CJCE, n° C-262/96, Arrêt de la Cour, Sema Sürül contre Bundesanstalt für Arbeit, 4 mai 1999

  • Cee/ce - accords internationaux * accords internationaux·
  • Effets dans le temps des arrêts d'interprétation·
  • Non-discrimination en raison de la nationalité·
  • Les divers accords conclus par la communauté·
  • Discrimination en raison de la nationalité·
  • Inadmissibilité 4 questions préjudicielles·
  • Sécurité sociale des travailleurs migrants·
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  • Cee/ce - contentieux * contentieux·
  • Accord d'association cee-turquie

Chronologie de l’affaire

Commentaire1

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EN FAIT La requérante, Cooperatieve Producentenorganisatie van de Nederlandse Kokkelvisserij U.A., est une association sise à Kapelle (Pays-Bas). Elle est représentée devant la Cour par Me G. van Der Wal, avocat à Bruxelles (Belgique) et à La Haye (Pays-Bas). A. Les circonstances de l'espèce Les faits de la cause, tels qu'ils ont été exposés par l'association requérante et qu'ils ressortent des informations disponibles de source publique, peuvent se résumer comme suit. 1. La genèse de l'affaire L'association requérante regroupe des individus et des entreprises pratiquant la pêche …

 
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Sur la décision

Référence :
CJUE, Cour, 4 mai 1999, Sürül, C-262/96
Numéro(s) : C-262/96
Arrêt de la Cour du 4 mai 1999. # Sema Sürül contre Bundesanstalt für Arbeit. # Demande de décision préjudicielle: Sozialgericht Aachen - Allemagne. # Accord d'association CEE-Turquie - Décision du conseil d'association - Sécurité sociale - Principe de non-discrimination en raison de la nationalité - Effet direct - Ressortissant turc autorisé à résider dans un Etat membre - Droit aux allocations familiales dans les mêmes conditions que les ressortissants de cet Etat. # Affaire C-262/96.
Date de dépôt : 26 juillet 1996
Précédents jurisprudentiels : Babahenini, C-113/97
Chiquita Italia, C-469/93
Choho, C-126/95
Commission/France, C-35/97
l' arrêt du 10 septembre 1996, Taflan-Met e.a. ( C-277/94, Rec. p. I-4085
Solution : Renvoi préjudiciel
Identifiant CELEX : 61996CJ0262
Identifiant européen : ECLI:EU:C:1999:228
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Sur les parties

Texte intégral

Avis juridique important

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61996J0262

Arrêt de la Cour du 4 mai 1999. – Sema Sürül contre Bundesanstalt für Arbeit. – Demande de décision préjudicielle: Sozialgericht Aachen – Allemagne. – Accord d’association CEE-Turquie – Décision du conseil d’association – Sécurité sociale – Principe de non-discrimination en raison de la nationalité – Effet direct – Ressortissant turc autorisé à résider dans un Etat membre – Droit aux allocations familiales dans les mêmes conditions que les ressortissants de cet Etat. – Affaire C-262/96.


Recueil de jurisprudence 1999 page I-02685


Sommaire

Parties

Motifs de l’arrêt

Décisions sur les dépenses

Dispositif

Mots clés


1 Accords internationaux – Accords de la Communauté – Effet direct – Conditions – Décision n_ 3/80 du conseil d’association institué par l’accord d’association CEE-Turquie relative à la sécurité sociale des travailleurs migrants – Principe de non-discrimination en raison de la nationalité

(Décision n_ 3/80 du conseil d’association CEE-Turquie, art. 3, § 1)

2 Accords internationaux – Accord d’association CEE-Turquie – Sécurité sociale des travailleurs migrants – Travailleur – Notion au sens de la décision n_ 3/80 du conseil d’association

(Decision n_ 3/80 du conseil d’association CEE-Turquie, art. 1er)

3 Accords internationaux – Accord d’association CEE-Turquie – Sécurité sociale des travailleurs migrants – Allocations familiales – Octroi subordonné à des conditions d’autorisation de séjour non exigées des ressortissants nationaux – Discrimination en raison de la nationalité – Inadmissibilité

(Décision n_ 3/80 du conseil d’association CEE-Turquie, art. 3, § 1)

4 Questions préjudicielles – Interprétation – Effets dans le temps des arrêts d’interprétation – Effet rétroactif – Limites – Sécurité juridique – Pouvoir d’appréciation de la Cour

(Traité CE, art. 177 (devenu art. 234 CE))

Sommaire


1 A l’instar des dispositions des accords conclus par la Communauté avec des pays tiers, les dispositions arrêtées par un conseil d’association, institué par un accord d’association pour assurer la mise en oeuvre de ses dispositions, doivent être considérées comme étant d’application directe lorsque, eu égard à leurs termes ainsi qu’à leur objet et à leur nature, elles comportent une obligation claire et précise qui n’est subordonnée, dans son exécution ou dans ses effets, à l’intervention d’aucun acte ultérieur.

Si ces conditions ne sont pas remplies par celles des dispositions de la décision n_ 3/80 du conseil d’association CEE-Turquie, relative à l’application des régimes de sécurité sociale des États membres aux travailleurs turcs et aux membres de leur famille, qui nécessitent des mesures complémentaires pour leur mise en oeuvre, il en va différemment de l’article 3, paragraphe 1, de la décision, qui énonce la règle de l’assimilation aux nationaux de l’État membre d’accueil des personnes relevant du champ d’application de la décision et résidant dans cet État membre par l’interdiction de toute discrimination fondée sur la nationalité des intéressés et résultant de la réglementation de l’État membre concerné. Cette disposition établit, en effet, dans le domaine d’application de la décision, un principe précis, inconditionnel et suffisamment opérationnel pour être appliqué par un juge national et, dès lors, susceptible de régir la situation juridique des particuliers. L’effet direct qu’il convient donc de reconnaître à cette disposition implique que les justiciables auxquels elle s’applique ont le droit de s’en prévaloir devant les juridictions des États membres.

2 A la qualité de travailleur au sens de la définition donnée à l’article 1er, sous b), de la décision n_ 3/80 du conseil d’association CEE-Turquie, relative à l’application des régimes de sécurité sociale des États membres aux travailleurs turcs et aux membres de leur famille, une personne qui est assurée, ne serait-ce que contre un seul risque, au titre d’une assurance obligatoire ou facultative auprès d’un régime général ou particulier de sécurité sociale, mentionné à ladite disposition, et ce indépendamment de l’existence d’une relation de travail. La couverture de l’intéressé par une assurance pension légale ou une assurance légale contre les accidents du travail satisfait à cette condition.

3 L’article 3, paragraphe 1, de la décision n_ 3/80 du conseil d’association CEE-Turquie, relative à l’application des régimes de sécurité sociale des États membres aux travailleurs turcs et aux membres de leur famille, lequel énonce le principe de non-discrimination en raison de la nationalité, doit être interprété en ce sens qu’il interdit à un État membre d’exiger d’un ressortissant turc qui relève du champ d’application de cette décision et qu’il a autorisé à résider sur son territoire, mais qui n’est titulaire dans cet État membre d’accueil que d’une autorisation provisoire de séjour, délivrée dans un but déterminé et pour une durée limitée, qu’il possède une autorisation de séjour ou un permis de séjour pour bénéficier d’allocations familiales pour son enfant qui habite avec lui dans ledit État membre, alors que les ressortissants de ce dernier sont à cet effet uniquement tenus d’y avoir leur résidence.

D’une part, en effet, la législation de l’État membre d’accueil ne saurait soumettre l’octroi d’un droit aux ressortissants turcs visés par ladite décision à des conditions supplémentaires ou plus rigoureuses par rapport à celles applicables à ses propres ressortissants. D’autre part, l’exigence d’une autorisation de séjour ou d’un permis de séjour pour bénéficier d’allocations familiales ne vise par nature, du fait qu’elle n’est pas susceptible d’être imposée aux ressortissants de l’État membre d’accueil, que les étrangers et son application aboutit à une inégalité de traitement exercée en raison de la nationalité.

4 L’interprétation que la Cour donne d’une règle de droit communautaire, dans l’exercice de la compétence que lui confère l’article 177 du traité (devenu article 234 CE), éclaire et précise, lorsque besoin en est, la signification et la portée de cette règle, telle qu’elle doit ou aurait dû être comprise et appliquée depuis le moment de sa mise en vigueur. Il en résulte que la règle ainsi interprétée peut et doit être appliquée par le juge même à des rapports juridiques nés et constitués avant l’arrêt statuant sur la demande d’interprétation, si par ailleurs les conditions permettant de porter devant les juridictions compétentes un litige relatif à l’application de ladite règle se trouvent réunies.

Ce n’est qu’à titre exceptionnel que la Cour peut, par application d’un principe général de sécurité juridique inhérent à l’ordre juridique communautaire, être amenée à limiter la possibilité pour tout intéressé d’invoquer une disposition qu’elle a interprétée en vue de mettre en cause des relations juridiques établies de bonne foi, cette limitation ne pouvant être admise que dans l’arrêt même qui statue sur l’interprétation sollicitée.

Étant donné, d’une part, que la Cour n’a pas encore été amenée à se prononcer sur l’effet direct de l’article 3, paragraphe 1, de la décision n_ 3/80 du conseil d’association CEE-Turquie, relative à l’application des régimes de sécurité sociale des États membres aux travailleurs turcs et aux membres de leur famille, lequel énonce le principe de non-discrimination en raison de la nationalité, et que, d’autre part, sa jurisprudence antérieure sur l’effet direct de cette décision a raisonnablement pu créer une situation d’incertitude quant à la faculté pour les particuliers de se prévaloir devant une juridiction nationale de la disposition précitée, des considérations impérieuses de sécurité juridique empêchent de remettre en cause des relations juridiques définitivement liquidées avant le prononcé de l’arrêt constatant l’effet direct de la disposition précitée, alors que cette remise en cause bouleverserait rétroactivement le financement des systèmes de sécurité sociale des États membres.

C’est pourquoi, il convient pour la Cour de décider que l’effet direct de l’article 3, paragraphe 1, de la décision n_ 3/80 ne peut être invoqué à l’appui de revendications relatives à des prestations afférentes à des périodes antérieures à la date dudit arrêt, sauf en ce qui concerne les personnes qui ont, avant cette date, introduit un recours en justice ou soulevé une réclamation équivalente.

Parties


Dans l’affaire C-262/96,

ayant pour objet une demande adressée à la Cour, en application de l’article 177 du traité CE (devenu article 234 CE), par le Sozialgericht Aachen (Allemagne) et tendant à obtenir, dans le litige pendant devant cette juridiction entre

Sema Sürül

et

Bundesanstalt für Arbeit,

une décision à titre préjudiciel sur l’interprétation de certaines dispositions de la décision 3/80 du conseil d’association, du 19 septembre 1980, relative à l’application des régimes de sécurité sociale des États membres des Communautés européennes aux travailleurs turcs et aux membres de leur famille (JO 1983, C 110, p. 60),

LA COUR,

composée de MM. G. C. Rodríguez Iglesias, président, J.-P. Puissochet, G. Hirsch et P. Jann, présidents de chambre, J. C. Moitinho de Almeida, C. Gulmann, J. L. Murray, D. A. O. Edward, H. Ragnemalm, L. Sevón et R. Schintgen (rapporteur), juges,

avocat général: M. A. La Pergola,

greffier: M. H. von Holstein, greffier adjoint,

considérant les observations écrites présentées:

— pour Mme Sürül, par Me Rainer M. Hofmann, avocat à Aachen,

— pour le gouvernement allemand, par MM. Ernst Röder et Bernd Kloke, respectivement Ministerialrat et Oberregierungsrat au ministère fédéral de l’Économie, en qualité d’agents,

— pour le gouvernement français, par Mmes Catherine de Salins et Anne de Bourgoing, respectivement sous-directeur et chargé de mission à la direction des affaires juridiques du ministère des Affaires étrangères, en qualité d’agents,

— pour le gouvernement autrichien, par M. Wolf Okresek, Ministerialrat à la Chancellerie, en qualité d’agent,

— pour le gouvernement du Royaume-Uni, par M. John E. Collins, Assistant Treasury Solicitor, en qualité d’agent, assisté de Mme Eleanor Sharpston, barrister,

— pour la Commission des Communautés européennes, par MM. Peter Hillenkamp et Pieter van Nuffel, conseillers juridiques, en qualité d’agents,

vu le rapport d’audience,

ayant entendu les observations orales de Mme Sürül, représentée par Me Rainer M. Hofmann, du gouvernement allemand, représenté par M. Claus-Dieter Quassowski, Regierungsdirektor au ministère fédéral de l’Économie, en qualité d’agent, du gouvernement français, représenté par Mme Kareen Rispal-Bellanger, sous-directeur à la direction des affaires juridiques du ministère des Affaires étrangères, en qualité d’agent, du gouvernement néerlandais, représenté par M. Marc Fierstra, conseiller juridique adjoint au ministère des Affaires étrangères, en qualité d’agent, du gouvernement du Royaume-Uni, représenté par Mme Eleanor Sharpston, et de la Commission, représentée par M. Peter Hillenkamp, à l’audience du 25 novembre 1997,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 12 février 1998,

vu l’ordonnance de réouverture des débats du 23 septembre 1998,

vu le rapport d’audience,

ayant entendu les observations orales de Mme Sürül, représentée par Me Rainer M. Hofmann, du gouvernement allemand, représenté par M. Claus-Dieter Quassowski, du gouvernement français, représenté par Mme Anne de Bourgoing, du gouvernement néerlandais, représenté par M. Marc Fierstra, du gouvernement du Royaume-Uni, représenté par M. John E. Collins, assisté de M. Mark Hoskins, barrister, et de la Commission, représentée par M. Peter Hillenkamp, à l’audience du 11 novembre 1998,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 17 décembre 1998,

rend le présent

Arrêt

Motifs de l’arrêt


1 Par ordonnance du 24 juillet 1996, parvenue à la Cour le 26 juillet suivant, le Sozialgericht Aachen a posé, en vertu de l’article 177 du traité CE (devenu article 234 CE), trois questions préjudicielles sur l’interprétation de certaines dispositions de la décision 3/80 du conseil d’association, du 19 septembre 1980, relative à l’application des régimes de sécurité sociale des États membres des Communautés européennes aux travailleurs turcs et aux membres de leur famille (JO 1983, C 110, p. 60).

2 Ces questions ont été soulevées dans le cadre d’un litige opposant Mme Sürül, ressortissante turque, à la Bundesanstalt für Arbeit au sujet du refus de cette dernière de lui verser des allocations familiales à compter du 1er janvier 1994.

L’association CEE-Turquie

3 L’accord créant une association entre la Communauté économique européenne et la Turquie a été signé, le 12 septembre 1963, à Ankara par la république de Turquie, d’une part, ainsi que par les États membres de la CEE et la Communauté, d’autre part, et a été conclu, approuvé et confirmé au nom de la Communauté par la décision 64/732/CEE du Conseil, du 23 décembre 1963 (JO 1964, 217, p. 3685, ci-après l'«accord»).

4 Conformément à son article 2, paragraphe 1, l’accord a pour objet de promouvoir le renforcement continu et équilibré des relations commerciales et économiques entre les parties contractantes. A cet effet, l’accord comporte une phase préparatoire permettant à la république de Turquie de renforcer son économie avec l’aide de la Communauté (article 3), une phase transitoire consacrée à la mise en place progressive d’une union douanière et au rapprochement des politiques économiques (article 4) et une phase définitive qui est fondée sur l’union douanière et implique le renforcement de la coordination des politiques économiques (article 5).

5 L’article 6 de l’accord est libellé comme suit:

«Pour assurer l’application et le développement progressif du régime d’association, les Parties contractantes se réunissent au sein d’un Conseil d’association qui agit dans les limites des attributions qui lui sont conférées par l’accord.»

6 Aux termes de l’article 8, inséré dans le titre II intitulé «Mise en oeuvre de la phase transitoire», de l’accord,

«Pour la réalisation des objectifs énoncés à l’article 4, le Conseil d’association fixe, avant le début de la phase transitoire, et selon la procédure prévue à l’article premier du protocole provisoire, les conditions, modalités et rythmes de mise en oeuvre des dispositions propres aux domaines visés par le traité instituant la Communauté qui devront être pris en considération, notamment ceux visés au présent titre, ainsi que toute clause de sauvegarde qui s’avérerait utile.»

7 L’article 9, faisant partie du même titre II, dispose ensuite:

«Les Parties contractantes reconnaissent que dans le domaine d’application de l’accord, et sans préjudice des dispositions particulières qui pourraient être établies en application de l’article 8, toute discrimination exercée en raison de la nationalité est interdite en conformité du principe énoncé dans l’article 7 du traité instituant la Communauté.»

8 Conformément à l’article 12 de l’accord,

«Les Parties contractantes conviennent de s’inspirer des articles 48, 49 et 50 du traité instituant la Communauté pour réaliser graduellement la libre circulation des travailleurs entre elles.»

9 Aux termes de l’article 22, paragraphe 1, de l’accord,

«Pour la réalisation des objets fixés par l’accord et dans les cas prévus par celui-ci, le Conseil d’association dispose d’un pouvoir de décision. Chacune des deux parties est tenue de prendre les mesures que comporte l’exécution des décisions prises…»

10 Le protocole additionnel, signé le 23 novembre 1970 à Bruxelles et conclu, approuvé et confirmé au nom de la Communauté par le règlement (CEE) n_ 2760/72 du Conseil, du 19 décembre 1972 (JO L 293, p. 1, ci-après le «protocole»), arrête, aux termes de son article 1er, les conditions, modalités et rythmes de réalisation de la phase transitoire visée à l’article 4 de l’accord. Conformément à son article 62, le protocole fait partie intégrante de l’accord.

11 Ce protocole comporte un titre II, intitulé «Circulation des personnes et des services», dont le chapitre I est consacré aux «Travailleurs».

12 Il fixe, en son article 36, les délais de la réalisation graduelle de la libre circulation des travailleurs entre les États membres de la Communauté et la république de Turquie, conformément aux principes énoncés à l’article 12 de l’accord, et stipule que le conseil d’association décidera des modalités nécessaires à cet effet.

13 L’article 39 du protocole est ainsi libellé:

«1. Avant la fin de la première année après l’entrée en vigueur du présent protocole, le Conseil d’association arrête des dispositions en matière de sécurité sociale en faveur des travailleurs de nationalité turque qui se déplacent à l’intérieur de la Communauté et de leur famille résidant à l’intérieur de la Communauté.

2. Ces dispositions devront permettre aux travailleurs de nationalité turque, selon des modalités à fixer, la totalisation des périodes d’assurance ou d’emploi accomplies dans les différents États membres pour ce qui concerne les pensions et rentes de vieillesse, de décès et d’invalidité, ainsi que les soins de santé du travailleur et de sa famille résidant à l’intérieur de la Communauté. Ces dispositions ne pourront pas établir une obligation pour les États membres de la Communauté de prendre en considération les périodes accomplies en Turquie.

3. Les dispositions visées ci-dessus doivent permettre d’assurer le paiement des allocations familiales lorsque la famille du travailleur réside à l’intérieur de la Communauté.

…»

14 C’est sur le fondement de cet article 39 du protocole que le conseil d’association institué par l’accord a adopté, le 19 septembre 1980, la décision 3/80.

15 Cette décision vise à coordonner les régimes de sécurité sociale des États membres en vue de faire bénéficier les travailleurs turcs occupés ou ayant été occupés dans l’un ou plusieurs des États membres de la Communauté, ainsi que les membres de la famille de ces travailleurs et leurs survivants, de prestations dans les branches traditionnelles de la sécurité sociale.

16 A cet effet, les dispositions de la décision 3/80 renvoient, pour l’essentiel, à certaines dispositions du règlement (CEE) n_ 1408/71 du Conseil, du 14 juin 1971, relatif à l’application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés et à leur famille qui se déplacent à l’intérieur de la Communauté (JO L 149, p. 2), et, plus rarement, du règlement (CEE) n_ 574/72 du Conseil, du 21 mars 1972, fixant les modalités d’application du règlement n_ 1408/71 (JO L 74, p. 1).

17 Les articles 1er à 4 de la décision 3/80 figurent au titre I, intitulé «Dispositions générales».

18 L’article 1er, intitulé «Définitions», est ainsi rédigé:

«Aux fins de l’application de la présente décision:

a) les termes … `membre de la famille', `survivants', `résidence’ … `prestations familiales', `allocations familiales’ … ont la signification qui leur est donnée à l’article 1er du règlement (CEE) n_ 1408/71…

b) le terme `travailleur’ désigne toute personne:

i) qui est assurée au titre d’une assurance obligatoire ou facultative continuée contre une ou plusieurs éventualités correspondant aux branches d’un régime de sécurité sociale, s’appliquant aux travailleurs salariés, sous réserve des limitations inscrites à l’annexe V point A Belgique, paragraphe 1, du règlement (CEE) n_ 1408/71;

ii) qui est assurée à titre obligatoire contre une ou plusieurs éventualités correspondant aux branches auxquelles s’applique la présente décision dans le cadre d’un régime de sécurité sociale s’appliquant à tous les résidents ou à l’ensemble de la population active:

— lorsque les modes de gestion ou de financement de ce régime permettent de l’identifier comme travailleur salarié, ou,

— à défaut de tels critères, lorsqu’elle est assurée au titre d’une assurance obligatoire ou facultative continuée contre une autre éventualité précisée à l’annexe dans le cadre d’un régime organisé au bénéfice des travailleurs salariés;

…»

19 S’agissant de l’Allemagne, l’annexe visée à l’article 1er, sous b), ii), second tiret, de la décision 3/80 ne comporte aucune précision relative à la définition de la notion de travailleur.

20 Aux termes de l’article 2 de la décision 3/80, intitulé «Champ d’application personnel»:

«La présente décision s’applique:

— aux travailleurs qui sont ou ont été soumis à la législation de l’un ou de plusieurs des États membres et qui sont des ressortissants de la Turquie,

— aux membres de la famille de ces travailleurs, qui résident sur le territoire de l’un des États membres,

— aux survivants de ces travailleurs.»

21 L’article 3, paragraphe 1, de la décision 3/80, qui est intitulé «Égalité de traitement» et qui reprend le libellé de l’article 3, paragraphe 1, du règlement n_ 1408/71, dispose:

«Les personnes qui résident sur le territoire de l’un des États membres et auxquelles les dispositions de la présente décision sont applicables sont soumises aux obligations et sont admises au bénéfice de la législation de tout État membre dans les mêmes conditions que les ressortissants de celui-ci sous réserve des dispositions particulières de la présente décision.»

22 L’article 4 de la décision 3/80, intitulé «Champ d’application matériel», prévoit, en son paragraphe 1:

«La présente décision s’applique à toutes les législations relatives aux branches de sécurité sociale qui concernent:

a) les prestations de maladie et de maternité;

b) les prestations d’invalidité, y compris celles qui sont destinées à maintenir ou à améliorer la capacité de gain;

c) les prestations de vieillesse;

d) les prestations de survivants;

e) les prestations d’accident du travail et de maladie professionnelle;

f) les allocations de décès;

g) les prestations de chômage;

h) les prestations familiales.»

23 Le titre III, intitulé «Dispositions particulières aux différentes catégories de prestations», de la décision 3/80 comprend des dispositions de coordination, inspirées du règlement n_ 1408/71, relatives aux prestations de maladie et de maternité, d’invalidité, de vieillesse et de décès (pensions), d’accidents du travail et de maladies professionnelles, d’allocations de décès, ainsi que de prestations et d’allocations familiales.

24 A la différence des deux autres décisions adoptées à la même date par le conseil d’association CEE-Turquie, à savoir la décision 1/80, relative au développement de l’association, et la décision 2/80, déterminant les conditions pour la mise en oeuvre de l’aide spéciale à la Turquie (non publiées), la décision 3/80 ne précise pas la date à laquelle elle entre en vigueur.

25 Aux termes de l’article 32 de la décision 3/80:

«La Turquie et la Communauté prennent, chacune en ce qui la concerne, les mesures que comporte l’exécution des dispositions de la présente décision.»

26 Le 8 février 1983, la Commission a présenté au Conseil une proposition de règlement (CEE) visant à appliquer, dans la Communauté économique européenne, la décision 3/80 (JO C 110, p. 1), aux termes de laquelle cette décision «est applicable dans la Communauté» (article 1er) et qui établit les «modalités d’application complémentaires» de cette décision.

27 Jusqu’à présent, le Conseil n’a pas adopté cette proposition de règlement.

La réglementation nationale

28 En Allemagne, les allocations familiales sont octroyées en application du Bundeskindergeldgesetz du 14 avril 1964 (loi fédérale en matière d’allocations familiales, BGBl. I, p. 265, ci-après le «BKGG»).

29 Les allocations familiales prévues par le BKGG, qui s’inscrivent dans un ensemble de mesures en matière de politique familiale, servent à alléger la charge financière liée à l’éducation des enfants. Ainsi, conformément aux articles 10 et 11 a du BKGG, une famille avec un enfant reçoit mensuellement un montant de 70 DM, augmenté d’une certaine somme à titre de complément pour les personnes à revenu modeste.

30 Le BKGG prévoit, en ses articles 1er, paragraphe 1, point 1, et 2, paragraphe 5, que peut prétendre aux allocations familiales toute personne ayant son domicile ou son lieu de résidence habituelle sur le territoire relevant de cette loi, dès lors que son enfant à charge a son domicile ou sa résidence habituelle sur le même territoire.

31 Toutefois, à la suite d’une modification entrée en vigueur le 1er janvier 1994 et publiée le 31 janvier 1994 au BGBl. I, p. 168, le BKGG dispose en son article 1er, paragraphe 3, que les ressortissants étrangers vivant en Allemagne n’ont droit aux allocations familiales que s’ils possèdent une autorisation de séjour (Aufenthaltsberechtigung) ou un permis de séjour (Aufenthaltserlaubnis).

32 A cet égard, l’article 42 du BKGG n’assimile aux Allemands que les ressortissants des autres États membres de la Communauté européenne, les réfugiés et les apatrides.

33 Selon le Ausländergesetz (loi allemande sur le séjour des étrangers), l’autorisation de séjour (Aufenthaltsberechtigung) et le permis de séjour (Aufenthaltserlaubnis) confèrent à l’étranger un droit de séjour autonome illimité ou à durée déterminée, mais susceptible de prorogation. En revanche, l’autorisation accessoire de séjour (Aufenthaltsbewilligung) est un titre de séjour accordé dans un but déterminé, limité dans le temps et qui exclut l’obtention ultérieure d’une autorisation permanente.

Le litige au principal

34 Il ressort de l’ordonnance de renvoi que M. et Mme Sürül sont des ressortissants turcs qui résident légalement en Allemagne.

35 Ainsi, en 1987, M. Sürül a été autorisé à entrer dans cet État membre pour y faire des études.

36 En 1991, son épouse a ensuite bénéficié de l’autorisation de le rejoindre en Allemagne au titre du regroupement familial.

37 Dans l’État membre concerné, les époux Sürül sont tous deux titulaires d’une autorisation accessoire de séjour (Aufenthaltsbewilligung).

38 En outre, M. Sürül y a obtenu l’autorisation d’occuper, en marge de ses études, un emploi d’auxiliaire auprès d’un employeur déterminé dans une limite de seize heures par semaine et il exerce effectivement cette activité sous le couvert du permis de travail requis. Au titre de cette activité, M. Sürül ne verse pas de cotisations aux assurances légales maladie et vieillesse, mais il est couvert par son employeur contre les accidents du travail.

39 En revanche, Mme Sürül n’a pas été autorisée à exercer un travail salarié.

40 Le 14 septembre 1992, Mme Sürül a donné naissance sur le territoire allemand à un enfant dont elle assure les soins et l’éducation au domicile conjugal. A cet égard, le Sozialgericht Aachen considère que, conformément à la réglementation allemande, les cotisations obligatoires d’assurance pension légale sont réputées être versées au profit de la personne qui s’occupe de l’éducation de son enfant de moins de trois ans.

41 La Bundesanstalt für Arbeit a alors versé des allocations familiales à Mme Sürül qui a également bénéficié, pour l’année 1993, du complément d’allocations réservé aux personnes à revenu modeste.

42 Toutefois, avec effet au 1er janvier 1994, la Bundesanstalt für Arbeit a supprimé le versement de ces allocations familiales, au motif que Mme Sürül ne remplissait plus, à partir de cette date, les conditions d’octroi prévues par le BKGG, puisqu’elle n’est pas titulaire d’une autorisation de séjour (Aufenthaltsberechtigung) ou d’un permis de séjour (Aufenthaltserlaubnis). En mars 1994, la Bundesanstalt für Arbeit a refusé, pour le même motif, de continuer à verser à Mme Sürül le complément d’allocations familiales.

43 A la suite du rejet du recours gracieux qu’elle avait introduit à l’encontre de ces décisions, Mme Sürül a saisi du litige le Sozialgericht Aachen, en faisant valoir qu’elle tirait des règles relatives à l’association CEE-Turquie le droit d’être traitée de la même manière que les ressortissants allemands, de sorte que la nature du titre de séjour qui lui avait été délivré dans l’État membre concerné serait sans importance.

44 Selon cette juridiction, aucune disposition du droit allemand ne permet à Mme Sürül de continuer à bénéficier des allocations familiales, puisque le BKGG, dans sa version en vigueur depuis le 1er janvier 1994, n’assimile aux Allemands que les seuls ressortissants des autres États membres de la Communauté européenne, les réfugiés et les apatrides. Elle se demande cependant si Mme Sürül ne pourrait pas tirer des règles relatives à l’association CEE-Turquie le droit de se voir accorder des allocations familiales dans les mêmes conditions que les ressortissants allemands.

Les questions préjudicielles

45 Estimant que la solution du litige requérait dès lors une interprétation du droit communautaire, le Sozialgericht Aachen a sursis à statuer pour poser à la Cour les trois questions préjudicielles suivantes:

«1) Un ressortissant turc vivant en Allemagne, qui relève du champ d’application personnel défini à l’article 2 de la décision 3/80, du 19 septembre 1980, du conseil d’association institué par l’accord créant une association entre la Communauté économique européenne et la Turquie (décision 3/80), et qui ne possède qu’une autorisation accessoire de séjour (Aufenthaltsbewilligung), tire-t-il directement des dispositions combinées des articles 3 et 4, paragraphe 1, sous h), de la décision 3/80 un droit qui est tributaire des seules conditions applicables aux ressortissants allemands et non des autres conditions applicables aux ressortissants étrangers énoncées à l’article 1er, paragraphe 3, première phrase, de la loi sur les allocations familiales (§ 1, Abs. 3, Satz 1, Bundeskindergeldgesetz) dans la version publiée le 31 janvier 1994 (Bundesgesetzblatt I, p. 168)?

La même question énoncée en termes plus généraux:

Est-il interdit à un État membre de refuser à un ressortissant turc relevant du champ d’application personnel défini à l’article 2 de la décision 3/80 une prestation familiale prévue par sa législation, au motif qu’il ne possède pas d’autorisation de séjour (Aufenthaltsberechtigung) ni de permis de séjour (Aufenthaltserlaubnis)?

2) Un ressortissant turc qui réside sur le territoire d’un État membre a-t-il la qualité de travailleur au sens des dispositions combinées de l’article 2 et de l’article 1er, sous b), de la décision 3/80 durant les périodes où la législation de cet État l’avantage en réputant versées les cotisations obligatoires d’assurance pension légale se rapportant aux périodes d’éducation d’un enfant?

3) Un ressortissant turc, qui réside sur le territoire d’un État membre et qui, nanti d’un permis de travail, y exerce en marge de ses études une activité salariée dans les liens d’un contrat de travail d’auxiliaire sans dépasser seize heures par semaine, a-t-il, de ce seul fait, la qualité de travailleur au sens des dispositions combinées des articles 2 et 1er, sous b), de la décision 3/80 ou, en tout cas, du fait qu’il est couvert contre les accidents de travail par l’assurance légale contre les accidents de travail?»

46 Par ses trois questions préjudicielles, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande en substance si l’article 3, paragraphe 1, de la décision 3/80 doit être interprété en ce sens qu’il interdit à un État membre d’exiger d’un ressortissant turc qui relève du champ d’application de cette décision et qu’il a autorisé à résider sur son territoire, mais qui n’est titulaire dans cet État membre d’accueil que d’une autorisation provisoire de séjour, délivrée dans un but déterminé et pour une durée limitée, qu’il possède une autorisation de séjour ou un permis de séjour pour bénéficier d’allocations familiales pour son enfant qui habite avec lui dans ledit État membre, alors que les ressortissants de ce dernier sont à cet effet uniquement tenus d’y avoir leur résidence.

47 En vue de répondre utilement aux questions ainsi reformulées, il convient d’examiner, d’abord, si l’article 3, paragraphe 1, de la décision 3/80 est de nature à faire naître directement dans le chef d’un particulier des droits dont celui-ci peut se prévaloir devant une juridiction d’un État membre. Dans l’affirmative, il y a lieu de déterminer, ensuite, si cette décision couvre la situation d’une ressortissante turque telle la demanderesse au principal qui demande, dans l’État membre dans lequel elle a été autorisée à résider, le bénéfice d’une allocation du type de celle en cause au principal et, enfin, si le principe de non-discrimination dans le domaine de la sécurité sociale inscrit à ladite disposition de la décision 3/80 fait obstacle à ce que l’État membre d’accueil subordonne l’octroi de cette prestation à des conditions plus restrictives pour les migrants turcs que pour les nationaux.

Sur l’effet direct de l’article 3, paragraphe 1, de la décision 3/80

48 Les gouvernements allemand, français, néerlandais, autrichien et du Royaume-Uni estiment que, si la Cour n’a pas eu à se prononcer sur l’effet direct de l’article 3, paragraphe 1, de la décision 3/80 dans l’arrêt du 10 septembre 1996, Taflan-Met e.a. (C-277/94, Rec. p. I-4085), il résulte cependant des motifs de cet arrêt que celui-ci revêt une portée générale.

49 Dans cet arrêt, la Cour aurait en effet jugé que la décision 3/80 est destinée, par nature, à être complétée et mise en application dans la Communauté par un acte ultérieur du Conseil (point 33) et que, même si certaines de ses dispositions sont claires et précises, cette décision ne peut pas être appliquée tant que des mesures complémentaires de mise en oeuvre n’ont pas été adoptées par le Conseil (point 37).

50 Il en résulterait qu’aucune disposition de la décision 3/80 n’a un effet direct sur le territoire d’un État membre aussi longtemps que les mesures complémentaires indispensables pour la mise en application concrète de cette décision, telles celles qui figurent dans la proposition de règlement présentée par la Commission, n’ont pas été adoptées par le Conseil.

51 A cet égard, il convient de rappeler que, dans l’arrêt Taflan-Met e.a., précité, la Cour a jugé, aux points 21 et 22, qu’il découle du caractère contraignant que l’accord attache aux décisions du conseil d’association CEE-Turquie que la décision 3/80 est entrée en vigueur à la date de son adoption, soit le 19 septembre 1980, et qu’elle lie depuis lors les parties contractantes.

52 Dans le même arrêt, la Cour a dit pour droit que, tant que les mesures complémentaires indispensables pour la mise en oeuvre de la décision 3/80 n’ont pas été adoptées par le Conseil, les articles 12 et 13 de cette décision n’ont pas d’effet direct sur le territoire des États membres et ne sont pas, dès lors, de nature à engendrer pour les particuliers le droit de s’en prévaloir devant les juridictions nationales.

53 Dans l’affaire Taflan-Met e.a., précitée, les demandeurs au principal sollicitaient en effet le bénéfice de pensions d’invalidité ou de survie sur la base des règles de coordination figurant aux articles 12 et 13 de la décision 3/80. Cette affaire avait ainsi trait au droit de travailleurs migrants turcs, occupés successivement dans plusieurs États membres, ou à celui des survivants de ces travailleurs, à certaines prestations de sécurité sociale sur le fondement de dispositions techniques de coordination des différentes législations nationales applicables énoncées au chapitre 2, intitulé «Invalidité», et au chapitre 3, intitulé «Vieillesse et décès (pensions)», du titre III de cette décision.

54 C’est dans ce contexte que la Cour a relevé aux points 29 et 30 de l’arrêt Taflan-Met e.a., précité, qu’une comparaison du règlement n_ 1408/71 et de son règlement d’application n_ 574/72 avec la décision 3/80 montre que, même si les termes de cette dernière renvoient à certaines dispositions de ces deux règlements, ladite décision ne contient pas un grand nombre de dispositions précises et détaillées qui ont pourtant été considérées indispensables pour la mise en application, à l’intérieur de la Communauté, du règlement n_ 1408/71. Elle a souligné, au point 32, en particulier que, si la décision 3/80 énonce le principe fondamental de la totalisation des périodes pour les branches maladie et maternité, invalidité, vieillesse, allocations de décès et prestations familiales en renvoyant aux dispositions pertinentes du règlement n_ 1408/71, l’application de ce principe requiert cependant l’adoption préalable de mesures complémentaires de mise en oeuvre telles que celles figurant au règlement n_ 574/72. Or, la Cour a constaté, aux points 35 et 36, que des mesures de ce type, de même que des précisions relatives notamment au non-cumul des prestations et à la détermination de la législation applicable, ne figuraient que dans la proposition de règlement (CEE) du Conseil, présentée le 8 février 1983 par la Commission en vue d’appliquer la décision 3/80 dans la Communauté, mais non encore adoptée par le Conseil. Elle en a déduit que, avant l’adoption de ces mesures de mise en oeuvre, les règles de coordination de la décision 3/80 sur lesquelles les demandeurs au principal avaient fondé leurs prétentions n’étaient pas susceptibles d’être invoquées directement devant une juridiction d’un État membre.

55 En revanche, la présente affaire ne porte pas sur de telles dispositions de coordination inscrites au titre III de la décision 3/80. En effet, Mme Sürül se fonde uniquement sur le principe de non-discrimination en raison de la nationalité, énoncé à l’article 3, paragraphe 1, de cette décision, en vue de bénéficier, dans l’État membre de sa résidence et au titre de la seule législation de cet État, d’une prestation de sécurité sociale aux mêmes conditions que celles prévues pour les ressortissants de l’État membre d’accueil.

56 En outre, la proposition de règlement présentée par la Commission et visant à mettre en oeuvre la décision 3/80 dans la Communauté ne comporte aucune disposition relative à l’application dudit article 3, paragraphe 1, textuellement reproduit du règlement n_ 1408/71, dont le règlement d’application n_ 574/72 ne contient pas davantage de mesures d’exécution de cette disposition.

57 Il en résulte que, si la motivation qui a amené la Cour à dénier, en l’état actuel du droit communautaire, l’effet direct aux articles 12 et 13 de la décision 3/80 doit s’appliquer par analogie à toutes les autres dispositions de cette décision qui nécessitent des mesures complémentaires pour leur application pratique, elle n’est, en revanche, pas transposable au principe d’égalité de traitement dans le domaine de la sécurité sociale qui figure à son article 3, paragraphe 1.

58 En effet, dans une hypothèse telle que celle de l’affaire au principal, aucun problème d’ordre technique tenant notamment à la totalisation des périodes accomplies dans plusieurs États membres, au non-cumul des prestations servies par différentes institutions compétentes et à la détermination de la législation nationale applicable n’est susceptible de se poser, puisque la demanderesse au principal se contente d’invoquer l’application combinée de la réglementation de l’État membre d’accueil et du principe de non-discrimination en raison de la nationalité inscrit à l’article 3, paragraphe 1, de la décision 3/80. Cette demande peut être examinée sans qu’il soit nécessaire de recourir à des mesures de coordination que le Conseil n’a pas encore adoptées.

59 Dans ces conditions, la thèse défendue par les gouvernements allemand, français, néerlandais, autrichien et du Royaume-Uni ne saurait être accueillie, de sorte qu’il convient de vérifier si ledit article 3, paragraphe 1, de la décision 3/80 remplit les conditions pour avoir un effet direct sur le territoire des États membres.

60 Selon la jurisprudence constante de la Cour, une disposition d’un accord conclu par la Communauté avec des pays tiers doit être considérée comme étant d’application directe lorsque, eu égard à ses termes ainsi qu’à l’objet et à la nature de l’accord, elle comporte une obligation claire et précise qui n’est subordonnée, dans son exécution ou dans ses effets, à l’intervention d’aucun acte ultérieur (voir, notamment, arrêts du 30 septembre 1987, Demirel, 12/86, Rec. p. 3719, point 14; du 31 janvier 1991, Kziber, C-18/90, Rec. p. I-199, point 15, et du 16 juin 1998, Racke, C-162/96, Rec. p. I-3655, point 31). Dans l’arrêt du 20 septembre 1990, Sevince (C-192/89, Rec. p. I-3461, points 14 et 15), la Cour a précisé que les mêmes conditions s’appliquent lorsqu’il s’agit de déterminer si les dispositions d’une décision du conseil d’association CEE-Turquie peuvent avoir un effet direct.

61 Pour décider si l’article 3, paragraphe 1, de la décision 3/80 répond à ces critères, il convient de s’attacher d’abord à l’examen de ses termes.

62 A cet égard, il y a lieu de constater que cette disposition consacre, dans des termes clairs, précis et inconditionnels, l’interdiction de discriminer, en raison de leur nationalité, les personnes qui résident sur le territoire de l’un des États membres et auxquelles les dispositions de la décision 3/80 sont applicables.

63 Ainsi que l’a à juste titre souligné la Commission, cette règle d’égalité de traitement prescrit une obligation de résultat précise et est, par essence, susceptible d’être invoquée par un justiciable devant une juridiction nationale pour lui demander d’écarter les dispositions discriminatoires d’une réglementation d’un État membre qui soumet l’octroi d’un droit à une condition qui n’est pas imposée aux ressortissants nationaux, sans que l’adoption de mesures d’application complémentaires soit requise à cet effet (voir points 56 et 58 du présent arrêt).

64 Cette constatation est corroborée par la circonstance que l’article 3, paragraphe 1, de la décision 3/80 ne constitue que la mise en oeuvre et la concrétisation, dans le domaine particulier de la sécurité sociale, du principe général de non-discrimination en raison de la nationalité inscrit à l’article 9 de l’accord qui opère un renvoi à l’article 7 du traité CEE, devenu l’article 6 du traité CE (devenu, après modification, article 12 CE).

65 Cette interprétation est d’ailleurs confirmée par la jurisprudence constante de la Cour (voir arrêt Kziber, précité, points 15 à 23, confirmé par arrêts du 20 avril 1994, Yousfi, C-58/93, Rec. p. I-1353, points 16 à 19; du 5 avril 1995, Krid, C-103/94, Rec. p. I-719, points 21 à 24; du 3 octobre 1996, Hallouzi-Choho, C-126/95, Rec. p. I-4807, points 19 et 20, et du 15 janvier 1998, Babahenini, C-113/97, Rec. p. I-183, points 17 et 18) relative au principe d’égalité de traitement inscrit à l’article 39, paragraphe 1, de l’accord de coopération entre la Communauté économique européenne et la République algérienne démocratique et populaire, signé à Alger le 26 avril 1976 et approuvé au nom de la Communauté par le règlement (CEE) n_ 2210/78 du Conseil, du 26 septembre 1978 (JO L 263, p. 1), ainsi qu’à l’article 41, paragraphe 1, de l’accord de coopération entre la Communauté économique européenne et le royaume du Maroc, signé à Rabat le 27 avril 1976 et approuvé au nom de la Communauté par le règlement (CEE) n_ 2211/78 du Conseil, du 26 septembre 1978 (JO L 264, p. 1).

66 En effet, conformément à cette jurisprudence, ces dispositions, qui prévoient l’interdiction de toute discrimination fondée sur la nationalité dans le domaine de la sécurité sociale des ressortissants algériens et marocains par rapport aux ressortissants de l’État membre d’accueil, sont d’effet direct en dépit du fait que le conseil de coopération n’a pas adopté de mesures en application des articles 40, paragraphe 1, de l’accord CEE-Algérie et 42, paragraphe 1, de l’accord CEE-Maroc relatifs à la mise en oeuvre des principes énoncés respectivement à l’article 39 et à l’article 41.

67 L’interprétation qui précède n’est pas mise en cause par le fait que l’article 3, paragraphe 1, de la décision 3/80 précise que l’interdiction de discrimination en raison de la nationalité qu’il énonce déploie ses effets «sous réserve des dispositions particulières de la présente décision».

68 A cet égard, il suffit de relever que, s’agissant des allocations familiales en cause au principal, la décision 3/80 ne prévoit aucune dérogation ou restriction au principe d’égalité de traitement énoncé à son article 3, paragraphe 1. Compte tenu du caractère fondamental de ce principe, l’existence de ladite réserve, qui a été textuellement reprise de l’article 3, paragraphe 1, du règlement n_ 1408/71 et qui figure d’ailleurs également à l’article 9 de l’accord ainsi qu’à l’article 6 du traité, n’est pas, en elle-même, de nature à affecter l’applicabilité directe que comporte la disposition à laquelle elle permet de déroger (voir, en ce sens, arrêt Sevince, précité, point 25) en enlevant à la règle du traitement national son caractère inconditionnel.

69 La constatation que le principe de non-discrimination inscrit à l’article 3, paragraphe 1, de la décision 3/80 est susceptible de régir directement la situation des particuliers n’est, par ailleurs, pas contredite par l’examen de l’objet et de la nature de l’accord auquel cette disposition se rattache.

70 L’accord a, en effet, pour objet d’instituer une association destinée à promouvoir le développement des relations commerciales et économiques entre les parties contractantes, y compris dans le domaine de la main-d’oeuvre par la réalisation graduelle de la libre circulation des travailleurs, en vue d’améliorer le niveau de vie du peuple turc et de faciliter ultérieurement l’adhésion de la république de Turquie à la Communauté (voir quatrième considérant de l’accord).

71 Le protocole, qui, conformément à son article 62, fait partie intégrante de l’accord, prévoit, en son article 36, les délais de la réalisation graduelle de cette libre circulation des travailleurs et dispose, en son article 39, que le conseil d’association arrête des dispositions en matière de sécurité sociale en faveur des travailleurs de nationalité turque qui se déplacent à l’intérieur de la Communauté ainsi que de leur famille résidant dans les États membres. C’est sur ce fondement que le conseil d’association a adopté la décision 3/80 qui a pour objectif de garantir le versement de prestations de sécurité sociale aux migrants turcs dans la Communauté.

72 En outre, la circonstance que l’accord vise essentiellement à favoriser le développement économique de la Turquie et comporte dès lors un déséquilibre dans les obligations assumées par la Communauté vis-à-vis du pays tiers concerné n’est pas de nature à empêcher la reconnaissance par la Communauté de l’effet direct de certaines de ses dispositions (voir, par analogie, arrêts du 5 février 1976, Bresciani, 87/75, Rec. p. 129, point 23; Kziber, précité, point 21, et du 12 décembre 1995, Chiquita Italia, C-469/93, Rec. p. I-4533, point 34).

73 Enfin, ainsi qu’il découle des points 55, 56 et 58 du présent arrêt, l’application dans une affaire telle que celle au principal de la règle de l’assimilation aux nationaux de l’État membre d’accueil des personnes relevant du champ d’application de la décision 3/80 et résidant dans cet État membre par l’interdiction de toute discrimination fondée sur la nationalité des intéressés et résultant de la réglementation de l’État membre concerné, qui figure à l’article 3, paragraphe 1, de ladite décision, n’est pas conditionnée par les autres dispositions de cette dernière.

74 Il résulte des considérations qui précèdent que l’article 3, paragraphe 1, de la décision 3/80 établit, dans le domaine d’application de celle-ci, un principe précis et inconditionnel suffisamment opérationnel pour être appliqué par un juge national et, dès lors, susceptible de régir la situation juridique des particuliers. L’effet direct qu’il convient donc de reconnaître à cette disposition implique que les justiciables auxquels elle s’applique ont le droit de s’en prévaloir devant les juridictions des États membres.

Sur le champ d’application de l’article 3, paragraphe 1, de la décision 3/80

75 S’il est constant que les allocations familiales en cause au principal constituent des prestations familiales, au sens de l’article 4, paragraphe 1, sous h), la décision 3/80, et relèvent en conséquence du champ d’application matériel de celle-ci, le gouvernement allemand conteste, en revanche, l’appartenance de Mme Sürül au champ d’application personnel de cette décision.

76 Ainsi, la demanderesse au principal ne pourrait pas être considérée comme travailleur, au sens des dispositions combinées des articles 1er, sous b), et 2, premier tiret, de la décision 3/80.

77 Le gouvernement allemand souligne, à cet égard, dans ses observations écrites qu’une affiliation dans une branche de la sécurité sociale ne suffit pas pour conférer la qualité de travailleur à l’égard des autres branches de la sécurité sociale, étant donné que les définitions figurant à l’article 1er, sous b), i) et ii), de la décision 3/80 ne devraient pas être interprétées comme étant alternatives, mais au contraire comme étant applicables spécifiquement à des risques et des régimes déterminés et distincts. Dès lors, même à supposer que Mme Sürül fût couverte par l’assurance pension légale pendant les trois premières années suivant la naissance de son enfant (voir point 40 du présent arrêt), cette seule circonstance ne serait pas de nature à la faire relever des autres branches de la sécurité sociale, notamment pour le bénéfice des allocations familiales.

78 Ce gouvernement ajoute qu’en Allemagne le droit aux allocations familiales ne dépend pas d’une affiliation obligatoire ou facultative à une assurance sociale, mais appartient à tous les résidents, indépendamment de leur statut professionnel. Même si l’annexe de la décision 3/80, visée à l’article 1er, sous b), ii), second tiret, ne prévoit pas de modalités d’application particulières en ce qui concerne l’Allemagne, il faudrait en l’occurrence appliquer par analogie, conformément à l’article 25, paragraphe 1, de ladite décision, l’annexe I, point I, C («Allemagne»), du règlement n_ 1408/71.

79 Selon le gouvernement allemand, il en résulte que, dans le domaine des prestations familiales dont relèverait l’allocation en cause au principal, seule la personne qui est obligatoirement assurée contre le risque de chômage ou qui perçoit, dans le cadre de ce régime d’assurance, des prestations en espèces de l’assurance maladie ou des prestations analogues peut être qualifiée de travailleur. Or, Mme Sürül ne remplirait aucune de ces conditions.

80 Le gouvernement allemand poursuit que la demanderesse au principal ne peut pas davantage être considérée comme membre de la famille d’un travailleur, au sens des dispositions combinées des articles 1er, sous a), et 2, deuxième tiret, de la décision 3/80.

81 Le conjoint de Mme Sürül aurait certes exercé en Allemagne une activité salariée en marge de ses études, mais, conformément à la législation allemande, il n’aurait pas été tenu de s’assurer contre les risques de chômage, de maladie et de vieillesse. Seules auraient été obligatoires les cotisations au régime légal d’assurance contre les accidents du travail, versées en totalité par l’employeur de M. Sürül. Pour les mêmes motifs que ceux énoncés au point 77 du présent arrêt, M. Sürül relèverait dès lors uniquement des dispositions de la décision 3/80 ayant trait à l’assurance accident, mais non pas de celles régissant les autres branches de la sécurité sociale et, notamment, les allocations familiales. Dans ces conditions, M. Sürül ne pourrait pas être considéré comme travailleur ni son épouse comme membre de la famille d’un travailleur, au sens de cette décision, pour le bénéfice des allocations familiales.

82 En vue de statuer sur le bien-fondé de cette argumentation, il importe de souligner, en premier lieu, que la définition que l’article 1er, sous b), de la décision 3/80 donne aux fins de l’application de celle-ci aux «travailleurs» correspond très largement à celle de la notion de «travailleur» figurant à l’article 1er, sous a), du règlement n_ 1408/71.

83 Conformément à l’article 1er, sous a), de la décision 3/80, le terme «membre de la famille» a la signification qui lui est donnée à l’article 1er, sous f), du règlement n_ 1408/71.

84 La définition du champ d’application personnel de la décision 3/80 figurant à son article 2 est inspirée de la même définition énoncée à l’article 2, paragraphe 1, du règlement n_ 1408/71.

85 Il convient de rappeler, en second lieu, qu’il est de jurisprudence que la définition de la notion de «travailleur» figurant à l’article 1er, sous a), du règlement n_ 1408/71, «aux fins de l’application du présent règlement», a une portée générale et couvre, au vu de cette considération, toute personne qui, exerçant ou non une activité professionnelle, possède la qualité d’assuré au titre de la législation de sécurité sociale d’un ou de plusieurs États membres (voir arrêt du 31 mai 1979, Pierik II, 182/78, Rec. p. 1977, point 4). Ce terme désigne toute personne assurée dans le cadre de l’un des régimes de sécurité sociale mentionnés à l’article 1er, sous a), du règlement n_ 1408/71 contre les éventualités et aux conditions indiquées dans cette disposition (voir arrêt du 3 mai 1990, Kits van Heijningen, C-2/89, Rec. p. I-1755, point 9).

86 Il s’ensuit, ainsi que la Cour l’a encore rappelé à propos du règlement n_ 1408/71 dans les arrêts du 12 mai 1998, Martínez Sala (C-85/96, Rec. p. I-2691, point 36), et du 11 juin 1998, Kuusijärvi (C-275/96, Rec. p. I-3419, point 21), qu’une personne a la qualité de travailleur dès lors qu’elle est assurée, ne serait-ce que contre un seul risque, au titre d’une assurance obligatoire ou facultative auprès d’un régime général ou particulier de sécurité sociale, et ce indépendamment de l’existence d’une relation de travail.

87 S’agissant de l’objection du gouvernement allemand tirée d’une application par analogie de l’annexe I, point I, C («Allemagne»), du règlement n_ 1408/71, il convient de rappeler que l’article 25 de la décision 3/80 dispose, en son paragraphe 1, que les «annexes I, III et IV du règlement (CEE) n_ 1408/71 valent pour l’application de la présente décision», de sorte que ladite annexe est applicable dans le cadre de la décision 3/80.

88 Aux termes de l’annexe I, point I – «Travailleurs salariés et/ou travailleurs non salariés [article 1er point a) ii) et iii) du règlement]» – , C («Allemagne»), du règlement n_ 1408/71:

«Si une institution allemande est l’institution compétente pour l’octroi des prestations familiales, conformément au titre III chapitre 7 du règlement, est considérée au sens de l’article 1er point a) ii) du règlement:

a) comme travailleur salarié, la personne assurée à titre obligatoire contre le risque de chômage ou la personne qui obtient, à la suite de cette assurance, des prestations en espèces de l’assurance maladie ou des prestations analogues;

…»

89 A cet égard, il y a lieu de relever que, comme il résulte clairement du libellé de cette disposition, c’est uniquement pour l’octroi de prestations familiales conformément au titre III, chapitre 7, du règlement n_ 1408/71 que l’annexe I, point I, C, a précisé ou limité la notion de travailleur salarié au sens de l’article 1er, sous a), ii), de ce même règlement (arrêt Martínez Sala, précité, point 43).

90 Or, ainsi que M. l’avocat général l’a développé aux points 57 et 58 de ses conclusions du 12 février 1998, la situation d’une personne telle que celle au principal n’est visée par aucune des dispositions du titre III, chapitre 7. En effet, en l’espèce au principal, tous les éléments pertinents se cantonnent à l’intérieur de l’État membre d’accueil dans lequel les époux Sürül résident avec leur enfant et la demanderesse au principal réclame des allocations familiales au titre de la réglementation dudit État (voir points 55 et 58 du présent arrêt).

91 Dans ces conditions, la restriction prévue à l’annexe I, point I, C, du règlement n_ 1408/71 ne saurait être appliquée à la demanderesse au principal, de sorte que sa qualité de travailleur au sens de la décision 3/80 doit être déterminée au regard du seul article 1er, sous b), de cette même décision.

92 Il ressort d’ailleurs du dossier au principal que les autorités allemandes compétentes ont, dans un premier temps, versé des allocations familiales à Mme Sürül, en dépit du fait qu’elle ne remplissait pas les conditions de cette annexe du règlement n_ 1408/71, et qu’elles n’ont supprimé ce versement qu’à la suite de l’entrée en vigueur, le 1er janvier 1994, de la nouvelle réglementation nationale faisant dépendre le bénéfice de ce type de prestation pour les étrangers résidant en Allemagne de la possession d’un certain type de titre de séjour.

93 Au vu des considérations qui précèdent, une ressortissante turque telle la demanderesse au principal pourra donc bénéficier des droits attachés à la qualité de travailleur au sens de la décision 3/80 dès lors qu’il sera établi qu’elle est assurée, ne serait-ce que contre un seul risque, au titre d’une assurance obligatoire ou facultative auprès d’un régime général ou particulier de sécurité sociale mentionné à l’article 1er, sous b), de cette décision. Tel serait le cas pour la période pendant laquelle l’intéressée était couverte par l’assurance pension légale, ainsi que l’indique la juridiction nationale dans sa deuxième question préjudicielle.

94 De même, s’agissant de la période pendant laquelle l’intéressée n’était pas affiliée à un régime de sécurité sociale, elle pourra bénéficier des droits attachés à la qualité de membre de la famille d’un travailleur au sens de la décision 3/80 dès lors qu’il sera établi que son mari est assuré, ne serait-ce que contre un seul risque, au titre d’une assurance obligatoire ou facultative auprès d’un régime général ou particulier de sécurité sociale mentionné à l’article 1er, sous b), de ladite décision. Cette condition serait remplie si, comme la juridiction de renvoi le relève dans sa troisième question préjudicielle, l’intéressé est couvert par l’assurance légale contre les accidents du travail.

95 Il appartient à la juridiction de renvoi, seule compétente pour constater et apprécier les faits du litige dont elle est saisie ainsi que pour interpréter et appliquer le droit national, de décider si, pendant la période litigieuse, Mme Sürül peut ainsi être considérée elle-même comme travailleur. Dans l’hypothèse où tel ne serait pas le cas pour la totalité ou une partie de ladite période, il incombe encore à cette juridiction de déterminer si, pour la période concernée, le mari de Mme Sürül remplit la condition mentionnée au point 94 du présent arrêt pour être considéré comme travailleur, de sorte que Mme Sürül, en sa qualité d’épouse d’un travailleur turc qu’elle a été autorisée à rejoindre dans l’État membre d’accueil au titre du regroupement familial, serait un membre de la famille d’un travailleur au sens de la décision 3/80.

Sur la portée du principe de non-discrimination inscrit à l’article 3, paragraphe 1, de la décision 3/80

96 Dans l’hypothèse où une personne telle que la demanderesse au principal relève du domaine d’application ratione personae de la décision 3/80, il convient enfin de déterminer si l’article 3, paragraphe 1, de cette décision doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à l’application d’une réglementation d’un État membre qui exige d’un ressortissant turc, qui a été autorisé à résider sur son territoire et y séjourne légalement, qu’il y soit titulaire d’un certain type de titre de séjour pour bénéficier des allocations familiales.

97 A cet égard, il importe de souligner d’abord que le principe, inscrit à l’article 3, paragraphe 1, de la décision 3/80, de l’absence de toute discrimination fondée sur la nationalité dans le domaine d’application de cette décision implique qu’un ressortissant turc visé par cette dernière soit traité de la même manière que les nationaux de l’État membre d’accueil, de sorte que la législation de cet État membre ne saurait soumettre l’octroi d’un droit à un tel ressortissant turc à des conditions supplémentaires ou plus rigoureuses par rapport à celles applicables à ses propres ressortissants (voir, par analogie, arrêt du 2 février 1989, Cowan, 186/87, Rec. p. 195, point 10, et arrêts précités Kziber, point 28, et Hallouzi-Choho, points 35 et 36).

98 Il en résulte qu’un ressortissant turc, qui a été autorisé à entrer sur le territoire d’un État membre au titre du regroupement familial avec un travailleur migrant turc et qui y réside légalement avec ce dernier, doit pouvoir obtenir dans l’État d’accueil le bénéfice d’une prestation de sécurité sociale prévue par la réglementation de cet État dans les mêmes conditions que les nationaux de l’État membre concerné.

99 Il y a lieu de relever ensuite que, en vertu d’une législation telle que le BKGG, peut prétendre aux allocations familiales toute personne qui a son domicile ou son lieu de résidence habituelle sur le territoire couvert par ladite législation dès lors que ses enfants à charge ont leur domicile ou leur résidence habituelle sur le même territoire.

100 Cependant, depuis le 1er janvier 1994, le BKGG dispose que les ressortissants étrangers résidant en Allemagne, qui ne peuvent pas être assimilés aux Allemands, n’ont droit aux allocations familiales que s’ils sont titulaires d’un certain type de titre de séjour.

101 Ainsi, une ressortissante turque telle que la demanderesse au principal, qui a été autorisée à résider sur le territoire de l’État membre d’accueil, y réside effectivement avec son enfant et remplit donc toutes les conditions que la réglementation pertinente impose aux ressortissants nationaux, se voit refuser le bénéfice des allocations familiales pour son enfant du seul fait qu’elle ne satisfait pas à la condition relative à la possession d’une autorisation de séjour ou d’un permis de séjour.

102 Or, n’étant pas susceptible d’être opposée à un ressortissant de l’État membre concerné, même dans l’hypothèse où il n’y séjournerait que temporairement, cette condition ne vise, par nature, que les étrangers et son application aboutit, dès lors, à une inégalité de traitement exercée en raison de la nationalité.

103 Dans ces conditions, il y a lieu de considérer que le fait, pour un État membre, d’exiger d’un ressortissant turc qui relève du champ d’application de la décision 3/80 qu’il possède un certain type de titre de séjour pour bénéficier d’une prestation telle que l’allocation en cause au principal, alors qu’aucun document de cette nature n’est demandé aux ressortissants dudit État, constitue une discrimination au sens de l’article 3, paragraphe 1, de ladite décision.

104 Dans la mesure où aucun argument de nature à justifier objectivement cette différence de traitement n’a été invoqué devant la Cour, une telle discrimination est incompatible avec cette disposition de la décision 3/80.

105 Au vu de l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre aux questions posées que l’article 3, paragraphe 1, de la décision 3/80 doit être interprété en ce sens qu’il interdit à un État membre d’exiger d’un ressortissant turc qui relève du champ d’application de cette décision et qu’il a autorisé à résider sur son territoire, mais qui n’est titulaire dans cet État membre d’accueil que d’une autorisation provisoire de séjour, délivrée dans un but déterminé et pour une durée limitée, qu’il possède une autorisation de séjour ou un permis de séjour pour bénéficier d’allocations familiales pour son enfant qui habite avec lui dans ledit État membre, alors que les ressortissants de ce dernier sont à cet effet uniquement tenus d’y avoir leur résidence.

Sur l’effet du présent arrêt dans le temps

106 Dans leurs observations orales, les gouvernements allemand, français et du Royaume-Uni ont demandé à la Cour de limiter dans le temps les effets du présent arrêt, dans l’hypothèse où elle dirait pour droit que le principe de non-discrimination en raison de la nationalité inscrit à l’article 3, paragraphe 1, de la décision 3/80 doit être interprété en ce sens qu’il permet à une ressortissante turque telle la demanderesse au principal de prétendre dans l’État membre d’accueil à des allocations familiales dans les mêmes conditions que les nationaux de cet État. Ces gouvernements soulignent qu’un tel arrêt serait de nature à remettre en cause un nombre important de relations juridiques établies sur la base d’une réglementation nationale en vigueur depuis un certain temps et à entraîner de graves conséquences financières pour les systèmes de sécurité sociale des États membres.

107 A cet égard, il convient de rappeler la jurisprudence de la Cour selon laquelle l’interprétation qu’elle donne d’une règle du droit communautaire, dans l’exercice de la compétence que lui confère l’article 177 du traité, éclaire et précise, lorsque besoin en est, la signification et la portée de cette règle, telle qu’elle doit ou aurait dû être comprise et appliquée depuis le moment de sa mise en vigueur. Il en résulte que la règle ainsi interprétée peut et doit être appliquée par le juge même à des rapports juridiques nés et constitués avant l’arrêt statuant sur la demande d’interprétation, si par ailleurs les conditions permettant de porter devant les juridictions compétentes un litige relatif à l’application de ladite règle se trouvent réunies (voir, notamment, arrêt du 2 février 1988, Blaizot, 24/86, Rec. p. 379, point 27).

108 Ce n’est qu’à titre exceptionnel que la Cour peut, par application d’un principe général de sécurité juridique inhérent à l’ordre juridique communautaire, être amenée à limiter la possibilité pour tout intéressé d’invoquer une disposition qu’elle a interprétée en vue de mettre en cause des relations juridiques établies de bonne foi. Cette limitation ne peut être admise, selon la jurisprudence constante de la Cour, que dans l’arrêt même qui statue sur l’interprétation sollicitée (voir, notamment, arrêt du 24 septembre 1998, Commission/France, C-35/97, Rec. p. I-5325, point 49).

109 En l’occurrence, force est de constater d’abord que c’est la première fois que la Cour est amenée à interpréter l’article 3, paragraphe 1, de la décision 3/80.

110 Ensuite, l’arrêt Taflan Met e.a., précité, a raisonnablement pu créer une situation d’incertitude quant à la faculté pour les particuliers de se prévaloir devant une juridiction nationale de l’article 3, paragraphe 1, de ladite décision.

111 Dans ces conditions, des considérations impérieuses de sécurité juridique empêchent de remettre en cause des relations juridiques qui ont été définitivement liquidées avant le prononcé du présent arrêt, alors que cette remise en cause bouleverserait rétroactivement le financement des systèmes de sécurité sociale des États membres.

112 Toutefois, sous peine d’affecter indûment la protection juridictionnelle des droits que les particuliers tirent du droit communautaire, il y a lieu de prévoir une exception à cette limitation des effets de cet arrêt au profit des personnes qui ont, avant la date de son prononcé, introduit un recours en justice ou soulevé une réclamation équivalente.

113 Il convient, en conséquence, de décider que l’effet direct de l’article 3, paragraphe 1, de la décision 3/80 ne peut être invoqué à l’appui de revendications relatives à des prestations afférentes à des périodes antérieures à la date du présent arrêt, sauf en ce qui concerne les personnes qui ont, avant cette date, introduit un recours en justice ou soulevé une réclamation équivalente.

Décisions sur les dépenses


Sur les dépens

114 Les frais exposés par les gouvernements allemand, français, néerlandais, autrichien et du Royaume-Uni, ainsi que par la Commission, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement. La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Dispositif


Par ces motifs,

LA COUR,

statuant sur les questions à elle soumises par le Sozialgericht Aachen, par ordonnance du 24 juillet 1996, dit pour droit:

1) L’article 3, paragraphe 1, de la décision 3/80 du conseil d’association, du 19 septembre 1980, relative à l’application des régimes de sécurité sociale des États membres des Communautés européennes aux travailleurs turcs et aux membres de leur famille, doit être interprété en ce sens qu’il interdit à un État membre d’exiger d’un ressortissant turc qui relève du champ d’application de cette décision et qu’il a autorisé à résider sur son territoire, mais qui n’est titulaire dans cet État membre d’accueil que d’une autorisation provisoire de séjour, délivrée dans un but déterminé et pour une durée limitée, qu’il possède une autorisation de séjour ou un permis de séjour pour bénéficier d’allocations familiales pour son enfant qui habite avec lui dans ledit État membre, alors que les ressortissants de ce dernier sont à cet effet uniquement tenus d’y avoir leur résidence.

2) L’effet direct de l’article 3, paragraphe 1, de la décision 3/80 ne peut être invoqué à l’appui de revendications relatives à des prestations afférentes à des périodes antérieures à la date du présent arrêt, sauf en ce qui concerne les personnes qui ont, avant cette date, introduit un recours en justice ou soulevé une réclamation équivalente.

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CJCE, n° C-262/96, Arrêt de la Cour, Sema Sürül contre Bundesanstalt für Arbeit, 4 mai 1999