Cour d'appel d'Aix-en-Provence, Chambre 1-6, 1er octobre 2020, n° 19/04633

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CA Aix-en-Provence, ch. 1-6, 1er oct. 2020, n° 19/04633
Juridiction : Cour d'appel d'Aix-en-Provence
Numéro(s) : 19/04633
Décision précédente : Tribunal de grande instance de Grasse, 5 février 2019, N° 18/00417
Dispositif : Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours

Texte intégral

COUR D’APPEL D’AIX-EN-PROVENCE

Chambre 1-6

ARRÊT AU FOND

DU 01 OCTOBRE 2020

N° 2020/205

N° RG 19/04633

N° Portalis DBVB-V-B7D-BD7MF

[…]

C/

C D E

Organisme CPAM DU VAR

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

— SCP MAGNAN PAUL MAGNAN JOSEPH

— SCP ERMENEUX-ARNAUD- CAUCHI & ASSOCIES

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Tribunal de Grande Instance de GRASSE en date du 06 Février 2019 enregistrée au répertoire général sous le n° 18/00417.

APPELANTE

[…],

demeurant 9 rue H I Rameau – 93200 SAINT DENIS

représentée par Me Joseph MAGNAN de la SCP MAGNAN PAUL MAGNAN JOSEPH, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE, et assistée par Me H-Louis AUGEREAU, avocat au barreau de NICE.

INTIMEES

Madame C D E

née le […] à […],

demeurant […]

représentée par Me Agnès ERMENEUX de la SCP ERMENEUX-ARNAUD- CAUCHI & ASSOCIES, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE, et assistée par Me I LASSAU de la SCP LASSAU-GASTALDI, avocat au barreau de GRASSE.

CPAM DU VAR

Agissant pour le compte de la CPAM DES ALPES MARITIMES, assignée le 07/05/2019 à étude d’huissier.

Assignée le 26 juin 2019 à personne habilitée, notification conclusions en date du 18/09/2019,

demeurant […], […]

Défaillante.

*-*-*-*-*

Les parties ont indiqué expressément qu’elles acceptaient que l’affaire soit jugée selon la procédure sans audience prévue par l’article 8 de l’ordonnance n°2020-304 du 25 mars 2020.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 01 Octobre 2020.

COMPOSITION DE LA COUR

La Cour lors du délibéré était composée de :

Monsieur H-Wilfrid NOEL, Président

Madame Françoise GILLY-ESCOFFIER, Conseiller

Madame Anne VELLA, Conseiller

ARRÊT

Réputé contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 01 Octobre 2020,

Signé par Monsieur H-Wilfrid NOEL, Président et Madame Charlotte COMBARET, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

***

Exposé des faits et procédure

Mme C D-E expose que le 14 août 2015, elle a été blessée à l’intérieur d’un train reliant Vintimille à Cagnes-sur-Mer, au cours de la phase de transport par la fermeture d’une porte donnant accès un wagon.

Le docteur H-I Y a été désigné par la Maif, assureur de Mme D-E en qualité d’expert pour évaluer les conséquences médico-légales de

l’accident dont elle a été victime.

Il a établi son rapport le 19 novembre 2016.

Par actes des 17 et 18 mets 2017, Mme D-E a fait assigner la SNCF devant le tribunal d’instance de Cagnes-sur-Mer, pour obtenir l’indemnisation de son préjudice et ce, en présence de la Cpam des Alpes Maritimes.

Par jugement du 21 novembre 2017, cette juridiction s’est déclarée incompétente pour connaître du litige au profit du tribunal de grande instance de Grasse à qui la procédure a été transmise.

Mme D-E a demandé au tribunal de retenir la responsabilité de la SNCF sur le fondement des articles 1231 et suivants du code civil (anciennement les articles 1134 et suivants du même code).

Selon jugement du 6 février 2019, assorti de l’exécution provisoire, le tribunal a :

— déclaré la SNCF Mobilites entièrement responsable des conséquences dommageables de l’accident subi par Mme D-E le 14 août 2015 ;

— condamné la SNCF Mobilites à payer à Mme D-E la somme de 3040,80€ en réparation de son préjudice corporel, somme augmentée des intérêts au taux légal à compter du jugement ;

— ordonné la capitalisation annuelle des intérêts produits par la somme de 3040,80€ ;

— condamné la SNCF Mobilites à payer à la Cpam du Var agissant pour le compte de la Cpam des Alpes Maritimes la somme de 1951,19€ au titre des prestations réglées, avec intérêts au taux légal à compter du 6 avril 2018, date de notification de ses conclusions, ainsi que la somme de 640,40€ en application des dispositions de l’article L. 376-1 du code de la sécurité sociale ;

— condamné la SNCF Mobilites à payer sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile à :

' Mme D-E la somme de 2500€

' la Cpam du Var agissant pour le compte de la Cpam des Alpes Maritimes la somme de 1500€,

— condamné la SNCF Mobilites au paiement des entiers dépens, avec distraction.

Pour statuer ainsi, le tribunal a considéré que :

— Mme D-E qui a bien souscrit un contrat de transport avec la SNCF était titulaire d’un abonnement et d’un titre de transport composté,

— Mme D-E a été blessée à l’intérieur d’un train au cours de la phase de transport en raison de la fermeture d’une porte qui donnait accès à un wagon,

— la responsabilité de la SNCF Mobilites dans la survenance de l’accident de Mme D-E doit s’apprécier au regard des dispositions de l’article 1231-1 du code civil qui a vocation à s’appliquer au cas d’espèce puisqu’elles sont plus

protectrices du voyageur que le règlement européen n° 1371/2007,

— l’existence d’une cause étrangère, d’une faute de la victime ou d’un tiers présentant les caractère d’un fait imprévisible et irrésistible à l’origine exclusive de l’accident n’est pas rapportée et le transporteur ne peut en conséquence s’exonérer de l’obligation de sécurité de résultat qui pèse sur lui et qui résulte du contrat de transport le liant à la victime,

— le rapport d’expertise qui a été versé aux débats et dont la SNCF a pu discuter du bien fondé lui est opposable.

En conséquence, le tribunal a procédé à la liquidation du préjudice de la victime qui était salariée assistante de formation au moment de l’accident et âgée de 41 ans lors de la consolidation, pour un montant total de 3040,80€ outre 1951,19€ pris en charge par la Cpam et de la façon suivante :

— dépenses de santé actuelles : 882,32€ correspondant à des prestations en nature

— perte de gains professionnels actuels : 1068,87€ au titre des indemnités journalières versées par l’organisme social,

— déficit fonctionnel temporaire sur une base mensuelle de 720€ soit :

' déficit fonctionnel temporaire partiel au taux de 25 % sur 22 jours : 132€

' déficit fonctionnel temporaire partiel au taux de 10 % sur 82 jours : 208,80€

— souffrances endurées 1,5/7 : 1500€

— déficit fonctionnel permanent 1 % : 1200€.

Le tribunal a rejeté la demande formulée par Mme D-E en paiement de dommages-intérêts pour procédure abusive et dilatoire.

Par déclaration du 20 mars 2019, dont la régularité et la recevabilité, ne sont pas contestées, la SNCF Mobilites a relevé appel de ce jugement dans l’ensemble de ses dispositions.

Prétentions et moyens des parties

Selon ses conclusions du 24 janvier 2020, la SNCF Mobilites demande à la cour :

' réformer le jugement dans l’intégralité de ses dispositions ;

' ordonner l’application du règlement européen CE n° 1371/2007 du 23 octobre 2007 ;

' constater l’absence de matérialité des faits dénoncés par Mme D-E ;

' constater l’absence de responsabilité au regard de la faute d’inattention commise par Mme D-E ;

à titre subsidiaire, si la cour venait à confirmer que les conditions de la responsabilité contractuelle sont réunies :

' juger que seule la faute de Mme D-E est à l’origine des préjudices qu’elle invoque ;

' juger qu’elle est totalement exonérée par la faute de la victime et qu’elle doit être mise hors de cause ;

' rejeter toutes demandes formulées à son encontre ;

à titre infiniment subsidiaire si la cour retenait sa responsabilité, il y aurait lieu de :

' prononcer un partage de responsabilité pour un tiers à sa charge et pour deux tiers à la charge de Mme D-E, se partage étant déclaré opposable à la Cpam ;

' limiter en conséquence son éventuelle condamnation au tiers du montant des sommes indemnitaires à savoir celle de 1013,60€ ;

à titre encore plus subsidiaire, si la cour retenait sa responsabilité, :

' ramener les demandes indemnitaires aux sommes suivantes :

— déficit fonctionnel temporaire partiel au taux de 25 % sur un mois : 125€

— déficit fonctionnel temporaire partiel au taux de 10 % sur 2 mois et 25 jours : 142€

— souffrances endurées 1,5/7 : 1500€

— déficit fonctionnel permanent 1 % : 1200€,

' condamner Mme D-E à lui verser la somme de 4000€ sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens ;

' sur l’appel incident, débouter Mme D-E de sa demande d’expertise judiciaire l’absence de tout fondement juridique à sa demande.

Elle conteste la matérialité des faits dans la mesure ou Mme D-E ne rapporte pas la preuve incontestable de la réalité de l’accident dont elle fait état puisqu’elle ne s’appuie que sur une seule attestation établie par Mme X, qui n’est pas moins que sa nièce. La requérante a procédé à une déclaration plus que tardive auprès du chef de gare à Cagnes-sur-Mer, déclaration qui ne correspond qu’à un simple enregistrement de ses dires et qui ne vaut pas reconnaissance des faits par la SNCF. De plus fort, les déclarations de la victime n’expliquent pas les circonstances de l’accident ni le lieu et encore moins le lien de causalité entre les préjudices invoqués et la porte du train qui aurait été prétendument non sécurisée.

Elle demande à la cour de faire application du règlement européen du 23 octobre 2007 dont il résulte que l’application de la loi nationale se trouve exclue, sauf lorsqu’elle accorde une indemnisation plus favorable. Le droit interne n’a pas vocation à se substituer au régime de responsabilité instaurée par le règlement, mais seulement à le compléter lorsqu’il permet une plus grande indemnisation, c’est-à-dire au seul stade de l’évaluation du dommage.

Le règlement prévoyant la possibilité pour le transporteur de se prévaloir d’une faute simple de la victime, il s’oppose à l’application du droit français interne tel qu’il résulte d’une jurisprudence constante de la Cour de cassation selon laquelle seule la faute de

la victime revêtant les caractères de la force majeure peut être opposée.

Or en application de l’article 26 du règlement européen, la responsabilité de la SNCF est engagée en cas d’accident d’un voyageur dès lors que cet accident se trouve en lien avec l’exploitation ferroviaire, sauf notamment, si la victime a commis une faute de nature à exonérer le transporteur. C’est cet article 26 qui doit être appliqué.

La condition première à la recherche de responsabilité du transporteur est donc l’existence d’un accident en relation avec l’exploitation ferroviaire, c’est-à-dire le train ou sa conduite. Le règlement consacre une exonération de responsabilité dans la mesure où l’accident est dû à une faute du voyageur. Cette jurisprudence vient d’être consacrée par la Cour de cassation dans une décision particulièrement récente du 11 décembre 2019 qui retient l’applicabilité du règlement et le caractère exonératoire de la faute de la victime.

Elle conteste toute responsabilité contractuelle fondée sur l’article 1231-1 du code civil.

En tout état de cause, la faute de la victime exonère le transporteur de sa responsabilité en cas de maladresse, ou de faute d’imprudence.

À titre subsidiaire, elle considère que l’expertise du docteur Y qui n’a pas été établie à son contradictoire ne lui est pas opposable.

À titre subsidiaire, elle fait valoir que le lien de causalité entre les préjudices que Mme D-E a subis et l’accident qu’elle invoque ne peut être déduit les éléments de ce rapport. La question de l’imputabilité entraîne la modification de la condamnation prononcée au bénéfice de la Cpam.

Sur l’appel incident formé par Mme D-E qui sollicite la désignation d’un expert judiciaire, elle conclut à son débouté, puisque aucun fondement juridique ne vient étayer cette demande.

Par conclusions du 24 janvier 2000, Mme D-E demande à la cour, de :

' la déclarer recevable et bien fondée en ses écritures ;

' confirmer le jugement en toutes ses dispositions et notamment celle qui a condamné la SNCF à lui verser la somme de 3040,80€ avec intérêts au taux légal à compter du jugement et avec capitalisation annuelle des intérêts produits, ainsi que la somme de 2500€ sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

' condamner la SNCF au paiement de la somme de 3000€ en application de l’article 700 du code de procédure civile pour les frais engagés devant la cour, ainsi qu’aux entiers dépens de première instance et d’appel, ceux d’appel distrait au profit de son conseil ;

' débouter purement et simplement la SNCF de l’ensemble de ses écritures, fins et conclusions ;

' juger au regard des articles 9, 15 et 16 du code de procédure civile et des pièces communiquées aux débats que la responsabilité de la SNCF est parfaitement établie et qu’elle est entièrement responsable des conséquences dommageables de l’accident qu’elle a subi le 14 août 2015 ;

' débouter la SNCF de ses demandes tendant à voir minorer les postes de préjudice chiffrés par le premier juge, de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile formée à son encontre, et condamner la SNCF aux entiers dépens, avec distraction au profit de son conseil ;

à titre subsidiaire

' confirmer le jugement ;

' juger que la SNCF ne rapporte pas la preuve d’une faute qu’elle aurait commise ;

' débouter la SNCF de ses demandes tendant à voir minorer les postes de préjudice chiffrés par le premier juge, de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile formée à son encontre, et condamner la SNCF aux entiers dépens, avec distraction au profit de son conseil ;

à titre d’appel incident et subsidiairement si la cour estime ne pas être suffisamment informée du chiffrage des postes de préjudices et si le rapport du docteur Y n’était pas entériné, avant dire droit

' désigner tel médecin expert qu’il plaira la cour avec mission habituelle en la matière ;

' lui allouer une provision de 1000€ à valoir sur la réparation de son préjudice corporel ;

en tout état de cause

' condamner la SNCF à lui payer la somme de 1500€ au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens de première instance et d’appel, ceux d’appel étant distraits au profit de son conseil.

Elle explique que le 14 août 2016, elle est montée dans un train en garde Vintimille en Italie, en direction de son domicile à Cagnes-sur-Mer, munie de son billet et de l’abonnement dont elle bénéficie. Ce jour-là le train était bondé et lorsqu’elle s’apprêtait à monter dans les wagons, la porte intermédiaire s’est refermée sur elle la prenant en étau au niveau du thorax comme en témoigne Mme X. Elle n’a pu informer le contrôleur de l’accident qu’à son arrivée en garde Cagnes-sur-Mer où elle a fait une déclaration d’accident sur laquelle SNCF a apposé son cachet. Le jour même elle a consulté un médecin qui a diagnostiqué une contusion costale gauche ce qui a justifié un arrêt de travail du 17 août 2015 au 21 septembre 2015.

Le docteur Y a évalué les conséquences médico-légales de cet accident.

Elle demande que la SNCF soit déclarée entièrement responsable de l’accident dont elle a été victime sur le fondement de l’article 1147 du code civil puisqu’elle a été blessée lors d’un transport pour lequel elle possédait un billet valide et payé. En conséquence, le transporteur a failli à son obligation de résultat en matière de sécurité de transport, et de son côté elle n’a commis aucune faute et son droit à indemnisation est total. La demande d’application du règlement européen n° 1371/2007 doit être écartée. De surcroît, il n’existe aucune cause étrangère à l’origine exclusive de l’accident de nature à exonérer le transporteur de son obligation à réparation.

Elle demande à la cour de confirmer l’ensemble des indemnisations faites par le premier juge.

À titre subsidiaire et sur l’application du règlement européen du 23 octobre 2007 elle fait valoir que pour s’exonérer, la SNCF doit apporter la preuve d’une faute, simple ou non, qu’elle aurait commise. Contrairement à ce que soutient le transporteur, ce n’est pas à elle de faire la preuve d’un dysfonctionnement des portes, ce qui reviendrait à inverser la charge de la preuve. En l’espèce, il appartenait à la SNCF de gérer le flux des passagers et qu’un afflux massif ne peut l’exonérer de son obligation de sécurité qu’elle doit à ses passagers ni même réduire l’indemnisation due en l’absence de faute de la victime. La SNCF invoque un défaut de vigilance qu’elle aurait commise sans pour autant corroborer son propos.

À titre très subsidiaire, si la cour estimait qu’elle n’était pas suffisamment éclairée à la lecture du rapport du docteur Y sur l’étendue de son préjudice, il conviendra d’instaurer une nouvelle expertise.

La Cpam du Var, assignée par la SNCF Mobilites, par acte d’huissier des 17 mets 2019 et 26 juin 2019, délivré à personne habilitée et contenant dénonce de l’appel n’a pas constitué avocat.

Par courrier du 5 avril 2019, elle a fait connaître le montant définitif de ses débours pour 1951,19€, correspondant à :

— des prestations en nature : 882,32€

— des indemnités journalières versées du 20 août 2015 au 21 septembre 2015 : 1068,87€.

L’arrêt sera réputé contradictoire conformément aux dispositions de l’article 474 du code de procédure civile.

Motifs de la décision

Sur le régime applicable

Il est constant qu’au visa de l’article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance n° 2016'131 du 10 février 2016, le transporteur ferroviaire, tenu envers les voyageurs d’une obligation de sécurité de résultat, ne peut s’exonérer de sa responsabilité contractuelle en invoquant la faute d’imprudence de la victime que si cette faute, quelle qu’en soit la gravité, présente les caractères de la force majeure.

Toutefois, aux termes de l’article 11 du règlement CE n° 1371/2007 du Parlement européen et du Conseil du 23 octobre 2007, sans préjudice du droit national octroyant aux voyageurs une plus grande indemnisation pour les dommages subis, la responsabilité des entreprises ferroviaires relative aux voyageurs et à leurs bagages est régie par le titre IV, chapitres I, III et IV, ainsi que les titres VI et VII de l’annexe I du règlement n° 1371/2007.

Et selon l’article 26 de l’annexe I du règlement CE n° 1371/2007 du Parlement européen et du Conseil du 23 octobre 2007, le transporteur est responsable du dommage résultant de la mort, des blessures ou de toute autre atteinte à l’intégrité physique ou psychique du voyageur causé par un accident en relation avec l’exploitation ferroviaire survenu pendant que le voyageur séjourne dans les véhicules ferroviaires, qu’il y entre ou qu’il en sorte et quelle que soit l’infrastructure ferroviaire utilisée. Il est déchargé de cette responsabilité dans la mesure où l’accident est dû à une faute du voyageur.

Ces dispositions du droit de l’Union, entrées en vigueur le 3 décembre 2009, sont reprises à l’article L. 2151-1 du code des transports, lequel dispose que le règlement n° 1371/2007 s’applique aux voyages et services ferroviaires pour lesquels une entreprise doit avoir obtenu une licence conformément à la directive 2012/34/UE du Parlement européen et du Conseil du 21 novembre 2012 établissant un espace ferroviaire unique européen.

Il en résulte que le transporteur ferroviaire peut s’exonérer de sa responsabilité envers le voyageur lorsque l’accident est dû à une faute de celui-ci, sans préjudice de l’application du droit national en ce qu’il accorde une indemnisation plus favorable des chefs de préjudices subis par la victime.

Dès lors c’est sous le régime du règlement CE n° 1371/2007 du Parlement européen et du Conseil du 23 octobre 2007, en ses articles 11 et 26, et non pas de l’article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance n° 2016'131 du 10 février 2016 que la responsabilité du transporteur s’apprécie.

En l’espèce, la SNCF Mobilites conteste la matérialité des faits à l’origine du dommage corporel subi par Mme D-E. Il incombe à cette dernière d’en établir la réalité et les circonstances.

En premier lieu, elle justifie d’une part qu’elle est titulaire d’un abonnement utilisable du 31 juillet 2015 au 29 novembre 2015 sur la ligne Cagnes-sur-Mer/Vintimille et qu’elle était donc détentrice le 14 août 2015 d’un billet sur cette ligne.

Elle expose que ce 14 août 2015, elle est montée dans un train en gare de Vintimille en direction de Cagnes-sur-Mer dans un wagon qui était rempli de passagers, et qu’elle a cherché une place. La porte intérieure donnant vers les sièges s’est refermée complètement sur son flanc gauche. Le train étant en circulation, elle explique avoir attendu l’arrivée en gare à Cagnes-sur-Mer pour procéder à une déclaration d’accident.

Ce rapport d’accident de personne est produit par la SNCF Mobilites. Il a été établi le 14 août 2015 vers 19h20, en gare de Cagnes-sur-Mer. Il mentionne que la victime déclare qu’une porte intérieure s’est refermée sur elle, et il est précisé qu’il y a de façon habituelle, dans le train le vendredi, une forte affluence en raison du marché qui se tient à Vintimille, en Italie.

Pour attester à la fois de la matérialité et des circonstances, Mme D-E produit une attestation rédigée le 10 avril 2016 par Mme B X, qui explique qu’elle est montée dans le train avec sa tante, et que pendant qu’elles traversaient les wagons pour trouver une place, la porte s’est refermée de façon soudaine et brusque sur Mme D-E, alors qu’un jeune homme a tenté de la rouvrir en appuyant sur un bouton, mais sans succès.

Le fait que cette attestation émane de la nièce de Mme D-E ne saurait en amoindrir la sincérité et l’authenticité, alors que la SNCF Mobilites ne démontre pas avoir usé des voies légales pour la contester.

En conséquence, il convient de retenir que la matérialité du dommage subi par Mme D-E et les circonstances dans lesquelles il s’est produit, sont établies.

Conformément aux dispositions de l’article 26 de l’annexe I du règlement CE n° 1371/2007 du Parlement européen et du Conseil du 23 octobre 2007, le transporteur est responsable du dommage résultant des blessures d’un voyageur causé par un

accident en relation avec l’exploitation ferroviaire survenu pendant que le voyageur séjourne dans les véhicules ferroviaires, qu’il y entre ou qu’il en sorte et quelle que soit l’infrastructure ferroviaire utilisée. Il est déchargé de cette responsabilité dans la mesure où l’accident est dû à une faute du voyageur.

Il appartient donc à la SNCF Mobilites de démontrer que Mme D-E a commis une faute venant l’exonérer de sa responsabilité, cette faute pouvant être une faute simple.

En l’occurrence, la SNCF Mobilites soutient, mais sans le démontrer que Mme D-E a commis une maladresse ou encore une faute d’imprudence. En conséquence et la SNCF Mobilites étant défaillante dans l’administration d’un comportement fautif imputable à la victime, il convient de dire qu’elle a droit à l’indemnisation de son préjudice corporel global.

Sur l’opposabilité de l’expertise du docteur Y

Dans ses écritures mais non reprises au dispositif, qui seul saisit la cour, la SNCF Mobilites fait valoir que l’expertise du docteur Y à laquelle elle n’a pas participé lui est inopposable.

Les éléments d’un rapport d’expertise privé ne peuvent être utilisés pour la solution du litige que dans la mesure où ils ont été contradictoirement adressés aux parties durant la présente procédure et si les informations y figurant sont confirmées par d’autres pièces ou éléments versés aux débats.

Le rapport du docteur Y indique que Mme D-E a présenté un traumatisme du thorax et une contusion cervicale sans caractère de gravité traités par une immobilisation par collier cervical et par des séances de rééducation et qu’elle conserve comme séquelles un syndrome douloureux de l’épaule gauche.

Il conclut à :

— un arrêt temporaire des activités professionnelles du 17 août 2015 au 21 septembre 2015,

— un déficit fonctionnel temporaire partiel au taux de 25% du 14 août 2015 au 4 septembre 2015,

— un déficit fonctionnel temporaire partiel au taux de 10% du 5 septembre 2015 à la consolidation,

— une consolidation acquise au 30 novembre 2015,

— des souffrances endurées chiffrées à 1,5/7,

— un déficit fonctionnel permanent de 1%

— une aide humaine de 3h par semaine pendant la période de déficit fonctionnel temporaire partiel à 25%.

Ces conclusions sont étayées par les éléments médicaux communiquées aux débats, à savoir le certificat médical initial du 14 août 2014 du docteur Z, faisant état d’une contusion costale gauche, un compte rendu de scanner du 18 août 2015 faisant état de

deux petits éléments protusif para-médian gauche et droit sans incidence nerveuse ou médullaire, un certificat médical du 24 août 2015 du docteur A, qui indique que Mme D-E allègue une douleur costale avec cervicalgies, et qu’à l’examen il constate une douleur à la pression costale évocateur d’une fracture costale, et une douleur au rachis avec irradiation dans le bras gauche, alors que la radiographie du thorax retrouve une double fracture costale et que l’IRM objective une profusion discale sans conflit foraminal. Les avis d’arrêt de travail ont couvert la période du 17 août 2015 au 21 septembre 2015.

En conséquence de quoi, les éléments contenus dans le rapport d’expertise, corroborés par l’ensemble des documents médicaux communiqués de façon distincte et en totale cohérence, permettent de liquider le préjudice corporel de Mme D-E et dans les termes suivants.

Le rapport d’expertise et les éléments médicaux communiqués constituent une base valable d’évaluation du préjudice corporel subi à déterminer au vu des diverses pièces justificatives produites, de l’âge de la victime, née le […], de la date de consolidation, afin d’assurer sa réparation intégrale et en tenant compte, conformément aux articles 29 et 31 de la loi du 5 juillet 1985, de ce que le recours subrogatoire des tiers payeurs s’exerce poste par poste sur les seules indemnités qui réparent des préjudices qu’ils ont pris en charge, à l’exclusion de ceux à caractère personnel sauf s’ils ont effectivement et préalablement versé à la victime une prestation indemnisant de manière incontestable un tel chef de dommage.

Préjudices patrimoniaux

temporaires (avant consolidation)

—  Dépenses de santé actuelles 882,32€

Ce poste est constitué des frais médicaux et pharmaceutiques, frais de transport, massages, appareillage pris en charge par la Cpam soit 882,32€, la victime n’invoquant aucun frais de cette nature restés à sa charge.

- Perte de gains professionnels actuels 1068,87€

Ce poste vise à compenser une incapacité temporaire spécifique concernant les répercussions du dommage sur la sphère professionnelle de la victime et doit être évalué au regard de la preuve d’une perte effective de revenus.

Il correspond, en l’espèce, au montant des indemnités journalières versées par la Cpam pour la période du 20 août 2015 au 21 septembre 2015 pur 1068,87€, aucune perte supplémentaire et personnelle de revenus n’étant invoquée par la victime pour la période entre l’accident et la consolidation.

L’indemnité revient donc intégralement au tiers payeur.

Préjudices extra-patrimoniaux

temporaires (avant consolidation)

—  Déficit fonctionnel temporaire 344€

Ce poste inclut la perte de la qualité de la vie et des joies usuelles de l’existence et le préjudice d’agrément et le préjudice sexuel pendant l’incapacité temporaire.

Il doit être réparé sur la base de 730€ par mois, conformément à la demande de la victime et eu égard à la nature des troubles et de la gêne subie soit :

— déficit fonctionnel temporaire partiel au taux de 25% de 22 jours : 133€,

— déficit fonctionnel temporaire partiel au taux de 10% de 87 jours : 211€,

et au total la somme de 344€.

—  Souffrances endurées 1500€

Ce poste prend en considération les souffrances physiques et psychiques et les troubles associés supportés par la victime en raison du traumatisme initial et des soins ; évalué à 1,5/7 par l’expert, il justifie l’octroi d’une indemnité de 1.500€, conformément à la demande de Mme D-E.

permanents (après consolidation)

—  Déficit fonctionnel permanent 1200€

Ce poste de dommage vise à indemniser la réduction définitive du potentiel physique, psychosensoriel ou intellectuel résultant de l’atteinte anatomo-physiologique à laquelle s’ajoutent les phénomènes douloureux et les répercussions psychologiques et notamment le préjudice moral et les troubles dans les conditions d’existence personnelles, familiales et sociales.

Il est caractérisé par un syndrome douloureux de l’épaule gauche, ce qui conduit à un taux de 1 % justifiant une indemnité de 1200€ pour une femme âgée de 41ans à la consolidation.

Le préjudice corporel global subi par Mme D-E s’établit ainsi à la somme de 4.995,19€ soit, après imputation des débours de la Cpam (1951,19€), une somme de 3.044€ lui revenant qui, en application de l’article 1231-7 du code civil, porte intérêts au taux légal à compter du prononcé du jugement, soit le 6 février 2019 à hauteur de 3.040,80€ et du prononcé du présent arrêt à hauteur de 3,20€.

Sur les demandes annexes

Les dispositions du jugement relatives aux dépens et aux frais irrépétibles alloués à la victime sont confirmées.

La SNCF Mobilites qui succombe partiellement dans ses prétentions et qui est tenue à indemnisation supportera la charge des entiers dépens d’appel. L’équité ne justifie pas de lui allouer une somme sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

L’équité commande d’allouer à Mme D-E une indemnité de 1800€ au titre des frais irrépétibles exposés devant la cour.

Par ces motifs

La Cour,

— Confirme le jugement,

hormis sur le fondement juridique de la condamnation de la SNCF Mobilites et sur montant de l’indemnisation de la victime et les sommes lui revenant,

Statuant à nouveau sur les points infirmés et y ajoutant,

— Dit que les articles 11 du règlement CE n° 1371/2007 du Parlement européen et du Conseil du 23 octobre 2007, et 26 de son annexe I, L. 2151-1 du code des transports sont applicables au présent litige ;

— Dit que la SNCF Mobilites ne démontre pas l’existence d’une faute imputable à Mme D-E et à l’origine de son dommage ;

— Fixe le préjudice corporel global de Mme D-E la somme de 4.995,19€ ;

— Dit que l’indemnité revenant à cette victime s’établit à 3.044€ ;

— Condamne la SNCF Mobilites à payer à Mme D-E les sommes de :

* 3.044€, sauf à déduire les provisions versées, avec intérêts au taux légal à compter du prononcé du jugement, soit le 6 février 2019 à hauteur de 3.040,80€ et du prononcé du présent arrêt à hauteur de 3,20€ ;

* 1800€ sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile pour les frais exposés en appel ;

— Déboute la SNCF Mobilites de sa demande au titre de ses propres frais irrépétibles exposés en appel ;

— Condamne la SNCF Mobilites aux entiers dépens d’appel et accorde aux avocats qui en ont fait la demande, le bénéfice de l’article 699 du code de procédure civile.

Le greffier Le président

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Cour d'appel d'Aix-en-Provence, Chambre 1-6, 1er octobre 2020, n° 19/04633