CEDH, Cour (cinquième section comité), BESSAME c. FRANCE, 19 mai 2020, 11/17

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Sur la décision

Sur les parties

Texte intégral

CINQUIÈME SECTION

DÉCISION

Requête no 11/17
Mohamed BESSAME
contre la France

La Cour européenne des droits de l’homme (cinquième section), siégeant le 19 mai 2020 en un comité composé de :

 Gabriele Kucsko-Stadlmayer, présidente,
 Lado Chanturia,
 Anja Seibert-Fohr, juges,
et de Anne-Marie Dougin, greffière adjointe de section f.f.,

Vu la requête susmentionnée introduite le 15 décembre 2016,

Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :

EN FAIT

1.  Le requérant, M. Mohamed Bessame, est un ressortissant français né en 1976 et détenu à Fontaine. Il est représenté devant la Cour par Me R. Izem, avocate exerçant à Paris.

  1. Les circonstances de l’espèce

2.  Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par le requérant, peuvent se résumer comme suit.

3.  Tandis qu’ils surveillaient une cabine téléphonique dans le contexte de l’exécution d’une commission rogatoire délivrée par un juge d’instruction de Grenoble pour des faits d’infraction à la législation sur les stupéfiants, des agents de police judiciaire reconnurent le requérant alors qu’il utilisait celle-ci à plusieurs reprises dans la nuit du 26 au 27 novembre 2011. Connu des services de police, le requérant était en libération conditionnelle, dans le cadre de l’exécution de deux peines de neuf ans et six ans d’emprisonnement prononcées pour trafic de stupéfiants. Il avait été libéré sous condition le 11 avril 2011.

4.  Une enquête préliminaire fut ouverte.

5.  En vertu de l’article 77-1-1 du code de procédure pénale, le procureur de la République requit des opérateurs téléphoniques la liste des numéros contactés par le requérant depuis la cabine. Ces investigations permirent d’identifier certains interlocuteurs du requérant.

6.  Le 28 mars 2012, une information judiciaire fut ouverte pour association de malfaiteurs en vue de commettre des délits punis de dix ans, trafic de stupéfiants et blanchiment du produit du trafic de stupéfiants.

7.  Diverses mesures de surveillance et d’investigation furent prises.

8.  Le 20 juin 2012, vers 5 heures du matin, les policiers observèrent à la frontière espagnole le passage de deux voitures qui se suivaient à une dizaine de kilomètres de distance et qu’ils soupçonnaient d’être utilisées à des fins de trafic de stupéfiants. Alors que le second véhicule se trouvait à un péage, ils ordonnèrent à son conducteur de stopper. Celui-ci recula brusquement, percutant deux véhicules. La voiture fut cependant stoppée et ses deux occupants furent arrêtés. La première voiture se trouvait quelques kilomètres plus loin sur une aire de repos. Alors que la police s’apprêtait à interpeller ses occupants, le conducteur engagea une marche arrière, percutant l’un des véhicules des forces de l’ordre. La voiture ayant été bloquée, ses deux occupants, dont le requérant, s’enfuirent en courant, mais furent rattrapés et arrêtés. Les enquêteurs trouvèrent 624 kilogrammes de résine de cannabis dans la première voiture, qui s’avéra avoir été volée.

  1. La procédure pénale

9.  Le requérant et d’autres protagonistes furent mis en examen le 22 juin 2012 des chefs d’acquisition, détention, transport, importation illicite de stupéfiants et participation à une association de malfaiteurs en vue de la préparation d’un délit, ceci en état de récidive légale.

10.  Au cours de l’instruction, le requérant affirma que les policiers avaient travaillé avec un « infiltré », un certain H. K., qui l’aurait mis en contact avec des trafiquants de drogue et l’aurait poussé à commettre les faits pour lesquels il était mis en examen. Il ajouta que les policiers avaient falsifié des documents pour faire disparaitre ledit H. K. des actes de la procédure.

11.  Le juge d’instruction procéda notamment à l’audition des policiers mis en cause par le requérant. Il entendit également H. K., qu’il plaça sous le statut de témoin assisté, et procéda à une confrontation entre lui et le requérant.

12.  Le 25 juin 2013, le requérant déposa une plainte avec constitution de partie civile à l’encontre des officiers de police judiciaire qui avaient participé à l’enquête, pour la commission de faux lors de la rédaction des actes de procédure.

(a)   L’arrêt de la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Lyon du 17 octobre 2013

13.  Le requérant et ses co-prévenus déposèrent des requêtes en annulation devant la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Lyon, qu’elle rejeta par un arrêt du 17 octobre 2013.

14.  Le requérant demandait notamment l’annulation de la procédure au motif qu’en l’absence d’indice grave, aucune infraction pénale ne justifiait l’ouverture d’une enquête préliminaire. Il soutenait de plus que les policiers avaient intercepté et enregistré ses conversations téléphoniques sans qu’un procureur en ait été préalablement informé, faisant valoir la nullité de ces interceptions. Il ajoutait que toute la procédure était viciée en raison de l’intervention d’un « infiltré » (H. K.), dont les policiers avaient fait disparaitre la trace, qui était à l’origine d’une provocation policière destinée à l’impliquer dans le trafic de stupéfiants, et que de nombreuses pièces de la procédure avaient été falsifiées par apposition de fausses signatures.

15.  Sur le premier point, la chambre de l’instruction rappela qu’une enquête préliminaire pouvait être ouverte en l’absence même de toute constatation d’infraction, dès lors que des officiers de police judiciaire étaient avisés de la possibilité de son existence ou de son éventuelle commission. Elle releva ensuite que le requérant avait été reconnu alors qu’il utilisait à plusieurs reprises une cabine téléphonique qui se situait dans un lieu de rendez-vous de trafiquants de stupéfiants et qui était surveillée dans le cadre de l’exécution d’une commission rogatoire, et qu’il était lui-même défavorablement connu de la police pour trafic de stupéfiants, soulignant que ces circonstances justifiaient à elles-seules l’ouverture de l’enquête préliminaire.

16.  Sur le deuxième point, la chambre de l’instruction constata notamment que le procureur de Grenoble, informé de l’ouverture de l’enquête préliminaire, avait autorisé l’officier de police judiciaire en charge à requérir auprès des opérateurs de téléphonie l’identification des numéros de téléphone appelés depuis la cabine surveillée. Elle souligna que ces recherches ne constituaient pas une interception téléphonique ou une écoute.

17.  Sur le troisième point, la chambre de l’instruction, après avoir procédé à un examen détaillé des arguments du requérant et des pièces du dossier, constata en particulier qu’aucun élément ne permettait d’établir que les policiers auraient eu recours à un tiers infiltré pour obtenir déloyalement des renseignements, et que le nom de H. K. apparaissait dans le dossier, que des investigations avaient été menées à son égard, et qu’il avait été entendu par le juge d’instruction. Elle conclut à l’issue de longs développements « que la preuve d’une machination destinée à déterminer les agissements frauduleux [du requérant] et des autres mis en examen et d’utilisation par les enquêteurs et le juge d’instruction de moyens déloyaux n’éta[it] pas rapportée ».

18.  Le requérant déposa un pourvoi en cassation contre cet arrêt. Il soutenait qu’en déclarant régulière la communication par les opérateurs téléphonique des numéros de téléphones qu’il avait appelés depuis la cabine téléphonique, sur simple réquisitoire du ministère public et en dehors de tout contrôle du juge judiciaire, la chambre de l’instruction avait méconnu la portée du droit au respect de la vie privée tel qu’il est garanti par l’article 8 de la Convention. Il précisa dans son mémoire ampliatif que son pourvoi posait la question de la validité du procédé consistant, dans le cadre d’une enquête préliminaire, sur les seules réquisitions du ministère public et en dehors de tout contrôle du juge judiciaire, à identifier les numéros de téléphone appelés par un particulier.

19.  Par une ordonnance du 30 janvier 2014, le président de la chambre criminelle de la Cour de cassation déclara le pourvoi dirigé contre l’arrêt de la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Lyon du 17 octobre 2013 non immédiatement recevable (il sera examiné par la Cour de cassation en même temps que le pourvoi contre l’arrêt au fond ; voir le paragraphe 38 ci-dessous).

(b)   Le jugement du tribunal correctionnel de Lyon du 10 juin 2014

20.  Le requérant et cinq autres personnes furent renvoyés devant le tribunal correctionnel par une ordonnance du 10 décembre 2013.

21.  Devant le tribunal, le requérant invoqua de nouveau l’illégalité de certaines pièces de la procédure, affectées selon lui des irrégularités visées dans sa plainte avec constitution de partie civile du 25 juin 2013 (paragraphe 12 ci-dessus), et demanda plusieurs compléments d’information. Il réitéra de plus que les policiers avaient eu recours à une infiltration en dehors des conditions fixées par la loi.

22.  Le tribunal correctionnel rendit son jugement le 10 juin 2014.

23.  Après les avoir jointes au fond, le tribunal correctionnel rejeta comme étant superfétatoires les demandes d’investigations complémentaires présentées par le requérant et d’autres prévenus. Il souligna à cet égard qu’à l’issue des débats, il était en mesure, sur la base des éléments discutés contradictoirement devant lui, d’apprécier la valeur des éléments de preuve qui lui avaient été soumis, de tirer toutes conséquences de cette appréciation et de statuer sur les faits dont il était saisi.

24.  Il constata en revanche qu’un nombre conséquent de pièces de la procédure, établies notamment en exécution de commissions rogatoires délivrées par des juges d’instruction de Lyon, « comport[ai]ent des mentions ou signatures sur la sincérité ou l’authenticité desquelles demeur[ai]ent des incertitudes [qui] interdis[ai]ent à la juridiction de tirer de ces pièces des éléments de conviction ». Il constata également « l’absence de certaines vérifications qu’une conduite normalement diligente des investigations commandait d’effectuer en temps utile », ajoutant qu’ « il n’apparai[ssait] pas relever de la juridiction de jugement de pallier ce défaut de diligence et d’accomplir ces vérifications une ou plusieurs années après, alors que les détenteurs des informations qu’il aurait convenu de rechercher ne sont plus tenus de les conserver, voire ont eu l’obligation de procéder à leur destruction ». Le tribunal jugea toutefois que « les interrogations induites par ces manquements ne sauraient (...) emporter pour conséquence d’anéantir les constatations matérielles effectuées régulièrement le 20 juin 2012 (...) dont les pièces critiquées ne constituent pas le support nécessaire dès lors que ces constatations ont été réalisées après que quatre des prévenus ont tenté de se soustraire violemment à bord de deux véhicules à un contrôle des forces de l’ordre ».

25.  Le tribunal retint en outre qu’« à l’issue des débats, (...) aucun élément objectif ne permet[tait] d’établir (...) que l’intervention d’une personne qui n’a pas été poursuivie a eu dans la commission des infractions un rôle causal qui devrait être regardé comme revêtant le caractère d’une provocation ».

26.  Le tribunal constata ensuite la culpabilité de plusieurs prévenus. Le requérant fut déclaré coupable d’acquisition, d’importation, de détention et de transport de stupéfiants, mais relaxé des faits d’association de malfaiteurs. Il fut condamné à 10 ans de réclusions et à la confiscation de certains de ses biens. Le jugement précise notamment ce qui suit :

« (...) il est établi que [le requérant] ne s’est pas conformé aux obligations auxquelles était subordonné son placement en liberté conditionnelle et que, pour des raisons qui lui appartiennent – en aucune manière sous l’effet d’une quelconque forme de contrainte – il a acquis une importante quantité de stupéfiants en Espagne et en a organisé l’importation en France où il comptait les revendre pour en tirer un bénéfice substantiel. Pour les raisons qui ont déjà été indiquées, le tribunal constate n’avoir pas été en mesure de fonder sa conviction sur des éléments antérieurs à la découverte et à la saisie de 624 kg de résine de cannabis du 20 juin 2012.

Sur la prévention d’avoir (...) acquis, détenu, transporté et importé de manière illicite des produits stupéfiants, en l’espèce environ 624 kg de résine de cannabis et ce, en état de récidive légale (...), pour les motifs précédemment exposés [le requérant] sera déclaré coupable de ce chef de poursuites, sous réserve que l’époque de prévention sera limitée à la journée du 20 juin 2012.

(...)

Sur la prévention d’avoir (...) participé à un groupement formé ou une entente établie en vue de la préparation (...) des délits d’importation, acquisition, détention, transport, offre ou cession non autorisés de produits stupéfiants (...), pour les motifs précédemment exposés, le tribunal estime que la preuve n’a pas été rapportée au-delà de tout doute raisonnable de ce que l’intéressé s’est personnellement et directement rendu l’auteur de ces faits. Il sera par conséquent renvoyé des fins de la poursuite (...) ».

(c)   L’arrêt de la cour d’appel de Lyon du 24 mars 2015

27.  Le requérant, trois de ses co-prévenus et le ministère public interjetèrent appel du jugement du 10 juin 2014 devant la cour d’appel de Lyon.

28.  Le requérant formula deux demandes de sursis à statuer. Il demanda tout d’abord qu’il soit sursis à statuer afin qu’il puisse prendre connaissance de documents figurant sur un CD-ROM crypté intitulé « recherche en téléphonie » qui avait été versé au dossier en juillet 2013. Il indiquait que, si le parquet général lui avait communiqué les mots de passe nécessaires pour accéder à son contenu, ils n’avaient pas permis l’ouverture de certains des documents s’y trouvant. Il demanda ensuite qu’il soit sursis à statuer dans l’attente de l’issue de ses plaintes avec constitution de partie civile (paragraphes 12 ci-dessus et 37 ci-dessous). Il formula par ailleurs deux demandes de suppléments d’information. Dans la première, il demandait la transcription des CD-ROM figurant au dossier, dont le CD-ROM susmentionné. Dans la seconde, il demandait la réalisation d’une expertise des signatures apposées sur les procès-verbaux.

29.  La cour d’appel rendit son arrêt le 24 mars 2015.

30.  La cour d’appel rejeta les deux demandes de sursis susmentionnées. S’agissant de la première de ces demandes, elle prit en compte un constat d’huissier produit par le requérant, qui établissait que des fichiers n’avaient pu être ouverts parce qu’ils étaient protégés par un programme exécutable avec un code spécifique. Elle observa toutefois que le constat n’indiquait pas que les codes d’accès communiqués au requérant avaient été utilisés par l’huissier ou le technicien qui l’assistait. Faisant de son côté le constat que les fichiers considérés pouvaient être lus à l’aide de ces codes, elle conclut que le moyen selon lequel le requérant n’aurait pu accéder à l’ensemble des pièces du dossier d’information manquait en fait et devait donc être écarté. S’agissant de la seconde de ces demandes, la cour d’appel jugea qu’en l’absence de dépôt d’une inscription de faux incidente, qui seule eût été de nature à donner lieu à une décision de sursoir à statuer, il était de son devoir d’examiner si les actes contestés, attribués aux enquêteurs ou au juge d’instruction, avaient été établis en violation d’une disposition de procédure pénale et d’en tirer les conséquences quant à l’illégalité prétendue des actes considérés. Elle ajouta qu’il lui revenait, dans le cadre de l’examen des faits, d’apprécier l’intégrité, la loyauté et la suffisance des preuves qui lui étaient soumises.

31.  La cour d’appel rejeta également les deux demandes de complément d’information susmentionnées.

32.  S’agissant de la première, elle considéra qu’il n’y avait pas lieu d’ordonner la transcription des CD-ROM dès lors que les documents qui y étaient archivés étaient accessibles.

33.  S’agissant de la seconde, la cour d’appel constata que, dans le cadre des investigations en téléphonie, de nombreuses réquisitions adressées aux opérateurs, ainsi que des procès-verbaux de saisine, de réception de documents, de clôture et de transmission au juge d’instruction ne comportaient pas de signatures correspondant à celles des officiers de police judiciaire mentionnés comme étant les auteurs de ces actes. Elle en déduisit qu’ils étaient irréguliers en la forme et, donc, établis en violation de l’article 429 du code de procédure pénale (aux termes duquel tout procès-verbal ou rapport n’a de valeur probante que s’il est régulier en la forme). Ceci étant constaté, elle retint qu’à défaut d’allégation de ce que d’autres procès-verbaux spécifiquement désignés auraient été pareillement viciés, la demande de supplément d’information aux fins de vérification d’écritures était infondée. Elle constata par ailleurs que la totalité de ces actes irrégulièrement établis correspondait à des recherche en téléphonie qui n’avaient pas permis d’obtenir des éléments de preuve à la charge des prévenus. Elle considéra ensuite que c’était à tort qu’après avoir constaté qu’un nombre conséquent de pièces de la procédure comportaient des mentions ou signatures sur la sincérité ou l’authenticité desquelles demeuraient des incertitudes, le tribunal avait considéré, « par voie de généralisation », que ces incertitudes lui interdisaient de tirer des éléments de conviction de ces pièces, dès lors qu’il lui appartenait de distinguer en n’écartant que les éléments de preuve irrégulièrement obtenus. Enfin, la cour d’appel examina l’allégation selon laquelle plusieurs procès-verbaux étaient constitutifs de faux dès lors qu’ils faisaient état de la participation de policiers à des opérations de surveillance alors qu’il résultait d’autres procès-verbaux qu’ils se trouvaient dans leurs bureaux au moment de ces opérations. Elle constata toutefois que les procès-verbaux en question correspondaient à des actes formels et répétitifs, tels que des réquisitions aux opérateurs de téléphonie et les réception et transmission de pièces, dont la rédaction est susceptible d’être déléguée par les officiers de police judiciaire à des collaborateurs, agissant sur leurs directives et sous leur contrôle, et que ces documents, qu’il était d’usage de traiter par courrier interne de service, n’étaient pas nécessairement signés au moment précis où ils étaient mentionnés avoir été dressés. Elle conclut en conséquence qu’il n’était pas établi que les procès-verbaux en question mentionnaient faussement la participation des officiers de police judiciaires aux opérations de surveillance relatées.

34.   Après un examen détaillé des arguments du requérant et des pièces du dossier, la cour d’appel rejeta également le moyen tiré d’une infiltration irrégulière et d’une provocation à l’infraction prétendument organisées par les enquêteurs avec la connivence du juge d’instruction. Elle souligna que c’était au moyen de techniques avancées d’investigation en téléphonie employées par les enquêteurs qu’il avait été possible de déterminer qu’une importation de drogue était en préparation, d’identifier les participants à son organisation et à sa réalisation, de découvrir les moyens de communication qu’ils avaient utilisés et d’intercepter leurs conversations relatives à la préparation de cette opération. Elle ajouta que le déroulement de ces investigations, retracé dans le dossier d’information, et les résultats qu’elles avaient permis d’obtenir, démontraient que les enquêteurs et le juge d’instruction n’avaient pas besoin de recourir à un procédé irrégulier d’infiltration pour se procurer des preuves qu’ils s’étaient donné les moyens de réunir de manière licite.

35.  Sur le fond, la cour d’appel infirma la relaxe du requérant des faits de récidive de participation à une association de malfaiteurs, le déclara coupable de ce chef, confirma sa culpabilité quant aux délits, commis en récidive, d’acquisition, détention, transport et importation de stupéfiants, et porta sa peine à 12 ans d’emprisonnement.

36.  Le requérant se pourvut en cassation contre l’arrêt de la cour d’appel de Lyon.

37.  Entretemps, le 2 décembre 2014, le requérant avait déposé une seconde plainte avec constitution de partie civile, contre le magistrat chargé de l’instruction, pour faux et usage de faux, reprochant à ce dernier d’avoir participé à la dissimulation de l’infiltration de H. K., en infraction avec les règles de procédure pénale, et au prix de la commission d’un ou de plusieurs faux, et de l’altération et de la soustraction d’un document de nature à faciliter la découverte d’un délit, la recherche des preuves ou la condamnation d’un coupable.

(d)   L’arrêt de la Cour de cassation du 29 juin 2016

38.  Le 29 juin 2016, la Cour de cassation rejeta le pourvoi formé par le requérant contre l’arrêt de la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Lyon du 17 octobre 2013 (paragraphes 13 et 18-19 ci-dessus) ainsi que le pourvoi formé par le requérant et un de ses co-prévenus contre l’arrêt de la cour d’appel de Lyon du 24 mars 2015 (paragraphe 29 ci-dessus). Elle jugea notamment ce qui suit :

« [I. Sur le pourvoi formé contre l’arrêt du 17 octobre 2013]

(...) Attendu que, pour rejeter la requête en annulation des réquisitions adressées par les enquêteurs à un opérateur de téléphonie aux fins d’identification des numéros de téléphone appelés par [le requérant] depuis une cabine téléphonique publique, dans la nuit du 26 au 27 novembre 2011, l’arrêt énonce, notamment, que ces recherches ne constituent nullement une interception téléphonique ou une écoute et que les réquisitions du ministère public sous le contrôle duquel l’enquête préliminaire était ouverte étaient suffisantes ;

Attendu qu’en statuant ainsi, la chambre de l’instruction a fait l’exacte application de l’article 77-1-1 du code de procédure pénale, sans méconnaître [l’article 8 de la Convention] ;

D’où il suit que le moyen doit être écarté ;

II. Sur les pourvois contre l’arrêt (...) du 31 mars 2015 :

(...) Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 6 § 1 et 6 § 3 de la Convention ;

Attendu que, pour refuser le renvoi d’audience sollicité par les prévenus, la cour d’appel énonce, notamment que les documents enregistrés sur le disque compact, édités à l’aide d’un tableur et émanant de l’opérateur SFR, peuvent être lus à l’aide du code d’accès communiqué, et qu’ainsi, le moyen selon lequel la défense [du requérant] aurait été empêchée d’avoir accès à l’ensemble des pièces du dossier d’information manque en fait ;

Attendu qu’en se déterminant ainsi, par des motifs relevant de son appréciation souveraine, la cour d’appel a justifié sa décision ;

Que, dès lors, le moyen ne saurait être admis ;

Sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation des articles 6 § 1 et 6 § 3 de la Convention ;

Attendu que, pour dire n’y avoir lieu de surseoir à statuer en l’attente de l’issue de l’information ouverte sur la plainte pour faux aggravés et usage déposée par [le requérant], l’arrêt se prononce par les motifs repris au moyen ;

Attendu qu’en se déterminant ainsi, et dès lors qu’il lui appartenait de se prononcer sur les éventuelles irrégularités des actes de la procédure proposées à son appréciation, sans devoir attendre l’issue d’une instance distincte portant sur des infractions prétendument commises lors de l’accomplissement de ces actes, et dont le cours était soumis, par application de l’article 6-1 du code de procédure pénale, au prononcé préalable d’une décision définitive sur ces irrégularités, la cour d’appel a justifié sa décision ;

D’où il suit que le moyen ne peut qu’être écarté ;

Sur le troisième moyen de cassation, pris de la violation des articles 6 § 1 et 6 § 3 de la Convention (...) ;

(...) Attendu qu’il est vainement fait grief à l’arrêt d’avoir refusé d’ordonner les mesures [de supplément d’information] sollicitées, dès lors que l’opportunité d’ordonner un supplément d’information est une question de pur fait qui échappe au contrôle de la Cour de cassation ;

D’où il suit que le moyen doit être écarté ;

Sur le quatrième moyen de cassation, pris de la violation des articles 6 § 1 et 6 § 3 de la Convention (...) en ce que la cour d’appel a jugé non établie la mise en œuvre dans le cadre de l’enquête et de l’information d’un procédé d’infiltration irrégulière et d’une provocation à commettre des infractions ;

(...) Attendu que, pour écarter l’hypothèse d’une infiltration irrégulière, et d’une provocation à la commission de l’infraction, la cour d’appel se prononce par les motifs repris au moyen ;

Attendu qu’en cet état, la cour d’appel, qui ne pouvait surseoir à statuer en l’attente de l’issue de l’information ouverte sur la plainte déposée par [le requérant], et qui n’était pas tenue de suivre les demandeurs dans le détail de leur argumentation, a répondu comme elle le devait aux chefs péremptoires des conclusions déposées devant elle, et a ainsi justifié sa décision ;

D’où il suit que le moyen, inopérant en ce qu’il soutenait l’irrégularité d’une infiltration qui n’était pas le fait d’un officier ou agent de police judiciaire, ne saurait être accueilli (...) ».

  1. La procédure relative aux plaintes avec constitution de partie civile du requérant (paragraphes 12 et 37 ci-dessus)

39.  Par un arrêt du 24 novembre 2015, la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Grenoble avait dit refuser d’informer en l’état. Elle avait en effet constaté le lien entre les faits dénoncés dans les plaintes et la régularité de la procédure pénale conduite contre le requérant, ainsi que le fait que le pourvoi contre l’arrêt de la cour d’appel de Lyon du 24 mars 2015 (paragraphe 29 ci-dessus) était pendant. Elle en avait déduit que s’appliquait l’article 6-1 du code de procédure pénale, selon lequel, lorsqu’un crime ou un délit prétendument commis à l’occasion d’une poursuite judiciaire impliquerait la violation d’une disposition de procédure pénale, l’action publique ne pouvait être exercée que si le caractère illégal de la poursuite ou de l’acte accompli à cette occasion avait été constaté par une décision devenue définitive de la juridiction répressive saisie. Or, frappé d’un pourvoi en cassation (paragraphe 36 ci-dessus), l’arrêt de la cour d’appel de Lyon du 24 mars 2015 n’était pas définitif.

  1. Le droit et la pratique internes pertinents

40.  Le droit et à la pratique internes pertinents sont exposés dans l’arrêt Ben Faiza c. France (no 31446/12, §§ 31-37, 8 février 2018).

GRIEFS

41.  Invoquant l’article 8 de la Convention, le requérant se plaint du rejet de sa demande tendant à l’annulation de la procédure pénale, alors que cette demande était fondée sur le fait que l’enquête préliminaire le visant avait été ouverte sans raison infractionnelle et objective, et dénonce l’autorisation, dans ce contexte, délivrée par un magistrat du parquet, d’exploiter la liste de ses contacts téléphoniques.

42.  Invoquant les articles 6 § 1 et 13 de la Convention, le requérant se plaint du refus des juridictions pénales de sursoir à statuer dans l’attente des deux plaintes avec constitution de partie civile qu’il avait déposées pour faux en écriture publique, et du rejet de sa demande de supplément d’information sur ces faux alors qu’ils affectaient les preuves produites au soutien de l’accusation.

43.  Invoquant l’article 6 §§ 1 et 3 b) de la Convention, le requérant soutient avoir été privé des facilités nécessaires et suffisantes à la préparation de sa défense, en raisons du refus des juridictions de jugement de sursoir à statuer et d’ordonner un supplément d’information à la suite de la production, tronquée, puis tardive et incomplète, d’un élément de preuve au soutien de l’accusation.

EN DROIT

  1. Sur la violation alléguée de l’article 8 de la Convention

44.  Le requérant se plaint du rejet de sa demande tendant à l’annulation de la procédure pénale, alors que cette demande était fondée sur le fait que l’enquête préliminaire le visant avait été ouverte sans raison infractionnelle et objective, et dénonce l’autorisation, dans ce contexte, délivrée par un magistrat du parquet, d’exploiter la liste de ses contacts téléphoniques. Il invoque l’article 8 de la Convention, aux termes duquel :

« 1.  Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.

2.  Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien‑être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »

45.  Le requérant précise que la violation de l’article 8 qu’il dénonce réside dans l’application combinée des articles 75 et 77-1-1 du code de procédure pénale. Il estime que le droit interne n’indique pas avec assez de clarté l’étendue et les modalités d’exercice du pouvoir d’appréciation dont jouit l’autorité policière dans l’initiative d’ouvrir l’enquête préliminaire et que, dans ce contexte, il y a eu une ingérence illégitime dans sa vie privée du fait de l’octroi par le procureur, sans justification particulière, d’une autorisation aux fins d’investigations téléphoniques.

46.  La Cour observe que le moyen soulevé par le requérant sur le terrain de l’article 8 de la Convention devant la Cour de cassation consistait à dénoncer une violation de son droit au respect de la vie privée résultant du fait que les numéros de téléphones qu’il avait appelés depuis la cabine téléphonique avaient été communiqués par les opérateurs téléphoniques sur simple réquisitoire du ministère public et en dehors de tout contrôle du juge judiciaire (paragraphe 18 ci-dessus).

47.  Or, en vertu de la règle de l’épuisement préalable des voies de recours internes que pose l’article 35 § 1 de la Convention, le grief dont on entend saisir la Cour doit d’abord être soulevé, au moins en substance, dans les formes et délais prescrits par le droit interne, devant les juridictions nationales appropriées (voir, par exemple, Paksas c. Lituanie [GC], no 34932/04, § 75, CEDH 2011 (extraits)).

48.  La Cour statuera donc dans les limites du grief tel qu’il a été formulé par le requérant devant la Cour de cassation (paragraphe 46 ci-dessus).

49.  Ce faisant, la Cour renvoie à l’arrêt Ben Faiza précité, dans lequel elle a notamment examiné la conformité avec l’article 8 de la Convention d’une réquisition adressée à un opérateur téléphonique afin d’obtenir la liste des appels effectués depuis et vers des lignes téléphoniques, prise, comme en l’espèce, en application de l’article 77-1-1 du code de procédure pénale.

50.  Dans cet arrêt, la Cour a jugé qu’il y avait eu ingérence d’une autorité publique dans le droit de l’intéressé au respect de sa vie privée (voir les paragraphes 66-68). Elle a toutefois relevé que les exigences du second paragraphe de l’article 8 de la Convention étaient remplies et a en conséquence conclu à la non-violation de cette disposition.

51.  La Cour a tout d’abord constaté que l’ingérence était prévue par la loi, observant qu’elle trouvait sa base légale dans l’article 77-1-1 du code de procédure pénale, et relevant que cette disposition répondait à l’exigence de prévisibilité dégagée par sa jurisprudence et contenait des garanties suffisantes contre l’arbitraire (voir les paragraphes 69-76).

52.  La Cour ne voit aucune raison de revenir sur ce constat.

53.  Elle juge par ailleurs pleinement transposable en l’espèce le constat qu’elle a fait dans l’arrêt Ben Faiza (voir le paragraphe 77), selon lequel, adressée à un opérateur téléphonique dans le but de permettre la manifestation de la vérité dans le cadre d’une procédure pénale relative à des faits de trafic de stupéfiants, l’ingérence tendait à la défense de l’ordre, à la prévention des infractions pénales ainsi qu’à la protection de la santé publique et poursuivait ainsi des buts légitimes au regard de l’article 8 § 2 de la Convention.

54.  S’agissant de la nécessité de l’ingérence dans une société démocratique, la Cour relève comme dans l’arrêt Ben Faiza (voir le paragraphe 79), que la réquisition était nécessaire pour démanteler un trafic de stupéfiants mettant en cause de nombreux individus, agissant de manière cachée et illicite, et en lien avec des réseaux étrangers. Par ailleurs, les informations obtenues par le biais de cette réquisition ont été obtenues et utilisées dans le cadre d’une enquête et d’un procès pénal au cours duquel le requérant a bénéficié d’un « contrôle effectif » tel que voulu par la prééminence du droit et apte à limiter l’ingérence litigieuse à ce qui était «nécessaire dans une société démocratique ». Sur ce dernier point, la Cour rappelle qu’elle a constaté dans l’arrêt Ben Faiza que les réquisitions prises en application de l’article 77-1-1 du code de procédure pénale sont susceptibles d’un contrôle juridictionnel : dans la procédure pénale ultérieure menée contre la personne concernée, les juridictions pénales peuvent contrôler la légalité d’une telle mesure ; si celle-ci est jugée illégale, elles ont la faculté d’exclure du procès les éléments ainsi obtenus.

55.  Il s’ensuit que ce grief est manifestement mal fondé et doit être rejeté en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.

  1. Sur la violation alléguée des articles 6 et 13 de la Convention

56.  Le requérant se plaint du refus des juridictions pénales de sursoir à statuer dans l’attente des deux plaintes avec constitution de partie civile qu’il avait déposées pour faux en écriture publique (paragraphes 12 et 37 ci-dessus), et du rejet de sa demande de supplément d’information sur ces faux alors qu’ils affectaient les preuves produites au soutien de l’accusation. Il invoque les articles 6 § 1 et 13 de la Convention, aux termes desquels :

Article 6 § 1

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...) qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. »

Article 13

« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles. »

57.  Le requérant soutient en outre avoir été privé des facilités nécessaires et suffisantes à la préparation de sa défense, en raisons du refus des juridictions de jugement de sursoir à statuer et d’ordonner un supplément d’information à la suite de la production, tronquée, puis tardive et incomplète, d’un élément de preuve au soutien de l’accusation. Il invoque, outre l’article 6 § 1 de la Convention précité, l’article 6 § 3 b), aux termes duquel :

« 3.  Tout accusé a droit notamment à :

(...)

b)  disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense ».

58.  Quant au premier grief (paragraphe 56 ci-dessus), l’applicabilité de l’article 6 § 1 de la Convention n’étant pas douteuse s’agissant d’une procédure relative à une « accusation en matière pénale » dirigée contre le requérant, et l’article 6 constituant une lex specialis par rapport à l’article 13 (voir, par exemple, Kudła c. Pologne [GC], no 30210/96, § 146, CEDH 2000‑XI), il convient d’examiner les allégations du requérant sous l’angle de la première de ces dispositions uniquement.

59.  Ceci étant précisé, la Cour rappelle qu’il ne lui appartient pas de connaître des erreurs de fait ou de droit prétendument commises par une juridiction interne, sauf si et dans la mesure où elles pourraient avoir porté atteinte aux droits et libertés sauvegardés par la Convention. Si l’article 6 garantit le droit à un procès équitable, il ne réglemente pas pour autant l’admissibilité des preuves en tant que telles, matière qui relève au premier chef du droit interne. Elle n’a donc pas à se prononcer, par principe, sur l’admissibilité de certaines sortes d’éléments de preuve, par exemple des éléments obtenus de manière illégale au regard du droit interne. Elle doit examiner si la procédure, y compris la manière dont les éléments de preuve ont été recueillis, a été équitable dans son ensemble. Pour ce faire, il faut aussi se demander si les droits de la défense ont été respectés. Il faut rechercher notamment si le requérant s’est vu offrir la possibilité de remettre en question l’authenticité de l’élément de preuve et de s’opposer à son utilisation. Il faut prendre également en compte la qualité de l’élément de preuve, y compris le point de savoir si les circonstances dans lesquelles il a été recueilli font douter de sa fiabilité ou de son exactitude (voir, par exemple, Bykov c. Russie [GC], no 4378/02, §§ 88-90, 10 mars 2009, ainsi que les références qui y figurent).

60.  S’agissant du second grief (paragraphe 57 ci-dessus), la Cour rappelle que les exigences du paragraphe 3 de l’article 6 représentent des aspects particuliers du droit à un procès équitable garanti par le paragraphe 1. Eu égard aux circonstances de l’espèce, elle juge superflu d’examiner les allégations du requérant séparément sous l’angle du paragraphe 3 b) (voir, par exemple, Rowe et Davis c. Royaume-Uni [GC], no 28901/95, § 59, CEDH 2000‑II).

61.  En somme, s’agissant de ces deux griefs, la Cour entend rechercher si, considérée dans son ensemble, et eu égard aux critiques formulées par le requérant, la procédure pénale dont le requérant a été l’objet a revêtu un caractère équitable.

62.  Elle observe à cet égard que le requérant a eu la possibilité de saisir la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Lyon et d’obtenir par ce biais un contrôle de la régularité des actes de l’information judiciaire, et qu’il en a usé pour présenter plusieurs demandes d’annulations de pièces. Il a pareillement été en mesure de présenter les arguments en défense de sa cause, y compris des arguments tirés de l’illégalité de pièces de la procédure, et de formuler des demandes d’investigations complémentaires, devant le tribunal correctionnel puis la cour d’appel de Lyon. Il a de plus eu la possibilité, dans le cadre des pourvois qu’il a formés devant la Cour de cassation contre l’arrêt de la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Lyon du 17 octobre 2013 (paragraphe 18 ci-dessus) et l’arrêt de la cour d’appel de Lyon du 24 mars 2015 (paragraphe 36 ci-dessus), de développer les moyens relatifs au respect des règles de procédure et à la correcte application du droit qui lui semblaient pertinents. Il ressort en outre du dossier qu’il a bénéficié d’un débat contradictoire et d’une audience publique devant chacune de ces juridictions, dont l’indépendance et l’impartialité ne sont pas en cause, lesquelles ont pleinement examiné ses arguments et demandes et y ont répondu de manière motivée.

63.  S’agissant en particulier de l’allégation du requérant selon laquelle des pièces de la procédure pénale qui le visait étaient entachées de faux, ce qui importe au regard de son droit à un procès équitable c’est que cette allégation ait été dûment examinée dans le cadre de cette procédure par les juridictions de jugement. La circonstance que le juge du fond n’ait pas sursis à statuer dans l’attente d’une décision sur les plaintes avec constitution de partie civile pour faux déposées par le requérant est à cet égard dénuée de pertinence.

64.  La cour d’appel de Lyon a ainsi jugé dans son arrêt du 24 mars 2015 qu’il lui revenait d’examiner la régularité des actes que le requérant dénonçait comme étant des faux et d’apprécier l’intégrité, la loyauté et la suffisance des preuves qui lui étaient soumises (paragraphe 30 ci-dessus). Elle a dûment procédé à cette vérification, relevant que de nombreux réquisitions et procès-verbaux relatifs à des investigations en téléphonie étaient irréguliers en la forme en ce qu’ils ne comportaient pas de signatures correspondant à celles des officiers de police judiciaire mentionnés comme étant leur auteur. Elle a également relevé que plusieurs procès-verbaux faisaient état de la participation de policiers à des opérations de surveillance alors qu’il résultait d’autres procès-verbaux qu’ils se trouvaient dans leurs bureaux au moment de ces opérations. Elle a toutefois constaté, sur le premier point, que les actes en question correspondaient à des recherches en téléphonie qui n’avaient pas permis d’obtenir des éléments de preuve à la charge des prévenus. Sur le second point, elle a constaté que les procès-verbaux en question correspondaient à des actes formels et répétitifs dont la rédaction était susceptible d’être déléguée par les officiers de police judiciaire à des collaborateurs, agissant sur leurs directives et sous leur contrôle, et que ces documents, qu’il était d’usage de traiter par courrier interne de service, n’étaient pas nécessairement signés au moment précis où ils étaient mentionnés avoir été dressés. Elle en a déduit qu’il n’était pas établi que les procès-verbaux en question mentionnaient faussement la participation des officiers de police judiciaires aux opérations de surveillance relatées (paragraphe 33 ci-dessus).

65.  Il apparaît ainsi que les irrégularités constatées concernaient des pièces du dossier qui ne constituaient pas des éléments à charge du requérant, ou n’étaient pas de nature à caractériser un faux.

66.   La Cour de cassation a ensuite confirmé qu’il appartenait à la cour d’appel de Lyon de se prononcer sur les éventuelles irrégularités des actes de la procédure proposées à son appréciation, sans qu’elle ait à attendre l’issue d’une instance distincte portant sur des infractions prétendument commises lors de l’accomplissement de ces actes (paragraphe 37 ci-dessus).

67.  S’agissant de l’allégation du requérant selon laquelle il n’aurait pas été en mesure de débattre contradictoirement d’un élément de preuve, elle concerne des fichiers contenus dans un CD-ROM crypté intitulé « recherche et téléphonie ». Le requérant soutient que les codes d’accès qui lui ont été fournis par le parquet en novembre 2014 ne permettaient pas d’ouvrir certains de ces fichiers.

68.  La Cour observe toutefois que la cour d’appel de Lyon a établi que, contrairement à ce qu’indiquait le requérant, les fichiers litigieux pouvaient être ouverts à l’aide des codes fournis par le parquet. Elle en a déduit que le moyen selon lequel le requérant n’aurait pu accéder à l’ensemble des pièces du dossier d’information manquait en fait. Elle a de plus considéré qu’il n’y avait pas lieu d’ordonner la transcription des CD-ROM dès lors que les documents qui y étaient archivés étaient accessibles (paragraphe 30 ci-dessus).

69.  Partant, vu la manière dont la procédure pénale dont le requérant a été l’objet s’est déroulée, notamment l’attention avec laquelle les juridictions internes ont examiné et répondu à ses arguments et demandes, on ne saurait retenir que, considérée dans son ensemble, cette procédure n’a pas revêtu un caractère équitable.

70.  Il s’ensuit que cette partie de la requête est manifestement mal fondés et doit être rejetée en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.

Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,

Déclare la requête irrecevable.

Fait en français puis communiqué par écrit le 11 juin 2020.

Anne-Marie Dougin Gabriele Kucsko-Stadlmayer
 Greffière adjointe f.f. Présidente

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Textes cités dans la décision

  1. Code de procédure pénale
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CEDH, Cour (cinquième section comité), BESSAME c. FRANCE, 19 mai 2020, 11/17