Tribunal de grande instance de Paris, 8 février 2022, 21/9242

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Lex Daily News · 29 septembre 2022
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Sur la décision

Référence :
TJ Paris, ct0196, 8 févr. 2022, n° 21/9242
Numéro(s) : 21/9242
Importance : Inédit
Identifiant Légifrance : JURITEXT000045905282

Sur les parties

Texte intégral

TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS

3ème chambre
3ème section

No RG 21/09242 – 
No Portalis 352J-W-B7F-CUZFP

No MINUTE :

Assignation du :
30 juin 2021

JUGEMENT
rendu le 08 Février 2022
DEMANDEURS

Société MASCOTTE HOLDINGS INC
[Adresse 1]
#620, La Palma
[Adresse 1])

Monsieur [X] [L] [Y]
[K] [U]
[Adresse 2]
[Adresse 2] (ETATS-UNIS)

représentés par Maître Vanessa BOUCHARA de la SELARL CABINET BOUCHARA – AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #C0594

DÉFENDEUR

Monsieur [Z] [H]
[Adresse 3]
[Adresse 3]

défaillant

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Nathalie SABOTIER, 1ère vice-présidente adjointe
Arthur COURILLON-HAVY, juge
Alix FLEURIET, juge

assisté de Lorine MILLE, greffière,

DÉBATS

A l’audience du 09 décembre 2021 tenue en audience publique devant Nathalie SABOTIER et Arthur COURILLON-HAVY, juges rapporteurs, qui, sans opposition des avocats, ont tenu seuls l’audience, et, après avoir entendu les conseils des parties, en ont rendu compte au Tribunal, conformément aux dispositions de l’article 805 du Code de Procédure Civile. Avis a été donné aux avocats que le jugement serait rendu par mise à disposition au greffe le 08 février 2022.

JUGEMENT

Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe
Réputé contradictoire
En premier ressort

______________________________

Exposé du litige

1.M. [X] [Y], chanteur, producteur, homme d’affaires, et la société Mascotte holdings, qu’il dirige, reprochent à M. [Z] [H] le dépôt d’une marque « Yeezy » alors qu’il s’agit selon lui de son surnom officiel, ce qu’il qualifie de fraude ; il en demande la rétrocession, outre des dommages et intérêts.

2.Cette marque verbale française « Yeezy », no4648404, a été déposée par M. [H] le le 17 mai 2020 (enregistrée le 27 novembre suivant) pour désigner divers produits en classes 5, 12 et 32, notamment des produits d’hygiène et médicaux, des véhicules, et des boissons.

3.Après une mise en demeure adressée le 7 aout 2020 à laquelle M. [H] a répondu qu’il s’opposait à la rétrocession, M. [Y] et la société Mascotte holdings l’ont assigné le 30 juin 2021, demandant
?la rétrocession de la marque au profit de M. [Y]
?la condamnation de M. [H] à payer 30 000 euros à M. [Y] de dommages et intérêts pour le dépôt frauduleux, et 150 000 euros à la société Mascote holdings de dommages et intérêts pour actes déloyaux et parasitaires
?subsidiairement, la nullité de la marque
?la publication du jugement, l’exécution provisoire, les dépens (avec recouvrement par son avocat) et 7 500 euros chacun au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

4.M. [Z] [H] a été assigné au [Adresse 3], en son absence mais à son domicile tel que confirmé par Mme [O] [F], sa conjointe (ainsi déclarée), qui a accepté de recevoir la copie de l’acte. La citation est donc régulière, mais il n’a pas été cité à sa personne, et n’a pas comparu. Le présent jugement n’est ainsi réputé contradictoire que parce qu’il est susceptible d’appel.

5.L’instruction a été close le 29 octobre 2021, l’affaire appelée à l’audience du 9 décembre, et le jugement mis en délibéré.

MOTIFS

Revendication de la marque

6.L’article L. 712-6 du code de la propriété intellectuelle prévoit que si un enregistrement a été demandé soit en fraude des droits d’un tiers, soit en violation d’une obligation légale ou conventionnelle, la personne qui estime avoir un droit sur la marque peut revendiquer sa propriété en justice.

7.Un dépôt de marque est entaché de fraude au sens de l’article L.712-6 du code de la propriété intellectuelle lorsqu’il est effectué dans l’intention de priver autrui d’un signe nécessaire à son activité (Com., 25 avril 2006, no 04-15.641). L’annulation (ou le transfert) d’une marque pour fraude ne suppose pas la justification de droits antérieurs de la partie plaignante sur le signe litigieux, mais la preuve de l’existence d’intérêts sciemment méconnus par le déposant. (Com., 19 décembre 2006, no 05-14.431).

8.Il est également jugé que « l’intention du déposant au moment du dépôt des demandes d’enregistrement est un élément subjectif qui doit être déterminé par référence à l’ensemble des facteurs pertinents propres au cas d’espèce, lesquels peuvent être postérieurs au dépôt » (Cass. Com., 3 février 2015, no13-18.025).

9.En l’espèce, M. [Y], dont l’extrême célébrité est notoire, justifie qu’il se désigne lui-même, se fait désigner et est couramment désigné par le public sous le surnom de « Yeezy » qui, sans être le seul de ses surnoms, bénéfice d’une grande renommée et fait l’objet d’une utilisation intensive, dans des opérations commerciales particulièrement importantes comme sa collaboration avec Adidas, dans des actions politiques comme l’annonce de sa candidature à l’élection présidentielle des États-Unis (« Yeezy for president »), ce qui a été relayé par la presse française, ou d’une façon détournée dans le titre d’un de ses albums en 2015, « Yeezus », jeu de mot avec la prononciation anglaise de « Jesus ». Des marques européennes « Yeezy » sont ainsi déposées dans de très nombreuses classes de produits ou services, et exploitées par la société Mascotte Holdings.

10.Si la marque de M. [H] a été déposée dans d’autres classes de produits que celles des marques de M. [Y] (les produits pharmaceutiques ou similaires en classe 5, les véhicules de tout type en classe 12, et les bières et boissons sans alcool en classe 32), les demandeurs justifient néanmoins que M. [Y] est connu pour développer ses activités dans un nombre croissant de domaines, et qu’il est notamment connu pour un intérêt envers les véhicules. Les boissons sont en outre notoirement utilisées en tant que produits dérivés et sont donc un domaine d’extension prévisible de l’activité d’un professionnel du divertissement célèbre dans le monde entier tel que le demandeur.

11.Ainsi, malgré l’absence de similitude entre les produits en cause, M. [Y] et la société qui exploite ses marques justifient d’un intérêt légitime sur le signe Yeezy, dont la notoriété est très importante, pour les produits visés par la marque de M. [H].

12.Or, le dépôt de marque de M. [H] ne correspond pour sa part à aucune logique économique : il a été fait par une personne inscrite au répertoire des métiers dans le domaine de la construction aéronautique et spatiale, pour des produits sans rapport avec cette activité et au demeurant sans rapport entre eux, et n’a été suivi d’aucune exploitation. Avant ce dépôt, M. [H] avait déjà déposé 16 marques portant manifestement atteinte à des intérêts de tiers, sans aucune autre intention que de profiter de leur renommée voire de créer une entrave à leurs activités : ainsi de 9 marques « Google » ou « Google car », 4 marques « Adidas », une marque détournant l’acronyme du club de football PSG en « Paris sporting group (PSG) », et 2 marques « Universal ». Enfin, le dépôt a eu lieu peu de temps après l’annonce de ce que M. [Y] était devenu milliardaire, ce dont M. [H], dont rien ne permet autrement d’expliquer le choix du terme « Yeezy », avait manifestement connaissance.

13.Il s’ensuit que c’est pour gêner sciemment l’extension prévisible de l’activité des demandeurs que M. [H] a déposé la marque litigieuse. Elle doit, par conséquent, être rétrocédée à M. [Y].

Préjudice

14.Cette fraude a manifestement causé un préjudice moral à M. [Y], qui consiste en une contrariété modérée, sans autre conséquence, dans un territoire mineur au regard de l’ampleur de ses activités, ce qui peut être évalué à 3 000 euros.

15.La société Mascotte holdings, pour sa part, ne justifie pas d’un préjudice directement causé par le dépôt de la marque, n’alléguant ni ne démontrant de retard dans le déploiement de nouvelles activités, de perte commerciale, ou d’atteinte à son image.

Demande en concurrence déloyale

16.Il a été soutenu par les demandeurs eux-mêmes que le dépôt de la marque en cause n’a été suivi d’aucune activité économique. Aucun acte n’a donc été commis qui soit susceptible d’être qualifié de concurrence déloyale ou de parasitisme, le préjudice causé par le dépôt de marque lui-même étant déjà réparé ci-dessus. La demande de la société Mascotte holdings est, par conséquent, rejetée.

Autres demandes

17.Aucune atteinte publique à la notoriété des demandeurs n’est démontré, ni même alléguée, et plus généralement le préjudice est déjà entièrement réparé par les dommages et intérêts alloués à M. [Y]. La publication demandée n’est dès lors pas justifiée.

18.Aux termes de l’article 696 du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n’en mette la totalité ou une fraction à la charge d’une autre partie. L’article 700 du même code permet au juge de condamner en outre la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l’autre, pour les frais exposés mais non compris dans les dépens, une somme qu’il détermine, en tenant compte de l’équité et de la situation économique de cette partie.

19.M. [H] perd le procès, il est donc tenu aux dépens, et doit indemniser M. [Y] de frais, qui peuvent être évalués à 7 500 euros (la société Mascotte holdings, en revanche, perd en ses demandes et sa demande d’indemnité est donc pareillement rejetée).

PAR CES MOTIFS

Le tribunal, statuant publiquement en premier ressort par jugement contradictoire mis à disposition au greffe,

Ordonne le transfert de propriété de la marque française « Yeezy », no4648404, au profit de M. [X] [Y], pour tous les produits et services visés à son enregistrement ;

Ordonne la transmission à l’INPI du présent jugement, une fois passé en force de chose jugée, à l’initiative de la partie la plus diligente aux fins de transcription au registre des marques ;

Condamne M. [Z] [H] à payer 3 000 euros à M. [Y] en réparation de son préjudice moral ;

Rejette la demande en dommages et intérêts de la société Mascotte holdings ;

Rejette la demande de publication du jugement ;

Condamne M. [H] aux dépens (recouvrés dans les conditions de l’article 699 du code de procédure civile)

Condamne M. [H] à payer 7 500 euros à M. [Y] au titre de l’article 700 du code de procédure civile mais rejette la demande formée par la société Mascotte holdings au même titre ;

Écarte l’exécution provisoire de la présente décision, mais uniquement en ce qui concerne sa transcription au registre des marques, et la maintient pour tout le reste ;

Fait et jugé à Paris le 08 Février 2022

La GreffièreLa Présidente

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