Tribunal judiciaire de Paris, 20 juillet 2023, 23/07447

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Résumé de la juridiction

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Sur la décision

Référence :
TJ Paris, ct0196, 20 juill. 2023, n° 23/07447
Numéro(s) : 23/07447
Importance : Inédit
Identifiant Légifrance : JURITEXT000048389774

Texte intégral

TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS

3ème chambre
1ère section

No RG 23/07447
No Portalis 352J-W-B7H-C2ASG

No MINUTE :

Assignation du :
26 mai 2023

JUGEMENT SELON LA PROCEDURE ACCELEREE AU FOND
rendu le 20 juillet 2023
DEMANDERESSE

SOCIETE CIVILE DES PRODUCTEURS PHONOGRAPHIQUES (SCPP)
[Adresse 3]
[Localité 12]

représentée par Me Nicolas BOESPFLUG, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #E0329

DÉFENDERESSES

S.A. SOCIETE FRANCAISE DU RADIOTELEPHONE -SFR
[Adresse 4]
[Localité 7]

S.A.S. SFR FIBRE
[Adresse 1]
[Localité 9]

représentées par Me Pierre-Olivier CHARTIER de l’ASSOCIATION CBR & ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #R0139

S.A. ORANGE
[Adresse 2]
[Localité 11]

représentée par Me Christophe CARON de l’AARPI CABINET CHRISTOPHE CARON, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #C0500

S.A.S. FREE
[Adresse 10]
[Localité 6]

représentée par Me Yves COURSIN de l’AARPI COURSIN CHARLIER AVOCATS, avocats au barreau de PARIS, avocats plaidant, vestiaire #C2186

S.A. BOUYGUES TELECOM
[Adresse 5]
[Localité 8]

représentée par Me François DUPUY de la SCP HADENGUE et Associés, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #B0873

MAGISTRAT

Madame Nathalie SABOTIER, 1ère vice-présidente adjointe,
assistée de Madame Caroline REBOUL, Greffière,

DÉBATS

Avec l’accord des parties, la procédure s’est déroulée sans audience conformément aux dispositions de l’article L212-5-1 du code de l’organisation judiciaire. Avis a été donné aux avocats par bulletin du 27 juin 2023 que la décision serait rendue le 20 juillet 2023.

JUGEMENT

Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe
Contradictoire
En premier ressort

EXPOSÉ DU LITIGE

La société civile des producteurs phonographiques (ci-après « SCPP ») est un organisme professionnel de gestion des droits des producteurs de musique ayant vocation à défendre ses membres auprès des diffuseurs et utilisateurs de musique.

Les sociétés Orange, Free, SFR, SFR Fibre et Bouygues Telecom sont des opérateurs de communications qui commercialisent notamment des offres de téléphonie et d’accès à internet sur le territoire français.

La SCPP expose avoir constaté que les sites internet « yt5s », « yt1ss » et « yt2meta », exploités sous différents noms de domaine, permettaient illicitement (gratuitement) aux internautes de télécharger des phonogrammes de son répertoire (en principe accessibles au téléchargement uniquement contre paiement d’un abonnement rémunérant les auteurs et producteurs).

La SCPP a, par actes d’huissiers des 26 et 30 mai 2023 fait assigner, selon la procédure accélérée au fond, les sociétés Orange, Free, SFR, SFR Fibre et Bouygues Telecom, à l’audience du 27 juin 2023, devant le président du tribunal judiciaire de Paris en vue d’obtenir la mise en oeuvre, par ces derniers, en leur qualité de principaux fournisseurs d’accès à internet, des mesures propres à empêcher l’accès par leurs abonnés à ces sites à partir du territoire français et à faire cesser les atteintes aux droits de leurs membres.

Aux termes de son assignation, la SCPP demande au tribunal de : – Dire et juger que les sites « yt5s », « yt1ss » et « yt2meta » portent atteinte aux droits des producteurs de phonogrammes membres de la SCPP.
- Ordonner aux sociétés Orange, Free, SFR, SFR Fibre et Bouygues Telecom de mettre en oeuvre toutes mesures propres à empêcher l’accès aux sites « yt5s », « yt1ss » et « yt2meta » à partir du territoire français par leurs abonnés notamment par le blocage des noms de domaine : <yt5s.com>, <yt5s.io>, <yt1ss.net> et <y2meta.com>, au plus tard dans les quinze jours de la signification de la décision à intervenir et pendant une durée de dix-huit mois à compter de cette décision.
- Dire que les fournisseurs d’accès à internet devront informer la SCPP de la mise en oeuvre des mesures ordonnées.
- Dire qu’en cas d’évolution du litige, la SCPP pourra saisir le Président du Tribunal judiciaire de Paris statuant selon la procédure accélérée au fond aux fins d’actualisation des mesures ordonnées.
- Dire que le coût de la mise en oeuvre des mesures ordonnées restera à la charge des fournisseurs d’accès à internet.
- Dire que chaque partie conservera la charge de ses frais et dépens.
- Rappeler le caractère exécutoire de droit à titre provisoire de la décision à intervenir.

Aux termes de ses conclusions communiquées électroniquement le 22 juin 2023, la société Orange demande au tribunal, au visa de l’article L. 336-2 du code de la propriété intellectuelle, de : – Donner acte que la société Orange ne s’oppose pas à la mesure de blocage sollicitée par la demanderesse dès lors qu’elle réunit les conditions cumulatives, exigées par le droit positif, que sont : la preuve de l’atteinte au droit d’auteur, le caractère judiciaire préalable et impératif de la mesure dans son principe, son étendue et ses modalités, y compris pour son actualisation ; la liberté de choix de la technique à utiliser pour réaliser le blocage ; la durée limitée de la mesure.
- Déclarer que, dans un délai de quinze jours à compter de la signification de la décision à intervenir, la société Orange ne peut être enjointe que de bloquer l’accès aux seuls noms de domaine précisément mentionnés dans l’assignation.
- Prendre acte que la société Orange s’en remet à sa décision concernant la durée de 18 mois des mesures de blocage sollicitée par la demanderesse.
- Déclarer que la demanderesse doit indiquer au conseil de la société Orange si les noms de domaine visés ne sont plus actifs, en parallèle de la signification de la décision à venir et par lettre officielle, afin de préciser qu’il n’est plus nécessaire de procéder au blocage de ceux-ci.
- Déclarer que la société Orange procédera au blocage des noms de domaine en recourant à la liste figurant dans le tableau Excel communiqué par la demanderesse tel que le Tribunal pourra l’annexer au jugement comme faisant partie de la minute.
- Déclarer que la demanderesse doit indiquer au conseil de la société Orange, postérieurement à la décision, la fermeture des sites auxquels renvoient les noms de domaine visés par la décision à venir, et dont ils auraient connaissance, afin que la mesure de blocage puisse être levée.
- Dire que chaque partie conservera à sa charge ses frais et dépens.

Aux termes de ses conclusions communiquées électroniquement le 09 juin 2023, la société Free demande au tribunal de :
- Ordonner que tous éventuels blocage de noms de domaine ne pourront être pris que sous le contrôle de l’autorité judiciaire, et vis-à-vis des seuls quatre (4) noms de domaine litigieux précisément mentionnées par le demandeur dans son tableau Excel constituant la pièce communiquée no1 ;
- Ordonner que, pour l’identification des noms de domaine concernés, la décision à intervenir renverra expressément audit fichier Excel ;
- Autoriser, et, en tant que de besoin, ordonner, que pour l’exécution de la décision, la société Free pourra utiliser directement le support numérique constitué par ce fichier Excel communiqué par le demandeur (pièce Free no1) ;
- Fixer un délai de quinze jours à compter de la signification de votre décision, pour que d’éventuels blocages des noms de domaine soit mis en oeuvre, et ce, selon les modalités que la société Free estimera les plus adaptées à l’objectif à remplir en fonction, notamment des contingences de son réseau et des difficultés éventuellement exceptionnelles auxquelles elle pourra être confrontée ;
- Fixer la durée des éventuels blocages des noms de domaine à dix-huit mois à compter de la décision à intervenir ;
- Ordonner que la SCPP devra avertir officiellement la société Free dans l’hypothèse où le(s) noms de domaine(s) dont elle aurait obtenu le blocage deviendrai(en)t inactif(s) ou, si les sites concernés ne posaient plus problème ;
- Statuer ce que de droit quant aux dépens.

Aux termes de ses conclusions communiquées électroniquement le 15 juin 2023, les sociétés SFR et SFR Fibre demandent au tribunal, au visa de l’article L. 336-2 du code de la propriété intellectuelle, de :
- Apprécier si la SCPP a qualité à agir et si l’atteinte qu’elle invoque est constituée ;
- Apprécier s’il est proportionné et strictement nécessaire à la protection des droits en cause, au regard notamment (i) des risques d’atteinte au principe de la liberté d’expression et de communication (risques d’atteintes à des contenus licites et au bon fonctionnement des réseaux) (ii) de l’importance du dommage allégué, (iii) des risques d’atteinte à la liberté d’entreprendre des FAI, et (iv) du principe d’efficacité, d’ordonner aux FAI, dont SFR et SFR Fibre, la mise en oeuvre des mesures de blocage sollicitées ;
Si le Président considère qu’il est proportionné et strictement nécessaire à la protection des droits en cause d’ordonner la mise en oeuvre par les FAI, dont SFR et SFR Fibre, de mesures de blocage du Site, il lui est demandé de :
 – Enjoindre SFR et SFR Fibre de mettre en oeuvre, dans un délai de quinze jours à compter de la signification de la décision à intervenir et pendant une durée de dix-huit mois à compter de la décision à intervenir, des mesures propres à prévenir l’accès de leurs abonnés, situés sur le territoire français, aux noms de domaine suivants : […]
- Dire que les FAI, dont SFR et SFR Fibre, disposeront d’un délai de 15 jours à compter de la signification de la décision à intervenir pour implémenter les mesures de blocage sollicitées par la SCPP ; – Dire que les mesures de blocage mises en oeuvre par les FAI, dont SFR et SFR Fibre, seront limitées à une durée de dix-huit mois à compter de la présente décision, à l’issue de laquelle la SCPP devra saisir la présente juridiction, afin de lui permettre d’apprécier la situation et de décider s’il convient ou non de reconduire lesdites mesures de blocage ;
- Dire que les parties pourront saisir la présente juridiction en cas de difficultés ou d’évolution du litige ;
- Condamner la SCPP aux dépens de la présente instance.

Aux termes de ses conclusions communiquées électroniquement le 15 juin 2023, la société Bouygues Telecom demande au tribunal, au visa de l’article L. 336-2 du code de la propriété intellectuelle, de :
- Apprécier si la SCPP a qualité à agir ;
- Apprécier l’atteinte aux droits d’auteur et aux droits voisins invoquée par la SCPP,
- Apprécier si les demandes de la SCPP respectent le principe de proportionnalité,
En tout état de cause, dans l’hypothèse où la demande de blocage serait jugée fondée,
- Enjoindre à la société Bouygues Telecom de mettre en oeuvre les mesures propres à empêcher l’accès de ses abonnés, situés sur le territoire français, aux noms de domaine <yt5s.com>, <yt5s.io>, <yt1ss.net> et <y2meta.com> dans un délai de 15 jours à compter de la signification de la décision à intervenir et pour une durée de 18 mois à compter de la décision à intervenir,
- Dire que la SCPP devra indiquer aux conseils des fournisseurs d’accès à internet, dont la société Bouygues Telecom, si les noms de domaine visés dans son assignation ne sont plus actifs afin que les mesures de blocage ordonnées le concernant puissent être levées,
- Laisser à la charge de la SCPP le paiement des entiers dépens de l’instance.

Conformément aux dispositions de l’article L. 212-5-1 du code de l’organisation judiciaire, la procédure s’est déroulée sans audience et l’affaire a été mise en délibéré au 20 juillet 2023.

MOTIFS DU JUGEMENT

I- Sur la qualité à agir de la Société civile des producteurs phonographiques

Aux termes de l’article L. 122-1 du code de la propriété intellectuelle, « Le droit d’exploitation appartenant à l’auteur comprend le droit de représentation et le droit de reproduction. »

L’article L. 122-2 du même code précise que « La représentation consiste dans la communication de l’oeuvre au public par un procédé quelconque, et notamment : 2o Par télédiffusion. La télédiffusion s’entend de la diffusion par tout procédé de télécommunication de sons, d’images, de documents, de données et de messages de toute nature. » et l’article L. 122-3 que "La reproduction consiste dans la fixation matérielle de l’oeuvre par tous procédés qui permettent de la communiquer au public d‘une manière indirecte."

Selon l’article L. 122-4 de ce même code, « Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite. »

De la même manière, l’article L. 213-1 alinéa 2 prévoit que « L’autorisation du producteur de phonogrammes est requise avant toute reproduction, mise à la disposition du public par la vente, l’échange ou le louage, ou communication au public de son phonogramme autres que celles mentionnées à l’article L. 214-1. »

Enfin, il résulte de l’article L. 336-2 de ce même code qu’ « En présence d’une atteinte à un droit d’auteur ou à un droit voisin occasionnée par le contenu d’un service de communication au public en ligne, le président du tribunal judiciaire statuant selon la procédure accélérée au fond peut ordonner à la demande des titulaires de droits sur les oeuvres et objets protégés, de leurs ayants droit, des organismes de gestion collective régis par le titre II du livre III ou des organismes de défense professionnelle visés à l’article L. 331-1, toutes mesures propres à prévenir ou à faire cesser une telle atteinte à un droit d’auteur ou un droit voisin, à l’encontre de toute personne susceptible de contribuer à y remédier. La demande peut également être effectuée par le Centre national du cinéma et de l’image animée. »

Aux termes de ses statuts, la SCPP est un organisme de gestion collective des droits des producteurs de phonogrammes, régie par le Titre II du Livre III du code de la propriété intellectuelle, qui a notamment pour objet la défense de l’intérêt collectif de la profession exercée par ses membres (article 3, 1o) et l’action en justice pour défendre les droits qu’elle exerce en son nom propre ou au nom des associés pour faire cesser et sanctionner toutes infractions aux droits qui leur sont reconnus par le code de la propriété intellectuelle (article 3, 4o).

Il résulte de l’ensemble de ces éléments que cet organisme est recevable à agir afin de faire cesser la mise à disposition du public, en ligne, et non autorisée des phonogrammes de son répertoire.

II- Sur l’atteinte aux droits d’auteur ou aux droits voisins

La mesure de blocage, que seule l’autorité judiciaire peut prononcer, suppose que soit caractérisée, préalablement, une atteinte à des droits d’auteur ou à des droits voisins.

Les procès-verbaux des agents assermentés versés aux débats établissent que les sites, qui s’adressent à un public francophone, permettent aux internautes de télécharger gratuitement des oeuvres phonographiques sans autorisation des titulaires des droits à partir de la plateforme YouTube, ce qui n’est en principe possible que contre le paiement d’un abonnement permettant la rémunération des titulaires de droits. Les procès-verbaux mettent également en évidence la présence de nombreuses fenêtres publicitaires sur ces sites.

a. Il est ainsi établi par les procès-verbaux des 29 mars et 11 mai 2023 produits dans le cadre de la présente procédure, que le site « yt5s » met à disposition du public, sans autorisation, de très nombreux phonogrammes du répertoire de la SCPP, et notamment les titres suivants : High hopes de [K], Ne pars pas de [P] [S], Modern Love de [V] [N], No time to die de [D] [B], Flowers de [G] [T], Holiday de [H], Si t’étais là de [X], With ou without you de [W] et Halo de [M], pouvant être téléchargés, après une conversion depuis les vidéomusiques de ces titres disponibles sur YouTube, à partir du nom de domaine : <yt5s.com>.

b. Les procès-verbaux des 05 avril et 12 mai 2023 démontrent que le site « yt5s » met à disposition du public, sans autorisation, de très nombreux phonogrammes du répertoire de la SCPP, et notamment les titres suivants : No time to die de [D] [B], Holiday de [H], Ne pars pas de [P] [S], La isla bonita de [J], Thinking out loud de [O] [L], Si t’étais là de [X], Flowers de [G] [T], Ghosts again de [Z], High hopes de [K], Modern Love de [V] [N] et Shallow de [R], pouvant être téléchargés, après une conversion depuis les vidéomusiques de ces titres disponibles sur YouTube, à partir du nom de domaine : <yt5s.io>.

c. Il ressort également des procès-verbaux établis les 13 avril et 11 mai 2023 que le site « yt1ss » met à disposition du public, sans autorisation, de très nombreux phonogrammes du répertoire de la SCPP, et notamment les titres suivants : No time to die de [D] [B], Ne pars pas de [P] [S], Thinking out loud de [O] [L], Si t’étais là de [X], Flowers de [G] [T], Holiday de [H], Ghosts again de [Z], High hopes de [K], Stan de [I] et Sadness de [A], pouvant être téléchargés, après une conversion depuis les vidéomusiques de ces titres disponibles sur YouTube, à partir du nom de domaine : <yt1ss.net>.

d. Il résulte enfin des procès verbaux des 23 et 24 avril et 12 mai 2023 que le site « yt2meta » met à disposition du public, sans autorisation, de très nombreux phonogrammes du répertoire de la SCPP, et notamment les titres suivants : Personne de [F] [C], All of me de [Y] [U], High hopes de [K], Modern Love de [V] [N], No time to die de [D] [B], Flowers de [G] [T] et Ghosts again de [Z], pouvant être téléchargés, après une conversion depuis les vidéomusiques de ces titres disponibles sur YouTube, à partir du nom de domaine : <y2meta.com>.

***

Il ressort de l’ensemble de ces constatations que la SCPP établit de manière suffisamment probante que les sites litigieux, qui s’adressent à un public francophone, permettent aux internautes, via les chemins d’accès précités, de télécharger des oeuvres protégées à partir de liens hypertextes sans avoir l’autorisation des titulaires de droits (et en violation des règles régissant le fonctionnement de la plateforme YouTube), ce qui constitue une atteinte aux droits du producteur de phonogrammes.

Le tribunal observe que l’absence d’indication des mentions exigée par les articles 6.III.1 et 6.III.2 de la LCEN pour les sites objets du litige et l’anonymisation intégrale de ces sites par le biais de différents prestataires (enregistrement anonymisé du nom de domaine, utilisation de différents prestataires à cette fin en particulier CloudFlare), tendent à démontrer la connaissance du caractère entièrement ou quasi entièrement illicite des sites en litige par les personnes qui contribuent à cette diffusion et la difficulté pour les auteurs et producteurs de poursuivre les responsables de ces sites.

La SCPP est donc fondée à solliciter la prescription de mesures propres à faire cesser la violation de ses droits.

III- Sur les mesures sollicitées

L’article L. 336-2 du code de la propriété intellectuelle réalise la transposition en droit interne de l’article 8§3 de la directive 2001/29/CE du Parlement européen et du Conseil du 22 mai 2001n sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information, aux termes duquel : « Les Etats membres veillent à ce que les titulaires de droits puissent demander qu’une ordonnance sur requête soit rendue à l’encontre des intermédiaires dont les services sont utilisés par un tiers pour porter atteinte à un droit d’auteur ou à un droit voisin. »

Le seizième considérant de cette directive rappelle que les règles qu’elle édicte doivent s’articuler avec celles isssues de la directive 2000/31/CE du Parlement européen et du Conseil du 08 juin 2000, relative à certains aspects juridiques des services de la société de l’information, et notamment du commerce électronique, dans le marché intérieur (dite « directive sur le commerce électronique »).

La Cour de justice de l’Union européenne a dit pour droit dans l’arrêt Scarlet Extended c/ Sabam (C-70/10) du 24 novembre 2011 que :
« ainsi qu’il découle des points 62 à 68 de l’arrêt du 29 janvier 2008, Promusicae (C-275/06, Rec. p. I-271), la protection du droit fondamental de propriété, dont font partie les droits liés à la propriété intellectuelle, doit être mise en balance avec celle d’autres droits fondamentaux.
45 Plus précisément, il ressort du point 68 dudit arrêt qu’il incombe aux autorités et aux juridictions nationales, dans le cadre des mesures adoptées pour protéger les titulaires de droits d’auteur, d’assurer un juste équilibre entre la protection de ce droit et celle des droits fondamentaux de personnes qui sont affectées par de telles mesures.
46 Ainsi, dans des circonstances telles que celles de l’affaire au principal, les autorités et les juridictions nationales doivent notamment assurer un juste équilibre entre la protection du droit de propriété intellectuelle, dont jouissent les titulaires de droits d’auteur, et celle de la liberté d’entreprise dont bénéficient les opérateurs tels que les FAI en vertu de l’article 16 de la charte. (…)
52 D’autre part, ladite injonction risquerait de porter atteinte à la liberté d’information puisque ce système risquerait de ne pas suffisamment distinguer entre un contenu illicite et un contenu licite, de sorte que son déploiement pourrait avoir pour effet d’entraîner le blocage de communications à contenu licite. En effet, il n’est pas contesté que la réponse à la question de la licéité d’une transmission dépende également de l’application d’exceptions légales au droit d’auteur qui varient d’un État membre à l’autre. En outre, certaines oeuvres peuvent relever, dans certains États membres, du domaine public ou elles peuvent faire l’objet d’une mise en ligne à titre gratuit de la part des auteurs concernés. »
Dans l’arrêt UPC Telekable Wien du 27 mars 2014 (C-314/12), la Cour de justice a dit pour droit que :
« 48 Pour ce qui est de la liberté d’entreprise, il doit être constaté que l’adoption d’une injonction, telle que celle en cause au principal, restreint cette liberté.
49 En effet, le droit à la liberté d’entreprise comprend notamment le droit, pour toute entreprise, de pouvoir librement disposer, dans les limites de la responsabilité qu’elle encourt pour ses propres actes, des ressources économiques, techniques et financières dont elle dispose.
50 Or, une injonction telle que celle en cause au principal, fait peser sur son destinataire une contrainte qui restreint la libre utilisation des ressources à sa disposition, puisqu’elle l’oblige à prendre des mesures qui sont susceptibles de représenter pour celui-ci un coût important, d’avoir un impact considérable sur l’organisation de ses activités ou de requérir des solutions techniques difficiles et complexes.
51 Cependant, une telle injonction n’apparaît pas porter atteinte à la substance même du droit à la liberté d’entreprise d’un fournisseur d’accès à Internet, tel que celui en cause au principal. »
Il s’en déduit qu’un juste équilibre doit être recherché entre la protection du droit de propriété intellectuelle, d’une part, et la liberté d’entreprise des fournisseurs d’accès à internet, et les droits fondamentaux des clients des fournisseurs d’accès à internet, en particulier leur droit à la protection des données à caractère personnel et leur liberté de recevoir et de communiquer des informations, d’autre part.
La recherche de cet équilibre implique d’écarter toute mesure prévoyant un contrôle absolu, systématique et sans limitation dans le temps, de même que les mesures ne doivent pas porter atteinte à la « substance même du droit à la liberté d’entreprendre » des fournisseurs d’accès à internet, lesquels doivent conserver le choix des mesures à mettre en oeuvre. Aussi, conformément aux dispositions de l’article L. 336-2 du code de la propriété intellectuelle, il sera enjoint aux sociétés Orange, Bouygues Telecom, Free, SFR et SFR Fibre de mettre en oeuvre et/ou faire mettre en oeuvre, toutes mesures propres à empêcher l’accès aux sites litigieux, à partir du territoire français et/ou par leurs abonnés, à raison d’un contrat souscrit sur ce territoire, par tout moyen efficace de leur choix.

Les mesures de blocage concerneront les noms de domaine mentionnés au tableau annexé à la présente décision, et permettant l’accès aux sites litigieux, dont le caractère entièrement ou essentiellement illicite a été établi.

Ces mesures devront être mises en oeuvre sans délai et pour la durée visée au dispositif de la présente décision.

Les fournisseurs d’accès à internet devront informer la SCPP des mesures mises en oeuvre sans délai.

Le coût des mesures de blocage sera à la charge des fournisseurs d’accès internet.

Conformément aux dispositions de l’article 492-1, 3o du code de procédure civile, et en l’absence de circonstances justifiant qu’il en soit décidé autrement, il convient de rappeler que la présente décision est exécutoire à titre provisoire.

Chaque partie conservera la charge de ses frais irrépétibles et de ses dépens.

PAR CES MOTIFS,
LE TRIBUNAL,

CONSTATE que le site « yt5s » accessible à partir des noms de domaine : <yt5s.com> et <yt5s.io>, contrefait les droits de la Société civile des producteurs phonographiques en rendant accessible sans autorisation des phonogrammes de son répertoire ;
CONSTATE que le site « yt1ss » accessible à partir du nom de domaine : <yt1ss.net>, contrefait les droits de la Société civile des producteurs phonographiques en rendant accessible sans autorisation des phonogrammes de son répertoire ;
CONSTATE que le site « yt2meta » accessible à partir du nom de domaine : <y2meta.com>, contrefait les droits de la Société civile des producteurs phonographiques en rendant accessible sans autorisation des phonogrammes de son répertoire ;

En conséquence,
ORDONNE aux sociétés Orange, Free, SFR, SFR Fibre et Bouygues Telecom de mettre en oeuvre et/ou faire mettre en oeuvre, toutes mesures propres à empêcher l’accès, à partir du territoire français, y compris dans les départements ou régions d’outre-mer et collectivités uniques ainsi que dans les îles Wallis et Futuna, en Nouvelle-Calédonie et dans les Terres australes et antarctiques françaises, par leurs abonnés à raison d’un contrat souscrit sur ce territoire, par tout moyen efficace, et notamment par le blocage des noms de domaine figurant dans le tableau annexé à la présente décision et faisant partie de la minute, et ce, sans délai, et au plus tard quinze jours après la signification de la présente décision et pendant une durée de dix-huit mois à compter du présent jugement ;
DIT que la Société civile des producteurs phonographiques devra dans ce cadre indiquer aux fournisseurs d’accès à internet, les noms de domaine dont elle aurait appris qu’ils ne sont plus actifs, afin d’éviter des coûts de blocage inutiles ;
DIT que les fournisseurs d’accès à internet devront informer la Société civile des producteurs phonographiques de la mise en oeuvre de ces mesures en précisant éventuellement les difficultés qu’ils rencontreraient ;
DIT qu’en cas d’évolution du litige, notamment par modification des noms de domaine ou chemins d’accès au site visé, la Société civile des producteurs phonographiques pourra en référer à la présente juridiction statuant selon la procédure accélérée au fond ou en saisissant le juge des référés, en mettant en cause par voie d’assignation les parties appelées à la présente instance ou certaines d’entre elles, afin que l’actualisation des mesures soit ordonnée ;
DIT que le coût de la mise en oeuvre des mesures ordonnées restera à la charge des sociétés Orange, Free, SFR, SFR Fibre et Bouygues Telecom ;
RAPPELLE que la présente décision est de plein droit exécutoire par provision ;
LAISSE à chacune des parties la charge de ses propres dépens.

Fait et jugé à Paris le 20 juillet 2023.

LA GREFFIERE LA PRESIDENTE

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Tribunal judiciaire de Paris, 20 juillet 2023, 23/07447