisition 1, devenue TDF Infrastructure Holding, détenait 98 % de la société Tyrol Acquisition 2, devenue TDF Infrastructure, qui elle-même détenait 100 % de la société TDF.

271.Il s’ensuit que la société Tyrol Acquisition 2 détenait directement la totalité du capital de la société TDF, et que la société Tyrol Acquisition 1 détenait indirectement, par le biais de la société Tyrol Acquisition 2, la quasi-totalité du capital de la société TDF.

272.Dans ces conditions, c’est à juste titre que l’Autorité a présumé que ces deux sociétés mères exerçaient, à l’époque des faits, une influence déterminante sur le comportement de la société TDF et, partant, leur a imputé le comportement de cette dernière.

273.C’est en vain que les sociétés TDF Infrastructure Holding et TDF Infrastructure font valoir qu’étant des holdings financières, elles n’ont aucune implication quelconque dans la gestion opérationnelle de la société TDF, cette circonstance n’étant pas de nature à renverser la présomption d’influence déterminante ;

ALORS QUE si la détention de la totalité du capital d’une filiale par une société mère laisse présumer que cette dernière exerce une influence déterminante sur la politique commerciale de sa filiale, cette présomption d’imputabilité à une société mère du comportement d’une filiale n’est pas irréfragable et ne dispense pas le juge de motiver spécialement sa décision ; que la circonstance que la société mère constitue une « holding pure », sans fonctions opérationnelles, est de nature à renverser la présomption d’influence déterminante : qu’en décidant le contraire, la cour d’appel a violé les articles 102 TFUE, L 420-2 du code de commerce et L 464-2 du code de commerce.

QUATRIEME MOYEN DE CASSATION (sanctions)

Il est fait grief à l’arrêt attaqué d’avoir fixé le montant de l’amende infligée solidairement aux sociétés TDF SAS, en tant qu’auteur des pratiques, et aux sociétés Tyrol Acquisition 1 SAS, devenue TDF Infrastructure Holding SAS, et Tyrol Acquisition 2 SAS, devenue TDF Infrastructure SAS, en leur qualité de sociétés mères de la société TDF SAS, à la somme de 8,2 millions d’euros au titre du grief n°1 ;

AUX MOTIFS QUE sur la valeur des ventes retenue dans le calcul de la sanction au titre du grief n° 1 (

)

282.En premier lieu, s’agissant de la prise en compte de la valeur des ventes réalisées sur le marché de gros aval, la cour relève, premièrement, qu’aux paragraphes 890 à 893 du rapport, les rapporteurs ont proposé, au titre du grief n° 1, « de retenir comme valeur des ventes l’ensemble des chiffres d’affaires réalisés par la vente de services de diffusion de la TNT par TDF sur le marché de gros amont auprès des opérateurs tiers et sur le marché de gros aval auprès des clients W… ».

283.Les requérantes, auxquelles le rapport a été notifié, étaient donc en mesure de présenter, si elles le souhaitaient, toutes observations écrites en réponse au rapport, ainsi que toutes observations orales, lors de la séance du 26 janvier 2016.

284.Dès lors, elles sont mal fondées à arguer d’une violation des droits de la défense.

285.Deuxièmement, aux termes du point 23 du communiqué sanctions, pour donner une traduction chiffrée à l’appréciation de la gravité des faits et de l’importance du dommage à l’économie, il y a lieu de retenir, comme montant de base de la sanction pécuniaire, une proportion de la valeur des ventes, réalisées par chaque entreprise ou organisme en cause, de produits ou de services en relation avec l’infraction ou, s’il y a lieu, les infractions en cause. Le point 33 du communiqué sanctions ajoute que la référence prise pour donner une traduction chiffrée à l’appréciation de la gravité des faits et de l’importance du dommage causé à l’économie est la valeur de l’ensemble des catégories de produits ou de services en relation avec l’infraction, ou s’il y a lieu avec les infractions, vendues par l’entreprise ou l’organisme durant son dernier exercice comptable complet de participation à celle(s)-ci.

286.Toutefois, le point 39 du communiqué sanctions précise que la méthode décrite ci-dessus peut être adaptée dans les cas particuliers où la référence à la valeur des ventes ou ses modalités de prise en compte aboutirait à un résultat ne reflétant manifestement pas de façon appropriée l’ampleur économique de l’infraction ou le poids relatif de chaque entreprise ou organisme qui y a pris part.

287.Il résulte des paragraphes 273 et 276 de la décision attaquée que c’est en application dudit point 39 que l’Autorité a retenu comme valeur des ventes non seulement l’ensemble du chiffre d’affaires réalisé en France par la vente de services de diffusion de la TNT sur le marché de gros amont auprès des opérateurs tiers, mais également l’ensemble du chiffre d’affaires réalisé en France par la vente de services de diffusion de la TNT sur le marché de gros aval auprès des clients W….

288.Dans ces conditions, est sans pertinence le rappel, effectué par les requérantes, que les pratiques qualifiées d’abus de position dominante au titre du grief n° 1 ne se sont déployées que sur le seul marché de gros amont.

289.Le choix de l’Autorité apparaît légitime dans le contexte de l’affaire.

290.En effet, les barrières artificielles instaurées par la société TDF pour s’opposer à l’implantation de pylônes concurrents avaient pour finalité principale d’empêcher, à tout le moins de limiter, la concurrence par les infrastructures sur le marché de gros aval, constat qui suffit à écarter l’allégation des requérantes que le marché de gros aval pour la diffusion de la TNT ne présenterait aucun lien avec le marché de gros amont. Ne retenir, pour le calcul de la sanction, que la seule valeur des ventes affectées sur le marché de gros amont n’aurait pas permis de prendre la mesure de l’infraction.

291.L’Autorité n’a donc pas méconnu le communiqué sanctions.

292.Enfin, troisièmement, et pour les mêmes raisons, le choix de l’Autorité ne viole pas l’article L. 464-2 I alinéa 3 du code de commerce, dans la mesure où il garantit précisément que la sanction est proportionnée à la gravité des faits reprochés et à l’importance du dommage causé à l’économie.

293.En second lieu, s’agissant de la prise en compte de la valeur des ventes réalisées sur l’ensemble du territoire métropolitain, il résulte des points 33 et 34 du communiqué sanctions que les ventes à prendre en compte sont « toutes celles réalisées en France » pour « l’ensemble des catégories de produits ou de services en relation avec l’infraction », sans qu’il soit besoin d’établir que chaque vente prise en compte est directement affectée par l’infraction.

294.Les requérantes ne contestant pas que les services de diffusion hertzienne terrestre en mode numérique constituent les services en relation avec le grief n° 1, c’est donc bien l’ensemble de ces services commercialisés sur le territoire métropolitain qui doit être pris en considération, ainsi que l’a fait l’Autorité.

295.L’interprétation contraire signifierait que, pour déterminer le montant de base des sanctions à infliger, l’Autorité serait obligée, dans chaque cas, d’établir quelles sont les ventes individuelles qui ont été affectées par la pratique. Une telle exigence serait le plus souvent irréaliste et priverait l’Autorité d’efficacité dans la poursuite et la sanction des infractions au droit de la concurrence.

296.C’est en vain qu’à titre subsidiaire, les requérantes invoquent la pratique de l’Autorité pour demande un abattement forfaitaire en vue de tenir compte de ce que la pratique visée par le grief n° 1 n’a porté que sur des fractions limitées du territoire français. En effet, dans sa décision n° 12-D-24, l’abattement pratiqué par l’Autorité n’était pas justifié par le fait que la pratique en cause n’aurait porté que sur une fraction du territoire national.

297.Il convient d’ajouter que la circonstance qu’une pratique n’a pas été géographiquement étendue est prise en compte, le cas échéant, au stade de l’appréciation de la gravité de la pratique ou de l’importance du dommage causé à l’économie.

298.Dès lors, c’est à juste titre que l’Autorité a retenu que le montant de la valeur des ventes à prendre en compte est de 99 998 429 euros (décision attaquée, § 281).

AUX MOTIFS ENCORE QUE sur la gravité des faits (

)

314.Quant à l’argument des requérantes selon lequel prendre en compte à ce stade la responsabilité particulière pesant sur la société TDF aboutirait à ce que tout abus de position dominante soit automatiquement jugé d’une particulière gravité, il repose sur une dénaturation des paragraphes 287 à 290 de la décision attaquée, l’Autorité ayant retenu que pesait une responsabilité particulière sur la société TDF, non pas en sa qualité d’entreprise en position dominante, mais en sa qualité d’ancien monopole d’État, étant rappelé que toute entreprise en position dominante n’est pas nécessairement un ancien monopole d’État.

315.C’est donc à juste titre que l’Autorité a considéré que la qualité d’ancien monopole d’État de la société TDF lui donnait une responsabilité particulière de ne pas abuser de sa position dominante au moment du déploiement de la TNT dont le service de diffusion était un marché ouvert à la concurrence (décision attaquée, § 287, 288 et 290).

316.Néanmoins, la cour ayant écarté l’accusation selon laquelle la société TDF se serait présentée comme un service de l’Etat et jugé non établie la pratique objet du troisième volet du grief n° 1, le degré de gravité qu’elle retiendra est nécessairement moindre que celui apprécié par l’Autorité dans la décision attaquée.

317.Il y a donc lieu de retenir que le deuxième volet du grief n° 1 est d’une gravité certaine.

318.S’agissant du grief n° 3, sa gravité se déduit notamment du moment où la pratique en cause a été développée, au moment du déploiement du réseau complémentaire numérique, ainsi que de son étendue pendant la période concernée.

319.En limitant très sensiblement la possibilité des opérateurs de concurrencer la société TDF sur la part disputable du marché, le système de remise de plaque a permis à cette société d’en conserver une partie très substantielle, et ce pour une période très longue, jusqu’à cinq ans, qui était en général la durée des contrats passés avec les opérateurs de multiplex.

320.Par ailleurs, la responsabilité particulière de la société TDF, soulignée ci-dessus, contribue également à la gravité des pratiques.

321.Enfin, le développement qu’ont pu connaître les opérateurs concurrents de la société TDF sur le marché de gros aval n’est pas susceptible de remettre en cause les appréciations qui précèdent. En effet, la naissance d’un tout nouveau marché assure à l’ensemble des opérateurs qui y sont actifs une croissance quasi-mécanique. Partant, la croissance des concurrents de la société TDF ne constitue nullement un élément d’atténuation de la gravité des pratiques.

322.Dès lors, c’est à juste titre que l’Autorité a dit que la pratique objet du grief n° 3 est grave.

AUX MOTIFS EN OUTRE QUE sur l’individualisation et le rôle des pouvoirs publics

402.Les requérantes font valoir que c’est à tort que l’Autorité a refusé de retenir à titre de circonstance atténuante, la position insuffisamment lisible et constante de l’ANFR sur la période considérée.

403.Selon elles, l’inscription à l’ordre du jour de la COMSIS plénière d’avril 2008, d’une réflexion sur l’avenir des servitudes radioélectriques dont bénéficiait la société TDF, ne rendait pas ces servitudes caduques. De même, la démarche de la COMSIS mandatant un groupe de travail pour examiner la question de leur devenir n’apportait aucune modification aux décrets de servitude. Enfin, l’appréciation portée par l’ANFR dans son rapport final est postérieure à la cessation des pratiques, tandis que, pendant toute la durée des pratiques, l’ANFR renvoyait vers la société TDF les questions qui lui étaient posées sur au sujet des servitudes.

404.Elles ajoutent que les décrets de servitude obligeaient la société TDF à la gestion et à la surveillance du respect des servitudes dont elle bénéficiait, de sorte qu’indépendamment même de la position de l’ANFR, seule l’abrogation des décrets de servitude pouvait avoir pour effet de remettre en cause de manière irrémédiable les obligations pesant sur la société TDF en matière de gestion des servitudes.

405.L’Autorité répond que la question de la légalité des servitudes dont bénéficiaient les anciens monopoles publics TDF et France Télécom a été portée à l’ordre du jour de la COMSIS plénière, d’avril 2008, à laquelle la société TDF a participé, et que, dès cette date, l’ANFR a clairement relevé que la société TDF, du fait de sa transformation en société privée en 2004, ne pouvait plus revendiquer lesdites servitudes.

406.L’Autorité considère donc qu’il relevait de la responsabilité de la société TDF, qui était à même d’apprécier les conséquences légales de son changement de statut, de ne pas instrumentaliser les servitudes radioélectriques pour s’opposer aux projets d’infrastructures de diffusion de ses concurrents, de sorte qu’il n’y a pas lieu de retenir une circonstance atténuante.

407.Aux termes du point 45 du communiqué sanctions, les circonstances atténuantes en considération desquelles l’Autorité peut réduire le montant de base de la sanction pécuniaire, pour une entreprise ou un organisme, peuvent notamment tenir au fait que « l’infraction a été autorisée ou encouragée par les autorités publiques ».

408.Mais, d’une part, ni l’ANFR ni aucune autorité publique n’a encouragé les pratiques objet du deuxième volet du grief n° 1.

409.D’autre part et surtout, la cour a tenu compte tant du rôle qu’a joué l’ANFR que du maintien dans l’ordre juridique des décrets de servitude pendant la durée des pratiques, en écartant certain des aspects du deuxième volet du grief n° 1, ce qui l’a, entre autres, conduite à retenir un moindre degré de gravité, se traduisant par un pourcentage de la valeur des ventes de 7 % au lieu de 9 %.

410.Rien ne justifie d’en tenir compte une seconde fois à titre de circonstance atténuante.

411.Le moyen est en conséquence rejeté.

ET AUX MOTIFS ENFIN QUE sur les servitudes

87. La cour relève, à titre liminaire, que, ainsi que le souligne l’Autorité, le deuxième volet du grief n° 1 ne reproche pas à la société TDF un dénigrement.

88.En premier lieu, il est constant que, à la date à laquelle des servitudes ont été mises en place par décret en vertu des articles susmentionnés du code des postes et télécommunications, devenu le code des postes et des communications électroniques, les sites en bénéficiant étaient exploités par les services de l’État ou sous leur tutelle, mais que cette situation a définitivement pris fin avec l’entrée en vigueur de la loi du 31 décembre 2003 et la privatisation de la société TDF en 2004.

89.L’Autorité en déduit que ces servitudes étaient caduques à la date des faits.

90.Mais, d’une part, force est de constater que les décrets de servitudes n’avaient pas disparu de l’ordre juridique en 2009 et 2010.

91.Or, si l’exploitation par les services de l’Etat des centres radioélectriques d’émission et de réception et des centres de réception radioélectrique était une condition sine qua non pour l’établissement de servitudes autour de ces centres en application des articles L. 54 et L. 57 du code des postes et des communications électroniques, il ne résulte d’aucune disposition légale ou réglementaire que lesdites servitudes, une fois instituées, disparaîtraient du seul fait que les centres radioélectriques d’émission et de réception cesseraient d’être exploités par les services de l’Etat. La cour relève d’ailleurs que le législateur a également prévu, aux articles L. 56-1 et L. 62-1 du code des postes et des communications électroniques, la possibilité, pour des opérateurs privés, de demander que des servitudes radioélectriques soient instituées au bénéfice des centres qu’ils gèrent, possibilité jamais mise en oeuvre, faute d’adoption des décrets d’application.

92.Dès lors, la réponse à la question du sort desdites servitudes, après la privatisation de la société TDF, n’allait pas de soi.

93.D’autre part, l’ANFR elle-même a considéré que la société TDF continuait de bénéficier des servitudes jusqu’à l’abrogation effective des décrets les ayant instaurées.

94.Le groupe de travail sur les servitudes radioélectriques, mis en place par la COMSIS, précisait, dans ses conclusions de juillet 2010, que, s’agissant de la validité des servitudes de France Télécom et TDF, « [l]'analyse juridique développée par l’ANFR figurant en pièce jointe a été validée par le groupe de travail (PJ n° 1) » (Saisine 09/0109F, cote 6942). Or, dans ladite pièce jointe n° 1, intitulée « Etude juridique relative à l’abrogation des servitudes dont bénéficient les opérateurs France Telecom (FT) et Télédiffusion de France (TDF) », l’ANFR écrivait que, « [s]ur la base [des] articles [L. 54 et L. 57 du code des postes et communications électroniques], FT et TDF ont bénéficié et bénéficient toujours de décrets portant création de servitudes », ajoutant que « [l]e fait que FT et TDF bénéficient de servitudes auxquelles ne peuvent prétendre leurs concurrents peut constituer pour elles un avantage » (Saisine 09/0109F, cote 6949). Ainsi, si l’ANFR soulignait également que les décrets de servitudes étaient « devenus illégaux du fait du changement de statut juridique respectif de ces désormais sociétés privées [TDF et France Télévisions] » (Saisine 09/0109F, cote 6950), elle n’en déduisait nullement la disparition des servitudes ni le fait que la société TDF n’en serait plus bénéficiaire, mais seulement la nécessité impérieuse d’abroger lesdits décrets.

95.Par ailleurs, projetant l’implantation d’un parc éolien dans une zone concernée par une servitude radioélectrique sur la commune d’Izé, une société Zelya avait posé à l’ANFR des questions ayant trait à cette servitude. Par deux courriels des 16 mai et 8 juin 2012, un représentant de l’ANFR a invité la société TDF à répondre elle-même auxdites questions. Le premier courriel était ainsi libellé : « L’ANFR a engagé une démarche visant à abroger l’ensemble des servitudes de TDF et de France Telecom. Si le processus devant mener à l’abrogation de ces décrets est engagé, les décrets sont pour le moment toujours effectifs et opposables. Il revient à TDF et France TDF (sic), en tant que bénéficiaires de ces servitudes, de se prononcer sur les projets pouvant les impacter. Ou s’il devait s’avérer que TDF considère que ces décrets n’ont dès à présent plus à être gérés (considérés comme inexistants) merci de nous l’indiquer. » (Saisine 09/0109F, cote 17914). Dans le second courriel, l’ANFR écrivait : « Les servitudes de TDF n’étant pas abrogées, il vous appartient de vous prononcer sur les sujets pouvant les impacter. » (Saisine 09/0109F, cote 17917).

96.Dans ces conditions, et sans qu’il soit besoin pour la cour de se prononcer sur le bien-fondé de l’analyse juridique de l’ANFR, il y a lieu de constater que la société TDF, qui connaissait cette analyse, était fondée à considérer que les centres qu’elle exploitait restaient protégés par les servitudes mises en place en application des articles L. 54 et L. 57 du code des postes et des communications électroniques, nonobstant le fait qu’elle-même n’était plus un service de l’Etat depuis sa privatisation en 2004, et qu’elle pouvait donc se prononcer sur les projets d’implantation de pylônes radioélectriques dans les zones de servitude.

1°) ALORS QUE le juge de la concurrence ne peut pas intégrer dans les termes de son analyse des valeurs des ventes sans lien avec l’infraction ; que la valeur des ventes prise en compte pour déterminer l’assiette de la sanction correspond aux ventes réalisées par la société sanctionnée sur le marché concerné par la pratique répréhensible ; qu’en considérant que l’Autorité avait pu valablement retenir comme valeur des ventes au titre du grief n° 1, non seulement l’ensemble du chiffre d’affaires réalisé en France par la vente de services de diffusion de la TNT sur le marché de gros amont auprès des opérateurs tiers, mais également l’ensemble du chiffre d’affaires réalisé en France par la vente de services de diffusion de la TNT sur le marché de gros aval auprès des clients MUX quand les pratiques qualifiées d’abus de position dominante au titre du grief n° 1 ne se sont déployées que sur le seul marché de gros amont, la cour d’appel qui a relevé artificiellement le montant de l’assiette de la sanction, a méconnu le principe de proportionnalité de la sanction en violation de l’article L 464-2 du code de commerce, et du communiqué du 16 mai 2011 relatif à la méthode de détermination des sanctions pécuniaires ;

2°) ALORS QU’en affirmant que « ni l’ANFR ni aucune autorité publique n’a encouragé les pratiques objet du deuxième volet du grief n° 1 » (§ 408), après avoir admis qu’au vu de l’analyse de l’ANFR dont elle avait connaissance, la société TDF « était fondée à considérer que les centres qu’elle exploitait restaient protégés par les servitudes mises en place en application des articles L. 54 et L. 57 du code des postes et des communications électroniques, nonobstant le fait qu’elle-même n’était plus un service de l’Etat depuis sa privatisation en 2004 » (§96), ou encore que, contrairement à ce que l’autorité a retenu « les décrets de servitudes n’avaient pas disparu de l’ordre juridique en 2009 et 2010 » (§ 89 et 90), ce dont il résultait que l’ANFR et les pouvoirs publics ont encouragé la prétendue instrumentalisation des servitudes en laissant penser que TDF pouvait encore les utiliser librement, la cour d’appel qui n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé l’article L 464-2 du code de commerce ;

3°) ALORS QU’il résulte des énonciations de l’arrêt attaqué que la cour d’appel a réduit le degré de gravité du grief n°1 dans la mesure seulement où elle a « écarté l’accusation selon laquelle la société TDF se serait présentée comme un service de l’Etat et jugé non établie la pratique objet du troisième volet du grief n° 1 » (§316) ; qu’en affirmant, pour refuser de considérer le rôle des pouvoirs publics comme une circonstance atténuante, de la pratique d’instrumentalisation des servitudes que « la cour a tenu compte tant du rôle qu’a joué l’ANFR que du maintien dans l’ordre juridique des décrets de servitude pendant la durée des pratiques, en écartant certain des aspects du deuxième volet du grief n° 1, ce qui l’a, entre autres, conduite à retenir un moindre degré de gravité, se traduisant par un pourcentage de la valeur des ventes de 7 % au lieu de 9 % (de sorte que) rien ne justifie d’en tenir compte une seconde fois à titre de circonstance atténuante » (§ 409) quand il ressort au contraire de l’arrêt attaqué que la réduction de la gravité de l’infraction n’était pas justifié par le deuxième volet du grief n° 1 et par le comportement des pouvoirs publics ayant maintenu les servitudes existantes, mais seulement par le fait que TDF ne s’est jamais présentée comme un service de l’Etat contrairement à ce qui était soutenu par le troisième bolet du grief, la cour d’appel a violé l’article L 464-2 du code de commerce. Moyen produit au pourvoi incident par la SCP Baraduc, Duhamel et Rameix, avocat aux Conseils, pour la présidente de l’Autorité de la concurrence.

IL EST FAIT GRIEF à l’arrêt attaqué d’avoir annulé l’article 1er de la décision de l’Autorité de la concurrence n° 16-D-11, mais seulement en tant qu’il a dit établi que la société TDF SAS, en tant qu’auteur des pratiques, et les sociétés Tyrol Acquisition 1 SAS, devenue TDF Infrastructure Holding SAS, et Tyrol Acquisition 2 SAS, devenue TDF Infrastructure SAS, en leur qualité de sociétés-mères, avaient enfreint les dispositions des articles L. 420-2 du code de commerce et 102 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, en mettant en oeuvre une communication dénigrante auprès des collectivités locales, d’avoir réformé l’article 5 de la décision n° 16-D-11 en tant qu’il avait infligé au titre des pratiques visées à l’article 1er une sanction pécuniaire d’un montant de 11,6 millions, d’avoir dit que la pratique visée par le troisième volet du grief n° 1 n’était pas établie, d’avoir infligé, au titre de la pratique de communication trompeuse visée à l’article 1er de la décision n° 16-D-11, solidairement, aux sociétés TDF SAS, Tyrol Acquisition 1 SAS, devenue TDF Infrastructure Holding SAS, et Tyrol Acquisition 2 SAS, devenue TDF Infrastructure SAS, une sanction pécuniaire d’un montant de 8,2 millions d’euros ;

AUX MOTIFS QUE « l’Autorité » [en réalité la société TDF] a adressé, en juillet 2009, à la quasi-totalité des communes de la plaque Alsace (vingt-sept sur trente et une), un courriel type ainsi libellé : « Monsieur le Maire, Vous trouverez ci-dessous quelques points importants ainsi que mes coordonnées suite à notre conversation. Je vous confirme que TDF émettra les programmes de TNT à partir de son site si nous sommes retenus en tant que diffuseur (la mise en service est annoncée pour le 2 novembre 2009 par le CSA). Je vous rappelle par la même occasion que TDF est un mutualiseur de sites qui met ses infrastructures à disposition des opérateurs de diffusion quel que soit le service diffusé (TV, téléphonie mobile, etc.). […] Dans certains cas, une Déclaration Préalable est déposée par une société concurrente afin de pouvoir ériger un nouveau pylône à proximité immédiate du site TDF existant. Les sites TDF diffusant généralement plusieurs services, sont parfois protégés par des servitudes radioélectriques et reliés par des faisceaux hertziens. Il est donc nécessaire de nous aviser de la chose afin d’anticiper toute perturbation. […] ». En substance, l’Autorité reproche à la société TDF d’avoir, en mentionnant, dans son courriel type, un risque spécifique de brouillage en cas d’implantation d’un pylône concurrent à proximité de ses installations, tenu un discours dénigrant de nature à induire en erreur les collectivités territoriales destinataires et à les inciter à refuser les projets d’infrastructures de diffusion de ses concurrents. Les requérantes soutiennent que les messages prétendument dénigrants étaient parfaitement objectifs, faisaient état d’un risque avéré de perturbation des ondes radioélectriques et n’étaient pas suffisamment ciblés pour identifier un opérateur particulier, de sorte qu’ils ne contenaient aucun élément dépréciatif. Elles ajoutent que ces messages étaient le fruit d’une action locale et circonscrite à une zone, et ne caractérisaient donc pas une politique d’entreprise. De plus, le discours porté par lesdits messages aurait été dénué de tout effet auprès de ses partenaires commerciaux ou de la clientèle potentielle de ses concurrents, tandis que l’Autorité ne démontrerait pas l’existence d’un lien de causalité avec les décisions de maires de refuser l’implantation de l’infrastructure d’un concurrent. Elles en concluent que, en application des standards de preuve en matière de dénigrement, il ne peut rien être reproché à ce titre à la société TDF.L’Autorité réfute l’ensemble de cette argumentation. Elle affirme notamment que le risque de perturbation, avancé par la société TDF dans ses messages aux maires, n’était pas avéré et qu’en mentionnant un risque spécifique de brouillage en cas de localisation des émetteurs sur deux pylônes proches appartenant à deux opérateurs concurrents, la société TDF a tenu un discours dénigrant de nature à induire en erreur les collectivités locales et à les inciter à refuser l’implantation de ces infrastructures. Elle ajoute que le discours a eu un effet direct, d’abord, sur les clients MUX par le truchement des collectivités locales, ensuite, sur les collectivités locales en tant que clientes des opérateurs de diffusion lorsqu’elles se substituent à l’offre privée sur les zones blanches de la TNT, enfin, sur les autres opérateurs techniques qui auraient souhaité une offre d’hébergement sur pylône alternative à celle de la société TDF. En premier lieu, quant à la portée du grief, la cour constate qu’il est reproché à la société TDF, d’une part, d’avoir dénigré « ses concurrents en infrastructures par l’envoi d’un courriel type sur la quasi-intégralité des communes concernées par le déploiement de la TNT sur « plaque Alsace » alertant celles-ci sur les risques qu’une telle concurrence pourrait générer », d’autre part, d’avoir demandé « à être systématiquement consultée pour éviter toute perturbation », ces faits s’étendant « sur une période courant de janvier 2009 à août 2009 ». Or l’Autorité n’établit pas que la société TDF aurait demandé, par une autre voie que le courriel type de juillet 2009, à être systématiquement consultée sur tout projet d’implantation d’un pylône sur le territoire des communes de la plaque Alsace. Certes, ce courriel type commence par la phrase suivante : « Vous trouverez ci-joint quelques points importants ainsi que mes coordonnées suite à notre conversation » ; il est toutefois impossible d’en déduire que la société TDF avait déjà, lors des conversations ayant précédé l’envoi du courriel type, demandée à être systématiquement consultée par les mairies sur les projets d’implantation, a fortiori qu’une telle demande aurait été motivée par la nécessité d’éviter toute perturbation. Par ailleurs, s’agissant du seul exemple d’échanges avec une collectivité de la plaque Alsace antérieurs au 2 juillet 2009, à savoir ceux avec la commune de Thiéfosse (décision attaquée, § 67 et 71 à 73), si c’est le maire de Thiéfosse qui a pris attache avec la société TDF sur une possibilité d’hébergement à la suite d’une demande d’implantation d’un pylône par la société Itas Tim, il n’est pas établi, ni même allégué, que cette démarche faisait suite à une démarche préalable de la société TDF invitant le maire à la consulter. Dès lors, la cour considère qu’il n’est pas démontré que la société TDF a demandé à être systématiquement consultée pour éviter toute perturbation par une autre voie que son courriel type de juillet 2009. Elle limitera donc son analyse ci-après au contenu et aux conséquences de ce courriel type. En second lieu, il résulte des constatations de l’Autorité, au paragraphe 69 de la décision attaquée, que, sur les vingt-sept communes destinataires dudit courriel type, treize étaient concernées par une servitude radioélectrique. Ainsi qu’il a déjà été dit ci-dessus, à la date des faits, la société TDF était fondée à considérer que les sites qu’elle exploite restaient protégés par les servitudes mises en place en application des articles L. 54 et L. 57 du code des postes et des communications électroniques et qu’elle pouvait se prononcer sur les projets d’implantation de pylônes radioélectriques dans les zones de servitude. La démarche de la société TDF demandant aux maires de ces treize communes de l’aviser de tout projet d’implantation d’un pylône dans une zone de servitude n’était donc pas en soi répréhensible. Toutefois, la société TDF ne s’est pas contentée d’une telle demande, mais l’a motivée par la nécessité d’anticiper les risques de perturbation, de sorte que, même pour lesdites communes, il y a lieu de rechercher si le courriel type est dénigrant. Quant aux quatorze autres communes de la plaque Alsace qui n’avaient aucune servitude sur leur territoire, soit environ la moitié des communes destinataires du courriel type, la demande de la société TDF d’être avisée de tout projet d’implantation d’un pylône sur le territoire communal ne peut être justifiée par l’existence de servitudes radioélectriques. Eu égard au nombre relativement faible de communes concernées, vingt-sept, la société TDF aurait pourtant pu sans difficulté n’adresser son courriel type qu’aux seules communes dont le territoire comportait des servitudes radioélectriques. Il est vrai que, par ce courriel type, la société TDF n’a pas cherché à faire croire que tous les sites TDF de la plaque Alsace étaient protégés par des servitudes, l’adverbe « parfois » ne pouvant laisser aucun doute aux destinataires à cet égard. Mais, d’une part, le courriel type évoque, à égalité, deux situations où la société TDF devrait être avisée : l’existence d’éventuelles servitudes et l’existence de liaisons par faisceaux hertziens entre différents sites. D’autre part, la dernière phrase du paragraphe litigieux (« Il est donc nécessaire de nous aviser de la chose afin d’anticiper toute perturbation ») s’adresse sans équivoque à toutes les communes destinataires. Pour les quatorze communes dépourvues de zones de servitude, la cour considère que le seul fait pour la société TDF de demander à être avisée de tout projet d’implantation d’un pylône est en soi un abus, cela revenant à exiger une information et un droit de regard sur les projets de ses concurrents. Il ne peut notamment être exclu qu’au cours des échanges qu’elle se ménageait ainsi avec les maires, la société TDF ait vanté la solution de l’hébergement au détriment de l’implantation de pylônes concurrents, la force d’un tel discours étant renforcée par l’image dont, en 2009, jouissait cette société, ancien monopole d’État et partenaire de longue date des collectivités locales. La cour constate toutefois, notamment au vu des paragraphes 160 à 195 de la décision attaquée, que l’Autorité n’a incriminé le courriel type qu’en tant qu’il serait dénigrant. En troisième lieu, le dénigrement figure parmi les actes répréhensibles dès lors qu’il est en lien avec la position dominante de son auteur et qu’il consiste à jeter publiquement le discrédit sur une personne, un produit ou un service identifié. Il ne peut être nié que l’implantation d’un second pylône radioélectrique à côté d’un premier pylône augmente le risque de brouillage des ondes radioélectriques, ce que démontre l’existence d’une procédure COMSIS visant à traiter les risques de perturbation en amont, par une gestion préventive du spectre et des implantations, et en aval, par une gestion curative des brouillages (décision attaquée, § 172). L’Autorité a d’ailleurs admis que l'« examen préalable des implantations ne permet toutefois pas de garantir qu’aucune perturbation technique ne pourra apparaître au moment de la mise en service des émetteurs ou au cours de leur exploitation » (décision attaquée, § 174). La référence au risque de perturbation figurant dans le courriel type n’est donc pas mensongère. Toutefois, ainsi que le reconnaissent les requérantes (mémoire récapitulatif, point 105), le dénigrement peut découler du caractère incomplet de l’information délivrée, en cas d’omission délibérée d’une information essentielle. À cet égard, il a déjà été relevé qu’est inexistant, et en tout cas infinitésimal, le risque que l’implantation de pylônes radioélectriques à côté des installations de la société TDF entraîne des perturbations que la procédure COMSIS ne serait pas en mesure de régler à très bref délai – seule hypothèse où pourrait être allégué le bien-fondé d’une intervention préventive de la société TDF. Par ailleurs, le risque de perturbations n’est pas plus élevé dans l’hypothèse où la société TDF héberge sur l’un de ses pylônes les équipements de diffusion de sociétés concurrentes. En faisant valoir, dans son courriel type, le besoin d'« anticiper toute perturbation » pour demander aux maires de l’aviser systématiquement des projets des sociétés concurrentes, sans leur communiquer ces informations, pourtant essentielles pour éclairer leurs décisions sur les projets d’implantation, la société TDF a donc adopté une présentation trompeuse de la situation. Pour autant, une information incomplète, voire trompeuse, n’est pas nécessairement constitutive du dénigrement d’un concurrent ou de ses produits. Selon l’Autorité, « en mentionnant l’existence de servitudes et en demandant d’être consultée au stade de la demande préalable de travaux en cas de projet d’installation d’un pylône concurrent, TDF laisse croire que cette installation créerait un risque irréversible de perturbation que seule une intervention ex ante pourrait prévenir, le cas échéant sous la forme d’une interdiction d’implantation » (décision attaquée, § 169). Mais l’Autorité surinterprète le courriel type. D’abord, dès lors que le courriel type invitait les maires à consulter la société TDF sur tout projet d’implantation d’un pylône concurrent, ceux-ci n’étaient pas incités à s’opposer à un tel projet avant d’avoir été préalablement éclairés par la société TDF. Ensuite, si la lecture du courriel type indiquait aux maires destinataires que l’implantation d’un pylône concurrent entraînerait vraisemblablement des perturbations, rien, dans ce message, ne pouvait les amener à penser que ces perturbations seraient irréversibles, ni même graves. Enfin, en invitant les maires à aviser la société TDF « afin d’anticiper toute perturbation », le courriel type laissait entendre que des remèdes pouvaient être mis en oeuvre, de sorte que, loin de laisser croire aux maires que la solution passait par une interdiction d’implantation d’un pylône concurrent, le courriel type suggérait qu’une intervention de la société TDF sur ses propres installations permettrait d’éviter les perturbations. La cour constate d’ailleurs que, s’agissant des maires de Mitzach et de Plaine, qui ont, après réception du courriel type, opposé un refus aux projets d’implantation de la société Itas Tim, l’explication fournie tenait, non pas aux risques de perturbation de la réception de la TNT dans la commune, mais à des questions environnementales. Plus fondamentalement, le courriel type se borne à une présentation des conséquences de la colocalisation de deux pylônes, certes incomplète, et à ce titre trompeuse, mais neutre en ce qu’elle n’est pas orientée contre les sociétés concurrentes de la société TDF. En effet, il s’en déduit que le risque de perturbation résulte de toute implantation d’un nouveau pylône à côté d’un premier pylône, quels que soient les exploitants respectifs de l’un et de l’autre. Ce n’est donc en rien une critique de l’entreprise poursuivant le projet d’implantation d’un nouveau pylône, ou de ses produits ou services. Dans ces conditions, le caractère dénigrant du courriel type n’est pas démontré. La cour ajoute que c’est davantage la possibilité que la société TDF s’est réservée, par le courriel type, de pouvoir influencer la décision des collectivités territoriales sur les projets d’implantation concurrentes à l’occasion de sa consultation par les maires, qui soulève des questions de compatibilité avec une concurrence loyale et non faussée. Mais, ainsi qu’il a déjà été constaté, l’Autorité n’a pas incriminé ce comportement en tant que tel, mais le seul caractère prétendument dénigrant du courriel type. Dès lors, il y a lieu de constater que le troisième volet du grief n° 1, relatif à la mise en oeuvre d’une politique de communication dénigrante auprès des collectivités locales, n’est pas établi. [

] La cour ayant écarté l’accusation selon laquelle la société TDF se serait présentée comme un service de l’Etat et jugé non établie la pratique objet du troisième volet du grief n° 1, le degré de gravité qu’elle retiendra est nécessairement moindre que celui apprécié par l’Autorité dans la décision attaquée ;

1°) ALORS QUE la personne visée par le dénigrement ne doit pas nécessairement être nommée, du moment qu’elle est aisément identifiable ; qu’en l’espèce, le courriel envoyé par la société TDF mentionnait les risques de perturbation radioélectrique, du fait de l’implantation d’un pylône d’ « une société concurrente » ; que le secteur de la diffusion de la télévision par voie hertzienne étant restreint et le nombre d’acteurs présents sur ce marché étant réduit, ces « sociétés concurrentes » étaient aisément identifiables, à savoir les sociétés Itas Tim et TowerCast ; que la cour d’appel a constaté que le courriel type envoyé par la société TDF aux collectivités locales visait tout projet d’implantation « d’un pylône concurrent » (arrêt §137) ; qu’en énonçant cependant que ce courriel type « se borne à une présentation des conséquences de la colocalisation de deux pylônes, certes incomplète, et à ce titre trompeuse, mais neutre en ce qu’elle n’est pas orientée contre les sociétés concurrentes de la société TDF » (arrêt §141), la cour d’appel n’a pas tiré les conséquences légales de ses constatations et a violé les articles 102 TFUE et L. 420-2 du code de commerce ;

2°) ALORS QUE le courriel type envoyé par la société TDF aux collectivités locales énonçait que « dans certains cas une Déclaration Préalable est déposée par une société concurrente afin de pouvoir ériger un nouveau pylône à proximité immédiate du site TDF existant. [

] Il est donc nécessaire de nous aviser de la chose afin d’anticiper toute perturbation » ; qu’ainsi ce courriel n’évoquait que les perturbations résultant de l’implantation d’un nouveau pylône concurrent à côté d’un pylône existant appartenant à la société TDF ; qu’en affirmant cependant qu’il se déduisait de ce courriel que « le risque de perturbation résult[ait] de toute implantation d’un nouveau pylône à côté d’un premier pylône, quels que soient les exploitants respectifs de l’un et de l’autre » (arrêt §141), la cour d’appel l’a dénaturé et a ainsi violé le principe qui interdit au juge de dénaturer les documents de la cause ;

3°) ALORS QU’ en ne présentant que les perturbations liées à l’installation de pylônes concurrents, sans préciser que les mêmes perturbations pouvaient être observées dans l’hypothèse où la société TDF hébergeait plusieurs émetteurs (service de mutualisation) sur l’un de ses pylônes, cette société a orienté son courriel contre les sociétés concurrentes d’une façon dénigrante ; qu’en affirmant néanmoins le contraire, la cour d’appel a violé les articles 102 TFUE et L. 420-2 du code de commerce.

Chercher les extraits similaires
highlight
Chercher les extraits similaires
Extraits les plus copiés
Chercher les extraits similaires
Inscrivez-vous gratuitement pour imprimer votre décision
Cour de cassation, Chambre commerciale, 16 septembre 2020, 18-11.034, Inédit