Cour d'appel de Versailles, 6e chambre, 3 mars 2022, n° 19/02844

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CA Versailles, 6e ch., 3 mars 2022, n° 19/02844
Juridiction : Cour d'appel de Versailles
Numéro(s) : 19/02844
Décision précédente : Conseil de prud'hommes de Nanterre, 3 juin 2019, N° F18/02146
Dispositif : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée

Sur les parties

Texte intégral

COUR D’APPEL

DE

VERSAILLES


Code nac : 80A

6e chambre

ARRET N°126


CONTRADICTOIRE


DU 03 MARS 2022


N° RG 19/02844 – N° Portalis DBV3-V-B7D-TKFB


AFFAIRE :

SNC PRISMA MEDIA


C/

X-D Y


Décision déférée à la cour : Jugement rendu(e) le 04 Juin 2019 par le Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de NANTERRE


N° Chambre :


N° Section : E


N° RG : F18/02146


Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :

Me Blandine DAVID

Me Audrey LEGUAY

le : 04 Mars 2022

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS


LE TROIS MARS DEUX MILLE VINGT DEUX ,


La cour d’appel de Versailles a rendu l’arrêt suivant,fixé au 17 Février 2022,puis prorogé au 03 Mars 2022 , les parties ayant été avisées, dans l’affaire entre :

SNC PRISMA MEDIA
N° SIRET : 318 826 187

[…]

[…]


Représentée par : Me Laurent KASPEREIT de la SELAFA CMS FRANCIS LEFEBVRE AVOCATS, Plaidant, avocat au barreau de HAUTS-DE-SEINE, vestiaire : 1701 ; et Me Blandine DAVID de la SELARL BALAVOINE et DAVID Avocats – BMP & Associés, Postulant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : R110

APPELANTE

****************

Madame X-D Y

née le […] à Boulogne-Billancourt

de nationalité Française

[…]

[…]


Représentée par : Me Audrey LEGUAY, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de VAL-DE-MARNE

INTIMEE

****************

Composition de la cour :


En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 07 Janvier 2022 les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Madame Nathalie GAUTRON-AUDIC, Conseiller chargé du rapport.


Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Isabelle VENDRYES, Président,

Madame Valérie DE LARMINAT, Conseiller,

Madame Nathalie GAUTRON-AUDIC, Conseiller,


Greffier lors des débats : Mme A BOUCHET-BERT,

FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES


La société Prisma Media est spécialisée dans la presse magazine, la vidéo en ligne et l’audience digitale quotidienne. Elle emploie environ 1 500 salariés et applique la convention collective nationale des journalistes du 1er novembre 1976.

Mme X-D Y, née le […], a été engagée par la société Prisma Media, selon contrat de travail à durée déterminée (CDD), pour la période du 18 au 29 juillet 2011, en qualité de rédacteur photo, pour remplacer une salariée absente.


Jusqu’au 26 mai 2018, Mme Y a ensuite été employée par la société Prisma Media dans le cadre de plusieurs contrats de travail à durée déterminée (CDD) conclus soit pour accroissement temporaire d’activité, soit pour remplacement d’un salarié absent.


Par requête reçue au greffe le 27 juillet 2018, elle a saisi le conseil de prud’hommes de Nanterre aux fins notamment de requalification de sa relation de travail en contrat de travail à durée indéterminée (CDI) depuis le 18 juillet 2011 et de réintégration au sein de la société Prisma Media.


Par jugement rendu le 4 juin 2019, le conseil de prud’hommes de Nanterre a :


- débouté Mme Y de sa demande de réintégration,


- dit que Mme Y se trouvait en contrat à durée indéterminée depuis le 18 juillet 2011 et que la rupture de ce contrat doit s’analyser en un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse,


- fixé le salaire de référence à 3 748,68 euros mensuel,


- condamné la société Prisma Media à verser à Mme Y :

* 3 748,68 euros au titre de l’indemnité de requalification en contrat à durée indéterminée,

* 7 497,36 euros au titre de l’indemnité compensatrice de préavis,

* 749,73 euros au titre des congés payés sur préavis y afférant,

* 25 491 euros au titre de l’indemnité conventionnelle de licenciement,

* 11 246,04 euros au titre de l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

* 23 541 euros à titre de rappel de salaires,

* 1 200 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,


- débouté Mme Y de sa demande de dommages et intérêts pour absence de visite médicale,


- ordonné la remise d’un certificat de travail, d’une attestation Pôle emploi et de bulletins de salaire conformes pour la période allant du 1er janvier 2015 au 25 mai 2018,


- débouté la société Prisma Media de sa demande 'reconventionnelle',


- condamné la société Prisma Media aux entiers dépens,


- ordonné l’exécution provisoire de la décision.


La société Prisma Media a interjeté appel de la décision par déclaration du 8 juillet 2019.


Par conclusions adressées par voie électronique le 17 février 2021, elle demande à la cour de :


- la recevant en son appel, la dire bien fondée,


- infirmer le jugement entrepris en ce qu’il a :
* dit que Mme Y se trouvait en contrat à durée indéterminée depuis le 18 juillet 2011 et que la rupture de ce contrat doit s’analyser en un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse,

* fixé le salaire de référence à 3 748,68 euros mensuel,

* condamné la société Prisma Media à verser à Mme Y,

° 3 748,68 euros au titre de l’indemnité de requalification en contrat à durée indéterminée,

° 7 497,36 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis,

° 749,73 euros à titre de congés payés afférents,

° 25 491 euros à titre d’indemnité conventionnelle de licenciement,

° 11 246,04 euros au titre de l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

° 23 541 euros à titre de rappel de salaires,

° 1 200 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

* ordonné la remise d’un certificat de travail, d’une attestation Pôle emploi et de bulletins de salaire conformes pour la période allant du 1er janvier 2015 au 25 mai 2018,

* débouté la société Prisma Media de sa demande 'reconventionnelle',

* condamné la société Prisma Media aux entiers dépens,

statuant à nouveau,

A titre principal,


- dire et juger que les demandes de Mme Y à titre de rappel de salaire et à titre de dommages et intérêts pour absence de visite médicale sont irrecevables car ne figurant pas dans la requête initiale,


- débouter Mme Y de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

A titre subsidiaire,


- constater que la rémunération moyenne mensuelle brute de Mme Y était de 2 576,01 euros,


- retenir une ancienneté remontant au plus tôt au 3 juillet 2017,


- limiter par conséquent, le cas échéant, le montant des condamnations aux sommes de :

* 2 576,01 euros au titre de l’indemnité de requalification,

* 5 152,02 euros au titre de l’indemnité compensatrice de préavis,

* 515,20 euros au titre des congés payés afférents,

* 2 576,01 euros au titre de l’indemnité de licenciement, * 2 576,01 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

En tout état de cause,


- débouter Mme Y de sa demande de réintégration,


- condamner Mme Y à payer à la société Prisma Media la somme de 1 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens de la présente instance.


Par conclusions adressées par voie électronique le 15 novembre 2021, Mme Y demande à la cour de :


- réformer le jugement prud’homal en ce qu’il a :

* débouté Mme Y de sa demande de réintégration,

* débouté Mme Y de sa demande de fixation de sa rémunération moyenne mensuelle à 4 138,68 euros en raison de l’inégalité de traitement subie,


- fixé le salaire de référence à 3 748,68 euros et, en conséquence, en ce qu’il a minoré le montant des sommes allouées,


- confirmer le jugement prud’homal en ce qu’il a :

* jugé Mme Y recevable en ses demandes,

* requalifié la relation de travail en un CDI à compter du 18 juillet 2011,

* dit que la rupture du contrat de travail à la date du 26 mai 2018 s’analyse en un licenciement sans cause réelle et sérieuse,

* condamné la société Prisma Media à verser une indemnité de requalification, un rappel de salaire, une indemnité compensatrice de préavis, avec les congés payés afférents, une indemnité de licenciement, une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, une somme sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

* ordonné à la société Prisma Media la remise à la salariée d’un certificat de travail, d’une attestation Pôle emploi et des bulletins de paie conformes à la décision,

en conséquence, statuant à nouveau,


- juger Mme Y recevable et bien fondée en ses demandes,


- requalifier la relation de travail, à compter du 18 juillet 2011, en un contrat de travail à durée indéterminée,


- fixer la rémunération moyenne mensuelle de la salariée à la somme de :

* à titre principal : 4 138,68 euros bruts en raison de l’inégalité de traitement subie,

* à titre subsidiaire : 3 748,68 euros bruts,

* à titre infiniment subsidiaire : 2 809 euros bruts,
- prononcer la réintégration de Mme Y au sein de la société Prisma Media au poste de chef de rubrique au sein du service photographie, au salaire de base de 3 660 euros bruts,


- à défaut de réintégration, juger que la rupture du contrat de travail par la société Prisma Media s’analyse en un licenciement sans cause réelle et sérieuse,


- condamner la société Prisma Media à verser à Mme Y les sommes suivantes :

* à titre d’indemnité de requalification : à titre principal : 5 000 euros bruts, à titre subsidiaire : 3 748,68 euros bruts,

* à titre de rappel de salaire relatif aux périodes intercalaires entre les CDD, de mai 2015 à mai 2018 : à titre principal : 37 605,23 euros bruts, à titre subsidiaire : 23 541 euros bruts,

* à titre d’indemnité compensatrice de préavis : à titre principal : 8 277,36 euros bruts ainsi que 827,73 euros de congés payés afférents, à titre subsidiaire : 7 497,36 euros bruts ainsi que 749,73 euros de congés payés afférents,

* à titre d’indemnité légale de licenciement : à titre principal : 28 970,76 euros bruts, à titre subsidiaire : 26 240,76 euros bruts,

* à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse : à titre principal : 33 109,44 euros bruts, à titre subsidiaire : 29 989,44 euros bruts,

* 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, en plus des 1 200 euros déjà accordés par le conseil de prud’hommes sur ce même fondement,

* intérêts légaux,

* entiers dépens,


- ordonner à la société Prisma Media de remettre à Mme Y un certificat de travail, une attestation Pôle emploi et des bulletins de paie de mai 2015 à mai 2018 conformes à la décision,


- débouter la société Prisma Media de sa demande de 1 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.


Par ordonnance rendue le 1er décembre 2021, le magistrat chargé de la mise en état a ordonné la clôture de l’instruction et a fixé la date des plaidoiries au 7 janvier 2022.


En application de l’article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux conclusions des parties pour un plus ample exposé de leurs prétentions et moyens.

MOTIFS

Sur la requalification de la relation de travail en un CDI


La société Prisma Media, appelante, fait grief au conseil de prud’hommes d’avoir ordonné la requalification en CDI en se fondant sur le constat erroné que la succession des CDD de Mme Y démontrait à elle seule le caractère permanent de son emploi, alors que les CDD ne se sont, pour la plupart d’entre eux, pas succédés les uns aux autres, la société ayant veillé au respect d’un délai de carence, que d’autres interruptions plus ou moins longues peuvent être constatées, qu’il s’agissait donc à l’évidence d’une collaboration de nature temporaire, que la salariée, qui ne s’est jamais tenue à la disposition de la société Prisma Media, a eu la faculté de travailler pour d’autres employeurs et s’est procuré d’autres revenus, que son temps de travail annuel pour Prisma Media était très loin de représenter l’équivalent d’un temps plein, qu’elle a essentiellement travaillé pour la rédaction des hors-séries du magazine 'Capital', les CDD étant motivés, pour la quasi-totalité d’entre eux, par un surcroît temporaire d’activité. Elle fait observer que la salariée s’abstient de dévoiler la nature de ses ressources pendant toute la période considérée puisqu’elle ne verse aux débats aucun de ses avis d’imposition.


Elle invoque également la prescription de la demande de requalification des CDD conclus avant le 27 juillet 2016 au titre du non-respect du délai de carence entre deux CDD, de sorte que l’éventuelle requalification en CDI ne peut selon elle être antérieure au 3 juillet 2017, date de conclusion du CDD ayant suivi celui qui s’est terminé le 30 juin 2017, sans respect du délai de carence.

Mme Y fait valoir en réplique que pendant près de sept années, la société Prisma Media a fait appel très régulièrement à elle dans le cadre de CDD, pour exercer les mêmes fonctions au sein de la même rédaction et, excepté pour trois contrats, toujours au motif d’un prétendu accroissement temporaire d’activité ; que les contrats signés mentionnaient les fonctions de rédactrice photo ou de chef de rubrique mais que dans les faits elle effectuait les mêmes tâches de chef de rubrique, principalement dans le cadre de la réalisation des hors-séries et des dossiers spéciaux du magazine 'Capital’ ; qu’elle était totalement intégrée au pôle photo du magazine 'Capital'.


Elle soutient en premier lieu que le délai de carence entre deux CDD ayant pour motif l’accroissement temporaire de l’activité de l’entreprise n’a pas toujours été respecté par l’employeur, en violation des dispositions de l’article L. 1244-3 du code du travail. Elle vise ainsi les CDD pour accroissement temporaire d’activité du 21 juillet au 30 août 2014 et du 1er au 3 septembre 2014, ceux du 5 janvier au 26 février 2016 et du 27 février au 18 mars 2016, ceux du 18 juillet au 2 septembre

2016 et du 19 septembre au 18 novembre 2016, ceux du 10 avril au 30 juin 2017 et du 3 au 6 juillet

2017, ceux du 1er août au 15 septembre 2017 et du 4 octobre au 17 novembre 2017, ceux du 18 décembre 2017 au 2 février 2018 et du 19 février au 30 mars 2018 qui se sont succédés sans respecter le délai de carence minimum.


Elle soutient en second lieu que la société Prisma Media a eu recours aux CDD comme mode d’organisation générale afin de pourvoir durablement un emploi lié à son activité normale et permanente et faire face à un besoin structurel de main d’oeuvre, ce qui doit conduire à la requalification de la relation de travail en un CDI.


Elle ajoute que contrairement à ce que soutient la société appelante, son action en requalification n’est pas prescrite.


Sur ce, il résulte des explications et des pièces fournies par les parties que Mme Y a été employée par la société Prisma Media entre le 18 juillet 2011 et le 26 mai 2018 aux termes de plusieurs CDD.


Le délai de prescription d’une action en requalification fondée sur le non-respect du délai de carence entre deux CDD court à compter du premier jour d’exécution du second des contrats.


Le délai de prescription d’une action en requalification fondée sur le motif du recours au CDD tel qu’énoncé au contrat a pour point de départ le terme du contrat ou, en cas de succession de contrats à durée déterminée, le terme du dernier contrat.


Au 26 mai 2018, terme de la relation de travail, l’action en requalification d’un contrat à durée déterminée en contrat à durée indéterminée était soumise à la prescription biennale de deux ans prévue par l’article L. 1471-1 du code du travail aux termes duquel toute action portant sur l’exécution du contrat de travail se prescrit par deux ans à compter du jour où celui qui l’exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d’exercer son droit et toute action portant sur la rupture du contrat de travail se prescrit par douze mois à compter de la notification de la rupture.

Mme Y produit les courriels qu’elle a adressés, à compter du mois de février 2014, à la direction des ressources humaines en lui faisant part de son souhait d’intégrer de façon pérenne le groupe Prisma Media. Elle indique, sans être contredite, que pendant des années, plusieurs responsables RH lui ont laissé entendre que sa demande de CDI était à l’étude, lui conseillant d’être patiente. Néanmoins, ce n’est que le 13 février 2018 que Mme A B, responsable RH, lui a répondu : « il n’y a pas à date d’ouverture de poste prévue en CDI sur la photo des HS Capital ».


A supposer même que la salariée ait eu connaissance des faits lui permettant d’agir lorsqu’elle s’est vu refuser un poste en CDI le 13 février 2018, la cour retient qu’en saisissant le conseil de prud’hommes par requête le 27 juillet 2018, Mme Y n’était pas prescrite en sa demande de requalification fondée notamment sur le motif du recours au CDD.


S’agissant ensuite du bien-fondé de sa demande de requalification, il convient de rappeler que selon l’article L. 1242-1 du code du travail, « Un contrat de travail à durée déterminée, quel que soit son motif, ne peut avoir ni pour objet ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise ».


L’article L. 1242-2 du même code précise qu’un contrat de travail à durée déterminée ne peut être conclu que pour l’exécution d’une tâche précise et temporaire.


Si le seul fait qu’un employeur soit contraint de recourir à des remplacements temporaires de manière récurrente, voire permanente, et que ces remplacements puissent être également couverts par l’embauche de salariés en vertu de CDI, n’entraîne pas automatiquement une requalification en CDI des contrats de mission conclus à cet effet, il convient pour apprécier si le renouvellement des contrats de mission est justifié de prendre en compte toutes les circonstances de la cause, y compris le nombre et la durée cumulée des contrats de travail à durée déterminée conclus dans le passé par le salarié avec le même employeur.


En l’espèce, il a été signé 29 CDD et 3 avenants de renouvellement entre le 18 juillet 2011 et le 26 mai 2018.

Mme Y a été employée quasi exclusivement pour les besoins de la rédaction du magazine 'Capital’ soit dans des fonctions de rédacteur photo, soit dans des tâches de chef de rubrique.


Tous les contrats prévoyaient une durée de travail hebdomadaire de 35 heures, de sorte que la salariée pouvait difficilement travailler pour un autre employeur sur les mêmes périodes. Mme Y établit qu’à compter de 2012, elle a été employée par la société Prisma Media selon un temps de travail annuel supérieur à un mi-temps, entre 55 et 78 % de l’année, et que la rémunération annuelle qu’elle a perçue au cours de ses six années complètes de travail a progressivement augmenté, passant de 21 902,76 euros bruts en 2012 à 33 427,94 euros bruts en 2017, soit une moyenne de 26 656,84 euros bruts par an. Elle démontre également que pour les années 2014 à 2017, les salaires versés par la société Prisma Media représentaient l’essentiel de ses revenus, soit entre 74 et 85 % de ceux déclarés au titre de l’impôt sur le revenu, la différence étant constituée par les allocations chômage.


Les CDD étaient essentiellement motivés par un accroissement temporaire d’activité, seuls trois CDD sur 29 ayant pour motif le remplacement d’un salarié absent.


Si l’employeur communique, pour justifier du motif de remplacement d’un salarié absent, des tableaux de congés des salariés remplacés, il ne justifie par aucune des pièces qu’il verse aux débats que les tâches confiées à la salariée dans le cadre des 26 autres CDD résultaient d’un accroissement temporaire d’activité et ce, tandis que celle-ci produit différents éléments établissant que la rédaction du magazine 'Capital’ publie chaque année 12 numéros mensuels mais aussi 6 hors-séries ou dossiers spéciaux, ce qui témoigne du caractère récurrent de ces publications, qu’en outre le seul nom de Mme Y apparaissait dans l’Ours des hors-séries sous la mention 'Photo'.


Au surplus, il résulte des procès-verbaux des réunions des délégués du personnel et du comité d’entreprise que depuis 2010, les élus ont alerté l’employeur sur le recours abusif aux contrats de travail précaires par rapport à une activité pérenne et normale de l’entreprise, qu’en 2015 ils notaient une augmentation du recours aux CDD, qu’en janvier 2017 ils dénombraient pour la seule année 2015 plus de 1 400 CDD toutes raisons et toutes durées confondues, dont 30 % seulement avaient vocation à remplacer des salariés indisponibles, que certains des salariés employés dans ce cadre travaillaient pour la société Prisma Media depuis 10 ou 15 ans.


Il se déduit de ces constatations que les CDD de Mme Y ont eu pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente de la société Prisma Media.


Il y a donc lieu à requalification à compter du 2 avril 2012, date du premier CDD conclu au motif d’un accroissement temporaire d’activité.


Il n’y a pas lieu d’examiner le deuxième moyen surabondant, tenant au non-respect du délai de carence prévu par l’article L. 1244-3 du code du travail.

Sur les conséquences de la requalification


Conséquence de la requalification de la relation contractuelle en un CDI, Mme Y peut prétendre au versement de diverses sommes, lesquelles seront calculées sur la base d’une ancienneté de 6 ans et 3 mois, période de préavis comprise.


- sur le salaire de référence et l’inégalité de traitement

Mme Y prétend que depuis le début de sa collaboration en 2011, elle a exercé dans les faits les fonctions de chef de rubrique photographie, quelle que soit la qualification mentionnée dans les CDD, qu’il lui a fallu cependant attendre le mois d’octobre 2017 pour que ce titre de chef de rubrique figure expressément sur ses contrats de travail et que sa rémunération soit revalorisée à la somme de 3 300 euros bruts mensuels, que cette rémunération est restée néanmoins inférieure de plus de 10 % aux salaires bruts perçus par ses collègues chefs de rubrique du pôle économie, ces derniers percevant un salaire compris entre 3 660 euros et 4 000 euros bruts, et ce alors que leurs tâches et leurs compétences étaient identiques, la seule différence étant le statut, précaire pour elle et permanent pour ses collègues, que sa collègue Mme C Z, rédactrice photo puis chef de rubrique à compter seulement du mois de mars 2016, percevait ainsi un salaire de base de 3 660 euros bruts, ainsi qu’en attestent ses bulletins de salaire.


Elle demande en conséquence à la cour de rétablir sa rémunération moyenne mensuelle à la somme de 4 138,68 euros bruts, se décomposant comme suit : salaire de base = 3 660 euros + prime d’ancienneté dans l’entreprise (2 %) = 43,42 euros + prime d’ancienneté professionnelle (6 %) = 130,26 euros + prime de 13ème mois = 305 euros.


Sur ce, il sera rappelé que le principe de l’égalité de traitement impose à l’employeur d’assurer une égalité de rémunération entre tous les salariés placés dans une situation identique et effectuant un même travail ou un travail de valeur égale.


Sont considérés comme ayant une valeur égale par l’article L. 3221-4 du code du travail les travaux qui exigent des salariés un ensemble comparable de connaissances professionnelles consacrées par un titre, un diplôme ou une pratique professionnelle, de capacités découlant de l’expérience acquise, de responsabilités et de charge physique ou nerveuse.
Il ressort en outre de l’article L. 1242-15 du même code que la rémunération perçue par le salarié titulaire d’un contrat de travail à durée déterminée ne peut être inférieure au montant de la rémunération que percevrait dans la même entreprise, après période d’essai, un salarié bénéficiant d’un contrat de travail à durée indéterminée de qualification professionnelle équivalente et occupant les mêmes fonctions.


Il appartient au salarié qui invoque une atteinte au principe de l’égalité de traitement de soumettre au juge les éléments de fait susceptibles de caractériser une inégalité de rémunération et il incombe ensuite à l’employeur de rapporter la preuve d’éléments objectifs, pertinents et matériellement vérifiables justifiant cette différence.


En l’espèce, Mme Y produit les bulletins de salaire des mois de mars 2016, avril 2016 et février 2017 de Mme Z.


Toutefois, comme l’ont relevé les premiers juges, Mme Z a été engagée le 1er septembre 2001 alors que le premier CDD de Mme Y a été conclu le 18 juillet 2011, Mme Z était âgée de 60 ans à la date de l’audience de première instance tandis que Mme Y était âgée de 49 ans. Ils en ont justement déduit que les deux salariées ne se trouvaient ainsi pas dans une situation identique justifiant qu’il soit fait droit à la demande de Mme Y au titre d’une prétendue inégalité de traitement.


Le salaire mensuel moyen de référence, tel que justement retenu par les premiers juges, s’établit dès lors à 3 748,68 euros.


- sur le rappel de salaire au titre des périodes intercalaires


La requalification de la relation contractuelle en un CDI a pour conséquence le versement d’un rappel de salaire au titre des périodes intercalaires, sous réserve que le salarié se soit tenu à la disposition de l’employeur pendant ces périodes.

Mme Y sollicite un rappel de salaire pour la période non prescrite du 26 mai 2015 au 26 mai 2018, faisant valoir qu’elle s’est tenue à la disposition de la société Prisma Media, y compris pendant les vacances scolaires, que durant cette période elle a travaillé exclusivement pour la société Prisma Media et n’a jamais refusé le moindre CDD proposé par elle, restant dans l’attente de la pérennisation de sa relation de travail, que le recours croissant à ses services par son unique employeur ne lui permettait pas d’intercaler d’autres missions, que d’ailleurs elle a refusé à plusieurs reprises des CDD proposés par d’autres sociétés, préférant privilégier la société Prisma Media.


La société Prisma Media s’y oppose, au motif que cette demande, qui ne figurait pas dans la requête déposée par la salariée le 27 juillet 2018, est irrecevable en application des articles R. 1452-2 du code du travail et 58 du code de procédure civile.


Elle conteste que Mme Y se soit tenue à sa disposition pendant les périodes séparant deux CDD.


Outre que la demande de rappel de salaire se rattache par un lien suffisant à la demande de requalification en CDI de ses CDD formulée par la salariée dans sa requête initiale, conformément aux termes de l’article 70 du code de procédure civile, ce qui doit conduire à écarter le moyen d’irrecevabilité soulevé par la société appelante, la cour observe que Mme Y produit ses déclarations et avis d’imposition depuis 2014 et ses relevés de situation établis par Pôle emploi depuis le 16 janvier 2015, dont il résulte que ses autres sources de revenus provenaient de Pôle emploi. Ainsi il doit être retenu qu’en dehors des périodes où la salariée était employée par la société Prisma Media, laquelle lui procurait l’essentiel de ses revenus, elle se tenait à la disposition de celle-ci, n’ayant pas d’autre emploi, les périodes intercalaires ne permettant d’ailleurs pas, compte tenu de leur brièveté, l’exercice d’un autre emploi .


Etant rappelé que le montant du rappel de salaire dû au titre des périodes interstitielles doit être calculé pour chaque période par référence au salaire convenu dans chacun des CDD l’ayant précédée, la salariée, qui travaillait à temps plein, est en conséquence bien fondée à se voir verser pour la période du 26 mai 2015 au 26 mai 2018, par infirmation du jugement entrepris, un rappel de salaire d’un montant de 12 222,66 euros bruts tenant compte des primes d’ancienneté et de 13ème mois afférentes, déduction faite des salaires et allocations chômage perçus par la salariée durant cette période.


- sur l’indemnité de requalification


En application de l’article L. 1245-2 du code du travail, la société Prisma Media sera condamnée, par confirmation du jugement entrepris, à payer à Mme Y la somme de 3 748,68 euros.


- sur les demandes liées à la rupture du contrat


La rupture de la relation contractuelle étant intervenue le 26 mai 2018 du seul fait de la survenance du terme des CDD, requalifiés en CDI, elle s’analyse en un licenciement, nécessairement sans cause réelle et sérieuse, en l’absence de lettre de licenciement énonçant la cause de la rupture.

Mme Y, qui indique qu’elle entend privilégier l’emploi dans la mesure où elle n’a pas retrouvé d’emploi pérenne, sollicite, sur le fondement de l’article L. 1235-3 du code du travail, sa réintégration au sein de la société Prisma Média au poste de chef de rubrique au sein du service photographie.


Dès lors cependant que la société Prisma Media s’y oppose, en invoquant l’absence d’activité justifiant la création d’un tel poste, le jugement entrepris sera confirmé en ce qu’il n’a pas fait droit à la demande de réintégration de la salariée.


Compte tenu de son ancienneté, Mme Y peut prétendre au versement d’une indemnité compensatrice de préavis de deux mois en application de la convention collective, soit la somme de 7 497,36 euros, outre 749,73 euros au titre des congés payés afférents.


En sa qualité de journaliste professionnel, titulaire de la carte de presse depuis octobre 2005, ainsi qu’elle en justifie, elle a droit également à une indemnité légale de licenciement de 26 240,76 euros, correspondant à sept mois de salaire, en application de l’article L. 7112-3 du code du travail aux termes duquel cette indemnité ne peut être inférieure à la somme représentant un mois, par année ou fraction d’année de collaboration, des derniers appointements. Le jugement entrepris sera infirmé s’agissant du montant de cette indemnité.


Au vu des pièces et des explications fournies, compte tenu des circonstances de la rupture, du montant de sa rémunération, de son âge, de son ancienneté, de sa perception d’allocations Pôle emploi dans les termes des pièces produites aux débats et des conséquences de la rupture à son égard, la société Prisma Media sera en outre condamnée à lui régler la somme de 22 500 euros à titre indemnitaire, par infirmation du jugement entrepris.

Sur les dommages-intérêts pour absence de visite médicale


M m e D u c a m p , q u i a é t é d é b o u t é e p a r l e c o n s e i l d e p r u d ' h o m m e s d e s a d e m a n d e d e dommages-intérêts pour absence de visite médicale, ne maintient pas cette demande en cause d’appel.


Il n’y a donc pas lieu d’examiner le moyen d’irrecevabilité soulevé par la société appelante.
Sur les intérêts moratoires


Les créances de nature salariale porteront intérêts au taux légal à compter de la réception par l’employeur de sa convocation devant le bureau de jugement du conseil de prud’hommes et les créances indemnitaires porteront intérêts au taux légal à compter du jugement.


S’agissant des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, dont le principe a été arrêté dans le jugement mais dont le montant a été augmenté en appel, il convient de faire courir les intérêts de retard à compter du jugement sur la somme de 11 246,04 euros et à compter de l’arrêt sur la somme complémentaire de 11 253,96 euros.

Sur la remise des documents de fin de contrat

Mme Y apparaît bien fondée à solliciter la remise par la société Prisma Media d’un bulletin de paie récapitulatif, d’un certificat de travail et d’une attestation Pôle emploi conformes à la décision.

Sur les dépens de l’instance et les frais irrépétibles


La société Prisma Media supportera les dépens en application des dispositions de l’article'696 du code de procédure civile.


Elle sera en outre condamnée à payer à Mme Y une indemnité sur le fondement de l’article'700 du code de procédure civile, que l’équité et la situation économique respective des parties conduisent à arbitrer à la somme de 1 200 euros au titre des frais irrépétibles de première instance, qui sont donc confirmés, et 2'800'euros au titre des frais irrépétibles d’appel.

PAR CES MOTIFS

La COUR, statuant publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,

CONFIRME le jugement rendu le 4 juin 2019 par le conseil de prud’hommes de Nanterre sauf en ce qu’il a prononcé la requalification en contrat de travail à durée indéterminée à compter du 18 juillet 2011 et en ce qui concerne le montant du rappel de salaire au titre des périodes intercalaires, le montant de l’indemnité de licenciement et le montant des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;


Statuant à nouveau et y ajoutant,

REQUALIFIE les contrats à durée déterminée conclus par Mme X-D Y avec la société Prisma Media en contrat à durée indéterminée à compter du 2 avril 2012 ;

DIT recevable la demande de rappel de salaire au titre des périodes intercalaires ;

CONDAMNE la société Prisma Media à verser à Mme X-D Y la somme de 12 222,66 euros de rappel de salaire au titre des périodes intercalaires, avec intérêts au taux légal à compter de la réception par l’employeur de sa convocation devant le bureau de jugement du conseil de prud’hommes ;

CONDAMNE la société Prisma Media à verser à Mme X-D Y la somme de 26 240,76 euros à titre d’indemnité légale de licenciement, avec intérêts au taux légal à compter de la réception par l’employeur de sa convocation devant le bureau de jugement du conseil de prud’hommes ;

CONDAMNE la société Prisma Media à verser à Mme X-D Y la somme de 22 500 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, avec intérêts au taux légal à compter du jugement sur la somme de 11 246,04 euros et à compter du présent arrêt sur la somme complémentaire de 11 253,96 euros ;

DIT que les sommes allouées au titre de l’indemnité compensatrice de préavis et de l’indemnité de requalification porteront intérêts au taux légal à compter de la réception par l’employeur de sa convocation devant le bureau de jugement du conseil de prud’hommes ;

ORDONNE à la société Prisma Media de remettre à Mme X-D Y un bulletin de paie récapitulatif, un certificat de travail et une attestation Pôle emploi conformes à la décision ;

CONDAMNE la société Prisma Media à verser à Mme X-D Y la somme de 2 800 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

DÉBOUTE la société Prisma Media de sa demande de ce chef ;

CONDAMNE la société Prisma Media aux dépens.

Arrêt prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la cour,les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code procédure civile et signé par Madame Isabelle VENDRYES, Président, et par Madame BOUCHET-BERT A,Greffière,auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.


LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,
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Cour d'appel de Versailles, 6e chambre, 3 mars 2022, n° 19/02844