Tribunal Judiciaire de Paris, 17 juillet 2020, n° 2053265

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
TJ Paris, 17 juill. 2020, n° 2053265
Numéro(s) : 2053265

Sur les parties

Texte intégral

Extraits des minutes du greffe du TRIBUNAL tribunal judiciaire de Paris JUDICIAIRE

DE PARIS

ORDONNANCE DE RÉFÉRÉ rendue le 17 juillet 2020

N° RG 20/53265 – N°

Portalis

352J-W-B7E-CR56V par B C, 1ère vice-présidente adjointe au Tribunal judiciaire de Paris, agissant par délégation du Président du Tribunal, BR/N° : 1

Assistée de Z A, faisant fonction de Greffier. Assignation du : 04 Mai 2020

DEMANDERESSES

Société X INC

[…]

ETATS-UNIS D’AMERIQUE

Société X FRANCE

[…]

[…]

représentées par Me Yves BIZOLLON, avocat au barreau de PARIS #R0255

DÉFENDERESSE

S.A.S. MYLAN

[…]

[…]

représentée par Maître Denis SCHERTENLEIB de la SAS SCHERTENLEIB AVOCATS, avocats au barreau de PARIS -

#A0948

DÉBATS

A l’audience du 15 Juin 2020, tenue publiquement, présidée par B C, 1ère vice-présidente adjointe, assistée de

Mélanie VAUQUELIN, Greffier,



EXPOSÉ DU LITIGE :

La société de droit américain X Inc. appartient au groupe international X, spécialisé dans le développement, la fabrication et la commercialisation de produits pharmaceutiques.

La société X FRANCE commercialise en France les produits du groupe X.

La société X Inc. est titulaire d’un large portefeuille de droits de propriété intellectuelle aux fins de protéger les spécialités pharmaceutiques qu’elle exploite. En particulier, elle est la titulaire inscrite du brevet européen EP 1 753 434 désignant la France, intitulé «< Solution ophtalmique de bimatoprost améliorée », dont la demande a été déposée le 14 mars 2006, sous priorité de la demande US 83261 du 16 mars 2005.

Le brevet a été délivré le 13 mai 2009. Il est en vigueur jusqu’en mars 2026.

Les annuités de la partie française de ce brevet sont régulièrement payées.

L’invention revendiquée consiste en une formulation améliorée d’un produit antérieur dénommé Lumigan ® 0,3 mg/ml et contenant une concentration plus faible de Bimatoprost et une concentration plus élevée de conservateur, le chlorure de benzalkonium (BAK), le Bimatoprost étant indiqué dans le traitement du glaucome en raison de son effet d’amélioration de l’écoulement conventionnel de l’humeur aqueuse présente dans la chambre antérieure de l’oeil, permettant de réduire la pression intra oculaire, cette pression si elle est trop élevée étant source de lésions du nerf optique (glaucome).

Le groupe X exploite le brevet EP 434 sous la marque Lumigan® 0,1mg/ml, ce dernier produit ayant remplacé le produit antérieur (Lumigan ® 0,3 mg/ml).

Le produit Lumigan ® 0,1mg/ml a bénéficié d’une autorisation de mise sur le marché n° EU/1/02/205/003-004 délivrée par l’Agence Européenne des Médicaments (EMA) à la société X PHARMACEUTICALS IRELAND le 7 janvier 2010.

La société X FRANCE commercialise en France le produit Lumigan ® 0,1 mg/ml sur la base cette AMM depuis le 7 mai 2010.

Le brevet EP 434 a fait l’objet de deux oppositions devant l’Office Européen des Brevets (OEB), la première initiée par la société RATIOPHARM GmbH le 11 février 2010, la seconde par la société TEVA PHARMACEUTICALS INDUSTRY le 12 février 2010.

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Par une décision du 6 décembre 2011, l’OEB a rejeté l’opposition et maintenu le brevet EP 434 sous une forme modifiée. Le recours contre cette décision formé par la société TEVA PHARMACEUTICALS INDUSTRY a été retiré le 12 juillet 2017.

Par un jugement du 13 janvier 2014, l’US District Court, Eastern Division of Texas, a rejeté les demandes de nullité formées à l’encontre de plusieurs brevets américains de la société X Inc. équivalents du brevet EP 434 et a interdit aux défendeurs de commercialiser les médicaments génériques correspondants. Cette décision a été confirmée en appel par une décision du 4 août 2015 qui retient, en substance, que le document de l’art antérieur Laibovitz n’enseigne pas une réduction significative de l’hyperémie par réduction de la dose de Bimatoprost, que compte tenu de la survenue de l’hyperémie, l’homme du métier aurait été dissuadé d’augmenter la dose de BAK, connu pour être source d’irritations de l’oeil, pour le combiner au Bimatoprost, et que l’art antérieur enseignant que le BAK réduisait la perméabilité des analogues de prostaglandines non chargés (documents Camber et Higaki), similaires au Bimatoprost, l’homme du métier aurait été surpris que le BAK améliore la bio-disponibilité du Bimatoprost.

Une décision similaire a été rendue au Canada.

En revanche, par un jugement du 3 mai 2019, la High Court of Justice of England and Wales (Chancery division / Patents court) a annulé la partie anglaise du brevet EP 434 estimant que les revendications étaient dépourvues d’activité inventive (et qu’à défaut d’être évidente, l’invention n’était pas décrite dans le brevet).

La société MYLAN SAS appartient au groupe pharmaceutique mondial MYLAN spécialisé dans la fabrication et la vente de médicaments génériques.

Le 28 avril 2017, la société MYLAN SAS a obtenu de l’Agence Nationale de Sécurité du Médicament et des produits de santé une autorisation de mise sur le marché pour le produit dénommé

< Bimatoprost Mylan Pharma 0,1 mg/ml, collyre en solution ».

Par un avis publié au Journal Officiel le 15 juin 2017, le Comité Economique des Produits de Santé a fixé un prix fabricant hors taxes pour ce médicament.

Par deux arrêtés du 12 juin 2017, le « Bimatoprost Mylan Pharma 0,1 mg/ml » a été inscrit sur la liste des spécialités remboursables aux assurés sociaux et sur la liste des spécialités agréées à l’usage des collectivités.

La société MYLAN SAS a déclaré auprès de l’ANSM que la commercialisation du « Bimatoprost Mylan 0,1 mg/ml » a débuté le 27 février 2020.

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Dès le 8 juin 2017 et après avoir appris les démarches réglementaires entreprises par la société MYLAN, le conseil des sociétés X lui a écrit pour lui signaler que toute commercialisation de son médicament générique Bimatoprost Mylan Pharma 0,1 mg/ml, avant la date d’expiration du brevet EP 434, constituerait une contrefaçon, et lui demander de confirmer qu’aucune commercialisation n’était prévue.

La société MYLAN a répondu par une lettre du 16 juin 2017 en indiquant que le simple fait d’obtenir une AMM ne constituait pas un acte de contrefaçon et qu’elle n’avait aucune obligation de divulguer des informations commerciales concernant son activité sur le marché français.

Par une lettre du 20 février 2020 renouvelée le 4 mars suivant, le conseil des sociétés X a de nouveau interrogé la société MYLAN sur l’absence de commercialisation d’un produit reproduisant selon elle les revendications de son brevet.

Par une lettre du 11 mars 2020, la société MYLAN a indiqué notamment qu’elle refusait de communiquer quelque information que ce soit concernant le lancement de ses produits.

C’est dans ce contexte que par acte d’huissier du 4 mai 2020, les sociétés X Inc et X FRANCE ont fait assigner en référé la société MYLAN SAS devant le délégataire du président du tribunal judiciaire de Paris afin notamment qu’il lui soit fait défense, sous astreinte, d’offrir, détenir à fin de vente, vendre, mettre dans le commerce, produire, importer et exporter la spécialité pharmaceutique Bimatoprost Mylan Pharma 0,1 mg/ml, collyre en solution, ou toute autre spécialité pharmaceutique similaire reproduisant selon elle les caractéristiques de la partie française du brevet EP 434.

L’affaire a été plaidée à l’audience du 15 juin 2020 à 10 h 30.

Dans leurs conclusions reprises oralement à l’audience du 8 juin 2020, les sociétés X Inc. et X

FRANCE demandent au juge des référés, au visa des articles L.613-3, L.615-1 et L.615-3 du code de la propriété intellectuelle, de :

- Dire qu’en offrant à la vente et mettant dans le commerce en France la spécialité pharmaceutique générique Bimatoprost Mylan Pharma 0,1 mg/ml, collyre en solution, la société Mylan SAS commet «de façon vraisemblable » des actes de contrefaçon, ou porte « atteinte de façon imminente » aux revendications 1, 5, 6, 7, 8 et 12 de la partie française du brevet EP 1 753 434 B2;

En conséquence,

- Interdire à la société Mylan SAS, à titre provisoire et sous astreinte, l’offre, la détention à fin de vente, la vente, la mise dans le commerce, la production, l’importation et l’exportation de la spécialité pharmaceutique Bimatoprost Mylan Pharma 0,1 mg/ml, collyre en solution, ou de toute autre spécialité pharmaceutique similaire reproduisant les caractéristiques de la partie française du brevet EP 434 ;

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Assortir cette interdiction d’une astreinte de 1.000 euros par infraction constatée, ou d’une astreinte de 10.000 euros par jour de retard, à compter de la signification de la décision à intervenir, étant précisé que l’offre, la détention à fin de vente, la vente, la mise dans le commerce, la production, l’importation et l’exportation d’une seule boîte de ces spécialités constitueraient une infraction distincte;

Ordonner à la société Mylan SAS que la spécialité pharmaceutique Bimatoprost Mylan Pharma 0,1 mg/ml, collyre en solution, et toute autre spécialité pharmaceutique similaire reproduisant les caractéristiques de la partie française du brevet EP 1 753 434, se trouvant en sa possession soient placées sous scellés et retenues dans leur lieu de stockage ou tout autre lieu sous son contrôle, et que celles qui ne se trouvent pas en sa possession soient rappelées/retirées des circuits commerciaux, sous astreinte de 500 euros par médicament non rappelé ou non retiré des réseaux de distribution, à compter d’un délai de 10 jours suivant la date de la signification de la décision à intervenir, le tout sous contrôle de tout huissier du choix des sociétés X, Inc. et X France, aux frais de la société Mylan SAS;

- Ordonner à la société Mylan SAS la destruction des spécialités pharmaceutiques, collyre en solution en sa possession ou dont elle est propriétaire, à ses frais, et ce sous astreinte de 10.000 euros par jour de retard après la signification de la décision à intervenir;

- Ordonner à la société Mylan SAS d’adresser à chacun des clients auxquels elle a offert à la vente, vendu ou livré des produits contrefaisants la lettre suivante sous astreinte de 5.000 euros par jour de retard, dans les 10 jours suivant la signification de la décision à intervenir: «< Cher [X] Nous sommes dans l’obligation de vous informer que le Président du Tribunal Judiciaire de Paris, par décision du [x], a décidé que, notamment, l’offre et la mise dans le commerce du produit Bimatoprost Mylan Pharma 0,1 mg/ml, collyre en solution sont constitutives d’acte de contrefaçon de la partie française du brevet EP 1 753 434 B2 dont la société X, Inc. est titulaire. Ce produit ne peut donc être vendu, livré, utilisé, proposé à la vente ou détenu en stock en France. La société Mylan SAS »>.

- Autoriser la société X à publier la décision à intervenir sur son site internet;

- Ordonner la publication par extraits du dispositif de la décision à intervenir dans cinq journaux choisis par X, aux seuls frais avancés par la société Mylan SAS à hauteur de 5.000 euros par publication, hors TVA;

- Ordonner à la société Mylan SAS de communiquer à la société X France les documents comptables relatifs à la commercialisation du Bimatoprost Mylan Pharma 0,1 mg/ml, collyre en solution en France depuis son lancement, sous astreinte de 5.000 euros par jour de retard passé un délai de 10 jours à compter de la date de signification de l’ordonnance à intervenir;

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Dire que Madame le Président se réservera la liquidation de

l’astreinte;

- Condamner la société Mylan SAS à payer ensemble aux sociétés X Inc. et X France la somme de 70.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et à supporter les dépens.

Dans ses conclusions développées oralement à l’audience du 8 juin 2020, la société MYLAN demande quant à elle au juge des référés de :

- Se déclarer incompétent en faveur du Tribunal Judiciaire de Paris saisi au fond pour juger des demandes de retrait, de destruction, de confiscation et de publicité sollicitées par X;

- Déclarer irrecevable l’action de la société X France pour défaut de qualité à agir;

Juger que le brevet EP 1 753 434 fait l’objet d’une contestation sérieuse quant à sa validité et que la contrefaçon alléguée n’est donc pas vraisemblable;

ApEn conséquence, dire qu’il n’y a pas lieu à référé ;

-- Débouter les sociétés demanderesses de l’intégralité de leurs demandes, fins et prétentions ;

A titre subsidiaire :

- Constater que les mesures sollicitées ne sont pas proportionnées;

}

- En conséquence, dire qu’il n’y a pas lieu à référé ;

- Débouter les sociétés demanderesses de l’intégralité de leurs demandes, fins et prétentions ;

En tout état de cause :

Condamner les sociétés demanderesses in solidum à payer 100.000 euros (cent mille euros) à la société MYLAN SAS au titre de l’article 700 du code de procédure civile;

Condamner les société demanderesses in solidum aux entiers dépens.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Les sociétés X Inc et X FRANCE rappellent que la société MYLAN, informée du caractère contrefaisant de son produit Bimatoprost Mylan Pharma 0,1 mg depuis 2017 et après avoir tu sciemment sa volonté de lancer son produit, a pris, en toute connaissance de cause, le risque

d'introduire un médicament générique reproduisant les revendications d’un brevet valable jusqu’en 2026. Elles font valoir à cet égard que la société MYLAN ne peut aujourd’hui se retrancher derrière le caractère disproportionné des mesures qui. sont devenues, de son seul fait, nécessaires pour rétablir dans ses droits le breveté et prévenir un dommage irréparable.

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Les demanderesses soulignent en effet que le Bimatoprost 0,1 mg représente un chiffre d’affaires de 15 à 20 millions d’euros en France et que, depuis l’introduction du générique de la société MYLAN, elles ont déjà perdu en l’espace de quelques mois plus d’un tiers de parts de marché. Elles concluent sur ce point en indiquant que les mesures d’interdiction provisoire sont d’autant plus essentielles dans cette affaire que d’autres fabriquants de médicaments génériques ont obtenu des autorisations de mise sur le marché pour des produits similaires. Les sociétés X précisent qu’elles offrent une garantie financière pour le cas d’annulation du brevet.

Les sociétés X ajoutent que la recevabilité à agir sur le fondement de l’article L.615-3 du code de la propriété intellectuelle de la société X Inc est incontestable et, qu’en sa qualité de titulaire du brevet, il revient à cette dernière de conduire l’action, tandis que la société X FRANCE, qui subit le dommage en France en tant que distributrice des produits du groupe, est de la même manière recevable sur le fondement du droit commun à solliciter la mise en oeuvre des mesures propres à faire cesser le dommage qu’elle subit dès lors qu’elle se trouve du chef de la contrefaçon dans la même situation qu’un licencié simple.

Les sociétés X soutiennent encore que la décision, très critiquable de la High Court, est une véritable aubaine pour la société MYLAN, mais que la solution adoptée par le juge anglais (au fond) n’est en aucun cas transposable à la portion française du brevet EP 434. Les sociétés demanderesses rappellent d’ailleurs que le brevet a été déclaré valable par la division d’opposition de l’Office européen des brevets, ainsi que par une juridiction américaine, et par une juridiction canadienne.

Les sociétés X reprochent à cet égard à la défenderesse de tenter d’instaurer un débat de fond sur la validité du brevet qui n’a pas sa place devant le juge des référés.

Elles rappellent, en substance, que le brevet protège un collyre, à prendre de façon permanente, dont le principe actif est le Bimatoprost et que ce principe actif doit franchir la cornée laquelle constitue une barrière importante en particulier pour les produits lipophiles (qui retiennent les substances grasses) tels que le Bimatoprost. Elles ajoutent être titulaires de l’art antérieur le plus proche du brevet EP 434, constitué du brevet relatif au Bimatoprost 0,3 mg, mais que ce produit provoque chez les patients une hyperémie (rougeurs à la surface de l’oeil). Les demanderesses contestent le choix du document Laibowitz comme art antérieur pertinent le plus proche, ce document présentant les essais (ayant amené au brevet relatif au Bimatoprost 0,3 mg), à différents dosages, et mettant seulement en évidence la plus grande efficacité du produit le plus dosé en principe actif, et aucune différence sensible s’agissant de l’hyperémie entre le dosage à 0,3 mg et celui à 0,1 mg.

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Les sociétés X exposent quoi qu’il en soit avoir cherché à améliorer leur produit et donc à réduire l’hyperémie, et qu’il n’y avait selon elles rien d’évident dans l’idée consistant d’une part à augmenter la quantité de chlorure de benzalkonium (BAK), s’agissant d’un conservateur potentiellement toxique et source connue d’irritations, et, d’autre part, à réduire celle du principe actif.

Les sociétés X ajoutent que l’action de facilitation du passage de la cornée pour les produits hydrophiles produite par le BAK était connue mais pas son action sur les produits lipophiles et qu’au contraire, il s’agissait d’un préjugé que l’homme du métier devait combattre. Aussi, pour ces deux raisons (dangerosité du BAK et absence d’effet sur les produits lipophiles), l’homme du métier aurait été dissuadé d’augmenter la quantité de BAK en diminuant celle de Bimatoprost pour résoudre la difficulté liée à la survenue de l’hyperémie chez les patients traités par le Bimatoprost 0,3 mg.

Les sociétés X indiquent encore que la décision anglaise fait totalement l’impasse sur ces obstacles et que l’on ne comprend pas pourquoi trois années de recherche ont été nécessaires aux équipes d’X pour parvenir à la formulation du Bimatoprost 0,1 mg. Elles font à cet égard valoir que le juge anglais s’est purement et simplement livré à un raisonnement a posteriori rigoureusement interdit pour l’examen de la validité d’un brevet.

La société MYLAN soutient pour sa part en premier lieu que seules les demandes fondées sur le droit à l’information et celles aux fins d’interdiction sont de la compétence du juge des référés à l’exclusion des mesures de rappel et de destruction des produits qui n’ont rien de provisoire ou conservatoire, le rappel entraînant, s’agissant de produits pharmaceutiques, la destruction des produits en cause, de sorte que de telles mesures excèdent la compétence du juge des référés telle que conçue par le législateur européen.

La société MYLAN conclut ensuite à l’irrecevabilité des demandes présentées par la société X FRANCE qui est un simple distributeur en France des produits du groupe, et ne peut donc agir sur le fondement de l’article L.615-3 du code de la propriété intellectuelle, pas plus que sur le fondement de l’article 1240 du code civil dont l’application suppose des faits distincts dont l’existence n’est selon elle pas caractérisée en l’espèce. La société MYLAN ajoute que la société X Inc., qui ne commercialise pas les produits mettant en oeuvre les revendications du brevet EP 434, ne justifie d’aucun intérêt direct et personnel à agir en France.

La société MYLAN fait en outre valoir que la validité du brevet souffre de contestations sérieuses.

Elle soutient à titre principal que le brevet est dépourvu de toute activité inventive et qu’en particulier l’homme du métier, en l’occurrence une équipe constituée d’un ophtalmologue et d’un formulateur, partant de l’état de la technique le plus proche, à savoir le document Laibovitz, sait que le Bimatoprost est à

l’origine de l’hyperémie et que cette hyperémie est dose dépendante.

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Cherchant à résoudre le problème de l’hyperémie, l’homme du métier, s’appuyant sur ses connaissances générales constituées des ouvrages de référence en ophtalmologie et de sa connaissance des formulations des autres produits présents sur le marché, sait que le BAK est un conservateur pouvant être présent sans risque spécifique dans les formulations de collyres à des doses de l’ordre de 150 à 200 ppm et que l’un de ses effets est de faciliter la bio disponibilité d’un nombre significatif de principes actifs.

La société MYLAN en déduit que par de simples essais de routine dépourvus d’activité inventive, la société X Inc. serait parvenue à l’invention revendiquée d’un produit combinant, pour un effet amélioré, une dose faible de Bimatoprost à une dose relativement importante de BAK, et ce, aux fins d’accélération du passage de la cornée par le principe actif, réduisant ainsi l’hyperémie causée tout à la fois par le dosage élevé de Bimatoprost et sa stagnation sur la cornée.

La société MYLAN réplique aux critiques des sociétés X qu’elle ne créé pas de toutes pièces un raisonnement a posteriori, mais que ce sont elles qui créent a posteriori des préjugés tirés de la dangerosité du BAK qui aurait dissuadé l’homme du métier d’en augmenter la dose au-delà de 50 ppm, et de la lipophilie du Bimatoprost, qui n’existent pas en 2005 à la date de priorité revendiquée. Elle précise en particulier que la prétendue dangerosité du BAK résulte d’un article isolé et surtout du témoignage de Mme Y laquelle a dirigé les recherches ayant conduit au dépôt du brevet EP 434.

La société MYLAN ajoute qu’à supposer que le brevet soit inventif, il n’est pas suffisamment décrit, faute de s’appuyer sur des essais démontrant que de réels préjugés (la dangerosité du BAK et la lipophilie du Bimatoprost) ont été vaincus, ainsi d’ailleurs que l’a retenu in fine la décision anglaise.

La société MYLAN soutient enfin qu’une mesure d’interdiction serait disproportionnée dès lors que, selon elle, la procédure de limitation de la portée de son brevet d’ores et déjà évoquée par la société X Inc. aura pour effet de retarder de plusieurs années l’examen au fond de cette affaire qui ne pourra que conduire selon elle à l’annulation du brevet EP 434. Elle précise que la garantie offerte est insuffisante à couvrir son dommage et ne réparera jamais celui subi, en cas d’annulation du brevet après des mesures d’interdiction, par la collectivité des assurés sociaux.

1°) Sur l’office du juge des référés

L’article L.615-3 du code de la propriété intellectuelle prévoit que "Toute personne ayant qualité pour agir en contrefaçon peut saisir en référé la juridiction civile compétente afin de voir ordonner, au besoin sous astreinte, à l’encontre du prétendu contrefacteur ou des intermédiaires dont il utilise les services, toute mesure destinée à prévenir une atteinte imminente aux droits conférés par le titre ou à empêcher la poursuite d’actes argués de contrefaçon. La juridiction civile compétente peut également ordonner toutes mesures urgentes sur requête lorsque les circonstances exigent que ces mesures ne soient pas prises contradictoirement, notamment lorsque tout retard

serait de nature à causer un préjudice irréparable au demandeur. Saisie en référé ou sur requête, la juridiction ne

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peut ordonner les mesures demandées que si les éléments de preuve, raisonnablement accessibles au demandeur, rendent vraisemblable qu’il est porté atteinte à ses droits ou qu’une telle atteinte est imminente.

La juridiction peut interdire la poursuite des actes argués de contrefaçon, la subordonner à la constitution de garanties destinées à assurer l’indemnisation éventuelle du demandeur ou ordonner la saisie ou la remise entre les mains d’un tiers des produits soupçonnés de porter atteinte aux droits conférés par le titre, pour empêcher leur introduction ou leur circulation dans les circuits commerciaux. Si le demandeur justifie de circonstances de nature à compromettre le recouvrement des dommages et intérêts, la juridiction peut ordonner la saisie conservatoire des biens mobiliers et immobiliers du prétendu contrefacteur, y compris le blocage de ses comptes bancaires et autres avoirs, conformément au droit commun.

Pour déterminer les biens susceptibles de faire l’objet de la saisie, elle peut ordonner la communication des documents bancaires, financiers, comptables ou commerciaux ou l'accès aux informations pertinentes. Elle peut également accorder au demandeur une provision lorsque l’existence de son préjudice n’est pas sérieusement contestable.

Saisie en référé ou sur requête, la juridiction peut subordonner l’exécution des mesures qu’elle ordonne à la constitution par le demandeur de garanties destinées à assurer l’indemnisation éventuelle du défendeur si l’action en contrefaçon est ultérieurement jugée non fondée ou les mesures annulées. Lorsque les mesures prises pour faire cesser une atteinte aux droits sont ordonnées avant l’engagement d’une action au fond, le demandeur doit, dans un délai fixé par voie réglementaire, soit se pourvoir par la voie civile ou pénale, soit déposer une plainte auprès du procureur de la République. A défaut, sur demande du défendeur et sans que celui-ci ait à motiver sa demande, les mesures ordonnées sont annulées, sans préjudice des dommages et intérêts qui peuvent être réclamés".

En outre, selon le 22ème considérant de la directive n°2004/48/CE du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 relative au respect des droits de propriété intellectuelle, dont les dispositions précitées constituent la transposition, « Il est également indispensable de prévoir des mesures provisoires permettant de faire cesser immédiatement l’atteinte sans attendre une décision au fond, dans le respect des droits de la défense, en veillant à la proportionnalité des mesures provisoires en fonction des spécificités de chaque cas d’espèce, et en prévoyant les garanties nécessaires pour couvrir les frais et dommages occasionnés à la partie défenderesse par une demande injustifiée. Ces mesures sont notamment justifiées lorsque tout retard serait de nature à causer un préjudice irréparable au titulaire d’un droit de propriété intellectuelle. »

L’article 9 de la même directive « Mesures provisoires et conservatoires » prévoit que "1. Les États membres veillent à ce que les autorités judiciaires compétentes puissent, à la demande du requérant : (…)

b) ordonner la saisie ou la remise des marchandises qui sont soupçonnées de porter atteinte à un droit de propriété intellectuelle pour empêcher leur introduction ou leur circulation dans les circuits commerciaux;"

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Selon l’Article 4 de la directive "Personnes ayant qualité pour demander l’application des mesures, procédures et réparations”, "Les États membres reconnaissent qu’ont qualité pour demander

l’application des mesures, procédures et réparations visées au présent chapitre: a) les titulaires de droits de propriété intellectuelle, conformément aux dispositions de la législation applicable; b) toutes les autres personnes autorisées à utiliser ces droits, en particulier les licenciés, dans la mesure où la législation applicable le permet et conformément à celle-ci ;”

L’article L.615-2 du code de la propriété intellectuelle prévoit que « L’action en contrefaçon est exercée par le propriétaire du brevet. (…) Tout licencié est recevable à intervenir dans l’instance en contrefaçon engagée par le breveté, afin d’obtenir la réparation du préjudice qui lui est propre. »

Il résulte de l’ensemble de ces dispositions que :

a – En application de l’article L.615-3 du code de la propriété intellectuelle, interprété à la lumière de la directive n°2004/48/CE, le juge des référés est bien compétent pour ordonner le rappel des produits argués de contrefaçon et leur retrait des circuits commerciaux, la destruction qui en découle étant inhérente à la nature des produits en cause, de sorte que, sous couvert d’incompétence, la société MYLAN conteste en réalité la proportionnalité des mesures, qui sera examinée si les contestations portant sur la validité du brevet n’apparaissent pas sérieuses.

Il n’y a donc pas lieu à se stade de relever l’incompétence du juge des référés.

b – En sa qualité de distributrice des produits conçus et fabriqués par le groupe X, la société X FRANCE qui bénéficie nécessairement d’une licence, fût-elle verbale et à ce titre nulle conformément aux dispositions de l’article L.615-8 in fine du code de la propriété intellectuelle, est recevable à agir aux fins d’obtenir la mise en oeuvre des mesures propres à faire cesser le trouble qu’elle subit sur le fondement du droit commun (articles 31, 122, 835 du code de procédure civile et 1240 du code civil), dont l’existence sera examinée si les contestations portant sur la validité du brevet n’apparaissent pas sérieuses.

Les demandes des sociétés X Inc et X

FRANCE apparaissent donc recevables.

c – Saisi de demandes présentées au visa de l’article L.615-3, le juge des référés doit statuer sur les contestations élevées en défense, y compris lorsque celles-ci portent sur la validité du titre lui-même. Il lui appartient alors d’apprécier le caractère sérieux ou non de la contestation et, en tout état de cause, d’évaluer la proportion entre les mesures sollicitées et l’atteinte alléguée par le demandeur et de prendre, au vu des risques encourus de part et d’autre, la décision ou non d’interdire la commercialisation du produit prétendument contrefaisant.

Il convient donc d’examiner les moyens soulevés aux fins de contester la validité du titre.

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2°) Sur la présentation du brevet

La partie descriptive traduite du brevet EP 434 enseigne que :

[002] Le bimatoprost, illustré ci-dessous, est un prostamide commercialisé pour le traitement du glaucome et de l’hypertension oculaire.

[003] Le chlorure de benzalkonium (BAK) est un conservateur utilisé dans de nombreux produits ophtalmiques commerciaux pour prévenir la contamination microbienne dans les produits à usages multiples. Les gouttes ophtalmiques commerciales (Bimatoprost, X, Inc., Irvine, CA) contiennent 0,03% de bimatoprost et 0,005% de BAK. Bien qu’aucun autre prostamide ne soit actuellement commercialisé pour le

traitement du glaucome, plusieurs analogues de prostaglandines sont disponibles dans le commerce et utilisent le BAK comme conservateur. Il s’agit notamment du latanoprost (Xalatan), du travoprost (Travatan) et de l’unoprostone isopropyl (Rescula), qui nécessitent beaucoup plus de BAK, de 150 à 200 ppm, pour répondre aux tests d’efficacité antimicrobienne aux

Etats-Unis et en Europe.

[004] Le brevet américain n° 6 596 765 B2 décrit une composition comprenant 0,005% ou 0,0005% de latanoprost et 0,2 mg / rnL BAK.

[005] Le brevet américain n° 6 646 001 B2 décrit des compositions comprenant 0,03% de bimatoprost et 0,01% de BAK ou "0,01% + 5% d’excès" de BAK. (…)

[…]

[007] Une composition comprenant de 0,005% à 0,02% de bimatoprost en poids et de 100 ppm à 250 ppm de chlorure de benzalkonium, dans laquelle ladite composition est un liquide aqueux qui est formulé pour une administration ophtalmique est décrite ici. (…)

[009] Un liquide aqueux qui est formulé pour une administration ophtalmique est formulé de telle sorte qu’il peut être administré par voie topique à l’œil. Le confort doit être maximisé autant que possible, bien que parfois des considérations de formulation (par exemple la stabilité du médicament) puissent nécessiter un confort moins qu’optimal.

[010] Dans certaines compositions, la concentration de bimatoprost est de 0,01% à 0,02%. Dans d’autres compositions, la concentration de bimatoprost est de 0,015% à 0,02%.

[011] Dans certaines compositions, la concentration de BAK est de 150 ppm à 200 ppm. (…)

[021] Le meilleur mode de fabrication et d’utilisation de la présente invention est décrit dans les exemples suivants.

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Fig. 2

2.0

9

0.5

0.0

[022] Un mode de réalisation comprend 0,01% de bimatoprost, 0,02% de chlorure de benzalkonium, 0,268% de phosphate de sodium dibasique, heptahydraté, 0,014% d’acide citrique, monohydraté, 0,81% de chlorure de sodium et de l’eau, dans lesquels le pH est de 7,3. (…)

Exemple 4

[0042] L’effet du chlorure de benzalkonium (BAK) et de l’acide éthylènediaminetétraacétique (EDTA) sur la perméabilité du bimatoprost à travers la culture primaire de couches de cellules épithéliales cornéennes de lapin (RCECL) (…) a été étudiée (…).

[0043] Les résultats sont présentés dans la figure 2.

ll.l l. 0315 Ep 031 315 0.013 0 0,015 02 00158 Cat5Ep 00150015 % 00151 0.5 Bp 0015 125 BAR 125AX 155 BAK In 3Q BAK 50 PAK 200 BAK 125 BAK 52 BAK 200 BAK 200 BAK 150 BAK

[…]

[…]

Exemple 5

[0044] Une goutte de formulation J (Bimatoprost 0,015 % – 125 ppm BAK) est administrée une fois par jour par voie topique à l’œil d’une personne souffrant de glaucome. Au bout de quelques heures, la pression intraoculaire chute davantage et on observe une hyperémie inférieure à celle qui serait observée pour la formulation A (Bimatoprost 0,03 % – 50 ppm BAK). La baisse de la pression intraoculaire persiste tant que le traitement se poursuit.

Le brevet se compose également de 17 revendications dont seules sont opposées les revendications 1, 7 et 12:

1. Composition comprenant de 0,005 % à 0,02 % en poids de bimatoprost et de 100 ppm à 250 ppm de chlorure de benzalkonium, dans laquelle ladite composition est un liquide aqueux qui est formulé pour une administration ophtalmique.

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7. Composition selon la revendication 6, dans laquelle la concentration de chlorure de benzalkonium est de 150 ppm à 200 ppm.

12. Composition selon l’une quelconque des revendications précédentes pour traiter un glaucome ou une hypertension intra-oculaire chez un mammifère.

3°) Sur le caractère sérieux des contestations élevées en défense

Sur l’absence d’activité inventive

Aux termes de l’article L.614-12 du code de la propriété intellectuelle, « la nullité du brevet européen est prononcée en ce qui concerne la France par décision de justice pour l’un quelconque des motifs visés à l’article 138, paragraphe 1, de la Convention de Munich. Si les motifs de nullité n’affectent le brevet qu’en partie, la nullité est prononcée sous la forme d’une limitation correspondante des revendications. »

Selon l’article 138 § 1 de la Convention sur le brevet européen, "Sous réserve de l’article 139, le brevet européen ne peut être déclaré nul, avec effet pour un Etat contractant, que si: a) l’objet du brevet européen n’est pas brevetable en vertu des articles 52 à 57;"

Il résulte en outre de l’article 56 de la même Convention qu’ « une invention est considérée comme impliquant une activité inventive si, pour un homme du métier, elle ne découle pas d’une manière évidente de l’état de la technique. »

Aussi, pour apprécier l’activité inventive d’un brevet, il convient de déterminer d’une part, l’état de la technique le plus proche, d’autre part le problème technique objectif à résoudre et enfin d’examiner si l’invention revendiquée aurait été évidente pour l’homme du métier.

Les éléments de l’art antérieur ne sont destructeurs d’activité inventive que si, pris isolément ou associés entre eux selon une combinaison raisonnablement accessible à l’homme du métier, ils permettaient à l’évidence à ce dernier d’apporter au problème résolu par l’invention la même solution que celle-ci.

L’homme du métier est celui du domaine technique où se pose le problème que l’invention, objet du brevet, se propose de résoudre (Cass. Com., 20 novembre 2012, pourvoi n°11-18.440).

Il n’est en l’occurrence pas discuté que l’homme du métier est une équipe constituée d’un ophtalmologue spécialisé dans le traitement du glaucome, et d’un formulateur ayant une expérience dans l’élaboration de produits ophtalmiques.

L’art antérieur le plus proche est en outre le document Laibovitz qui relate les résultats d’une étude clinique comparant l’efficacité et l’innocuité du Timolol avec le « lipide hypotonisant oculaire AGN 192024 » à différentes doses, l’AGN 192024 correspondant au Bimatoprost.

Cette étude précise que les produits administrés (Timolol et AGN 192024) ne comportent aucun conservateur.

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L’étude relate surtout que la survenue d’une hyperémie a été observée au titre des effets indésirables et, en comparant les résultats obtenus par le groupe véhicule et les groupes à 0,003 % et 0,03 %, que cette hyperémie est liée à la dose administrée d’AGN 192024.

Le document Laibovitz enseigne en effet que "L’événement indésirable le plus fréquent a été une hyperémie conjonctivale. (…) Les paramètres d’innocuité oculaire n’ont pas été affectés, à part une minime augmentation, associée à la dose, du degré d’hyperémie conjonctivale (généralement, à l’état de traces ou une faible augmentation au cours de la phase quotidienne) dans les groupes AGN 192024, et une augmentation du résultat lu au laser dans le groupe timolol. Bien qu’une hyperémie conjonctivale ait été observée dans tous les groupes de traitement, les scores moyens de classification de l’hyperémie dans les groupes AGN 192024 à 0,01 % et à 0,03 % ont été significativement plus élevés que ceux du groupe timolol lors de toutes les visites en cours d’étude (P0,03). Pendant la phase une fois par jour de l’étude, les scores d’hyperémie moyens (plages) ont été les suivants : groupe timolol, 0,35 à 0,50 ; groupe véhicule, 0,50 à 0,63 groupe AGN 192024 à 0,003 %, 0,65 à 0,78 ; groupe AGN 192024 à 0,01 %, 0,85 à 0,95 ; et groupe AGN 192024 à 0,03 %, 0,80 à 0,98. Quand on a fait passer le schéma posologique d’une fois par jour à deux fois par jour, on a constaté une légère augmentation des scores moyens d’hyperémie avec les 2 concentrations les plus élevées d’AGN 192024 (plages moyennes de scores 0,93 à 1,00 dans le groupe AGN 192024 à 0,01 % et 1,03 à 1,08 dans le groupe AGN 192024 à 0,03 %). Il n’y a pas eu d’autres résultats significatifs au biomicroscope.« ( »The most frequent adverse event was conjonctival hyperemia. (…) Occular safety parameters were unaffected, other than dose-related increase in the degree of conjonctival hyperemia (generally a trace to mild increase during the once-daily phase) in the AGN 192024 groups and increased laser flare meters readings in the timolol group. Althought conjonctival hyperemia was observed in all treatment groups, mean grading scores of htperemia in the 0,01 % and 0,03 % AGN 192024 groups were significantly higher than those in the timolol group at most study visit (P ≤ 0,03). During the once-daily phase of the study, mean hyperemia scores (ranges) were as follows: timolol group, 0,35 to 0,50; véhicle group, 0,50 to 0,63 ; 0,003 % AGN 192024 group, 0,65 to 0,78; 0,01

% AGN 192024 group, 0,85 to 0,95; and 0,03 %AGN 192024 group, 0,80 to 0,98. When the dosing schedule was changed, from once to twice daily, a slight increase in mean hyperemia scores was found with the two highest concentrations of AGN 192024 (mean score range of 0,93 to 1,00 in the 0,01 % AGN 192024 group and 1,03 to 1,08 in the 0,03

% AGN 192024 group). […].)

A la lecture de ce document, l’homme du métier qui souhaite résoudre le problème technique lié à la survenue de l’hyperémie, sait que celle-ci est liée au Bimatoprost et qu’elle est réduite en réduisant la dose de Bimatoprost, tandis que la concentration la plus faible de Bimatoprost a une efficacité équivalente voire très légèrement supérieure au Timolol (ci-dessous figure du document Laibovitz):

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I

Figure 2. […] on day 14. […]

once day (P. C00) groups them in the 0.55 Erchiwie daly group.

Il sait en outre, au moyen de ses connaissances personnelles que la plupart des autres collyres traitant le glaucome présents sur le marché et contemporains du Lumigan 0,03% sont conservés dans des doses allant de 50 à 200 ppm de chlorure de benzalkonium (BAK), ce qui atteste de la relativement bonne tolérance de ce produit de conservation par les patients.

Ainsi, le Lumigan 0,03% comprenait lui-même 50 ppm de BAK. Le Travatan (travoprost) contenait 150 ppm de BAK. Le Rescula (unoprostone) contenait 150 ppm de BAK. Enfin, le Xalatan comprenait un analogue de la prostaglandine (le latanoprost), conservé dans 200 ppm de BAK.

Les sociétés X invoquent l’étude « Prevalence of ocular symptoms and signs with preserved and preservative free glaucoma medication » (Prévalence des symptômes et signes oculaires avec des médicaments contre le glaucome avec et sans conservateurs) qui accrédite selon elles l’idée que l’homme du métier devait au cas particulier combattre le préjugé résultant de la dangerosité, selon elles avérée, du chlorure de benzalkonium (BAK) qui ne pouvait que le dissuader d’en accroître le dosage dans le Lumigan.

Si l’on admet que cette étude concerne principalement le BAK, utilisé comme conservateur par la majorité des collyres traitant le glaucome (65% selon la défenderesse – pièce Mylan n°14), l’étude rapporte 38% de cas d’hyperémie conjonctivale résultant de l’usage des collyres comportant un conservateur (« There were also objective signs of ocular irritation such as conjunctival hyperaemia (38%) »).

Concernant plus particulièrement le BAK, l’étude mentionne que « The toxic effect of preservatives is very rapid in vitro: 0.007% benzalkonium chloride (70 ppm) induces the lysis of 50% of cultured epithelial cells in less than 2 minutes. » The damage to the […] of the preservative. This intolerance and repeated toxic impairment of the ocular surface may further result in chronic inflammation and conjunctival infiltration by inflammatory cells.« ( »L’effet toxique des conservateurs est très rapide in vitro : 0,007% de

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BAK induit la destruction de 50% des cellules épithéliales en culture en moins de 2 minutes. Le dommage à la surface de l’oeil observé pendant le traitement avec des gouttes d’antiglaucome conservé reflète probablement le déséquilibre entre la régénération de la muqueuse et la cytotoxicité de faible intensité quotidienne du conservateur. Cette intolérance et cette altération toxique répétée à la surface de l’oeil pourra conduire à une inflammation chronique ainsi qu’à une infiltration conjonctivale par des cellules inflammatoires.")

Les auteurs de l’étude concluent en ces termes : « In the present study, nearly half the patients experienced symptoms of ocular irritation with their glaucoma medication corroborated by observation of objective signs of ocular surface irritation. A large proportion of these symptoms could be ascribed to preservatives as demonstrated by previous studies, and strongly supported by this survey. The phenomenon was frequent and not limited to a small category of allergic patients. It is probably due to a direct toxic effect on eye structures, as widely demonstrated in animals and in vitro experiments. » (« Dans la présente étude, presque la moitié des patients ont ressenti des symptômes d’irritation oculaire avec leur traitement du glaucome corroborées par l’observation de signes objectifs d’irritation à la surface de l’oeil. Une part importante de ces symptômes pourrait être attribuée aux conservateurs comme démontré par des études précédentes et fortement soutenu par cette étude. Le phénomène était fréquent et non limité à une petite catégorie de patients allergiques. Cela est probablement dû à un effet direct toxique sur la structure de l’oeil, comme amplement démontré par les expériences sur les animaux et in vitro. »)

Au demeurant, la notice du Xalatan (conservé avec 200 ppm de BAK) précise dès 2002 au paragraphe “Chlorure de benzalkonium« : »Comme la possibilité d’effets néfastes sur la perméabilité de la cornée et le danger de perturbation de l’épithélium cornéen en cas d’utilisation prolongée ou répétée de préparations ophtalmologiques à base de chlorure de benzalkonium ne peuvent être exclus, un examen ophtalmologique régulier est nécessaire. La prudence s’impose dans l’utilisation de médicaments topiques à base de chlorure de benzalkonium sur une période prolongée chez les patients souffrant d’une maladie étendue de la surface oculaire."

La « dangerosité » du BAK est en effet liée à son effet bien connu de l’homme du métier et résultant de la perturbation de l’épithélium cornéen laquelle a pour effet de faciliter le passage de la cornée pour un nombre important de principes actifs en particulier ceux traitant le glaucome.

A cet égard, dans la 10ème édition (2003) de l’ouvrage intitulé Adler’s Phisiology of the Eye (Clinical Application), il est enseigné (page 96, section 2) que "The inclusion of surfactants and detergents such as benzalkonium chloride (BAK) or Tween 20 in topical ocular medication, or […], in addition to the preservative effect inherent to these agents. Effects of Preservatives Used in Ophtalmic preparations. […], […], these formulations who packaged in multidoses dispensers, […], chlorexidine digluconate, polyquaternium-I and thimerosal. The most commonly used preservative is BAK whereas use of thimerosal has been largely discontinued

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because of allergic reactions. The antibacterial action of BAK is based on the detergent property of the compound, whitch acts to break down the bacterial walls. These characteristics of the preservative also render the corneal epithelium and endothelium susceptible to damage when they are exposed to these agents. The effects of BAK on the corneal epithelium have been studied extensively. Application of drug containing 0,01% BAK to the cornea causes an immediate, measurable increase of permeability to the cornea to the fluorescein.” (“L’inclusion de tensioactifs et de détergents, tels que le chlorure de benzalkonium (BAK) ou le Tween 20 dans des médicaments oculaires topiques, ou la préparation de médicaments contenant des liposomes peut aussi améliorer la pénétration d’un médicament à travers la barrière épithéliale extérieure, en plus de l’effet conservateur inhérent à ces agents.

Effets des conservateurs utilisés dans les préparations ophtalmiques. De nombreux médicaments topiques sont utilisés pour traiter les maladies oculaires. Il s’agit notamment d’antibiotiques, de médicaments antiviraux, de médicaments contre le glaucome, de médicaments anti-inflammatoires et anti-allergiques, et de larmes artificielles pour le traitement de la sécheresse oculaire. Pour prolonger la durée de conservation et protéger l’œil contre les infections, ces préparations, lorsqu’elles sont conditionnées dans des distributeurs multidoses, doivent contenir des conservateurs pour empêcher la croissance bactérienne. Ces agents de conservation comprennent le BAK, le digluconate de chlorhexidine, le polyquaternium-1 et le thimérosal. Le conservateur le plus couramment utilisé est le BAK, alors que l’utilisation du thimérosal a été largement abandonnée en raison de réactions allergiques. L’action antibactérienne du BAK se fonde sur la propriété détergente du composé, qui agit par la rupture des parois des cellules bactériennes. Ces caractéristiques d’un conservateur rendent de même l’épithélium et l’endothélium cornéens sensibles à une lésion quand ils sont exposés à ces agents. Les effets du BAK sur l’épithélieum cornéal ont été largement étudiés. L’application d’un médicament contenant 0,01% de BAK sur la cornée cause une augmentation immédiate et mesurable de la perméabilité de la cornée à la fluorescéine.")

Plus précisément, dans un article paru dans l’ Indian Journal of Experimental Biology, en janvier 2001, G 11-24, intitulé « Pénétration de la cornée » par Manjusha Malhotra, on apprend au paragraphe « Tensioactifs » que "Le chlorure de benzalkonium, un tensioactif cationique, est souvent ajouté à des préparations ophtalmiques aqueuses en tant que conservateur antibactérien à une concentration variant de 0,004 à 0,02 %. Le chlorure de benzalkonium

s’est avéré augmenter la pénétration cornéenne d’un certain nombre de médicaments. Par exemple, une perméabilité cornéenne accrue, due au chlorure de benzalkonium, a été rapportée pour la pilocarpine, la prednisolone, le chloramphénicol, la dexamethasone, le kétorolac prométhamine, l’ibuprofène, le flurpiprofène, le timolol, le cyclopentolate, l’aténolol, le bétaxalol et la fluorescéine. Des observations au microscope électronique ont montré que les tensioactifs cationiques produisent une rupture dans la cohésion de l’épithélium par une augmentation de la largeur de l’espace intercellulaire. Ils produisent aussi une certaine rupture du cytoplasme cellulaire, vraisemblablement sous l’effet de leur action sur les membranes des plasmocytes. Les tensioactifs cationiques produisent une augmentation de la largeur de l’espace intercellulaire des couches superficielles de l’épithélium et provoquent aussi une rupture des cellules superficielles, ce qui indique qu’ils affectent non seulement les membranes cellulaires, mais aussi la voie intercellulaire

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R

avec en conséquence une perméabilité accrue. Le chlorure de benzalkonium (0,005 M) en administration topique produit aussi un relâchement de l’adhérence entre l’épithélium cornéen et le stroma. Fu et Lidgate ont rapporté qu’une perméabilité cornéenne accrue du kétorolac, un médicament anionique, en présence de chlorure de benzalkonium, apparaissait non seulement du fait de la rupture de la membrane épithéliale, mais aussi en raison de la formation de paires d’ions plus liposolubles entre le kétorolac et le chlorure de benzalkonium.« ( »Surfactants – Benzalkonium chloride, a cationic surfactant, is often added to aqueous ophtalmic preparations as an anti bacterial preservative in concentration varying from 0,004 to 0,02 %. Benzalkonium chloride has been found to increase the corneal penetration of a number of drugs. For example, increased corneal permeability due to […], prednisolone, […] in the cohesion of the epithelium by increasing the width of the intercellular space. They also produce some disruption of the cell cytoplasm presumably by their actions on the plasma cell membranes. The cationic surfactants produce an increase in the width of the intercellular space of the superficial epitelial layers and also cause disruption of the superficial cells indicating that they effect not only the cell membranes but also the intercellular route and hence resulting in increased permeability. […], also produces a loosening in adhesion between the corneal epithelium and stroma. […], an anionic drug, in presence of Benzalkonium chloride was not only because of diruption of the epitelial membrane but also because of formation of more lipid soluble ion-pair between Kerotolac and Benzalkonium chloride.").

Cet effet du BAK sur la perméabilité de la cornée est enseigné par de nombreux ouvrages de référence dès les années 1990 Modern

Pharmaceutics (Produits pharmaceutiques modernes), sous la direction de Banker et Rhodes (2 ème édition, 1990), page 551; Ophtalmika : Pharmakologie, […], biopharmacie et galénique du médicament de l’œil), 4ème édition, 1990, page 145; Ophthalmic Drug Delivery Systems (Systèmes d’administration de médicaments ophtalmiques), sous la direction de Mitra (2ème édition, 2003), en particulier page 291, tableau 4: Résumé des activateurs de pénétration ophtalmique.

Le BAK, en perturbant, non seulement les membranes cellulaires des éventuels micro-organismes, mais également les membranes cellulaires des cellules épithéliales de la cornée, a ainsi un effet favorisant la pénétration cornéenne des substances médicamenteuses, aussi bien la pénétration paracellulaire (par rupture dans la cohésion de l’épithélium), que transcellulaire (par rupture du cytoplasme cellulaire), cette modification des propriétés physiques des membranes des cellules épithéliales s’avérant adaptée par conséquent pour le passage de la barrière de la cornée par un nombre élevé de médicaments.

Aucun document de l’art antérieur ne démontre enfin l’existence d’un préjugé tiré de l’absence d’effet du BAK sur les produits plutôt lipophiles tels que le Bimatoprost, seule étant avérée à la date de priorité l’inhibition par l’effet du BAK de la pénétration transcornéenne des promédicaments esters (Document Camber et Edman, document Higaki et a.). Or, il n’est pas contesté que le Bimatoprost n’est ni un promédicament, ni un promédicament ester.

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PARIS

E

D

B

De tout ce qui précède il résulte que, cherchant à résoudre le problème de l’hyperémie, et partant du document Laibowitz, qui lui apprend que l’hyperémie dépend de la quantité de Bimatoprost utilisée, s’appuyant sur ses connaissances générales constituées des ouvrages de référence en ophtalmologie, ainsi que sur sa connaissance des formulations des autres produits présents sur le marché, qui lui enseignent que le BAK est un conservateur bien toléré par les patients dans les formulations de collyres d’usage quotidien y compris à des doses de l’ordre de 150 à 200 ppm, tandis que l’un des effets bien connu du BAK est de faciliter la bio disponibilité d’un nombre significatif de principes actifs, l’homme du métier aurait considéré comme évidente l’élaboration d’une solution topique constituée d’une dose réduite de Bimatoprost conservée dans une dose augmentée de chlorure de Benzalkonium, et n’aurait pas été surpris par des essais de routine démontrant la réduction de l’hyperémie et maintenant l’efficacité du composé sur la réduction de la pression intra-oculaire (la réduction de la dose de principe actif étant compensée par l’amélioration de sa bio-disponibilité laquelle évite la stagnation du Bimatoprost sur la cornée où il provoque l’hyperémie).

Aussi, la critique tirée du défaut d’activité inventive du brevet EP 434 apparaît à ce stade comme un moyen sérieux de contestation de la vraisemblance de la contrefaçon reprochée à la société MYLAN, qui justifie par conséquent, au vu des risques encourus de part et d’autre, de rejeter les demandes présentées en référé par les sociétés X Inc et X France.

4°) Sur les dépens et l’article 700 du code de procédure civile :

Parties perdantes au sens de l’article 696 du code de procédure civile, les sociétés X Inc et X France seront condamnées in solidum aux dépens, ainsi qu’à payer à la société MYLAN la somme de 80.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS,

Statuant publiquement par mise à disposition au greffe le jour du délibéré, par ordonnance contradictoire et en premier ressort,

Le juge des référés,

Constate l’existence d’une contestation sérieuse de nature à remettre en cause le caractère vraisemblable de la contrefaçon des revendications 1, 7 et 12 de la partie française du brevet EP n° 1 753 434 par la société

MYLAN ;

Dit par conséquent n’y avoir lieu à prononcé de mesures d’interdiction en référé ;

Condamne la société X Inc et la société X France in solidum aux dépens;

Condamne la société X Inc et la société X France in solidum à payer à la société MYLAN la somme de 80.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

Fait à Paris le 17 juillet 2020.

Le Greffier, Le Président

Z A B C

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1. D E F G

2 Copies exécutoires délivrées le: 7/20

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Tribunal Judiciaire de Paris, 17 juillet 2020, n° 2053265