Tribunal administratif de Lille, Reconduite à la frontière, 16 novembre 2022, n° 2208522

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
TA Lille, reconduite à la frontière, 16 nov. 2022, n° 2208522
Juridiction : Tribunal administratif de Lille
Numéro : 2208522
Type de recours : Excès de pouvoir
Dispositif : Rejet
Date de dernière mise à jour : 23 septembre 2023

Texte intégral

Vu la procédure suivante :

Par une requête, enregistrée le 9 novembre 2022, M. A C demande au tribunal :

1°) d’annuler pour excès de pouvoir l’arrêté du 8 novembre 2022 par lequel le préfet du Nord l’a obligé à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination de cette mesure d’éloignement et lui a interdit de retourner sur le territoire français pour une durée d’un an ;

2°) d’enjoindre au préfet du Nord de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour dans un délai de quinze jours suivant la notification du jugement à intervenir sous astreinte de 150 euros par jour de retard ;

3°) de mettre à la charge de l’État la somme de 2 000 euros qu’il versera à son conseil, en application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative, à charge pour son conseil de renoncer au bénéfice de l’aide juridictionnelle en application de l’article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

Sur la légalité de l’ensemble des décisions attaquées :

— le signataire des décisions contestées ne justifie pas d’une délégation de signature régulière ;

— les décisions attaquées sont insuffisamment motivées ;

Sur la légalité de l’obligation de quitter le territoire français :

— la décision attaquée porte une atteinte disproportionnée au droit au respect de sa vie privée et familiale garanti par l’article 8 de la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

Sur la légalité de la décision portant délai de départ volontaire :

— son comportement ne constitue pas une menace à l’ordre public et il ne présente pas de risque de fuite ;

Sur la légalité de la décision portant interdiction de retour sur le territoire français :

— la décision attaquée est entachée d’une erreur d’appréciation quant à sa durée.

La procédure a été communiquée à la préfecture du Nord qui n’a pas produit de mémoire.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

— la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

— le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ;

— la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique ;

— le code de justice administrative.

Le président du tribunal a désigné Mme D en application de l’article L. 614-9 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

Ont été entendus au cours de l’audience publique :

— le rapport de Mme Michel, magistrate désignée,

— les observations de Me Dalil-Essakali, substituant Me Zaïri, représentant M. C, qui conclut aux mêmes fins que la requête, par les mêmes moyens ; il soutient, en outre, que le préfet a commis une erreur manifeste dans l’appréciation des conséquences de l’arrêté litigieux sur la situation personnelle du requérant ; l’intéressé est entré régulièrement sur le territoire français, y réside régulièrement et justifie d’une promesse d’embauche ainsi que de la présence en France de sa compagne, enceinte, et son enfant âgé de cinq ans ; il soulève, par ailleurs, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations du premier paragraphe de l’article 3 de la convention internationale relative aux droits de l’enfant ;

— les observations de M. C, assisté par Mme B interprète assermenté en arabe, qui indique vouloir être libéré pour rejoindre sa compagne et ses enfants ;

— et les observations de Me Giafferi, représentant le préfet du Nord, qui conclut au rejet de la requête au motif qu’aucun des moyens soulevés n’est fondé.

Considérant ce qui suit :

1. M. C, ressortissant algérien, né le 23 juillet 1990, est entré, régulièrement en France, en août 2022, muni d’un visa de court séjour délivré par les autorités consulaires françaises basées en Algérie valable jusqu’au 29 août 2022. Après avoir été interpellé, le 7 novembre 2022, par les services de police, M. C a fait l’objet d’un arrêté du préfet du Nord du 8 novembre 2022 portant obligation de quitter le territoire français sans délai, fixation du pays de destination de cette mesure d’éloignement et interdiction de retour sur le territoire français pendant une durée d’un an. Par la présente requête, M. C demande l’annulation des décisions contenues dans cet arrêté.

Sur les conclusions à fin d’annulation :

En ce qui concerne les moyens communs à l’ensemble des décisions contenues dans l’arrêté en litige :

2. En premier lieu, par un arrêté du 13 octobre 2022, publié le même jour au recueil spécial n° 245 des actes administratifs de la préfecture, le préfet du Nord a donné délégation à Mme F E, adjointe à la cheffe du bureau de la lutte contre l’immigration irrégulière, à l’effet de signer, notamment, les décisions litigieuses. Par suite, le moyen tiré de l’incompétence de la signataire de l’arrêté en litige ne peut, dès lors, qu’être écarté.

3. En second lieu, les décisions attaquées énoncent les considérations de droit et de fait sur lesquelles elles se fondent de manière suffisamment détaillée. Les mentions qu’elles comportent sont ainsi de nature à mettre en mesure le requérant d’en discuter utilement les motifs et le juge d’exercer son contrôle sur les décisions en litige, qui n’avaient pas à mentionner tous les éléments factuels de la situation de l’intéressé. A cet égard, il résulte des termes de la décision portant interdiction de retour sur le territoire français, que le préfet du Nord a expressément mentionné la durée de présence de M. C sur le territoire français ainsi que la nature et l’ancienneté de ses liens avec la France, l’absence d’une mesure d’éloignement précédent, et l’absence de menace pour l’ordre public. Dès lors, le moyen tiré de l’insuffisance de motivation en fait des décisions attaquées doit être écarté.

En ce qui concerne la légalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français :

4. Aux termes de l’article L. 611-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile : " L’autorité administrative peut obliger un étranger à quitter le territoire français lorsqu’il se trouve dans les cas suivants : / 2° L’étranger, entré sur le territoire français sous couvert d’un visa désormais expiré ou, n’étant pas soumis à l’obligation du visa, entré en France plus de trois mois auparavant, s’est maintenu sur le territoire français sans être titulaire d’un titre de séjour ou, le cas échéant, sans demander le renouvellement du titre de séjour temporaire ou pluriannuel qui lui a été délivré ; () ".

5. En premier lieu, selon l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales : " 1°) Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ; 2°) Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale ou à la protection des droits et libertés d’autrui ".

6. Il ressort des pièces du dossier que M. C, entré en France, en août 2022, soit trois mois avant la décision attaquée, ne justifie d’aucun lien amical sur le territoire français. Si à l’audience, l’intéressé se prévaut de la présence en France de sa compagne, ressortissante algérienne, enceinte et de son enfant âgé de 5 ans, il n’apporte toutefois aucun élément justifiant la régularité de leur séjour. Ainsi, la décision attaquée n’emporte pas séparation des époux ni de leur enfant présent en France dont la vocation normale est de suivre ses parents. En outre, le requérant n’établit pas être dépourvu d’attaches familiales en Algérie, où il a vécu la majeure partie de son existence et où résident, selon les mentions du procès-verbal d’audition établi par les agents de police le 6 novembre 2022, sa famille. De plus, le requérant, qui ne produit qu’une promesse d’embauche en date du 8 novembre 2022, n’apporte aucune preuve d’une intégration sociale ou professionnelle stable et d’une particulière intensité sur le territoire français. Dans ces conditions, eu égard aux conditions et à la durée du séjour en France du requérant, qui dispose de la possibilité de reconstituer sa cellule familiale dans son pays d’origine, la décision attaquée ne peut être regardée comme portant au droit de M. C, au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels elle a été prise. Le moyen tiré de la violation des stipulations précitées de l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme doit, dès lors, être écarté.

7. En deuxième lieu, pour les mêmes motifs que ceux énoncés au point précédent, le moyen tiré de ce que la décision attaquée serait entachée d’une erreur manifeste dans l’appréciation de ses conséquences sur la situation personnelle de M. C doit être écarté.

8. En dernier lieu, aux termes du 1 de l’article 3 de la convention internationale relative aux droits de l’enfant : « Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu’elles soient le fait d’institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale ». Il résulte de ces stipulations que, dans l’exercice de son pouvoir d’appréciation, l’autorité administrative doit accorder une attention primordiale à l’intérêt supérieur des enfants dans toutes les décisions les concernant.

9. Il résulte de ce qui a été dit plus haut que la décision attaquée n’a ni pour objet ni pour effet de séparer l’enfant de M. C de ses parents. Dans ces conditions, le requérant n’est pas fondé à soutenir que la décision en litige méconnaît les stipulations citées au point précédent du 1 de l’article 3 de la convention internationale des droits de l’enfant.

10. Il résulte de ce qui précède que les conclusions de la requête tendant à l’annulation de la décision portant obligation de quitter le territoire français doivent être rejetées.

En ce qui concerne la légalité de la décision refusant l’octroi d’un délai de départ volontaire :

11. Aux termes de l’article L. 612-2 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile : " Par dérogation à l’article L. 612-1, l’autorité administrative peut refuser d’accorder un délai de départ volontaire dans les cas suivants : 1° Le comportement de l’étranger constitue une menace pour l’ordre public ; () 3° Il existe un risque que l’étranger se soustraie à la décision portant obligation de quitter le territoire français dont il fait l’objet. « . Selon l’article L. 612-3 de ce code : » Le risque mentionné au 3° de l’article L. 612-2 peut être regardé comme établi, sauf circonstance particulière, dans les cas suivants : () / 2° L’étranger s’est maintenu sur le territoire français au-delà de la durée de validité de son visa ou, s’il n’est pas soumis à l’obligation du visa, à l’expiration d’un délai de trois mois à compter de son entrée en France, sans avoir sollicité la délivrance d’un titre de séjour ; () 8° L’étranger ne présente pas de garanties de représentation suffisantes, notamment parce que notamment parce qu’il ne peut présenter des documents d’identité ou de voyage en cours de validité (), qu’il ne justifie pas d’une résidence effective et permanente dans un local affecté à son habitation principale () ".

12. En premier lieu, il ressort des termes mêmes de la décision attaquée que le préfet ne s’est pas fondé sur l’existence d’une menace à l’ordre public pour refuser d’accorder à M. C un délai de départ volontaire, mais sur la circonstance qu’il existe un risque qu’il se soustraie à l’obligation de quitter le territoire dont il fait l’objet.

13. En second lieu, il ressort des pièces du dossier, et notamment des mentions du procès-verbal d’audition établi par les agents de police le 7 novembre 2022, que M. C, qui s’est maintenu irrégulièrement en France, n’a pas présenté de demande de délivrance d’un titre de séjour. En outre, le requérant a déclaré, durant la période de retenue aux fins de vérification du droit de circulation ou de séjour sur le territoire français dans le cadre des dispositions de l’article L. 812-2 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, ne pas disposer de son passeport oublié « chez un copain » ni d’une résidence. A cet égard, l’intéressé n’établit pas, par la production d’une déclaration d’hébergement imprécise rédigée par une ressortissante française postérieurement à la date de la décision attaquée, détenir sur le territoire français une résidence effective et permanente. Ces circonstances sont, par suite, de nature à faire regarder comme établies l’irrégularité du séjour de l’intéressé et l’absence de garanties de représentations suffisantes, au sens des 1° et 8° des dispositions citées au point 11. Dans ces conditions, le préfet pouvait légalement refuser d’accorder à M. C un délai de départ volontaire.

14. Il résulte de ce qui précède que les conclusions de la requête tendant à l’annulation de la décision refusant l’octroi d’un délai de départ volontaire doivent être rejetées.

En ce qui concerne la légalité de la décision portant interdiction de retour sur le territoire français :

15. Aux termes de l’article L. 612-6 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile : « Lorsqu’aucun délai de départ volontaire n’a été accordé à l’étranger, l’autorité administrative assortit la décision portant obligation de quitter le territoire français d’une interdiction de retour sur le territoire français. Des circonstances humanitaires peuvent toutefois justifier que l’autorité administrative n’édicte pas d’interdiction de retour. Les effets de cette interdiction cessent à l’expiration d’une durée, fixée par l’autorité administrative, qui ne peut excéder trois ans à compter de l’exécution de l’obligation de quitter le territoire français. ». Aux termes de l’article L. 612-10 de ce code : « Pour fixer la durée des interdictions de retour mentionnées aux articles L. 612-6 et L. 612-7, l’autorité administrative tient compte de la durée de présence de l’étranger sur le territoire français, de la nature et de l’ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu’il a déjà fait l’objet ou non d’une mesure d’éloignement et de la menace pour l’ordre public que représente sa présence sur le territoire français. () ».

16. M. C ne justifie pas, ainsi qu’il a été dit plus haut, d’une insertion, ni d’attaches particulièrement stables ou intenses sur le territoire français. Le requérant n’établit pas que les circonstances qu’il invoque devraient être regardées comme des circonstances humanitaires, au sens des dispositions précitées de l’article L. 612-6 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, de nature à faire obstacle à ce qu’une interdiction de retour sur le territoire français soit prononcée. Par suite, le préfet a pu légalement, au regard des conditions et de la durée de son séjour en France, prononcer à son encontre une mesure d’interdiction de retour sur le territoire français d’une durée d’un an.

17. Il résulte de ce qui précède que les conclusions de la requête tendant à l’annulation de la décision portant interdiction de retour sur le territoire français doivent être rejetées.

18. Il résulte de tout ce qui précède que M. C n’est pas fondé à demander l’annulation de l’arrêté du 8 novembre 2022 par lequel le préfet du Nord l’a obligé à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination de cette mesure d’éloignement et lui a interdit de revenir sur le territoire pendant une durée d’un an.

Sur les conclusions aux fins d’injonction et d’astreinte :

19. Le présent jugement, qui rejette les conclusions tendant à l’annulation de l’arrêté attaqué, n’implique aucune mesure particulière d’exécution. Par suite, les conclusions aux fins d’injonction et d’astreinte ne peuvent qu’être rejetées.

Sur les frais liés à l’instance :

20. Aux termes des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative : « Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l’autre partie la somme qu’il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l’équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d’office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu’il n’y a pas lieu à cette condamnation ». Aux termes du second alinéa de l’article 37 de la loi du 10 juillet 1991 : « Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens, ou qui perd son procès, et non bénéficiaire de l’aide juridictionnelle, à payer à l’avocat du bénéficiaire de l’aide juridictionnelle, partielle ou totale, une somme qu’il détermine et qui ne saurait être inférieure à la part contributive de l’Etat majorée de 50 %, au titre des honoraires et frais non compris dans les dépens que le bénéficiaire de l’aide aurait exposés s’il n’avait pas eu cette aide. Le juge tient compte de l’équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d’office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu’il n’y a pas lieu à cette condamnation. ».

21. Ces dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge de l’Etat, qui n’est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que demande M. C au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de M. C est rejetée.

Article 2 : Le présent jugement sera notifié à M. A C et au préfet du Nord.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 16 novembre 2022.

La magistrate désignée,

Signé,

C. DLa greffière,

Signé,

F. JANET

La République mande et ordonne au préfet du Nord en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,

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