CEDH, LE TIRILLY c. FRANCE et 2 autres affaires, 22 septembre 2020, 46369/18 et autres

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Chronologie de l’affaire

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CEDH

Communiqué de presse sur les affaires 69154/11, 69163/11, 16282/20, 48329/19, 61591/16, 25939/17, 2833/13, 45487/17, 45660/17, 30543/13, …

 
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Sur la décision

Référence :
CEDH, 22 sept. 2020, n° 46369/18 et autres
Numéro(s) : 46369/18, 46374/18, 46457/18
Type de document : Affaire communiquée
Niveau d’importance : Importance faible
Opinion(s) séparée(s) : Non
Conclusion : Affaire communiquée
Identifiant HUDOC : 001-205291
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Texte intégral

Communiquée le 22 septembre 2020

Publié le 12 octobre 2020

CINQUIÈME SECTION

Requête no 46369/18
Camille LE TIRILLY contre la France
introduite le 28 septembre 2018
et 2 autres requêtes
introduites le 27 septembre 2018
 

EXPOSÉ DES FAITS

Les requérant sont des ressortissants français. Il s’agit de :

-    M. Camille Le Tirilly, né en 1938 et résidant à Pont-l’Abbé (requête no 46369/18 ; le « premier requérant ») ;

-    M. Henri Lasbleis, né en 1932 et résidant à Primelin (requête no 46374/18 ; le « deuxième requérants ») ;

-    Mme Sandra Dornic, M. Kenny Dornic et Mme Kim Dornic, nés en 1973, 1997 et 2003 respectivement et résidant à Gouesnou (requête no  46457/18 ; les « troisième requérante », « quatrième requérant » et « cinquième requérante », respectivement) ;

Les requérants sont représentés devant la Cour par Me S. Vigand, avocate exerçant à Paris.

  1. Les circonstances de l’espèce

Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les requérants, peuvent se résumer comme suit.

  1. Les circonstances particulières à chaque requête

a)      Requête no 46369/18

Le premier requérant fut salarié de la compagnie maritime A de 1954 à 1988. Il fut exposé à des inhalations de fibres d’amiante dans le cadre des fonctions de graisseur, d’ouvrier mécanicien et de maître mécanicien qu’il y exerça.

Par un certificat médical du 22 mai 2008, il fut diagnostiqué atteint de plaques pleurales bilatérales.

Par une décision du 9 décembre 2008, l’établissement national des invalides de la marine (« ENIM »), organisme spécial de sécurité sociale pour les marins, admit le requérant au bénéfice d’une pension d’invalidité pour maladie professionnelle à compter du 22 mai 2008.

Le 16 avril 2009, le requérant déposa une demande d’indemnisation devant le fonds d’indemnisation des victimes de l’amiante (« FIVA »). Le 3 novembre 2010, il accepta l’offre d’indemnisation de 15 000 Euros (EUR) que le FIVA lui avait faite le 25 octobre 2010.

Le 4 novembre 2011, à la suite de la décision no 2011-127 QPC du Conseil constitutionnel du 6 mai 2011, publiée au journal officiel le 7 mai 2011, le requérant saisit l’ENIM d’une demande tendant à la reconnaissance de la faute inexcusable de son ex-employeur, la compagnie A. N’ayant pas obtenu gain de cause, il saisit le 16 avril 2012 le tribunal des affaires de sécurité sociale de Quimper de sa demande.

b)     Requête no 46374/18

Le deuxième requérant fut salarié de la compagnie maritime A de 1951 à 1977. Il fut exposé à des inhalations de fibres d’amiante dans le cadre des fonctions de nettoyeur, graisseur, ouvrier mécanicien et maître mécanicien qu’il y exerça.

Par un certificat médical du 27 mars 2002, il fut diagnostiqué atteint de plaque pleurale diaphragmatique calcifiée caractéristique et de plaques pleurales auxiliaires.

Par une décision du 7 janvier 2003, l’ENIM admit le requérant au bénéfice d’une pension d’invalidité pour maladie professionnelle à compter du 1er juillet 2002.

Le 22 septembre 2003, le requérant déposa une demande d’indemnisation devant le FIVA. Le 23 août 2004, il accepta l’offre d’indemnisation de 12 000 EUR que le FIVA lui avait faite le 26 juillet 2004.

Le 6 octobre 2011, à la suite de la décision no 2011-127 QPC du Conseil constitutionnel du 6 mai 2011, publiée au journal officiel le 7 mai 2011, le requérant saisit l’ENIM d’une demande tendant à la reconnaissance de la faute inexcusable de son ex-employeur, la compagnie A. N’ayant pas obtenu gain de cause, il saisit le 22 mars 2012 le tribunal des affaires de sécurité sociale de Brest de sa demande.

Le tribunal des affaires de sécurité sociale de Brest se déclara territorialement incompétent par un jugement du 7 septembre 2012 et se dessaisit au profit du tribunal des affaires de sécurité sociale de Quimper.

c)      Requête no 46457/18

R.L., père de la troisième requérante et grand père des quatrième et cinquième requérants, fut salarié de la compagnie maritime A de 1960 à 1994. Il fut exposé à des inhalations de fibres d’amiante dans le cadre des fonctions de suppléant machine, ouvrier et maître électricien, graisseur et assistant officier machine qu’il y exerça.

R.L. décéda le 8 mai 2007. Le diagnostic suivant fut établi post‑mortem le 4 juin 2007 : « cancer neuro endocrine à petites cellules et exposition professionnelle numéro 30 bis ». Un second certificat médical fut établi le 27 août 2007. Il indique ceci : « [Le décès de R.L.] est lié directement à sa maladie professionnelle numéro 30 bis, c’est-à-dire un carcinome bronchique neuroendocrine secondaire à une exposition à l’amiante ».

Par une décision du 26 octobre 2007, l’ENIM admit la veuve de R.L. au bénéfice de l’allocation décès et de la pension d’invalidité pour maladie professionnelle d’ayant cause à compter du 5 juin 2007.

En août et septembre 2007, la veuve de R.L. et la troisième requérante, agissant en son nom personnel ainsi que pour ses enfants mineurs, les quatrième et cinquième requérants, déposèrent une demande d’indemnisation devant le FIVA. En septembre et novembre 2008, ils acceptèrent l’offre d’indemnisation que le FIVA leur avait faite le 21 août 2008 : 105 847,55 EUR au titre de l’action successorale de R.L ; 30 000 EUR à sa veuve, 8 000 EUR à la troisième requérante et 3 000 EUR à chacun des quatrième et cinquième requérants.

Le 6 octobre 2011, à la suite de la décision no 2011-127 QPC du Conseil constitutionnel du 6 mai 2011, publiée au journal officiel le 7 mai 2011, la veuve de R.L. et les troisième, quatrième et cinquième requérants saisirent l’ENIM d’une demande tendant à la reconnaissance de la faute inexcusable de l’ex-employeur de R.L., la compagnie A. N’ayant pas obtenu gain de cause, ils saisirent le 21 mars 2012 le tribunal des affaires de sécurité sociale de Brest de leur demande.

Le tribunal des affaires de sécurité sociale de Brest se déclara territorialement incompétent par un jugement du 7 septembre 2012 et se dessaisit au profit du tribunal des affaires de sécurité sociale de Quimper.

  1. Les jugements du tribunal des affaires de sécurité sociale de Quimper du 1er décembre 2014

Par trois jugements du 1er décembre 2014, le tribunal des affaires de sécurité sociale de Quimper déclara les recours recevables. Il considéra que les intéressés n’avaient pu agir en recherche de la faute inexcusable de l’employeur avant la publication au journal officiel, le 7 mai 2011, de la décision no 2011-127 QPC du Conseil constitutionnel, et que le délai de prescription de deux ans courait à partir de cette date. Le tribunal jugea ensuite que les maladies professionnelles des deux premiers requérants et de R.L. résultaient de la faute inexcusable de la compagnie A et ordonna la majoration des pensions d’invalidité professionnelle. Il fixa ainsi les préjudices personnels :

pour les des deux premiers requérants, 3 000 EUR au titre du préjudice moral, et 600 EUR et 300 EUR respectivement au titre du préjudice physique ;

pour R.L., 47,55 EUR au titre du préjudice patrimonial, 65 800 EUR au titre du préjudice moral, et 20 000 EUR au titre du préjudice physique ;

pour la veuve de R.L., 30 000 EUR ;

pour la troisième requérante, 8 000 EUR ;

pour les quatrième et cinquième requérants, 3 000 EUR chacun.

  1. Les arrêts de la cour d’appel de Rennes du 30 novembre 2016

Par trois arrêts du 30 novembre 2016, la cour d’appel de Rennes confirma les jugements du 1er décembre 2014 sur la recevabilité. Sur le fonds, elle les réforma en leurs dispositions relatives au montant alloué aux deux premiers requérants pour préjudice moral, le fixant à 8 000 EUR ; elle les réforma aussi quant aux préjudices physique et moral de R.L., les fixant à 15 000 EUR et 40 000 EUR respectivement. Elle confirma les jugements pour le reste.

Les arrêts soulignent notamment ce qui suit :

« (...) Sur la recevabilité du recours en faute inexcusable

C’est à tort que [la compagnie A soulève] le moyen de la prescription de l’action en reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur par application des dispositions de l’article L. 431-2 du code de la sécurité sociale, au motif invoqué que le point de départ du délai de prescription biennale est la date du certificat médical initial (...).

En effet, il résulte des dispositions de l’article 2234 du code de procédure civile que : « la prescription ne court pas ou est suspendue contre celui qui est dans l’impossibilité d’agir par suite d’un empêchement résultant de la loi, de la convention ou de la force majeure ».

Selon le 8o de l’article L. 412-8 et le 2o de l’article L. 413-12 du code de la sécurité sociale, aucune pension majorée ou indemnité complémentaire n’était prévue au profit des marins en cas de faute inexcusable de leur employeur, dès lors que le dommage est survenu en mer.

Par décision no 2011-127 QPC du 6 mai 2011, le Conseil constitutionnel a déclaré ces dispositions conformes à la Constitution sous réserve « que ces dispositions ne sauraient, sans porter une atteinte disproportionnée au droit des victimes d’actes fautifs, être interprétées comme faisant, par elles-mêmes, obstacle à ce qu’un marin victime, au cours de l’exécution de son contrat d’engagement maritime, d’un accident du travail imputable à une faute inexcusable de son ex-employeur puisse demander, devant les juridictions de la sécurité sociale, une indemnisation complémentaire dans les conditions prévues par le chapitre 2 du titre V du livre IV du code de la sécurité sociale ».

La réserve d’interprétation ainsi énoncée par le Conseil constitutionnel modifie le droit existant en ouvrant aux marins le bénéfice de la procédure de reconnaissance de la faute inexcusable y compris pour les maladies professionnelles survenues dans l’exécution du contrat d’engagement maritime, qui leur était jusqu’alors refusé par la loi.

Il apparaît ainsi que [les intéressés ont] été dans l’impossibilité d’agir avant la publication de la décision du Conseil constitutionnel au journal officiel le 7 mai 2011, que la prescription n’a donc pu courir qu’à compter de cette date, de sorte que l’action [des intéressés] auprès de l’ENIM et celle du FIVA subrogé dans [leurs droits], n’est pas prescrite, sans que [la compagnie A] ne puisse utilement invoquer une inégalité de traitement entre les employeurs (...) »

La veuve de R.L. était décédée en cours d’instance.

  1. Les arrêts de la Cour de cassation du 4 avril 2018

La Cour de cassation annula sans renvoi les arrêts d’appel par trois arrêts du 4 avril 2018 ainsi motivés :

« (...) Attendu que pour accueillir la demande et rejeter la fin de non-recevoir de [la compagnie A] tirée de la prescription, l’arrêt énonce que la réserve d’interprétation des articles L. 412-8, 8o et L. 413-12, 2o du code de la sécurité sociale énoncée par le Conseil constitutionnel dans sa décision no 2011-127 QPC du 6 mai 2011 modifie le droit existant en ouvrant aux marins le bénéfice de la procédure de reconnaissance de la faute inexcusable, y compris pour les maladies professionnelles survenues dans l’exécution du contrat d’engagement maritime, qui leur était jusqu’alors refusé par la loi ; qu’il apparaît ainsi que [les demandeurs ont] été dans l’impossibilité d’agir avant la publication de la décision du Conseil constitutionnel au Journal officiel le 7 mai 2011 ; que la prescription n’a donc pu courir qu’à compter de cette date, de sorte que l’action [des demandeurs] engagée (...) auprès de l’ENIM et celle du Fonds d’indemnisation des victimes de l’amiante, subrogé dans ses droits, n’est pas prescrite, sans que [la compagnie A] puisse utilement invoquer une inégalité de traitement envers les employeurs ;

Qu’en statuant ainsi, alors, d’une part, que [la victime, informée par un certificat médical de l’origine professionnelle de sa maladie, n’a saisi la juridiction de sécurité sociale que plus de deux ans après cette information] [les ayants droit de la victime, informés par un certificat médical de l’origine professionnelle de la maladie, n’ont saisi la juridiction de sécurité sociale que plus de deux ans après cette information], d’autre part, qu’une évolution de la jurisprudence ne constitue pas une impossibilité d’agir suspendant l’écoulement du délai de prescription, la cour d’appel a violé les textes susvisés (...) »

  1. Le droit et la pratique internes pertinents
    1. Le droit constitutionnel

Les articles 61-1 et 62 de la Constitution du 4 octobre 1958 sont ainsi libellés :

Article 61-1

« Lorsque, à l’occasion d’une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu’une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d’État ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé.

(...) »

Article 62

« (...)

Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l’article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d’une date ultérieure fixée par cette décision. Le Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d’être remis en cause.

Les décisions du Conseil constitutionnel ne sont susceptibles d’aucun recours. Elles s’imposent aux pouvoirs publics et à toutes les autorités administratives et juridictionnelles. »

  1. Le droit de la sécurité sociale

Les articles L. 412-8, L. 413-12 et L. 431-2 du code de la sécurité sociale sont ainsi rédigés :

Article L. 412-8

« (...) bénéficient (...) des dispositions du [livre IV du même code, relatif aux « accidents du travail et maladies professionnelles (Dispositions propres et dispositions communes avec d’autres branches) »], sous réserve des prescriptions spéciales du décret en Conseil d’État :

8o) les personnes mentionnées à l’article 2 du décret-loi du 17 juin 1938 relatif à la réorganisation et à l’unification du régime d’assurance des marins pour les accidents du travail et les maladies professionnelles survenus en dehors de l »exécution du contrat d’engagement maritime (...) »

Article L. 413-12

« Il n’est pas dérogé aux dispositions législatives et réglementaires concernant les pensions :

(...)

2o) des personnes mentionnées à l’article 2 du décret du 17 juin 1938 relatif à la réorganisation et à l’unification du régime d’assurance des marins ; (...) »

Article L. 431-2

« Les droits de la victime ou de ses ayants droit aux prestations et indemnités prévues par le présent livre se prescrivent par deux ans à dater :

1o) du jour de l’accident ou de la cessation du paiement de l’indemnité journalière ;

2o) dans les cas prévus respectivement au premier alinéa de l’article L. 443-1 et à l’article L. 443-2, de la date de la première constatation par le médecin traitant de la modification survenue dans l’état de la victime, sous réserve, en cas de contestation, de l’avis émis par l’expert ou de la date de cessation du paiement de l’indemnité journalière allouée en raison de la rechute ;

3o) du jour du décès de la victime en ce qui concerne la demande en révision prévue au troisième alinéa de l’article L. 443-1 ;

4o) de la date de la guérison ou de la consolidation de la blessure pour un détenu exécutant un travail pénal ou un pupille de l’éducation surveillée dans le cas où la victime n’a pas droit aux indemnités journalières.

(...) »

Le chapitre 2 du titre 5 du livre IV du code de la sécurité sociale concerne la « faute inexcusable ou intentionnelle de l’employeur ». Il contient les articles L. 451-1 à L. 452-5, la première de ces dispositions, introduite dans le code par le décret no 85-1353 du 17 juillet 1985, est ainsi libellée :

Article L 452-1

« Lorsque l’accident est dû à la faute inexcusable de l’employeur ou de ceux qu’il s’est substitués dans la direction, la victime ou ses ayants droit ont droit à une indemnisation complémentaire (...) »

Constatant qu’aux termes de l’article L. 413-12 du code de la sécurité sociale, il n’était pas dérogé aux dispositions réglementaires et législatives concernant les pensions des personnes visées à l’article 2 du décret du 17 juin 1938 relatif au régime d’assurance des marins, la Cour de cassation a jugé qu’étaient seules applicables à tous les bénéficiaires des prestations du régime social des gens de mer, les dispositions de leur régime spécial, lequel ne prévoit aucun recours contre l’armateur en raison de sa faute inexcusable (voir, en particulier, 2ème chambre civile, 23 mars 2004, no 02‑14142, et chambre sociale, 16 mai 1979, no 77-12857).

Le Conseil constitutionnel a été saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité visant la conformité des articles L. 412-8, 8o, et L. 413-12, 2o, du code de la sécurité sociale aux principes constitutionnels d’égalité devant la loi et de responsabilité. Par une décision no 2011-127 QPC du 6 mai 2011, il a déclaré ces dispositions conformes à la Constitution, sous une réserve. La décision est ainsi libellée :

« (...)

4. Considérant qu’il résulte de la jurisprudence de la Cour de cassation sur ces dispositions que sont seules applicables à tous les bénéficiaires des prestations du régime social des gens de mer les dispositions de leur régime spécial, lequel ne prévoit aucun recours contre l’armateur en raison de sa faute inexcusable ;

5. Considérant qu’en posant une question prioritaire de constitutionnalité, tout justiciable a le droit de contester la constitutionnalité de la portée effective qu’une interprétation jurisprudentielle constante confère à la disposition législative contestée ;

6. Considérant qu’aux termes de l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 : « La loi... doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse » ; que le principe d’égalité ne s’oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu’il déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général, pourvu que, dans l’un et l’autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l’objet de la loi qui l’établit ;

7. Considérant qu’aux termes de l’article 4 de la Déclaration de 1789 : « La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui » ; qu’il résulte de ces dispositions qu’en principe, tout fait quelconque de l’homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer ; que la faculté d’agir en responsabilité met en œuvre cette exigence constitutionnelle ; que, toutefois, cette dernière ne fait pas obstacle à ce que le législateur aménage, pour un motif d’intérêt général, les conditions dans lesquelles la responsabilité peut être engagée ; qu’il peut ainsi, pour un tel motif, apporter à ce principe des exclusions ou des limitations à condition qu’il n’en résulte une atteinte disproportionnée ni aux droits des victimes d’actes fautifs ni au droit à un recours juridictionnel effectif qui découle de l’article 16 de la Déclaration de 1789 ;

8. Considérant que les dispositions législatives contestées délimitent le champ d’application de certaines dispositions du régime général de la sécurité sociale, en matière d’accident du travail subi par les marins, au regard de celles du régime spécial défini par le décret-loi du 17 juin 1938 susvisé auquel ces salariés se trouvent soumis ; qu’eu égard aux conditions particulières dans lesquelles les marins exercent leurs fonctions et aux risques auxquels ils sont exposés, il était loisible au législateur de prévoir que l’indemnisation des marins victimes d’accidents du travail ou de maladies professionnelles serait soumise à des dispositions particulières dérogeant aux dispositions de droit commun prévues, en cette matière, par le code de la sécurité sociale ; que, par suite, en elle-même, une telle dérogation ne méconnaît pas le principe d’égalité devant la loi ;

9. Considérant, toutefois, que ces dispositions ne sauraient, sans porter une atteinte disproportionnée au droit des victimes d’actes fautifs, être interprétées comme faisant, par elles-mêmes, obstacle à ce qu’un marin victime, au cours de l’exécution de son contrat d’engagement maritime, d’un accident du travail imputable à une faute inexcusable de son employeur puisse demander, devant les juridictions de la sécurité sociale, une indemnisation complémentaire dans les conditions prévues par le chapitre 2 du titre V du livre IV du code de la sécurité sociale ; que, sous cette réserve, ces dispositions ne méconnaissent pas le principe de responsabilité ;

10. Considérant que le 8o de l’article L. 412-8 et le 2o de l’article L. 413-12 du code de la sécurité sociale ne sont contraires à aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit,

DÉCIDE :

Article 1er.- Sous la réserve énoncée au considérant 9, le 8o de l’article L. 412-8 et le 2o de l’article L. 413-12 du code de la sécurité sociale sont conformes à la Constitution.

Article 2.- La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l’article 23-11 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée. »

  1. Le code civil

L’article 2234 du code civil est ainsi rédigé :

« La prescription ne court pas ou est suspendue contre celui qui est dans l’impossibilité d’agir par suite d’un empêchement résultant de la loi, de la convention ou de la force majeure. »

GRIEF

Invoquant l’article 6 § 1 de la Convention, les requérants se plaignent d’une violation de leur droit à un tribunal, résultant du fait que, pour déclarer prescrite l’action en reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur qu’ils ont initiée, la Cour de cassation a fait courir le délai de prescription à compter d’une date où une jurisprudence constante interdisait cette action.

QUESTIONS AUX PARTIES

1.  L’article 6 § 1 de la Convention est-il applicable en l’espèce (voir Pereira Henriques c. Luxembourg, no 60255/00, § 77, 9 mai 2006) ? À cet égard, vu la décision du Conseil constitutionnel no 2011-127 QPC du 6 mai 2011, le droit à réparation dont se prévalaient les requérants devant les juridictions internes leur était-il, au moins de manière défendable, reconnu en droit interne ?

2.  Dans l’affirmative, y a-t-il eu violation du droit des requérants à un tribunal tel qu’il se trouve garanti par cette disposition ?

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