Tribunal Judiciaire de Paris, 28 octobre 2021, n° 16/13087

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Gide Real Estate · 27 juillet 2022

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Sur la décision

Référence :
TJ Paris, 28 oct. 2021, n° 16/13087
Numéro(s) : 16/13087

Texte intégral

TRIBUNAL

JUDICIAIRE

DE PARIS 1

18° chambre 2ème section

N° RG 16/13087

JUGEMENT N° Portalis rendu le 28 Octobre 2021 352J-W-B7A-CIVX6

N° MINUTE : 3

Assignation du : 31 Août 2016

DEMANDERESSE

Société E F (SARL) […]

ASSOCIES-HITTINGER-ROUX BOUILLOT & ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant, vestiaire #P0497

DÉFENDERESSE

Société LEVEN INVEST (SAS) […]

ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant, vestiaire #P0428

C.C.C.F.E. + C.C.C. délivrées le : à

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Décision du 28 Octobre 2021 18° chambre 2ème section N° RG 16/13087

COMPOSITION DU TRIBUNAL

François VARICHON, Vice-président Laurence POISSENOT, Vice-Présidente Tiffanie REISS, Juge

assistés de Henriette DURO, Greffier

DÉBATS

A l’audience du 10 Juin 2021 tenue en audience publique devant François VARICHON, juge rapporteur, qui, sans opposition des avocats, a tenu seul l’audience, et, après avoir entendu les conseils des parties, en a rendu compte au Tribunal, conformément aux dispositions de l’article 805 du code de procédure civile.

Après clôture des débats, avis a été donné aux avocats que le jugement serait rendu par mise à disposition au greffe le 13 Octobre 2021 prorogé au 28 Octobre 2021.

JUGEMENT

Rendu publiquement par mise à disposition au greffe Contradictoire En premier ressort

_________________

EXPOSE DU LITIGE

Par acte sous seing privé du 30 mai 2007, M. et Mme X, aux droits desquels vient la société LEVEN INVEST, ont donné à bail commercial à la société E F les locaux suivants dépendant d’un immeuble situé […] à Paris 17 , pour une durée de neuf années à compter du 16 avril 2007, moyennant unème loyer annuel en principal de 36.000 € payable par trimestre et à terme échu, pour l’exercice de l’activité de «commerce de coiffure, esthétique, parfumerie» :

«Une boutique à droite de la porte cochère de l’immeuble ; Une annexe sur cour attenant à la boutique une cuisine en sous-sol ; Une cave sous partie de la boutique deux caves portant les N°27-29 »

Par acte extrajudiciaire du 9 février 2016, la société E F a fait délivrer à la société LEVEN INVEST une demande de renouvellement de bail à compter du 15 avril 2016.

Le 9 mai 2016, la société LEVEN INVEST a fait signifier à la société E F un acte de refus de renouvellement de bail avec offre de paiement d’une indemnité d’éviction.

Par acte du 31 août 2016, la société E F a fait assigner la société LEVEN INVEST devant le tribunal de grande instance de Paris aux fins de condamnation de cette dernière à lui payer une indemnité d’éviction de 1.190.845 € à parfaire. Cette instance a été enrôlée sous le numéro de RG 16/13087.

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Décision du 28 Octobre 2021 18° chambre 2ème section N° RG 16/13087

Par acte du 30 décembre 2016, la société LEVEN INVEST a fait assigner la société E F devant le tribunal de grande instance de Paris aux fins de fixation de l’indemnité d’occupation à la somme de 70.000 € HT et HC par an. Cette instance, enrôlée sous le numéro de RG 17/546, a été jointé à l’instance 16/13087 par ordonnance du juge de la mise en état du 10 janvier 2018.

Par ordonnance du 5 juillet 2017, le juge de la mise en état a désigné M. Y en qualité d’expert judiciaire avec mission de donner son avis sur le montant de l’indemnité d’éviction, de dire, à titre de renseignement, si le loyer aurait ou non été déplafonné en cas de renouvellement du bail et de donner son avis sur le montant de l’indemnité d’occupation. Par ailleurs, le juge a fixé le montant de l’indemnité d’occupation provisionnelle au montant du loyer en cours.

M. Y a été remplacé par Mme Z par ordonnance du juge de la mise en état du 20 juillet 2017.

Mme Z a déposé son rapport le 20 mars 2019. Elle conclut que :

"1) l’indemnité d’éviction peut s’apprécier ainsi :

- dans l’hypothèse d’un transfert du fonds de commerce :

en cas de déplafonnement : 519.000 € en cas de plafonnement : 1.070.000 €

- dans l’hypothèse d’une perte du fonds de commerce :

en cas de déplafonnement : 440.000 € en cas de plafonnement : 1.010.000 €

Frais de réinstallation en sus en cas de perte de fonds, laissés à l’appréciation du tribunal : 56.665 €.

S’y ajoutent dans les deux cas les éventuelles indemnités de licenciement sur justificatif.

2) le fonds de commerce ne paraît pas être transférable sans perte significative de clientèle.

3) l’indemnité d’occupation peut s’apprécier à compter du 16 avril 2016 à : 91.980 €/an

A titre de renseignement : si le bail avait été renouvelé le 16 avril 2016, la valeur locative en renouvellement aurait pu peut être estimée à : 102.000 €

Cependant, le loyer n’aurait à notre avis pas échappé au principe du plafonnement

Le loyer calculé en fonction des indices se serait établi à : 40.485,060 €".

Par acte du 10 octobre 2019, la société LEVEN INVEST, faisant valoir qu’elle avait découvert à l’occasion de l’expertise judiciaire que la société E F avait immatriculé dans les lieux loués une société tierce dénommée ETOILE EURL en violation des stipulations du bail, a fait délivrer à sa locataire un acte de rétractation de son offre de paiement d’une indemnité d’éviction, au visa de l’article L. 145-17 du code de commerce.

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Décision du 28 Octobre 2021 18° chambre 2ème section N° RG 16/13087

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 15 décembre 2020, la société E F demande au tribunal de :

"Vu les articles L 145-14 et suivants du Code de Commerce ; Vu l’article 1343-1 du Code civil, Vu l’article R. 123-170 du Code de commerce Vu les pièces versées aux débats ;

- RECEVOIR la société E F en ses demandes, fins et conclusions,

Y faisant droit,

- JUGER la rétractation d’offre d’indemnité d’éviction nulle et de nul effet, et de ce fait CONDAMNER la société LEVEN INVEST au versement d’une indemnité d’éviction,

- FIXER à la somme de 1.126.450 €, sauf à parfaire, l’indemnité d’éviction due par la société LEVEN INVEST à la société E F, en application des dispositions de l’article L.145-14 du Code de Commerce, décomposée comme suit :

Indemnité principale : Valeur de remplacement 881.000 €

Indemnités accessoires : 245.450 € Indemnité de remploi 88.100 € Trouble commercial 31.100 €

Frais de licenciement sur justificatif

Frais de réinstallation 117.750 €

Frais de déménagement 6.500 €

Frais divers 2.000 €

Frais liés aux stocks sur justificatif

A titre subsidiaire, dans l’hypothèse où le Tribunal estimerait devoir déplafonner,

- FIXER à la somme de 847.713 €, sauf à parfaire, l’indemnité d’éviction due par la société LEVEN INVEST à la société E F, en application des dispositions de l’article L.145-14 du Code de Commerce, décomposée comme suit :

Indemnité principale : Valeur de remplacement 627.603 €

Indemnités accessoires : 220.110 € Indemnité de remploi 62.760 € Trouble commercial 31.100 €

Frais de licenciement sur justificatif

Frais de réinstallation 117.750 €

Frais de déménagement 6.500 €

Frais divers 2.000 €

Frais liés aux stocks sur justificatif

En tout état de cause,

- FIXER l’indemnité d’occupation due par la société E F au 16 avril 2016 à la somme de 81.774 € HT/HC/annuel,

- CONDAMNER la société LEVEN INVEST à payer à la société E F la somme de 12.000 € par application des dispositions de l’article 700 du Code de Procédure Civile.

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Décision du 28 Octobre 2021 18° chambre 2ème section N° RG 16/13087

- CONDAMNER la société LEVEN INVEST en tous les dépens, conformément aux dispositions de l’article 699 du CPC, en ce compris les frais d’expertise.

- ORDONNER l’exécution provisoire du jugement à intervenir.

Sur la question de l’inexigibilité de l’indemnité d’occupation et des charges du deuxième trimestre 2020,

Sur l’exception d’inexécution,

- JUGER que le Bailleur a manqué à son obligation de délivrance et que c’est à bon droit que le Preneur se prévaut de l’exception d’inexécution ;

A titre subsidiaire, sur la force majeure,

- JUGER que la pandémie de Covid-19 et les mesures de fermeture et de confinement prises par le Gouvernement sont constitutifs d’un événement de force majeure ;

- JUGER que les effets du bail commercial ont été suspendus pour le deuxième trimestre 2020 ;

A titre encore plus subsidiaire, sur le fait du Prince,

- JUGER que les mesures réglementaires et législatives et notamment, les arrêtés des 15 et 16 mars 2020 et la loi décrétant l’état d’urgence sanitaire, constituent un fait du Prince, dans la mesure où elles ont conduit à la fermeture autoritaire de l’établissement du Preneur ;

A titre toujours plus subsidiaire, sur la perte de la chose louée,

- JUGER que les mesures réglementaires et législatives et notamment, les arrêtés des 15 et 16 mars 2020 et la loi décrétant l’état d’urgence sanitaire, ont entraîné la perte de la chose louée ;

En conséquence,

- JUGER que le Preneur n’est redevable d’aucune dette d’indemnité d’occupation et charges envers le Bailleur au titre du bail pour la période du 15 mars au 11 mai 2020 ;

A titre infiniment subsidiaire,

- ACCORDER au Preneur, un délai de 24 mois pour le règlement de toute sommes qui pourraient être allouées à la défenderesse et ce à compter de l’expiration d’un délai de 15 jours de la signification par acte extrajudiciaire du jugement à intervenir ;".

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 30 décembre 2020, la société LEVEN INVEST demande au tribunal de :

"Vu l’article L 145-14 du Code de Commerce, Vu les articles L. 145-28 et suivants du Code de Commerce, Vu l’article L. 145-17 du Code de commerce, Vu l’article 1240 du Code civil,

Juger recevable et bien fondée la société LEVEN INVEST en ses demandes,

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Décision du 28 Octobre 2021 18° chambre 2ème section N° RG 16/13087

A titre principal,

Juger que la société E F a commis une infraction irréversible en immatriculant l’établissement secondaire d’une société tierce dans les lieux loués en violation des clauses du bail,

Juger valable la rétractation de l’offre de versement de l’indemnité d’éviction délivrée le 10 octobre 2019 par la société LEVEN INVEST,

Juger en conséquence que la société E F n’a pas droit au versement d’une indemnité d’éviction,

Juger que la société E F est occupante sans droit ni titre par l’effet du congé depuis le 16 avril 2016,

Prononcer l’expulsion de la société E F des lieux loués, à savoir du local sis à […], […], ainsi que celle de tout occupant de son chef, avec l’assistance de la force publique et d’un serrurier s’il y a lieu, sous astreinte de 500 € par jour de retard, 8 jours après la signification du jugement à intervenir,

Condamner la société E F à payer à la société LEVEN INVEST une indemnité d’occupation fixée à la somme de 137.000 euros en principal par an, outre les charges, taxes et accessoires dus dans les termes de la convention locative expirée, à compter du 16 avril 2016 et ce jusqu’à libération totale des lieux, outre les intérêts à valoir sur cette somme en application de l’article 1343-1 du code civil qui seront capitalisés en application de l’article 1343-2 du même code,

Juger que le montant de l’indemnité d’occupation sera indexé sur en fonction de la variation de l’indice INSEE des loyers commerciaux si l’occupation de la société E F devait durer plus d’une année à compter de la décision à intervenir,

A titre subsidiaire,

Fixer le montant de l’indemnité d’éviction due à la société E F à la somme de 362.210 euros,

Juger que les indemnités de licenciements seront dues sur justificatifs,

Fixer le montant de l’indemnité d’occupation due par la société E F à la somme de 91.105 euros hors taxes et hors charges par an,

Juger que le montant de l’indemnité d’occupation sera indexé dans les conditions du bail commercial,

Juger que la société E F sera redevable des intérêts au taux légal sur les arriérés de l’indemnité d’occupation à compter de chaque date d’exigibilité, conformément aux dispositions de l’article 1343-1 du Code civil,

Ordonner leur capitalisation dans les conditions 1343-2 du même code,

En tout état de cause,

Débouter la société E F de l’ensemble de ses demandes,

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Décision du 28 Octobre 2021 18° chambre 2ème section N° RG 16/13087

Condamner la société E F aux dépens dont bénéfice au profit de la SAS C MARUANI & ASSOCIES représenté par maître G C, en application de l’article 699 du Code de procédure civile, ainsi qu’à payer à la société LEVEN INVEST la somme de 12.000 euros au titre de l’article 700 du même code."

La clôture de la mise en état a été prononcée par ordonnance du 3 février 2021.

Le tribunal a proposé aux parties de désigner un médiateur judiciaire en application de l’article 131-1 du code de procédure civile. Cette proposition n’a toutefois pas été suivie d’effet, faute d’accord unanime des parties.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur la contestation du droit de la société E F au paiement d’une indemnité d’éviction

La société LEVEN INVEST soutient :

- que lors des opérations d’expertise, elle a découvert qu’une société tierce, la société ETOILE EURL, dont le gérant est le même que celui de la société E F, était immatriculée dans les lieux loués ;

- qu’en procédant à l’immatriculation de cet établissement dans les lieux loués, la société E F a violé les stipulations du bail qui interdisent au preneur de sous-louer les locaux ou d’y domicilier une entreprise ;

- que contrairement à ce qu’indique la société E F, cette infraction au bail présente un caractère irréversible, de sorte qu’une mise en demeure préalable du preneur n’était pas nécessaire ;

- que la société E F, qui soutient que la faute qui lui est reprochée est dépourvue de gravité suffisante, ne démontre, ni que la société ETOILE EURL n’a pas occupé les lieux dans le cadre d’une sous-location, ni qu’elle n’a pas exercé d’activité dans les locaux, alors qu’elle exploite des salons de coiffure, comme la société E F ;

- que le manquement commis par la société E F constitue une faute grave qui justifie la privation du droit du preneur au paiement d’une indemnité d’éviction, conformément à l’article L. 145-17 du code de commerce, et son expulsion des lieux loués du fait de sa qualité d’occupante sans droit ni titre depuis le terme du bail.

La société E F réplique :

- qu’elle a simplement domicilié dans les lieux loués la société ETOILE EURL sans lui consentir une quelconque sous-location ; que s’agissant d’un accord conclu entre une société mère et sa filiale, les deux entreprises n’ont pas signé de contrat de domiciliation conformément à la dérogation prévue par l’article R. 123-70 du code de commerce ;

- que la société LEVEN INVEST, qui, dans l’acte de rétractation de l’offre de paiement d’indemnité d’éviction du 10 octobre 2019, n’a évoqué que l’immatriculation de la société ETOILE EURL sans viser la sous-location des lieux loués, n’est pas fondée à se prévaloir de ce prétendu manquement.

- que par ailleurs, cet acte est nul car la société LEVEN INVEST ne lui a pas préalablement délivré la mise en demeure requise par l’article L. 145-17 du code de commerce, alors que la domiciliation d’une société tierce sans l’accord du bailleur constitue un manquement régularisable ; que preuve en est qu’en avril 2019, la société ETOILE EURL a déplacé son siège social en un autre lieu, de sorte qu’il a d’ores et déjà été mis fin au manquement qui lui est reproché ;

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- qu’en tout état de cause, la faute qui lui est imputée ne présente pas de gravité suffisante pour la priver du droit à paiement d’une indemnité d’éviction ; qu’en effet, la société ETOILE EURL n’a jamais occupé les lieux loués et n’y a donc exercé aucune activité.

L’article L. 145-14 du code de commerce dispose que le bailleur peut refuser le renouvellement du bail. Toutefois, il est alors tenu, sauf exceptions prévues aux articles L. 145-17 et suivants, de payer au locataire évincé une indemnité dite d’éviction égale au préjudice causé par le défaut de renouvellement.

Aux termes de l’article L. 145-17 du code de commerce, le bailleur peut refuser le renouvellement du bail sans être tenu au paiement d’aucune indemnité s’il justifie d’un motif grave et légitime à l’encontre du locataire sortant. Toutefois, s’il s’agit soit de l’inexécution d’une obligation, soit de la cessation sans raison sérieuse et légitime de l’exploitation du fonds, compte tenu des dispositions de l’article L. 145-8, l’infraction commise par le preneur ne peut être invoquée que si elle s’est poursuivie ou renouvelée plus d’un mois après mise en demeure du bailleur d’avoir à la faire cesser. Cette mise en demeure doit, à peine de nullité, être effectuée par acte extrajudiciaire, préciser le motif invoqué et reproduire les termes du présent alinéa.

En l’espèce, l’acte de rétractation de l’offre de paiement d’une indemnité d’éviction que la société LEVEN INVEST a fait signifier à la société E F le 10 octobre 2019 au visa de l’article L. 145-17 du code de commerce est motivé comme suit :

"Qu’au cours des opérations d’expertise, la société LEVEN INVEST a découvert qu’une société tierce était immatriculée dans les lieux loués, la société ETOILE EURL dont le gérant est le même que celui de la société E F, monsieur E-Q R, selon extrait K-BIS ci-joint,

Que la société LEVEN INVEST a informé l’expert de ce point et demandé des explications aux termes de son dire récapitulatif du 30 janvier 2019,

Que la société E F n’a apporté aucune explication sur ce point,

Que le bail stipule en son article CESSION – SOUS LOCATION : « occuper personnellement les lieux loués. De ne pouvoir en aucun cas, sous peine de résiliation du bail, sous louer les lieux loués, même gratuitement en tout ou partie, ou y domicilier toute entreprise. »

Que la société E F a procédé à l’immatriculation d’un établissement secondaire d’une société tierce dans les lieux loués, en violation des clauses du bail,".

En visant dans cet acte « l’immatriculation d’un établissement secondaire d’une société tierce dans les lieux loués », la société LEVEN INVEST a entendu faire grief à sa locataire d’avoir manqué à son obligation d’occuper personnellement les lieux loués, laquelle implique les deux interdictions visées dans l’article du bail reproduit dans l’acte, à savoir sous-louer les lieux ou y domicilier une entreprise.

Le bailleur a joint à l’acte du 10 octobre 2019 un extrait Kbis de la société ETOILE EURL daté du 27 janvier 2019 édité par le RCS de Paris dont il ressort que cette entreprise, qui exerce l’activité de salon de coiffure, avait à cette date son siège social à l’adresse du […] à Paris 17 . L’immatriculation de la sociétéème ETOILE EURL dans les lieux loués par la société E F constitue par conséquent un fait établi, qui n’est d’ailleurs pas contesté par la société E F.

Pour justifier l’absence de signification d’une mise en demeure préalable à sa locataire, la société LEVEN INVEST se prévaut de décisions de jurisprudence ayant considéré que le défaut d’appel du bailleur à concourir à l’acte de sous-location par le preneur constituait une infraction instantanée et non régularisable. Toutefois, ce manquement

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précis n’est pas visé dans l’acte du 10 octobre 2019 et ne saurait par conséquent être invoqué par le bailleur sur le fondement de l’article L. 145-17 du code de commerce. En tout état de cause, il appartient à la société LEVEN INVEST de démontrer l’existence de la sous-location alléguée, laquelle, conformément à l’article 1709 du code civil, implique le versement d’un prix par le sous-locataire en contrepartie de la jouissance de la chose louée.

Or, la société E F verse aux débats une attestation du 26 août 2020 de M. A qui, en sa qualité d’expert-comptable des sociétés ETOILE EURL et E F, certifie que « la société ETOILE n’a supporté d’autre loyer, pour les années 2016 et suivantes, que ceux relatifs aux baux des deux salons exploités Avenue E I à B. Corrélativement la société E F n’a perçu aucun loyer de sous location de la part de sa société mère la Sarl ETOILE ».

Par ailleurs, la société LEVEN INVEST ne démontre pas que la société ETOILE EURL a eu la jouissance de tout ou partie des lieux loués et qu’elle y a exercé son activité de salon de coiffure concurremment avec la société E F. Cette dernière produit à cet égard un extrait Kbis de la société ETOILE EURL du 7 juin 2019 édité par le RCS de Bobigny dont il ressort que cette entreprise exploite depuis 2009 et 2011, pour l’exercice de l’activité de salon de coiffure, un établissement principal et un établissement secondaire situés tous deux à B (93). Cette pièce corrobore l’affirmation de la société E F selon laquelle la société ETOILE a simplement domicilié son siège social dans les lieux loués sans y pratiquer son activité de salon coiffure, qu’elle exerçait ailleurs.

Il sera donc considéré que la société ETOILE EURL a été immatriculée dans les lieux loués en vertu d’un accord de domiciliation conclu avec sa filiale, la société E F, et non en vertu d’un contrat de sous-location.

En agréant la domiciliation de sa société mère dans les lieux loués, la société E F a incontestablement méconnu les stipulations précitées du bail qui la lie à la société LEVEN INVEST. Toutefois, la domiciliation d’une entreprise sans l’autorisation préalable du bailleur constitue une infraction continue et régularisable dès lors qu’il est possible au locataire d’y mettre un terme. Il est d’ailleurs notable que la société E F et la société ETOILE EURL ont mis fin à l’accord de domiciliation puisque cette dernière a déplacé son siège social, ainsi qu’en attestent notamment le procès-verbal de décisions de l’associé unique de la société ETOILE EURL du 10 avril 2019 comportant la décision de transférer le siège social de l’entreprise à B (93) à compter de ce jour, les statuts de la société modifiés conformément à cette décision, l’attestation de parution des annonces légales relatives à cette opération et l’extrait Kbis la société ETOILE EURL du 7 juin 2109, sur lequel figure l’adresse de son nouveau siège social.

Il est constant que la société LEVEN INVEST n’a pas fait signifier à la société E F la mise en demeure requise par l’article L. 145-17 du code de commerce. Cette omission n’entache pas de nullité l’acte d’huissier de justice du 10 octobre 2019 mais prive le bailleur de la faculté de se prévaloir du manquement qui y est invoqué. Il convient donc de dire la société E F fondée à solliciter le paiement de l’indemnité d’éviction prévue par l’article L. 145-14 du code de commerce par suite du refus de renouvellement opposé par la société LEVEN INVEST le 9 mai 2016.

Par voie de conséquence, la société LEVEN INVEST sera déboutée de ses demandes d’expulsion de la société E F et de condamnation de cette dernière au paiement d’une indemnité d’occupation de droit commun.

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Décision du 28 Octobre 2021 18° chambre 2ème section N° RG 16/13087

Sur la demande de fixation de l’indemnité d’éviction

L’article L. 145-14 du code de commerce dispose que le bailleur peut refuser le renouvellement du bail. Toutefois, le bailleur doit, sauf exceptions prévues aux articles L. 145-17 et suivants, payer au locataire évincé une indemnité dite d’éviction égale au préjudice causé par le défaut de renouvellement. Cette indemnité comprend notamment la valeur marchande du fonds de commerce, déterminée suivant les usages de la profession, augmentée éventuellement des frais normaux de déménagement et de réinstallation, ainsi que des frais et droits de mutation à payer pour un fonds de même valeur, sauf dans le cas où le propriétaire fait la preuve que le préjudice est moindre.

1) Sur l’indemnité principale

L’expert décrit comme suit les locaux objet de l’éviction (cf. page 12 du rapport) :

"Impression d’ensemble : bonne

immeuble de bonne qualité de construction, en assez bon état d’entretien apparent avec toutefois un ravalement ancien bon état d’usage des locaux, dont il nous a été indiqué qu’ils avaient été rénovés en 2006 distribution fonctionnelle pour l’activité exercée accès PMR (personnes à mobilité réduite) par pan incliné métallique à commande électrique assez bon éclairement naturel vitrine sur rue en verre épais sans grille ni rideau de protection climatisation réversible hauteurs moyennes sous plafond : au rez-de-chaussée : 3,13m sous plafond au 1 étage : 2,56m sous voûte".er

S’agissant de l’emplacement des locaux, l’expert relève ce qui suit (cf. page 13) :

"Les locaux sont sis sur le troisième tronçon, entre la rue Guersant et la rue Villebois-Mareuil, à 130m environ du quatrième tronçon et 360m environ de la place des Ternes.

Bonne voire très bonne situation, dans un quartier à vocation résidentielle et de bureaux dont la population bénéficie d’un pouvoir d’achat élevé, du côté de l’avenue exposé au sud.

Station de métro Ternes (ligne 2) à 380m environ. Arrêts d’autobus Ternes – Mac Mahon (lignes 43, 92, 93 et 341) à 130m et 150m environ. Parking public Ternes à proximité immédiate."

L’expert retient une surface réelle de 80,95 m² au rez-de-chaussée et de 30,35 m² au sous-sol correspondant à une surface totale pondérée de 75,27 m² selon les préconisations la 5 édition de la Charte de l’expertise en évaluation immobilièreème (cf. page 24).

La société LEVEN INVEST conteste le coefficient de 0,9 appliqué par l’expert à la zone 2 au motif que cette pondération est réservée aux zones dont la largeur et l’accessibilité de la clientèle sont optimales. Elle sollicite en conséquence l’application d’un coefficient de 0,8.

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La Charte de l’expertise en évaluation immobilière prévoit une pondération de 0,80 à 1 pour la 2 zone de vente comprise en 5 mètres et 10 mètres de la vitrine. En l’espèce,ème ainsi que l’a relevé l’expert en réponse au dire du bailleur, « aucun élément ne justifie de retenir un coefficient de »bas de fourchette« pour la zone 2 » (cf. page 41).

Par ailleurs, la société LEVEN INVEST soutient que la zone à gauche du local, étroite et peu accessible à la clientèle selon elle, devrait être pondérée à hauteur de 0,5 au lieu de 0,6. L’expert observe toutefois à cet égard, sans être utilement démenti par le bailleur, que « les caractéristiques des locaux ne nous paraissent pas justifier de distinction » (cf. page 41).

Enfin, la société LEVEN INVEST sollicite qu’un coefficient de 0,20 au lieu de 0,25 soit appliqué au sous-sol. L’expert observe toutefois pertinemment que « Le coefficient de 0,25 retenu tient compte de l’absence d’accès à la clientèle et des aménagements et utilité du sous-sol (sol carrelé, murs en pierre, machines à laver, sanitaires) » (cf. page 41).

La surface pondérée de 75,27 m² sera donc retenue par le tribunal.

En ce qui concerne la nature de l’indemnité d’éviction due à la société E F, l’expert relève que la société LEVEN INVEST n’a pas proposé de locaux de remplacement à sa locataire. Il indique ne pas avoir constaté l’existence de locaux vacants avenue des Ternes lors de sa visite et estime que dans le cas où le fonds serait transféré sur une artère secondaire, le risque d’une perte de clientèle serait élevé. Au vu de ces éléments, il conclut que le fonds n’est pas transférable (cf. pages 32 et 46). Cet avis apparaît pertinent au vu des constatations de l’expert et sera donc entériné par le tribunal.

a) Sur la valeur du droit au bail

Après examen de l’évolution de l’ensemble des facteurs susceptibles d’écarter la règle du plafonnement du loyer du bail renouvelé, notamment la rotation des enseignes sur le tronçon considéré de l’avenue des Ternes, les constructions nouvelles dans un rayon de 400 mètres et l’évolution de la fréquentation de la station de métro Ternes, l’expert conclut que "ces élements peuvent avoir apporté un léger flux complémentaires de chalands, toutefois insuffisant, à notre avis, pour conférer un caractère notable à la modification des facteurs locaux de commercialité pour le commerce exercé, et ne permettant pas d’écarter le principe du plafonnement en application de l’article R. 145-6 du code de commerce" (cf. pages 18 à 23, en gras et souligné dans le texte).

La société LEVEN INVEST conteste cette appréciation et affirme qu’une modification notable des facteurs locaux de commercialité est intervenue au cours du bail expiré. Elle fait valoir, en premier lieu, que de nouvelles enseignes, dont certaines de notoriété internationale, se sont installées dans la partie de l’avenue des Ternes dans laquelle se trouvent les lieux loués. Elle relève, en second lieu, que la population du 17ème arrondissement a connu une forte hausse de son revenu fiscal révélant un accroissement de son pouvoir d’achat.

L’expert fait toutefois justement observer à cet égard que "Le CODATA recense entre 2007 et 2016 une augmentation de 5 enseignes outre des mouvements d’enseignes (13 arrivées et 10 départs). Maître C comptabilise quant à lui des mouvements constitués pour certains d’arrivée d’enseigne ayant remplacé une autre enseigne, de qualité ou de notoriété souvent équivalente (par exemples AFFLELOU remplacé par IKKS, WOLFORD remplacé par COMPTOIR DES COTONNIERS ou LAFUMA remplacée par MILLET). En outre, certaines enseignes disparues se sont en réalité réinstallées à une autre adresse sur le même tronçon (WOLFORD, LACOSTE,

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K L). L’ensemble de ces mouvements nous semble constituer une rotation assez classique d’enseignes, sans véritable transformation améliorant la commercialité de l’avenue" (cf. page 42).

L’expert souligne par ailleurs que la période d’évolution des revenus de la population du 17 arrondissement sur laquelle se base le bailleur (2003 à 2011) ne correspond pasème exactement à celle du bail expiré (2007 à 2016). Il ajoute, à juste titre, que cet arrondissement est très vaste et disparate (cf. page 42).

Au vu de ces éléments, il convient de dire que la société LEVEN INVEST ne rapporte pas la preuve d’une modification notable des facteurs locaux de commercialité qui aurait été de nature à justifier le déplafonnement du loyer en cas de renouvellement du bail. Le montant de l’indemnité d’éviction due à la société E F sera donc calculé sur la base d’un loyer de renouvellement plafonné.

Après examen de seize références locatives correspondant à des locations nouvelles, des locations assorties du versement d’un droit au bail ou d’un pas de porte, de renouvellements amiables et de fixations judiciaires, l’expert retient une valeur locative de marché en mars 2019 de 146.000 € sur la base d’un prix unitaire de 2.000 € au m² et après application d’un abattement de 3% afin de tenir compte de la charge exorbitante constituée par le transfert au preneur des charges de copropriété. (cf. page 29). Il évalue le loyer plafonné à la même date à la somme de 42.378,94 € arrondi à 42.379 € (cf. page 31). Il propose d’appliquer au différentiel de loyer ainsi calculé un coefficient de 8,5, conduisant à une valeur du droit au bail de 881.000 € (cf. page 31).

La société LEVEN INVEST conteste l’application de l’abattement de 3 % pour clause exorbitante au motif que la récupération sur le preneur des charges de copropriété constitue une stipulation usuelle.

L’article « impôts-taxes-charges » du bail du 30 mai 2007 impose au preneur de rembourser au bailleur les charges de copropriété afférentes au lot loué, à l’exception des honoraires de syndic et des frais d’assemblées qui sont supportés par le bailleur. Il n’est toutefois pas établi que cette clause présenterait un caractère exorbitant au regard des conditions usuellement pratiquées dans les baux commerciaux. L’abattement de 3% retenu par l’expert sera donc écarté, de sorte que la valeur locative de marché en mars 2019 s’élève à 75,27 m² x 2.000 € / m² = 150.540 €. Le différentiel de loyer s’élève par conséquent à 150.540 € – 42.379 € = 108.161 €.

Par ailleurs, le coefficient de 8,5 retenu par l’expert est discuté par la société LEVEN INVEST, qui fait valoir qu’un coefficient de 7,5 est plus adapté à l’emplacement des lieux loués.

Le coefficient de 8,5 correspond traditionnellement à des locaux bénéficiant d’une très haute valeur commerciale, ainsi qu’il ressort du barème reproduit dans les ouvrages de références (cf. notamment le mémento Francis Lefebvre baux commerciaux, édition 2019/2020, et le Traité des baux commerciaux de M. D, 6 édition). Enème l’espèce, ce coefficient apparaît excessif s’agissant de locaux bénéficiant, certes, d’une bonne situation, mais dont l’expert relève néanmoins qu’ils ne se trouvent pas dans le tronçon le plus recherché de l’avenue des Ternes (cf. page 31). Le coefficient de 8 apparaît plus adapté et sera donc retenu par le tribunal.

La valeur du droit au bail sera donc fixée à 108.161 € x 8 = 865.288 €.

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b) Sur la valeur du fonds de commerce

L’expert applique successivement la méthode de l’estimation par l’excédent brut d’exploitation (EBE) et par le chiffre d’affaires. La première méthode, s’agissant un fonds déficitaire, conduit à une évaluation du fonds à hauteur de 881.000 € correspondant à la valeur du droit au bail telle qu’évaluée par l’expert (cf. page 35). La seconde méthode aboutit à une évaluation de 493.000 € après application d’un coefficient de 110% au chiffre d’affaires moyen pondéré de 447.836 € TTC sur les exercices 2015 à 2017 inclus (cf. pages 36 et 37).

L’expert, après avoir rappelé que la valeur du fonds de commerce ne peut être inférieure à la valeur du droit au bail, retient en conséquence une valorisation de 881.000 €.

Le montant de l’indemnité principale sera donc donc fixé à 865.288 € correspondant à la valeur du droit au bail retenue par le tribunal.

2) Sur les indemnités accessoires

a) Frais de remploi

L’indemnité de remploi a pour objet de couvrir les frais et droits de mutation à payer pour l’acquisition d’un fonds de même valeur ou d’un droit au bail équivalent.

En l’espèce, l’expert estime cette indemnité à 10 % de la valeur du fonds (cf. page 38). Cette évaluation est conforme aux usages et sera donc retenue à hauteur de 86.528,80 € arrondi à 86.529 €.

b) Trouble commercial

L’indemnité fondée sur le trouble commercial a pour objet de compenser la perte de temps générée par l’éviction et le moindre investissement dans le commerce. Elle correspond usuellement à trois mois de l’excédent brut d’exploitation (EBE) moyen des trois derniers exercices. En l’absence de capacité bénéficiaire du fonds, il est d’usage de se fonder sur le chiffre d’affaires du preneur.

En l’espèce, l’expert propose de retenir la somme de 31.100 € correspondant à un mois de chiffre d’affaires moyen HT pondéré du preneur (cf. page 34). La société LEVEN INVEST sollicite que cette indemnité soit réduite à un mois de chiffre d’affaires sans toutefois justifier du bien fondé de sa demande, qui sera donc rejetée.

c) Frais de déménagement

L’expert estime les frais de déménagement à la somme de 5.417 € HT selon devis de la société MED DEMENAGEMENT du 2 février 2019 (cf. page 38). Contrairement à ce que soutient la société LEVEN INVEST, ce devis est suffisamment précis pour être pris en considération puisqu’il mentionne le volume des biens à déplacer (70 m3 au rez-de-chaussée et 30 m3 au sous-sol). Le montant proposé par l’expert sera donc entériné par le tribunal.

d) Frais de réinstallation

L’expert estime le montant des frais de réinstallation de la société E F à 56.665 € sur la base de 1.000 €/m² et après application d’un abattement de vétusté de 30 %, tout en laissant au tribunal le soin de déterminer si la locataire peut prétendre au paiement d’une indemnité à ce titre (cf. pages 33 et 38).

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La société E F considère cette estimation comme insuffisante. Elle fait valoir que la reprise de son activité dans un autre lieu supposera le respect de normes esthétiques haut de gamme. Elle explique qu’elle devra s’acquitter de 147.928,80 € pour l’achat de divers éléments mobiliers, notamment de nouveaux bacs de lavage, outre 20.286 € au titre des frais d’imprimerie, soit la somme totale de 168.215 €. Elle sollicite en conséquence le versement de 117.750 € après application d’un abattement de vétusté de 30 %.

La société LEVEN INVEST conteste cette demande en faisant notamment valoir que les frais de réinstallation ne sont dus qu’en cas d’aménagements spécifiques du preneur qui excèdent ceux habituellement rencontrés pour l’activité considérée, ce qui n’est pas le cas en l’espèce.

Il est en effet constant que la société E F n’exploite pas un établissement dépendant d’une chaîne de salons de coiffure dont elle serait tenue de respecter le concept particulier. Par ailleurs, elle ne démontre pas qu’elle a développé dans son établissement un mode d’exploitation spécifique au travers d’aménagements et d’agencements qui signeraient son identité et devraient se retrouver dans ses nouveaux locaux. Dans ces conditions, sa demande de paiement de frais de réinstallation n’est pas fondée et sera rejetée.

e) Frais de licenciement

Conformément aux préconisations de l’expert et à l’usage, les frais de licenciement engendrés par l’éviction de la société E F seront pris en charge sur justificatifs par la société LEVEN INVEST.

f) Perte sur stock et frais divers

La société E F demande à être indemnisée sur justificatif de la perte de son stock. La société LEVEN INVEST s’oppose à cette demande au motif que la locataire prétend vouloir se résinstaller.

L’expert judiciaire ne s’est pas prononcé sur ce point.

Dès lors que l’activité exercée dans les locaux ne nécessite pas l’emploi de denrées périssables et qu’il n’est pas justifié d’une activité complémentaire de vente de produits de coiffure qui pourrait constituer un stock de marchandises que la locataire devrait vendre par l’effet de la perte de son fonds de commerce, il n’y a pas lieu d’allouer une indemnité au titre de la perte sur stocks.

En ce qui concerne les « frais divers », la société E F sollicite l’allocation de la somme de 2.000 € correspondant notamment aux frais d’assemblées et de publicité inhérents à la disparition de sa boutique. Cette demande est justifiée au regard des frais qui devront être exposés par la locataire évincée. Il y sera donc fait droit par le tribunal.

L’indemnité d’éviction globale sera donc fixée à la somme de 990.334 €, outre les frais de licenciement sur justificatif.

Sur la demande de fixation de l’indemnité d’occupation

L’article L. 145-28, alinéa 1 , du code de commerce dispose qu’aucun locataire pouvanter prétendre à une indemnité d’éviction ne peut être obligé de quitter les lieux avant de l’avoir reçue. Jusqu’au paiement de cette indemnité, il a droit au maintien dans les lieux aux conditions et clauses du bail expiré. Toutefois, l’indemnité d’occupation est déterminée conformément aux dispositions des sections VI et VII, compte tenu de tous éléments d’appréciation.

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En l’espèce, l’expert estime l’indemnité d’occupation due par la société E F à compter du 16 avril 2016 à la somme de 91.980 € par an correspondant à la valeur locative en renouvellement, soit 102.200 € sur la base d’un prix unitaire de 1.400 €/m², minorée d’un abattement de précarité de 10 % (cf. page 39).

La société E F sollicite l’application d’un abattement de précarité 20 %. Elle fait valoir à cet égard que depuis que le renouvellement du bail lui a été refusé par la société LEVEN INVEST, elle n’a pas pu effectuer les « travaux de remise à neuf du concept ». Elle ajoute que ses salariés, démotivés, démissionnent les uns après les autres, ce qui conduit à une baisse de son chiffre d’affaires.

La société LEVEN INVEST demande la fixation de l’indemnité d’occupation à la somme de 91.105 €, sur la base du prix unitaire de 1.400 €/m² retenu par l’expert, qu’elle applique à une surface pondérée de 68,50 €, que le tribunal a toutefois écartée pour les motifs exposés ci-dessus, et après déduction d’un abattement de précarité de 5 % seulement. En outre, elle demande que l’indemnité d’occupation soit indexée dans les conditions du bail expiré.

La situation du preneur qui se maintient dans les lieux après que le bailleur a refusé le renouvellement du bail commercial est nécessairement affectée d’une certaine précarité qui justifie la pratique d’un abattement sur la valeur locative.

En l’espèce, la durée de la présente procédure aux fins de fixation de l’indemnité d’éviction n’a pas été anormalement longue. Par ailleurs, la société E F ne démontre, ni que ses salariés sont démotivés et moins productifs du fait de l’éviction des lieux loués, ni que la démission de certains d’entre eux, serait elle prouvée, est imputable à cette situation. En outre, la baisse de chiffre d’affaires observée depuis la signification du refus de renouvellement par le bailleur ne peut être imputée avec certitude à la précarité affectant l’exploitation du fonds de la locataire, d’autres circonstances, telle la concurrence exercée par d’autres coiffeurs situés dans la même zone de chalandise, étant susceptibles d’avoir conduit à cette situation. Dans ces conditions, l’abattement de 20 % sollicité par la locataire n’est pas justifié, de même que l’abattement de 5 % réclamé par le bailleur, qui n’apparaît pas suffisant pour réparer l’entier préjudice de sa locataire évincée.

Le montant de l’indemnité d’occupation proposé par l’expert, soit 91.980 €, étant supérieur à celui réclamé par la société LEVEN INVEST aux termes de ses conclusions, soit 91.105 €, ce dernier montant sera retenu par le tribunal.

Conformément à la demande de la société LEVEN INVEST, l’indemnité d’occupation susvisée sera indexée chaque année, et pour la première fois le 16 avril 2017, dans les termes de la clause « révision annuelle» du bail expiré.

Les intérêts au taux légal seront dus à la société LEVEN INVEST à compter de la demande de paiement de l’indemnité d’occupation formée par assignation du 30 décembre 2016. Les intérêts échus dus au moins pour une année entière seront capitalisés dans les conditions de l’article 1343-2 du code civil.

Sur la demande de la société E F aux fins de voir dire l’indemnité d’occupation inexigible pour la période courant du 15 mars au 11 mai 2020

A l’appui de sa demande, la société E F expose :

- que les mesures adoptées par le Gouvernement pour lutter contre la pandémie de Covid-19, notamment les arrêtés des 15 et 16 mars 2020, l’ont contraite à fermer sa boutique du 15 mars au 11 mai 2020 ;

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- qu’elle est fondée à opposer au bailleur une exception d’inexécution en raison du manquement de ce dernier à son obligation de délivrance et de jouissance paisible résultant de l’article 1719 du code civil ;

- que par ailleurs, la crise sanitaire constitue un cas de force majeure au sens de l’ancien article 1148 du code civil, dont le survenance conduit à une suspension de l’obligation de paiement du preneur ;

- qu’en outre, l’adoption des mesures réglementaires pour lutter contre la pandémie de Covid-19 constitue un fait du Prince qui, comme la force majeure, suspend l’obligation de paiement de l’indemnité d’occupation et des charges ;

- qu’enfin, la privation de jouissance des locaux pris à bail du fait des mesures adoptées par les pouvoirs publics s’apparente à une perte totale de la chose louée au sens de l’article 1722 du code civil et justifie qu’aucune indemnité d’occupation ne soit versée au bailleur pour la période susvisée.

La société LEVEN INVEST réplique :

- qu’elle n’a pas manqué à son obligation de délivrance puisqu’elle a mis la chose louée à disposition de la société E F, qui en a eu la jouissance effective ;

- que s’agissant d’une obligation de somme d’argent, la force majeure est inopérante, de même que l’invocation du fait du Prince ;

- qu’enfin, l’article 1722 du code civil ne peut être invoqué en l’espèce en l’absence de destruction matérielle de la chose louée et alors que l’immeuble n’a été que temporairement indisponible.

a) Sur le manquement allégué du bailleur à son obligation de délivrance

L’article 1719 du code civil énonce que le bailleur est obligé, par la nature du contrat, et sans qu’il soit besoin d’aucune stipulation particulière, de délivrer au preneur la chose louée et d’en faire jouir paisiblement le preneur pendant la durée du bail. Cet article n’a pas pour effet d’obliger le bailleur à garantir au preneur la chalandise des lieux loués et la stabilité du cadre normatif dans lequel s’exerce son activité.

L’obligation de délivrance et la garantie de jouissance paisible perdurent après le terme du bail lorsque s’ouvre la période de maintien dans les lieux du locataire évincé.

En l’espèce, la société E F ne conteste pas que pendant la période litigieuse courant du 15 mars 2020 au 11 mai 2020, la société LEVEN INVEST a tenu à sa disposition les locaux objet du bail du 30 mai 2007 et que ceux-ci sont aptes à remplir la destination pour laquelle ils ont été loués. Par ailleurs, le trouble de jouissance dont la société E F se prévaut, du fait de la fermeture administrative de son commerce imposée par les mesures législatives et réglementaires de lutte contre la propagation de la pandémie de Covid-19, n’est pas garanti par le bailleur. Il convient donc de dire la société E F mal fondée en son exception d’inexécution.

b) Sur la force majeure

Aux termes de l’ancien article 1148 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l’entrée en vigueur de l’ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016, il n’y a lieu à aucuns dommages et intérêts lorsque, par suite d’une force majeure ou d’un cas fortuit, le débiteur a été empêché de donner ou de faire ce à quoi il était obligé, ou a fait ce qui lui était interdit.

Il est toutefois de principe que le débiteur d’une obligation contractuelle de somme d’argent inexécutée ne peut s’exonérer de cette obligation en invoquant un cas de force majeure. Ce moyen soulevé par la société E F sera donc rejeté.

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c) Sur le fait du Prince

En droit privé, le fait du Prince est traditionnellement défini comme « une décision de l’autorité publique qui a pour conséquence de porter atteinte à l’équilibre financier de situations contractuelles et qui, en matière civile, peut constituer un cas de force majeure » (K N, Association O P, Vocabulaire juridique, 8 édition, 2007).ème

Le fait du Prince, pas plus que la force majeure, ne saurait justifier que la société E F ne s’acquitte pas des sommes d’argent dont elle est redevable à l’égard de la société LEVEN INVEST en contrepartie de la mise à disposition des lieux loués. Ce moyen sera donc écarté.

d) Sur la destruction alléguée de la chose louée

Aux termes de l’article 1722 du code civil, si, pendant la durée du bail, la chose louée est détruite en totalité par cas fortuit, le bail est résilié de plein droit ; si elle n’est détruite qu’en partie, le preneur peut, suivant les circonstances, demander ou une diminution du prix, ou la résiliation même du bail. Dans l’un et l’autre cas, il n’y a lieu à aucun dédommagement.

En l’espèce, l’impossibilité d’exploiter les locaux pris à bail par la société E F du fait des mesures administratives adoptées dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire résulte de la nature de l’activité économique exercée dans les lieux loués et non de la chose louée elle-même, qui n’est détruite ni en totalité, ni partiellement. Dans ces conditions, la demande d’exonération du paiement de l’indemnité d’occupation fondée sur l’article 1722 du code civil sera rejetée.

Au vu de l’ensemble de ces éléments, la société E F sera déboutée de sa demande.

Sur la demande subsidiaire de la société E F d’octroi de délais de paiement

A titre subsidiaire, pour le cas où le tribunal devrait considérer l’indemnité d’occupation comme étant due, la société E F sollicite l’octroi de délais de paiement de 24 mois, sur le fondement de l’article L. 145-41 du code de commerce et de l’article 1343-5 du code civil. A l’appui de sa demande, elle fait valoir qu’elle se trouve dans une situation économique difficile du fait des conséquences de la pandémie de Covid-19.

La société LEVEN INVEST s’y oppose au motif que la société E F ne justifie pas de sa situation personnelle. Elle ajoute que cette dernière est de mauvaise foi car elle a refusé la proposition de paiement échelonné qu’elle lui avait soumise le 2 juillet 2020.

Aux termes de l’article L. 145-41 du code de commerce invoqué par la société E F, les juges saisis d’une demande présentée dans les formes et conditions prévues à l’article 1343-5 du code civil peuvent, en accordant des délais, suspendre la réalisation et les effets des clauses de résiliation. Cette disposition est toutefois inapplicable en l’espèce dès lors qu’aucun commandement de payer visant la clause résolutoire n’a été délivré à la société E F.

Aux termes de l’article 1343-5 du code civil, le juge peut, compte tenu de la situation du débiteur et en considération des besoins du créancier, reporter ou échelonner, dans la limite de deux années, le paiement des sommes dues.

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En l’espèce, la société E F se borne à verser aux débats une attestation de son expert-comptable relative à son absence de recette pendant la période courant du 16 mars 2020 au 11 mai 2020 correspondant au premier confinement décrété par les pouvoirs publics. Cette seule pièce est toutefois insuffisante pour mettre le tribunal en mesure d’apprécier concrètement sa situation personnelle actuelle et sa capacité à honorer les termes de l’échéancier de paiement qu’elle sollicite.

Sa demande de délai sera donc rejetée.

Sur les autres demandes

L’existence du droit de repentir reconnu au bailleur et le droit au maintien dans les lieux dont bénéficie le preneur sont incompatibles avec le prononcé de l’exécution provisoire. La société E F sera donc déboutée de sa demande de ce chef.

Les dépens, en ce inclus les frais de l’expertise judiciaire, seront supportés par la société LEVEN INVEST, à laquelle il revient d’avoir pris l’intiative de refuser le renouvellement du bail. Ceux des dépens dont la SCP HB & Associés a fait l’avance sans avoir reçu provision pourront être recouvrés selon les modalités de l’article 699 du code de procédure civile.

L’équité commande de condamner la société LEVEN INVEST à payer à la société E F la somme de 5.000 € au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal, statuant publiquement par mise à disposition au greffe, par jugement contradictoire et en premier ressort,

Dit que le bail commercial du 30 mai 2007 portant sur les locaux situés […] à Paris 17 a pris fin le 15 avril 2016 à 24h00 par l’effet de la demande deème renouvellement signifiée par la société E F par acte du 9 février 2016,

Dit sans effet l’acte intitulé « notification de rétractation d’offre d’indemnité d’éviction » signifié le 10 octobre 2019 à la société E F à la requête de la société LEVEN INVEST,

En conséquence, dit que la société E F peut prétendre au paiement d’une indemnité d’éviction en raison du refus de renouvellement opposé par la société LEVEN INVEST par acte signifié le 9 mai 2016,

Fixe à la somme globale de 990.334 €, outre les frais de licenciement, le montant de l’indemnité d’éviction due par la société LEVEN INVEST à la société E F, qui se décompose ainsi :

- indemnité principale : 865.288 €

- indemnités accessoires :

- pour frais de remploi : 86.529 €

- pour trouble commercial : 31.100 €

- pour frais de déménagement : 5.417 €

- pour frais administratifs : 2.000 €

- pour frais de licenciement : sur justificatifs

Rappelle qu’aucun preneur pouvant prétendre à une indemnité d’éviction ne peut être obligé de quitter les lieux avant de l’avoir reçue,

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Dit que la société E F est redevable à l’égard de la société LEVEN INVEST d’une indemnité d’occupation à compter du 16 avril 2016,

Fixe le montant de cette indemnité d’occupation à la somme annuelle de 91.105 € HT et HC payable par trimestre et à terme échu, outre les charges et taxes exigibles conformément au bail expiré,

Dit que l’indemnité d’occupation sera indexée tous les ans, et pour la première fois le 16 avril 2017, conformément aux dispositions de la clause «révision annuelle» du bail expiré,

Dit que les intérêts au taux légal sur l’indemnité d’occupation sont dus par la société E F à compter du 30 décembre 2016,

Dit que les intérêts dus au moins pour une année entière seront capitalisés dans les conditions de l’article 1343-2 du code civil,

Déboute la société E F de sa demande aux fins de voir dire qu’elle n’est redevable d’aucune dette d’indemnité d’occupation et de charges locatives envers le bailleur pour la période courant du 15 mars au 11 mai 2020,

Déboute la société E F de sa demande de délai de paiement,

Déboute la société LEVEN INVEST de sa demande d’expulsion de la société E F et de condamnation de cette dernière au paiement d’une indemnité d’occupation de droit commun,

Condamne la société LEVEN INVEST à payer à la société E F la somme de 5.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

Condamne la société LEVEN INVEST aux dépens de l’instance, en ce compris les frais de l’expertise judiciaire, dont distraction au profit de la SCP HB & Associés conformément à l’article 699 du code de procédure civile,

Rejette toutes autres demandes plus amples ou contraires.

Fait et jugé à Paris le 28 Octobre 2021

Le Greffier Le Président Henriette DURO François VARICHON

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Tribunal Judiciaire de Paris, 28 octobre 2021, n° 16/13087