Cour d'appel de Paris, Pôle 5 - chambre 4, 30 août 2019, n° 18/20739

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Chronologie de l’affaire

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Louis Vogel · L'ESSENTIEL Droit de la distribution et de la concurrence · 1er octobre 2019
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Sur la décision

Référence :
CA Paris, pôle 5 - ch. 4, 30 août 2019, n° 18/20739
Juridiction : Cour d'appel de Paris
Numéro(s) : 18/20739
Sur renvoi de : Cour de cassation, 15 mai 2018, N° 2011082018
Dispositif : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours

Sur les parties

Texte intégral

Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 5 – Chambre 4

ARRÊT DU 30 AOÛT 2019

(n° , 13 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : 18/20739 – N° Portalis 35L7-V-B7C-B6LZH

Sur renvoi après un arrêt de la Cour de Cassation prononcé le 16 Mai 2018 (n° 496 FS-D) emportant cassation partielle d’un arrêt rendu par la cour d’appel de PARIS (pôle 5 – chambre 4) le 29 Juin 2016 (RG n° 14/00335), sur appel d’un jugement rendu le 18 Décembre 2013 par le tribunal de commerce de PARIS (RG n° 2011082018)

DEMANDERESSE À LA SAISINE

SAS COTY FRANCE

Ayant son siège social : 14 rue du Quatre-Septembre

[…]

N° SIRET : 552 019 291 (PARIS)

prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège

Représentée par Me Florence GUERRE de la SELARL PELLERIN – DE MARIA – GUERRE, avocat au barreau de PARIS, toque : L0018

Ayant pour avocats plaidant : Me François PONTHIEU et Me Diane RATTALINO de la SELARL PONTHIEU AVOCATS, avocats au barreau de PARIS, toque : D 1514

DÉFENDERESSE À LA SAISINE

SA BRANDALLEY

Ayant son siège social : […]

[…]

N° SIRET : 482 510 906 (PARIS)

prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège

Représentée par Me Fabienne FAJGENBAUM de la SCP NATAF FAJGENBAUM & ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : P0305

COMPOSITION DE LA COUR :

L’affaire a été débattue le 15 Mai 2019, en audience publique, devant la Cour composée de :

Monsieur D E, Conseiller faisant fonction de Président, rédacteur,

Madame Laure COMTE, Vice-Présidente Placée,

Madame Marie-José DURAND, Conseillère appelée d’une autre chambre afin de compléter la Cour en application de l’article R.312-3 du code de l’organisation judiciaire

qui en ont délibéré.

Un rapport a été présenté à l’audience par Monsieur D E dans les conditions prévues par l’article 785 du Code de Procédure Civile.

Greffier, lors des débats : Madame AC AD

ARRÊT :

— contradictoire

— par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

— signé par D E, conseiller faisant fonction de Président, et par AC AD, greffier auquel la minute de la présente décision a été remise par le magistrat signataire.

FAITS ET PROCÉDURE

La société Coty France (ci-après dénommée « Coty ») fait partie du groupe international Coty lequel est spécialisé dans la production de parfums. Elle est divisée en deux unités : Coty Luxury qui gère les marques de luxe, et Coty Consumer Beauty qui est en charge des marques dites « Mass Market », plus accessibles.

La société Coty assure en France la distribution des parfums commercialisés sous différentes marques à travers un réseau de distribution sélective.

La société Brandalley, créée en 2005, se présente comme un pure player e-commerce.

Elle exerce son activité de vente de produits de différentes marques, principalement vêtements, bijoux, maroquinerie et parfums, exclusivement au travers de son site internet (www.brandalley.fr).

A plusieurs reprises, entre 2009 et 2012 elle a organisé des ventes flashs de produits habituellement commercialisés par la société Coty via son réseau de distribution sélective.

Cette dernière a demandé la communication des factures des fournisseurs et a mis la société Brandalley France en demeure de cesser les ventes.

Par acte du 16 juillet 2010, la société Coty a assigné à bref délai la société Brandalley devant le tribunal de commerce de Paris, sollicitant quelques mois plus tard la radiation de l’affaire puis son ré-enrôlement, pour demander, réparation de son préjudice résultant des actes de concurrence déloyale commis, et qu’injonction soit faite à la société Brandalley de cesser ses agissements déloyaux.

Par jugement du 18 décembre 2013, le tribunal de commerce de Paris a :

— dit irrecevable la société Coty en ses demandes,

— condamné la société Coty à verser à la société Brandalley la somme de 20 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

— débouté les parties de leurs demandes,

— condamné la société Coty aux dépens.

Le 6 janvier 2014, la société Coty a relevé appel de ce jugement.

Par arrêt du 29 juin 2016, la cour d’appel de Paris a :

— infirmé le jugement,

— dit la société Coty France recevable en son action,

— débouté la société Coty France de ses demandes,

— condamné la société Coty France à payer à la société Brandalley la somme de 35 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

— condamné la société Coty France aux entiers dépens.

La société Coty s’est pourvue en cassation à l’encontre de cet arrêt.

Par arrêt du 16 mai 2018, la Cour de cassation a :

— cassé et annulé, sauf en ce qu’il a dit la société Coty France Division Prestige recevable en son action, l’arrêt rendu le 29 juin 2016, entre les parties, par la cour d’appel de Paris,

— remis, en conséquent, sur les autres points, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les a renvoyées devant la cour d’appel de Paris autrement composée,

— condamné la société Brandalley aux dépens, outre 3000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

Pour fonder sa décision, la Cour de cassation a, au visa des articles 101 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) et L. 420-1 du code de commerce, indiqué :

« Attendu que pour rejeter les demandes de la société Cory, l’arrêt retient que trois clauses contractuelles constituent des restrictions caractérisées au sens du règlement (CE) n°2790/99 du 22 décembre 1999 concernant l’application de l’article 81, paragraphe 3 du Traité, à des catégories d’accords verticaux et de pratiques concertées et en déduit que l’existence de ces clauses « noires » dans le contrat de distribution sélective exclut tout caractère licite du réseau, qu’en statuant ainsi, alors que la circonstance, à la supposer établie, que l’accord ne bénéficie par d’une exemption par catégorie n’implique pas nécessairement que le réseau de distribution sélective contrevient aux dispositions de l’article 101, paragraphe 1 TFUE, la cour a violé les textes susvisés ».

La présente cour, désignée cour de renvoi après cassation de l’arrêt du 29 juin 2016, a été saisie par la société Coty France suivant déclaration du 7 septembre 2018.

Vu les dernières conclusions de la société Coty, notifiées le 3 mai 2019, par lesquelles il est

demandé à la cour au visa du règlement n°2790/99 du 22 décembre 1999, du règlement n°330/2010 du 20 avril 2010 et des lignes directrices y afférentes de la Commission européenne, des articles 1382 ancien du code civil, L 442-6,I, 6° du code de commerce, et L. 121-1 du code de la consommation, de :

— infirmer en toutes ses dispositions le jugement du tribunal de commerce de Paris,

— juger recevable et bien fondée la société Coty en toutes ses demandes,

En conséquence,

— enjoindre à la société Brandalley qui commercialise sur son site www.brandalley.fr des produits prestigieux, de communiquer le nom des fournisseurs, autres que la société Star Perfumes,auprès desquels elle s’est approvisionnée pour la vente des produits des marques […],Cerruti, Chopard, C, Guess, Q R, X, Z!, F G, V W AA, et de transmettre les factures correspondantes,

— constater que la société Brandalley a commercialisé sur son site www.brandalley.fr des produits de la société Coty France, notamment les marques […], Cerruti, Chopard, C, Guess, Q R, X, Z!, F G, Y, AB W AA,

— constater que ces produits sont distribués par la société Coty par l’intermédiaire d’un réseau de distribution sélective,

— dire licite le dit réseau de distribution sélective,

— dire que la vente des produits des marques […], Cerruti, Chopard, C, Guess, Q R, X, Z!, F G, Y AB W AA, par la société Brandalley sur son site internet www.brandalley.fr, sans l’autorisation de la société Coty France, est constitutive de concurrence déloyale, de publicité trompeuse et de parasitisme,

— condamner la société Brandalley au paiement à la société Coty de la somme de 500 000 euros de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi au titre des actes de concurrence déloyale, d’atteinte à l’image de marque et de parasitisme,

— ordonner l’interdiction de toute commercialisation sur le site internet www.brandalley.fr, ou sur tout autre site internet, ou de quelque manière que ce soit, des parfums des marques distribuées par la société Coty : Alexander McQueen, Balenciaga, […], Burburry,

[…], C, […], N O, Z!, Lacoste, Y, H I, […], A,

— ordonner l’interdiction définitive de toute utilisation non autorisée des droits de propriété intellectuelle de la société Coty portant sur les parfums des marques qu’elle distribue, Alexander McQueen, Balenciaga, […], Burburry, […], C, […], N O, Z!, Lacoste, Y, H I, […], A, et notamment l’utilisation du nom de ces marques sur le site internet www.brandalley.fr, ou tout autre site internet, ou de quelque manière que ce soit, et des photographies de leurs produits,

— ordonner la communication de tous les éléments comptables depuis la société Brandalley depuis l’année de son immatriculation, soit depuis 2005, afférents à la vente des marque susvisées, de manière à permettre à la société Coty de parfaire éventuellement son préjudice par la suite,

— ordonner la publication de l’arrêt à intervenir sur la page d’accueil du site internet www.brandalley.fr, sur au moins la moitié de la page d’accueil, dans les huit jours de sa signification et pendant un délai d’un mois, sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard et par jour manquant,

— se réserver, le cas échéant, la liquidation des astreintes,

— ordonner la publication de l’arrêt à intervenir dans trois magazines au choix de la société Cotyet aux frais exclusifs de la société Brandalley, et ce dans la limite de 20 000 euros,

— rappeler le caractère exécutoire de l’arrêt à intervenir,

— condamner la société Brandalley à payer à la société Coty la somme de 20 000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens.

Vu les dernières conclusions de la société Brandalley,notifiées le 13 mai 2019, par lesquelles il est demandé à la cour au visa des articles L.420-1, L. 442-6, L. 462-5 du code de commerce, 5 et 1382 ancien du code civil, 9, 32, 378 et 699 du code de procédure civile, 101 et 267 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, de :

Avant dire droit:

— surseoir à statuer et saisir la Cour de justice de l’Union européenne de la question préjudicielle suivante :

« Un réseau de distribution sélective mis en place par une entreprise non titulaire des marques sous lesquelles les produits ou services sont distribués ou ne détenant pas une licence exclusive consentie à son profit peut-il être considéré comme un élément de concurrence conforme à l’article 101 du TFUE’ »

A titre liminaire :

— dire que la demande formulée par la société Coty France est sans objet dans la mesure où la recevabilité de l’action initiée par la société Coty n’a pas fait l’objet d’une cassation opérée par la Cour de cassation dans son arrêt du 16 mai 2018,

A titre principal :

— confirmer le jugement du tribunal de commerce de Paris en ce qu’il a :

* débouté la société Coty France de l’intégralité de ses demandes, fins et conclusions;

* condamné la société Coty France à verser à la société Brandalley la somme de 20 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

* condamné la société Coty France aux entiers dépens,

— débouter la société Coty France de l’intégralité de ses demandes,

— dire que les demandes de la société Coty sont irrecevables et mal fondées,

— dire que la société Coty France ne rapporte pas la preuve de l’existence d’un réseau de distribution sélective non plus que de sa licéité,

— dire que la société Coty France ne rapporte pas la preuve de l’étanchéité d’un réseau de distribution

sélective qu’elle prétend avoir mis en place,

— dire que le prétendu réseau de distribution sélective de la société Coty France est en conséquence inopposable à la société Brandalley,

— dire que la société Brandalley s’est approvisionnée licitement en produits authentiques,

— dire que la société Brandalley n’a commis aucun acte de concurrence déloyale à l’égard de la société Coty France,

En complément de ce qui précède et en cas de doute sur la licéité du prétendu réseau de distribution sélective :

— consulter l’Autorité de la concurrence afin que cette dernière donne son avis sur la question suivante :

« Coty France, qui prétend être en droit de commercialiser en exclusivité les parfums de marques […], Balenciaga, […], Cerruti, C, Chopard, Davidoff, Q R,Guess, N O, Z !, Jette Z, F G, S Lagarfeld, Kenneth Cole, Y,H I, B, AB W AA, J K et L M, peut elle interdireleur vente au détail à un distributeur spécialisé dans le commerce en ligne en faisant valoirl’existence d’un réseau de distribution sélective dont elle prétend être à la tête, alors que:

(i) elle se dispense d’apporter la preuve de son existence pour les produits en cause (absence de contrats de distribution sélective signés et non tronqués, antérieurs à la délivrance de l’assignation,

ii) que le groupe auquel elle appartient a librement mis les produits en cause sur le marché auprès d’intermédiaires en amont et,

(iii) qu’elle n’est pas en mesure de justifier du bénéfice de l’exemption revendiquée en application des règlements communautaires’ »,

A titre subsidiaire, dans l’hypothèse, où par extraordinaire, la cour jugerait les demandes de la société Coty France recevables et fondées :

— débouter la société Coty de l’intégralité de ses demandes de dommages et intérêts et de publications, irrecevables et injustifiées,

En toute hypothèse,

— condamner la société Coty France à verser à la société Brandalley la somme de 50 000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, s’ajoutant à la somme de 20 000 euros déjà allouée par le tribunal de commerce de Paris;

— condamner la société Coty France aux entiers dépens dont distraction au profit de la SCP

Nataf Fajgenbaum & Associés, Avocats aux offres de droits conformément aux dispositions del’article 699 du code de procédure civile.

Suivant conclusions d’incidents du 14 mai 2019, la société Coty a demandé à la cour de rejeter des débats les conclusions signifiées par la société Brandalley le 13 mai 2019.

Elle a en outre signifié par voie électronique une nouvelle pièce sur laquelle la société Brandalley a déposé une note par voie électronique le 14 mai 2019.

A l’audience du 15 mai 2019, les parties ont plaidé au fond après qu’il a été convenu entre elles de la retenue du dossier dès lors que l’ensemble des pièces communiquées ne sont pas écartées des débats.

SUR CE, LA COUR,

Sur la recevabilité de l’action de la société Coty

La Cour de cassation a cassé l’arrêt de la cour d’appel de Paris en date du 29 juin 2016 sauf en ce qu’il a dit la société Coty France recevable en son action.

Ce point est en conséquence définitivement tranché, l’action de la société Coty France est recevable.

Sur la demande de saisine de la Cour de justice de l’Union Européenne

La société Brandalley reproche à la société Coty, qui se prévaut d’être à la tête d’un réseau de distribution sélective au sein duquel sont distribués des produits de certaines marques visées à la présente procédure, de ne pas justifier être bénéficiaire d’une licence exclusive sur les dites marques qui lui permette de mettre en place licitement un tel réseau de distribution.

Elle fait valoir que, dès lors que Coty n’est pas titulaire des marques en cause, et en l’absence de communication de contrats de licence exclusive établis à son profit, il n’est pas possible de savoir si cette dernière est bien l’unique entreprise autorisée à exploiter les produits sous les marques pour lesquelles elle revendique l’existence d’un réseau de distribution sélective au sein de l’Union Européenne.

Elle soutient qu’en l’absence de tout droit exclusif sur les marques des produits distribués, tout revendeur serait en droit de commercialiser les dits produits pour lesquels il n’existe aucune exclusivité réservée à la tête d’un réseau de distribution sélective.

Elle demande en conséquence à la cour de saisir la Cour de justice de l’Union européenne de la question préjudicielle telle que formulée dans le dispositif de ses écritures.

Toutefois, le présente litige porte sur une action en concurrence déloyale fondée sur le non respect du réseau de distribution dont l’existence est invoquée par la société Coty.

Le bien fondé des demandes de cette dernière contre Brandalley ne saurait être subordonné à sa qualité de titulaire ou non des droits d’exploitation des marques ci dessus relevées, dans la mesure où le présent litige ne porte pas sur la titularité des droits et leur utilisation mais a pour objet de faire sanctionner le non respect du réseau de distribution sélective de l’appelante.

La cour ayant à se prononcer en la présente instance sur l’existence, la licéité et l’opposabilité du réseau de distribution sélective de la société Coty ainsi que sur les demandes indemnitaires formulées par cette dernière au titre des violations du dit réseau par la société Brandalley, et non sur les droits dont dispose Coty sur les marques qu’elle commercialise, il convient de rejeter la demande tendant à ce que soit posée la question préjudicielle précitée.

Au demeurant l’appelante justifie (pièces n°7 dont les traductions libres ne sont pas contestées) que les titulaires des marques Cerruti, Choe, Chopard, Davidoff, Guess, N O, Z!, F G, H I, B, AB W AA, J K; L M, Bottega Neneta et Roberto Cavalli, ont effectivement autorisé la sociétés Coty Inc, et ses filiales et succursales, parmi lesquelles se trouve la société Coty France, à utiliser les dites marques.

Sur l’existence, la licéité, l’étanchéité et l’opposabilité du réseau de distribution sélective de la société Coty

Sur l’existence et l’opposabilité du réseau de distribution sélective de Coty

La société Brandalley soutient que la société Coty ne rapporte pas la preuve de l’existence d’un réseau de distribution sélective en France et fait valoir que les éléments de preuve que cette dernière produit ne sauraient emporter la conviction de la cour à cet égard.

La société Coty verse toutefois au débat :

— son contrat de distributeur agréé type, ainsi que de multiples contrats signés entre 2008 et 2012, des marques dont la commercialisation est reprochée à la société intimée, (pièce n°3, 38 à 44 Coty)

— plusieurs articles parus sur internet évoquant les contrats de licence signés par la société Coty avec les différentes marques (pièce n°2 Coty),

— des emballages de parfum indiquant « ce produit ne peut être vendu que par des distributeurs agréés », ainsi que la dénomination sociale du créateur du parfum, à savoir Coty France ou Coty Inc New York ou Coty Prestige Monaco, démontrant quel est le créateur de parfum ou celui qui a qualité pour les commercialiser,

— le courrier de la Commission européenne ayant validé le contrat de distributeur agréé qui lui avait été notifié par la société Coty en 1997.

La cour, qui fait observer qu’il ne peut être fait obligation à la société Coty de verser aux débats la totalité de ses contrats de distribution, dès lors qu’il s’agit de contrats types identiques sur le territoire français, considère que l’existence du réseau de distribution sélective de la société Coty France est ainsi parfaitement démontrée.

Celui-ci s’impose à la société Brandalley qui ne peut en ignorer l’existence eu égard à sa notoriété, la cour ayant par ailleurs indiqué que les différents emballages des parfums créés par Coty indiquent que les produits visés ne peuvent être vendus que par des dépositaires, alors, au surplus que diverses mises en demeure ont été adressées à la société Brandalley en 2009 et 2010.

C’est enfin vainement que la société Brandalley soutient que le réseau de distribution sélective est limité à certaines marques déterminées et que certaines de celles qui font l’objet des ventes objet du présent litige, ne sont pas visées par le contrat de distributeur agréé et ne peuvent en conséquence donner lieu à poursuites dès lors qu’il résulte de l’examen de l’ensemble des contrats de distribution versés aux débats par Coty que ceux-ci visent également les marques, Chopard, Guess, Q R, F G, Z ! AB W AA, contrairement à ce qu’elle fait valoir étant précisé qu’elle ne conteste pas que le parfum Harajuku qui figure à la pièce 44 de la société Coty est un parfum de la marque Q R.

Sur la licéité du réseau de distribution sélective Coty

L’organisation d’un réseau de distribution sélective ne relève pas de l’interdiction de l’article 101, paragraphe 1 TFUE, pour autant que le choix des revendeurs s’opère en fonction de critères objectifs de caractère qualitatif, fixés d’une manière uniforme à l’égard de tous les revendeurs potentiels et appliqués de façon non discriminatoire, que les propriétés du produit en cause nécessitent, pour en préserver la qualité et en assurer le bon usage, un tel réseau de distribution, et enfin que les critères définis n’aillent pas au delà de ce qui est nécessaire

La cour a déjà répondu ci dessus au moyen soulevé par la société Brandalley quant à l’absence de démonstration de l’existence de licences exclusives accordées à Coty.

C’est dès lors vainement que l’intimée prétend que le réseau est illicite de ce chef.

C’est par ailleurs à tort que la société Brandalley reproche à la société Coty de ne pas démontrer en quoi les marques qu’elle commercialise imposent de recourir à la distribution sélective alors, qu’il n’est pas sérieusement contesté que les parfums hauts de gamme vendus par Coty appartiennent au segment des produits de luxe et qu’il n’est au demeurant pas soutenu par l’intimée que les parfums dit 'de star' ne répondent pas aux critères des produits hauts de gamme dont la distribution nécessite une présentation valorisante, même s’ils sont destinés à une clientèle plus jeune plus sensible aux effets de mode.

La cour rappelle enfin que la licité du réseau n’est pas subordonnée à la preuve de son étanchéité effective et que le dit réseau n’est pas illicite à raison du fait qu’un tiers a pu acquérir des produits contractuels par le biais d’un de ses revendeurs.

A cet égard, c’est vainement que la société Brandalley invoque l’existence, sans toutefois en établir la preuve, d’une relation contractuelle entre Fragance Sales, société de droit anglais, auprès de qui elle se serait approvisionnée pour proposer à la vente les produits litigieux sur son site internet, et une des sociétés du groupe Coty, la facture versée aux débats par Brandalley (pièce n°3) ne permettant nullement d’établir que celle-ci s’est approvisionnée auprès de ladite société Fragance Sales.

C’est en outre de manière inopérante qu’elle invoque l’existence de nombreux revendeurs discount sur internet, procédant à des ventes identiques à celles qu’elle a effectuées, pour en justifier du bien fondé.

Devant la présente cour, la société Brandalley fait valoir que l’article 3.4.3.3 du contrat type interdisant la vente active d’un nouveau produit contractuel, constitue une restriction de concurrence par objet au sens des article L 420-1 du code de commerce et 101 du TFUE.

Cet article stipule qu’un distributeur agréé 'ne doit pas faire de vente active d’un nouveau PRODUIT dans un état membre de l’Union Européenne où Coty, ou une société appartenant au même groupe, n’a pas encore mis en vente le dit PRODUIT, et ce pendant un délai d’un an à compter de la date du premier lancement du PRODUIT dans un Etat-membre'.

Elle soutient que cet article n’est pas conforme aux prescriptions du droit européen de la concurrence, qu’il a pour effet de restreindre la vente par tous les distributeurs agréés aux consommateurs finaux et autres distributeurs agréés pendant une année au prétexte du lancement d’un nouveau produit qui pourrait ne pas en être réellement un.

La société Coty rétorque que cette clause a pour objet de tester, pendant une période limitée, un produit sur un territoire déterminé, qu’elle est donc proportionnée au regard de l’objectif poursuivi et appropriée pour préserver l’innovation et la distribution de nouveaux produits de luxe.

***

Toutefois les restrictions territoriales figurant dans un accord conclu entre un fournisseur et un distributeur peuvent ne pas relever de l’article 101 paragraphe 1 TFUE pendant une certaine période, si elles sont économiquement nécessaires pour que le distributeur puisse pénétrer sur un nouveau marché (CJCE, 30 juin 1966, Société Technique Minière (LTM) / Maschinenbau Ulm Gmbh (MBU)).

A cet égard la Commission européenne souligne dans ses lignes directrices de 2000 et 2010 que 'les restrictions verticales liées à l’ouverture de nouveaux marchés de produits ou de nouveaux marchés géographiques ne restreignent généralement pas la concurrence. Cette remarque vaut pour les deux années qui suivent la date de première mise sur le marché du produit, et quelle que soit la part de marché de l’entreprise. Sont concernées toutes les restrictions verticales autres que les restrictions caractérisées, et, dans le cas d’un nouveau marché géographique, les restrictions imposées aux acheteurs directs du fournisseur situés dans d’autres marchés en ce qui concerne les ventes actives et passives de ces acheteurs directs à des intermédiaires présents sur ce nouveau marché. Lorsqu’un nouveau produit fait l’objet d’essais commerciaux sur un territoire limité ou auprès d’une clientèle limitée, les distributeurs désignés pour vendre le nouveau produit sur le marché test peuvent être soumis à une restriction de leurs ventes actives en dehors du marché test pendant un délai maximal d’un an, sans que cela constitue une restriction contraire à l’article 81 paragraphe 1".

L’article 3.4.3.3 protège le distributeur agréé Coty qui lance un nouveau produit des marques Coty, des ventes actives d’autres distributeurs agréés Coty pendant le délai d’un an.

Cette clause apparaît nécessaire pour inciter le distributeur à réaliser des investissements pour développer le nouveau produit, dès lors qu’en l’absence d’une telle protection, le distributeur ne serait pas incité à le distribuer et à investir dans cette distribution, alors que la vente de nouveaux produits et l’élargissement de l’offre à destination des consommateurs finals constituent des facteurs favorisant la concurrence.

La durée de la protection consentie était en l’espèce d’une année. La clause incriminée apparaît proportionnée au regard de l’objectif poursuivi, en ce qu’elle est appropriée pour préserver l’innovation et la distribution de nouveaux produits de luxe. Elle ne va pas au delà de ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif.

Cette restriction territoriale de vente active, limitée dans le temps, ne relève dès lors pas de l’article 101 paragraphe 1 TFUE car elle est objectivement nécessaire pour que le distributeur puisse pénétrer sur un nouveau marché.

Elle n’est pas disproportionnée à la nécessité de protéger l’efficacité du réseau qui vise à promouvoir, à destination du consommateur, de nouvelles marques dans des conditions de présentation optimales.

Dès lors cette clause n’a pas d’objet ou d’effet anticoncurrentiel.

Elle ne peut être qualifiée de restriction caractérisée au sens du règlement de 2010.

La société Brandalley ne conteste pas la validité d’autres clauses que celle de l’article 3.4.3.3 du contrat type.

Il convient donc de dire, au regard de ce qui précède, que le réseau de distribution de la société Coty France est licite.

Il n’y a pas lieu pour la cour qui, au vu des pièces versées par les parties a disposé de tous les éléments pour trancher la question de la licéité du réseau de distribution de la société Coty, de saisir l’Autorité de la concurrence.

Sur la violation du réseau de distribution sélective

La société Coty fait valoir que dès lors que son réseau de distribution existe et est licite, la commercialisation des produits litigieux par Brandalley sur son site, est constitutive d’actes de concurrence déloyale, de parasitisme, de publicité trompeuse et d’atteinte à son image de marque.

Elle ajoute que par application de l’article L 442-6,I,6° du code de commerce, l’intimée engage sa responsabilité pour avoir violé et désorganisé le réseau de distribution sélective.

L’article L 442-6,I,6° du code de commerce dispose qu 'engage la responsabilité de son auteur et l’oblige à réparer le préjudice causé, le fait pour tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers (…) De participer directement ou indirectement à la violation de l’interdiction de revente hors réseau faite au disrtibuteur lié par un accord de distribution sélective ou exclusive exempté au titre des règles applicables au droit de la concurrence'.

Il est établi par les pièces versées aux débats par la société Coty qu’ont été commercialisés à des prix réduits sur le site www.brandalley.fr créé et édité par la société Brandalley dans le cadre de ventes dites privilèges ou privées :

— du 20 au 22 mars 2009 minuit, des parfums féminins et masculins des marques: […], F G et AB W AA,

— le 17 mai 2009, des parfums de marque […], Cerruti, Davidoff et C,

— le 2 juin 2009, des parfums de marque […],

— le 16 février 2010 des parfums de marque […], Cerruti, Davidoff et Q R,

— du 3 au 6 novembre 2011, des parfums, de marques Y, Chopard, Guess,Q R, Z!, S T, F G, AB W AA,

— le 31 janvier 2012 des parfums de marque Guess et Q R,

La société Brandalley n’avait pas la qualité de distributeur agréé et n’a pu justifier de son approvisionnement régulier, la cour ayant déjà indiqué que la pièce n°3 qu’elle verse aux débats est inopérante à cet égard.

N’ayant pas été autorisée par Coty à commercialiser les parfums que cette dernière créé et distribue via son réseau de distribution sélective dont l’existence, la licéité et l’opposabilité sont établies, elle a enfreint les dispositions de l’article précité.

En outre, la mise en vente des produits des marques concernées est constitutive de parasitisme.

Brandalley, consciente du caractère illicite de cette activité, est passée outre les contraintes pesant sur les membres du réseau de distribution sélective dont l’étanchéité était préservée par la société Coty, tout en bénéficiant, sans bourse délier, de leurs investissements et de leurs efforts entrepris pour assurer le renom de la marque.

Elle engage en conséquence sa responsabilité de ce chef.

Par ailleurs, en s’affranchissant des critères inhérents à tout réseau de distribution sélective, l’intimée n’a pas respecté l’image attachée au caractère luxueux des parfums et à leur notoriété, le site ne présentant pas les qualités et les standards habituellement utilisés pour la commercialisation de produits de luxe, créant ainsi un préjudice à l’image de prestige de la société Coty, de ses produits et de ses marques.

Certains constats d’huissiers produits par l’appelante (pièce 14 et 15) font d’ailleurs apparaître que des ventes ont été réalisées, sans aucune distinction selon le standing des produits, en même temps que des produits d’électroménager ou de vêtements pour enfants, dont l’image de marque apparaît incompatibles avec celle de la société Coty.

Il s’ensuit que cette attitude fautive engage la responsabilité de l’intimée.

Enfin, même si comme le soutient la société Brandalley, tous les parfums qu’elle commercialisait ne portaient pas la mention selon laquelle le produit ne pouvait être vendu que par les distributeurs

agréés, il résulte toutefois des pièces versées aux débats qu’en commercialisant certains produits portant cette mention alors qu’elle n’était pas membre du réseau de distribution sélective, l’intimée a usurpé la qualité de distributeur agréé de Coty France et s’est rendue coupable, de publicité trompeuse susceptible d’altérer le comportement du consommateur normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, à l’égard de ces produits.

Elle engage en conséquence sa responsabilité de ce chef.

Sur le préjudice de la société Coty et sa réparation

Le préjudice de la société Coty est caractérisé par le manque à gagner résultant de nombreuses commercialisations illicites de Brandalley, la violation de son réseau de distribution sélective et la désorganisation consécutive, le discrédit auprès de ses détaillants envers lesquels Coty a une obligation de préserver l’étanchéité de son réseau, le discrédit auprès des titulaires des marques de luxe dont Coty est le licencié, et l’atteinte à son image auprès des consommateurs.

Il s’infère nécessairement de l’ensemble des agissements de la société Brandalley un trouble commercial constitutif de préjudice.

Il convient, outre tout ce qui précède, de prendre en compte la réitération des ventes prohibées, constatées à 5 reprises et leur poursuite malgré les différentes mises en demeure adressées, de la tromperie des consommateurs, de la notoriété du site www.brandalley.fr des démarches et frais engagés par Coty pour la défense de son réseau, pour évaluer le préjudice de cette dernière à la somme de 500 000 euros.

Il n’y a pas lieu d’ordonner la publication de la présente décision compte tenu de l’ancienneté des ventes, alors par ailleurs que le préjudice en suffisamment réparé par l’allocation de dommages et intérêts.

Il n’y a pas lieu d’ordonner la communication de tous éléments comptables de Brandalley depuis 2005 afin de permettre à Coty le cas échéant de parfaire son préjudice par la suite, dès lors que la cour, en la présente instance, et pour les ventes prohibées concernées, a fixé le préjudice subi par la société Coty de ce chef.

Il n’y a pas lui d’enjoindre à Brandalley de communiquer le nom des fournisseurs auprès desquels elle s’est approvisionnée pour la vente des produits dès lors qu’au vu des pièces versées aux débats la cour a tranché le présent litige.

Il n’y a pas lieu non plus d’ordonner l’interdiction définitive de toute utilisation non autorisée des droits de propriété intellectuelle de la société Coty portant sur les marques qu’elle distribue dès lors, ainsi que la cour l’a indiqué plus haut, que le présente litige ne porte pas sur la titularité des droits ce cette dernière.

Enfin il sera enjoint à la société Brandalley de cesser de commercialiser les marques de la société Coty France.

La société Brandalley sera condamnée à payer à la société Coty France la somme de 20 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

Elle sera en outre condamnée aux dépens.

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant dans les limites de sa saisine,

INFIRME le jugement,

statuant à nouveau,

DIT que l’action de la société Coty France est recevable,

DIT n’y avoir lieu à question préjudicielle devant la Cour de justice de l’Union Européenne,

DIT n’y avoir lieu à saisine de l’Autorité de la concurrence,

DIT que le réseau de distribution sélective de la société Coty France est réel, licite et opposable notamment à la société Brandalley,

DIT en conséquence qu’en vendant:

— du 20 au 22 mars 2009 minuit, des parfums féminins et masculins des marques: […], F G et AB W AA,

— le 17 mai 2009, des parfums de marque […], Cerruti, Davidoff et C,

— le 2 juin 2009, des parfums de marque […],

— le 16 février 2010, des parfums des marques […], Cerruti, Davidoff et Q R,

— du 3 au 6 novembre 2011, des parfums, de marque Y, Chopard, Guess,Q,R, Z!, U T, F G, AB W AA,

— le 31 janvier 2012, des parfums de marque Guess et Q R,

la société Brandalley a engagé sa responsabilité vis à vis de la société Coty France,

LA CONDAMNE en conséquence à lui payer de ce chef la somme de 500 000 euros,

ENJOINT à la société Brandalley de cesser de commercialiser les marques de la société Coty France,

DÉBOUTE les parties du surplus de leurs demandes,

CONDAMNE la société Brandalley à payer à la société Coty France la somme de 20 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNE la société Brandalley aux dépens de première instance et d’appel.

Le Greffier Le Président

AC AD D E

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Cour d'appel de Paris, Pôle 5 - chambre 4, 30 août 2019, n° 18/20739