Tribunal de grande instance de Paris, 17e chambre presse - civile, 14 mai 2012, n° 12/03871

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Sur la décision

Référence :
TGI Paris, 17e ch. presse - civ., 14 mai 2012, n° 12/03871
Juridiction : Tribunal de grande instance de Paris
Numéro(s) : 12/03871

Sur les parties

Texte intégral

T R I B U N A L

D E GRANDE

I N S T A N C E

D E P A R I S

MINUTE N°:

17e Ch. Presse-civile

N° RG :

12/03871

CC

Assignation du :

24 Février 2012

(footnote: 1)

République française

Au nom du Peuple français

JUGEMENT

rendu le 14 Mai 2012

DEMANDEUR

X, Z A

[…]

[…]

représenté par Me Olivier SCHNERB, avocat au barreau de PARIS, vestiaire C1049

DEFENDEURS

B C

[…]

[…]

représenté par Me Jean-Yves DUPEUX, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #P0077

J Y pris en sa qualité de Directeur de la Publication de l’hebdomadaire MARIANNE.

domicilié : chez SA MARIANNE

[…]

[…]

représenté par Me Jean-Yves DUPEUX, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #P0077

Société éditrice de l’hebdomadaire “MARIANNE” SA représentée par son Président Directeur Général, J Y.

[…]

[…]

représenté par Me Jean-Yves DUPEUX, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #P0077

LE PROCUREUR DE LA REPUBLIQUE PRES LE TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE PARIS auquel l’assignation a été régulièrement dénoncée.

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Magistrats ayant participé aux débats et au délibéré :

K CIVALERO, Vice-Président

Président de la formation

Marie MONGIN, Vice-Président

D E, Premier-Juge

Assesseurs

Greffier :

F G, lors des débats

H I, à la mise à disposition

DEBATS

A l’audience du 21 Mars 2012

tenue publiquement

JUGEMENT

Mis à disposition au greffe

Contradictoire

En premier ressort

Vu l’assignation à jour fixe qu’X A, sur autorisation donnée par le délégué du président de ce tribunal, a fait délivrer le 27 février 2012, pour l’audience du 21 mars 2012, à B C, J Y et la société éditrice de l’hebdomadaire Marianne, la dite assignation notifiée le 24 février 2012 au procureur de la République, aux fins qu’en application des articles 23, 29 alinéa 1er, et 32 alinéa 1er de la loi du 29 juillet 1881, et sous le bénéfice du prononcé de l’exécution provisoire :

— il soit jugé que le passage – ci-après reproduit dans la suite du présent jugement – de l’article intitulé « Meurtre dans un ghetto de riches », que l’hebdomadaire Marianne a publié dans son édition n°770 du 21 au 27 janvier 2012, comporte des imputations diffamatoires,

— J Y en sa qualité de directeur de la publication, B C en sa qualité d’auteur de l’article et la société éditrice de l’hebdomadaire Marianne soient condamnés solidairement au paiement de la somme de 150.000 € à titre de dommages et intérêts, ainsi qu’à la publication d’un communiqué judiciaire dans l’hebdomadaire précité, sous astreinte de 1.000 € par jour de retard passé le délai de quinze jours suivant la décision à intervenir,

— les défendeurs soient également condamnés solidairement au versement de la somme de 5.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens ;

Vu les conclusions en défense du 21 mars 2012 que les défendeurs ont fait soutenir par leur conseil lors des débats, tendant à ce que le tribunal :

— annule l’assignation délivrée à B C, pour avoir été signifiée au siège du journal et non au domicile personnel du journaliste,

— dise que les propos poursuivis ne sont pas diffamatoires et qu’en tout état de cause leur auteur justifie de sa bonne foi,

— déboute le demandeur de toutes ses prétentions et le condamne à leur verser 5.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

— subsidiairement, dise que les mesures réparatrices sollicitées sont disproportionnées au regard de l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme et fixe les dommages et intérêts à un euro ;

Sur quoi, le tribunal

1/ Sur la demande en annulation de l’assignation délivrée au journaliste

L’assignation destinée à B C a été remise le 27 février 2012, non pas à ce dernier, mais à une personne présente au siège de la société éditrice de l’hebdomadaire Marianne.

Or, en vertu de l’article 654 du code de procédure civile, la signification des actes d’huissier de justice, et en particulier de l’assignation, « doit être faite à personne », l’article 655 ajoutant que « si la signification à personne s’avère impossible, l’acte peut être délivré soit à domicile, soit, à défaut de domicile connu, à résidence ».

Le lieu d’exercice de l’activité professionnelle ne saurait en principe être assimilé à un domicile, contrairement à la mention : « domicile-siège » que l’huissier a fait figurer sur l’acte de signification.

Il résulte certes des articles 7 à 13 et 42 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, ainsi que de l’article 5 de la loi du 1er août 1986 portant réforme du régime juridique de la presse, que le directeur de la publication d’un organe de presse peut, par dérogation aux articles 654 à 659 du code de procédure civile, être cité au siège de l’entreprise éditrice.

Mais le journaliste, auteur de l’article litigieux, recherché en qualité de complice de la diffamation reprochée au directeur de la publication, ne peut en aucune façon être assimilé à ce dernier ; il ne pouvait donc être valablement assigné au siège de la société éditrice de l’organe de presse en cause, d’autant plus que l’huissier instrumentaire ne mentionne pas dans son acte que l’intéressé aurait été sans domicile ni résidence connus.

Pour s’opposer à la demande en annulation de l’acte, X A fait plaider que, conformément à l’article 114 du code de procédure civile, la nullité ne peut être prononcée qu’à charge pour celui qui l’invoque de prouver le grief que lui cause l’irrégularité. Selon lui, le journaliste ne justifie d’aucun préjudice dès lors qu’il a constitué le même avocat que le directeur de publication et l’hebdomadaire, lesquels n’ont pas notifié une offre de preuve des imputations poursuivies.

Le tribunal rappelle cependant que les droits reconnus par l’article 55 de la loi du 29 juillet 1881 sont des droits propres à chaque défendeur, et que, dès lors, le fait pour le directeur de publication de n’avoir pas notifié d’offre de preuve ne peut faire présumer du choix qu’aurait fait le journaliste s’il avait été régulièrement assigné.

Au cas présent, la délivrance irrégulière de l’assignation était nécessairement de nature à porter atteinte aux droits de la défense de la personne poursuivie, en entravant l’exercice des droits reconnus par l’article 55 de la loi du 29 juillet 1881 qui ne permet de faire une offre de preuve de la vérité des faits diffamatoires que dans le bref délai de dix jours après la signification de l’assignation.

En conséquence, il sera fait droit à l’exception de nullité soulevée par B C qui sera néanmoins débouté de sa demande fondée sur l’article 700 du code de procédure civile.

II/ Sur les propos poursuivis

L’hebdomadaire Marianne a publié dans son numéro 770 daté du 21 au 27 janvier 2012, sous la plume du journaliste B C, un article intitulé : « Meurtre dans un ghetto de riches », qui est consacré à l’assassinat du milliardaire K L dans son appartement de Neuilly-Sur-Seine, dans la nuit du 24 au 25 octobre 2011, avec comme sous-titre : « Dans l’étrange entourage du milliardaire assassiné K L se croisaient fraudeurs à la taxe carbone, Gitans escrocs et riches Tropéziens. Enquête ».

Après le rappel des circonstances de la découverte du corps par le majordome du milliardaire dont l’épouse se trouvait à l’étranger, de l’absence de toute effraction et vol, et notamment du fait que le coffre-fort de la victime contenant des secrets de fabrication et 15 millions d’euros n’avait pas été forcé, l’article se poursuit en ces termes, que le demandeur estime diffamatoires à son endroit :

« D’emblée, les soupçons de la police judiciaire se sont portés sur l’ex-gendre, X A, interpellé récemment par les douanes en possession de quelques dizaines de milliers d’euros en liquide. Il n’est pas un inconnu des services de police, qui le suspectent d’avoir trempé dans l’énorme trafic de fraude à la TVA communautaire portant sur le CO² (5 milliards d’euros détournés). Mais son alibi, une soirée au Fouquet’s, où il avait oublié son portable, le met « totalement hors de cause », explique-t-on aujourd’hui à la PJ. ».

Les propos tels que ci-dessus reproduits en italique sont les seuls qui font explicitement état d’X A. S’interrogeant en effet sur l’identité de ceux qui pouvaient en vouloir à K L, l’article évoque ensuite d’autres personnes de l’entourage de la victime : un notaire « retrouvé la gorge tranchée », un proche accompagnant Samy SOUED, « le chef du gang parisien du CO2 » qui « est abattu porte Maillot lors d’une escapade secrète dans la capitale », « un affairiste violent, en cheville avec le grand banditisme « qui devrait être jugé prochainement pour escroquerie », des « communautés gitanes qui, grâce à des faux leasings, vendent illégalement des voitures en France, depuis le Luxembourg ». L’article se termine en indiquant que, « selon la police judiciaire, l’enquête sera longue ».

L’article 29, alinéa 1er, de la loi du 29 juillet 1881 définit la diffamation comme « toute allégation ou imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé», le fait imputé étant entendu comme devant être suffisamment précis, détachable du débat d’opinion et distinct du jugement de valeur pour pouvoir, le cas échéant, faire aisément l’objet d’une preuve et d’un débat contradictoire ; il y a diffamation même si l’imputation est formulée sous forme déguisée ou dubitative ou encore par voie d’insinuation.

Les propos poursuivis – qui font état d’une part de l’interpellation récente d’X A par les douaniers alors qu’il était en possession « de quelques dizaines de milliers d’euros en liquide » ce qui évoque une possible commission d’infraction douanière, d’autre part des soupçons qu’aurait la police quant à sa participation à une vaste fraude fiscale portant sur la taxe carbone – insinuent que les enquêteurs disposaient d’éléments suffisants sur un comportement délictueux d’X A pour devoir le suspecter « d’emblée », c’est à dire immédiatement (au premier chef), d’être l’auteur ou le commanditaire de l’assassinat de son C-père. Contrairement à ce que soutiennent les défendeurs, ces soupçons relatifs à la commission de l’assassinat ne sont nullement présentés au lecteur comme les soupçons habituels que, « pour ce type de crime dont le mobile n’apparaît pas de manière évidente », les enquêteurs portent « naturellement » sur les proches de la victime, mais tout au contraire sont expliqués par la précision donnée par l’auteur de l’article qu’X A serait défavorablement connu des services de police.

Une telle imputation d’avoir été immédiatement suspecté d’être l’auteur d’un assassinat en raison de sa personnalité, même si elle ne s’accompagne d’aucune affirmation de culpabilité, est évidemment contraire à l’honneur et à la considération de l’intéressé.

L’article mentionne certes qu’après avoir été soupçonné, X A dispose d’un alibi – l’oubli de son portable lors d’une soirée au Fouquet’s – que la police judiciaire estime de nature à le mettre « totalement hors de cause ».

Mais cette précision donnée par l’auteur de l’article – même si le demandeur y attribue à tort une « tournure volontairement dubitative » – ne vient pas effacer l’idée suggérée au lecteur qu’X A serait un délinquant et qu’il était donc légitime que les soupçons d’assassinat se fussent, « d’emblée », portés sur lui.

III/ Sur la bonne foi invoquée par les défendeurs

Les imputations diffamatoires sont réputées, de droit, faites avec intention de nuire, mais elles peuvent être justifiées lorsque leur auteur établit sa bonne foi, en prouvant qu’il a poursuivi un but légitime, étranger à toute animosité personnelle, et qu’il s’est conformé à un certain nombre d’exigences, en particulier de sérieux de l’enquête, ainsi que de prudence dans l’expression, étant précisé que la bonne foi ne peut être déduite de faits postérieurs à la diffusion des propos.

Il n’est pas contestable que l’article litigieux traite d’une affaire judiciaire à fort retentissement médiatique qu’il était légitime de porter à la connaissance des lecteurs. Encore faudrait-il que l’article réponde à l’exigence d’une enquête sérieuse et de prudence dans l’expression, ce qui n’est pas le cas, contrairement à ce que prétendent les défendeurs.

En effet, il n’est pas justifié de la moindre enquête personnelle du journaliste avant la parution de l’article litigieux, les défendeurs se bornant à produire :

— trois articles de presse qui soient antérieurs au dit article, l’un du Journal du Dimanche en date du 20 novembre 2011, le deuxième de 20 minutes.fr en date du 14 novembre 2011 et le troisième du site internet du journal Le Parisien.fr en date du 13 janvier 2012, lesquels se limitent à faire état du fait qu'« aucune hypothèse n’est écartée par la police judiciaire », que « la thèse du règlement de compte liée à la fraude à la taxe carbone est envisagée par les enquêteurs », et, s’agissant du troisième article cité, qu’X A est le dernier homme à avoir parlé à Samy SOUAD avant que ce dernier ne soit abattu devant le palais des congrès ;

— une décision de la commission des sanctions de l’Autorité des marchés financiers en date du 26 juin 2008, assortie d’un commentaire dans la presse, qui s’est déclarée incompétente pour connaître d’un délit d’initié reproché à X A relatif à l’achat de titres de l’opérateur aéroportuaire danois Kobenliavas Lufthaven.

Il est également produit une note non signée du journaliste O P du journal Libération qui, outre le fait qu’elle est postérieure à l’article poursuivi, se limite à indiquer qu’X A était présent lors de l’assassinat de Samy SAOUAD à qui il avait remis peu avant la somme de 350 000 € au titre d’une dette de jeu.

Aucun élément ne vient corroborer l’affirmation selon laquelle X A aurait été immédiatement suspecté par la police dans le cadre de l’enquête sur l’assassinat de son ex C-père, qu’il aurait été interpellé par les douaniers en possession d’une important somme d’argent en liquide, ou encore qu’il serait soupçonné d’avoir participé à la fraude sur la taxe carbone.

En l’absence de toute enquête du journaliste, et de prudence dans l’expression, la bonne foi ne saurait être accordée aux défendeurs.

Dans ces conditions, le directeur de publication et la société Marianne qui est civilement responsable ne sauraient exciper utilement de la liberté d’expression et du droit à l’information du public, qui en est le corollaire, pour échapper à leur obligation de dédommager le demandeur du préjudice que les propos diffamatoires lui ont causé.

IV/ Sur les mesures réparatrices

Contrairement à ce que soutiennent les défendeurs, le préjudice du demandeur, qui a été présenté comme défavorablement connu des services de police et comme ayant été la personne immédiatement suspectée de l’assassinat de son ex C-père, ne peut être qualifié de « symbolique ».

En réparation de ce préjudice moral, le directeur de publication et la société éditrice doivent être condamnées in solidum à verser au demandeur la somme de 5.000 € à titre de dommages et intérêts, ainsi qu’à la publication, à leur frais, dans la limite de la somme de 3.500 € HT, d’un communiqué judiciaire dans un quotidien national du choix du demandeur, sans toutefois que le prononcé d’une astreinte paraisse nécessaire.

Par ailleurs, le directeur de publication et la société éditrice seront condamnés in solidum aux dépens, autres que ceux qui concernent l’assignation annulée, ainsi qu’à verser 2.000 € au demandeur en application de l’article 700 du code de procédure civile.

Enfin, le prononcé de l’exécution provisoire, compatible avec la nature de l’affaire, s’impose.

PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL, statuant publiquement, par mise à disposition au greffe, contradictoirement et en premier ressort,

Annule l’assignation délivrée au journaliste B C ;

Déboute en conséquence X A des demandes formées à son encontre ;

Dit que l’article intitulé « Meurtre dans un ghetto de riches », que l’hebdomadaire Marianne a publié dans son édition n°770 du 21 au 27 janvier 2012, comporte des propos diffamatoires à l’égard d’X A ;

Condamne in solidum J Y, pris en sa qualité de directeur de publication et la société éditrice de l’hebdomadaire Marianne, à payer cinq mille euros (5.000 €) à X A à titre de dommages et intérêts ;

Condamne in solidum J Y et la société éditrice de l’hebdomadaire Marianne à faire publier le communiqué judiciaire suivant dans un quotidien du choix d’X A :

« Le journal Marianne a été condamnée par jugement du 14 mai 2012 rendu par la 17ème chambre du tribunal de grande instance de Paris (chambre de la presse) à verser à X A des dommages et intérêts pour avoir publié à son égard des propos diffamatoires»;

Dit que cette publication devra intervenir au plus tard dans le mois de la signification de la présente décision et qu’elle se fera aux frais des deux défendeurs condamnés, dans la limite de la somme de 3.500 € HT;

Ordonne l’exécution provisoire du jugement ;

Condamne X A aux dépens concernant l’assignation du journaliste B C ;

Déboute ce dernier de sa demande fondée sur l’article 700 du code de procédure civile ;

Condamne in solidum J Y et la société éditrice de l’hebdomadaire Marianne aux dépens autres que ceux précités, ainsi qu’à verser 2.000 € à X A au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

Les déboute de leur demande fondée sur ce même article ;

Autorise la SCP Lussan, avocat, à recouvrer directement les dépens dont elle aurait fait l’avance concernant l’assignation du journaliste B C, conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

Fait et jugé à Paris le 14 Mai 2012

Le Greffier Le Président

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