CEDH, ASSOCIATION BURESTOP 55 c. FRANCE et 5 autres affaires, 18 novembre 2019, 56176/18 et autres

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Chronologie de l’affaire

Commentaires3

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CEDH · 18 novembre 2019

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www.dbfbruxelles.eu

Le rejet de la demande d'indemnisation introduite par des associations de protection de l'environnement sur la base du préjudice subi en raison de manquements à l'obligation d'information du public prévue par le droit national a entraîné la violation de l'article 6 §1 de la Convention (1er juillet) Arrêt Association Burestop e.a. c. France, requête n°56176/18 et 5 autres La Cour EDH note que les juridictions nationales ont conclu à l'irrecevabilité de l'action alors même que l'association était agréée en vertu de l'article L. 141-1 du code de l'environnement ce qui lui conférait un …

 

CEDH

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Sur la décision

Référence :
CEDH, 18 nov. 2019, n° 56176/18 et autres
Numéro(s) : 56176/18, 56232/18, 56236/18, 56241/18, 56247/18
Type de document : Affaire communiquée
Niveau d’importance : Importance faible
Opinion(s) séparée(s) : Non
Conclusion : Affaire communiquée
Identifiant HUDOC : 001-199350
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Texte intégral

Communiquée le 18 novembre 2019

CINQUIÈME SECTION

BURESTOP 55 c. France (no 56176/18)
ASODEDRA c. France (no 56189/18)
MIRABEL-LNE c. France (no 56232/18)
Fédération Réseau Sortir du Nucléaire c. France (no 56236/18)
Les Habitants vigilants du canton de Gondrecourt c. France (no 56241/18)

CEDRA 52 c. France (no 56247/18)
 

Requêtes introduites le 22 novembre 2018

EXPOSÉ DES FAITS

Les requérantes sont des associations de droit français : Burestop 55, dont le siège statutaire est à Bar-le-Duc (requête no 56176/18) ; l’association pour la sensibilisation de l’opinion sur les dangers de l’enfouissement des déchets radioactifs (« ASODEDRA »), dont le siège est à Grand (requête no 56189/18) ; le mouvement interrassociatif pour les besoins de l’environnement en Lorraine – Lorraine nature environnement (« MIRABEL-LNE »), dont le siège est à Bar-le-Duc (requête no 56232/18) ; la fédération réseau sortir du nucléaire, dont le siège est à Lyon (requête no 56236/18) ; l’association les habitants vigilants du canton de Gondrecourt, dont le siège est à Gondrecourt-le-Château (requête no 56241/18) ; le collectif contre l’enfouissement des déchets radioactifs en Haute-Marne 52 (« CEDRA 52 »), dont le siège est à Chaumont Brottes (requête no 56247/18). Elles sont représentées devant la Cour par Me G. Hannotin, avocat exerçant à Paris.

  1. Les circonstances de l’espèce

Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les requérantes, peuvent se résumer comme suit.

  1. Le contexte de l’affaire

Les requérantes sont des associations de protection de l’environnement qui s’opposent en particulier au projet de centre industriel de stockage géologique (« Cigéo »). Destiné à stocker en couche géologique profonde les déchets radioactifs de haute activité et à vie longue, produits par l’ensemble des installations nucléaires françaises et par le traitement des combustibles utilisés dans les centrales nucléaires, le Cigéo devrait être implanté aux confins des communes de Ribeaucourt, Bure, Mandres-en Barrois et Bonnet, à la limite des départements de la Meuse et de la Haute-Marne (ci-après, le « site de Bure »).

Les requérantes exposent que la gestion à long terme de ces déchets, particulièrement dangereux et dotés d’une exceptionnelle longévité, a été confiée à l’agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (« ANDRA »), un établissement public à caractère industriel et commercial placé sous la tutelle des ministères chargés de l’énergie, de la recherche et de l’environnement. L’article L. 542-12 7o du code de l’environnement précise que L’ANDRA est chargée « de mettre à la disposition du public des informations relatives à la gestion des déchets radioactifs et de participer à la diffusion de la culture scientifique et technologique dans ce domaine ».

En 1993, l’ANDRA a identifié le site de Bure pour l’implantation du Cigéo. En 1998, le gouvernement l’a autorisée à mettre en place à Bure un laboratoire destiné aux recherches sur le stockage des déchets radioactifs en couche géologique profonde.

Les requérantes exposent que le guide de sûreté relatif au stockage définitif des déchets radioactifs en formation géologique profonde de l’autorité de sûreté nucléaire (« ASN »), une autorité administrative indépendante chargée du contrôle de la sûreté nucléaire, de la radioprotection et de l’information des citoyens des risques liés aux activités nucléaires, précise notamment, dans le cadre de la définition de l’ « objectif fondamental », que « le milieu géologique est choisi et l’installation de stockage est conçue de telle sorte que sa sûreté après fermeture soit assurée de façon passive afin de protéger les personnes et l’environnement des substances radioactives et des toxiques chimiques contenus dans les déchets radioactifs, sans qu’il soit nécessaire d’intervenir (point 4.1). Elles ajoutent que le guide de sûreté précise que, la mémoire des enfouissements de déchets pouvant être évaluée à cinq-cents ans, il faut prendre en compte le risque d’intrusion humaine involontaire, de sorte notamment que « les sites retenus ne devront pas présenter d’intérêt particulier [du point de vue de la géothermie et du stockage de chaleur] » (Annexe A2-2.2.1), de tels sites étant susceptibles de faire l’objet de forages à visée géothermique.

  1. Le rapport de l’ANDRA, du 21 juillet 2009

À la suite d’un rapport d’un ingénieur géophysicien de décembre 2002 selon lequel le site de Bure se situe au-dessus d’une ressource géothermique « non-négligeable », l’aquifère de Trias, les requérantes adressèrent plusieurs demandes au comité local d’information et de suivi du laboratoire de Bure (« CLIS ») tendant à ce qu’un forage expérimental soit effectué.

L’ANDRA réalisa ce forage en 2008, selon des modalités que critiquent les requérantes. Elles indiquent à cet égard que la société chargée du forage a utilisé une pompe à faible débit maximal, que ce débit a encore été bridé du fait de l’obstruction massive de l’appareillage par de la boue polymère, et que des dysfonctionnements ont résulté de la chute de débris d’argile dans le forage, due au fait que l’ANDRA avait imposé que 90 mètres de roche argileuse friable soient laissés à nu juste au-dessus des mesures.

Dans un rapport de synthèse de cette étude géothermique (« synthèse du programme de reconnaissance de la zone de transposition 2007-2008 ») daté du 21 juillet 2009, l’ANDRA, se basant sur les résultats du forage, indiqua que « la ressource géothermique à l’échelle de la zone de transposition [était] faible », indiquant ainsi qu’il n’y avait pas de risque de forage intempestif après la disparition de la mémoire des enfouissements. Le rapport fut publié en octobre 2009 dans le cadre de la mission légale d’information de l’ANDRA.

Par une lettre du 17 décembre 2012, les requérantes demandèrent à l’ANDRA de reconnaître qu’elle avait commis une faute en diffusant des informations scientifiques et technologiques erronées et insincères.

L’ANDRA répondit le 18 janvier 2013 que, si l’annexe du guide de sûreté indiquait au point A2-2.2.1 que « les sites retenus ne devaient pas « présenter d’intérêt particulier [du point de vue de la géothermie et du stockage de chaleur] », le point 5.3 du guide retenait comme « critère technique de choix » que le site d’enfouissement devait « être choisi de façon à éviter des zones pouvant présenter un intérêt exceptionnel en termes de ressources souterraines », en conséquence de quoi ses études de synthèse s’étaient attachées à rechercher s’il existait ou non une « ressource géothermique exceptionnelle, la notion d’intérêt particulier n’étant pas définie par le guide comme un critère de sélection du site ». Elle ajouta que, se fondant sur des « résultats fiables », elle estimait qu’il n’y avait « pas de ressources thermiques présentant un intérêt exceptionnel ».

Selon les requérantes, l’ANDRA a ainsi substitué la condition de l’absence d’« intérêt [géothermique] particulier » du site, à celle de l’absence d’ « intérêt exceptionnel », moins restrictive.

  1. Le jugement du tribunal de grande instance de Nanterre du 16 mars 2015

Le 14 mai 2013, les requérantes assignèrent l’ANDRA devant le tribunal de grande instance de Nanterre en vue de l’indemnisation du préjudice résultant de son exécution fautive de la mission d’information du public mise à sa charge par l’article L. 542-12 7o du code de l’environnement. Elles soulignaient à cet égard que la conclusion de l’ANDRA sur le potentiel géothermique du site était erronée et reposait sur une appréciation délibérément partiale des données existantes. Selon elles, l’ANDRA s’était rendue responsable de trois manquements à son obligation d’information : 1o en présentant de manière erronée les exigences d’appréciation du risque de forage géothermique, le cantonnant à l’hypothèse de la présence de ressources « exceptionnelles » plutôt que « particulières » ; 2o en donnant une évaluation inexacte et fluctuante de la ressource géothermique à l’aplomb du site de Bure, la décrivant tantôt comme « faible » puis comme « banale », pour concéder que le qualificatif initialement choisi « port[ait] en effet à la confusion » ; 3o en donnant une information fausse quant aux conséquences d’une perforation, par un forage, d’une poche de déchets nucléaires, allant même jusqu’à varier quant au point de savoir si l’ANDRA avait, on non, réalisé une étude sur ce sujet, et quand à l’objet exact de l’étude.

Les requérantes indiquent que, dans le sens de leur thèse, le rapport d’un cabinet d’expert en géothermie du 4 novembre 2013 (qu’elles ont produit devant le juge interne), commandé par le CLIS, indique que « les ressources géothermiques au Trias dans la région de Bure peuvent être exploitées de manière économique ». Elles ajoutent que la même année, dans le cadre d’un débat public sur le Cigéo, l’Institut de Radioprotection et Sûreté Nucléaire (« IRSN ») a reconnu que le potentiel géothermique de Bure pouvait « conduire dans le futur à la réalisation de forages venant traverser l’installation » et que, le 13 février 2014, l’ANDRA a indiqué que, « par précaution, [elle] avait tout de même  envisagé que l’on puisse exploiter le sous-sol au niveau du stockage et qu’une intrusion puisse avoir lieu », et que « les analyses [avaient] montré que, même dans ce cas, le stockage conservait de bonnes capacités de confinement ».

Le 16 mars 2015, le tribunal de grande instance de Nanterre déclara les requérantes irrecevables en leurs demandes. Il considéra à cet égard que leur action ne visait pas une rétention d’informations imputable à l’ANDRA mais les conditions d’exécution techniques de l’étude qu’elle avait effectuée et les analyses et conclusions auxquelles elle était parvenue au vu de celle-ci. Selon lui, seules les autorités publiques commanditaires ou destinataires de cette étude avaient qualité pour engager la responsabilité de l’ANDRA pour cause d’exécution fautive de sa mission de concevoir des centres de stockage de déchets radioactifs et d’effectuer à cette fin toutes les études nécessaires ; par ailleurs, il n’entrait pas dans l’objet social des requérantes d’engager une telle responsabilité de l’ANDRA, et les requérantes ne pouvaient agir en réparation d’un préjudice moral en l’absence de jugement condamnant l’ANDRA pour une infraction au droit de l’environnement et reconnaissant sa responsabilité pour faute. Le tribunal en déduisit que les requérantes n’avaient pas démontré avoir un intérêt né et actuel à agir en dommages et intérêts à l’encontre de l’ANDRA.

  1. L’arrêt de la cour d’appel de Versailles du 23 mars 2017

Saisie par les requérantes, la cour d’appel de Versailles, par un arrêt du 23 mars 2017, confirma le jugement du 16 mars 2015 pour autant qu’il déclarait l’action de l’association MIRABEL-LNE irrecevable. Elle infirma en revanche le jugement en ce qu’il déclarait irrecevable l’action des cinq autres associations.

Sur la recevabilité, après avoir souligné qu’une association pouvait agir en justice au nom d’intérêts collectifs dès lors que ceux-ci entraient dans son objet, la cour d’appel constata que l’objet statutaire des requérantes visait la lutte contre les risques nucléaires pour la santé et l’environnement ou l’information du public sur les dangers de l’enfouissement des déchets radioactifs, à l’exception de celui de l’association MIRABEL-LNE, qui renvoyait en termes plus généraux à la protection de l’environnement.

La cour d’appel débouta cependant au fond les cinq associations recevables. L’arrêt est à cet égard ainsi rédigé :

« La mise en œuvre de la responsabilité de l’ANDRA exige que soient établis une faute de sa part, un dommage, personnellement subi par les appelants, et un lien de causalité entre les deux.

Or l’examen attentif de l’argumentation des associations ne permet pas de caractériser contre l’ANDRA la moindre faute. En effet celle-ci rappelle à juste titre que ses travaux ont été validés par tous ses partenaires, et oppose aux griefs articulés par les associations des réponses précises, en sorte que les manquements à son obligation de délivrer une information exacte et les inexactitudes alléguées n’ont pas été établis avec une certitude suffisante. En outre, l’existence d’une divergence d’appréciation sur les éléments techniques discutés, et notamment sur une question aussi incertaine que l’éventualité d’une exploitation géothermique dans le futur, ne suffit pas en elle-même à faire la preuve que l’ANDRA aurait fait preuve d’incompétence, de négligence, ou de partialité dans l’opinion qu’elle a exprimée tant dans le rapport critiqué que dans ses écrits subséquents. Enfin, l’importance des questions environnementales soulevées par la création du Cigéo appelle un débat public, et l’on ne saurait concevoir que la seule expression, après études approfondies, de conclusions favorables à cette opération soit en elle-même fautive.

Dès lors, sans qu’il soit besoin d’examiner l’existence d’un dommage personnellement subi par les associations, et d’un lien de causalité, les [cinq] association [recevables] seront déboutées de leurs demandes indemnitaires. »

  1. L’arrêt de la Cour de cassation du 24 mai 2018

Les requérantes se pourvurent en cassation. Dans un premier moyen, elles soutenaient notamment qu’en déclarant irrecevable l’action de l’association MIRABEL-LNE, la cour d’appel avait violé l’article 31 du code civil, qui pose le principe selon lequel ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d’une prétention ont le droit d’agir en justice. Elles ajoutaient que l’association MIRABEL-LNE était une « association agréée pour la protection de l’environnement », au sens de l’article L. 141-1 du code de l’environnement, et que les associations de ce type sont toujours recevables à agir, dans les limites de leur agrément, pour la défense de l’environnement. Dans un second moyen, elles dénonçaient en particulier une violation de l’article L. 542-12 du code de l’environnement en ce qu’il pose l’obligation d’information de l’ANDRA.

La Cour de cassation rejeta le pourvoi par un arrêt du 24 mai 2018 ainsi motivé :

« (...) Sur le premier moyen (...) :

(...) attendu, d’une part, que, l’association Mouvement interassociatif pour les besoins de l’environnement en Lorraine - Lorraine nature environnement n’ayant pas soutenu, dans ses conclusions, qu’elle était recevable à agir en sa qualité d’association agréée, le moyen est nouveau, mélangé de fait et de droit ;

Attendu, d’autre part, qu’ayant constaté que l’action des associations avait pour objet d’engager la responsabilité de l’ANDRA pour avoir diffusé des informations inexactes sur les ressources géothermiques du site de Bure susceptibles de créer un risque d’intrusion accidentelle et relevé, sans dénaturation, que l’association Mouvement interassociatif pour les besoins de l’environnement en Lorraine – Lorraine nature environnement avait, selon ses statuts, un objet général de protection de l’environnement, la cour d’appel en a souverainement déduit qu’elle ne pouvait se prévaloir d’un intérêt à agir et que sa demande était irrecevable ;

D’où il suit que le moyen, pour partie irrecevable, n’est pas fondé pour le surplus ;

(...) Sur le second moyen (...) :

(...) attendu qu’ayant relevé que les travaux de l’ANDRA avaient été validés par tous ses partenaires, que les manquements à son obligation de délivrer une information exacte et les inexactitudes alléguées n’étaient pas établis avec une certitude suffisante et que l’existence d’une divergence d’appréciation sur les éléments techniques et l’éventualité d’une exploitation géothermique dans le futur ne suffisait pas à démontrer qu’elle aurait fait preuve d’incompétence, de négligence ou de partialité, la cour d’appel, qui n’a pas inversé la charge de la preuve et qui n’était pas tenue de suivre les parties dans le détail de leur argumentation, a pu, par ces seuls motifs, en déduire qu’aucune faute de l’ANDRA n’était caractérisée et a légalement justifié sa décision (...) »

  1. Le droit et la pratique internes pertinents

À l’époque des faits de la cause, l’article L. 542-12 du code de l’environnement était ainsi libellé (version issue de la loi no 2006-739 du 28 juin 2006) :

« L’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs, établissement public industriel et commercial, est chargée des opérations de gestion à long terme des déchets radioactifs, et notamment :

1o D’établir, de mettre à jour tous les trois ans et de publier l’inventaire des matières et déchets radioactifs présents en France ainsi que leur localisation sur le territoire national, les déchets visés à l’article L. 542-2-1 étant listés par pays ;

2o De réaliser ou faire réaliser, conformément au plan national prévu à l’article L. 542-1-2, des recherches et études sur l’entreposage et le stockage en couche géologique profonde et d’assurer leur coordination ;

3o De contribuer, dans les conditions définies à l’avant-dernier alinéa du présent article, à l’évaluation des coûts afférents à la mise en œuvre des solutions de gestion à long terme des déchets radioactifs de haute et de moyenne activité à vie longue, selon leur nature ;

4o De prévoir, dans le respect des règles de sûreté nucléaire, les spécifications pour le stockage des déchets radioactifs et de donner aux autorités administratives compétentes un avis sur les spécifications pour le conditionnement des déchets ;

5o De concevoir, d’implanter, de réaliser et d’assurer la gestion de centres d’entreposage ou des centres de stockage de déchets radioactifs compte tenu des perspectives à long terme de production et de gestion de ces déchets ainsi que d’effectuer à ces fins toutes les études nécessaires ;

6o D’assurer la collecte, le transport et la prise en charge de déchets radioactifs et la remise en état de sites de pollution radioactive sur demande et aux frais de leurs responsables ou sur réquisition publique lorsque les responsables de ces déchets ou de ces sites sont défaillants ;

7o De mettre à la disposition du public des informations relatives à la gestion des déchets radioactifs et de participer à la diffusion de la culture scientifique et technologique dans ce domaine ;

8o De diffuser à l’étranger son savoir-faire.

(...)

L’agence peut conduire, avec toute personne intéressée, des actions communes d’information du public et de diffusion de la culture scientifique et technologique. »

  1. Le guide de sûreté relatif au stockage définitif des déchets radioactifs en formation géologique profonde

Établi par l’autorité de sûreté nucléaire, le guide de sûreté relatif au stockage définitif des déchets radioactifs en formation géologique profonde précise notamment ce qui suit :

« (...) 4. Objectif fondamental

4.1. Objectif

La protection de la santé des personnes et de l’environnement constitue l’objectif fondamental de sûreté assigné au stockage des déchets radioactifs en formation géologique profonde. Elle doit être assurée envers les risques liés à la dissémination de substances radioactives et de toxiques chimiques.

Après la fermeture de l’installation de stockage, la protection de la santé des personnes et de l’environnement ne doit pas dépendre d’une surveillance et d’un contrôle institutionnel qui ne peuvent pas être maintenus de façon certaine au-delà d’une période limitée.

En conséquence, le milieu géologique est choisi et l’installation de stockage est conçue de telle sorte que sa sûreté après fermeture soit assurée de façon passive afin de protéger les personnes et l’environnement des substances radioactives et des toxiques chimiques contenus dans les déchets radioactifs, sans qu’il soit nécessaire d’intervenir.

A cet égard, le concept retenu pour le stockage devra permettre de maintenir l’impact radiologique au niveau le plus faible qu’il est raisonnablement possible d’atteindre, compte tenu de la connaissance scientifique acquise, de l’état des techniques et des facteurs économiques et sociaux.

Les caractéristiques du site retenu, l’implantation de l’installation de stockage, la conception des composants artificiels (colis, composants ouvragés) et la qualité de leur réalisation constituent le fondement de la sûreté du stockage. Il convient donc de s’assurer de leur adéquation à l’objectif fondamental. Dans ce cadre, des évaluations de l’impact radiologique et chimique seront effectuées pour vérifier que l’objectif est bien atteint. (...)

5. Bases de conception liées à la sûreté (...)

5.3 (...) Les critères essentiels de choix d’un site sont les suivants :

- Stabilité (...)

- Hydrogéologie (...)

- Respect d’une profondeur minimale (...)

- Absence de stérilisation de ressources souterraines extractibles

Le site devra être choisi de façon à éviter des zones pouvant présenter un intérêt exceptionnel en termes de ressources souterraines. (...)

ANNEXE 2

SELECTION DE SITUATION A ETUDIER DANS LE CADRE DE L’ANALYSE DE SURETE

(...)

A2-2. SITUATIONS DITES ALTEREES

Les événements à considérer seront répartis en deux catégories, les événements naturels et ceux liés à l’activité humaine. (...)

A2-2.2. Situations altérées liées à l’activité humaine

A2-2.2.1. Intrusion humaine

Pour ce type de situation, il faut fixer une date avant laquelle aucune intrusion humaine involontaire ne peut se produire en raison du maintien de la mémoire de l’existence du stockage. Cette mémoire dépend de la pérennité des mesures qui peuvent être mises en œuvre lors de l’archivage, des documents institutionnels résultant de la réglementation... Dans ces conditions, la perte de mémoire de l’existence du stockage peut être raisonnablement située au-delà de 500 ans. Cette valeur de 500 ans sera retenue comme date minimale d’occurrence d’une intrusion humaine.

La définition des caractéristiques des situations d’intrusion humaine retenues est fondée sur les hypothèses pessimistes suivantes :

• l’existence du stockage et son emplacement sont oubliés,

• le niveau de technologie est le même qu’aujourd’hui.

Forage exploratoire traversant un ouvrage de stockage

Une situation supposant un forage traversant le stockage avec extraction de carottes devra être retenue. L’exploitation de carottes constituées de déchets de haute activité donne lieu à une exposition externe qui sera évaluée en fonction du type d’examen effectué sur ces carottes.

Exploitation d’une mine

• Pour les sites cristallins, la situation est exclue du fait de l’absence d’intérêt minier des sites étudiés.

• Pour les sites argileux, l’exploitation d’une mine n’est pas à retenir compte tenu de l’absence d’intérêt minier particulier pour les formations existantes aux profondeurs envisagées pour les ouvrages de stockage.

• Pour les sites salifères, l’exposition des travailleurs lors de l’exploitation d’une mine atteignant le dépôt sera évaluée.

Forage exploratoire abandonné et mal scellé traversant un ouvrage de stockage

• Pour les sites cristallins, il faudra étudier les conséquences liées aux modifications des écoulements et des temps de migration des radionucléides.

• Pour les sites sédimentaires, il faudra étudier les conséquences liées à la mise en communication d’aquifères ou entre un aquifère et les ouvrages de stockage.

Forage d’exploitation d’eau à usage alimentaire ou agricole dans un aquifère profond

Le caractère plausible d’un pompage d’exploitation d’eau à usage alimentaire ou agricole dans un aquifère profond sera précisé en fonction des ressources en eau. L’influence du pompage sur les écoulements sera appréciée en vue de l’évaluation des expositions individuelles.

Géothermie et stockage de chaleur

Cette situation n’est pas à étudier car les sites retenus ne devront pas présenter d’intérêt particulier de ce point de vue.

Autres situations d’intrusion envisageables pour les sites salifères

Création par dissolution d’une cavité interceptant le stockage

La saumure extraite de la cavité sera supposée être destinée à fournir du sel pour l’alimentation humaine. Les expositions individuelles dues à l’ingestion seront évaluées.

Pour cette évaluation, on prendra notamment en considération le mode d’exploitation du sel, la géométrie de la cavité, l’architecture du stockage, les caractéristiques des déchets, l’état des colis au moment de l’intrusion, le taux et la nature des insolubles contenus dans la formation salifère.

À titre de variantes, seront également examinées :

• la création d’une cavité par dissolution et l’utilisation du sel à des fins autres qu’alimentaires,

• l’exploitation du sel par doublet à des fins alimentaires.

Cavité lessivée ayant intercepté le stockage et abandonnée

La poche de saumure résultant du lessivage d’une cavité et subsistant à l’issue de l’exploitation peut être mise en communication avec l’aquifère supérieur du fait d’un mauvais scellement du puits d’exploitation. L’eau de cet aquifère après pompage peut servir à l’alimentation humaine ou à des fins agricoles. Les expositions individuelles seront évaluées en prenant en compte les voies de transfert par ingestion d’eau de boisson et consommation de produits agricoles issus de cultures arrosées avec cette eau.

À titre de variantes, seront examinées :

• la mise en communication d’aquifères supérieurs avec le stockage après l’abandon d’une exploitation du sel par doublet,

• La mise en communication avec les aquifères supérieurs d’une mine à proximité du stockage par les puits d’exploitation de la mine mal scellés après la fin de l’exploitation. (...) »

  1. La Convention d’Aarhus

Ratifiée par la France le 8 juillet 2002, la convention d’Aarhus sur l’accès à l’information, la participation du public au processus décisionnel et l’accès à la justice en matière d’environnement prévoit notamment ce qui suit :

Article 5 - Rassemblement et diffusion d’informations sur l’environnement

« 1. Chaque Partie fait en sorte :

a) Que les autorités publiques possèdent et tiennent à jour les informations sur l’environnement qui sont utiles à l’exercice de leurs fonctions ;

b) Que des mécanismes obligatoires soient mis en place pour que les autorités publiques soient dûment informées des activités proposées ou en cours qui risquent d’avoir des incidences importantes sur l’environnement ;

c) Qu’en cas de menace imminente pour la santé ou l’environnement, qu’elle soit imputable à des activités humaines ou qu’elle soit due à des causes naturelles, toutes les informations susceptibles de permettre au public de prendre des mesures pour prévenir ou limiter d’éventuels dommages qui sont en la possession d’une autorité publique soient diffusées immédiatement et sans retard aux personnes qui risquent d’être touchées.

2. Chaque Partie veille à ce que, dans le cadre de la législation nationale, les autorités publiques mettent les informations sur l’environnement à la disposition du public de façon transparente et à ce que ces informations soient réellement accessibles, notamment :

a) En fournissant au public des renseignements suffisants sur le type et la teneur des informations sur l’environnement détenues par les autorités publiques compétentes, sur les principales conditions auxquelles ces informations sont mises à sa disposition et lui sont accessibles et sur la procédure à suivre pour les obtenir ;

b) En prenant et en maintenant des dispositions pratiques, par exemple :

i) En établissant des listes, des registres ou des fichiers accessibles au public ;

ii) En faisant obligation aux fonctionnaires d’apporter leur concours au public qui cherche à avoir accès à des informations en vertu de la présente Convention ; et

iii) En désignant des points de contact ; et

c) En donnant accès gratuitement aux informations sur l’environnement figurant dans les listes, registres ou fichiers visés à l’alinéa b i ci-dessus.

3. Chaque Partie veille à ce que les informations sur l’environnement deviennent progressivement disponibles dans des bases de données électroniques auxquelles le public peut avoir facilement accès par le biais des réseaux de télécommunications publics. Devraient notamment être accessibles sous cette forme les informations suivantes :

a) Les rapports sur l’état de l’environnement visés au paragraphe 4 ci-après ;

b) Les textes de lois sur l’environnement ou relatifs à l’environnement ;

c) Le cas échéant, les politiques, plans et programmes sur l’environnement ou relatifs à l’environnement et les accords portant sur l’environnement ; et

d) D’autres informations, dans la mesure où la possibilité de les obtenir sous cette forme faciliterait l’application de la législation nationale visant à donner effet à la présente Convention, pour autant que ces informations soient déjà disponibles sous forme électronique.

4. Chaque Partie publie et diffuse à des intervalles réguliers ne dépassant pas trois ou quatre ans un rapport national sur l’état de l’environnement, y compris des informations sur la qualité de l’environnement et des informations sur les contraintes qui s’exercent sur l’environnement.

5. Chaque Partie prend des mesures, dans le cadre de sa législation, afin de diffuser notamment :

a) Les textes de lois et les documents directifs tels que les documents sur les stratégies, politiques, programmes et plans d’action relatifs à l’environnement et les rapports faisant le point de leur application, établis aux différents échelons de l’administration publique ;

b) Les traités, conventions et accords internationaux portant sur des questions relatives à l’environnement ; et

c) Le cas échéant, les autres documents internationaux importants portant sur des questions relatives à l’environnement.

6. Chaque Partie encourage les exploitants dont les activités ont un impact important sur l’environnement à informer périodiquement le public de l’impact sur l’environnement de leurs activités et de leurs produits, le cas échéant dans le cadre de programmes volontaires d’étiquetage écologique ou d’écobilans ou par d’autres moyens.

7. Chaque Partie :

a) Rend publics les faits et les analyses des faits qu’elle juge pertinents et importants pour élaborer les propositions concernant les mesures essentielles à prendre en matière d’environnement ;

b) Publie ou rend accessibles d’une autre manière les documents disponibles expliquant comment elle traite avec le public dans les affaires relevant de la présente Convention ; et

c) Communique sous une forme appropriée des informations sur la façon dont l’administration, à tous les échelons, exerce les fonctions publiques ou fournit des services publics relatifs à l’environnement.

8. Chaque Partie met au point des mécanismes dans le but de faire en sorte que des informations suffisantes sur les produits soient mises à la disposition du public de manière à permettre aux consommateurs de faire des choix écologiques en toute connaissance de cause.

9. Chaque Partie prend des mesures pour mettre en place progressivement, compte tenu, le cas échéant, des processus internationaux, un système cohérent de portée nationale consistant à inventorier ou à enregistrer les données relatives à la pollution dans une base de données informatisée structurée et accessible au public, ces données étant recueillies au moyen de formules de déclaration normalisées. Ce système pourra prendre en compte les apports, les rejets et les transferts dans les différents milieux et sur les lieux de traitement et d’élimination sur le site et hors du site d’une série donnée de substances et de produits découlant d’une série donnée d’activités, y compris de l’eau, de l’énergie et des ressources utilisées aux fins de ces activités.

10. Rien dans le présent article ne saurait porter atteinte au droit des Parties de refuser de divulguer certaines informations relatives à l’environnement conformément aux paragraphes 3 et 4 de l’article 4. »

La France a fait la « déclaration interprétative concernant les articles 4, 5 et 6 de la convention » suivante :

« Le Gouvernement français veillera à la divulgation des informations pertinentes pour la protection de l’environnement, tout en assurant la protection du secret industriel et commercial, en se référant aux pratiques juridiques établies et applicables en France.”

GRIEFS

Invoquant les articles 6 § 1 et 13 de la Convention, les requérantes dénoncent une violation du droit à un tribunal et du droit à un recours effectif de l’association MIRABEL-LNE, résultant du fait que son action en réparation a été déclarée irrecevable pour défaut de qualité à agir, et du rejet par la Cour de cassation de son argument selon lequel elle tirait aussi son droit d’agir du fait qu’elle était agréée.

Invoquant l’article 6 § 1 de la Convention, les requérantes dénoncent une violation de leur droit à un procès équitable résultant du fait que les juridictions internes les ont déboutées sans motivation valable, par des motifs inopérants en droit, et ont omis de statuer sur le fond de leurs demandes et de procéder aux vérifications qu’il leur revenait de faire.

Invoquant les articles 6 § 1 et 10 de la Convention, les requérantes soutiennent que leur droit de recevoir des informations a été vidé de sa substance par les juridictions françaises en ce qu’elles ont omis de contrôler la véracité des informations communiquées par l’ANDRA, lesquelles juridictions, de ce fait, ont aussi violé leur droit d’accès au juge.

Invoquant les articles 8 et 10 de la Convention, les requérantes dénoncent une violation de leur droit de recevoir des informations résultant du fait que l’ANDRA, sur laquelle le droit interne fait peser une obligation d’informer, a délivré des fausses informations sur des risques ou dangers environnementaux, ce qui équivaudrait à de la « non-communication ».

Invoquant l’article 13 de la Convention, les requérantes dénoncent une violation de leur droit à un recours effectif résultant du fait qu’excipant de l’appréciation souveraine des juges du fond, la Cour de cassation a refusé de statuer sur les violations de la Conventions précitées.

QUESTIONS AUX PARTIES

1.  L’association MIRABEL-LNE est-elle fondée à soutenir qu’il y a eu violation de son droit à un tribunal à raison de la décision des juridictions internes de déclarer son action irrecevable ?

2.  Les associations requérantes sont-elles fondées à soutenir, au visa des articles 8 et 10 de la Convention, qu’il y a eu en l’espèce violation de leur droit de recevoir des informations sur les risques environnementaux à raison de la teneur des informations fournies par l’ANDRA dans son rapport de synthèse du 21 juillet 2009 et dans sa réponse du 18 janvier 2013 ?

À cet égard, l’article 8 ou l’article 10 de la Convention, ou les articles 6 § 1 ou 13 de la Convention, obligent-ils, dans le contexte de l’information sur les risques environnementaux, d’offrir aux personnes concernées la possibilité d’un contrôle juridictionnel des informations fournies ? Dans l’affirmative, ont elles eu accès à un contrôle juridictionnel adéquat en l’espèce ?

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CEDH, ASSOCIATION BURESTOP 55 c. FRANCE et 5 autres affaires, 18 novembre 2019, 56176/18 et autres