Cour d'appel de Paris, Pôle 1 - chambre 3, 29 septembre 2021, n° 21/00636

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CA Paris, pôle 1 - ch. 3, 29 sept. 2021, n° 21/00636
Juridiction : Cour d'appel de Paris
Numéro(s) : 21/00636
Décision précédente : Tribunal de commerce de Paris, 20 décembre 2020, N° 2020054541
Dispositif : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée

Sur les parties

Texte intégral

Copies exécutoires

REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 1 – Chambre 3

ARRET DU 29 SEPTEMBRE 2021

(n° , 8 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 21/00636 – N° Portalis 35L7-V-B7F-CC4Y2

Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 21 Décembre 2020 -Président du TC de PARIS – RG n° 2020054541

APPELANTE

S.A.S. SYNEHA prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

1 Cour du Havre

[…]

Représentée par Me Belgin PELIT-JUMEL de la SELEURL BELGIN PELIT-JUMEL AVOCAT, avocat au barreau de PARIS, toque : D1119

Assistée par Me Raphaël DANA, avocat au Barreau de PARIS, toque : B155

INTIMEE

SNC SB ALLIANCE prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[…]

[…]

Représentée par Me Florence GUERRE de la SELARL SELARL PELLERIN – DE MARIA – GUERRE, avocat au barreau de PARIS, toque : L0018

Assistée par Me Charles-Henri BOERINGER, avocat au Barreau de PARIS, toque : K112

COMPOSITION DE LA COUR :

L’affaire a été débattue le 28 Juin 2021, en audience publique, rapport ayant été fait par M. Patrick BIROLLEAU, Premier Président de chambre conformément aux articles 804, 805 et 905 du CPC, les avocats ne s’y étant pas opposés.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Patrick BIROLLEAU, Premier Président de chambre

Carole CHEGARAY, Conseillère

Edmée BONGRAND, Conseillère

Greffier, lors des débats : Olivier POIX

ARRÊT :

— CONTRADICTOIRE

— par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

— signé par Patrick BIROLLEAU, Premier Président de chambre et par Olivier POIX, Greffier, présent lors de la mise à disposition.

*******

La société SB Alliance, centrale de référencement du Groupe Savencia dans les relations entre les filiales de Savencia et leurs fournisseurs, a conclu, le 3 juin 2014, avec la société Syneha un aux termes duquel Syneha assurait une mission de gestion du réferencement des fournisseurs de SB Alliance. Un avenant à ce contrat a été signé le 8 décembre 2016, intitulé 'Contrat d’adhésion client pour le référencement des fournisseurs’ (contrat n°2), à effet du 1er juin 2017, pour une durée de deux années, le contrat étant renouvelable, sauf dénonciation, par tacite reconduction par périodes successives de deux années.

Par courrier du 2 juin 2020, le Groupe Savencia a notifié à Syneha sa décision de ne pas renouveler le contrat à la date du 1er juin 2021.

SB Alliance a saisi sur requête le président du tribunal de commerce de Paris pour solliciter le prononcé d’une mesure d’instruction in futurum sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile. Par ordonnance du 23 octobre 2020, le président du tribunal de commerce de Paris a fait droit à cette demande et a désigné un huissier de justice avec pour mission de se faire remettre ou rechercher les comptes annuels, l’actionnariat et les personnes disposant d’un intérêt économique dans Syneha ainsi que les échanges entre les parties prenantes concernant d’une part, la conclusion et l’exécution des contrats n° 1 et 2, et d’autre part, les négociations avec les fournisseurs.

Syneha a fait obstacle à l’exécution de l’ordonnance du 23 octobre 2020.

Par lettre datée du 10 novembre 2020, reçue par courriel le 13 novembre 2020, la société Savencia a notifié à la société Syneha sa décision de résilier le contrat (contrat n°2) avec effet immédiat.

Invoquant le dommage imminent que lui causait la rupture du contrat sans préavis, la société Syneha a, par acte du 9 décembre 2020, assigné la société SB Alliance SNC devant le juge des référés du tribunal de commerce de Paris aux fins de voir ordonner le maintien jusqu’au 31 décembre 2021 des effets du contrat et ordonner à SB Alliance de communiquer certains documents. La société SB Alliance a reconventionnellement demandé que Syneha soit condamnée à communiquer les documents visés par l’ordonnance du 23 octobre 2020, ceux visés par la lettre du 7 décembre 2020 adressés par SB Alliance à Savencia, ainsi qu’en une demande d’information auprès des fournisseurs de SB Alliance déjà contactés par Syneha au sujet des conditions de rupture du contrat liant les parties.

Par ordonnance contradictoire rendue le 21 décembre 2020, le juge des référés du tribunal de commerce de Paris a :

— débouté la société Syneha SAS de toutes ses demandes ;

— débouté la société SB Alliance SNC de toutes ses demandes formulées à titre reconventionnel ;

— condamné la société Syneha SAS à payer à la société SB Alliance SNC la somme de 10.000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;

— débouté pour le surplus ;

— condamné la société Syneha aux entiers dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe liquidés à la somme de 44,07 euros TTC dont 7,13 euros de TVA.

La SAS Syneha a interjeté appel de cette ordonnance par déclaration du 4 janvier 2021.

Par dernières conclusions remises le 24 juin 2021, elle demande à la cour, au visa des articles 11, 138 et 142 et 873, alinéa 1er, du code de procédure civile, de :

— infirmer la décision déférée en toutes ses dispositions ;

statuant à nouveau,

— déclarer la demande de la société Syneha SAS recevable et bien fondée ;

à titre principal,

— ordonner le maintien jusqu’au 30 juin 2022 des effets du contrat d’adhésion Client pour le reférencement des fournisseurs signé le 8 décembre 2016 entre Synéha SAS et SB Alliance SNC ;

— ordonner à la société SB Alliance SNC de communiquer le rapport d’audit interne visé dans la requête (article 145 du code de procédure civile) signée le 23 octobre 2020, adressée au président du tribunal de commerce de Paris, visé dans l’assignation en référé devant le président du tribunal de commerce de Paris en date du 24 novembre 2020, et dans les conclusions notifiées en vue d’une audience de référé d’heure à heure devant le tribunal de commerce de Paris (RG n°2020054541) du 16 décembre 2020, rapport à communiquer dans sa version intégrale ;

— autoriser la société Syneha à envoyer un courrier au format de son choix (lettre recommandée avec accusé de réception et/ou email) dont le texte sera similaire au texte suivant :

'Madame, Monsieur,

Par décision de justice de la Cour d’appel de Paris rendue le [xxx], les effets juridiques du contrat d’adhésion signé entre la société Syneha et le Groupe Savencia pour la gestion de la ou les catégories d’achats vous concernant sont maintenus jusqu’au 30 juin 2022.

A ce titre, la société Syneha continuera à gérer le suivi des contrats de référencement et/ou accords commerciaux établis avec votre société pour le compte du Groupe Savencia, et plus généralement, à mener toute action nécessaire à l’actualisation des contrats de référencement et/ou accords commerciaux et du panel des fournisseurs référencés, permettant ainsi aux sociétés affiliées du Groupe Savencia de s’y référer afin de pouvoir passer les commandes nécessaires à leurs activités.

Par conséquent, nos accords CARD continuent à produire leurs effets de façon ininterrompue depuis leur date initiale d’entrée en vigueur, et nous vous adresserons à cet effet prochainement les formulaires habituels de déclaration de chiffre d’affaires ou de volumes.

Nous vous remercions de votre attention, et vous prions de croire, Madame, Monsieur, à l’assurance de nos salutations distinguées.'

à titre subsidiaire,

— ordonner à SB Alliance de payer à Syneha les montants applicables en vertu des contrats CARD à compter du 1er novembre 2020 et jusqu’au 30 juin 2022 ;

en tout état de cause,

— débouter la société SB Alliance de toutes ses demandes, fins et conclusions ;

— condamner la société SB Alliance au paiement de la somme de 30.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens, dont distraction au profit de Me Dana, avocat, en application de l’article 699 du code de procédure civile.

Elle soutient que la rupture brutale du contrat telle que souhaitée par Savencia est injustifiée, que les motifs retenus par Savencia pour justifier de l’arrêt à effet immédiat du contrat ne sont pas fondés, et que partant, la résiliation en est manifestement illicite.

Plus précisément, l’appelante soutient que le rapport d’audit sur lequel s’appuie Savencia pour alléguer que Syneha a commis de 'graves manquements dans le cadre de l’exécution du contrat', ne lui a pas été communiqué malgré une sommation de communiquer notifiée à ses conseils, le 26 février 2021, et une signification d’huissier de la même sommation en date du 7 avril 2021. Elle demande à la cour de bien vouloir faire usage des pouvoirs qui lui sont conférés par les articles 11, 138 et 142 du code de procédure civile et d’ordonner la délivrance d’une expédition du rapport d’audit interne en question, dans sa version intégrale.

Elle s’oppose aux justifications de la rupture à effet immédiat avancées par la société Savencia :

— sur un prétendu conflit d’intérêts tenant à l’existence d’un lien conjugal entre l’ancien directeur des achats de Savencia (M. X) et la responsable de la comptabilité de Syneha ; elle soutient que cette situation était connue de Savencia dès octobre 2019 et ne peut, par conséquent, servir de fondement à une prétendue urgence en novembre 2020 ; elle ajoute que cet argument est un montage intellectuel artificiel de la part de l’intimée pour tenter de faire apparaître un conflit d’intérêt en réalité inexistant ;

— sur le fait que le montage contractuel, mis en place dans des conditions éludant tout contrôle, était structurellement désavantageux pour le groupe Savencia ; elle verse aux débats plusieurs documents illustrant l’implication de Savencia et d’un membre de son COMEX dans les opérations mises en place entre les parties, et la connaissance du modèle économique de Syneha par Savencia, de sorte qu’il n’est pas sérieux pour Savencia de vouloir fonder la suppression du préavis sur l’allégation selon laquelle le montage contractuel aurait été 'mis en place dans des conditions éludant tout contrôle’ ; elle souligne qu’elle a toujours appliqué des taux parfaitement conformes aux pratiques du marché, proposant ainsi à SB Alliance des performances largement favorables et remplissant ainsi son obligation de reddition des comptes, élément confirmé par le fait que SB Alliance a fait usage des contrats en question, alors qu’elle n’en avait aucune obligation.

Elle insiste sur le fait que sa survie est mise en péril par la résiliation brutale du contrat signé le 8 décembre 2016 avec SB Alliance : la part de chiffre d’affaires réalisé par le biais de l’adhérent Savencia/SB Alliance était de l’ordre de 85 % ; elle verse aux débats une attestation de son commissaire aux comptes établie le 7 avril 2021 ainsi qu’un procès verbal d’huissier de justice en date du 26 mars 2021 ; elle estime donc que la rupture brutale du contrat est de nature à entraîner un dommage imminent qu’elle entend éviter par une mesure conservatoire, en l’espèce, le maintien

jusqu’au 30 juin 2022. des effets du contrat signé le 8 décembre 2016, et que la prévention de ce dommage imminent impose d’ordonner le maintien des effets de ce contrat, tout comme la cessation du trouble manifestement illicite impose d’ordonner à SB Alliance de cesser d’écrire aux fournisseurs au sujet de la relation d’affaires.

La SNC SB Alliance, par dernières conclusions remises le 23 juin 2020, demande à la cour, au visa de l’article 873 du code de procédure civile, de :

— dire que la résiliation du Contrat d’adhésion client pour le référencement des fournisseurs en date du 8 décembre 2016 par SB Alliance était manifestement justifiée et régulière et qu’en conséquence aucun trouble manifestement illicite ou dommage imminent n’est caractérisé ;

— dire que Syneha n’établit pas avec l’évidence requise en référé l’existence d’un dommage imminent étant donné que tant la situation de dépendance, que le risque de subir un dommage sont dus exclusivement à ses propres agissements ;

— dire que le juge des référés excéderait les limites de son office en ordonnant à la société SB Alliance de ne pas respecter les contrats conclus après le 10 novembre 2020 avec les fournisseurs de Savencia qui, pour leur part, ne sont pas parties à la présente instance ;

— dire en conséquence que le maintien forcé du Contrat d’adhésion client pour le référencement des fournisseurs en date du 8 décembre 2016 jusqu’au 30 juin 2022, tel que demandé par Syneha, ne saurait être prononcé ;

— dire n’y avoir lieu à référé à l’égard des demandes de Syneha ;

— confirmer en toutes ses dispositions l’ordonnance du président du tribunal de commerce de Paris du 21 décembre 2020 ;

en tout état de cause, y ajoutant,

— débouter la société Syneha SAS de l’ensemble de ses demandes, fins et prétentions ;

— condamner la société Syneha SAS à verser à SB Alliance la somme de 30.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens.

Elle rappelle que la poursuite forcée des rapports contractuels en vertu de l’article 873 alinéa 1er du code de procédure civile ne peut être ordonnée en référé qu’en cas de résiliation manifestement illicite ; or, la résiliation unilatérale du contrat n°2 à son initiative est parfaitement justifiée en raison des manquements graves de Syneha à ses obligations contractuelles. En l’occurrence, elle considère que l’appelante a détourné le contrat dans son propre intérêt et violé de manière répétée ses obligations de transparence, de loyauté et de reddition des comptes.

Plus précisément, l’intimée soutient que le lien de confiance a été anéanti en raison, non seulement des indices graves de conflit d’intérêts affectant Syneha, du refus de Syneha de répondre aux demandes d’éclaircissement du Groupe ainsi que de son opposition à l’exécution d’une décision de justice prescrivant une mesure d’instruction in futurum.

A ce titre, l’intimée expose que l’existence d’un intérêt économique de M. X dans les résultats de Syneha fausse tout l’équilibre du contrat. En effet, c’est M. X qui, en sa qualité de Directeur des Achats du Groupe, était censé avoir négocié dans l’intérêt exclusif de Savencia le contrat avec Syneha. C’était aussi à lui de contrôler la performance de Syneha. C’était enfin à lui de s’assurer que les objectifs de Savencia, parmi lesquels des économies résultant d’une massification des commandes, soient bien atteints. C’est dans ce cadre que l’intimée estime que M. X

favorisait, non pas la position de son employeur, mais celle de Syneha (et donc la sienne propre).

Aussi, l’intimée affirme que Syneha a manqué à ses obligations de mandataire en détournant le contrat de sa finalité économique. A ce titre, l’intimée fait valoir que selon les analyses de Savencia, le montant des commissions négociées par Syneha a significativement augmenté pour certaines catégories d’achats. Par ailleurs, selon elle, les fournisseurs répercutent les commissions CARD dans les prix facturés aux filiales du Groupe Savencia, entraînant une perte de valeur pour le Groupe. En ce sens, l’intimée estime que plus Syneha facture de commissions CARD, plus les prix des fournisseurs augmentent, ce qui entraine une perte pour le groupe Savencia. C’est dans cette optique que l’intimée considère que l’augmentation des commissions est in fine subie par les filiales du Groupe, alors que l’objet du contrat avec Syneha était de permettre une optimisation des conditions d’achats.

En outre, l’intimée soutient également que Syneha a manqué à ses obligations de mandataire en ne respectant pas ses devoirs de transparence et de reddition des comptes. La SNC SB Alliance précise qu’elle n’est pas informée du contenu des conventions CARD et n’a aucun moyen de connaître le montant des commissions CARD versées par les fournisseurs, alors que celui-ci affecte les prix pratiqués par les fournisseurs vis-à-vis des filiales du Groupe. C’est en ce sens qu’elle fait valoir que le caractère occulte des conventions CARD établit une violation manifeste de Syneha à son obligation de reddition des comptes. Au surplus, l’intimée soutient que Syneha a également méconnu cette obligation en refusant de faire droit à ses demandes de communication d’information. D’ailleurs, l’intimée soulève que la Cour de cassation juge que le secret des affaires n’écarte pas l’obligation de reddition des comptes du mandataire, qui lui impose notamment de faire connaître l’issue des négociations avec les fournisseurs.

L’intimée expose également que Syneha n’établit pas, avec l’évidence requise, le caractère imminent du dommage qu’elle subirait en raison de la résiliation du contrat n°2 ; en effet :

— la situation de dépendance économique dont se prévaut Syneha n’est imputable qu’à elle-même et est contraire à ses engagements contractuels ; la plus-value de Syneha est supposée reposer sur un effet de « massification », c’est-à-dire sur la recherche d’effets de levier bénéficiant à ses adhérents grâce au démarchage du plus grand nombre d’adhérents possible ; toutefois, en soutenant qu’elle est aujourd’hui en position de dépendance vis-à-vis de Savencia, Syneha admet ne pas avoir rempli cet objectif essentiel et s’appuie sur cette carence pour exiger la poursuite du mandat ; l’intimée ajoute qu’en tout état de cause, le contrat n°2 n’imposait aucune obligation d’exclusivité à la charge de Syneha ;

— Syneha a été mise en mesure de prévenir le dommage qu’elle invoque aujourd’hui : la première demande de clarifications concernant le conflit d’intérêts allégué et la rémunération de Syneha date du 2 mars 2020 et a été réitérée sous la forme d’une mise en demeure le 21 avril 2020 ; il s’est donc écoulé plus de cinq mois entre le moment où Syneha a été informée du non-renouvellement du contrat n°2, le 2 juin 2020, et la résiliation unilatérale de ce contrat, le 10 novembre 2020 ;

— Syneha ne rapporte pas la preuve que la situation sanitaire actuelle l’aurait empêchée de démarcher de nouveaux adhérents et omet de préciser que dans l’arrêt précité de la cour d’appel de Paris, les sociétés CA, auxquelles une rupture brutale était reprochée, avaient elles-mêmes admis qu’un délai d’un an minimum était nécessaire pour procéder aux opérations de migration du fait de la résiliation du contrat.

Enfin, l’intimée soutient qu’en l’état actuel des rapports contractuels, le rétablissement du contrat n°2 excéderait les limites de l’office du juge des référés : en effet, depuis la résiliation du contrat n°2 au mois de novembre 2020, de nouveaux accords tarifaires ont été convenus et mis en place entre SB Alliance et les fournisseurs du Groupe Savencia ; par conséquent, le rétablissement des effets du contrat n°2 impliquerait donc une injonction d’ignorer tous les contrats de référencement signés par

SB Alliance avec les fournisseurs, et l’ensemble des contrats d’application conclus par les filiales du groupe Savencia avec les mêmes fournisseurs ; les nouvelles relations contractuelles nouées par le groupe Savencia avec ses fournisseurs rendent donc matériellement et juridiquement impossible le rétablissement des effets du contrat n°2 demandé par Syneha.

En application des dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie aux écritures des parties pour un plus ample exposé des faits et moyens développés au soutien de leurs prétentions respectives.

MOTIFS

Sur les demandes principales de la société Syneha

L’article 873, alinéa 1er, du code de procédure civile dispose que 'le président du tribunal de commerce peut, dans les limites de la compétence du tribunal, et même en présence d’une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.'

Sur le maintien des effets du contrat

La société Syneha demande d’ordonner le maintien jusqu’au 30 juin 2022 des effets du contrat signé le 8 décembre 2016, soutient qu’elle n’a commis aucun manquement grave propre à justifier une résiliation unilatérale du contrat sans préavis de rupture et invoque le dommage imminent causé par la rupture anticipée du contrat.

Il est constant que, par lettre en date du 10 novembre 2020, reçue par courriel le 13 novembre 2020, le groupe Savencia a notifié à la société Syneha sa décision de résilier le contrat (contrat n°2) avec effet immédiat.

En premier lieu, l’existence d’un dommage imminent ou d’un trouble manifestement illicite ne peut être caractérisée que si la résiliation du contrat est irrégulière.

En l’espèce, la rupture immédiate d’un contrat suppose qu’une partie manque à ses obligations de façon suffisamment grave, au point de rendre impossible le maintien du lien contractuel.

Toutefois, aucun des manquements imputés à la société Syneha, dont se prévaut la société SB Alliance au soutien de la résiliation sans préavis du 10 novembre 2020, n’ont été révélés entre les 2 juin et 10 novembre 2020 :

— ni en ce que Syneha aurait manqué à ses obligations de mandataire et détourné le contrat de sa finalité économique en augmentant les commissions CARD dans son intérêt exclusif et contre ceux de son mandant, alors que l’intimée évoque des augmentations de commissions opérées dès 2016 et que le signalement effectué le 29 octobre 2019 par M. Y Z, président de la société Eleneo, sous-traitante de Syneha, faisait déjà état des rapports déséquilibrés entre Savencia et Syneha ;

— ni en ce que la mandataire aurait manqué à ses obligations de transparence et de reddition des comptes, alors que l’absence de suite donnée par Syneha à la demande faite par courriel du 2 mars 2020 d’information sur son actionnariat, sur ses comptes annuels et sur la décomposition de son chiffre d’affaires était connue de SB Alliance depuis au moins le 21 avril 2020, date à laquelle Savencia a réitéré sa demande par mise en demeure ;

— ni sur l’existence d’un conflit d’intérêts de M. X avec la société Syneha, alors que Savencia

était informée de cet état de fait depuis au moins le 29 octobre 2019, date du signalement effectué par M. Y Z (pièce Syneha n°59) ;

la connaissance des faits allégués n’ayant, en tout état de cause, pas fait obstacle à la poursuite de la relation jusqu’en novembre 2020.

Il s’en déduit qu’aucun des manquements allégués par la société SB Alliance n’est de nature à justifier une résiliation sans préavis du contrat.

En second lieu, le juge des référé ne peut ordonner la poursuite des effets du contrat que si la victime de la rupture établit que l’arrêt de la relation est de nature à lui causer un dommage imminent.

La société Syneha justifie, par les attestations de son commissaire aux comptes en date des 26 novembre 2020 et 7 avril 2021, que la part de chiffre d’affaires réalisé par le biais de l’adhérent SAvencia/SB Alliance était de l’ordre de 85 % (pièces Syneha n°29A et 53), éléments corroborés par le constat d’huissier du 26 mars 2021 ('J’ai alors pu constater que la part du chiffre d’affaires généré par la relation d’affaires entre la société Savencia et la société requérante représente 85,2% du chiffre d’affaires total de la société requérante, au titre de l’année 2019") (pièce Syneha n°54).

La survenance du dommage en résultant est certaine, dès lors que la perte immédiate de chiffre d’affaires impose une réorganisation de l’activité dans un délai à l’évidence insuffisant en raison, en l’espèce, de l’absence de préavis de rupture, laquelle est de nature à mettre en péril la survie de la société Syneha. Il s’en déduit que l’appelante justifie que cette situation lui occasionne un dommage imminent commandant que des mesures provisoires soient prises pour le faire cesser.

Le contrat n°2 ayant vocation, par l’effet de la dénonciation, non contestée, du 2 juin 2020, à venir à échéance le 1er juin 2021, le juge des référés ne dispose pas du pouvoir d’en prolonger les effets au-delà de cette date.

La poursuite des effets du contrat doit toutefois être ordonnée, rétroactivement, jusqu’au 1er juin 2021, nonobstant la signature, par SB Alliance avec les fournisseurs, de contrats de référencement postérieurement au 10 novembre 2020, élément qui ne peut, en tout état de cause, que donner lieu à octroi éventuel, à la société Syneha, de dommages et intérêts par le juge du fond.

Sur la demande relative à l’envoi d’un courrier aux fournisseurs

Il n’y a pas lieu de faire droit à la demande de la société Synéha tendant à l’autoriser à envoyer un courrier aux fournisseurs, dès lors que, compte tenu de l’évolution des relations contractuelles entre le groupe Savencia et ses fournisseurs, la mesure sollicitée ne relève pas des mesures conservatoires indispensables propres à faire cesser le dommage imminent. L’ordonnance entreprise sera confirmée sur ce point.

Sur la demande de communication du rapport d’audit interne

L’article 564 du code de procédure civile dispose qu’ 'à peine d’irrecevabilité relevée d’office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions, si ce n’est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l’intervention d’un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d’un fait.'

La société Synéha n’ayant pas formulé, devant le premier juge, de demande de communication du rapport d’audit interne et n’invoquant aucune des exceptions à la prohibition de l’article 564, sa demande, nouvelle devant la cour, doit être déclarée irrecevable en cause d’appel.

PAR CES MOTIFS

Dit la SAS Synéha irrecevable la demande de communication du rapport d’audit interne ;

Infirme l’ordonnance entreprise en ce qu’elle a débouté la société Synéha SAS de sa demande de maintien des effets du contrat d’adhésion du 8 décembre 2016 ;

Statuant à nouveau du chef infirmé,

Ordonne le maintien jusqu’au 1er juin 2021 des effets du contrat d’adhésion 'Client pour le reférencement des fournisseurs’ signé le 8 décembre 2016 entre les sociétés Synéha SAS et SNC SB Alliance ;

Confirme l’ordonnance entreprise pour le surplus ;

Condamne la SNC SB Alliance aux dépens de première instance et d’appel qui seront recouvrés conformément à l’article 699 du code de procédure civile ;

Condamne la SNC SB Alliance à payer à la SAS Synéha la somme de 5.000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT

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Textes cités dans la décision

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