Cour d'appel de Bordeaux, 4ème chambre commerciale, 29 janvier 2019, n° 16/04153

  • Crédit agricole·
  • Engagement de caution·
  • Banque·
  • Intérêt de retard·
  • Disproportionné·
  • Prêt·
  • Retard·
  • Intimé·
  • Dette·
  • Demande

Chronologie de l’affaire

Commentaire0

Augmentez la visibilité de votre blog juridique : vos commentaires d’arrêts peuvent très simplement apparaitre sur toutes les décisions concernées. 

Sur la décision

Référence :
CA Bordeaux, 4e ch. com., 29 janv. 2019, n° 16/04153
Juridiction : Cour d'appel de Bordeaux
Numéro(s) : 16/04153
Décision précédente : Tribunal de commerce de Bordeaux, 2 juin 2016, N° 2014F01443;2015F00633
Dispositif : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours

Sur les parties

Texte intégral

COUR D’APPEL DE BORDEAUX

QUATRIÈME CHAMBRE CIVILE


ARRÊT DU : 29 JANVIER 2019

(Rédacteur : Madame Elisabeth FABRY, Conseiller)

N° de rôle : N° RG 16/04153 – N° Portalis DBVJ-V-B7A-JJ4O

La CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL D’AQUITAINE

c/

- Monsieur G-H I

- Monsieur A Y

- Monsieur C Z

Nature de la décision : AU FOND

Grosse délivrée le :

aux avocats

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 03 juin 2016 (R.G. 2014F01443 – 2015F00633) par la 7e Chambre du Tribunal de Commerce de BORDEAUX suivant déclaration d’appel du 27 juin 2016

APPELANTE :

La CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL D’AQUITAINE, agissant poursuites et diligences de son représentant légal, domicilié en cette qualité au siège sis […]

représentée par Maître Sylvaine BAGGIO, avocat au barreau de BORDEAUX

INTIMÉS :

Monsieur G-H I, né le […] à VILLENEUVE-SUR- LOT (47), de nationalité Française, demeurant 18 allée André Breton – 33600 PESSAC

Monsieur A Y, né le […] à […]

représentés par Maître Nadia BOUCHAMA, avocat au barreau de BORDEAUX

Monsieur C Z, né le […] à […]

représenté par Maître Matthieu MARZILGER, avocat au barreau de BORDEAUX de la SAS

LEGAL ACTION, avocat au barreau de BORDEAUX

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l’article 786 du Code de Procédure Civile, l’affaire a été débattue le 18 décembre 2018 en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Madame Elisabeth FABRY, Conseiller chargé du rapport,

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Monsieur Robert CHELLE, Président,

Madame Elisabeth FABRY, Conseiller,

Monsieur Dominique PETTOELLO, Conseiller,

Greffier lors des débats : Monsieur E F

ARRÊT :

— contradictoire

— prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile.

' ' '

EXPOSE DU LITIGE :

MM. Z, Y et I étaient associés et co-gérants de la société Colortho SARL, dont le siège social était situé à Mont-de-Marsan, et qui avait pour activité la fabrication de matériel médico-chirurgical et dentaire.

Selon contrat du 12 juin 2007, la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel d’Aquitaine (le Crédit Agricole ' la banque) a consenti à la société Colortho un prêt de 60.000 euros au taux de 3,95 %, remboursable en 84 mensualités, destiné au financement de l’acquisition des parts sociales. MM. Z, Y et I se sont portés cautions solidaires, dans le même acte, des engagements de la société, dans la limite respectivement des sommes de 40.560 euros, 18.720 euros et 18.720 euros.

La société a été placée en liquidation judiciaire par jugement du tribunal de commerce de Mont-de-Marsan du 21 juin 2013. Me X a été désigné en qualité de mandataire judiciaire.

Le Crédit Agricole a déclaré ses créances par courrier recommandé du 1er juillet 2013 et mis les cautions en demeure d’honorer leurs engagements par courriers recommandés des 09 juillet 2013 et 21 novembre 2014.

Par exploit d’huissier en date du 11 décembre 2014, le Crédit Agricole a assigné M. I devant le tribunal de commerce de Bordeaux aux fins de le voir condamner à lui verser la somme de 18.720 euros avec intérêts au taux légal à compter du 11 juillet 2013.

Par acte du 02 juin 2015, M. I a appelé en cause MM. Y et Z aux fins de les

voir condamner à le relever indemne à hauteur des sommes principales de 4.492,80 euros pour M. Y et 9.734,40 euros s’agissant de M. Z.

Par jugement contradictoire en date du 03 juin 2016, le tribunal de commerce de Bordeaux a :

— joint les deux procédures

— débouté le Crédit Agricole de ses demandes à l’encontre de M. Z,

— condamné solidairement MM. Y et I à payer au Crédit Agricole la somme de 8.666 euros

— débouté M. I de sa demande de délais de paiement

— dit n’y avoir lieu de faire application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile

— ordonné l’exécution provisoire

— condamné solidairement MM. Y et I aux dépens.

Le Crédit Agricole a relevé appel du jugement par déclaration en date du 27 juin 2016.

Par conclusions déposées en dernier lieu le 10 décembre 2018, auxquelles il convient de se reporter pour plus ample exposé de ses moyens et arguments, l e Crédit Agricole demande à la cour de :

— vu les articles 1134, 1139, 1146, 1153, 1154, 2288, 2302 à 2314 et autres du code civil (dans leur version antérieure au 1er octobre 2016, applicable à la cause),

— ordonner le rabat de l’ordonnance de clôture et fixer la clôture à la date des plaidoiries

— réformer le jugement en ce qu’il a jugé manifestement disproportionné le cautionnement de M. Z et qu’il a limité les condamnations de M. Y et I à 8.666 euros sur le fondement de la perte de subrogation

— débouter MM. Z, Y et I de l’ensemble de leurs demandes

— condamner solidairement MM. Z, Y et I à lui payer la somme de :

—  19.621,02 euros, outre intérêts de retard au taux contractuel de 6,95 % à compter du 21/11/2014

— dans la limite de 18.720 euros, outre intérêts de retard au taux légal à compter du 11/07/2013, en ce qui concerne MM. Y et I

— ordonner la capitalisation des intérêts pour toutes les condamnations prononcées, en application des dispositions de l’article 1154 du code civil, à compter du 11 décembre 2014

— condamner solidairement MM. Z, Y et I à lui payer la somme de 3.000 euros par application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile

— condamner solidairement les mêmes aux entiers dépens, tant de première instance que

d’appel.

Le Crédit Agricole fait valoir notamment que contrairement aux dernières conclusions de M. Z, il est justifié de ce que la créance de la société Colortho a été admise à hauteur de 18 054,12 euros ; que l’engagement de M. Z n’était pas disproportionné à ses revenus et patrimoine connus au moment de l’engagement ainsi qu’il ressort de la fiche de renseignements dont il n’a jamais contesté être l’auteur et qui, contrairement à ce qu’a retenu le tribunal, est antérieure au prêt puisque datée du 07 septembre 2006 ; que l’argument sur la valeur de la maison est empreint de mauvaise foi ; qu’en y donnant crédit, le tribunal a manqué à sa mission ; que la demande de surendettement de M. Z, manifestement destinée à échapper à la demande en paiement, a d’ailleurs été déclarée irrecevable, la dette bancaire étant la seule déclarée et étant d’un montant très inférieur à la valeur de son patrimoine alors estimé à 300 000 euros ; que c’est à tort que le tribunal, statuant extra petita, a considéré que l’inopposabilité du cautionnement de M. Z autorisait ses cofidéjusseurs à se prévaloir de l’article 2314 du code civil, alors qu’en vertu de leurs engagements solidaires vis à vis de la société, les intimés se sont obligés chacun à toute la dette, de sorte que le fractionnement de la dette ne concerne que leurs rapports entre eux et ne lui est pas opposable.

Par conclusions déposées en dernier lieu le 26 novembre 2018, auxquelles il convient de se reporter pour plus ample exposé de ses moyens et arguments, M. Z demande à la cour de :

— vu l’article L.341-4 et L.341-6 du code de la consommation

— vu l’article L313-22 du code monétaire et financier

— vu l’article 1244-1 ancien du code civil

— le déclarer recevable en ses conclusions

— confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a débouté le Crédit Agricole des demandes formulées à son encontre

— à titre principal,

— dire et juger que son cautionnement est disproportionné

— dire et juger en conséquence qu’il n’est redevable d’aucune somme

— débouter le Crédit Agricole de l’ensemble de ses demandes, fins et prétentions

— débouter MM. Y et I de leurs demandes

— à titre subsidiaire,

— prononcer la déchéance du droit aux intérêts en application des dispositions de l’article 313-22 du code monétaire et financier et de l’article L.341-6 du code de la consommation

— dans l’hypothèse où la Cour le condamnerait au paiement des sommes réclamées par le Crédit Agricole, condamner MM. Y et I à le relever indemne à hauteur de leur contribution à la dette, assortie des intérêts de retard éventuels

— constater qu’il est un débiteur malheureux et de bonne foi

— lui accorder en conséquence les plus larges délais de paiement

— dire et juger que les sommes reportées porteront intérêt au taux légal

— débouter le Crédit Agricole de sa demande de capitalisation

— en tout état de cause, condamner le Crédit Agricole au paiement d’une indemnité de 2.500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens de l’instance.

M. Z fait valoir que la banque ne produit pas l’avis d’admission de créance au passif de la société ni aucun certificat d’irrecouvrabilité ; que compte tenu de son patrimoine, de ses revenus et de ses charges en 2007, son engagement était manifestement disproportionné ; que les ressources de sa compagne, au demeurant quasiment inexistantes puisqu’en congé parental en 2007, ne pouvaient être prises en compte puisqu’il s’agissait d’un engagement personnel ; qu’il devait s’acquitter par ailleurs du remboursement de plusieurs prêts consentis par le Crédit Agricole lui-même ; qu’à ce jour sa situation est particulièrement précaire et ne lui permet pas de faire face au paiement des sommes réclamées ; que la valeur de sa part indivise sur le patrimoine immobilier est des plus modestes puisque de 31.000 euros ; qu’il appartenait à la banque de vérifier la signification de la mention «400 » qui constituait à l’évidence une anomalie apparente et qui, dans le doute, doit s’interpréter en sa faveur ; que contrairement aux assertions de l’appelante, le bien a été estimé à 100 000 euros et non 300 000 devant la commission de surendettement ; que compte tenu de la date de la fiche de renseignements, il ignore si elle correspond au prêt souscrit en juin 2007, de sorte que la cour ne peut se fonder sur cette fiche pour apprécier la disproportion ; à titre subsidiaire, que la déchéance du droit aux intérêts doit être prononcée faute pour la banque de rapporter la preuve de la délivrance d’une information annuelle ; que sa situation financière justifie l’octroi des plus larges délais de paiement ; que ses co intimés doivent le relever indemne dans la limite de leur contribution à la dette.

Par conclusions déposées en dernier lieu le 28 novembre 2016, auxquelles il convient de se reporter pour plus ample exposé de ses moyens et arguments, M. Y demande à la cour de :

— vu les articles 1153-1, 2309, 2310, 2314 et 2033 du code civil

— vu l’article L.313-22 du code monétaire et financier

— vu l’article L 341-6 du code de la consommation

— vu la jurisprudence de la Cour de cassation

— à titre principal, confirmer le jugement dont appel en ce qu’il a annulé l’engagement de caution de M. Z et par voie de conséquence, annuler son propre engagement de caution

— à titre subsidiaire, condamner le Crédit Agricole à lui payer la somme de 9.734,40 euros outre les intérêts légaux et contractuels y afférents si l’annulation de l’engagement de caution de M. Z ne devait pas entraîner l’annulation de son propre engagement de caution

— à titre infiniment subsidiaire,

— constater l’engagement de caution de M. Z à hauteur de 40.560 euros

— constater son propre engagement de caution à hauteur de 18.720 euros

— constater l’engagement de caution de M. I à hauteur de 18.720 euros

— et en conséquence, dans l’hypothèse où la cour le condamnerait à payer au Crédit Agricole la somme principale de 18.720 euros, condamner in solidum M. I à le relever indemne à hauteur de 4.492,80 euros et M. Z à hauteur de 9.734,40 euros, ainsi que tous les intérêts éventuels produits par ces sommes ;

— appliquer le taux d’intérêt légal simple et non majoré

— rejeter le taux d’intérêt contractuel et la demande de capitalisation

— fixer s’il y a lieu le point de départ des intérêts à courir a compter de la décision à intervenir

— condamner le Crédit Agricole à lui payer la somme de 2.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens.

M. Y fait valoir à titre principal qu’au visa de l’article 2314 du code civil qui est d’ordre public, il est fondé à se prévaloir de la nullité de l’engagement de caution de M. Z pour faire annuler son propre engagement ; que le tribunal n’a pas tiré tooutes les conséquences de cette annulation en mettant une somme à sa charge, fût-elle minorée ; que la condition déterminante de son engagement était celle de l’engagement de M. Z, associé majoritaire, à défaut duquel il n’y aurait jamais consenti ; que la carence de la banque dans la vérification de la solvabilité de M. Z constitue un manquement à ses obligations dont elle peut d’autant moins faire supporter les conséquences aux autres cautions que sa faute les empêche d’être subrogés dans ses droits et de se retourner contre M. Z. Il soutient à titre subsidiaire que la banque doit être condamnée à lui payer la somme de 9 734,40 euros ; à titre infiniment subsidiaire, que qu’en application des articles 2309 et 2310 du code civil, il est fondé à exercer un recours contre les autres cautions à hauteur de l’engagement de chacun ; que la banque doit être déchue de son droit aux intérêts faute de prouver l’envoi mais aussi le contenu du courrier d’information annuelle ; qu’il convient de déduire du capital les intérêts versés pour la période de 2008 à 2015, la déchéance du terme ayant interrompu l’application des intérêts contractuels faute de clause précisant formellement que les intérêts seraient applicables après cette date ; qu’enfin les circonstances de l’espèce justifient que les intérêts ne s’appliquent qu’à compter de la décision à intervenir.

Par conclusions déposées en dernier lieu le 25 novembre 2016, auxquelles il convient de se reporter pour plus ample exposé de ses moyens et arguments, M. I demande à la cour de :

— vu les articles 1153-1, 2309, 2310, 2314 et 2033 du code civil

— vu l’article L.313-22 du code monétaire et financier

— vu l’article L 341-6 du code de la consommation

— vu la jurisprudence de la Cour de cassation

— à titre principal, confirmer le jugement dont appel en ce qu’il a annulé l’engagement de caution de M. Z et par voie de conséquence, annuler son propre engagement de caution

— à titre subsidiaire, condamner le Crédit Agricole à lui payer la somme de 9.734,40 euros outre les intérêts légaux et contractuels y afférents si l’annulation de l’engagement de caution de M. Z ne devait pas entraîner l’annulation de son propre engagement de caution

à titre infiniment subsidiaire,

— constater l’engagement de caution de M. Z à hauteur de 40.560 euros

— constater l’engagement de caution de M. Y à hauteur de 18.720 euros

— constater son propre engagement de caution à hauteur de 18.720 euros

et en conséquence, dans l’hypothèse où la cour le condamnerait à payer au Crédit Agricole la somme principale de 18.720 euros, condamner in solidum M. Y à le relever indemne à hauteur de 4.492,80 euros et M. Z à hauteur de 9.734,40 euros, ainsi que tous les intérêts éventuels produits par ces sommes ;

— constater son impécuniosité

— et en conséquence, lui accorder des délais de paiement sur 24 échéances à compter de la signification de la décision à intervenir,

— appliquer le taux d’intérêt légal simple et non majoré

— rejeter le taux d’intérêt contractuel et la demande de capitalisation

— fixer s’il y a lieu le point de départ des intérêts à courir à compter de la décision à intervenir

— condamner le Crédit Agricole à lui payer la somme de 2 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens.

M. I soutient une argumentation identique à celle développée par M. Y. Il sollicite par ailleurs des délais au regard de sa situation personnelle et financière.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 27 novembre 2018. Sa révocation a été prononcée avant l’ouverture des débats par mention au dossier avec l’accord de toutes les parties.

MOTIFS :

sur la demande principale :

Aux termes de ses dernières écritures, déposées le 26 novembre 2018, M. Z a mis en doute le bien fondé même de la demande en paiement en faisant valoir que la banque ne justifiait pas de la créance de la société Colortho faute de produire l’avis d’admission de créance au passif ni aucun certificat d’irrecouvrabilité. Ce moyen sera rejeté, la banque versant aux débats sa déclaration de créance du 1er juillet 2013 pour un montant de 18 054,12 euros et un état des créances en date du 06 décembre 2018 valant preuve de son admission sans contestation pour le même montant (ses pièces 4 et 34).

La cour, comme le tribunal, va donc devoir se prononcer sur les demandes de la banque à l’encontre des trois cautions de la société.

Des trois intimés, seul M. Z conteste l’efficacité de son engagement. MM. Y et I quant à eux se reconnaissent débiteurs de sommes à ce titre tout en discutant le montant et la répartition entre eux des sommes réclamées par la banque.

Le débat soumis à la cour porte donc :

— d’abord, sur le caractère disproportionné de l’engagement souscrit par M. Z ;

— secondairement, sur le montant et la répartition des sommes mises à la charge de chaque intimé.

sur la disproportion alléguée de l’engagement de M. Z :

Aux termes des dispositions de l’article L.341-4 ancien du code de la consommation, vigueur à la date de l’engagement et devenu l’article L.343-4 à compter du 1er juillet 2016, « un créancier professionnel ne peut se prévaloir d’un contrat de cautionnement conclu par une personne physique dont l’engagement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus, à moins que le patrimoine de cette caution, au moment où celle-ci est appelée, ne lui permette de faire face à son obligation. »

Ce texte est applicable à toute caution personne physique, qu’elle soit ou non commerçante ou dirigeante de société. La sanction de la disproportion est non pas la nullité du contrat, mais l’impossibilité pour le créancier de se prévaloir du cautionnement. Il appartient à la caution de prouver qu’au moment de la conclusion du contrat, l’engagement était manifestement disproportionné à ses biens et revenus. L’appréciation de la disproportion se fait objectivement, en comparant, au jour de l’engagement, le montant de la dette garantie avec les biens et revenus de la caution tels que déclarés par elle, dont le créancier, en l’absence d’anomalies apparentes, n’a pas à vérifier l’exactitude.

Le tribunal a considéré l’engagement de M. Z comme disproportionné en relevant que la fiche de renseignement produite ne visait pas expressément le nom de l’emprunteur cautionné et avait été signée postérieurement à la date d’engagement, et qu’il ne lui appartenait pas d’interpréter la mention « 400 » censée représenter la valeur de la résidence principale de M. Z.

C’est à bon droit que le Crédit Agricole fait valoir que M. Z quant à lui n’a jamais contesté, et ne conteste toujours pas, être l’auteur de cette fiche qui, contrairement à ce qu’a retenu le tribunal, est antérieure au prêt puisque datée du 07 septembre 2006. Si l’intimé soutient désormais ne pas être en mesure d’affirmer que cette fiche a été remplie en garantie du prêt litigieux, il ne produit aucun document permettant de rattacher cette fiche à un autre engagement de caution. Il y a lieu en conséquence, pour apprécier la disproportion alléguée, de se fonder sur ce document, établi à la même période que les fiches renseignées par les autres intimés, et certifié sincère et véritable par l’intéressé.

Il en ressort :

— au titre du patrimoine, que M. Z disposait d’un tiers de la valeur de la résidence principale d’une valeur de « 400 » et d’une épargne de 12 KE ;

— au titre de ses salaires, qu’il percevait une somme annuelle de 23 112 (euros '), soit un salaire mensuel de 1 926 euros ;

— au titre des charges, qu’il était engagé pour plusieurs années encore, jusqu’en 2011 et 2013, dans quatre crédits immobilier et crédits à la consommation pour un montant total de 72 008 (euros ') représentant une charge mensuelle de 625 euros.

Il s’en déduit que ses ressources mensuelles, de 1 300 euros mensuels après déduction des remboursements d’emprunts, ne lui permettaient pas, compte tenu de sa charge de famille (trois enfants à charge), de faire face à son engagement.

Reste la question de la valeur de son patrimoine, estimé, de manière pour le moins sibylline, à « 400 ». Face à la banque qui soutient que ce montant signifie 400 000 euros, l’intimé

allègue qu’il s’agit de 400 000 francs.

Il ressort des pièces produites aux débats par l’intimé lui-même que le terrain (de 2083 m2) a été acquis le 25 novembre 1997 pour la somme de 190 000 francs, qu’il a souscrit pour la construction de l’immeuble un prêt immobilier de 420.000 francs, soit un montant total de 620 000 francs. Outre le fait qu’une estimation en francs est pour le moins incongrue en 2007, alors que les autres montants sont tous en euros, ce seul constat est en totale contradiction avec l’affirmation selon laquelle le bien valait 400 000 frs, soit 220 000 francs de moins, en 2007. Si l’existence d’une décharge à proximité de la commune est de nature à impacter la valeur d’un bien, la preuve d’un tel impact ne saurait se contenter des simples affirmations de l’intimé ni d’un article de journal de janvier 2006, alors même qu’il ressort de l’état descriptif de la situation de M. Z, établi en novembre 2015 par la commission de surendettement de Haute Garonne, que la valeur du bien dont il est propriétaire pour 30 % est de 300 000 euros, de sorte que sa part s’élève à 100 000 euros.

En conséquence, faute pour M. Z de rapporter la preuve, qui lui incombe, que la valeur de son immeuble était de 400 000 francs en 2007, il ne démontre pas non plus que son engagement (à hauteur de 40 560 euros) était manifestement disproportionné à ses biens et revenus au moment où il a été souscrit.

Le jugement qui en a décidé autrement sera donc infirmé, et la banque déclarée fondée à se prévaloir à l’encontre de M. Z de son engagement de caution.

L’intéressé sera donc condamné avec ses cofidéjusseurs au paiement de la somme due à la banque.

sur le montant des sommes dues :

La banque sollicite une somme de 19.621,02 euros au titre du solde du prêt à la date du 21 novembre 2014 composée :

— du capital pour 17.497,52 euros ;

— des intérêts contractuels au taux de 3,95 % pour 589,47 euros ;

— des intérêts de retard au taux contractuel majoré de 6,95 % (taux du prêt + 3 points, p. 5 du contrat) pour 1.534,03 euros.

Les intimés sollicitent d’une part la déchéance du droit aux intérêts faute pour la banque de rapporter la preuve de la délivrance de l’information annuelle qui leur est due, et d’autre part l’arrêt des intérêts conventionnels au jour de l’ouverture de la procédure.

sur l’information des cautions :

Il résulte des dispositions de l’article L. 313-22 du code monétaire et financier que les établissements de crédit ayant accordé un concours financier à une entreprise, sous la condition du cautionnement par une personne physique ou une personne morale, sont tenus au plus tard avant le 31 mars de chaque année de faire connaître à la caution le montant du principal et des intérêts, commissions, frais et accessoires restant à courir au 31 décembre de l’année précédente au titre de l’obligation bénéficiant de la caution, ainsi que le terme de cet engagement. Si l’engagement est à durée indéterminée, ils rappellent la faculté de révocation à tout moment et les conditions dans lesquelles celle-ci est exercée. Le défaut d’accomplissement de cette formalité emporte, dans les rapports entre la caution et l’établissement tenu à cette formalité, déchéance des intérêts échus depuis la précédente

information jusqu’à la date de communication de la nouvelle information. Les paiements effectués par le débiteur principal sont réputés, dans les rapports entre la caution et l’établissement, affectés prioritairement au règlement du principal de la dette.

Par ailleurs, aux termes de l’ article L.341-6 du code de la consommation désormais remplacé à compter du 1er juillet 2016 par les dispositions similaires des articles L. 333-2 et L. 343-6, le créancier professionnel fait connaître à la caution personne physique, au plus tard avant le 31 mars de chaque année, le montant du principal et des intérêts, commissions, frais et accessoires restant à courir au 31 décembre de l’année précédente au titre de l’obligation garantie, ainsi que le terme de cet engagement ; que si l’engagement est à durée indéterminée, il rappelle la faculté de révocation à tout moment et les conditions dans lesquelles celle-ci est exercée ; et que lorsqu’un créancier ne respecte pas ces obligations, la caution n’est pas tenue au paiement des pénalités ou intérêts de retard échus depuis la précédente information jusqu’à la date de communication de la nouvelle information.

Les intimés font valoir qu’il appartient à la banque, en application de ces dispositions, de prouver non seulement l’envoi de cette information mais aussi son contenu, autrement que par la production d’un relevé informatique ou par la facturation de cette information sur le compte de la société cautionnée.

La banque soutient en réponse avoir amplement respecté ses obligations, et en justifier par les procès-verbaux de constat d’huissier qu’elle verse aux débats s’agissant de l’envoi du document d’information annuelle des cautions ainsi que l’attestation de l’huissier qui a vérifié les envois et les copies d’écran informatiques des quelques 50 000 courriers adressés aux cautions (ses pièces 20 à 28).

Il convient de rappeler que les obligations des établissements bancaires se limitent à démontrer l’envoi des courriers d’information annuelle et nullement leur réception.

Même si les noms des intimés ne figurent par parmi les enveloppes contrôlées, ces procès-verbaux, qui attestent à la fois de la conformité des listings informatiques aux fichiers des envois aux cautions, et du contenu des courriers contrôlés aux exigences légales, suffisent à établir que le Crédit Agricole s’est acquitté de son obligation d’information à l’égard des trois intimés entre 2008 et 2015.

Le grief sera donc écarté.

sur l’application des intérêts conventionnels :

Le tribunal a retenu la somme de 18.054,12 euros correspondant à la déclaration de créance et à la mise en demeure de juillet 2013, et non celle de 19.621,02 euros réclamée par la banque, qui comprend des intérêts de retard au taux majoré de 6,95 % (taux du prêt + 3 points), au motif que la liquidation judiciaire du débiteur principal entraîne la déchéance du terme et « interrompt l’application des intérêts contractuels, faute de clause précisant formellement que ces intérêts seront appliqués au delà de cette déchéance ».

La banque, qui reproche aux juges d’avoir, cette fois encore, invoqué un moyen qui n’était pas soulevé par les parties, conteste cette motivation en faisant valoir qu’une telle clause figurait bien au contrat auquel elle renvoie, qui stipule en effet : « Toute somme non payée à son échéance ou à sa date d’exigibilité donnera lieu de plein droit et sans mise en demeure préalable au paiement d’intérêts de retard dont le taux est précisé au paragraphe « taux des intérêts de retard » » (page 4). « Le taux des intérêts de retard sera égal au taux du prêt majoré de 3 points » (page 5). « En cas de survenance d’un cas de déchéance du terme (notamment en cas de liquidation judiciaire), le prêteur pourra se prévaloir de l’exigibilité immédiate de la

totalité de sa créance (…). Le prêt deviendra alors de plein droit exigible en capital, intérêts, frais et accessoires" (page 7 du contrat)).

Aux termes des dispositions de l’article L.622-28 du code de commerce, le jugement d’ouverture arrête le cours des intérêts légaux et conventionnels (') à moins qu’il ne s’agisse des intérêts résultant de contrats de prêt conclus pour une durée égale ou supérieure à un an (')

Il en résulte que la caution est tenue des intérêts dès lors que ceux-ci résultent, comme en l’espèce, d’un prêt d’une durée supérieure à un an, leur cours n’étant pas, dans ce cas, arrêté par le jugement d’ouverture.

Il résulte par ailleurs des dispositions de l’article 1134 ancien du code civil, devenu l’article 1103 à compter du 1er octobre 2016, que les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites et que les juges ne peuvent en méconnaître les termes.

En l’espèce, chacun des intimés, par mention manuscrite, s’est porté caution solidaire de la société Colortho dans la limite de la somme de 40 560 euros (M. Z) et de 18 720 euros (M. I et Y) « couvrant le paiement du principal, des intérêts conventionnels et, le cas échéant, des pénalités ou intérêts de retard.'

En exécution de ces engagements, la banque est fondée à solliciter l’application d’intérêts de retard, y compris au taux contractuel majoré, la seule limite étant, au visa de l’article 2292 du code civil (le cautionnement ne se présume point, qu’il doit être exprès, et qu’on ne peut pas l’étendre au-delà des limites dans lesquelles il a été contracté), celle du montant maximum auquel chaque caution est tenue sans que puissent y être ajoutés des intérêts contractuels supplémentaires, seuls étant applicables, une fois le plafond d’engagement atteint, les intérêts au taux légal, conformément aux dispositions de l’article 1153 ancien du code civil (les dommages-intérêts dus à raison du retard dans le paiement d’une obligation de somme d’argent consistent dans l’intérêt au taux légal, à compter de la mise en demeure).

Il y a lieu en conséquence d’infirmer le jugement et de condamner in solidum MM. Z, I et Y à payer au Crédit Agricole la somme de 19.621,02 euros intégrant les intérêts conventionnels majorée des intérêts de retard au taux contractuel de 6,95 % à compter du 21 novembre 2014, date de l’établissement du décompte et des mises en demeure, dans la limite de 18.720 euros avec intérêts au taux légal à compter du 11 juillet 2013 s’agissant de MM. Y et I.

sur l’anatocisme :

Dans les mêmes limites, en application de l’article 1154 du code civil, il sera fait droit à la demande de la banque tendant à la capitalisation des intérêts, qui est de droit à compter de sa demande, soit le 11 décembre 2014, date de l’assignation.

Le jugement, qui l’a accordée dans ses motifs, mais a omis de reprendre cette disposition dans le dispositif de la décision, sera complété en ce sens.

sur les demandes de relevé indemne :

Chaque intimé demande, en cas de condamnation, à être relevé indemne par ses cofidéjusseurs, à proportion de leurs engagements, des condamnations prononcées à son encontre en application de l’article 2310 du code civil.

Aux termes des dispositions de l’article 2310 du code civil, « lorsque plusieurs personnes ont

cautionné un même débiteur pour une même dette, la caution qui a acquitté la dette a recours contre les autres cautions, chacune pour sa part et portion. Mais ce recours n’a lieu que lorsque la caution a payé dans l’un des cas énoncés en l’article précédent. »

Ces dispositions n’ont donc vocation à être mises en 'uvre au profit de l’une ou l’autre des cautions qu’une fois la dette acquittée, le recours d’une caution contre les autres n’étant possible que dans la mesure où son paiement a excédé sa part et portion. En l’espèce donc, aucune des cautions n’ayant à ce jour effectué le moindre règlement, leurs demandes ne peuvent être accueillies.

Rappelant qu’en cas d’engagement limité de chaque caution, la fraction de la dette devant être supportée par chacune doit être déterminée en fonction de son engagement initial, la cour ne peut que relever que les intimés se sont engagés à hauteur des sommes suivantes :

— M. Z à hauteur de 52 % ;

— M. I à hauteur de 24 % ;

— et M. Y à hauteur de 24 %.

sur les délais de paiement :

M. Z, invoquant sa situation financière précaire, sollicite des délais de paiements. La banque s’y oppose en soulignant justement que l’intéressé a déjà bénéficié, de fait, de très larges délais, puisque plus de 5 ans se sont écoulés depuis la première demande en paiement. Les documents qu’il produit au soutien de sa demande, dont le plus récent (une attestation pôle emploi) date de novembre 2016, ne permettent pas d’attester de sa situation actuelle. Sa demande sera en conséquence rejetée.

Le même constat doit être fait s’agissant de M. I qui, pour justifier sa demande de délais, verse aux débats des relevés de situation et avis de Pôle Emploi datés de 2015, insuffisants à caractériser la précarité de sa situation actuelle. Il sera lui aussi débouté de sa demande.

sur les demandes accessoires :

Il n’apparaît pas inéquitable, au regard des circonstances de l’espèce, et de la situation économique des parties, de laisser à la charge du Crédit Agricole les sommes exposées par lui et non comprises dans les dépens. Les demandes formées sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile seront rejetées.

M. Z sera condamné aux entiers dépens.

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,

Infirme le jugement du tribunal de commerce de Bordeaux en date du 03 juin 2016

Statuant à nouveau,

Condamne in solidum MM. Z, I et Y à payer au Crédit Agricole la somme de 19.621,02 euros majorée des intérêts de retard au taux contractuel de 6,95 % à compter du 21 novembre 2014, dans la limite de 18.720 euros avec intérêts au taux légal à compter du 11 juillet 2013 s’agissant de MM. Y et I

Déboute les parties de leurs demandes plus amples et contraires

Dt n’y avoir lieu de faire application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile

Condamne M. Z aux entiers dépens de la procédure.

Le présent arrêt a été signé par M. Chelle, président et par M. F, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Chercher les extraits similaires
highlight
Chercher les extraits similaires
Extraits les plus copiés
Chercher les extraits similaires
Inscrivez-vous gratuitement pour imprimer votre décision
Cour d'appel de Bordeaux, 4ème chambre commerciale, 29 janvier 2019, n° 16/04153