Cour d'appel de Versailles, 12e chambre, 17 décembre 2020, n° 19/03831
Chronologie de l’affaire
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Sur la décision
Référence : | CA Versailles, 12e ch., 17 déc. 2020, n° 19/03831 |
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Juridiction : | Cour d'appel de Versailles |
Numéro(s) : | 19/03831 |
Décision précédente : | Tribunal de commerce de Nanterre, 10 avril 2019, N° 2017F00831 |
Dispositif : | Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours |
Sur les parties
- Président : François THOMAS, président
- Avocat(s) :
- Cabinet(s) :
- Parties : Société SCHENKER FRANCE c/ Société ATIENZA & GOMEZ LOGISTICS SL
Texte intégral
COUR D’APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 55Z
12e chambre
ARRET N°
CONTRADICTOIRE
DU 17 DECEMBRE 2020
N° RG 19/03831 – N° Portalis DBV3-V-B7D-THFT
AFFAIRE :
SAS SCHENKER FRANCE venant aux droits des sociétés SCHENKER-JOYAU et SCHENKER
C/
Société ATIENZA & GOMEZ LOGISTICS SL
Décision déférée à la cour : Jugement rendu(e) le 11 Avril 2019 par le Tribunal de Commerce de NANTERRE
N° Chambre :
N° Section :
N° RG : 2017F00831
Expéditions exécutoires
Expéditions
Copies
délivrées le :
à :
Me Martine DUPUIS
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE DIX SEPT DECEMBRE DEUX MILLE VINGT,
La cour d’appel de Versailles, a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :
SAS SCHENKER FRANCE venant aux droits des sociétés SCHENKER-JOYAU et SCHENKER
[…]
[…]
[…]
Représentant : Me Martine DUPUIS de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 625 – N° du dossier 1961812
Représentant : Me Stéphane MIGNE, Plaidant, avocat au barreau de LA ROCHE SUR YON substituée par Me GAUVRY
APPELANTE
****************
Société ATIENZA & GOMEZ LOGISTICS SL
[…]
[…]
Représentant : Me Véronique BUQUET-ROUSSEL de la SCP BUQUET-ROUSSEL-DE CARFORT, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 462 – N° du dossier 12319 – Représentant : Me Caroline COURBRON TCHOULEV, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : E0827
INTIMEE
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 29 Octobre 2020 les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Monsieur Bruno NUT, Conseiller chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Monsieur François THOMAS, Président,
Mme Véronique MULLER, Conseiller,
Monsieur Bruno NUT, Conseiller,
Greffier, lors des débats : Monsieur Alexandre GAVACHE,
EXPOSE DU LITIGE
La société Schenker France (anciennement dénommée Schenker-Joyau, et ci-après la société Schenker) a son
siège social à (85600) Montaigu et a pour activité la commission de transport et les transports publics routiers
de marchandises.
La société de droit espagnol Atienza & Gomez Logistics exploitant sous le nom commercial Atgom Logistics
(ci-après la société Atgom) a pour activité le transport national et international de marchandises par route et le
transport de conteneurs maritimes et aériens.
La société Duflot Industrie a émis le 17 novembre 2011 un 'contrat transporteur n°761" pour une commande à
la société Schenker, d’un transport de 28 palettes de 'non tissé technique’ par camion complet pour chargement
le 22 novembre 2011 et livraison au destinataire, la société Rieter Saifa Sau à Valldoreix en Espagne, le 23
novembre 2011.
La société Schenker a émis un 'ordre de transport’ à destination d’Atgom lui demandant de prendre en charge
le transport en lui précisant que l’enlèvement de la marchandise s’effectuerait dans les locaux de la société
Duflot le 22 ou le 23 novembre 2011 et la livraison 'le 25/11 au plus tard'. Cet ordre de transport stipule
notamment que 'le sous-affrètement est formellement interdit, sauf cas exceptionnel après accord avec
Schenker confirmé par écrit'. Par courriel de la société Schenker, sur demande du client, le transport a été
'décalé’ au 23 novembre 2011, date d’enlèvement.
Une lettre de voiture internationale CMR a été établie le 23 novembre 2011. Elle porte mention de
l’expéditeur, la société Duflot, du destinataire, la société Rieter Saifa, du lieu de chargement situé à
Beauvois-en-Cambresis le 23 novembre 2011 et du transporteur, la société Stoptrans, de la nature de la
marchandise et du poids de 6 440 kg.
Par lettre du 28 novembre 2011 à la société Atgom, la société Schenker, rappelant le transport à elle confié le
23 novembre dernier, a fait état de ce que, sur information reçue de son client la société Duflot, 'la livraison
n’est pas effectuée car le livreur que vous avez sous-affrété n’a pas été payé d’une prestation qui ne nous
concerne pas'. Dans cette même lettre, la société Schenker demande une livraison 'ce jour'.
Par lettre du 29 novembre 2011 à la société Atgom, la société Schenker rappelant le chargement le 23
novembre pour livraison qui 'devait se faire le 25 novembre au plus tard', a réitéré sa demande de 'trouver une
solution auprès de votre sous-traitant et de tout mettre en 'uvre pour que le destinataire soit livré ce jour faute
de quoi tous les frais d’arrêt de chaîne et de personnel vous seront répercutés'.
La société Schenker a adressé deux nouvelles relances à la société Atgom le 30 novembre 2011.
Par lettre du 2 décembre 2011, le conseil de la société Schenker a mis en demeure la société Atgom de 'livrer
la marchandise au destinataire ce jour'.
Plusieurs lettres recommandées avec accusés de réception ont été adressées par la suite par la société Schenker
à la société Atgom, incluant la copie de deux factures émises par la société Duflot au titre de la marchandise
perdue et d’un avoir.
La société Schenker a obtenu de la société Duflot une quittance subrogative datée du 2 juillet 2012 attestant
du paiement à cette dernière société de la somme de 27 810,22 euros pour le 'sinistre Riefer Saifa'.
Par acte d’huissier du 21 septembre 2012, la société Schenker a assigné la société Atgom en référé devant
le tribunal de commerce de Douai, demandant la condamnation de celle-ci à lui payer la somme de 27 810.22
euros en principal. Par acte du même jour, la société Atgom a appelé en garantie les sociétés de droit portugais
Stoptrans et Mare Feliz.
Par ordonnance de référé du 3 juin 2013, le président du tribunal de commerce de Douai, s’est déclaré
compétent et a dit 'n’y avoir lieu à référé.'
Par arrêt du 10 septembre 2015, la cour d’appel de Douai a infirmé l’ordonnance de référé dont il a été formé
appel sauf en ce qu’elle a écarté l’exception de nullité de l’assignation introductive d’instance et a déclaré le
tribunal de commerce de Douai incompétent au profit du tribunal de commerce de Nanterre.
Saisi après renvoi de la cour d’appel de Douai, le président du tribunal de commerce de Nanterre a dit 'n’y
avoir lieu à référé’ par ordonnance du 16 décembre 2016.
Par acte extrajudiciaire du 21 mars 2017, la société Schenker France a assigné la société de droit espagnol
Atienza & Gomez logistics devant le tribunal de commerce de Nanterre aux fins d’obtenir paiement de
dommages et intérêts et indemnités dus au titre des manquements à ses obligations contractuelles et à son
obligation de loyauté.
Par jugement du 11 avril 2019, le tribunal de commerce de Nanterre a :
— dit la société Schenker France irrecevable en ses demandes comme prescrites,
— condamné la Société Schenker France à payer à la société de droit Espagnol Atienza & Gomez Logistics la
somme de 1 500 euros au titre de l’application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
— condamné la société Schenker France aux dépens.
Par déclaration du 24 mai 2019, la société Schenker France a interjeté appel du jugement.
PRÉTENTIONS DES PARTIES
Par dernières conclusions notifiées le 20 février 2020, la société Schenker France demande à la cour de :
— Réformer le jugement entrepris en l’ensemble de ses dispositions et statuant à nouveau,
— Dire que la société Atgom Logistics a manqué à ses obligations contractuelles substantielles et dès lors :
— Condamner la société Atgom Logistics à payer à la société Schenker France la somme de 27.810,22 euros,
au titre de l’indemnité pour perte totale de la marchandise confiée, assortie des intérêts au taux légal de 5% de
l’an à compter du jour de la réclamation écrite de Schenker France, soit le 4 janvier 2012, et en tout état de
cause à compter de la réclamation en justice ;
— Ordonner la capitalisation des intérêts échus conformément aux dispositions de l’article 1154 du code civil ;
— Condamner la Société Atgom Logistics à payer à la société Schenker France la somme de 10.000 euros au
titre de dommages et intérêts dus au titre du refus délibéré d’exécuter son obligation contractuelle ;
— Condamner la société Atgom Logistics à payer à la société Schenker France la somme de 5.000 euros au titre
des dommages et intérêt en raison de son manquement à son obligation de loyauté ;
— Condamner la société Atgom Logistics à payer la somme de 10.000 euros en application de l’article 700 du
code de procédure civile ;
— Condamner la société Atgom Logistics aux entiers dépens d’instance et d’appel ;
Par dernières conclusions notifiées le 7 octobre 2020, Atienza & Gomez Logistics Sl demande à la cour de :
— Recevoir la société Atienza & Gomez Logistics Sl en son appel incident,
— Réformer le jugement du 21 avril 2019 en ce que la Convention de Genève du 19 mai 1956 dite «
Convention CMR » a été jugée applicable aux relations entre les sociétés Atienza & Gomez Logistics Sl, et
Et, statuant à nouveau sur ce point,
— Dire et juger que la Société Atienza & Gomez Logistics n’est pas transporteur,
— Dire et juger que les relations entre les Sociétés Atienza & Gomez Logistics Sl et Schenker France sont
régies par le droit espagnol,
— Confirmer le jugement du 21 avril 2019 en ce que les demandes formées par la société Schenker France ont
été déclarées irrecevables pour cause de prescription,
— Confirmer le jugement du 21 avril 2019 en ce que la société Schenker France a été condamnée à payer la
somme de 1.500 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
— Confirmer le jugement du 21 avril 2019 en ce que la société Schenker France a été condamnée à supporter
les entiers dépens.
Subsidiairement,
Vu l’article 32 du code de procédure civile,
— Dire et juger la société Schenker irrecevable en ses demandes, pour défaut de qualité et d’intérêt à agir,
Plus subsidiairement,
— Dire et juger que la société Schenker France ne justifie pas de ce qu’un commissionnaire espagnol serait tenu
d’une obligation de résultat ou serait garant du fait de ses substitués,
— Dire et juger que la Société Atienza & Gomez Logistics Sl n’a commis aucune faute personnelle,
— Dire et juger que la société Schenker France est d’autant plus mal fondée à rechercher la responsabilité de la
société Atienza & Gomez Logistics Sl, qu’elle a, elle-même commis une faute personnelle ayant contribué à la
survenance du préjudice,
En conséquence,
— Mettre hors de cause la société Atienza & Gomez Logistics Sl,
— Débouter la société Schenker France de l’intégralité de ses demandes.
A titre infiniment subsidiaire,
— Dire et juger que la société Atienza & Gomez Logistics SL n’a commis aucune faute inexcusable,
— Débouter la société Schenker France de sa demande de paiement de la TVA ;
— Limiter le montant de la réclamation de la société Schenker France à la somme de 18.196,40 € H.T.
— Dire et juger que le taux d’intérêt applicable à une éventuelle condamnation sera le taux d’intérêt légal et non
le taux de 5% prévu par la Convention CMR,
— Fixer le point de départ des dits intérêts à la date de l’arrêt à intervenir,
— Débouter la société Schenker France du surplus de ses demandes,
— Débouter la société Schenker France de sa demande de paiement de la TVA ;
— Débouter la Société Schenker France de sa demande de paiement de la somme de 5.056,30 € H.T. (soit
6.047,33 € T.T.C.), pour absence de fondement ;
— Débouter la société Schenker France de sa demande de paiement de 10.000 € de dommages-intérêts au titre
du prétendu refus délibéré d’exécution de l’obligation contractuelle, irrecevable pour cause de prescription et
subsidiairement dépourvue de fondement,
— Débouter la société Schenker France de sa demande de paiement de 5.000 € de dommages-intérêts au titre
du prétendu manquement à l’obligation de loyauté, irrecevable pour cause de prescription et subsidiairement
dépourvue de fondement,
En tout état de cause :
— Condamner la société Schenker France à payer à la société Atienza & Gomez Logistics la somme de 12.000
€ au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
— Condamner la société Schenker France à supporter les entiers dépens, de première instance et d’appel qui
seront recouvrés par Maître Buquet-Roussel, avocat, conformément aux dispositions de l’article 699 du code
de procédure civile.
L’ordonnance de clôture a été rendue le 8 octobre 2020.
Sur ce, la cour,
Sur la procédure
La recevabilité de l’appel n’est pas contestée et l’examen des pièces de la procédure ne révèle l’existence
d’aucune fin de non-recevoir susceptible d’être relevée d’office.
L’article 901 du code de procédure civile dispose que la déclaration d’appel est faite par acte contenant
notamment, outre les mentions prescrites par l’article 57 (dans sa version en vigueur au 1er janvier 2020), et à
peine de nullité, les chefs du jugement expressément critiqués auxquels l’appel est limité, sauf si l’appel tend à
l’annulation du jugement ou si l’objet du litige est indivisible.
Il ressort de l’article 562 alinéa 1er du code de procédure civile, dans sa rédaction issue du décret n° 2017-891
du 6 mai 2017, que l’appel défère à la cour la connaissance des chefs de jugement qu’il critique expressément
et de ceux qui en dépendent.
Il est rappelé qu’en application de l’article 954 alinéas 3 et 4 du code de procédure civile la cour ne statue,
dans la limite de l’effet dévolutif de l’appel, que sur les prétentions énoncées au dispositif des dernières
conclusions des parties et n’examine les moyens au soutien de ces prétentions que s’ils sont invoqués dans la
discussion, étant précisé qu’en application de l’article 4 du code de procédure civile, l’objet du litige est
déterminé par les prétentions respectives des parties.
Pour un exposé plus détaillé des moyens et prétentions des parties, la cour renvoie à leurs écritures
conformément à l’article 455 du code de procédure civile.
Sur le fond
Sur le droit applicable
La société Atgom conteste sa qualité de transporteur. Elle revendique la qualité de commissionnaire de
transport, dit ne pas relever de la convention CMR et demande l’application du droit espagnol.
La société Schenker répond que la société Atgom qui n’a émis aucune réserve à la suite de la réception de
'l’ordre de transport’ et qui n’a pas organisé le transport n’a pas la qualité de commissionnaire mais bien celle
de transporteur et que la commune intention des parties était bien de conclure un contrat de transport.
L’article 1 de la Convention de Genève du 19 mai 1956 dite CMR dipose que :
La présente Convention s’applique à tout contrat de transport de marchandises par route à titre onéreux au
moyen de véhicules, lorsque le lieu de la prise en charge de la marchandise et le lieu prévu pour la livraison,
tels qu’ils sont indiqués au contrat, sont situés dans deux pays différents dont l’un au moins est un pays
contractant. Il en est ainsi quels que soient le domicile et la nationalité des parties.
L’article 3 de cette même Convention dispose que :
Pour l’application de la présente Convention, le transporteur répond, comme de ses propres actes et
omissions, des actes et omissions de ses préposés et de toutes autres personnes aux services desquelles il
recourt pour l’exécution du transport lorsque ces préposés ou ces personnes agissent dans l’exercice de leurs
fonctions.
La CMR réglemente ainsi uniquement le contrat de transport de marchandises passé, à titre onéreux, entre
l’expéditeur ou le commissionnaire et le transporteur. Elle ne s’applique pas directement au contrat de
commission de transport.
Aux termes du courriel intitulé 'Ordre de transport' adressé par la société Schenker à la société Atgom, il a été
demandé à cette dernière société de prendre en charge le transport de 28 palettes de 6 500 Kg à l’adresse de la
société Duflot le 22 ou le 23 novembre pour une livraison le 25 novembre au plus tard à la société Rieter Saifa
à Valldoreix. Il était précisé qu''En acceptant ce contrat de transport, le transporteur s’engage à respecter le
protocole de sécurité en vigueur chez le client expéditeur. Le sous affrètement est formellement interdit, sauf
cas exceptionnel après accord avec Schenker confirmé par écrit.
Le transporteur s’engage à respecter les consignes relatives aux temps de conduite, de repos et à la sécurité
des marchandises (arrêts obligatoires sur des aires de stationnement non isolées, éclairées, fréquentées. Le
chauffeur doit veiller à ne pas laisser son véhicule sans attention au delà de 15mn.
En cas de longs repos (8h) ou hebdomadaires, le camion doit être stationné dans un espace sécurisé : clos,
éclairé, et surveillé (gardien ou vidéo). La remorque ne doit jamais être désacouplée.
…/…
Cet ordre de transport est valable sans reconfirmation.'
Il ressort des termes de ce courriel que les impératifs imposés tels que l’interdiction du sous-affrètement, le
rappel du respect des consignes au temps, de conduite, de repos et à la sécurité des marchandises sont ceux
liés à l’activité de transport. La société Schencker a bien ainsi souhaité confier à la société Atgom la
réalisation du déplacement des marchandises, donc le transport, et non, contrairement à ce que soutient la
société intimée, qu’elle se substitue en qualité de commissionnaire ou qu’elle intervienne en qualité de
sous-commissionnaire.
Dans ces conditions, la société Atgom ayant bien la qualité de transporteur, peu importe qu’elle ait délégué ce
transport à une société Mare Feliz contrairement d’ailleurs à l’interdiction qui lui était imposée, la cour
considère que ce sont les dispositions de la Convention de Genève dite CMR qui s’appliquent au présent litige.
Sur la prescription de l’action de la société Schenker
L’article 32 de la CMR dispose que :
1. Les actions auxquelles peuvent donner lieu les transports soumis à la présente Convention sont prescrites
dans le délai d’un an. Toutefois, dans le cas de dol ou de faute considérée, d’après la loi de la juridiction
saisie, comme équivalente au dol, la prescription est de trois ans.
La prescription court :
a) Dans le cas de perte partielle, d’avarie ou de retard, à partir du jour où la marchandise a été livrée;
b) Dans le cas de perte totale, à partir du trentième jour après l’expiration du délai convenu ou, s’il n’a pas
été convenu de délai, à partir du soixantième jour après la prise en charge de la marchandise par le
transporteur;
c) Dans tous les autres cas, à partir de l’expiration d’un délai de trois mois à dater de la conclusion du
contrat de transport.
Le jour indiqué ci-dessus comme point de départ de la prescription n’est pas compris dans le délai.
2. Une réclamation écrite suspend la prescription jusqu’au jour où le transporteur repousse la réclamation
par écrit et restitue les pièces qui y étaient jointes. En cas d’acceptation partielle de la réclamation, la
prescription ne reprend son cours que pour la partie de la réclamation qui reste litigieuse. La preuve de la
réception de la réclamation ou de la réponse et de la restitution des pièces est à la charge de la partie qui
invoque ce fait. Les réclamations ultérieures ayant le même objet ne suspendent pas la prescription.
3. Sous réserve des dispositions du paragraphe 2 ci-dessus, la suspension de la prescription est régie par la loi de la juridiction saisie. Il en est de même en ce qui concerne l’interruption de la prescription.
4. L’action prescrite ne peut plus être exercée, même sous forme de demande reconventionnelle ou
d’exception.
La société Schenker soutient que le délai de prescription pour agir est de trois ans en raison de la faute
dolosive commise par la société Atgom qui a outre-passé l’interdiction de sous-affrètement qui lui a été faite et
que ce délai a été suspendu en raison des réclamations écrites adressées dès le 28 novembre 2011 et
notamment le 4 janvier 2012 sollicitant le remboursement des sommes versées au titre de la perte totale des
marchandises, réclamations qui n’auraient jamais été repoussées jusqu’au jour de l’assignation devant le
tribunal de commerce de Nanterre. Elle considère que la prescription a été suspendue et qu’elle est recevable
en son action.
La société Atgom soutient que la prescription n’est pas suspendue depuis le 4 janvier 2012 car la lettre ne
revêtirait pas les caractéristiques de la lettre exigée par l’article 32-2 de la CMR puisqu’elle ne contiendrait
aucune réclamation chiffrée, n’a pas été adressée par la société Duflot et n’a pas été adressée à la société en
charge du transport, la société Stop Trans. Elle considère qu’elle s’est opposée aux demandes de la société
Schenker en soulevant l’irrecevabilité des demandes pour défaut de qualité et d’intérêt à agir et en contestant
l’absence de faute notamment aux termes de ses conclusions déposées devant la cour d’appel de Douai le 15
janvier 2014 et considère que l’action de la société Schenker est prescrite.
***
Ainsi que l’ont relevé les premiers juges, il n’est pas contesté par les parties que la marchandise prise en
charge le 23 novembre 2011 pour être livrée le 25 novembre 2011 a été totalement perdue. Dans ces
conditions, quelque soit le délai de la prescription d’un an ou de trois ans, ce délai a commencé à courir
conformément à l’article 32-1.b) de la CMR, à partir du trentième jour après l’expiration du délai de livraison
prévu à l’ordre de transport, soit à compter du 26 décembre 2011.
S’agissant de la suspension du délai de prescription invoqué par la société Schenker, l’article 32-2 de la CMR
dispose qu’une 'réclamation écrite suspend la prescription jusqu’au jour où le transporteur repousse la
réclamation par écrit et restitue les pièces qui y étaient jointes.
Or, pour constituer une suspension de prescription, l’écrit adressé au transporteur qui peut émaner du
commissionnaire doit être une véritable réclamation. Elle doit renfermer expressément une demande
d’indemnisation justifiant une prise de position du transporteur ou un chiffrage des manquants allégués ou de
la valeur des marchandises endommagées, ce qui n’est pas le cas des courriels et courriers adressés par la
société Schenker les 28, 29 et 30 novembre 2011 ainsi que du courrier adressé par le conseil de cette société le
2 décembre 2011 qui ne contiennent aucune réclamation chiffrée de la valeur des marchandises, tout comme
la lettre du 4 janvier 2012 qui précise uniquement 'notre client Duflot va nous facturer la marchandise, le
transport ainsi que les frais inhérents à cette livraison (arrêt de chaine…). ceux-ci vous seront bien
évidemment répercutés en totalité.'
En revanche, la lettre recommandée adressée par la société Schenker à la société Atgom le 1er mars 2012 lui
transmettant les factures qui lui ont été adressées par la société Duflot pour un montant de 24 552,70 euros HT
et indiquant 'nous attendons un règlement rapide et avant le 31 mars 2012 de votre part afin de clôturer ce
dossier' renferme bien une demande d’indemnisation chiffrée et constitue bien une réclamation au sens de
l’article 32-2 de la CMR. Cette réclamation a donc suspendu le délai de prescription au 1er mars 2012.
Ainsi que le soutient à juste titre la société Atgom, cette dernière a bien repoussé par écrit les réclamations de
la société Schenker au sens de l’article 32-2 de la CMR en soutenant en page 9 de ses conclusions déposées
devant la cour d’appel de Douai, le 15 janvier 2014, qu’elle n’a commis aucune faute et en concluant à la
confirmation de l’ordonnance qui a dit n’y avoir lieu à référé. Les pièces jointes au courrier du 1er mars 2012
étant constituées de copies (copies des 5 précédents courriers et 4 copies de factures de réclamations et
justifications), la société Atgom n’était pas tenue de les restituer de sorte que les conclusions déposées par
cette dernière société devant la cour d’appel de Douai ont donc eu pour effet de mettre fin à la suspension du
délai de prescription. Ainsi, le délai de la prescription a repris son cours le 15 janvier 2014.
S’agissant de la prescription invoquée par la société Atgom, l’article 32-3 de la CMR renvoyant l’interruption
de la prescription à l’application de la loi de la juridiction saisie, en l’occurrence les juridictions françaises, la
cour fera application des articles 2228 et suivants du code civil.
Il ressort de l’article 2241 du code civil que :
La demande en justice, même en référé, interrompt le délai de prescription ainsi que le délai de forclusion.
L’article 2242 du même code dispose que :
L’interruption résultant de la demande en justice produit ses effets jusqu’à l’extinction de l’instance.
Et l’article 2243 du code civil d’énoncer que :
L’interruption est non avenue si le demandeur se désiste de sa demande ou laisse périmer l’instance, ou si sa
demande est définitivement rejetée.
Il ressort des actes de la procédure que la société Schenker a assigné la société Atgom devant le juge des
référés par acte délivré le 21 septembre 2012 et que le juge des référés territorialement compétent a rejeté ses
demandes en disant n’y avoir lieu à référé par ordonnance du 16 décembre 2016 signifiée le 20 mars 2017 et
devenue définitive. Dans ces conditions, la décision du président du tribunal de commerce constituant une
décision sur le fond même du référé ayant définitivement rejeté la demande en référé de la société Schenker,
l’interruption de la prescription par l’assignation délivrée le 21 septembre 2012 est non avenue.
Ainsi, sans que la cour ait à déterminer si la société Atgom a commis une faute dolosive ou pas, ce qui aurait
pour effet d’augmenter le délai de la prescription d’un à trois ans, la société Schenker, subrogée dans les droits
de la société Duflot aux termes de la quittance subrogative du 2 juillet 2012, qui a fait délivrer l’assignation
devant le tribunal de commerce de Nanterre le 21 mars 2017, soit après l’expiration des délais d’un an ou de
trois ans prévus à l’article 32-1 de la CMR qui ont commencé à courir à compter du 26 décembre 2011 et qui
ont été suspendus du 1er mars 2012 au 15 janvier 2014, est bien irrecevable en son action dirigée contre la
société Atgom en raison de la prescription. La société Schenker sera déboutée de sa demande et le jugement
confirmé de ce chef.
Sur les frais irrépétibles et les dépens
Il ne parait pas inéquitable de laisser à la charge de chaque partie les frais irrépétibles exposés dans le cadre de
la présente procédure. Il convient en conséquence de les débouter de leurs demandes fondées sur les
dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
La société Schenker qui succombe en cause d’appel, sera condamnée aux dépens d’appel.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire,
CONFIRME le jugement dont appel en toutes ses dispositions,
REJETTE toute autre demande,
CONDAMNE la société Schenker France aux dépens d’appel qui pourront être directement recouvrés par Me
Véronique Buquet-Roussel, avocate inscrite au barreau de Versailles dans les conditions de l’article 699 du
code de procédure civile.
prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été
préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure
civile.
signé par Monsieur François THOMAS, Président, et par Monsieur GAVACHE, greffier, auquel la minute de
la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le greffier, Le président,
Textes cités dans la décision