CAA de NANTES, 4ème chambre, 17 décembre 2021, 21NT00417, Inédit au recueil Lebon

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Chronologie de l’affaire

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www.franklin-paris.com · 12 septembre 2023

Adoption de dérogations temporaires au code de la commande publique pour faciliter la reconstruction ou la réfection des équipements publics et des bâtiments endommagés lors des violences urbaines Ordonnance n° 2023-660 du 26 juillet 2023 portant diverses adaptations et dérogations temporaires en matière de commande publique nécessaires à l'accélération de la reconstruction et de la réfection des équipements publics et des bâtiments dégradés ou détruits au cours des violences urbaines survenues du 27 juin au 5 juillet 2023 Afin d'accélérer et de faciliter les opérations de …

 
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Sur la décision

Référence :
CAA Nantes, 4e ch., 17 déc. 2021, n° 21NT00417
Juridiction : Cour administrative d'appel de Nantes
Numéro : 21NT00417
Importance : Inédit au recueil Lebon
Type de recours : Plein contentieux
Décision précédente : Tribunal administratif de Rennes, 16 décembre 2020, N° 1702323
Dispositif : Satisfaction partielle
Identifiant Légifrance : CETATEXT000044515807

Sur les parties

Texte intégral

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Le Service Hydrographique et Océanographique de la Marine (SHOM) a demandé au tribunal administratif de Rennes de condamner la société Rousseau à lui verser une somme de 122 686,34 euros au titre des travaux de remplacement de groupes frigorifiques défectueux ainsi qu’une somme de 92 456,34 euros en remboursement de ses dépenses de location et d’installation de groupes de remplacement, avec intérêts au taux légal et capitalisation.

Par un jugement n° 1702323 du 17 décembre 2020, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés les 16 février 2021, 19 mars 2021 et 15 septembre 2021, le service hydrographique et océanographique de la marine, représenté par la SELARL Cabinet Coudray, demande à la cour :

1°) d’annuler ce jugement du 17 décembre 2020 du tribunal administratif de Rennes rejetant ses demandes indemnitaires présentées à l’encontre de la société Rousseau ;

2°) de condamner la société Rousseau à lui verser la somme de 122 686,34 euros au titre des travaux de remplacement de l’ouvrage défectueux ainsi qu’une somme de 92 456,34 euros en remboursement de ses dépenses de location et d’installation de groupes frigorifiques de remplacement, avec intérêts au taux légal à compter de l’enregistrement de la présente requête et capitalisation ;

3°) de mettre à la charge de la société Rousseau la somme de 3 500 euros en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

 – la responsabilité décennale est engagée dès lors que la centrale à eau glacée défectueuse du système de climatisation rend l’ouvrage impropre à sa destination puisque ses dysfonctionnements conduisent à une mise hors service de la climatisation des locaux informatique, imprimerie et façonnage ; les premières pannes ont justifié le recours à du matériel de location ; les groupes de production d’eau glacée, constitutifs de la centrale à eau glacée, constituent des éléments d’équipement de l’ouvrage et rendent celui-ci impropre à sa destination ;

 – la société Rousseau, entrepreneur titulaire du marché, est responsable des dommages identifiés alors que les groupes de production d’eau glacée sont défectueux et que les installations réceptionnées ne sont pas conformes aux exigences du CCTP ;

 – les préjudices indemnisables comprennent les frais de remplacement des deux groupes de production d’eau glacée pour 122 686,34 euros et les frais de location et d’installation de groupes de production supplémentaires pour 92 456,34 euros ;

 – l’absence de déclaration de créance par la société Rousseau, placée en redressement judiciaire par jugement du 11 juillet 2012, est sans incidence sur la compétence de la juridiction administrative pour se prononcer sur le présent litige ;

 – les groupes de production d’eau glacée ne peuvent se voir appliquer une prescription biennale alors que la garantie décennale trouve à s’appliquer en l’espèce eu égard à la nature des désordres ;

 – la prescription quinquennale ne s’applique pas dès lors que les groupes de production d’eau glacée ne sont pas des éléments destinés de manière exclusive à l’exercice d’une activité professionnelle au sens de l’article 1792-7 du code civil et qu’en tout état de cause ils sont un élément indispensable au fonctionnement de l’ouvrage.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 9 juin 2021, 10 juin 2021 et 16 septembre 2021, la société Rousseau, représentée par Me Hallouet, demande à la cour :

1°) de rejeter la requête du Service Hydrographique et Océanographique de la Marine ;

2°) subsidiairement, à être garantie solidairement de toute condamnation par les sociétés Airwell et BET Xavier Pichereau ;

3°) de mettre à la charge du Service Hydrographique et Océanographique de la Marine, ou de toute autre partie succombante, une somme de 3 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

 – les moyens soulevés par le Service Hydrographique et Océanographique de la Marine ne sont pas fondés ;

 – en tout état de cause, au regard des articles L. 622-21 et L. 622-24 du code de commerce, la créance dont se prévaut ce service est inopposable à la société Rousseau dès lors qu’elle a été placée en redressement judiciaire par un jugement du tribunal de commerce de Brest du 11 juillet 2012 et que la créance en litige n’a pas été déclarée ;

 – l’action du SHOM est forclose au regard de l’article 1792-3 du code civil dès lors que le groupe frigorifique est un élément d’équipement dissociable de l’ouvrage auquel s’applique la garantie biennale ;

 – l’action du SHOM est en tout état de cause prescrite après cinq ans s’agissant d’éléments d’équipement destinés de manière exclusive à l’exercice d’une activité professionnelle.

Par des mémoires enregistrés les 18 mai et 6 juillet 2021, la SELARL ML Conseils, ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Airwell France, représentée par Me Tabet, demande à la cour :

1°) de rejeter les demandes présentées par la société Rousseau à son encontre ;

2°) de mettre à la charge de la société Rousseau une somme de 6 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

 – eu égard au principe d’autorité de la chose jugée qui s’attache à l’accord transactionnel du 17 mai 2010 signé par les sociétés Airwell France et Rousseau, les conclusions présentées par cette dernière à son encontre sont irrecevables ;

 – en tout état de cause aucune condamnation ne peut être prononcée en l’absence de toute argumentation de la société Rousseau à son encontre et alors que la société Airwell France a été placée en liquidation judiciaire en 2014.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

 – le code civil ;

 – le code de commerce ;

 – le code de la défense ;

 – le code des marchés publics ;

 – le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

Ont été entendus au cours de l’audience publique :

 – le rapport de M. Rivas,

 – les conclusions de M. Pons, rapporteur public,

 – et les observations de Me Mocaer, représentant le Service Hydrographique et Océanographique de la Marine, et de Me Hallouet, représentant la société Rousseau.

Considérant ce qui suit :

1. Implanté à Brest, le Service Hydrographique et Océanographique de la Marine (SHOM), établissement public administratif placé sous la tutelle du ministère des Armées, est chargé de l’information géographique maritime et littorale et intervient en matière d’hydrographie nationale, de soutien opérationnel aux forces armées et de soutien aux politiques publiques de la mer et du littoral. En 2009, l’établissement a entrepris de procéder à la réfection de la centrale de production d’eau glacée de plusieurs de ses bâtiments. La maîtrise d’œuvre de l’opération a été confiée au bureau d’études techniques Frostin-Guillou qui, en cours de marché, a été remplacé par la société BET Xavier Pichereau. Par acte d’engagement notifié le 6 mai 2010, le SHOM a chargé la société Rousseau de procéder au remplacement d’une centrale à eau glacée et d’une centrale de traitement d’air ainsi qu’à la refonte de la ventilation d’un atelier de reprographie. Les travaux ont fait l’objet d’une réception sans réserve le 13 juillet 2011. Des dysfonctionnements ont cependant été constatés dès le 26 septembre 2011. L’ensemble de l’installation de climatisation, constituée de deux groupes de production de froid formant la centrale à eau glacée, étant hors service depuis le 21 septembre 2012, le SHOM a déclaré le sinistre auprès de la compagnie Allianz, assureur de la société Rousseau, le 1er octobre suivant. Plusieurs missions d’expertise amiables ont alors été diligentées. Le SHOM a ensuite demandé au tribunal administratif de Rennes de condamner la société Rousseau à lui verser une somme de 122 686,34 euros au titre des travaux de remplacement des groupes de production de froid défectueux ainsi qu’une somme de 92 456,34 euros en remboursement des dépenses qu’elle a dû exposer pour la location et l’installation de groupes de remplacement. La société Rousseau a demandé pour sa part de constater que la responsabilité du désordre affectant les groupes frigorifiques du SHOM devait être supportée solidairement par la société Airwell France, qui a fourni les dispositifs de climatisation, et par la société BET Xavier Pichereau. Par un jugement du 17 décembre 2020, dont le SHOM relève appel, le tribunal administratif de Rennes a rejeté tant la demande indemnitaire de cet établissement que les conclusions de la société Rousseau.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

En ce qui concerne la responsabilité décennale des constructeurs :

2. Il résulte des principes qui régissent la garantie décennale des constructeurs que des désordres apparus dans le délai d’épreuve de dix ans, de nature à compromettre la solidité de l’ouvrage ou à le rendre impropre à sa destination dans un délai prévisible, engagent leur responsabilité, même s’ils ne se sont pas révélés dans toute leur étendue avant l’expiration du délai de dix ans.

3. D’une part, la responsabilité décennale d’un constructeur peut être recherchée à raison des dommages qui résultent de travaux de réfection réalisés sur les éléments constitutifs d’un ouvrage, dès lors que ces dommages sont de nature à compromettre la solidité de l’ouvrage ou à le rendre impropre à sa destination. D’autre part, la responsabilité décennale peut également être recherchée pour des éléments d’équipement dissociables de l’ouvrage s’ils rendent celui-ci impropre à sa destination. Le constructeur dont la responsabilité est recherchée sur ce fondement ne peut en être exonéré, outre les cas de force majeure et de faute du maître d’ouvrage, que lorsque, eu égard aux missions qui lui étaient confiées, il n’apparaît pas que les désordres lui soient en quelque manière imputables.

4. Il résulte de l’instruction que le SHOM a chargé la société Rousseau, par acte d’engagement notifié le 6 mai 2010, de procéder au remplacement d’une centrale à eau glacée et d’une centrale de traitement d’air, destinées à assurer la climatisation de certains de ses locaux, ainsi qu’à la refonte de la ventilation d’un atelier de reprographie. L’opération a fait l’objet d’une réception sans réserve le 13 juillet 2011 pour sa tranche ferme incluant le remplacement des deux centrales. La nouvelle centrale à eau glacée, destinée à assurer la climatisation des locaux informatiques et de l’imprimerie, est constituée de deux groupes de production d’eau glacée destinés à fonctionner concomitamment, et l’un en substitution de l’autre dans l’hypothèse d’une défaillance de l’un des groupes. Or il résulte de l’instruction, notamment du rapport de synthèse technique rédigé le 17 mars 2014 par la société Cap Ingelec, que dès le 26 septembre 2011 le groupe de production de froid n° 2 a présenté des défaillances avant sa mise à l’arrêt complète le 29 mars 2012, l’ensemble de la production de froid reposant alors sur le groupe de production n° 1. Mais ce dernier a dû être également arrêté le 21 septembre 2012 en raison d’une grave avarie. La production de froid a alors été totalement assurée par un groupe de production de froid de secours loué par le SHOM à compter du 30 juillet 2012 afin de pallier l’arrêt du groupe n° 2 et prévenir toute interruption de la production de froid en cas de défaillance du groupe n° 1. Le SHOM établit par ailleurs, par des documents présentés pour la première fois en appel émanant du fournisseur de son matériel informatique, que ces groupes de production de froid étaient indispensables au bon fonctionnement de l’ouvrage constitué de ses locaux dès lors qu’ils assuraient la climatisation de ses locaux informatiques, où la température doit être maintenue entre 18 et 20° sauf à risquer une usure prématurée des matériels et des interruptions intempestives et potentiellement complexes à gérer des équipements informatiques. Or ces outils sont seuls susceptibles de permettre le maintien de l’activité nécessairement continue, en matière de sécurité maritime, pour partie assurée au bénéfice du ministère des armées, par le SHOM. Il s’ensuit que les désordres nés des arrêts des groupes de production de froid installés par la société Rousseau, même dissociables, étaient de nature à rendre l’ouvrage impropre à sa destination et par suite de nature à engager la responsabilité décennale des constructeurs.

5. Il résulte de ce qui précède que le SHOM est fondé à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, sa demande indemnitaire a été rejetée au motif que les désordres cités n’étaient pas de nature à engager la responsabilité décennale des constructeurs. Il y a lieu de statuer, par l’effet dévolutif de l’appel, sur la demande d’indemnisation du SHOM présentée devant le tribunal administratif de Rennes et devant la cour.

En ce qui concerne la compétence de la juridiction administrative :

6. Aux termes de l’article L. 620-1 du code de commerce : « Il est institué une procédure de sauvegarde ouverte sur demande d’un débiteur mentionné à l’article L. 620-2 qui, sans être en cessation des paiements, justifie de difficultés qu’il n’est pas en mesure de surmonter. Cette procédure est destinée à faciliter la réorganisation de l’entreprise afin de permettre la poursuite de l’activité économique, le maintien de l’emploi et l’apurement du passif. (…) ». Aux termes de l’article L. 622-20 de ce code : « Le mandataire judiciaire désigné par le tribunal a seul qualité pour agir au nom et dans l’intérêt collectif des créanciers. Toutefois, en cas de carence du mandataire judiciaire, tout créancier nommé contrôleur peut agir dans cet intérêt dans des conditions fixées par décret en Conseil d’Etat. (…) ». En vertu de l’article L. 622-21 de ce code : « I.- Le jugement d’ouverture interrompt ou interdit toute action en justice de la part de tous les créanciers dont la créance n’est pas mentionnée au I de l’article L. 622-17 et tendant : 1° A la condamnation du débiteur au paiement d’une somme d’argent (…). ». Aux termes de l’article L. 622-22 du même code : « Sous réserve des dispositions de l’article L. 625-3, les instances en cours sont interrompues jusqu’à ce que le créancier poursuivant ait procédé à la déclaration de sa créance. Elles sont alors reprises de plein droit, le mandataire judiciaire et, le cas échéant, l’administrateur ou le commissaire à l’exécution du plan nommé en application de l’article L. 626-25 dûment appelés, mais tendent uniquement à la constatation des créances et à la fixation de leur montant. ». L’article L. 622-24 dudit code dispose que : « A partir de la publication du jugement, tous les créanciers dont la créance est née antérieurement au jugement d’ouverture, à l’exception des salariés, adressent la déclaration de leurs créances au mandataire judiciaire dans des délais fixés par décret en Conseil d’Etat (…). ». Aux termes de l’article L. 624-1 de ce code : « Dans le délai fixé par le tribunal, le mandataire judiciaire établit, après avoir sollicité les observations du débiteur, la liste des créances déclarées avec ses propositions d’admission, de rejet ou de renvoi devant la juridiction compétente. Il transmet cette liste au juge-commissaire. (…) ». Aux termes de l’article L. 624-2 de ce code : « Au vu des propositions du mandataire judiciaire, le juge-commissaire, si la demande d’admission est recevable, décide de l’admission ou du rejet des créances ou constate soit qu’une instance est en cours, soit que la contestation ne relève pas de sa compétence. En l’absence de contestation sérieuse, le juge-commissaire a également compétence, dans les limites de la compétence matérielle de la juridiction qui l’a désigné, pour statuer sur tout moyen opposé à la demande d’admission. ».

7. Il résulte de ces dispositions qu’il appartient de façon exclusive à l’autorité judiciaire de statuer sur l’admission ou la non-admission des créances déclarées. La circonstance que la collectivité publique dont l’action devant le juge administratif tend à faire reconnaître et évaluer ses droits à la suite des désordres constatés dans un ouvrage construit pour elle par une entreprise admise ultérieurement à la procédure de redressement, puis de liquidation judiciaire, n’aurait pas déclaré sa créance éventuelle ou n’aurait pas demandé à être relevée de la forclusion est sans influence sur la compétence du juge administratif pour se prononcer sur ces conclusions, qu’elles tendent à la condamnation définitive de l’entreprise ou à l’octroi d’une provision, dès lors qu’elles ne sont elles-mêmes entachées d’aucune irrecevabilité au regard des dispositions dont l’appréciation relève de la juridiction administrative et ce, sans préjudice des suites que la procédure judiciaire est susceptible d’avoir sur l’extinction de cette créance. Ainsi, si les dispositions législatives précitées réservent à l’autorité judiciaire la détermination des modalités de règlement des créances sur les entreprises en état de redressement, puis de liquidation judiciaire, il appartient au juge administratif d’examiner si la collectivité publique a droit à réparation et de fixer le montant des indemnités qui lui sont dues à ce titre par l’entreprise défaillante ou son liquidateur, soit à titre définitif, soit à titre provisionnel, sans préjudice des suites que la procédure judiciaire est susceptible d’avoir sur le recouvrement de cette créance. Il s’ensuit que la société Rousseau n’est pas fondée à soutenir que son placement en redressement judiciaire fait obstacle à ce qu’une condamnation indemnitaire soit prononcée à son encontre.

En ce qui concerne les exceptions d’irrecevabilité et de prescription opposées par la société Rousseau :

8. En premier lieu, la société Rousseau soutient que les deux groupes de production de froid en litige s’analysent comme des équipements dissociables du bâti auxquels, en vertu de l’article 1792-3 du code civil, s’applique une garantie de bon fonctionnement limitée à deux ans. Toutefois, pour les motifs exposés au point 4 du présent arrêt, les désordres affectant ces groupes de production de froid entrent dans le champ de la garantie décennale. Par suite, le moyen soulevé par la société Rousseau tiré de ce que la demande du SHOM serait tardive au regard des règles régissant la garantie de bon fonctionnement ne peut qu’être écarté.

9. En deuxième lieu, aux termes de l’article 1792-7 du code civil : « Ne sont pas considérés comme des éléments d’équipement d’un ouvrage au sens des articles 1792, 1792-2, 1792-3 et 1792-4 les éléments d’équipement, y compris leurs accessoires, dont la fonction exclusive est de permettre l’exercice d’une activité professionnelle dans l’ouvrage. » et aux termes de l’article 2224 du même code : « Les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer. ».

10. La société Rousseau soutient que l’action du SHOM était prescrite en application de l’article 2224 du code civil dès lors que les groupes de production de froid objets du marché avaient pour seule fonction de permettre l’exercice de l’activité professionnelle du SHOM dans ses locaux, auxquels ne s’appliquaient pas les principes qui régissent la garantie décennale des constructeurs. Cependant, pour les motifs exposés au point 4 du présent arrêt les désordres affectant ces groupes de production de froid, mêmes dissociables de l’ouvrage constitué des locaux du SHOM, entrent dans le champ de la garantie décennale dès lors qu’ils rendent l’immeuble abritant cet établissement impropre à sa destination. Ainsi, les deux groupes de production de froid n’ont pas pour fonction exclusive de permettre l’exercice d’une activité professionnelle particulière dans l’ouvrage, au sens de l’article 1792-7 du code civil, mais sont nécessaires afin de rendre l’ouvrage dans son ensemble conforme à la destination qui lui a été donnée. Par voie de conséquence, l’exception de prescription soulevée ne peut qu’être écartée.

En ce qui concerne l’imputabilité et la réparation des désordres :

S’agissant de l’imputabilité des désordres :

11. Il est constant, d’une part, que le marché confié par le SHOM à la société Rousseau portait notamment sur le remplacement de la centrale d’eau glacée destinée à permettre en particulier la climatisation des locaux informatiques du service et, d’autre part, que les pannes affectant les groupes de production de froid ont été à l’origine des désordres affectant la climatisation des locaux du SHOM. Par suite, alors même que son action ne révélerait aucune faute de sa part, la responsabilité de la société Rousseau, prise en sa qualité de constructeur, est engagée.

S’agissant de l’indemnisation des désordres :

12. Le SHOM demande à être indemnisé pour un total de 215 142,68 euros, d’une part, des divers frais qu’il a exposés afin de procéder à l’enlèvement des deux groupes de production de froid défectueux puis au choix et à l’installation de deux nouveaux groupes similaires, d’autre part, des frais qu’il a exposés, de juillet 2012 à décembre 2014, pour la location de groupes de productions de froid de remplacement. Le quantum de ces demandes, qui n’est pas contesté en défense, est justifié pour l’essentiel par diverses factures. Cependant, en premier lieu, aucune facture n’est produite au titre des frais d'« évacuation des deux groupes (estimation expert Brexco) », dont l’indemnisation est demandé pour 4 680 euros, et alors qu’il est également indiqué une somme de 2 400 euros pour des frais à l’objet identique de « mise en cocon » des groupes défectueux. En deuxième lieu, il est demandé 495,89 euros au titre d’un constat d’huissier effectué lors de l’enlèvement, le 15 octobre 2014, des groupes de production devenus hors-service. Or la facture d’huissier produite au dossier portant sur un constat effectué à une date différente, il ne peut être fait droit à cette demande. En troisième lieu, le SHOM demande à être indemnisé pour un total de 7 750 euros de divers frais de personnel qu’il a exposés afin de faire face aux dysfonctionnements des groupes de production de froid installés par la société Rousseau. Cependant, dès lors qu’il ne résulte pas de l’instruction que ces frais auraient nécessité le recours à des personnes n’appartenant pas à ses effectifs et qu’ils outrepasseraient les charges qui résultent de l’exercice courant de son activité, ils ne peuvent être regardés comme résultant spécifiquement et directement des désordres occasionnés du fait des groupes de production de froid défectueux. Enfin, les indemnisations demandées au titre de « frais de gestion » pour 100 euros et de « frais de publicité passation de marché » pour 1 000 euros ne sont pas assorties de justificatifs et ne peuvent dès lors être prises en compte. En conséquence, le montant de l’indemnité à laquelle le SHOM peut prétendre au titre de ces désordres doit être fixé à 201 116,79 euros.

S’agissant des intérêts et de leur capitalisation :

13. Le SHOM a droit, ainsi qu’il le demande, à ce que la somme mentionnée au point précédent du présent arrêt porte intérêts au taux légal à compter du 16 février 2021, date de l’enregistrement de sa requête. En revanche, dès lors que ces intérêts ne seront pas dus pour au moins une année entière à la date du prononcé du présent arrêt, il ne peut être fait droit à la demande de capitalisation de ces intérêts.

14. Il résulte de tout ce qui précède que le SHOM est fondé à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande.

Sur les conclusions d’appel provoqué de la société Rousseau :

15. Si la société Rousseau demande à être garantie de toute condamnation par les sociétés Airwell France et BET Xavier Pichereau elle n’assortit ses conclusions d’aucun moyen. Par suite, celles-ci ne peuvent qu’être rejetées.

Sur les frais d’instance :

16. Les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à l’octroi d’une somme au titre des frais exposés et non compris dans les dépens à la partie perdante. Il y a lieu, dès lors, de rejeter les conclusions présentées à ce titre par la société Rousseau. Il n’y a pas lieu par ailleurs, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de cette dernière société les sommes demandée par le SHOM et la SELARL ML Conseils, ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Airwell France.

D E C I D E :


Article 1er : Le jugement n° 1702323 du tribunal administratif de Rennes du 17 décembre 2020 est annulé.

Article 2 : La société Rousseau est condamnée à verser au service hydrographique et océanographique de la marine la somme de 201 116,79 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 16 février 2021.

Article 3 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.


Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au service hydrographique et océanographique de la marine, à la société Rousseau, à la société Airwell France, à la société BET Xavier Pichereau et à la SELARL ML Conseils, ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Airwell France.


Délibéré après l’audience du 30 novembre 2021, à laquelle siégeaient :

— M. Lainé, président de chambre,

 – M. Rivas, président assesseur,

 – Mme Béria-Guillaumie, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 17 décembre 2021.

Le rapporteur,

C. Rivas


Le président,

L. Lainé

La greffière,

V. Desbouillons

La République mande et ordonne au préfet du Finistère en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution de la présente décision.

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N° 21NT00417

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