Cour d'appel de Toulouse, 4ème chambre section 3, 10 décembre 2019, n° 19/00489

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CA Toulouse, 4e ch. sect. 3, 10 déc. 2019, n° 19/00489
Juridiction : Cour d'appel de Toulouse
Numéro(s) : 19/00489
Décision précédente : Tribunal des affaires de sécurité sociale de Lot, 15 juin 2016, N° 21300232
Dispositif : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée

Sur les parties

Texte intégral

10/12/2019

ARRÊT N°455/19

N° RG 19/00489

N° Portalis DBVI-V-B7C-MYCI

NB/DB

Décision déférée du 16 Juin 2016

Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale du Lot (21300232)

Mme E F

[…]

C/

J P Q R veuve

X

CPAM DU LOT

CONFIRMATION PARTIELLE

Après ADD RENDUE CA AGEN

le 10 octobre 2017

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

***

COUR D’APPEL DE TOULOUSE

4e chambre sociale – section 3

***

ARRÊT DU DIX DÉCEMBRE DEUX MILLE DIX NEUF

***

APPELANT

[…]

[…]

[…]

représentée par Me Juliette BARRE de la SCP NORMAND & ASSOCIÉS, avocat au barreau de PARIS

INTIMÉES

Madame J P Q R veuve X

[…]

64100 D

représentée par Me Véronique MAS-HEINRICH, avocat au barreau de LOT

CPAM DU LOT

[…]

[…]

représentée par Mme G H (Membre de l’entrep.) en vertu d’un pouvoir spécial

COMPOSITION DE LA COUR

En application des dispositions de l’article 945.1 du Code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 18 Octobre 2019, en audience publique, devant Mme N. BERGOUNIOU, magistrat honoraire juridictionnel, chargée d’instruire l’affaire, les parties ne s’y étant pas opposées. Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :

C. DECHAUX, conseillère faisant fonction de président

A. BEAUCLAIR, conseiller

N. BERGOUNIOU, magistrat honoraire juridictionnel

Greffier, lors des débats : D. BARO

ARRÊT :

— CONTRADICTOIRE

— prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile

— signé par C. DECHAUX, conseillère faisant fonction de président, et par D. BARO, greffier de chambre.

EXPOSÉ DU LITIGE

M. I X, employé de la société Pierr’Dall depuis le 1er juin 2004 en qualité d’ouvrier, s’est suicidé à son domicile le 25 juin 2009.

Suite à une enquête diligentée par la caisse primaire d’assurance maladie du Lot, le comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles (CRRMP) de Toulouse a été saisi, et a conclu, par avis motivé du 30 mai 2011, que : ' la maladie présentée par M. S X I peut être reconnue comme étant une maladie professionnelle au sens du quatrième alinéa de l’article L. 461-1 du code de la sécurité sociale.'

A la suite de cet avis, la caisse primaire d’assurance maladie du Lot a pris en charge ce suicide au titre des maladies professionnelles suivant décision notifiée à l’employeur le 7 juillet 2011.

Après échec de la procédure de conciliation, Mme J X, veuve de M. I X a saisi le 19 août 2013, le tribunal des affaires de sécurité sociale du Lot pour reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur dans la maladie professionnelle ayant conduit au décès de M. I X.

Par jugement en date du 16 juin 2016, le tribunal des affaires de sécurité sociale du Lot a :

* déclaré opposable à la société Pierr’Dall la reconnaissance faite par la caisse primaire d’assurance maladie de la maladie professionnelle de M. X, qui a acquis un caractère définitif faute d’avoir été contestée dans les délais ;

* déclaré recevable l’action en reconnaissance de faute inexcusable engagée par Mme X à l’encontre de la société Pierr’Dall ;

* dit que la maladie professionnelle de I X, à savoir une dépression réactionnelle dont l’issue a été fatale, découle de la faute inexcusable de son employeur ;

* ordonné la majoration maximale de la rente servie à son épouse;

* fixé à 25 000 euros, toutes causes de préjudices confondues, le préjudice de Mme X résultant de la suite fatale de la maladie professionnelle de son mari, et à 2 000 euros le préjudice moral subi pendant cette maladie et avant le décès ;

* déclaré irrecevable la demande de Mme X formée à titre successoral ;

* condamné la société Pierr’Dall à lui verser 1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

* condamné la société Pierr’Dall à rembourser à la caisse primaire d’assurance maladie toutes les sommes dont elle aura fait l’avance au titre des articles L. 452-2 et L. 452-3 du code de la sécurité sociale.

Par arrêt du 10 octobre 2017, la cour d’appel d’Agen, statuant sur l’appel interjeté par la SASU Pierr’Dall a:

Avant dire droit:

* dit que la caisse primaire d’assurance maladie du Lot doit saisir le comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles de Bordeaux, afin de recueillir l’avis de ce comité sur le lien de causalité direct et essentiel entre la maladie déclarée et le travail habituel de I X ;

* rappelé qu’en application de l’article D. 461-29 du code de la sécurité sociale, Mme X et la SASU Pierr’Dall peuvent déposer des observations qui seront annexées au dossier transmis par la caisse primaire d’assurance maladie au comité et dit que ces observations éventuelles devront être déposées dans le délai qui leur sera imparti par la caisse avant qu’elle ne saisisse le CRRMP de

Bordeaux.

Le CRRMP de Bordeaux, dans sa séance du 21 juin 2018, a émis l’avis motivé suivant: 'Le CRRMP de Bordeaux considère que les conditions de travail ont exposé le salarié à un risque psycho social important.

D’après les éléments du dossier transmis et la prise en compte de son parcours professionnel sans particularité, il n’a pas été mis en évidence de facteurs extra professionnels.

En conséquence, le CRRMP de Bordeaux confirme l’avis du CRRMP de Toulouse. Le comité considère que le lien de causalité entre la pathologie déclarée et le contexte professionnel est direct et essentiel et reconnaît le caractère professionnel de la pathologie déclarée et ayant entraîné le décès du salarié.'

Vu le décret n° 1018-772 du 4 septembre 2018 qui désigne la cour d’appel de Toulouse pour connaître des décisions rendues par les juridictions compétentes sur les ressorts des tribunaux de grande instance d’Auch, de Cahors et d’Agen en matière de contentieux général et technique de la sécurité sociale et d’admission à l’aide sociale à compter du 1er janvier 2019,

Vu l’arrêt de dessaisissement de la cour d’appel d’Agen et le transfert du dossier à la cour d’appel de Toulouse en date du 20 décembre 2018,

Les parties ont été convoquées à l’audience du 18 octobre 2019.

Par conclusions visées au greffe le 18 octobre 2019, reprises oralement à l’audience, auxquelles il est expressément renvoyé pour l’exposé plus ample de ses moyens et arguments, la société Pierr’Dall conclut à l’infirmation du jugement entrepris et demande à la cour de :

* juger que le risque pris en charge est un accident et non une maladie ;

* juger que cet accident ne bénéficie pas de la présomption d’imputabilité;

* juger qu’il n’est pas démontré par les intimés que cet accident est un accident du travail ;

* juger que cet accident ne peut par conséquent être imputé à la faute inexcusable de l’employeur ;

* à titre subsidiaire, si la cour déboutait l’appelante de sa contestation du caractère professionnel du suicide, juger qu’il n’est pas du à la faute inexcusable de l’employeur et débouter Mme J X de l’ensemble de ses demandes ;

* à titre encore plus subsidiaire, si la cour imputait le suicide de M. X à la faute inexcusable de la société Pierr’Dall :

— confirmer le jugement du 16 juin 2016 en ce qu’il a déclaré irrecevable la demande de Mme X formée au titre des souffrances endurées par M. X ;

— infirmer le jugement du 16 juin 2016 en ce qu’il a alloué à Mme X la somme de 2 000 euros au titre du préjudice d’accompagnement ;

— statuant à nouveau, juger que le préjudice d’accompagnement est d’ores et déjà indemnisé au titre du préjudice d’affection.

* condamner Mme J X aux dépens.

Elle fait valoir, pour l’essentiel, que le risque pris en charge est un accident et non une maladie; que le suicide a eu lieu en dehors du temps et du lieu du travail, au domicile de M. X qui était en arrêt maladie depuis le 26 mars 2009, de sorte qu’il ne bénéficie pas de la présomption d’imputabilité; qu’il appartient en conséquence aux ayants droits de la victime de démontrer que le décès est intervenu par le fait du travail, ce qu’ils ne font pas; qu’il s’évince des éléments du dossier que M. X souffrait de troubles bipolaires; que les manquements éventuels de l’employeur ne sont pas de nature à expliquer le suicide du salarié; qu’en tout état de cause, la société Pierr’Dall ne pouvait avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié, alors même que le médecin du travail avait préconisé, en février 2009, un mi-temps dans l’entreprise; que Mme X, qui ne démontre pas sa qualité d’ayant droit, n’est pas fondée à obtenir réparation des souffrances physiques et morales de son mari pour la période antérieure au suicide, et donc à l’accident; que la demande de Mme X au titre du préjudice de mort imminente subi par son époux, formée pour la première fois en cause d’appel, est irrecevable; que le préjudice d’affection et celui d’accompagnement ne peuvent faire l’objet que d’une seule indemnisation.

Par conclusions visées au greffe le 17 octobre 2019, reprises oralement à l’audience, auxquelles il est expressément renvoyé pour l’exposé plus ample de ses moyens et arguments, Mme J P Q R, veuve X demande à la cour de :

* juger que la pathologie déclarée et ayant entraîné le décès de I X revêt le caractère d’une maladie professionnelle en application de l’article L. 461-1 du code de la sécurité sociale ;

* confirmer la décision rendue par le tribunal des affaires de sécurité sociale du Lot le 16 juin 2016 en ce qu’il a

— déclaré opposable à la société Pierr’Dall la reconnaissance faite par la caisse primaire d’assurance maladie de la maladie professionnelle de M. X ;

— déclaré recevable l’action en reconnaissance de faute inexcusable engagée par Mme X à l’encontre de la société Pierr’Dall;

— dit que la maladie professionnelle de I X, à savoir une dépression réactionnelle dont l’issue a été fatale, découle de la faute inexcusable de son employeur;

— ordonné la majoration maximale de la rente servie à son épouse;

— déclaré le jugement commun à la caisse primaire d’assurance maladie;

* infirmer la décision rendue par le tribunal des affaires de sécurité sociale du Lot le 16 juin 2016 en ce qu’elle a :

* fixé à 25 000 euros, toutes causes de préjudices confondues, le préjudice de Mme X résultant de la suite fatale de la maladie professionnelle de son mari, et à 2 000 euros le préjudice moral subi pendant cette maladie et avant le décès ;

* déclaré irrecevable la demande de Mme X formée au titre des souffrances physiques et morales endurées par I X

En conséquence, et statuant de nouveau :

* fixer à la somme de 20 000 euros le préjudice de Mme X résultant des souffrances physiques et morales endurées par I X d’octobre 2007 à juin 2009 ;

* déclarer recevable la demande de réparation de Mme X, résultant du préjudice de mort

imminente subi par M. I X ;

En conséquence :

* fixer à la somme de 50 000 euros le préjudice de Mme X, résultant du préjudice de mort imminente subi par M. I X ;

* fixer à 50 000 euros le préjudice d’affection de Mme X ;

* fixer à 5 000 euros le préjudice d’accompagnement de Mme X ;

* condamner la société Pierr’Dall à payer à Mme J X la somme de 4 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Elle soutient que la maladie professionnelle qui a affecté son mari et a abouti à son décès a été prise en compte au titre d’une maladie professionnelle hors tableau, après avis du CRRMP de Toulouse qui s’impose à la caisse; que le CRRMP de Bordeaux a confirmé la position prise par celui de Toulouse; qu’il résulte de l’enquête administrative que la maladie anxio dépressive de M. X trouve son origine dans les brimades et les conflits subis par M. X au travail; que M. X s’est d’ailleurs présenté à deux reprises à l’Inspection du travail du Lot, en octobre 2007 et en janvier 2009, pour faire part de ses difficultés; que depuis 2007, M. X, souffrant d’une maladie des canaux carpiens d’origine professionnelle, ne parvenait pas à obtenir un aménagement de son poste et était en proie aux moqueries de deux autres salariés; que l’employeur, qui connaissait la fragilité de M. X et sa mésentente avec ses collègues, ainsi qu’avec son propre fils, n’a pas pris les mesures nécessaires pour assurer la sécurité du salarié dont l’équilibre psychologique était menacé; que les souffrances endurées par M. X, si elles sont antérieures à son suicide, ne sont pas antérieures à la maladie qui a conduit à l’acte suicidaire; que le suicide de M. X est survenu quelques semaines après une tentative de suicide ayant conduit à son hospitalisation à l’hôpital psychiatrique de Leyme; que lors de l’exécution du geste mortel, M. X avait nécessairement conscience de l’imminence de sa mort ;

que sa demande formée à ce titre n’est pas nouvelle, puisque tendant aux mêmes fins que celles soumises au tribunal des affaires de sécurité sociale du Lot, à savoir la réparation de son préjudice. que tout au long de la maladie de son époux, J X l’a accompagné au détriment de son activité professionnelle ; que suite au décès de son mari, avec lequel elle a vécu pendant plus de 29 ans, elle n’a plus pu assumer ses activités professionnelles ; qu’elle a donc été déclarée inapte par la médecine du travail et licenciée pour inaptitude.

Par conclusions visées au greffe le 3 septembre 2019, reprises oralement à l’audience, auxquelles il est expressément renvoyé pour l’exposé plus ample de ses moyens et arguments, la caisse primaire d’assurance maladie du Lot demande à la cour de :

* entériner l’avis du CRRMP de Bordeaux qui reconnaît le caractère professionnel de la pathologie déclarée et ayant entraîné le décès de la victime ;

* confirmé le jugement de première instance en ce qu’il a:

— déclaré irrecevable toute demande d’inopposabilité, par l’employeur, de la décision de prise en charge de la maladie de l’assuré au titre de la législation professionnelle pour cause de forclusion ;

— déclaré la maladie professionnelle et ses conséquences opposable à la société Pierr’Dall et à son assureur ;

— entériné l’avis du CRRMP de Toulouse affirmant l’existence d’un lien direct et essentiel entre

l’exposition professionnelle de l’assuré et la survenance de la maladie ayant entraîné le décès de M. X ;

En cas de reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur :

* déclarer la faute inexcusable opposable à la société Pierr’Dall et à son assureur ;

* condamner l’employeur à rembourser à la caisse primaire d’assurance maladie toutes les sommes dont elle aura fait l’avance au titre des articles L. 452-2 et L. 452-3 du code de la sécurité sociale.

Elle soutient que l’instruction du dossier de maladie professionnelle a été menée dans le respect des procédures et de la législation et que c’est à bon droit et en conformité avec l’ensemble de professionnels de santé qu’elle a été reconnue comme relevant des risques professionnels.

MOTIFS :

* Sur le caractère professionnel de la maladie ayant conduit au suicide de M. X:

Si la décision de prise en charge de la maladie professionnelle, motivée et notifiée dans les conditions prévues par l’article R. 441-14 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction issue du décret n° 2009-938 du 29 juillet 2009, revêt à l’égard de l’employeur, en l’absence de recours dans le délai imparti, un caractère définitif, elle ne fait pas obstacle à ce que celui-ci conteste, pour défendre à l’action en reconnaissance de la faute inexcusable, le caractère professionnel de la maladie.

En l’espèce, la décision de prise en charge de la maladie professionnelle a été notifiée par la caisse à l’employeur le 7 juillet 2011 et n’a pas fait l’objet d’une contestation dans le délai de deux mois; il y a lieu en conséquence de confirmer le jugement déféré en ce qu’il a déclaré opposable à la société Pierr’Dall la reconnaissance par la caisse primaire d’assurance maladie du Lot de la maladie professionnelle de M. I X.

L’article R. 441-14 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction modifiée par le décret n° 2009-938 du 29 juillet 2009, applicable au litige régit exclusivement la procédure applicable à la prise en charge d’un accident du travail, d’une maladie professionnelle ou d’une rechute au titre de la législation professionnelle ; il en résulte que si l’employeur peut soutenir, en défense à l’action en reconnaissance de la faute inexcusable introduite par la victime ou ses ayants droit, que l’accident, la maladie ou la rechute n’a pas d’origine professionnelle, il n’est pas recevable à contester la décision de prise en charge de l’accident, de la maladie ou de la rechute par la caisse primaire au titre de la législation sur les risques professionnels ;

En l’espèce, Mme J X a déclaré non pas un accident du travail constitué par la pendaison de son mari à son domicile, qui survenu en dehors du temps et du lieu de travail, ne bénéficierait pas de la présomption d’imputabilité, mais une maladie professionnelle consistant en une dépression réactionnelle aux problèmes professionnels.

Il résulte de l’enquête diligentée par la caisse primaire d’assurance maladie du Lot avant la saisine du CRRMP de Toulouse que M. I X, embauché par la société Pierr’Dall le 1er juin 2004, n’a rencontré aucune difficulté dans son travail jusqu’au 16 avril 2007, date à laquelle il a déclaré une maladie professionnelle consistant en un syndrome du canal carpien droit, dont la première constatation remonte au 30 juin 2007; qu’il s’est trouvé en arrêt de travail du 26 avril 2007 au 5 août 2007, puis du 26 septembre 2007 au 21 octobre 2007; que lors de la reprise de son activité, il a été fréquemment changé de poste, sans que ces changements soient conformes aux aménagements préconisés par le médecin du travail, et s’est trouvé en butte aux moqueries de deux collègues, M. Z, responsable de l’équipe et M. A, coéquipier, qui se moquaient de lui et de sa production insuffisante ; qu’il a été confronté à des humiliations de la part du fils de son patron, M.

K L, avec lequel il a eu une altercation le 25 octobre 2007, M. K L l’ayant traité de fainéant et l’ayant bousculé, en présence des autres salariés de l’entreprise ; que M. X a travaillé dans un contexte professionnel conflictuel jusqu’au 25 août 2008, date à laquelle il a été hospitalisé à l’unité psychiatrique de Cahors jusqu’au 19 septembre 2008 en raison d’un syndrome dépressif grave, et en arrêt de travail jusqu’au 9 mars 2009, date à laquelle il a repris son activité dans le cadre d’un mi-temps thérapeutique.

Il a de nouveau été hospitalisé le 23 mai 2009 et jusqu’au 23 juin 2009 après une première tentative de suicide par absorption de médicaments.

De retour à son domicile le 23 juin 2009, il s’est suicidé par pendaison le 25 juin 2009.

Le CRRMP de Toulouse, dans sa séance du 30 mai 2011, a émis l’avis suivant: la maladie présentée par M. I X peut être reconnue comme étant une maladie professionnelle au titre du quatrième alinéa de l’article L. 461-1 du code de la sécurité sociale ;

Le CRRMP de Bordeaux, dans son avis du 21 juin 2018, a confirmé l’avis du CRRMP de Toulouse, en faisant valoir que M. X avait, auparavant, travaillé dans une entreprise de construction de 1978 à mai 2004; il a relevé que le dossier comportait une attestation de son ancien employeur louant ses qualités professionnelles.

L’imputabilité au travail de la maladie professionnelle déclarée par la veuve de M. X est établie par deux avis motivés rendus par deux comités distincts qui caractérisent tous deux le lien de causalité entre le syndrome dépressif présenté par la victime et les conditions dans lesquelles il a repris son travail suite à la maladie professionnelle par lui déclarée le 16 avril 2007 consistant en un syndrome du canal carpien droit. Il y a lieu en conséquence de déclarer que la maladie psychique ayant conduit au décès par autolyse du salarié est d’origine professionnelle.

* Sur la faute inexcusable de l’employeur:

Dans le cadre de l’obligation de sécurité pesant sur l’employeur destinée, notamment, à prévenir les risques pour la santé et la sécurité des salariés, les dispositions des articles L.4121-1 et suivants du code du travail lui font obligation de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. Selon l’article L.4121-2 , dans sa rédaction applicable au litige, l’employeur met en oeuvre les mesures prévues à l’article L. 4121-1 sur le fondement des principes généraux de prévention suivants :

1° Eviter les risques ;

2° Evaluer les risques qui ne peuvent pas être évités ;

3° Combattre les risques à la source ;

4° Adapter le travail à l’homme, en particulier en ce qui concerne la conception des postes de travail ainsi que le choix des équipements de travail et des méthodes de travail et de production, en vue notamment de limiter le travail monotone et le travail cadencé et de réduire les effets de ceux-ci sur la santé ;

5° Tenir compte de l’état d’évolution de la technique ;

6° Remplacer ce qui est dangereux par ce qui n’est pas dangereux ou par ce qui est moins dangereux ;

7° Planifier la prévention en y intégrant, dans un ensemble cohérent, la technique, l’organisation du

travail, les conditions de travail, les relations sociales et l’influence des facteurs ambiants, notamment les risques liés au harcèlement moral, tel qu’il est défini à l’article L. 1152-1 ;

8° Prendre des mesures de protection collective en leur donnant la priorité sur les mesures de protection individuelle ;

9° Donner les instructions appropriées aux travailleurs

Selon l’article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

L’article L. 1152-4, dans sa rédaction applicable au litige, précise que l’employeur prend toutes dispositions nécessaires en vue de prévenir les agissements de harcèlement moral.

Le manquement à cette obligation a le caractère d’une faute inexcusable au sens de l’article L. 452-1 du code de la sécurité sociale lorsque l’employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié et qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver.

Il suffit que la faute inexcusable de l’employeur soit une cause nécessaire de l’accident du travail ou de la maladie professionnelle pour engager sa responsabilité.

C’est au salarié ou à ses ayants droits qu’incombe la charge de la preuve de la faute inexcusable, et par voie de conséquence d’établir que son accident présente un lien avec une faute commise par son employeur, dans le cadre de son obligation de sécurité.

En l’espèce, suite à la maladie professionnelle déclarée par M. I X le 16 avril 2007 consistant en un syndrome du canal carpien droit, et reconnue comme telle,

l’employeur a méconnu les préconisations du médecin du travail tendant à l’aménagement du poste du salarié. Se sentant physiquement diminué, M. X a souffert des moqueries et brimades de ses collègues de travail qui lui reprochaient une diminution de sa capacité de production. Il est entré en conflit avec M. K L (fils de M. W-AA L, responsable de la société Pierr’Dall), qui a pris la direction du site de production en 2007, son père s’occupant davantage de l’aspect commercial.

Le 25 octobre 2007, lors de la reprise du travail de M. X, M. K L l’a humilié publiquement en lui disant devant l’ensemble du personnel: 'si tu ne peux pas faire le rendement, tu rentres chez toi', ainsi que l’ont rapporté, lors de leurs auditions, Melle M N, responsable administrative, M. B et M. C, alors salariés de l’entreprise.

M. W-AA L a déclaré avoir eu connaissance de la mésentente entre M. X, d’une part, MM. A et Z, d’autre part, à compter du 25 octobre 2007. Il a indiqué à cet égard : 'Qu’il y ait un lien entre le boulot, je veux bien le croire et mon fils a fait une erreur en convoquant tout le monde dans la cour, mais son enfance a été marquée par une faillite qui nous est arrivée dans les années 80 et il est vif à la réplique. Et puis comment savoir avec ces portugais; ils sont durs, vous savez ! On descend, on est en colère et on engueule un tel alors qu’il aurait fallu engueuler l’autre. Il y a eu des jalousies entre eux et nous on sort 400 semis par mois; C’est vrai aussi que je l’ai empêché d’entrer dans l’usine le 26 octobre 2007. Moi, les gars quand ils font les cons, ils ne rentrent pas dans l’usine. Il s’est mis à pleurer et je l’ai accompagné au vestiaire et là j’ai vu les médicaments et j’ai compris qu’il n’était réellement pas bien et je me suis même excusé auprès de lui.'

K L a également reconnu avoir eu des problèmes de communication avec M..X, et a

reconnu que l’obligation de production a fait que M. X a beaucoup bougé de poste, mais que si la chaîne s’arrête, il faut bien qu’il fasse autre chose.

Il est donc établi que l’employeur avait conscience de la difficulté de M. X, atteint d’une maladie professionnelle du canal carpien droit, à tenir la cadence de production qui était la sienne avant cette maladie; il n’a cependant pas procédé à un véritable aménagement du poste du salarié et a multiplié à son encontre les brimades et reproches.

Il a persisté dans la même attitude après le 9 mars 2009, lors de la reprise par M. X de son travail dans le cadre d’un mi-temps thérapeutique après une hospitalisation dans un service psychiatrique.

Alors qu’il avait l’obligation légale de prévenir tout fait de harcèlement moral dont M. X était victime de la part ostensiblement de la part de deux salariés et de son propre fils, il ne l’a pas fait; il convient en outre de relever le caractère dénigrant des propos tenus par M. W-AA L lors de l’enquête sur 'ces portugais', qui font douter du caractère bienveillant de son management.

Dès lors, le manquement de l’employeur à son obligation de sécurité est avéré et ce manquement est la cause de la seconde maladie professionnelle ayant conduit au décès de M. I X.

Le jugement entrepris doit en conséquence être confirmé sur la faute inexcusable de la société Pierr’Dall, à l’origine de la dépression de M. X.

* Sur les conséquences de la faute inexcusable:

La victime d’un accident du travail ne peut pas poursuivre, devant les juridictions du contentieux général de la sécurité sociale, la réparation de son préjudice selon les règles du droit commun de la responsabilité contractuelle.

En effet, l’article L 451-1 du code de la sécurité sociale pose le principe selon lequel aucune action en réparation des accidents du travail ou des maladies professionnelles ne peut être exercée conformément au droit commun par la victime ou ses ayants droits ; en cas d’accident du travail ou de maladie professionnelle due à la faute inexcusable de l’employeur, l’article L 452-1 du même code ouvre droit au salarié-victime ou à ses ayants droit à une indemnisation complémentaire dans les conditions définies aux articles L 452-2 et L 452-3 du même code.

Le premier de ces textes prévoit une majoration du capital ou de la rente allouée, tandis que le second permet à la victime de demander à l’employeur la réparation du préjudice causé par les souffrances physiques et morales endurées, ainsi que celle de ses préjudices esthétiques et d’agrément, et celle du préjudice résultant de la perte ou de la diminution de ses possibilités de promotion professionnelle.

Par décision n° 2010-8 QPC du 18 juin 2010 rendue sur renvoi par la Cour de cassation d’une question prioritaire de constitutionnalité, le Conseil constitutionnel a été amené à se prononcer sur la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit des articles L 451-1 et L 452-1 à L 452-5 du code de la sécurité sociale.

Les dispositions de l’article L. 452-3 du code de la sécurité sociale, tel qu’interprété par le Conseil constitutionnel, ne font pas obstacle à ce que, lorsque la faute inexcusable de l’employeur est reconnue, indépendamment de la majoration de la rente servie à la victime de l’accident du travail, celle-ci puisse demander à l’employeur, devant la juridiction de sécurité sociale, non seulement des chefs de préjudice énumérés par le texte susvisé, mais aussi de l’ensemble des dommages non couverts par le livre IV du code de la sécurité sociale.

a) Sur la majoration de rente du conjoint survivant :

Selon l’article L. 452-2 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction applicable au litige, issue de la loi n° 89-474 du 10 juillet 1989, en cas d’accident (ou de maladie professionnelle) suivi de mort, le montant de la majoration est fixé sans que le total des rentes et des majorations servies à l’ensemble des ayants droit puisse dépasser le montant du salaire annuel.

Il convient dès lors de confirmer le jugement du tribunal des affaires de sécurité sociale du Lot en ce qu’il a ordonné la majoration maximale de la rente servie à l’épouse de M. X.

b) Sur les souffrances physiques et morales endurées par M. X

Le tribunal des affaires de sécurité sociale du Lot a écarté cette demande, au motif que Mme O X, qui a opté pour l’usufruit de la totalité des biens de la succession, était irrecevable à former cette demande.

Il résulte en l’espèce d’un certificat de notoriété établi le 8 janvier 2016 par Maître AB AC-AD, notaire à D, que les époux X étaient mariés sous le régime de la communauté légale et que le couple avait une fille unique.

Mme O X est bénéficiaire légale, à son choix exclusif, en vertu de l’article 757 du code civil, du quart en toute propriété de l’universalité des biens et droits immobiliers composant la succession ou de l’usufruit de l’universalité des biens et droits immobiliers composant la succession. Le fait qu’elle ait opté pour l’usufruit de l’universalité des biens et droits immobiliers composant la succession ne la prive pas de sa qualité d’héritière, de sorte qu’elle doit être déclarée recevable à solliciter l’indemnisation des souffrances physiques et morales endurées par son mari jusqu’à son décès.

En l’espèce, la maladie professionnelle de M. X, qui a conduit à son décès le 25 juin 2009, et dont la faute inexcusable de l’employeur est la cause, a débuté au mois d’octobre 2007, l’élément déclencheur étant l’altercation du 25 octobre 2007 au cours de laquelle M. K L a humilié publiquement le salarié. Elle a duré 21 mois, pendant lesquels M. X a subi deux hospitalisations en milieu psychiatrique, et a effectué deux tentatives de suicide, la seconde ayant abouti.

La profonde détresse de M. I X, âgé lors de son décès de 50 ans, et son sentiment dévalorisation de soi établissent l’existence d’un préjudice important, qui justifie que soit alloué une somme de 20 000 euros.

Par contre l’indemnité fixée qui a un caractère de créance successorale ne peut être versée qu’entre les mains du notaire chargé du règlement de la succession.

c) Sur le préjudice de mort imminente subi par M. X:

Cette demande, formée pour la première fois par Mme X devant la cour d’appel de Toulouse, n’est pas nouvelle, comme étant l’accessoire, la conséquence ou le complément des demandes portées devant les premiers juges, et tend à l’indemnisation de la souffrance morale que peut avoir une personne de l’imminence de sa propre mort, dans la période qui précède son décès.

Le préjudice d’angoisse de mort imminente est lié aux souffrances psychiques incluses dans les souffrances endurées et ne peut dès lors, être évalué séparément, sauf à indemniser deux fois le même préjudice.

Le préjudice d’angoisse de mort imminente de M. X étant compris dans l’indemnisation des

souffrances morales endurées, Mme J X sera déboutée de sa demande en ce sens.

d) Sur le préjudice moral de Mme J X:

Mme J X a été témoin des souffrances morales importantes de son mari et a du affronter seule le quotidien.

Elle verse aux débats des témoignages qui attestent de sa bonne entente avec son époux, avec lequel elle était mariée depuis près de vingt neuf ans. Le décès de son mari, alors qu’elle avait 53 ans, a entraîné une dépression réactionnelle, puis la perte de son emploi pour inaptitude.

La perte du conjoint, majorée du préjudice spécifique lié aux conséquences sur la santé due l’épouse d’un décès tragique, doit être réparée par une somme que la cour estime devoir fixer à 15 000 euros.

e) Sur le préjudice d’accompagnement de Mme X:

Ce préjudice est inclus dans le préjudice moral de la veuve, qui s’entend du préjudice moral et d’accompagnement, et il n’y a pas lieu de l’indemniser de manière séparée. Le jugement déféré sera infirmé sur ce point.

* Sur l’action récursoire de la caisse primaire d’assurance maladie du Lot:

Par application de l’article L. 452-3 dernier alinéa du code de la sécurité sociale, la réparation des préjudices présentement fixés sera versée directement à Mme J X par la caisse primaire d’assurance maladie qui en récupérera le montant auprès de la société Pierr’Dall.

Il serait en l’espèce inéquitable de laisser à la charge de Mme J X les frais exposés non compris dans les dépens; il y a lieu de faire droit, en cause d’appel, à sa demande formée au titre de l’article 700 du code de procédure civile à hauteur d’une somme de 2 500 euros.

Par suite de l’abrogation au 1er janvier 2019 des dispositions de l’article R. 144-10 du code de la sécurité sociale, la cour doit statuer sur les dépens en cause d’appel qui doivent être mis à la charge de la société appelante.

PAR CES MOTIFS:

La cour,

Vu l’arrêt de la cour d’appel d’Agen du 10 octobre 2017 et l’avis du CRRMP de Bordeaux, dans sa séance du 21 juin 2018,

Dit que la maladie psychique dont a souffert M. I X à compter du mois d’octobre 2007 et qui a entraîné son décès par autolyse est imputable au travail.

Confirme le jugement du tribunal des affaires de sécurité sociale du Lot du 16 juin 2016 en ce qu’il a :

* déclaré opposable à la société Pierr’Dall la reconnaissance faite par la caisse primaire d’assurance maladie du Lot de la maladie professionnelle de M. I X, qui a acquis un caractère définitif faute d’avoir été contestée dans les délais.

* jugé que la maladie professionnelle de I X, à savoir une dépression réactionnelle dont l’issue a été fatale, découle de la faute inexcusable de son employeur;

* ordonné la majoration principale de la rente servie à son épouse;

* condamné la société Pierr’Dall à payer à Mme J X une somme de 1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile;

* condamné la société Pierr’Dall à rembourser à la caisse primaire d’assurance maladie du Lot toutes les sommes dont elle aura fait l’avance au titre des articles L. 452-2 et L. 452-3 du code de la sécurité sociale.

L’infirme sur le principe et le quantum de l’indemnisation, et statuant à nouveau et y ajoutant:

Fixe comme suit le montant des préjudices résultant de la faute inexcusable de l’employeur :

* au titre des souffrances morales endurées par M. X durant sa maladie et jusqu’à son décès: 20 000 euros, cette somme devant être versée entre les mains du notaire chargé du règlement de la succession;

* au titre de son préjudice moral et d’accompagnement de Mme J X: 15 000 euros.

Déboute les parties du surplus de leurs demandes.

Condamne la société Pierr’Dall à payer à Mme J X, en cause d’appel, une somme de 2 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Condamne la société Pierr’Dall aux dépens.

Le présent arrêt a été signé par C. DECHAUX, conseillère faisant fonction de Président et D. BARO.

Le Greffier Le Président

D. BARO C. DECHAUX

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Cour d'appel de Toulouse, 4ème chambre section 3, 10 décembre 2019, n° 19/00489