Cour d'appel de Versailles, 10 janvier 2006, n° 06/02614

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Chronologie de l’affaire

Commentaire1

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Me Jean-philippe Mariani · consultation.avocat.fr · 12 décembre 2020

La liberté d'expression des uns s'arrête là où l'honneur des autres commence. Ce délicat équilibre est régi par la loi sur la presse de 1881, pleinement applicable à la copropriété. En savoir plus : DIFFAMATION et COPROPRIÉTÉ : les liaisons DANGEREUSES - Légavox (legavox.fr) NOTES pour les lecteurs : Cet article a été publié dans une version plus approfondue aux Éditions législatives / Dictionnaire permanent.

 
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Sur la décision

Référence :
CA Versailles, 10 janv. 2006, n° 06/02614
Juridiction : Cour d'appel de Versailles
Numéro(s) : 06/02614
Décision précédente : Cour d'appel de Paris, 8 juin 2004

Texte intégral

COUR D’APPEL

DE

VERSAILLES

1re chambre – 1re section

Code nac : 64B

RENVOI DE CASSATION CIVIL

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU HUIT MARS 2007

R.G. N° 06/02614

AFFAIRE :

N-O Z

C/

B A


Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 02 Décembre 1998 par le Tribunal de Grande Instance de PARIS

N° Chambre : 1

N° Section : 1

N° RG : 12 105/98

Expéditions exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées le :

à :

SCP FIEVET

SCP GAS

MINISTERE PUBLIC

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LE HUIT MARS DEUX MILLE SEPT,

La cour d’appel de VERSAILLES, a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :

DEMANDEUR devant la cour d’appel de Versailles saisie comme cour de renvoi, en exécution d’un arrêt de la Cour de cassation (Première chambre civile) en date du 10 janvier 2006 cassant l’arrêt rendu par la cour d’appel de Paris (audience solennelle)du 9 juin 2004, suite à un arrêt de la cour de cassation du 4 novembre 2002 cassant l’arrêt de la cour d’appel de Paris 1re chambre, section B, en date du 14 janvier 2000 SUR APPEL d’un jugement en date du 2 décembre 1998 du tribunal de grande instance de PARIS , (1re chambre 1re section)

Monsieur N-O Z

né le XXX à XXX

XXX

représenté par la SCP FIEVET-LAFON Avoués – N° du dossier 260374

Rep/assistant : Me N-O GUYONNET (avocat au barreau de PARIS)

****************

DEFENDEURS DEVANT LA COUR DE RENVOI ET INTIMES

Monsieur B A

XXX

I J K

Société anonyme à directoire et conseil de surveillance inscrite au RCS de PARIS sous le numéro 325 020 998 ayant son siège 22 rue Huyghens – 75014 PARIS prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

représentés par la SCP GAS Avoués – N° du dossier 20060398

Rep/assistant : Me Christophe BIGOT (avocat au barreau de PARIS)

LA PRESENTE CAUSE A ETE COMMUNIQUEE AU MINISTERE PUBLIC

****************

Composition de la cour :

L’affaire a été débattue à l’audience publique du 11 janvier 2007, Madame Bernadette WALLON, Président, ayant été entendue en son rapport, devant la Cour composée de :

Madame Bernadette WALLON, président,

Madame Lysiane LIAUZUN, conseiller,

Madame Geneviève LAMBLING, conseiller,

a mis l’affaire en délibéré au 15 février 2007 date à laquelle, par extrait du plumitif d’audience, ordonné la réouverture des débats pour communication du dossier au Ministère Public, et reporté l’affaire à l’audience du 26 février 2007. A cette date, l’affaire a été mise en délibéré au 8 mars 2007.

Greffier, lors des débats : Madame Sylvie RENOULT

La société les I J K a publié le 26 mars 1998 un ouvrage d’B A intitulé 'la mafia des tribunaux de commerce’ mettant en cause N-O Z, administrateur judiciaire, au chapitre 9, pour des faits de corruption commis alors qu’il était administrateur au redressement judiciaire d’une société HOUSSE AVIA en se faisant remettre une somme d’argent en contrepartie d’un traitement de faveur du dossier et au chapitre 10, pour des faits de corruption et d’escroquerie commis alors qu’il était le conseil d’un candidat repreneur de l’entreprise G H en surévaluant, avec la complicité de l’administrateur désigné, le prix de cession de l’entreprise pour en tirer personnellement bénéfice.

S’estimant diffamé, N-O Z a fait assigner à jour fixe par acte du 2 juin 1998, B A et la société J K, éditrice, en réparation de son préjudice sur le fondement des articles 29, 32 et 42 de la loi du 29 juillet 1881.

Par jugement du 2 décembre 1998, confirmé par arrêt de la cour d’appel de Paris du 4 janvier 2000, le tribunal de grande instance de Paris a rejeté l’exception de nullité de l’assignation, dit que N-O Z ne peut exercer l’action civile en réparation du délit de diffamation indépendamment de l’action publique, déclaré son action devant la juridiction civile irrecevable, déclaré prescrite l’action fondée sur l’atteinte à la présomption d’innocence, rejeté la demande reconventionnelle et dit n’y avoir lieu à application de l’article 700 du nouveau code de procédure civile.

Par arrêt du 4 novembre 2002, la cour de cassation statuant en chambre mixte, a cassé l’arrêt rendu le 4 janvier 2000 en toutes ses dispositions, au motif que l’interdiction d’exercer l’action civile séparément de l’action publique, édictée par l’article 46 de la loi du 29 juillet 1881, ne concerne que la diffamation commise envers les personnes protégées par l’article 31 de la même loi et notamment les citoyens chargés d’un service public, qu’une telle qualité est reconnue à celui qui accomplit une mission d’intérêt général en exerçant des prérogatives de puissance publique, que les administrateurs judiciaires ne disposent d’aucune prérogative de puissance publique.

La cour d’appel de Paris statuant sur renvoi après cassation par arrêt du 9 juin 2004 a infirmé le jugement du 2 décembre 1998 sauf en ce qu’il a constaté la prescription de l’action fondée sur l’article 9-1 du code civil, statuant à nouveau, a déclaré nulle l’assignation introductive d’instance et déclaré irrecevable toutes autres demandes formées par N-O Z au motif que l’assignation dont la nullité est soulevée , ne comporte pas d’éléments précis et qualifiés au sens de l’article 53 de la loi du 29 juillet 1881, qu’ainsi, alors que le livre comporte 240 pages , 26 chapitres et une annexe, l’assignation se contente de dénoncer la mise en cause de l’appelant dans deux dossiers Housse Avia et G H sans préciser ni les chapitres ni les pages dont sont tirés les courts extraits au demeurant non identifiés de façon spécifique, que ni le nom de l’administrateur ni ces dossiers ne sont mentionnés dans la table des matières et qu’il faut parvenir au chapitre 9 pour pouvoir retrouver les extraits.

Sur pourvoi formé par N-O Z, la première chambre civile de la cour de cassation , par arrêt du 10 janvier 2006, a cassé et annulé en toutes ses dispositions l’arrêt rendu le 9 juin 2004 au visa de l’article 53 de la loi du 29 juillet 1881, au motif que la citation doit indiquer avec précision au prévenu le texte applicable, les faits qui lui sont reprochés afin de le mettre en mesure de préparer utilement sa défense, que pour déclarer nulle l’assignation la cour d’appel a ajouté au texte susvisé et l’a violé.

Par déclaration du 6 avril 2006, N-O Z a saisi la cour de renvoi conformément aux articles 1032 et 1033 du nouveau code de procédure civile.

Aux termes de ses dernières conclusions signifiées le 7 décembre 2006, aux quelles il est renvoyé pour plus ample exposé, N-O Z demande à la cour , au visa des articles 1382, 1383 du code civil, 29, 32 et 42 de la loi du 29 juillet 1881, de :

— infirmer le jugement déféré,

— dire et juger son action recevable devant la juridiction civile,

— dire et juger valable la rédaction de l’assignation introductive d’instance,

— constater que si le directeur de la publication n’a pas été mis en cause dans l’assignation introductive, il résulte de l’ensemble des conclusions échangées en première instance par la société J K que ce moyen n’a jamais été soulevé avant toute défense au fond rendant une éventuelle fin de non-recevoir irrecevable,

— condamner in solidum B A et les I J K à lui payer la somme de 1.202.347 euros en réparation de son préjudice financier, la somme de 450.000 euros au titre de son préjudice moral, la somme de 20.000 euros au titre du travail et des tracas de huit procédures et la somme de 30.000 euros sur le fondement de l’article 700 du nouveau code de procédure civile outre les dépens de première instance et d’appel avec droit de recouvrement direct au profit de la SCP FIEVET LAFON, avoués, conformément à l’article 699 du nouveau code de procédure civile.

Par conclusions signifiées en dernier lieu le 21 septembre 2006, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé, B A et la société J K demandent à la cour d’infirmer le jugement déféré en ce qu’il a rejeté l’exception de nullité de l’assignation et statuant à nouveau :

Au visa des articles 53 de la loi du 29 juillet 1881 et 6-1 de la convention Européenne de sauvegarde des droits de l’homme,

— annuler l’acte introductif d’instance délivré à la requête N-O Z

Au visa des articles 42 et 44 de la loi susvisée,

— dire et juger que N-O Z est irrecevable à agir à l’encontre des I J K,

Au visa de l’article 65-1 de la loi susvisée,

— dire et juger prescrite l’action sur l’article 9-1 du code civil,

A titre subsidiaire , sur le fond,

— débouter N-O Z de ses demandes,

— condamner N-O Z à leur payer la somme de 8.000 euros sur le fondement de l’article 700 du nouveau code de procédure civile,

— condamner N-O Z aux dépens qui seront recouvrés par la SCP GAS conformément aux dispositions de l’article 699 du nouveau code de procédure civile.

Le dossier a été communiqué au Ministère Public.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 7 décembre 2006.

SUR CE

SUR L’EXCEPTION DE NULLITÉ DE L’ASSIGNATION

Devant la juridiction de renvoi, l’instruction est reprise en l’état de la procédure non atteinte par la cassation. Dès lors que l’appel n’a pas été limité , la cour est saisie de l’entier litige ; aucune autorité de la chose jugée ne peut être attachée au jugement entrepris . L’exception de nullité présentée en première instance, étant reprise devant la cour , il doit être statué sur ce chef de demande.

L’article 53 de la loi du 29 juillet 1881, applicable à l’action civile introduite devant la juridiction civile, soumet l’assignation, comme la citation devant la juridiction pénale, aux conditions de forme suivantes, imposées à peine de nullité : 'la citation précisera et qualifiera le fait incriminé ; elle indiquera le texte de loi applicable à la poursuite'.

L’exception de nullité d’un acte de procédure doit être soulevé in limine litis avant toute défense au fond. Tel est bien la cas en l’espèce puisque devant le tribunal de grande instance de Paris, B A et la société J K ont soulevé la nullité de l’assignation sur le fondement de l’article 53 susvisé. Le tribunal a rejeté cette exception considérant que le demandeur énonçait clairement avoir été victime de diffamation par les propos tenus à son sujet dans deux dossiers évoqués par l’auteur et n’avait commis aucune erreur de qualification. Cette exception de procédure est recevable.

L’acte introductif d’instance indique que N-O Z considère avoir été victime d’une atteinte à l’honneur et à la considération dans deux dossiers évoqués dans le livre 'la mafia des tribunaux de commerce'. Il est mis en cause dans le dossier HOUSSE AVIA en sa qualité d’administrateur judiciaire de cette société, Maître X, avocat de cette société, ayant demandé à ses clients 500.000 F. (76.224,51€) à son profit afin que le redressement soit porté à un an, somme réglée à hauteur de la moitié pour prolongation de la période d’observation et traitement de faveur de la procédure collective et dans le dossier G H pour avoir en sa qualité de conseil d’un repreneur suisse, monsieur Y, écarté les offres concurrentes sérieuses et surévalué, dans des conditions frauduleuses, le prix de cession.

L’acte se réfère à la page 111 du livre relative à l’affaire de la société HOUSSE AVIA ce qui permet de trouver aisément les quelques pages du livre se rapportant aux deux affaires incriminées puisqu’elles font l’objet respectivement des chapitres 9 à compter de la page 110 et 10 à compter de la page 114. La mise en cause de N-O Z ne figure que dans ces quelques pages.

Quant aux faits que N-O Z considère comme diffamatoires, ils sont clairement et suffisamment énoncés dans l’acte introductif pour permettre à B A et la société J K de préparer leur défense. L’article 53 de la loi du 29 juillet 1881 n’exige pas la reproduction intégrale des textes diffamatoires mais seulement la précision des passages litigieux. Il n’existe en l’espèce aucune ambiguïté sur les textes visés.

Le jugement déféré sera confirmé en ce qu’il a rejeté l’exception de nullité de l’assignation.

SUR LA RECEVABILITÉ DE L’ACTION INTENTÉE À L’ENCONTRE DE LA SOCIÉTÉ I J K

La société J K soulève l’irrecevabilité de l’action à son encontre sur le fondement de l’article 42 de la loi du 29 juillet 1881au motif que seul l’éditeur, personne physique ou représentant moral de la société éditrice, peut voir sa responsabilité engagée à titre d’auteur principal.

S’agissant d’une fin de non recevoir pour défaut du droit d’agir selon l’article 122 du nouveau code de procédure civile et non d’une exception de procédure tendant à faire déclarer la procédure irrégulière ou éteinte, elle peut être proposée en tout état de cause et pour la première fois en cause d’appel conformément à l’article123 du nouveau code de procédure civile.

L’article 42 susvisé, applicable aux actions engagées devant les juridictions civiles, énumère les responsables possibles et institue une responsabilité en cascade pour déterminer l’auteur d’un délit de presse. La responsabilité pèse sur le directeur de publication ou l’éditeur, les codirecteurs de la publication, à défaut sur les auteurs, les imprimeurs, à défaut des imprimeurs, sur les vendeurs, les distributeurs, les afficheurs.

La responsabilité de la société éditrice, personne morale, qui ne fait pas partie des personnes mentionnées audit article , ne peut être recherchée qu’en qualité de civilement responsable, et non en qualité d’auteur ou de complice.

Dans la mesure où le directeur de publication n’a pas été mis en cause , elle ne peut être déclarée responsable des condamnations pécuniaires prononcées contre lui.

Elle ne saurait non plus être civilement responsable de l’auteur de l’ouvrage qui n’est pas un salarié mais un co-contractant dans le cadre d’un contrat d’auteur et ne peut être considéré comme un préposé de la société J K au sens des dispositions de l’article 44 de la loi du 29 juillet 1881.

Ainsi , la société J K ne fait pas partie des personnes responsables à titre principal d’un délit de presse et elle ne peut être recherchée en qualité de civilement responsable. L’action dirigée à son encontre est irrecevable.

SUR L’EXISTENCE DE PROPOS DIFFAMATOIRES

Les passages du chapitre 9 de l’ouvrage d’B A poursuivis comme diffamatoires imputent à N-O Z d’avoir, en sa qualité mandataire judiciaire, accepté avec d’autres le principe du versement d’une somme fixée initialement à 500.000 F. (76.224,51 € ) sous forme d’enveloppe de la part de la société HOUSSE AVIA pour la faire bénéficier d’un traitement de faveur et notamment obtenir la prolongation de la période d’observation.

Le titre du chapitre est ainsi rédigé : 'Bagneux: il évite la gueule du loup mais tombe dans le panneau.'.

Il est ensuite indiqué 'qu’en France il est important d’avoir un syndic dans la poche', que le dirigeant d’HOUSSE AVIA 'reçoit de son avocat une chose à laquelle il ne s’attendait pas; trois fois rien, juste le numéro de téléphone de maître Z sur son lieu de vacances; à ne déranger que pour le prévenir du versement de la somme, que les néerlandais veulent bien payer pour reprendre les actifs de la société HOUSSE AVIA mais ne sont pas d’accord pour arroser l’administrateur comme leur demande l’avocat', que le dirigeant de la société HOUSSE AVIA 'décide de se priver des services de l’avocat récolteur de fonds qui, en retour, aura reçu près de 120.000 F. (18.293,88 €) présentés comme des honoraires mais réglés par l’administrateur judiciaire probablement en guise de remerciements’ .

Dans le chapitre 10, intitulé 'Colmar: l’entourloupe bien montée', relatif à l’affaire dans laquelle l’appelant était le conseil de monsieur Y repreneur éventuel des actifs de la société G H, l’auteur emploie les expressions 'entourloupe bien montée', 'le prix de cession est organisé dans des conditions qui relèvent dès le départ de l’arnaque envers le repreneur', 'son compère maître N-O Z', 'la tournée alsacienne du mandataire -conseil est couronnée de succès', 'cela fait partie du deal passé entre Maître Z et l’administrateur judiciaire de Colmar', 'Maître Z parait donc avoir bien manoeuvré; tout a été savamment organisé pour accréditer l’idée que sa proposition constitue la meilleure offre de reprise ', 'encaisser de C Y 1.200.000 F. (182.938,82 €) presque entièrement réglés en Suisse bien évidemment', 'le repreneur suisse comprendra qu’il a été escroqué par le mandataire-conseil lequel a corrompu l’administrateur judiciaire', 'un libellé de prestations bidons'.

La diffamation suppose l’allégation ou l’imputation d’un fait précis, susceptible d’être prouvé, de nature à porter atteinte à l’honneur ou à la considération d’une personne déterminée, expressément nommée ou dont l’identité est possible ; l’imputation peut être présentée sous forme déguisée ou dubitative ou par voie d’insinuation.

Les propos ne doivent pas être pris isolément mais interprétés les uns par rapport aux autres et replacés dans leur contexte. La diffamation peut être établie à partir des éléments intrinsèques et des éléments extrinsèques.

Par son ouvrage, 'La mafia des tribunaux de commerce * un tour de France de la corruption…' l’auteur veut révélé au public les 'magouilles’ au sein des tribunaux de commerce et la malhonnêteté avérée de trop nombreux magistrats consulaires et mandataires de justice '. Les reproches contenus dans les chapitres 9 et 10 qui mettent en cause directement et avec suffisamment de précision la manière dont N-O Z exerce ses fonctions de mandataire judiciaire sont particulièrement graves au regard des obligations et devoirs de sa profession, s’agissant d’un auxiliaire de justice auquel les juridictions consulaires confient des missions . Ils portent incontestablement atteinte à son honneur et à sa considération. Il s’agit là d’expressions diffamatoires.

SUR LA VÉRITÉ DES FAITS DIFFAMATOIRES

Conformément à l’article 55 de la loi du 29 juillet 1881, la société J K et B A ont fait délivrer une offre de preuve de la vérité des faits dans le délai requis.

Pour produire son effet absolutoire, la preuve doit être parfaite , complète et corrélative aux imputations formulées tant dans leur matérialité que dans leur portée.

Pour justifier la réalité des faits allégués, B A fait valoir qu’il a travaillé à partir du réquisitoire définitif de monsieur le Procureur de la République près le tribunal de grande instance de Nanterre et du jugement rendu par le tribunal correctionnel de Nanterre le 26 février 1997, et s’est appuyé sur les témoignages recueillis au cours de l’enquête pénale.

Ainsi, il ressort du réquisitoire définitif que N-O Z a été poursuivi d’une part pour avoir 'à Bagneux, Paris La Défense … sollicité ou agréé des offres, des promesses, des dons, des présents ou des avantages quelconques en l’espèce une somme d’argent de 200.000 F. (30.489,8 €) réclamée à L M représentant la société HOUSSE AVIA … soit pour accomplir un acte de sa fonction ou de sa mission, soit pour abuser de son influence réelle ou supposée en vue de faire obtenir d’une autorité ou d’une administration publique une décision favorable, d’autre part pour avoir à Colmar… proposé à D E, administrateur judiciaire, … une somme d’argent d’un montant de 200.000 F. (30.489,8 €) à 400.000 F. (60.979,61 €) pour obtenir de la personne chargée d’une mission de service public soit qu’elle accomplisse ou s’abstienne d’accomplir un acte de sa fonction ou de sa mission … soit qu’elle abuse de son influence réelle ou supposée en vue d’obtenir d’une autorité ou d’une administration publique une décision favorable'. Il était également poursuivi pour des faits d’escroquerie commis au préjudice de C Y consistant en la remise à la victime d’écrits lui permettant de fixer lui-même ses honoraires, par la rédaction d’une offre de reprise comportant des mentions erronées et contraires à l’intérêt de la victime notamment quant à la garantie et quant au montant des offres relatives aux immeubles et aux stocks, montant supérieur aux valeurs comptables, par l’intervention de tiers dont les dires et les échanges téléphoniques ont amené la victime à accepter le prix de reprise.

Le tribunal correctionnel de Nanterre, par jugement du 26 février 1997, a relaxé N-O Z du chef de corruption passive dans le cadre du redressement judiciaire de la société HOUSSE AVIA, a déclaré N-O Z coupable des délits de complicité de faux et d’usage de faux, d’escroquerie et de corruption active dans le cadre de la procédure collective de la société G H.

La cour d’appel de Versailles, par arrêt du 19 mars 1998, a notamment confirmé le jugement déféré en ce qu’il a renvoyé N-O Z des fins de la poursuite de corruption passive relativement au déroulement de la procédure collective de la société HOUSSE AVIA et l’a condamné du chef d’escroquerie au préjudice de C Y, l’a infirmé pour le surplus, relaxant le prévenu pour les chefs de corruption active lors de la procédure collective de la société G H. La Cour de Cassation a cassé cet arrêt en toutes ses dispositions pénales et civiles concernant N-O Z, l’action publique pour les faits d’escroquerie étant éteinte par prescription.

Aucune infraction pénale n’a finalement été retenue à l’encontre de N-O Z. La cour d’appel a relevé, comme le tribunal, que l’existence d’un pacte de corruption qui aurait déterminé la remise de fonds par L M à Maître X en vue de sa transmission à N-O Z n’était pas démontrée même si l’attitude du prévenu qui, bien que précédemment alerté par une proposition suspecte de F X puis informé des allégations de L M, n’avait pas estimé utile de s’enquérir du bien fondé des propos de ce dernier , pouvait étonner . Elle a également considéré que la preuve des faits de corruption active reprochée à N-O Z en sa qualité de conseil de C Y n’était pas rapportée dans la mesure où la réalité d’une rémunération occulte de D E en exécution du pacte de corruption préalablement établi entre les intéressés n’était pas démontrée et où la prétendue surévaluation des actifs de l’entreprise pour inciter C Y à fixer un prix permettant d’emporter la décision du tribunal n’était pas démontrée, la résolution du plan de cession ayant pour cause principale l’incapacité du repreneur à obtenir le financement qu’il espérait.

Dès lors , B A ne rapporte pas la preuve complète et absolue de la vérité des allégations poursuivies.

SUR LA BONNE FOI DU DÉFENDEUR

La bonne foi, qui s’apprécie en la personne de l’auteur des écrits , doit répondre à la réunion de quatre critères : la légitimité du but poursuivi, l’absence d’animosité personnelle, l 'existence d’une enquête sérieuse et la prudence ou la mesure dans l’expression.

Cette bonne foi doit s’apprécier au regard de la nature de l’ouvrage qui se veut critique et vise à dénoncer des pratiques condamnables dans le fonctionnement de la justice commerciale.

L’ouvrage montre des pratiques de certains tribunaux de commerce et de certains mandataires judiciaires et suggère une réforme de la juridiction commerciale pour mettre fin aux errements qui ont effectivement été constatés quelques mois plus tard notamment par l’inspection générale des services judiciaires et l’inspection générale des Finances ainsi que par la commission d’enquête parlementaire spécialement constituée par l’Assemblée Nationale.

L’information du public sur les dérives de cette institution était légitime, l’impartialité des juridictions commerciales étant contestée régulièrement et des excès tarifaires des greffiers et des mandataires de justice ayant été révélés à plusieurs reprises publiquement ce que le rapport d’enquête sur l’organisation et le fonctionnement des tribunaux de commerce et le rapport de la Commission parlementaire ont confirmé au cours de l’été 1998. Il ne peut être reproché à l’auteur d’avoir conçu son ouvrage en relatant par chapitre les différentes affaires dans lesquelles des dysfonctionnements importants lui semblaient être intervenus afin d’illustrer sa démonstration.

Aucune animosité personnelle d’B A à l’encontre de N-O Z n’apparaît à la lecture de l’ouvrage. L’auteur a dénoncé des faits qui lui paraissaient établis en citant des cas concrets. N-O Z a été mis en cause comme d’autres mandataires judiciaires sans qu’aucune attaque personnelle ne soit constatée.

En revanche , B A ne s’est pas livré à une enquête sérieuse lors de la rédaction de son ouvrage. En effet, en ce qui concerne N-O Z, il s’est contenté du réquisitoire définitif du parquet de Nanterre et des témoignages à charge recueillis durant l’instruction pour considérer comme acquis les faits reprochés au prévenu . Il n’a pas pris contact avec l’intéressé qui aurait pu lui apporter sa version des faits et lui fournir des explications complémentaires de nature à apporter une réponse au moins partielle aux réquisitions du parquet. Il n’a effectué aucune vérification personnelle.

En outre, il a fait preuve d’une grande imprudence en présentant N-O Z comme coupable de corruption active et passive dans deux affaires concernant les sociétés HOUSSE AVIA et G H alors que le tribunal correctionnel de Nanterre par jugement de février 1997, soit plus d’un an avant la parution de l’ouvrage, avait relaxé N-O Z pour les faits relatifs à la première affaire et que la condamnation prononcée pour la seconde affaire n’était pas définitive ce qu’il n’ignorait pas . Critiquant la décision judiciaire de première instance, il écrivait 'la satisfaction de ces deux là ( dont N-O Z) sera de courte durée', le parquet ayant fait appel à l’encontre des trois prévenus, laissant ainsi entendre qu’une condamnation serait vraisemblablement prononcée en cause d’appel.

Sans attendre la décision imminente de la cour d’appel, alors que les débats avaient eu lieu le 22 janvier 1998 et que l’avocat général avait requis la confirmation de la relaxe pour l’affaire HOUSSE AVIA, B A et son éditeur ont choisi de faire paraître le livre prenant ainsi le risque de mettre en cause un mandataire judiciaire non définitivement condamné.

Contrairement à ce que l’auteur soutient, dans l’édition ultérieure, l’ouvrage n’a pas été complètement mis à jour en incluant la décision de la cour d’appel rendue le 19 mars 1998. Le chapitre 9 n’a pas été modifié et s’achève sur l’indication que le parquet a interjeté appel de la décision de relaxe. L’auteur a rectifié le chapitre 10 en mentionnant la décision de la cour d’appel de Versailles mais n’a pas clairement indiqué que la relaxe de maître Z était confirmée dans l’affaire HOUSSE AVIA ni que le jugement déféré était infirmé en ce qu’il avait retenu la culpabilité de maître Z pour les faits de corruption active dans l’affaire G H, préférant mettre l’accent sur la condamnation de ce dernier pour le délit d’escroquerie au préjudice de C Y et concluant 'qu’au total sur les deux affaires, ceux qui ont vu leur peine entièrement ou partiellement confirmée , en l’occurrence maître Z et maître X, ont décidé de se pourvoir en cassation'.

Compte tenu de ces éléments, la bonne foi d’B A ne peut être retenue.

SUR L’ATTEINTE À LA PRÉSOMPTION D’INNOCENCE

Par conclusions du 21 octobre 1998, N-O Z a donné un nouveau fondement à ses demandes se plaignant d’une atteinte à la présomption d’innocence reconnue par les articles 9-1 du code civil et 6 de la convention européenne des droits de l’homme.

Aux termes de l’article 65-1 de la loi sur la presse , les actions fondées sur une atteinte à la présomption d’innocence se prescrivent après trois mois révolus à compter de la publication.

L’assignation qui vise uniquement la diffamation, et les conclusions interruptives du 16 juillet et 18 septembre 1998, qui se référent à la poursuite engagée par l’acte introductif, n’ont pu avoir pour effet d’interrompre la prescription de l’action fondée sur l’atteinte à la présomption d’innocence, laquelle est invoquée pour la première fois dans les conclusions du 21 octobre 1998. A cette date la prescription édictée par l’article 65-1 se trouvait acquise.

L’ouvrage incriminé n’a fait l’objet que de deux I successives en mars et avril 1998; les conclusions du 21 octobre 1998, invoquant l’atteinte à la présomption d’innocence , n’ont jamais visé ni cette nouvelle édition ni même des réimpressions ultérieures, se bornant à faire référence aux seuls écrits publiés en mars 1998 dont l’assignation a précisé la nature et la qualification.

Le délai de prescription de trois mois n’a donc pas été interrompu et s’est trouvé acquis en octobre 1998. N-O Z est irrecevable à agir sur ce fondement . Le jugement déféré sera confirmé de ce chef.

SUR LE PRÉJUDICE SUBI

N-O Z invoque un préjudice professionnel résultant de la perte d’une chance de créer une activité nouvelle de conseil en entreprise , un préjudice matériel pour le travail et les tracas des procédures, un préjudice moral.

Pour justifier de la réalité de sa décision d’entreprendre, après avoir été définitivement relaxé des différentes poursuites pénales, une nouvelle activité de conseil en entreprise, N-O Z ne verse aucune pièce aux débats, se contentant de faire état de ses nombreuses démarches auprès de professionnels du droit.

Lorsque la Cour de cassation a statué sur le pourvoi le 30 juin 1999, N-O Z était âgé de 68 ans . Depuis au moins le mois de février 1997, il se présentait comme retraité (jugement du tribunal correctionnel et arrêt de la cour d’appel).

Faute pour N-O Z de justifier qu’il avait pris toutes les dispositions pour commencer une nouvelle activité professionnelle alors qu’il avait dépassé l’âge de la retraite, et que la parution du livre litigieux l’a empêché de mettre en oeuvre son projet déjà bien élaboré, lui faisant ainsi perdre une chance d’obtenir des gains de cette activité, ce chef de préjudice qui n’est pas certain ne peut être retenu.

Le travail, les frais et honoraires engendrés par les procédures introduites pour obtenir réparation du préjudice causé seront indemnisés par l’octroi d’une somme au titre de l’article 700 du nouveau code de procédure civile. Il n’existe pas de préjudice matériel.

N-O Z a subi un préjudice moral certain. Alors qu’il pensait être définitivement mis hors de cause en ce qui concerne les faits qualifiés de corruption, la parution de l’ouvrage de monsieur A, qui a eu un retentissement important, a fait ressurgir ses craintes et l’a, de nouveau, mis sur le devant de la scène. De nombreux articles de presse ont alors rendu compte du contenu de cet ouvrage, donnant ainsi une nouvelle publicité aux faits qui lui avaient été reprochés à tort.

Compte tenu de la gravité des atteintes portées à son encontre, le préjudice moral subi par N-O Z sera réparé par l’allocation de la somme de 10.000 euros.

PAR CES MOTIFS

LA COUR, statuant en audience publique, contradictoirement, en dernier ressort,

CONFIRME le jugement déféré en ce qu’il a rejeté l’exception de nullité de l’assignation et déclaré prescrite l’action fondée sur l’atteinte à la présomption d’innocence,

L’INFIRME pour le surplus,

STATUANT À NOUVEAU,

DÉCLARE irrecevable l’action introduite par N-O Z à l’encontre de la société J K,

DIT la diffamation constituée,

CONDAMNE B A à payer à N-O Z la somme de 10.000 euros à titre de dommages-intérêts,

CONDAMNE B A à payer à N-O Z la somme de 3.000 euros sur le fondement de l’article 700 du nouveau code de procédure civile,

CONDAMNE B A aux dépens de première instance et d’appel avec droit de recouvrement direct au profit de la SCP FIEVET LAFON, avoués, conformément à l’article 699 du nouveau code de procédure civile.

— prononcé par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du nouveau code de procédure civile.

— signé par Madame Bernadette WALLON, président et par Madame RENOULT, greffier, auquel le magistrat signataire a rendu la minute.

Le GREFFIER, Le PRESIDENT,

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Cour d'appel de Versailles, 10 janvier 2006, n° 06/02614