CEDH, Cour (quatrième section), AFFAIRE ZAWADZKI c. POLOGNE, 20 décembre 2001, 34158/96

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Sur les parties

Texte intégral

QUATRIEME SECTION

AFFAIRE ZAWADZKI c. POLOGNE

(Requête n° 34158/96)

ARRÊT

STRASBOURG

20 décembre 2001

DÉFINITIF

27/03/2002

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.


En l’affaire Zawadzki c. Pologne,

La Cour européenne des Droits de l’Homme (quatrième section), siégeant en une chambre composée de :

MM.G. Ress, président,
A. Pastor Ridruejo,
L. Caflisch,
J. Makarczyk,
I. Cabral Barreto,
V. Butkevych,
MmeN. Vajić, juges,
et de M. V. Berger, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 6 juillet 1999 et 9 novembre 2000,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1.  A l’origine de l’affaire se trouve une requête (n° 34158/96) dirigée contre la République de Pologne et dont un ressortissant de cet Etat, Józef Zawadzki (« le requérant »), avait saisi la Commission européenne des Droits de l’Homme (« la Commission ») le 1er octobre 1995 en vertu de l’ancien article 25 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).

2.  Le gouvernement polonais (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, M. Krzysztof Drzewicki.

3.  Le requérant alléguait en particulier la violation du droit à ce que ses causes soient entendues dans un délai raisonnable, tel que défini à l’article 6 § 1 de la Convention.

4.  Le 6 juillet 1999, la Cour (quatrième section) a décidé conformément à l’article 54 § 3 b) de son règlement de porter la requête à la connaissance du Gouvernement et de l’inviter à présenter par écrit des observations sur la recevabilité et le bien-fondé du grief tiré de la durée de quatre procédures. Elle a déclaré le surplus de la requête irrecevable. Le Gouvernement a présenté ses observations le 27 janvier 2000 et le requérant y a répondu le 1er mars 2000.

5.  Le 9 novembre 2000, la Cour a déclaré recevable le grief tiré de la durée de trois procédures et a déclaré le surplus de la requête irrecevable.

6.  La Cour a invité les parties à lui soumettre dans un délai de six semaines de plus amples informations sur les questions soulevées (article 59 § 1 du règlement). Seul le requérant à présenté ses observations quant à la satisfaction équitable, le 31 décembre 2000.

7.  La Cour a également informé les parties qu’elle se mettait à leur disposition en vue de parvenir à un règlement amiable de l’affaire en application de l’article 38 § 1 b) de la Convention.

8.  La chambre a décidé, après consultation des parties, qu’il n’y avait pas lieu de tenir une audience consacrée au fond de l’affaire (article 59 § 2 in fine du règlement).

9.  Le 1er novembre 2001, la Cour a modifié la composition de ses sections (article 25 § 1 du règlement). La présente requête a cependant continué à être examinée par la chambre de l’ancienne section IV telle qu’elle existait avant cette date.

EN FAIT

10.  Le requérant est un ressortissant polonais, né en 1948 et résidant à Katowice.

11.  Le requérant fut ou est encore partie à trois procédures.

12.  Le requérant était propriétaire d’un appartement faisant partie de la coopérative du logement (Spółdzielnia Mieszkaniowa ; ci-dessous « la coopérative »). Ayant constaté des malfaçons, il entreprit des démarches tendant à se voir attribuer un autre logement. Sa demande aboutit en 1987. Au moment de prendre possession des nouveaux lieux, le requérant releva des malfaçons, mais, rassuré par les responsables de la coopérative, signa le protocole de remise du logement. Après un certain temps, il releva tout de même d’autres malfaçons rendant son nouveau logement inhabitable. En 1988, la coopérative le pria de lui restituer l’ancien logement et de prendre possession du nouveau. Dans la mesure où le requérant refusait de déménager avant les réparations, la coopérative introduisit une action tendant à l’expulser de l’ancien appartement.

13.  Le tribunal de district (Sąd Rejonowy) de Katowice, après une expertise et des tentatives pour faire parvenir les parties à un accord, le 5 juin 1989 rejeta la demande d’expulsion. Il estima que le nouvel appartement comportait trop de malfaçons pour pouvoir être habité. La coopérative fit appel. Le tribunal régional (Sąd Wojewódzki) de Katowice parvint dans un premier temps à un accord, aux termes duquel le requérant devait engager des travaux dont le coût lui serait remboursé par la coopérative. Le requérant engagea des travaux, mais au bout de deux semaines la coopérative revint sur les termes de l’accord. Finalement, le 14 mars 1991 le tribunal ordonna l’expulsion du requérant. Ce dernier quitta les lieux le 18 décembre 1991.

14.  Le requérant fut également sommé par la coopérative de rembourser le crédit constitué par ses parts lui octroyant la propriété du logement dans l’enceinte de la coopérative. Dans un premier temps il fit une demande tendant à ce que la procédure soit suspendue jusqu’au résultat de la procédure d’expulsion, mais se résigna finalement à régulariser la situation.

A.Procédure relative au trop-perçu par la coopérative

15.  Tout le long de la procédure d’expulsion, le requérant s’acquittait, au profit de la coopérative, des charges des deux logements, alors qu’il n’en occupait qu’un seul.

16.  Le 21 octobre 1991, il introduisit une action contre la coopérative et demanda que le trop-perçu par celle-ci au titre des charges de son nouveau logement, qu’il n’occupait pas, serve de provision sur les charges du logement occupé depuis le jugement d’expulsion.

17.  Aux audiences des 26 novembre, 6 et 25 février, 24 mars et 9 avril 1992, le tribunal entendit les parties et constitua le dossier.

18.  Le 26 mai 1992, le tribunal de district rejeta la demande. Le 22 juin 1992, le requérant fit appel. Le dossier de l’affaire fut transmis au tribunal régional le 7 décembre 1992. Le 7 juillet 1992, le requérant demanda à ce que le tribunal ne fixe pas d’audience entre le 15 juillet et 25 août 1992.

19.  Il fit également une demande de dispense des frais de justice, rejetée à une date inconnue.

20.  Dans la mesure où l’examen de l’appel se prolongeait, le requérant adressa au président du tribunal régional une demande de renseignements. Ce dernier, le 12 mars 1993, demanda que le président de la chambre civile du tribunal veille personnellement sur le déroulement de la procédure.

21.  Le 31 mars 1993, le tribunal régional infirma la décision du 26 mai 1992 et renvoya l’affaire au tribunal de district pour réexamen.

22.  Le requérant s’enquit du déroulement de la procédure et le 5 juillet 1993, au cours d’une conversation téléphonique avec le cabinet du ministre de la Justice se plaignit de la lenteur de la procédure. Le 13 juillet 1993, le cabinet adressa au tribunal un courrier demandant que des informations sur le déroulement de la procédure soient transmises au ministère tous les deux mois.

23.  Au cours de l’audience du 24 juin 1993, la juridiction de renvoi proposa de suspendre la procédure jusqu’à l’issue d’une autre action entreprise par le requérant dans le cadre de laquelle le tribunal avait ordonné une expertise afin d’évaluer le coût des travaux entrepris. Les parties ne s’y opposèrent pas. Toutefois, dès le 25 juin 1993, le requérant adressa au tribunal un courrier dans lequel il demanda la levée de la suspension. Il demanda également à ce que les deux procédures soient examinées conjointement par le même tribunal : l’expertise ordonnée n’aurait pas une grande incidence sur le cas de l’espèce et le fait de joindre les deux requêtes permettrait leur examen dans les meilleurs délais. Il ajouta que mettre un terme à la procédure, qui durait à l’époque déjà depuis plus de deux années, était dans l’intérêt du tribunal et des parties.

24.  Le 28 juin 1993, le tribunal de district rejeta sa demande. Il releva que dans la mesure où la procédure avait été suspendue avec l’accord des parties, en vertu de l’article 181 § 2 du code de procédure civile en vigueur au moment des faits, la demande de levée ne pouvait être déposée qu’après un délai de trois mois. Il refusa également de joindre les deux affaires car elles relevaient de la juridiction de deux tribunaux différents.

25.  Le 1er octobre 1993, le requérant fit une nouvelle demande tendant à la levée de la suspension. Le 5 octobre 1993, le tribunal de district la rejeta au motif qu’à l’audience du 24 juin 1993, les parties étaient parvenues à un accord selon lequel la procédure devait être suspendue jusqu’au résultat de l’action en remboursement. Dès lors, aux termes de l’article 182 § 2 précité, dans la mesure où la durée de la suspension avait été clairement définie, toute demande intervenue avant devait être rejetée. Le 23 novembre 1993, le tribunal régional rejeta l’appel du requérant.

26.  Le 20 janvier 1994, le requérant fit une nouvelle demande tendant à l’accélération de la procédure et rappela sa position selon laquelle le résultat de l’action en remboursement n’était pas décisif pour le cas de l’espèce. Il ne reçut aucune réponse du tribunal.

27.  La procédure concernant la demande du requérant de se voir rembourser certaines sommes fut terminée le 30 mai 1995.

28.  Le 8 décembre 1995, le requérant réitéra sa demande de levée de la suspension.

29.  Les 16 janvier, 1er février et 20 mars 1996, le tribunal demanda la communication du dossier de l’autre affaire. Le 22 mars 1996, il fut informé que le dossier avait été transmis à la cour d’appel. Les 8 et 30 mai 1996, le tribunal adressa à la cour d’appel des demandes d’information. Le 31 mai 1996, il fut informé que le dossier avait été transmis à la Cour suprême.

30.  Le 10 janvier 1997, le tribunal de district leva la suspension et reprit la procédure.

31.  Le 18 avril 1997, le requérant adressa au tribunal un courrier dans lequel, citant l’article 6 de la Convention, il demandait entre autres que l’affaire soit examinée dans les meilleurs délais.

32.  Le 3 mars 1997, l’autre partie fit une proposition de règlement de l’affaire. Le tribunal ajourna l’audience pour permettre aux parties de s’entendre.

33.  A l’audience du 30 avril 1997, le tribunal ordonna une expertise afin d’établir dans quelle mesure le logement pouvait être habité et quelle aurait été la durée des travaux nécessaires (możliwości użytkowania i okresu czasu w którym mozliwe byłoby wykonanie remontu). Le requérant fut sommé de verser la moitié de l’avance sur les honoraires de l’expert. Il s’y refusa et rappela que la procédure avait été suspendue pendant plusieurs années car le résultat de l’action en remboursement au cours de laquelle une expertise avait été ordonnée semblait, selon le tribunal, décisive pour l’issue du cas d’espèce. Dès lors, il demanda à ce qu’on prenne en compte les conclusions présentées dans l’autre affaire.

34.  En réponse, le 6 juin 1997, le tribunal de district suspendit la procédure au motif que le requérant ne s’était pas acquitté dans les délais de la somme demandée. Le 8 juillet 1997, le requérant fit appel de la décision de suspension, rejeté le 27 août 1997.

35.  Le 21 octobre 1997, le requérant paya la somme demandée et le 12 décembre 1997, le tribunal leva la suspension.

36.  Le 16 décembre 1997, le dossier fut communiqué à l’expert. Le 9 mars 1998, l’expert refusa de rendre ses conclusions.

37.  Par un courrier du 11 mars 1998, le requérant demanda au tribunal des informations sur le déroulement de la procédure. Il n’eût aucune réponse.

38.  Le 20 mars 1998, le tribunal désigna un nouvel expert. Il rendit ses conclusions le 17 mars 1999. Le requérant y répondit les 7 et 9 juin 1999.

39.  Le 3 août 1999, le tribunal accueillit en partie la demande et alloua une certaine somme au requérant. Ce dernier ne fit pas appel de cette décision.

B.Procédure tendant à l’octroi au requérant d’une pension compensatoire

40.  En 1989, le requérant fut victime d’un accident de travail. A ce titre, le 23 juillet 1990 il se vit octroyer par son employeur une pension d’un certain montant. Ne pouvant reprendre ses fonctions à cause de son état de santé, le requérant entreprit, sans succès, des démarches afin de retrouver un nouvel emploi.

41.  Le requérant demanda dès lors à son employeur, la mine  Wujek  (ci-dessous l’employeur), une pension compensatoire, lequel la lui accorda jusqu’à un certain montant. Le requérant contesta ce montant en demandant que la somme des deux pensions perçues soit égale au salaire moyen pour le poste qu’il aurait pu occuper si l’accident n’avait pas eu lieu.

42.  Le 5 octobre 1992, le requérant introduisit une action devant le tribunal régional.

43.  A l’audience du 3 décembre 1992, le tribunal ordonna une expertise médicale de l’état de santé du requérant, somma l’autre partie au procès de fournir certains documents et demanda au centre de santé dans lequel était suivi l’intéressé de produire sa documentation médicale.

44.  La documentation médicale fut présentée au tribunal le 28 décembre 1993. En revanche, trois experts successifs refusèrent de procéder à l’expertise. Deux d’entre eux s’étaient prononcé sur l’état de santé du requérant dans d’autres procédures. Le troisième ne fournit aucun motif pour son refus.

45.  Le 9 juin 1993, l’autre partie au procès produisit la documentation demandée par le tribunal. L’expert finalement désigné rendit ses conclusions le 12 novembre 1993.

46.  A l’audience du 13 décembre 1993, le tribunal demanda au requérant de lui fournir les noms des salariés ayant travaillé avec lui.

47.  Le 28 février 1994, l’employeur du requérant proposa au représentant de celui-ci un arrangement. Le représentant refusa les conditions proposées. Le tribunal ajourna l’examen de l’affaire jusqu’au 21 mars 1994 afin de consulter directement l’intéressé. A cette date le requérant ne se présenta pas devant le tribunal. Son absence était due à son séjour à l’hôpital. Le tribunal nomma un expert et le chargea d’évaluer le montant de la pension due au requérant.

48.  Le requérant ne se présenta pas personnellement aux audiences du 25 avril, 23 et 30 mai 1994. Toutefois, le 23 mai 1994, son représentant proposa un arrangement.

49.  Le 13 juin 1994, le tribunal chargea un expert d’évaluer les causes de l’infirmité du requérant. L’académie de médecine de Katowice rendit ses conclusions le 9 août 1994.

50.  L’audience du 14 novembre 1994 fut ajournée à cause de l’absence de l’expert. Le 12 décembre 1994, le tribunal entendit l’expert et demanda aux parties de présenter leur conclusions.

51.  Le 15 février 1995, le requérant désigna un nouveau représentant. Le 20 mars 1995, il se présenta personnellement devant le tribunal.

52.  Le 31 mai 1995, l’expert chargé d’évaluer le montant de la pension due au requérant rendit ses conclusions. Le 30 juin 1995, le requérant présenta ses commentaires sur les conclusions de l’expert et ce dernier y répondit le 15 juillet 1995. Le requérant présenta ensuite quelques observations supplémentaires et l’expert rendit ses conclusions définitives le 25 septembre 1995. Le requérant y répondit le 19 octobre 1995.

53.  Le 9 décembre 1995, le requérant cita un témoin. Le tribunal chargea également l’expert ayant rendu ses conclusions quant au montant de la pension due de préparer des observations supplémentaires quant à l’indexation du montant proposé. L’expert présenta ses conclusions le 8 décembre 1995.

54.  Le 15 janvier 1996, le tribunal entendit le témoin du requérant. Le 26 février 1996, l’expert présenta quelques observations complémentaires à ses conclusions du 8 décembre 1995. Le tribunal les examina le 25 mars 1996 et fixa la date du jugement pour le 4 avril 1996.

55.  Le 29 mars 1996, l’expert présenta un deuxième complément d’informations. Le 4 avril 1996, le tribunal reporta le prononcé du jugement au 6 mai 1996. A cette date il reporta de nouveau le jugement au 20 mai 1996, date à laquelle il repoussa sa décision au 3 juin 1996. Entre-temps, le 28 mai 1998, l’expert rendit ses conclusions finales.

56.  Le 3 juin 1996, le tribunal régional alloua une certaine somme au requérant. Les juges, en résumé, prirent en compte deux périodes dans la vie du requérant depuis l’accident. La première prenait fin en 1993 et le montant de la pension compensatoire résultait de la différence entre la pension au titre de l’accident et les revenus moyens obtenus dans le secteur de l’activité du requérant. La seconde débutait en 1993 et le montant de la pension compensatoire était la différence entre la pension au titre de l’accident et la pension de retraite à laquelle le requérant avait droit depuis cette date.

57.  Le 1er juillet 1996, le requérant fit appel. Il contesta la solution adoptée et plus particulièrement le mode de calcul de la pension compensatoire après 1993. Selon lui, le tribunal devait prendre en compte le montant des revenus moyens dans le secteur de son activité et ne pas supposer qu’au vu de la situation générale dans le secteur minier, le requérant aurait été mis à la retraite anticipée en 1993, comme cela avait été le cas pour les autres mineurs avec la même ancienneté. Le départ anticipé à la retraite demeure selon lui une faculté pour l’individu et ne saurait constituer une obligation.

58.  Le 8 août 1996, le tribunal régional transmit le dossier du requérant à la juridiction d’appel.

59.  Le 30 décembre 1996, la cour d’appel rejeta l’appel. Elle repoussa les arguments du requérant et estima que selon les témoignages et statistiques versés au dossier, la supposition selon laquelle le requérant aurait été mis à la retraite anticipée comme la quasi-totalité de ses collègues à l’époque était fondée.

60.  Le 10 mars 1997, le requérant fit une demande de réouverture de la procédure. Le 22 avril 1997, la cour d’appel déclara sa demande irrecevable dans la mesure où il avait encore la possibilité d’introduire un pourvoi en cassation.

61.  Le 13 mai 1997, le conseil du requérant introduisit un pourvoi en cassation auprès de la Cour suprême. Le 26 novembre 1997, celle-ci déclara le pourvoi irrecevable, car il ne remplissait pas les conditions requises par la loi. Elle estima que le pourvoi se bornait à remettre en cause les faits tels qu’ils avaient été établis par les tribunaux inférieurs ainsi que l’appréciation des preuves versées au dossier.

62.  Le 17 mars 1998, le requérant adressa à la Cour suprême une demande de rétablissement du délai pour introduire un pourvoi en cassation et commettre un avocat d’office afin de rédiger ce dernier. Il estima que puisque la loi imposait qu’un pourvoi soit introduit par le biais d’un avocat et que le conseil choisi par le requérant avait failli à sa tâche, il incombait à la cour de lui désigner un autre avocat capable de rédiger le pourvoi dans les règles de l’art.

C.Procédure tendant à l’inscription du requérant dans la catégorie des invalides de deuxième degré

63.  En juin 1993, le requérant déposa auprès de la caisse de retraite (Zakład Ubezpieczeń Społecznych) une demande tendant à l’inclure dans la catégorie des invalides de deuxième degré (catégorie intermédiaire ; la numérotation allant en fonction de la gravité de l’atteinte à la santé de trois à un), définir en pourcentage l’altération de son état de santé et lui octroyer les avantages pécuniaires y afférents.

64.  Le collège médical, après avoir examiné le requérant, le 6 juillet 1994, rejeta sa demande et lui conserva la qualification de troisième degré d’invalidité.

65.  Quant aux autres demandes du requérant, la caisse de retraite ne put statuer à leur sujet car toute la documentation concernant l’état de santé de l’intéressé se trouvait au tribunal chargé de la procédure concernant le calcul de la pension compensatoire (§ 39 à 61 ci-dessus). Selon le requérant, toutes ses demandes adressées au tribunal ainsi que celles formulées par la caisse, d’accéder à la documentation n’ont trouvé aucune réponse auprès de la juridiction saisie de l’affaire. Ce n’est qu’en 1998 que la caisse put prendre connaissance du dossier. Dès lors, le 8 octobre 1998 elle rendit sa décision octroyant au requérant une prestation sociale d’un certain montant et lui reconnaissant une altération de 20 % de son état de santé.

66.  Le 30 novembre 1998, le requérant fit appel devant le tribunal régional et demanda la régularisation de sa pension au titre de l’accident du travail, depuis la date de l’introduction de sa demande auprès de la caisse, soit le 4 juin 1993, contrairement à la décision de la caisse du 8 octobre 1998 octroyant la prestation depuis 1995.

67.  La procédure est pendante devant le tribunal régional.

EN DROIT

I.SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION

68.  Le requérant invoque l’article 6 § 1 de la Convention, considérant que les procédures auxquelles il était partie ont connu une durée excessive.

L’article 6 § 1, en ses dispositions pertinentes, se lit ainsi :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) dans un délai raisonnable par un tribunal  indépendant et impartial (...) qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...). »

A.Périodes à prendre en considération

69.  La Cour considère que les périodes à prendre en considération sont les suivantes :

a) Procédure relative au trop-perçu par la coopérative : du 21 octobre 1991 au 3 août 1999, soit 7 ans, 9 mois et 13 jours. Toutefois, eu égard à sa compétence ratione temporis, la Cour ne peut prendre en considération que la période de 6 ans, 3 mois et 2 jours qui s’est écoulée depuis le 1er mai 1993, même si elle aura égard au stade qu’avait atteint la procédure à cette date (voir, par exemple, l’arrêt Kudła c. Pologne [GC], n° 30210/96, § 123, 26 octobre 2000, non publié).

b) Procédure tendant à l’octroi au requérant d’une pension compensatoire : du 5 octobre 1992 au 26 novembre 1997, soit 5 ans, 1 mois et 21 jours, dont 4 ans, 6 mois et 26 jours à prendre en considération au vu de la compétence ratione temporis de la Cour (voir l’arrêt Kudła précité).

c) Procédure tendant à l’inscription du requérant dans la catégorie des invalides de deuxième degré : depuis juin 1993 et toujours en cours, soit environ 8 ans et 5 mois. La Cour constate que le 30 novembre 1998, le requérant a interjeté appel contre la décision de la caisse devant le tribunal régional. Selon les informations fournies par l’intéressé, qui n’ont à aucun moment été contestées par le Gouvernement, la procédure est pendante devant ce tribunal. Toutefois, la Cour ne peut prendre en considération qu’environ 3 années, soit la durée de la procédure devant le tribunal régional. La procédure devant la caisse de retraite tendait à définir si le requérant avait droit à une certaine prestation sociale et ne portait dès lors pas sur une contestation au sens de l’article 6 de la Convention.

B.Caractère raisonnable de la durée des procédures

70.  La Cour appréciera le caractère raisonnable de la durée de la procédure à la lumière des circonstances de la cause et eu égard aux critères consacrés par sa jurisprudence, en particulier la complexité de l’affaire, le comportement du requérant et celui des autorités compétentes. A cette fin, il importe également de tenir compte de l’enjeu du litige pour le requérant (voir, parmi beaucoup d’autres, l’arrêt Portington c. Grèce du 23 septembre 1998, Recueil 1998-VI, p. 2630, § 21).

1.Procédure relative au trop-perçu par la coopérative

a)Complexité de l’affaire

71.  Les parties considèrent que l’affaire n’était pas complexe.

72.  La Cour ne juge pas nécessaire de s’écarter de leur point de vue.

b)Enjeu du litige

73.  Le Gouvernement affirme que la durée de la procédure n’a en rien affecté la situation du requérant. Il souligne que selon une jurisprudence établie de la Cour seules les affaires dans lesquelles les droits fondamentaux sont en jeu nécessitent une diligence particulière. Dans les litiges « ordinaires » une diligence normale est requise.

74.  Le requérant estime qu’indépendamment de l’enjeu du litige, les autorités judiciaires ont un devoir implicite de diligence.

75.  La Cour considère que même si le litige n’affectait pas directement la situation matérielle du requérant, il pouvait revêtir une certaine importance.

c)Comportement du requérant

76.  Le Gouvernement estime que le requérant a contribué à prolonger la procédure. Il souligne, d’une part, que sa demande du 24 juin 1993 de suspendre la procédure a retardé les débats quant au fond de 2 ans, 5 mois et 14 jours. Il rappelle, d’autre part, que dans la mesure où le requérant avait refusé de régler les frais de l’expertise ordonnée par le tribunal le 30 avril 1997 (paragraphe 32 ci-desssus), la procédure a été suspendue pendant 6 mois et 6 jours (paragraphe 33 ci-dessus).

77.  Le requérant affirme que la procédure n’a pas été suspendue à sa demande, mais sur proposition du tribunal chargé de l’affaire. Il souligne que pendant toute la durée de la procédure il a informé les autorités judiciaires des retards, a demandé à plusieurs reprises la levée de la suspension et a mis l’accent sur le courrier du ministre de la Justice du 13 juillet 1993 demandant un suivi particulier du déroulement des actes (paragraphe 21 ci-dessus).

Quant à l’argument du Gouvernement selon lequel le fait d’avoir refusé de s’acquitter des frais de l’expertise a retardé la procédure de 6 mois, le requérant rappelle que son refus était légitime puisqu’en définitive, dans la décision finale du 3 août 1999 accueillant en partie sa demande (paragraphe 38 ci-dessus), le tribunal avait condamné la coopérative à lui rembourser la somme payée.

78.  La Cour considère que le requérant n’a pas entravé le déroulement de la procédure. Il a suivi le déroulement des actes et dans la mesure où la maladie l’a empêché de se présenter aux audiences son représentant a été présent. Quant à l’argument de la suspension de la procédure, la Cour observe, d’une part, qu’elle a été proposée aux parties par le tribunal chargé de l’affaire (paragraphe 22 ci-dessus)- version des faits qui n’a pas été contestée par le Gouvernement à la suite des explications apportées par le requérant et elle constate, d’autre part, que le requérant est intervenu auprès du tribunal, sans succès, à plusieurs reprises, pour lever la suspension.

d)Comportement des autorités judiciaires

79.  Le Gouvernement considère, sans donner de précisions, que les autorités judiciaires ont apporté à l’affaire toute la diligence nécessaire.

80.  Le requérant combat les thèses du Gouvernement.

81.  La Cour relève principalement le fait que la demande du requérant du 8 décembre 1995 (paragraphe 27 ci-dessus) de lever la suspension, a été accueillie seulement au bout d’un an- le 10 janvier 1997 (paragraphe 29 ci-dessus)- alors que la procédure pour laquelle elle avait été ordonnée était terminée depuis le 30 mai 1995 (paragraphe 26 ci-dessus). Elle constate également que déjà dans la première phase de la procédure, le ministre de la Justice avait attiré l’attention des tribunaux sur le fait que la procédure nécessitait une diligence particulière (paragraphe 21 ci-dessus).

82.  Tout cela amène la Cour à considérer que les autorités judiciaires n’ont pas apporté toute la diligence nécessaire au bon déroulement des actes.

e)Conclusion

83.  En conclusion, eu égard à l’ensemble des circonstances de la cause, la durée de la procédure est déraisonnable.

Il y a donc eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.

2.Procédure tendant à l’octroi au requérant d’une pension compensatoire

a)Complexité de l’affaire

84.  Le Gouvernement estime que l’affaire était particulièrement complexe. Il rappelle, d’une part, que le tribunal devait nommer plusieurs experts en médecine appelés à se prononcer sur l’état de santé du requérant ce qui a retardé l’examen de l’affaire de huit mois au total. Il souligne, d’autre part, que dans la mesure où l’inflation progressait, le tribunal était tenu de faire calculer le montant de la pension par un expert en économie. Il précise enfin que le laps de temps écoulé entre l’accident et la présente procédure rendait la tâche des tribunaux plus difficile.

85.  Le requérant estime que l’affaire n’était pas complexe dans la mesure où la documentation sur son état de santé était disponible auprès de la caisse de retraite dont le collège médical avait fait une évaluation en 1990.

86.  La Cour admet que l’affaire nécessitait de nombreuses expertises médicales et que le laps de temps écoulé rendait difficile l’appréciation de l’état de santé du requérant au moment de l’accident. Toutefois, elle considère qu’à elle seule, la complexité de l’affaire ne saurait justifier la durée de la procédure.

b)Enjeu du litige

87.  Le Gouvernement renvoie la Cour aux arguments exprimés quant à la procédure tendant à inclure le trop perçu par la coopérative dans les dépenses courantes (paragraphe 72 ci-dessus).

88.  Le requérant souligne l’importance de l’enjeu du litige.

89.  La Cour considère que dans la mesure où l’enjeu du litige concernait le montant de la pension du requérant influençant ainsi directement son niveau de vie, le Gouvernement ne saurait affirmer que la durée de la procédure n’a en rien affecté la situation de l’intéressé.

c)Comportement du requérant

90.  Le Gouvernement affirme que le requérant est en majeure partie responsable de la durée de la procédure.

91.  Le requérant estime qu’on ne saurait lui reprocher le fait d’avoir demandé à répondre aux conclusions des experts. Il souligne qu’il incombe au tribunal de mener les débats de façon à ne pas prolonger la procédure et qu’en l’espèce, à aucun moment, le juge chargé de l’affaire ne lui fit le reproche de prolonger la procédure.

92.  La Cour considère que le requérant ne saurait être tenu pour responsable de la durée de la procédure. Le fait de répondre aux conclusions des experts constitue une garantie du droit à un procès équitable et ne peut être reproché à une partie au procès.

d)Comportement des autorités judiciaires

93.  Le Gouvernement considère que les autorités judiciaires ont apporté à l’affaire la diligence nécessaire.

94.  Le requérant, quant à lui, estime que les expertises médicales demandées par le tribunal étaient inutiles, alors que ce dernier disposait d’une documentation complète et récente sur son état de santé établie en 1990 au moment ou la caisse de retraite lui avait octroyé une pension à cause de son accident de travail (paragraphe 39 ci-dessus). Cela, selon le requérant, a prolongé inutilement la procédure de trois ans.

95.  La Cour considère que les expertises demandées par les tribunaux peuvent être considérées comme la cause principale de la durée de la procédure. Toutefois, à elles seules elles ne sauraient justifier la durée globale de la procédure.

96.  La Cour réaffirme qu’il incombe aux Etats contractants d’organiser leur système judiciaire de telle sorte que leurs juridictions puissent garantir à chacun le droit d’obtenir une décision définitive sur les contestations relatives à ses droits et obligations de caractère civil dans un délai raisonnable (voir, parmi beaucoup d’autres, Frydlender c. France [GC], n° 30979/96, CEDH 2000, § 45).

e)Conclusion

97.  En conclusion, eu égard à l’ensemble des circonstances de la cause, la durée de la procédure est déraisonnable.

Il y a donc eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention

3.Procédure tendant à l’inscription du requérant dans la catégorie des invalides de deuxième degré

a)Complexité de l’affaire

98.  Les parties ne se prononcent pas sur la question.

99.  La Cour considère que l’affaire n’était pas d’une complexité particulière. Il s’agissait pour la caisse et les tribunaux de définir l’état de santé du requérant et en fonction du résultat d’inclure ce dernier ou pas dans la catégorie des invalides.

b)Enjeu du litige

100.  Les parties ne se prononcent pas sur la question.

101.  La Cour réaffirme sont point de vue selon lequel une procédure concernant les questions sociales revêt une importance particulière pour le requérant.

c)Comportement du requérant

102.  Les parties ne se prononcent pas sur la question.

103.  La Cour constate que devant la caisse de retraite et de l’assurance maladie le requérant ne disposait d’aucun moyen pour faire accélérer l’examen de sa demande.

d)Comportement des autorités judiciaires

104.  Le Gouvernement soutient que la procédure devant les organes de la caisse de retraite ne peut être considérée comme judiciaire au sens de l’article 6 de la Convention.

105.  Le requérant souligne que depuis le 30 novembre 1998, date à compter de laquelle la procédure se déroule devant le tribunal régional, une seule audience a été fixée.

106.  La Cour rappelle que la procédure a été pendante devant la caisse de retraite pendant environ cinq années. Elle relève également une période d’inactivité de trois années, non contestée par le Gouvernement, au cours de laquelle une seule audience a été fixée par le tribunal chargé de l’affaire et que celle-ci est toujours pendante devant le tribunal en question.

107.  Dès lors, la Cour considère que les autorités polonaises n’ont pas apporté à l’affaire la diligence nécessaire.

e)Conclusion

108.  En conclusion, eu égard à l’ensemble des circonstances de la cause, et en particulier à l’importance de l’issue du litige pour le requérant, la durée de la procédure est déraisonnable.

Il y a donc violation de l’article 6 § 1 de la Convention

II.  SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

109.  Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A.Dommage

110.  Le requérant réclame pour dommage matériel la somme de 137 000 zlotys polonais (PLN).

111.  Le Gouvernement ne se prononce pas sur la question.

112.  Sur la base des éléments dont elle dispose, la Cour conclut que le requérant n’a pas démontré de manière convaincante avoir subi, du fait de la durée des procédures un dommage matériel. En conséquence, rien ne justifie qu’elle lui accorde une indemnité de ce chef.

113.  En revanche, la Cour admet que le requérant a subi pour les trois procédures incriminées un préjudice moral que ne compense pas suffisamment le constat de violation. Statuant en équité elle alloue à l’intéressé 50 000 zlotys polonais (PLN) à ce titre.

B.Frais et dépens

114. Le requérant sollicite pour ses frais et dépens la somme de 43 402 zlotys polonais (PLN).

115.  Le Gouvernement ne se prononce pas sur la question.

116.  La Cour statuant en équité juge raisonnable d’allouer à l’intéressé la somme de 10 000 zlotys polonais (PLN).

C.Intérêts moratoires

117.  Selon les informations dont dispose la Cour, le taux d’intérêt légal applicable en Pologne à la date d’adoption du présent arrêt était de 30 % l’an.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1.Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention quant à la procédure relative au trop-perçu par la coopérative ;

2.Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention quant à la procédure tendant à l’octroi au requérant d’une pension compensatoire ; 

3.Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention quant à la procédure tendant à l’inscription du requérant dans la catégorie des invalides de deuxième degré ; 

4.Dit

a)  que l’Etat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention les sommes suivantes :

i.  50 000 PLN (cinquante mille zlotys polonais) pour dommage moral ;

ii.  10 000 PLN (dix mille zlotys polonais) pour frais et dépens, plus tout montant pouvant être dû au titre de la taxe sur la valeur ajoutée ;

b)  que ces montants seront à majorer d’un intérêt simple de 30% l’an à compter de l’expiration de ce délai et jusqu’au versement ;

5.Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 20 décembre 2001 en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Vincent BERGER Georg Ress
GreffierPrésident

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Textes cités dans la décision

  1. Code de procédure civile
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CEDH, Cour (quatrième section), AFFAIRE ZAWADZKI c. POLOGNE, 20 décembre 2001, 34158/96