CEDH, Cour (cinquième section), AKTAS c. FRANCE, 30 juin 2009, 43563/08

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Sur la décision

Sur les parties

Texte intégral

CINQUIÈME SECTION

DÉCISION

SUR LA RECEVABILITÉ

Cette version a été rectifiée le 25 mai 2010
conformément à l'article 81 du règlement de la Cour.

de la requête no 43563/08
présentée par Tuba AKTAS
contre la France

La Cour européenne des droits de l'homme (cinquième section), siégeant le 30 juin 2009 en une chambre composée de :

Peer Lorenzen, président,
Rait Maruste,
Karel Jungwiert,
Renate Jaeger,
Mark Villiger,
Isabelle Berro-Lefèvre,
Mirjana Lazarova Trajkovska, juges,
et de Claudia Westerdiek, greffière de section,

Vu la requête susmentionnée introduite le 8 septembre 2008,

Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :

EN FAIT

La requérante, Mlle Tuba Aktas, est une ressortissante française, née en 1988 et résidant à Mulhouse. Elle est représentée devant la Cour par Me N. Boukara, avocate à Strasbourg.

A.  Les circonstances de l'espèce

Les faits de la cause, tels qu'ils ont été exposés par la requérante, peuvent se résumer comme suit.

La requérante, alors âgée de seize ans et de confession musulmane, s'était inscrite, pour l'année 2004-2005, en classe de seconde au lycée public Lavoisier de la ville de Mulhouse. Le 2 septembre 2004, jour de la rentrée scolaire, celle-ci se présenta au lycée les cheveux couverts d'un voile. Le proviseur de l'établissement, estimant que cet accessoire était contraire aux dispositions législatives relatives à l'interdiction du port de signes ou de tenues par lesquels les élèves manifestent ostensiblement leur appartenance à une religion, lui demanda de le retirer. Face au refus de l'élève, le proviseur s'opposa à son accès aux salles de cours et l'invita à s'installer dans une salle d'étude. Il fut par la suite instauré un dialogue entre le proviseur, l'élève et son père afin d'expliquer le dispositif mis en œuvre. Quelques jours plus tard, la requérante, avec l'accord de son père, [1]accepta éventuellement de substituer un bonnet ou un bandana au voile qu'elle portait. Par ailleurs, sa sœur précisa oralement qu'elle accepterait d'enlever ce couvre-chef à l'entrée des salles de cours. Par un courrier du 14 septembre 2004, le proviseur indiqua au père de la requérante que, face au refus délibéré de la jeune fille de respecter la loi, il avait été décidé de mettre fin à la période de dialogue prévue et d'entamer la procédure disciplinaire, conformément à la circulaire du 18 mai 2004. Par une lettre du 19 septembre 2004, cosignée par son père, la requérante dénonça le régime particulier qui lui était imposé, notamment sa mise à l'isolement et l'absence d'un suivi scolaire dans les mêmes conditions que ses camarades. Le 5 octobre 2004, la requérante et son père furent convoqués devant le conseil de discipline, au motif que la requérante persistait dans le non‑respect de la loi du 15 mars 2004 en refusant de retirer son voile qui constitue un signe ostensible d'appartenance religieuse.

Le 20 octobre 2004, le conseil de discipline prononça l'exclusion définitive de l'élève pour non-respect des dispositions de l'article L. 141‑5‑1 du code de l'éducation, interdisant dans les écoles, collèges et lycées publics, le port de signes ou tenues par lesquels les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse.

Par un arrêté du 25 novembre 2004, le recteur de l'académie de Strasbourg confirma cette décision, après avoir recueilli l'avis de la commission académique d'appel. Il considéra notamment que la proposition faite par l'élève de substituer au foulard soit un bandana, soit d'autres couvre-chefs, ne permettait pas de satisfaire aux exigences de la loi, malgré le caractère de signes discrets que l'élève et son père souhaitaient voir reconnu à ces accessoires, dès lors que celle-ci avait déclaré qu'elle garderait, en [2]toutes circonstances, la tête couverte. Le recteur indiqua par ailleurs à la requérante et sa famille qu'il rechercherait avec eux les possibilités de poursuivre sa scolarité, à savoir ; l'inscription dans un établissement public (à la condition de se conformer à la loi du 15 mars 2004), l'inscription au centre national d'enseignement à distance, l'inscription dans un établissement privé ou l'instruction dans la famille, selon les conditions prévues par la loi. La requérante ne précise pas vers quelle inscription son choix s'est porté.

Le père de la requérante, en sa qualité de représentant légal de sa fille mineure, saisit le tribunal administratif de Strasbourg d'un recours en annulation de l'arrêté du recteur d'académie. [3]Il fit notamment valoir à cette occasion que sa fille accepterait de substituer un bandana ou un foulard au voile qu'elle portait et de se départir de tout couvre-chef à l'entrée des salles de classe. Par un jugement du 25 juillet 2005, le tribunal administratif rejeta ce recours. Le tribunal considéra en particulier que l'intention affirmée par l'élève de ne pas se départir de son foulard ou à tout le moins d'une coiffe propre à couvrir ses cheveux traduisait la volonté de celle-ci de manifester ostensiblement son appartenance religieuse par le port d'une tenue conforme à ce qui constitue pour elle une prescription ou pratique religieuse, en méconnaissance de l'interdiction posée par l'article L. 141‑5‑1 du code de l'éducation.

Le père de la requérante interjeta appel de ce jugement [4]en invoquant les mêmes arguments que devant le tribunal administratif. Le 24 mai 2006, la cour administrative d'appel confirma le jugement du 25 juillet 2005.

La requérante, devenue majeure, sollicita le bénéfice de l'aide juridictionnelle en vue de se pourvoir en cassation devant le Conseil d'Etat. Le bureau d'aide juridictionnelle près le Conseil d'Etat rejeta cette demande, pour absence de moyens sérieux de cassation. Cette décision fut confirmée par le président de la section du contentieux du Conseil d'Etat.

La requérante mandata néanmoins un avocat au conseil afin d'exercer un pourvoi en cassation et dans le cadre duquel elle invoqua notamment son droit à la liberté de conscience et de religion.

Le 7 mars 2008, le Conseil d'Etat déclara le pourvoi non admis.

B.  Le droit interne pertinent

Le 15 mars 2004, le parlement adopta la loi no 2004-228 encadrant, en application du principe de laïcité, le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics, dite loi « sur la laïcité »[5]. Elle insère dans le code de l'éducation un article L. 141-5-1 ainsi rédigé :

« Dans les écoles, les collèges et les lycées publics, le port de signes ou tenues par lesquels les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse est interdit.

Le règlement intérieur rappelle que la mise en œuvre d'une procédure disciplinaire est précédée d'un dialogue avec l'élève. »

Ces prescriptions sont entrées en vigueur à la rentrée scolaire suivant la publication de la loi et ont fait l'objet d'une circulaire ministérielle du 18 mai 2004. Cette dernière dispose, en ses parties pertinentes :

« La loi du 15 mars 2004 est prise en application du principe constitutionnel de laïcité qui est un des fondements de l'école publique. Ce principe, fruit d'une longue histoire, repose sur le respect de la liberté de conscience et sur l'affirmation de valeurs communes qui fondent l'unité nationale par-delà les appartenances particulières.

L'école a pour mission de transmettre les valeurs de la République parmi lesquelles l'égale dignité de tous les êtres humains, l'égalité entre les hommes et les femmes et la liberté de chacun y compris dans le choix de son mode de vie. Il appartient à l'école de faire vivre ces valeurs, de développer et de conforter le libre arbitre de chacun, de garantir l'égalité entre les élèves et de promouvoir une fraternité ouverte à tous. En protégeant l'école des revendications communautaires, la loi conforte son rôle en faveur d'un vouloir-vivre-ensemble. Elle doit le faire de manière d'autant plus exigeante qu'y sont accueillis principalement des enfants.

L'Etat est le protecteur de l'exercice individuel et collectif de la liberté de conscience. La neutralité du service public est à cet égard un gage d'égalité et de respect de l'identité de chacun.

En préservant les écoles, les collèges et les lycées publics, qui ont vocation à accueillir tous les enfants, qu'ils soient croyants ou non croyants et quelles que soient leurs convictions religieuses ou philosophiques, des pressions qui peuvent résulter des manifestations ostensibles des appartenances religieuses, la loi garantit la liberté de conscience de chacun. Elle ne remet pas en cause les textes qui permettent de concilier, conformément aux articles L. 141-2, L. 141-3 et L. 141-4 du code de l'éducation, l'obligation scolaire avec le droit des parents de faire donner, s'ils le souhaitent, une instruction religieuse à leurs enfants. Parce qu'elle repose sur le respect des personnes et de leurs convictions, la laïcité ne se conçoit pas sans une lutte déterminée contre toutes les formes de discrimination. (...)

Les signes et tenues qui sont interdits sont ceux dont le port conduit à se faire immédiatement reconnaître par son appartenance religieuse tels que le voile islamique, quel que soit le nom qu'on lui donne, la kippa ou une croix de dimension manifestement excessive. La loi est rédigée de manière à pouvoir s'appliquer à toutes les religions et de manière à répondre à l'apparition de nouveaux signes, voire à d'éventuelles tentatives de contournement de la loi. La loi ne remet pas en cause le droit des élèves de porter des signes religieux discrets. Elle n'interdit pas les accessoires et les tenues qui sont portés communément par des élèves en dehors de toute signification religieuse. En revanche, la loi interdit à un élève de se prévaloir du caractère religieux qu'il y attacherait, par exemple, pour refuser de se conformer aux règles applicables à la tenue des élèves dans l'établissement. (...)

Le second alinéa de l'article L. 141-5-1 illustre la volonté du législateur de faire en sorte que la loi soit appliquée dans le souci de convaincre les élèves de l'importance du respect du principe de laïcité. Il souligne que la priorité doit être donnée au dialogue et à la pédagogie. Ce dialogue n'est pas une négociation et ne saurait bien sûr justifier de dérogation à la loi. (...)

Lorsqu'un élève inscrit dans l'établissement se présente avec un signe ou une tenue susceptible de tomber sous le coup de l'interdiction, il importe d'engager immédiatement le dialogue avec lui. (...)

Le dialogue doit permettre d'expliquer à l'élève et à ses parents que le respect de la loi n'est pas un renoncement à leurs convictions. Il doit également être l'occasion d'une réflexion commune sur l'avenir de l'élève pour le mettre en garde contre les conséquences de son attitude et pour l'aider à construire un projet personnel. Pendant le dialogue, l'institution doit veiller avec un soin particulier à ne pas heurter les convictions religieuses de l'élève ou de ses parents. Le principe de laïcité s'oppose évidemment à ce que l'Etat ou ses agents prennent parti sur l'interprétation de pratiques ou de commandements religieux.

Le dialogue devra être poursuivi le temps utile pour garantir que la procédure disciplinaire n'est utilisée que pour sanctionner un refus délibéré de l'élève de se conformer à la loi.

Si le conseil de discipline prononce une décision d'exclusion de l'élève, il appartiendra à l'autorité académique d'examiner avec l'élève et ses parents les conditions dans lesquelles l'élève poursuivra sa scolarité. »

GRIEFS

Invoquant les articles 6 § 1 et 13 de la Convention, la requérante se plaint de l'iniquité de la procédure suivie devant le conseil de discipline du lycée et dénonce en particulier son manque d'impartialité. Elle estime en outre que le refus des juridictions françaises d'examiner la décision dudit conseil est également contraire aux articles 6 et 13 de la Convention.

Invoquant les articles 8, 9 et 10 de la Convention, elle allègue que l'interdiction du port du foulard a porté atteinte à sa vie privée, à sa liberté religieuse et d'expression. Elle estime que le port d'un bonnet, en substitution, n'a aucune connotation religieuse et qu'ainsi la décision d'exclusion est une ingérence disproportionnée dans l'exercice par la requérante de ces libertés.

Invoquant l'article 14 de la Convention, de façon combinée avec ces dispositions, elle estime avoir fait l'objet d'une différence de traitement injustifiée fondée sur sa religion.

Invoquant l'article 2 du Protocole no 1, la requérante estime avoir été privée de son droit à l'instruction.

EN DROIT

1.  La requérante se plaint d'une violation des articles 6 § 1 et 13 de la Convention dont les dispositions pertinentes se lisent ainsi :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »

« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la présente Convention ont été violés, a droit à l'octroi d'un recours effectif (...) »

La Cour rappelle qu'aucune violation de l'article 6 § 1 de la Convention ne saurait être constituée si une décision de justice rendue contrairement aux prescriptions dudit article a été soumise au contrôle subséquent d'un organe judiciaire doté de la plénitude de juridiction et offrant toutes les garanties de cette disposition (voir sur ce point mutatis mutandis Albert et Le Compte c. Belgique, 10 février 1983, § 29, série A no 58).

Or, en l'espèce, la décision du conseil de discipline du 20 octobre 2004, confirmée par le recteur d'académie, a été soumise au contrôle du tribunal administratif et de la cour administrative d'appel, lesquels sont des organes jouissant de la compétence de pleine juridiction, et devant lesquels la requérante a pu librement et utilement faire valoir l'ensemble de ses arguments.

Il s'ensuit que cette partie de la requête est donc manifestement mal fondée et doit être rejetée en application de l'article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

2.  La requérante dénonce une atteinte à sa vie privée, à l'exercice de sa liberté religieuse et de sa liberté d'expression au sens des articles 8, 9 et 10 de la Convention, ainsi libellés :

Article 8

« 1.  Toute personne a droit au respect de sa vie privée (...).

2.  Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. »

Article 9

« 1.  Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l'enseignement, les pratiques et l'accomplissement des rites.

2.  La liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l'objet d'autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité publique, à la protection de l'ordre, de la santé ou de la morale publiques, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. »

Article 10

« 1.  Toute personne a droit à la liberté d'expression. (...) »

Compte tenu de ce que le grief vise essentiellement une prétendue atteinte aux considérations religieuses de la requérante, la Cour examinera en conséquence celui-ci sous le seul angle de l'article 9 de la Convention.

La Cour rappelle que, selon sa jurisprudence, le port du foulard peut être considéré comme « un acte motivé ou inspiré par une religion ou une conviction religieuse » (voir Leyla Sahin c. Turquie [GC], no 44774/98, § 78, CEDH 2005-XI). En l'espèce, la Cour estime que l'interdiction faite à l'élève de porter une tenue ou un signe manifestant une appartenance religieuse et la sanction y afférente, est constitutive d'une restriction au sens du second paragraphe de l'article 9 de la Convention. Elle constate ensuite que la mesure était prévue par la loi du 15 mars 2004, codifiée au sein du code de l'éducation en son article L. 141-5-1. La Cour considère que l'ingérence incriminée poursuivait pour l'essentiel les buts légitimes que sont la protection des droits et libertés d'autrui et de l'ordre public.

Il reste donc à déterminer si cette ingérence était « nécessaire dans une société démocratique » pour parvenir à ces buts, au sens du second paragraphe de l'article 9 de la Convention.

La Cour rappelle que si la liberté de religion relève d'abord du for intérieur, elle implique également celle de manifester sa religion individuellement et en privé, ou de manière collective, en public et dans le cercle de ceux dont on partage la foi. L'article 9 énumère les diverses formes que peut prendre la manifestation d'une religion ou conviction, à savoir le culte, l'enseignement, les pratiques et l'accomplissement des rites. Il ne protège toutefois pas n'importe quel acte motivé ou inspiré par une religion ou conviction et ne garantit pas toujours le droit de se comporter d'une manière dictée par une conviction religieuse (Leyla Sahin, précité, § 105).

La Cour constate ensuite que dans une société démocratique, où plusieurs religions coexistent au sein d'une même population, il peut se révéler nécessaire d'assortir cette liberté de limitations propres à concilier les intérêts des divers groupes et à assurer le respect des convictions de chacun (Leyla Sahin, précité, § 106). Elle a souvent mis l'accent sur le rôle de l'Etat en tant qu'organisateur neutre et impartial de l'exercice des diverses religions, cultes et croyances, la paix religieuse et la tolérance dans une société démocratique. Elle estime aussi que le devoir de neutralité et d'impartialité de l'Etat est incompatible avec un quelconque pouvoir d'appréciation de la part de celui-ci quant à la légitimité des croyances religieuses ou des modalités d'expression de celles-ci (Leyla Sahin, précité, § 107). Le pluralisme et la démocratie doivent également se fonder sur le dialogue et un esprit de compromis, qui impliquent nécessairement de la part des individus des concessions diverses qui se justifient aux fins de la sauvegarde et de la promotion des idéaux et valeurs d'une société démocratique.

Lorsque se trouvent en jeu des questions sur les rapports entre l'Etat et les religions, sur lesquelles de profondes divergences peuvent raisonnablement exister dans une société démocratique, il y a lieu d'accorder une importance particulière au rôle du décideur national. Tel est notamment le cas lorsqu'il s'agit de la réglementation du port de symboles religieux dans les établissements d'enseignement (Leyla Sahin, précité, §§ 108-109).

La Cour rappelle aussi que l'Etat peut limiter la liberté de manifester une religion, par exemple le port du foulard islamique, si l'usage de cette liberté nuit à l'objectif visé de protection des droits et libertés d'autrui, de l'ordre et de la sécurité publique (Leyla Sahin, précité, § 111, et Refah Partisi (Parti de la prospérité) et autres c. Turquie [GC], nos 41340/98, 41342/98, 41343/98 et 41344/98, § 92, CEDH 2003‑II).

Le grief tiré de la limitation du port des signes religieux, en tant que manifestation d'une conviction religieuse, dans les établissements publics scolaires en France a été examiné dans les arrêts Dogru et Kervanci c. France (nos 31645/04 et 27058/05, 4 décembre 2008), à propos de l'interdiction faite à deux élèves de porter le foulard islamique en cours d'éducation physique, et à l'occasion desquels la Cour a notamment précisé ce qui suit (paragraphes 68-72) :

« (...) la Cour considère que les autorités internes ont justifié la mesure d'interdiction de porter le foulard en cours d'éducation physique par le respect des règles internes des établissements scolaires telles les règles de sécurité, d'hygiène et d'assiduité, qui s'appliquent à tous les élèves sans distinctions. Les juridictions ont par ailleurs relevé que l'intéressée, en refusant de retirer son foulard, avait excédé les limites du droit d'exprimer et de manifester ses croyances religieuses à l'intérieur de l'établissement.

(...) la Cour observe que, de façon plus globale, cette limitation de la manifestation d'une conviction religieuse avait pour finalité de préserver les impératifs de la laïcité dans l'espace public scolaire, tels qu'interprétés par le Conseil d'Etat dans son avis du 27 novembre 1989, par sa jurisprudence subséquente et par les différentes circulaires ministérielles rédigées sur la question.

La Cour retient ensuite qu'il ressort de ces différentes sources que le port de signes religieux n'était pas en soi incompatible avec le principe de laïcité dans les établissements scolaires, mais qu'il le devenait suivant les conditions dans lesquelles celui-ci était porté et aux conséquences que le port d'un signe pouvait avoir.

A cet égard, la Cour rappelle avoir jugé qu'il incombait aux autorités nationales, dans le cadre de la marge d'appréciation dont elles jouissent, de veiller avec une grande vigilance à ce que, dans le respect du pluralisme et de la liberté d'autrui, la manifestation par les élèves de leurs croyances religieuses à l'intérieur des établissements scolaires ne se transforme pas en un acte ostentatoire, qui constituerait une source de pression et d'exclusion (voir Köse et autres, précité). Or, aux yeux de la Cour, tel est bien ce à quoi semble répondre la conception du modèle français de laïcité.

La Cour note également qu'en France, comme en Turquie ou en Suisse, la laïcité est un principe constitutionnel, fondateur de la République, auquel l'ensemble de la population adhère et dont la défense paraît primordiale, en particulier à l'école. La Cour réitère qu'une attitude ne respectant pas ce principe ne sera pas nécessairement acceptée comme faisant partie de la liberté de manifester sa religion, et ne bénéficiera pas de la protection qu'assure l'article 9 de la Convention (Refah Partisi (Parti de la prospérité) et autres, précité, § 93). Eu égard à la marge d'appréciation qui doit être laissée aux Etats membres dans l'établissement des délicats rapports entre l'Etat et les églises, la liberté religieuse ainsi reconnue et telle que limitée par les impératifs de la laïcité paraît légitime au regard des valeurs sous-jacentes à la Convention. »

Dans la présente espèce, bien que l'ingérence litigieuse ne fût pas seulement limitée aux cours d'éducation physique mais à l'ensemble des cours, tel que le prévoit la nouvelle loi, la Cour ne voit aucun motif susceptible de la convaincre de s'éloigner de cette jurisprudence. Elle constate en effet que l'interdiction de tous les signes religieux ostensibles dans les écoles, collèges et lycées publics a été motivée uniquement par la sauvegarde du principe constitutionnel de laïcité (Dogru et Kervanci, précités, §§ 17 à 22) et que cet objectif est conforme aux valeurs sous‑jacentes à la Convention ainsi qu'à la jurisprudence en la matière rappelée ci-dessus.

[6]Quant aux propositions de la requérante d'enlever son foulard à l'entrée des salles de cours ou d'y substituer un bonnet ou un bandana qui n'auraient, selon elle, aucune connotation religieuse ou tout le moins ne seraient pas des signes ostensibles ayant pour effet d'exercer une pression, la Cour réitère qu'une telle appréciation relève pleinement de la marge d'appréciation de l'Etat (Dogru et Kervanci, précités, § 75). En effet, les autorités internes ont pu estimer, dans les circonstances de l'espèce, que le fait de porter un tel accessoire vestimentaire [7]à l'intérieur de l'enceinte du lycée constituait également la manifestation ostensible d'une appartenance religieuse, et que la requérante avait ainsi contrevenu à la réglementation. La Cour souscrit à cette analyse et relève qu'eu égard aux termes de la législation en vigueur, qui prévoit que la loi doit permettre de répondre à l'apparition de nouveaux signes voire à d'éventuelles tentatives de contournement de la loi (circulaire du 18 mai 2004 ci-dessus), le raisonnement adopté par les autorités internes n'est pas déraisonnable.

Dans ces conditions, la Cour estime que la sanction de l'exclusion définitive d'un établissement scolaire public n'apparaît pas disproportionnée. Elle constate par ailleurs que l'intéressée avait la possibilité de poursuivre sa scolarité dans un établissement d'enseignement à distance, dans un établissement privé ou dans sa famille selon ce qui lui a été expliqué, avec sa famille, par les autorités scolaires disciplinaires. Il en ressort que les convictions religieuses de la requérante ont été pleinement prises en compte face aux impératifs de la protection des droits et libertés d'autrui et de l'ordre public. En outre, ce sont ces impératifs qui fondaient la décision litigieuse et non des objections aux convictions religieuses de la requérante (voir Dogru, précité, § 76).

Ainsi, eu égard aux circonstances, et compte tenu de la marge d'appréciation qu'il convient de laisser aux Etats dans ce domaine, la Cour conclut que l'ingérence litigieuse était justifiée dans son principe et proportionnée à l'objectif visé et que ce grief doit être rejeté pour défaut manifeste de fondement conformément à l'article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

3.  La requérante allègue, en relation avec le grief précédent, avoir fait l'objet d'une discrimination au sens de l'article 14 de la Convention, ainsi libellé :

« La jouissance des droits et libertés reconnus dans la (...) Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l'origine nationale ou sociale, l'appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation. »

La Cour observe que les dispositions législatives litigieuses ne visent pas l'appartenance de cette dernière à une religion mais poursuivent notamment le but légitime de protection de l'ordre et des droits et libertés d'autrui. Elles ont pour finalité de préserver le caractère neutre et laïc des établissements d'enseignement et s'appliquent à tout signe religieux ostensible (voir Köse et autres c. Turquie (déc.), no 26625/02, CEDH 2006‑II).

Il s'ensuit que cette partie de la requête est manifestement mal fondée au sens de l'article 35 § 3 et doit être rejetée en application de l'article 35 § 4 de la Convention.

4.  Enfin, la requérante estime avoir été privée de son droit à l'instruction, au sens de la première phrase de l'article 2 du Protocole no 1, qui dispose :

« Nul ne peut se voir refuser le droit à l'instruction (...) »

En l'espèce, la Cour estime que nulle question distincte ne se pose sous l'angle de cette disposition, les circonstances pertinentes étant les mêmes que pour l'article 9, de sorte qu'il n'y a pas lieu d'examiner le grief tiré de l'article 2 du Protocole no 1.

Il s'ensuit que ce grief est manifestement mal fondé et doit être rejeté en application de l'article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

Par ces motifs, la Cour, à l'unanimité,

Déclare la requête irrecevable.

              Claudia WesterdiekPeer Lorenzen
GreffièrePrésident


[1]1.   Rectifié le 25 mai 2010. Le texte était : « (…), avec l'accord de son père, substitua un bonnet au voile qu'elle portait ».

[2]1.  Rectifié le 25 mai 2010. Le texte était : « en toute circonstance ».

[3]2.  Phrase ajoutée le 25 mai 2010.

[4]3.  Rectifié le 25 mai 2010. Le texte était : « Le père de la requérante interjeta appel de ce jugement. »

[5]1.  Sur les circonstances ayant conduit à l’adoption de la loi, voir les arrêts Dogru et Kervanci c. France, nos 27058/05 et 31645/04 du 5 décembre 2008, §§ 17 à 22.

[6]1.   Rectifié le 25 mai 2010. Le texte était : « Quant à la circonstance que la requérante ait substitué un bonnet au foulard qu'elle portait qui n'aurait, selon elle, aucune connotation religieuse ou tout le moins ne serait pas un signe ostensible ayant pour effet d'exercer une pression, (…) ».

[7]2.   Rectifié le 25 mai 2010. Le texte était : « (…), que le fait de porter un tel accessoire vestimentaire en permanence constituait (…) ».

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