Tribunal de grande instance de Paris, 3e chambre 3e section, 2 décembre 2011, n° 10/01724

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
TGI Paris, 3e ch. 3e sect., 2 déc. 2011, n° 10/01724
Juridiction : Tribunal de grande instance de Paris
Numéro(s) : 10/01724

Sur les parties

Texte intégral

T R I B U N A L

D E GRANDE

I N S T A N C E

D E P A R I S

3e chambre 3e section

N° RG :

10/01724

N° MINUTE :

Assignation du :

06 Janvier 2010

JUGEMENT

rendu le 02 Décembre 2011

DEMANDERESSE

Société LE JACQUARD FRANCAIS SARL

[…]

[…]

représentée par Me Pauline BLANDIN, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #D0586

DÉFENDEURS

Monsieur Y X

[…]

[…]

Société D E SARL

[…]

[…]

MAISON DE PROVENCE SARL

[…]

[…]

représentés par Me Naomi FABRE, avocat au barreau de PARIS, vestiaire P562,Me Céline NIEDERKORN, GD Société d’Avocats, avocat au barreau de Nimes,

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Marie SALORD, Vice-Président, signataire de la décision

Z A, Juge,

B C, Juge

assistée de Marie-Aline PIGNOLET, Greffier, signataire de la décision

DÉBATS

A l’audience du 27 Septembre 2011, tenue publiquement, devant Marie SALORD , Z A , juges rapporteurs, qui, sans opposition des avocats, ont tenu seules l’audience, et, après avoir entendu les conseils des parties, en ont rendu compte au Tribunal, conformément aux dispositions de l’article 786 du Code de Procédure Civile

JUGEMENT

Prononcé par remise de la décision au greffe

Contradictoire

en premier ressort

EXPOSE DU LITIGE

La société LE JACQUARD FRANÇAIS, créée en 1912, a pour activité la conception, la fabrication et la vente en gros et au détail de toiles de linge de table et de maison. Elle est spécialisée dans le linge damassé haut de gamme et revendique des produits tissés en France.

La société LE JACQUARD FRANÇAIS a déposé le modèle français de nappe rectangulaire Villa Toscane le 24 mars 2006 enregistré sous le n° 061500, publié sous le numéro 779 188 et le même modèle à l’OHMI le 5septembre 2006, enregistré sous le n° 000584073-0002. Elle commercialise cette nappe depuis le milieu de l’année 2006 sous la référence Villa Toscane en plusieurs coloris (ardoise (rouge/violet), marbre (blanc/gris), argile (kaki/jaune/orangé)).

La société LE JACQUARD FRANÇAIS a découvert qu’étaient exploitées dans le commerce, sous la marque Sud Etoffe, dont est titulaire Monsieur Y X, des nappes qui reprendraient les éléments caractéristiques des produits de la gamme Villa Toscane, à savoir la composition constituée par le quadrillage de larges bandes, des motifs identiques et positionnés de la même façon. Elle dit avoir constaté que ces nappes étaient commercialisées sur le site , qui serait exploité par la société D TEXTILE.

La société LE JACQUARD FRANÇAIS a alors procédé à l’acquisition de deux nappes au magasin à l’enseigne LA MAISON DE PROVENCE sis à AVIGNON. Cet achat a fait l’objet d’un procès-verbal de constat dressé le 10 juillet 2009 qui établit que les nappes sont commercialisées dans les coloris orange/violet et revêtues de la marque “Sud Etoffe”.

La société LE JACQUARD FRANÇAIS a mis en demeure par courrier du 28 juillet 2009 Monsieur Y X de cesser de commercialiser les nappes référencées Cavaillon et de lui donner des éléments d’information sur l’origine et les quantités des produits.

En l’absence de réponse, c’est dans ce contexte que, par actes d’huissier en date des 6, 12 et 21 janvier 2010, la société LE JACQUARD FRANÇAIS a assigné devant le tribunal de grande instance de Paris Monsieur Y X et les sociétés D E et LA MAISON DE PROVENCE aux fins de les voir condamner pour contrefaçon et concurrence déloyale.

Dans ses dernières écritures du 29 mars 2011, la société LE JACQUARD FRANÇAIS demande au tribunal, sous le bénéfice de l’exécution provisoire, de:

— la déclarer recevable et bien fondée en ces demandes formées à l’encontre de Monsieur X, D E et LA MAISON DE PROVENCE.

— constater que les nappes « Villa Toscane » bénéficient de la protection des livres I, III et V du code de la propriété intellectuelle,

— dire et juger que les nappes fabriquées et commercialisées par Monsieur X ainsi que par les sociétés D E et LA MAISON DE PROVENCE constituent la contrefaçon des droits d’auteurs et des modèles de nappes « Villa Toscane » de la société LE JACQUARD FRANÇAIS,

— dire et juger qu’en produisant, en commercialisant et en distribuant lesdites nappes, de médiocre qualité, et à vil prix, Monsieur X ainsi que les sociétés D E et LA MAISON DE PROVENCE se sont rendues coupables de concurrence déloyale et d’agissements parasitaires à son encontre,

Dés à présent,

— faire interdiction à Monsieur X ainsi qu’aux sociétés D E et LA MAISON DE PROVENCE de poursuivre, directement ou indirectement, la fabrication, la commercialisation et la distribution, sous quelque intitulé que ce soit, des nappes contrefaisantes, et ce sous astreinte provisoire de 3.000 euros par infraction constatée,

— faire injonction à Monsieur X ainsi qu’aux sociétés D E et LA MAISON DE PROVENCE de retirer ou faire retirer de la circulation les produits litigieux, au besoin en les rappelant auprès de leurs distributeurs et/ou clients, et ce sous astreinte provisoire de 3.000 euros, par infraction constatée,

— ordonner la destruction, aux frais des défenderesses de l’intégralité des stocks des produits jugés contrefaisants, sous astreinte de 5.000 euros par jour de retard passé le délai de 15 jours suivants la signification du jugement à intervenir,

— ordonner la production de tous documents ou information détenus par les défenderesses afin de déterminer l’origine et les réseaux de distribution des produits contrefaisants et notamment les noms, adresses des producteurs, fabricants, distributeurs et détaillants des produits contrefaisants ainsi que les quantités produites, commercialisées, livrées et commandées,

— condamner in solidum Monsieur X ainsi que les sociétés D E et LA MAISON DE PROVENCE à lui payer la somme de 75.000 euros, à titre de provision, sur dommages intérêts en réparation du préjudice commercial né des actes de contrefaçon de ses droits d’auteur et de ses modèles, avec exécution provisoire et sans constitution de garantie,

En tout état de cause,

— condamner in solidum Monsieur X ainsi que les sociétés D E et LA MAISON DE PROVENCE à lui payer la somme de 100.000 euros, en réparation de son préjudice d’image, avec exécution provisoire et sans constitution de garantie,

— ordonner l’insertion par extraits du jugement à intervenir, dans trois quotidiens et trois publications non quotidiennes, aux choix de la société le JACQUARD FRANÇAIS et aux frais avancés de Monsieur X ainsi que des sociétés D E et LA MAISON DE PROVENCE, sans que le coût de chacune de ces insertions ne dépasse 7.000 euros HT, avec exécution provisoire et sans constitution de garantie.

— condamner Monsieur X ainsi que les sociétés D E et LA MAISON DE PROVENCE à publier sur la page d’accueil du site www.sudetoffe.fr un communiqué reprenant, par extraits, la décision à intervenir pendant une durée de 30 jours, à compter de la signification de la décision à intervenir, sous astreinte de 1500 €, par jour de retard,

— condamner in solidum Monsieur X ainsi que les sociétés D E et LA MAISON DE PROVENCE à payer, chacun, à la société LE JACQUARD FRANÇAIS la somme de 5.000 euros, TVA en sus, sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

— condamner in solidum Monsieur X ainsi que les sociétés D E et la MAISON DE PROVENCE aux entiers dépens d’instance.

La société JACQUARD FRANÇAIS s’oppose à la demande de mise hors de cause de la société D E dans la mesure où son nom figure sur le site internet avec un numéro siret qui correspond à celui de la société MAISON DE PROVENCE et que la confusion entre ces deux sociétés nécessite le maintien dans la cause de la société D E.

Elle soutient que les motifs et la composition de la nappe, qui constitue une création originale, résultent de choix arbitraires. Elle précise qu’elle ne s’approprie pas des droits sur un genre de nappe associant des motifs floraux et quadrillage mais sur une composition particulière associant de façon spécifique divers éléments géométriques et floraux et diverses couleurs et que les pièces versées par les défendeurs ne démontrent pas que des nappes reproduisent les motifs de la nappe Villa Toscane. S’agissant de la protection au titre des dessins et modèles, elle relève que les défendeurs ne produisent aucune antériorité portant sur la combinaison spécifique des différents éléments de la nappe Villa Toscane.

Elle fait valoir que la concurrence déloyale et les agissements parasitaires sont constitués par la commercialisation de nappes reprenant les même motifs qui créent une confusion dommageable dans l’esprit du public. Elle ajoute qu’il est tiré parti de sa notoriété par la vente de produits à des prix sans commune mesure et dans une qualité non comparable. Elle souligne que ses investissements industriels et efforts commerciaux représentent un coût très important et que les défendeurs ont porté atteinte à son image de marque, banalisé et avilit ses produits par la commercialisation de nappes de piètre qualité et de bas prix.

Elle estime avoir subi un préjudice commercial, qui comprend ses dépenses en matière de création et de publicité pour promouvoir la gamme Toscane, un préjudice d’image compte tenu de l’association des produits litigieux avec ceux qu’elle propose, qui dévalorise son image de marque compte tenu de leur niveau de qualité sans rapport avec les siens. Elle estime que la marge brute réalisée par les défendeurs s’élève à 32.360 euros.

Elle forme une demande au titre du droit d’information pour déterminer l’origine des produits contrefaisants.

Elle ajoute que la seule attestation du responsable du dépôt ne suffit pas à justifier que le stock a été détruit.

Dans leurs dernières conclusions du 31 mai 2011, Monsieur Y X et les sociétés D E et LA MAISON DE PROVENCE demandent au tribunal de :

— les recevoir en leur action et les déclarer bien fondés,

— déclarer irrecevable la demande de la société LE JACQUARD FRANÇAIS formulée à l’encontre de la société D E,

— débouter la société LE JACQUARD FRANÇAIS de ses demandes, fins et conclusions,

— condamner la société LE JACQUARD FRANÇAIS à payer à la société LA MAISON DE PROVENCE et à Monsieur X la somme de 2.500 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile,

— la condamner aux dépens en vertu des dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

Ils soutiennent que la société D E n’a jamais été exploitée de sorte qu’elle doit être mise hors de cause.

Ils font valoir que la nappe “villa Toscane” est dépourvue d’originalité, si bien qu’elle n’est pas protégeable au titre du droit d’auteur compte tenu de ses éléments ayant un caractère banal dans leur impression visuelle séparée et dans celle prise dans son ensemble compte tenu de l’emploi de volutes, vasques et rosaces, ces motifs relevant du domaine public et l’intersection de différentes bandes et de traits constituant un procédé plus qu’usuel en matière de linge de la table. Ils ajoutent que la combinaison de ces éléments ne reflète aucune créativité, de nombreux produits de linges de maison arborant la même présentation, ces modèles étant très courants dans la région du Sud-Est où est implantée la société LA MAISON DE PROVENCE dont les créations sont influencées par les cultures hispanique et italienne.

S’agissant de la protection au titre des dessins et modèles, ils font valoir que la nappe Villa Toscane est dépourvue de nouveauté puisqu’avant le dépôt du modèle, d’autres marques spécialisées présentaient des articles similaires.

Ils s’opposent aux demandes au titre de la concurrence déloyale, l’impression d’ensemble dégagée par les nappes différant en raison de leur mode de fabrication, les articles Cavaillon étant en polyester, plus souples et froissables que ceux de la demanderesse en coton, de dimension et de couleur différentes. Ils ajoutent que leurs nappes correspondent à un phénomène de mode, de sorte qu’elles ne peuvent être sanctionnées au titre de la concurrence déloyale.

S’agissant du préjudice, ils font valoir que son existence n’est pas démontrée, aucun élément ne permettant de déterminer la perte subie et le gain manqué et relèvent n’avoir commercialisé la nappe litigieuse que pendant 4 mois, la commercialisation ayant cessé en juillet 2009, dans une zone géographique limitée, que les sociétés ont des clientèles différentes, la sienne étant peu fortunée. Ils mettent en exergue le fait que la demanderesse fixe le chiffre d’affaires de la société LA MAISON DE PROVENCE en incluant les serviettes de tables qui ne sont pas en cause dans le cadre de la présente action et des nappes dimensionnées 150 X 130 exclues des débats. Ils ajoutent que la demanderesse ne justifie pas de ses investissements de création et de ses dépenses publicitaires pour le produit en cause. Ils prétendent enfin avoir détruit le stock et donné les éléments sollicités au titre du droit d’information.

La clôture de l’instruction a été prononcée le 21 juin 2011.

MOTIVATION

Sur la protection au titre du droit d’auteur de la nappe Villa Toscane

L’article L.111-1 du code de la propriété intellectuelle dispose que l’auteur d’une oeuvre de l’esprit jouit sur cette oeuvre, du seul fait de sa création, d’un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous, comportant des attributs d’ordre intellectuel et moral ainsi que des attributs d’ordre patrimonial.

Le droit de l’article susmentionné est conféré, selon l’article L.112-1 du même code, à l’auteur de toute oeuvre de l’esprit, quels qu’en soit le genre, la forme d’expression, le mérite ou la destination.

Il se déduit de ces dispositions le principe de la protection d’une oeuvre sans formalité et du seul fait de la création d’une forme originale.

En l’espèce, les défendeurs contestent l’originalité de la nappe Villa Toscane au motif que les éléments la composant sont dans le domaine public et que leur combinaison n’est pas protégeable.

Il appartient à celui qui s’en prétend auteur d’identifier les éléments traduisant l’empreinte de sa personnalité, tâche qui ne peut revenir au tribunal qui n’est par définition pas l’auteur des oeuvres et ne peut substituer ses impressions subjectives aux manifestations de la personnalité de l’auteur.

Ainsi, le tribunal ne peut ni porter de jugement sur la qualité de l’oeuvre qui lui est soumise ni imposer ses choix ou ses goûts ; il ne peut qu’apprécier le caractère protégeable de l’oeuvre au vu des éléments revendiqués par l’auteur et des contestations émises par ses contradicteurs.

En l’espèce, la société LE JACQUARD FRANÇAIS soutient que les choix créatifs suivants ont été opérés :

- un quadrillage de larges bandes formant des cases de tailles et de couleurs différentes sur lesquelles sont reproduits des motifs géométriques et floraux,

- dans les quatre coins de la nappe qui sont composés de 9 cases formant un carré sur lequel figurent des petits motifs géométriques de couleurs différentes selon la couleur de la case sur laquelle ils sont placés,

- ces 9 cases sont agrémentées :

* de rosaces alignées qui sont présentes dans quatre cases formant une croix au centre de laquelle figure un motif en losange composé de quatre pétales,

* en diagonale de ce motif vers le coin extérieur de la nappe figure un motif type flocons et à l’opposé un motif en carré composé de quatre coeurs et quatre époées,

* les deux dernières cases du carré de 9 cases ne présentent aucun motif,

- partant du centre, est présent un grand motif en forme de croix symétrique pour la nappe carrée et d’une double croix symétrique pour la nappe rectangulaire ; ce motif est composé de vasques, de fleurs, de volutes, de rosaces et d’arabesques, part du centre de la nappe et se prolonge chevauchant les bandes jusqu’au bord de la nappe”.

Le tribunal constate que les captures d’écran produites par les défendeurs portant sur des nappes sont toutes datées du 28 juin 2010 et n’établissent aucune date de création. Elles ne peuvent donc pas démontrer l’absence d’originalité de la nappe Villa Toscane, créée en 2006.

Si les motifs composant la nappe, rosaces, flocons, pétales, vasques, fleurs, volutes, appartiennent bien au domaine public, leur combinaison et agencement particulier revendiqués par la demanderesse lui confèrent une physionomie propre du fait de l’assemblage des bandes de rayures de différentes couleurs avec les motifs ornementaux dont la combinaison est particulière, ce qui démontre l’effort créatif et le parti pris esthétique portant l’empreinte de la personnalité de leur auteur, leur donnant ainsi une originalité susceptible de protection au titre du droit d’ auteur.

En conséquence, la nappe Villa Toscane bénéficie de la protection par le droit d’auteur.

Sur la protection par le droit des modèles

En vertu de l’article L. 511-2 du code de la propriété intellectuelle “Seul peut être protégé le dessin ou modèle qui est nouveau et présente un caractère propre.”

Selon l’article L. 511-3 du même code : “un dessin ou modèle est regardé comme nouveau si, à la date de dépôt de la demande d’enregistrement ou à la date de la priorité revendiquée, aucun dessin ou modèle identique n’a été divulgué. Des dessins ou modèles sont considérés comme identiques lorsque leurs caractéristiques ne diffèrent que par des détails insignifiants”.

Par ailleurs, aux termes de l’article 4 alinéa 1er du règlement (CE) n° 6/2002 du 12 décembre 2001, la protection d’un dessin ou modèle par un dessin ou modèle communautaire n’est assurée que dans la mesure où il est nouveau et présente un caractère individuel.

En application des articles 5 et 6 dudit règlement, un dessin ou modèle est considéré comme nouveau si aucun dessin ou modèle identique n’a été divulgué au public et comme présentant un caractère individuel si l’impression globale qu’il produit sur l’utilisateur averti diffère de celle que produit sur un tel utilisateur tout dessin ou modèle qui a été divulgué au public :

b) dans le cas d’un dessin ou modèle communautaire enregistré, avant la date de dépôt de la demande d’enregistrement ou si une priorité est revendiquée, avant la date de priorité.

En l’espèce, le tribunal constate que le dépôt du modèle Villa TOSCANE date du 24 mars 2006 et que les défendeurs ne produisent aucune antériorité détruisant la nouveauté. En outre, ils ne contestent pas le caractère propre du modèle.

En conséquence, les modèles français n° 061500 et communautaires n° 000584073-0002 Villa Toscane sont valables.

Sur la contrefaçon

Au titre du droit d’auteur

En vertu de l’article L. 122-4 du code de la propriété intellectuelle, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite.

En l’espèce, la demanderesse reproche la commercialisation d’une nappe reproduisant les caractéristiques de la nappe Villa Toscane et la contrefaçon n’est pas contestée par les défendeurs.

Il résulte de l’examen visuel des produits en cause que la nappe arguée de contrefaçon reproduit les éléments caractéristiques et revendiqués par la demanderesse à savoir l’association des bandes géométriques de différentes couleurs sur lesquels figurent des motifs spécifiques, selon la même combinaison et aux même emplacements, produisant ainsi une impression d’ensemble identique que les quelques différences relevées ne sont de nature ni à faire disparaître ni à atténuer.

La contrefaçon de droit d’auteur est donc caractérisée.

Au titre du modèle

En vertu de l’article L. 513-4 du code de la propriété intellectuelle, “sont interdits, à défaut de consentement du propriétaire du dessin ou modèle, la fabrication, l’offre, la mise sur le marché, l’importation, l’exportation, l’utilisation ou la détention à ces fins, d’un produit incorporant le dessin ou modèle”, ces actes constituant des actes de contrefaçon selon les dispositions de l’article L. 521-1 du même code.

L’article L 513-5 du même code dispose que “la protection conférée par l’enregistrement d’un dessin ou modèle s’étend à tout dessin ou modèle qui ne produit pas sur l’observateur averti une impression visuelle d’ensemble différente”.

Aux termes de l’article L.515-1 du code de la propriété intellectuelle, toute atteinte aux droits définis par l’article 19 du règlement (CE) n° 6/2002 du Conseil, du 12 décembre 2001, sur les dessins ou modèles communautaires constitue une contrefaçon engageant la responsabilité civile de son auteur.

L’article 19 susvisé dispose que le dessin ou modèle communautaire enregistré confère à son titulaire le droit exclusif de l’utiliser et d’interdire à tout tiers de l’utiliser sans son consentement et que par utilisation au sens de la présente disposition, on entend en particulier la fabrication, l’offre, la mise sur le marché, l’importation, l’exportation ou l’utilisation d’un produit dans lequel le dessin ou modèle est incorporé ou auquel celui-ci est appliqué, ou le stockage du produit à ces mêmes fins.

L’article 10 du règlement (CE) n° 6/2002 du Conseil, du 12 décembre 2001 précise que la protection conférée par le dessin ou modèle communautaire s’étend à tout dessin ou modèle qui ne produit pas sur l’utilisateur averti une impression visuelle globale différente.

Ces actes de contrefaçon ne sont pas plus contestés par les défendeurs.

En l’espèce, l’examen visuel attentif des modèles déposés et de la nappe commercialisée par la société LA MAISON DE PROVENCE permet au tribunal de constater que cette nappe reproduit les caractéristiques essentielles du modèle Villa Toscane tel que déposé de telle sorte qu’il produit chez l’observateur averti, en l’espèce un consommateur s’intéressant à la décoration intérieure et aux arts de la table, une impression visuelle d’ensemble identique à celle du modèle français et communautaire et en constitue la contrefaçon.

Sur la concurrence déloyale et le parasitisme

La concurrence déloyale doit être appréciée au regard du principe de la liberté du commerce qui implique qu’un signe qui ne fait pas l’objet de droits de propriété intellectuelle, puisse être librement reproduit, sous certaines conditions tenant à l’absence de faute par la création d’un risque de confusion dans l’esprit de la clientèle sur l’origine du produit, circonstance attentatoire à l’exercice paisible et loyal du commerce.

L’appréciation de la faute au regard du risque de confusion doit résulter d’une approche concrète et circonstanciée des faits de la cause prenant en compte notamment le caractère plus ou moins servile, systématique ou répétitif de la reproduction ou de l’imitation, l’ancienneté d’usage, l’originalité, la notoriété de la prestation copiée.

En l’espèce, il est reproché des actes de concurrence déloyale constitués par le fait de rechercher la confusion et de vendre à un prix inférieur la copie servile d’une nappe de moindre qualité.

Si les griefs tenant à la commercialisation à un prix très inférieur et dans une moindre qualité, en l’espèce en polyester plutôt qu’en “coton peigné longues fibres” d’une copie de la nappe, sont susceptibles d’aggraver le préjudice résultant de la contrefaçon laquelle se définit comme la reproduction de l’oeuvre ou du modèle sans l’autorisation de son auteur, ils ne constituent pas des faits distincts de concurrence déloyale mais seront pris en considération dans l’évaluation de l’indemnité réparatrice du préjudice subi.

Le parasitisme économique est caractérisé par la circonstance selon laquelle une personne physique ou morale, à titre lucratif et de façon injustifiée, s’inspire ou copie une valeur économique d’autrui, individualisée et procurant un avantage concurrentiel, fruit d’un savoir faire, d’un travail intellectuel et d’investissements.

En l’espèce, le parasitisme n’est pas constitué dès lors que les parties exercent sur le même marché et sont en situation de concurrence. Par ailleurs, les faits incriminés au titre du parasitisme ne sont pas plus distincts de ceux sanctionnés au titre de la contrefaçon.

La société LE JACQUARD FRANÇAIS sera donc déboutée de sa demande à ce titre.

Sur la demande de mise hors de cause de la société D E

Il résulte des extraits de pages du site internet en date du 9 juillet 2007, qui propose à la vente les produits “Sud Etoffe”, qu’est mentionnée la société D E. Son extrait Kbis indiqué sur le site reprend le numéro Siret de la société LA MAISON DE PROVENCE.

L’extrait Kbis de la société D E indique “sans exploitation”. Cependant, les défendeurs ne rapportent pas la preuve que cette société a été radiée mais produisent l’extrait Kbis en date du 30 juin 2010 de la société LE MOULIN DES GAFFINS, créé le 1er avril 2010, soit postérieurement aux faits reprochés, qui a le même numéro d’immatriculation, la même date de constitution et le même numéro de constitution, étant relevé qu’elle a une activité de location de salles de réception, organisation de réception et de séminaires.

En tout état de cause, le tribunal relève que la société LE JACQUARD FRANÇAIS ne rapporte pas la preuve que les nappes litigieuses ont été commercialisées sur le site , le seul fait que le nom de cette société apparaisse sur un site internet reprenant la marque des nappes litigieuses étant insuffisant à établir l’existence d’actes de contrefaçon imputables à la société D E. En conséquence, la mise hors de cause de la société D E doit être ordonnée.

Sur les mesures réparatrices

Il résulte des articles L.331-1-3 et L.521-7 du code de propriété intellectuelle que pour fixer les dommages et intérêts, la juridiction prend en considération les conséquences économiques négatives dont le manque à gagner, subies par la partie lésée, les bénéfices réalisés par le contrefacteur et le préjudice moral causé au titulaire des droits du fait de l’atteinte.

La nappe Villa Toscane commercialisée par la société LE JACQUARD FRANÇAIS est représentée dans les catalogues à destination des professionnels et dans ceux pour le public de la collection 2007 et 2010, pour un prix de vente au public entre 99 euros (175 cm X 175 cm) et 279 euros (220 X 230). Cependant, la demanderesse ne donne aucun élément sur les quantités de nappe qu’elle a vendus et le chiffre d’affaires généré.

Si la société JACQUARD FRANÇAIS verse de nombreuses factures portant notamment sur ses investissements en création et communication, force est de constater qu’elle ne justifie pas qu’ils portent sur la nappe en cause. Néanmoins, ils contribuent à assurer la notoriété de cette société dans le public et il en sera tenu compte dans l’évaluation du préjudice.

Comme le soutiennent les défendeurs, les serviettes n’ont pas à être prises en compte dans le bénéfice réalisé par les contrefacteurs, celles-ci n’étant ni versées au débat, ni arguées de contrefaçon et il n’est pas établi qu’elles étaient proposées à la vente avec les nappes. En revanche, l’ensemble des nappes Cavaillon, quelles que soient leurs tailles, sera pris en compte pour évaluer le préjudice dans la mesure où elles sont toutes contrefaisantes.

Au vu d’un décompte produit par les défendeurs, d’avril à fin juillet 2009, 1.249 nappes référence Cavaillon ont été vendues sur les 1.440 qui ont lui été livrées par le fournisseur chinois pour un prix entre 8,20 et 12,50 dollars US.

Il convient de retenir une marge brute moyenne de 20 euros par euros et le bénéfice sera donc évalué à la somme de 24.980 euros.

Au vu de ces éléments, le préjudice total incluant le manque à gagner de la société demanderesse et son préjudice moral lié à l’atteinte à son image et à la dévalorisation de ses produits sera évaluée à la somme de 60.000 euros.

Monsieur X ne conteste pas sa responsabilité, ni les demandes formulées à son encontre par la société demanderesse. En conséquence, il sera condamné in solidum avec la société LA MAISON DE PROVENCE à payer cette somme à la société LE JACQUARD FRANÇAIS.

Il sera fait droit aux mesures d’interdiction en tant que besoin et à la mesure de publication judiciaire dans les termes du dispositif afin de réparer intégralement le préjudice subi par la société LE JACQUARD FRANÇAIS. En revanche, la demande de publication sur le site internet sera rejetée au vu des circonstances de l’espèce.

Il résulte de l’attestation de Monsieur F G, responsable du débit de la société LA MAISON DE PROVENCE que les nappes invendues ont été détruites le 24 juillet 2009 et aucun élément ne permet d’établir que ces nappes sont encore dans le circuit commercial. En conséquence, la mesure de destruction et de rappel des circuits commerciaux n’est pas justifiée.

Sur la demande au titre du droit d’information

Aux termes de l’article L 331-1-2 du code de la propriété intellectuelle, « si la demande lui en est faite, la juridiction saisie d’une procédure civile prévue aux livres Ier, II et III de la première partie peut ordonner, au besoin sous astreinte, afin de déterminer l’origine et les réseaux de distribution des marchandises et services qui portent atteinte aux droits du demandeur, la production de tous documents ou informations détenus par le défendeur ou par toute personne qui a été trouvée en possession de telles marchandises ou fournissant de tels services ou a été signalée comme intervenant dans la production, la fabrication ou la distribution de ces marchandises ou la fourniture de ces services.

La production de documents ou d’informations peut être ordonnée s’il n’existe pas d’empêchement légitime ;

Les documents ou informations recherchés portent sur :

Les nom et adresse des producteurs, fabricants, distributeurs, fournisseurs et autres détenteurs antérieurs des marchandises ou services, ainsi que des grossistes destinataires et des détaillants ;

Les quantités produites, commercialisées, livrées, reçues ou commandées, ainsi que sur les prix obtenu pour les marchandises ou services en cause”.

Il convient de rappeler que l’article L 331-1-2 du code de la propriété intellectuelle est la transposition de la directive 2004/48/CE du 29 avril 2004, imposant aux Etats membres de l’Union Européenne de veiller à ce que, « dans le cadre d’une action relative à une atteinte à un droit de propriété intellectuelle et en réponse à une demande juste et proportionnée du requérant, les autorités judiciaires compétentes puissent ordonner que des informations sur l’origine et les réseaux de distributions des marchandises ou des services qui portent atteinte à un droit de propriété intellectuelle soient fournies » notamment par le contrevenant ;

Dès lors, ce texte a pour principale vocation de permettre au demandeur d’avoir accès à des informations sur l’origine et les réseaux de distributions des marchandises ou des services qui portent atteinte à son droit de propriété intellectuelle.

Dans la mesure où les défendeurs ont été reconnus contrefacteurs, il y a lieu de faire droit à la demande d’information de la demanderesse dans les termes du dispositif pour lui permettre de connaître l’origine des produits et leurs réseaux de distribution, étant relevé que les pièces versées en défense sont insuffisantes en l’absence de certification par un expert comptable.

Sur les autres demandes

Parties perdantes, Monsieur Y X et la société LA MAISON DE PROVENCE seront condamnés in solidum aux dépens et à payer à la société LE JACQUARD FRANÇAIS pour indemniser les frais que celle-ci a dû engager pour faire valoir ses droits la somme au total de 6.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

La nature de la présente décision justifie d’en ordonner l’exécution provisoire qui ne portera pas sur la mesure de publication judiciaire.

PAR CES MOTIFS,

LE TRIBUNAL,

Par jugement rendu publiquement, par mise à disposition au greffe, contradictoirement et en premier ressort,

— ORDONNE la mise hors de cause de la société D E,

— DIT la société LE JACQUARD FRANÇAIS recevable à agir en contrefaçon au titre de ses droits d’auteur,

— DIT que les modèles français n° 061500 et communautaire n° 000584073-0002 Villa Toscane sont valables,

— DIT qu’en ayant détenu, offert à le vente et vendu de d’avril à juillet 2009 la nappe Cavaillon reproduisant les caractéristiques essentielles originales du modèle de nappe Villa Florence, Monsieur Y X et la société LA MAISON DE PROVENCE ont commis des actes de contrefaçon du modèle français n° 061500 et communautaire n° 000584073-0002 appartenant à la société LE JACQUARD FRANÇAIS et porté atteinte à ses droits d’auteur,

— DÉBOUTE la société LE JACQUARD FRANÇAIS de ses demandes au titre de la concurrence déloyale et du parasitisme,

— CONDAMNE in solidum Monsieur X et la société LA MAISON DE PROVENCE à payer à la société LE JACQUARD FRANÇAIS la somme de 60.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de ces actes de contrefaçon,

— ORDONNE la publication d’extraits du jugement aux frais in solidum de Monsieur X et la société LA MAISON DE PROVENCE dans un quotidien national et une publication non quotidienne pour un coût de 3.500 euros hors taxe chacune ;

— INTERDIT en tant que besoin à Monsieur X et la société LA MAISON DE PROVENCE de poursuivre la fabrication, la commercialisation et la distribution des nappes contrefaisantes, et ce sous astreinte de 300 euros par nappe contrefaisante, l’astreinte commençant à courir à compter d’un délai d’un mois suivant la signification du jugement, et courant pendant un délai de trois mois ;

— ORDONNE à la société LA MAISON DE PROVENCE de communiquer à la société LE JACQUARD FRANÇAIS dans un délai d’un mois après la signification du jugement et sous astreinte de 150 € par jour de retard, l’astreinte cessera de courir au bout d’un délai de trois mois, la production des documents qu’elle détient afin de déterminer l’origine et les réseaux de distribution des produits contrefaisants, à savoir les noms, adresses des producteurs, fabricants, distributeurs et détaillants des produits contrefaisants ainsi que les quantités produites, commercialisées, livrées et commandées, lesdits documents et informations devant être certifiés par un expert comptable ;

— DIT que le tribunal se réserve la liquidation des astreintes ;

— DÉBOUTE la société LE JACQUARD FRANÇAIS de sa demande de rappel des circuits commerciaux, de destruction et de publication sur internet ;

— CONDAMNE in solidum Monsieur Y X et la société LA MAISON DE PROVENCE aux entiers dépens ;

— CONDAMNE in solidum Monsieur Y X et la société LA MAISON DE PROVENCE à payer au total à la société LE JACQUARD FRANÇAIS la somme de 6.000 euros (SIX MILLE EUROS) en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;

— ORDONNE l’exécution provisoire de la présente décision à l’exception de la mesure de publication judiciaire.

Fait et jugé à Paris le 02 Décembre 2011

Le Greffier Le Président

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Tribunal de grande instance de Paris, 3e chambre 3e section, 2 décembre 2011, n° 10/01724