CEDH, Cour (troisième section), AFFAIRE MILAN c. FRANCE, 24 janvier 2008, 7549/03

  • Garde à vue·
  • Coups·
  • Interpellation·
  • Police·
  • Gouvernement·
  • Médecin·
  • Fait·
  • Torture·
  • Érosion·
  • Blessure

Chronologie de l’affaire

Commentaire1

Augmentez la visibilité de votre blog juridique : vos commentaires d’arrêts peuvent très simplement apparaitre sur toutes les décisions concernées. 

CEDH · 18 janvier 2008

.s32B251D { margin:0pt; text-align:center } .s7D2086B4 { font-family:Arial; font-size:12pt; font-weight:bold } .s8AD2D3F6 { margin:0pt; text-align:right } .sB8D990E2 { font-family:Arial; font-size:12pt } .s746C8714 { margin:0pt; text-align:justify } .sF97C7C07 { font-family:Arial; font-size:12pt; text-decoration:underline } .s38C10080 { font-family:Arial; font-size:12pt; font-style:italic; font-weight:bold } .sEA881CDF { font-family:Arial; font-size:8pt; vertical-align:super } .s6E50BD9A { margin:0pt } .s17E17DCD { font-family:Arial; font-size:12pt; font-weight:bold; …

 
Testez Doctrine gratuitement
pendant 7 jours
Vous avez déjà un compte ?Connexion

Sur la décision

Référence :
CEDH, Cour (Troisième Section), 24 janv. 2008, n° 7549/03
Numéro(s) : 7549/03
Type de document : Arrêt
Date d’introduction : 24 février 2003
Jurisprudence de Strasbourg : Berktay c. Turquie, no 22493/93, § 167 et § 168, 1 mars 2001
Büyükdag c. Turquie, no 28340/95, § 51, 21 décembre 2000
Caloc c. France, no 33951/96, p. 31, § 97, CEDH 2000-IX
Irlande c. Royaume-Uni, arrêt du 18 janvier 1978, série A no 25, p. 65, § 161 in fine
Aydin c. Turquie, arrêt du 25 septembre 1997, Recueil 1997-VI, p. 1889, § 73
Ribitsch c. Autriche, arrêt du 4 décembre 1995, série A no 336, §§ 31 et 38
Tekin c. Turquie, arrêt du 9 juin 1998, Recueil des arrêts et décision 1998-IV, §§ 52-53
Klaas c. Allemagne, 22 septembre 1993, série A no 269, p. 17, § 30
Mattei c. France, du 19 décembre 2006, no 34043/02, § 46
R.L. et M.-J.D. c. France, no 44568/98, § 67, 19 mai 2004
Rehbock c. Slovénie du 28 novembre 2000, n° 29462/95, Recueil 2000-XII
Rivas c. France, no 59584/00, § 38, 1 avril 2004
Selmouni c. France [GC], no 25803/94, §§ 87, 88, 95, CEDH 1999-V
Tomasi c. France, 27 août 1992, série A no 241-A, §§ 108-111
Niveau d’importance : Importance faible
Opinion(s) séparée(s) : Non
Conclusions : Non-violation de l'art. 3 ; Non-violation de l'art. 13
Identifiant HUDOC : 001-84676
Identifiant européen : ECLI:CE:ECHR:2008:0124JUD000754903
Télécharger le PDF original fourni par la juridiction

Sur les parties

Texte intégral

TROISIÈME SECTION

AFFAIRE MILAN c. FRANCE

(Requête no 7549/03)

ARRÊT

STRASBOURG

24 janvier 2008

DÉFINITIF

24/04/2008

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l'article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.


En l'affaire Milan c. France,

La Cour européenne des Droits de l'Homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :

Boštjan M. Zupančič, président,
Corneliu Bîrsan,
Jean-Paul Costa,
Elisabet Fura-Sandström,
Egbert Myjer,
Ineta Ziemele,
Isabelle Berro-Lefèvre, juges,
et de Stanley Naismith, greffier adjoint de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 4 janvier 2008,

Rend l'arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1.  A l'origine de l'affaire se trouve une requête (no 7549/03) dirigée contre la République française et dont un ressortissant de cet Etat, M. Daniel Milan (« le requérant »), a saisi la Cour le 24 février 2003 en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).

2.  Le requérant, qui a été admis au bénéfice de l'assistance judiciaire, est représenté par Me José-Marie Bertozzi, avocat à Nice. Le gouvernement défendeur était représenté par son agent, Mme E. Belliard, directrice des affaires juridiques au ministère des Affaires étrangères.

3.  Le 5 juillet 2005, la Cour a décidé de communiquer au Gouvernement pour observations écrites (article 54 § 2 b) du règlement de la Cour), les griefs formulés par le requérant sur le terrain des articles 3 et 13 de la Convention, et a décidé de déclarer la requête irrecevable pour le surplus. Par une décision du 1er février 2007, elle a déclaré le restant de la requête recevable.

EN FAIT

4.  Né en 1947 et résidant à Nice, le requérant est agent de sécurité. A l'époque des faits, il mesurait 1 m 71 et pesait 92 kilos.

5.  Le requérant envoya un dessin commenté par le biais d'une télécopie à l'association parisienne « J'accuse » dont le but « est de combattre le racisme, l'antisémitisme et négationnisme sous toutes ses formes, et dont l'objet est de lutter contre leur diffusion par tout moyen de communication au public, et en particulier par voie de télécommunication sur le réseau internet ». Cet envoi fut considéré par les autorités comme une menace de mort liée à une entreprise terroriste.

6.  Le 1er octobre 2001, quatre fonctionnaires de police procédèrent, sur instruction du parquet, à l'interpellation du requérant à son domicile pour menaces de mort liées à une entreprise terroriste. Le procès-verbal de transport sur les lieux indique ceci :

« (...) Constatons qu'un homme nous ouvre la porte, sollicitons du mis en cause de se présenter et il déclare se nommer Milan Daniel et nous invective en ces termes « Qu'est-ce que vous voulez ? »

J'indique à cet homme que nous avons des instructions du parquet concernant des faits de message à caractère racial et que nous devons l'entendre sur les faits.

Dès lors l'individu tente de refermer la porte en déclarant « vous n'avez rien à foutre ici ».

Je réussis à bloquer la porte avec ma jambe et l'individu me repousse avec la main en me poussant le visage vers l'arrière.

Vu les faits, j'appréhende avec fermeté l'individu et le bloque contre le mur du couloir.

Il hurle et se débat et nous devons employer la force strictement nécessaire et avons menotté l'individu qui a, à de multiples reprises, tenté de s'échapper.

Arrivé au bureau de police, l'individu a déclaré qu'il allait s'occuper de nous (...) »

Entendu le même jour sur ces faits, le requérant déclara :

« Aujourd'hui, vers 14 h 45, des policiers en tenue et l'un en civil ont sonné à ma porte. Celui qui m'a présenté une carte de police, m'a dit qu'il fallait que je les suive, mais ils n'ont pas précisé pourquoi, bien qu'ayant ouvert ma porte, je ne les ai pas autorisés à entrer.

L'individu qui semblait être le chef a bloqué la porte en mettant son pied devant la porte, j'ai repoussé la porte violemment car je ne voulais pas que ces gens rentrent chez moi.

Ils m'ont alors sauté dessus pour me maîtriser et me menotter.

Après, ils m'ont fait descendre l'escalier et m'ont emmené à pied au commissariat des Moulins qui se trouvait environ à 300 mètres de mon immeuble. (...) »

7.  Sur demande du requérant, un médecin fut réquisitionné pour l'examiner. Le certificat médical rédigé par le docteur R. ce même jour à 20 h 15 se lit ainsi :

« Doléances : gêne respiratoire. Céphalées. Douleur pharyngée.

Examen clinique : (...) allègue une dyspnée. Réflexe nauséeux. Pleurs à l'évocation des allégations.

Autre : Voix rauque, douleur cartilage cricoïde, cervicalgie en extension, contusion genou gauche de 5 cms. Trace contuse thoracique  antéro-supérieure droite de 3 sur 5 cms, contusion rougeâtre sus-claviculaire de 4 sur 0,5 cms.

Deux hématomes bleuâtres arrondis de 1 cm de diamètre face avant-bras droit. Contusion rougeâtre pli coude droit de 1 cm de diamètre.

Erosions arrondies du dos au nombre de 10 de 5 à 12 cms de long évoquant des griffures.

Traces de menottage bilatéral rougeâtres. »

En conclusion, le médecin indiquait que l'état de santé du requérant était incompatible avec la garde à vue et l'adressait aux urgences Saint-Roch.

8.  Un procès-verbal dressé à 21 h 10 indique que le poste de commandement a été sollicité pour organiser le transport du requérant à l'hôpital Saint-Roch. Un certificat délivré par le service des urgences à 21 h 30 précise que le requérant n'a pas été admis et a été remis aussitôt aux fonctionnaires. Un autre procès-verbal rédigé à 0 h 40 indique le retour du requérant.

9.  Le requérant put également rencontrer un avocat au cours de la garde à vue.

10.  Le 2 octobre 2001, la garde à vue du requérant fut prolongée pour 24 heures en particulier pour permettre une expertise psychiatrique, qui fut réalisée le jour même.

11.  Le 3 octobre 2001, à l'issue de la garde à vue, le requérant fut présenté au procureur de la République, qui lui notifia une convocation par procès-verbal pour des faits de rébellion.

12.  Le requérant consulta le même jour le docteur N., son médecin traitant, qui établit un certificat médical d'ITT (incapacité totale de travail) de dix jours constatant ceci :

« [Le requérant présente] des hématomes douloureux au niveau des deux poignets avec œdème des deux mains, des hématomes au niveau du bras droit, des traces de strangulation au niveau du cou avec douleur à la palpation des cordes vocales avec aphonie, des douleurs à la palpation et mobilisation du rachis cervical et de multiples traces de griffure au niveau du rachis dorso lombo sacré à l'aide d'un objet tranchant, des traces d'égratignure et hématomes douloureux au niveau des genoux; il se plaint également de céphalées fronto temporo occipitales et de sensations d'être dans un brouillard ».

13.  Le même jour, le requérant fit prendre des photographies de son dos par un photographe professionnel.

14.  Le 5 octobre 2001, le docteur S., médecin légiste expert près la cour d'appel, après avoir entendu et examiné le requérant, conclut ainsi :

«  Traces traumatiques en région lombaire, aux membres supérieurs et aux poignets pouvant être rattachées aux faits du 01 octobre 2001. Les plaies décrites ont été occasionnées par un objet piquant. L'action des menottes peut être évoquée. De même le frottement sur un plan présentant des aspérités est plausible.

Douleurs déclarées de la face antérieure du cou du rachis cervical.

Ralentissement anxieux et poussée tensionnelle.

Un arrêt de travail est en cours et paraît justifié.

L'incapacité totale de travail personnel (ITTP) au sens du code pénal sera inférieure à 8 jours sauf élément nouveau ».

15.  Le 9 octobre 2001, le requérant écrivit au procureur de la République pour se plaindre de faits de violences de la part des policiers ayant procédé à son arrestation. Le 29 octobre suivant, le procureur de la République saisit la police judiciaire pour enquêter sur les faits, et notamment sur l'origine des griffures sur le dos du requérant. Les lieutenants de police, P. et D., et le docteur R., qui avait examiné le requérant pendant sa garde à vue, furent auditionnés. Le lieutenant P., entendu le 23 novembre 2001, déclara notamment :

« J'ai sonné à la porte de l'appartement. (...) Un homme vêtu d'un tee-shirt, d'un pantalon genre bas de pyjama ou jogging avec chaussons, a ouvert assez rapidement. (...) Le nommé Milan m'a aussitôt déclaré « vous n'avez rien à foutre ici » et a tenté de refermer violemment la porte de son appartement. J'ai glissé ma jambe droite, afin de prévenir son geste. L'intéressé a essayé de me repousser en me portant un léger coup au niveau de la face. En fait, tout en faisant pression avec son corps pour fermer la porte, avec la main, il me poussait au niveau du visage.

Mes collègues voyant cela m'ont aidé à repousser la porte de l'appartement. Dans le même temps, j'ai saisi Milan à hauteur des bras et l'ai maintenu contre le mur du couloir de l'appartement. Comme Milan essayait par tous les moyens de se dégager, en hurlant et en se débattant, il était impossible de lui mettre les menottes. Avec mes collègues nous avons dû le coucher à terre sur le ventre pour pouvoir le maîtriser. Nous avons fait usage de la force strictement nécessaire pour l'interpeller mais j'insiste sur le fait que l'interpellation s'est déroulée sans aucune violence et qu'à aucun moment l'intéressé n'a reçu de coups. Les menottes lui ont été passées dans le dos.

(...)

J'ai rejoint rapidement le poste de police, et à mon arrivée, mes collègues m'ont expliqué que le nommé Milan lors de son acheminement pédestre au poste les avait encore insultés en hurlant dans la rue (...) et en ameutant la foule en criant « au secours, ils veulent me tuer ». Mes collègues m'ont précisé que durant le trajet, il avait tenté de s'échapper à plusieurs reprises en se débattant et s'était également jeté à terre où il s'était traîné, refusant de les suivre. Arrivé au poste, Milan avait poursuivi ses injures et les avait menacés leur disant « vous en faites pas, je vais m'occuper de vous ».

Pour toutes ces raisons, mes collègues m'ont informé qu'ils avaient préféré ne pas lui enlever ses menottes (...).

J'ai aussitôt demandé à mes collègues de lui enlever les menottes et de le conduire dans mon bureau situé au deuxième étage.

A peine arrivé sur place, Milan s'est immédiatement jeté sur le bureau et a balancé violemment tout ce qui s'y trouvait en hurlant encore (...) et en émettant des râles.

J'ai dû le ceinturer en l'enserrant avec mes bras et je l'ai fait asseoir à terre. Etaient présents mes collègues (...), lesquels ne sont intervenus à ma demande que pour lui passer les menottes dans le dos. (...)

Vous me donnez connaissance des déclarations du nommé Milan Daniel alléguant notamment « avoir été frappé avec les poings et les pieds » lors de son interpellation, « avoir reçu des coups sur la tête et sur le dos » lors de sa conduite au poste de police, et « avoir été humilié, frappé, voire étranglé » dans le bureau. Je conteste formellement toutes ces déclarations qui sont mensongères et diffamatoires.

Je prends acte que vous me présentez les photographies produites par Milan à l'appui de sa plainte. Je maintiens être étranger à ces traces lesquelles n'ont pu être causées à mon avis que par l'intéressé lui-même avec les menottes. De même, en ma qualité de responsable du bureau de police Saint-Augustin, je peux certifier que ces traces ne peuvent être imputées à l'ensemble de mes collègues qui m'ont assisté lors de l'interpellation de l'intéressé, car les actes de violence et barbarie dénoncés par Milan Daniel n'ont jamais eu cours dans mon service. (...) »

16.  Le 28 novembre 2001, le docteur R., qui avait examiné le requérant lors de sa garde à vue, fut entendue. Elle déclara notamment :

« Avant de m'expliquer en détail sur cet examen, je voudrais préciser que le fait pour moi de mettre 'état de santé incompatible avec la mesure de garde à vue' n'a aucunement été motivé par les traces contuses et érosions décrites sur mon certificat médical.

Je me souviens parfaitement de l'homme que j'ai examiné et dont vous me rappelez le nom, Milan Daniel. J'ai rédigé la mention d'incompatibilité avec la mesure de garde à vue, car ce monsieur se plaignait entre autre, d'avoir été serré à la gorge. Or, un examen minutieux de la gorge et du cou ne laissait apparaître absolument aucune trace extérieure pouvant attester le serrement allégué. (...)

En ce qui concerne M. Milan, je peux écarter formellement toute trace de 'serrement de gorge', car il n'y en avait pas. (...)

Dans la rubrique 'lésion traumatique récente', j'ai noté les conclusions suivantes : [voir le paragraphe 7 ci-dessus].

Je voudrais là encore avant de développer mon examen, préciser que ces indications précitées ne sont aucunement à l'origine de ma décision de déclarer l'incompatibilité avec la mesure de garde à vue. J'ai souvenir d'érosions superficielles du dos pour M. Milan.

Vous m'informez que M. Milan a déposé plainte à l'encontre des policiers qui ont procédé à son interpellation et allègue notamment des 'coups portés sur la tête et le dos', 'des coups frappés fort dans le dos lui faisant hurler de douleur', des 'coups de poings et de pieds', de 'sa tête qui aurait été cognée contre le mur et le bord du bureau', 'd'une tentative d'étranglement lui faisant presque perdre connaissance'.

Vous m'indiquez également que M. Milan déclare 'qu'après avoir constaté les coups et examiné les blessures', j'aurais demandé une hospitalisation.

J'ai indiqué à M. Milan que je l'adressais à l'hôpital pour des examens complémentaires, notamment au vu de sa tension élevée. Je n'ai constaté aucune trace de coups sur la région céphalique de M. Milan.

De même, les lésions du dos étaient érosives et superficielles non contuses.

Je suis également formelle sur ce point, M. Milan ne présentait aucune trace de serrement de gorge ou strangulation.

Je prends acte que vous me présentez les photographies fournies par M. Milan à l'appui de sa plainte.

Il s'agit bien des traces que j'ai constatées lors de mon examen qui, comme vous pouvez le remarquer, se situent toutes sur la partie inférieure du dos. Il s'agit d'érosions arrondies, voulant signifier incurvées. J'en ai relevé dix et je les ai mesurées à la règle. Les plus petites mesuraient 5 cm et les plus grandes 12 cm et étaient fortement évocatrices de griffures comme je l'ai mentionné, ce qui exclut pour moi l'utilisation d'un objet contondant et tranchant. (...)

Je peux dire que mon examen médical est compatible avec une interpellation dans un contexte agité, eu égard aux traces contuses thoraciques et du bras droit que j'ai notées. Le mot trace signifie qu'il s'agit d'une lésion discrètement rougeâtre. Les hématomes (deux) et la contusion du bras droit arrondies mesurant 1 cm de diamètre, sont compatibles avec une prise manuelle. La contusion rougeâtre susclaviculaire se situe également dans une zone qui peut être une prise. Je n'ai constaté aucune lésion évoquant un serrement de gorge. »

17.  Le 30 novembre 2001, l'officier de police chargé de l'enquête suite aux réquisitions du procureur en date du 29 octobre précédent fit son rapport, reprenant l'essentiel des déclarations faites par les personnes entendues au cours de l'enquête. La plainte du requérant fit ultérieurement l'objet d'un classement sans suite.

18.  Par un jugement du 10 décembre 2001, le tribunal correctionnel de Nice condamna le requérant à quatre mois d'emprisonnement avec sursis pour avoir, le 1er octobre 2001, résisté avec violence à un lieutenant de police agissant dans l'exercice de ses fonctions. Les 11 et 13 décembre 2001, le requérant, puis le ministère public interjetèrent appel du jugement.

19.  Le requérant porta plainte avec constitution de partie civile le 21 février 2002. Il exposait que les policiers étaient entrés en force à l'intérieur de son appartement et avaient immédiatement commencé à lui asséner des coups de pied et des coups de poing. Il ajoutait avoir été poussé dans l'escalier de son immeuble en présence d'autres policiers qui l'avaient également frappé devant témoins. En outre, durant le trajet entre son domicile et le commissariat (environ 300 m) qui fut fait à pied, il avait encore été frappé, les différents policiers l'obligeant à se courber alors qu'il était entravé par son pantalon qui était tombé, sans qu'on l'autorise à le remonter. Il était tombé à plusieurs reprises et avait reçu des coups dans le dos avec un objet tranchant. Arrivé au commissariat, il faisait l'objet de coups de pied, coups de poing et d'une tentative de strangulation. En sortant du commissariat, il était à nouveau frappé sur la voie publique et devant témoins.

20.  Une information fut ouverte contre X pour des faits de violences volontaires ayant entraîné une ITT supérieure à huit jours par personnes dépositaires de l'autorité publique (articles 222-11 et 222-12 du code pénal). Une commission rogatoire fut délivrée à l'inspection générale de la police nationale de Paris (IGPN). Les policiers chargés de l'enquête entendirent tous les protagonistes de l'affaire et parvinrent à la conclusion que les conditions d'interpellation du requérant étaient justifiées par leur cadre juridique et que les allégations de violences étaient non fondées. Ils estimèrent notamment que les constatations médicales initiales ne relevaient aucune contusion confirmant les accusations du requérant, à savoir aucune contusion à la tête, alors que l'intéressé soutenait avoir été assommé sur le capot de différentes voitures. En outre, il fut relevé des traces superficielles du type « griffures » alors qu'une lacération à l'aide d'un « cutter » était alléguée.

21.  Le 22 avril 2002, le procureur de la République prit un réquisitoire de non-lieu, estimant qu'il n'existait pas de charges suffisantes contre quiconque d'avoir commis des violences volontaires par personnes dépositaires de l'autorité publique.

22.  Le 2 décembre 2002, le juge d'instruction entendit le requérant sur les conclusions de l'enquête. Le procès-verbal dressé à cette occasion se lit notamment comme suit :

« Question (Q) : Une enquête de l'IGPN diligentée sur commission rogatoire (...) nous a été retournée. (...) Le médecin légiste n'a par ailleurs constaté aucune trace de coups sur la tête et a précisé que les lésions du dos étaient érosives et superficielles. Les constatations aux urgences (...) confirment les constatations du Docteur R. Le certificat du Docteur N. parle de traces de griffures à l'aide d'un 'objet tranchant' sans que ce dernier terme puisse être corroboré par des constatations faites aux urgences et par le légiste. Avez-vous une observation ?

Réponse (R) : Tout cela me paraît sans fondement. Les déclarations du Docteur R. me semblent invraisemblables au vu des lésions objectives que je présentais. Je suis particulièrement surpris des termes de son témoignage concernant les traces de strangulations puisqu'elle répète à quatre reprises n'avoir constaté aucune trace de ce type. Une telle insistance me semble suspecte. Le fait qu'elle travaille souvent avec la police en sa qualité de légiste semble devoir être relié à ses déclarations. Je puis vous fournir ce jour copie d'un certificat médical que je n'ai pas joint à la procédure mais qui émane du Docteur S., autre médecin légiste et d'où il ressort contrairement aux allégations du Docteur R. que les plaies décrites ont été occasionnées par 'un objet piquant'. Cela s'est passé le long du trajet à pied jusqu'au commissariat avec un objet type 'pointe au bout d'un manche'. C'est un gardien de type nord-africain qui est l'auteur des coups.

Q : Vous n'avez par ailleurs fait aucune allusion devant votre avocat à ces violences lors de l'entretien de la 20ème heure durant votre garde à vue, ni semble-t-il devant le substitut qui vous a reçu le 3 octobre 2001 à votre sortie de garde à vue (...)

R : J'avais demandé à voir Me B. qui a toujours été mon avocat et j'ai vu arriver un avocat d'office. Je n'ai pas souvenir du nom de ce dernier. Je lui ai bien précisé que j'avais bien été 'tabassé'. Quant au substitut devant lequel j'ai été présenté, ce dernier à qui j'ai déclaré avoir été frappé m'a indiqué que les examens prouvaient le contraire.

Q : (...) Selon l'IGPN les blessures constatées pourraient être la conséquence de votre attitude lors de votre interpellation puisqu'il n'est pas nié, y compris par les policiers, que l'usage de la force a été nécessaire pour vous maîtriser. Avez-vous une observation ?

R : En fait mon interpellation ne s'est pas du tout passée comme indiqué par les policiers. J'ai entendu sonner à la porte et j'ai vu qu'il s'agissait de policiers. J'ai ouvert et ils m'ont exhibé un dessin humoristique (...). J'ai reconnu être l'auteur du dessin et ils ont commencé à m'insulter alors que la porte était ouverte. Ils m'ont maîtrisé en me plaquant au sol avec des menottes et ils m'ont étranglé avec un 'tonfa'. Puis ils m'ont jeté dans l'escalier puisque j'habite au premier étage et m'ont ramené en m'obligeant à courir jusqu'au commissariat. Ils ont frappé ma tête sur divers véhicules en stationnement. Je suis rentré au commissariat et ils m'ont malmené en m'amenant jusqu'à la cellule à l'étage. Par la suite, leur chef en civil est arrivé et m'a mis deux gifles et m'a cogné la tête contre le mur. Enfin, ils m'ont mis dans la cellule de garde à vue au rez-de-chaussée. Ils m'ont ensuite tapé la tête contre le bureau de leur chef à plusieurs reprises au point que des dossiers sont tombés du bureau. Pour finir, ils m'ont sauté dessus et m'ont étranglé avec le 'tonfa'. (...)

Q : Comment expliquer après une telle description que vous n'ayez présenté aucune trace de coup sur la tête ou de strangulation, ce qui ne ressort ni des certificats médicaux établis à la demande des policiers ni de ceux établis à votre demande ou des photos que vous m'avez fournies ?

R : Je veux bien pour les coups sur la tête mais je ne comprends toujours pas qu'aucune trace de strangulation n'ait pu être relevée. Je ne comprends toujours pas ce déchaînement de violence à mon égard. (...) »

23.  Par un avis du 4 décembre 2002, le juge d'instruction signala au requérant que l'information lui paraissait terminée. Par un courrier du 19 décembre 2002, le requérant sollicita du juge d'instruction l'audition du docteur N.

24.  Le 10 janvier 2003, le docteur P. établit un certificat médical dans lequel on pouvait lire :

« (...) Le blessé me présente également des photographies confirmant qu'il s'agit bien de sa personne et montrant effectivement des traces de griffures par objet contondant sur des longueurs effectivement de l'ordre d'une dizaine de centimètres, et au nombre de 6.

En aucun cas ces traces ne peuvent être dues à un frottement ; tout au plus peut-on admettre un frottement sur un plan présentant des aspérités (en général les parquets, trottoirs, et locaux divers ne présentent pas de telles aspérités sur le sol... !).

L'action des menottes peut être évoquée, mais paraît difficile du fait des formes arrondies des menottes, de la corpulence de l'intéressé et de certaines lésions qui sont assez hautement situées dans le dos.

Le blessé signale actuellement l'existence de douleurs à la déglutition, de gêne lors de son alimentation, ainsi que de douleurs cervicales antérieures. Il se plaint également de cervicalgies avec une certaine raideur à la mobilisation des différents axes.

Il existe manifestement un état 'd'effroi' à l'évocation des faits. Il me signale présenter des cauchemars avec reviviscence des faits traumatisants.

Il signale également des douleurs du genou droit, au niveau de la face antérieure. Il me signale que lorsqu'il aurait été transféré du commissariat à l'hôpital Saint Roch, il aurait été traîné sur les genoux.

[Le requérant] me signale des céphalées persistantes et importantes ainsi que l'existence d'une hypertension artérielle qui serait apparue au cours de cette agression du 1/10/2001 et qui serait actuellement traitée par le docteur N., mais encore mal stabilisée. »

25.  Par une ordonnance du 16 mai 2003, le juge d'instruction déclara qu'il n'y avait lieu à suivre en l'absence de charges suffisantes contre quiconque.

26.  Le 20 mai 2003, le requérant interjeta appel de la décision. Par un arrêt du 27 mai 2004, la chambre de l'instruction de la cour d'appel d'Aix-en-Provence confirma l'ordonnance de non-lieu en estimant :

« Qu'il convient de souligner en premier lieu que le 1er octobre 2001, les effectifs du poste de police de Saint Augustin à Nice ont répondu à la réquisition expresse du Parquet de Nice aux fins d'entendre [le requérant] dans le cadre d'une affaire de menaces de mort adressées par e-mail à une association et que le cadre de leur intervention était parfaitement justifié.

Il résulte des déclarations concordantes et constantes des fonctionnaires de police que [le requérant] s'est fortement rebellé lors de cette interpellation et que la force strictement nécessaire a été utilisée pour le maîtriser, l'interpeller et le ramener au poste de police. Aucun élément du dossier ne permet de mettre en doute la parole des policiers interpellateurs.

En second lieu, le docteur R., médecin intervenu lors de la garde à vue, a réfuté les allégations de violences, les seules traces relevées étant compatibles, selon lui, avec des prises en poids et les conditions de l'interpellation décrites par les policiers.

Elle a confirmé dans sa déposition qu'elle avait demandé par prudence l'hospitalisation [du requérant] sur les seules déclarations de ce dernier lequel évoquait des difficultés respiratoires suite à une strangulation dont elle n'a détecté aucune stigmate. Elle a spécifié que les marques de griffures dans le dos, bien que spectaculaires, étaient superficielles et non provoquées par un objet tranchant. Aucune trace de coup sur le corps et la tête n'a été notée.

Ces constatations faites par un médecin légiste assermenté sont conformes aux conditions d'interpellations relatées par les policiers et donc totalement crédibles.

Par contre, le certificat médical établi par le docteur N. a été rédigé le 30 octobre 2001, soit 1 mois après les faits, et s'appuie principalement sur des doléances et des allégations exprimées par [le requérant], à savoir notamment le fait que les griffures lui auraient été infligées à l'aide d'un objet tranchant. Ces doléances avaient été exprimées le 3 octobre 2001 devant les médecins des urgences du CHU de Nice qui avaient, dans leurs constatations, indiqué 'érosion longitudinale sur le dos, type griffure, importante'.

En conséquence, il ne peut être retenu aucune charge suffisante contre quiconque d'avoir commis les faits dénoncés par la partie civile. »

27.  Le 7 juin 2004, le requérant se pourvut en cassation. Par un arrêt du 12 octobre 2004, la Cour de cassation déclara son pourvoi non admis sur le fondement de l'article L131-4 du code de l'organisation judiciaire.

28.  Par un arrêt du 10 janvier 2005, la cour d'appel d'Aix-en-Provence confirma le jugement du 10 décembre 2001 concernant la rébellion, mais condamna le requérant à une peine réduite de deux mois d'emprisonnement avec sursis, considérant :

« qu'il résulte de la procédure et des débats que le parquet de Nice a donné l'ordre aux services de police d'interpeller [le requérant] suite à la diffusion d'un tract pouvant contenir des menaces de mort à caractère raciste ;

que le lieutenant de police R.P., assisté de trois gardiens de la paix, en exécution de ces instructions, s'est présenté au domicile du [requérant] pour procéder à cette interpellation le 1er octobre à 14 heures 45 ;

qu'après avoir décliné son identité et sa fonction, R.P. a demandé [au requérant] de le suivre pour l'entendre sur ces faits ; qu'après avoir demandé aux policiers 'qu'est-ce que vous voulez' en termes vifs, [le requérant] a tenté de refermer la porte sur les policiers en leur déclarant 'qu'ils n'avaient rien à foutre ici' et en poussant vers l'extérieur R.P. ;

qu'il en a été empêché par celui-ci qui a réussi à bloquer la porte avec sa jambe avant d'entrer dans l'appartement assisté des trois gardiens de la paix qui ont dû employer la force pour le maîtriser dès lors qu'il hurlait et se débattait pour tenter de s'échapper ;

attendu que les faits de rébellion étant établis, il échet de confirmer le jugement déféré sur la culpabilité ;

qu'eu égard à l'absence d'antécédents judiciaires du prévenu, et quelle qu'ait pu être son attitude ultérieure par laquelle celui-ci, tout en alertant la presse, a déposé plainte contre les policiers pour violences illégitimes, plainte qui a été classée sans suite par le procureur de la République après une enquête approfondie menée par l'inspection générale de la police nationale pouvant donner lieu à une action pour dénonciation calomnieuse, la cour estime équitable, en se limitant aux faits actuellement poursuivis, de faire une application de la loi pénale plus modérée que celle retenue par les premiers juges et de condamner [le requérant] à la peine de deux mois d'emprisonnement assorti du sursis, tout en excluant la mention de l'inscription de cette condamnation au bulletin no 2 du casier judiciaire, le prévenu étant agent de sécurité. »

29.  Par une déclaration du 10 janvier 2005, le requérant se pourvut en cassation contre l'arrêt l'ayant condamné pour rébellion.

EN DROIT

I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 3 DE LA CONVENTION

30.  Le requérant se plaint de tortures et invoque l'article 3 de la Convention qui se lit ainsi :

« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »

A.  Thèse des parties

1.  Le Gouvernement

31.  Le Gouvernement rappelle en premier lieu la jurisprudence de la Cour relative à l'article 3. Il estime qu'il ressort des faits de l'espèce que l'usage de la force aux fins d'interpeller le requérant ne rentre pas dans le champ d'application de l'article 3. Alors que le requérant se plaint d'avoir été torturé lors de son interpellation à son domicile, sur le trajet menant au commissariat et à l'intérieur de celui-ci, les forces de police n'auraient utilisé la force que parce que les circonstances les y ont contraintes. Il rappelle que le requérant, bien qu'ayant reconnu les policiers à leurs uniformes, a tenté de refermer violemment la porte de son domicile en poussant un agent, puis a tenté de s'échapper lors du trajet vers son domicile, puis a tenté de se laisser tomber par terre en vociférant. Il a ainsi opposé une résistance passive qui a obligé les policiers à l'entraîner par la force. Arrivé au poste de police, alors que les menottes lui avaient été retirées, il s'est jeté sur le bureau de l'enquêteur, balayant tous les objets qui s'y trouvaient, se montrant menaçant, ce qui a entraîné une nouvelle immobilisation et un menottage.

32.  Le Gouvernement fait encore observer que le requérant s'est entretenu avec son avocat pendant la garde à vue, que ce dernier n'a pas fait état d'actes de torture ou de mauvais traitements et que ces allégations n'ont pas été évoquées non plus devant le substitut du procureur. Par ailleurs, la cour d'appel d'Aix-en-Provence a confirmé les agissements violents du requérant en le condamnant, le 10 janvier 2005, pour rébellion.

33.  Se référant à l'arrêt Klaas c. Allemagne (22 septembre 1993, série A no 269), le Gouvernement souligne que le requérant n'a fourni aucun élément matériel convaincant de nature à amener la Cour à s'écarter des constatations des juges nationaux. Il conclut, tout en reconnaissant que la force a été utilisée pour maîtriser le requérant lors de son interpellation, que celle-ci a été, d'une part, rendue nécessaire par les circonstances de l'arrestation et, d'autre part, utilisée de manière proportionnée.

34.  Le Gouvernement estime par ailleurs que les faits de torture allégués ne remplissent pas les critères jurisprudentiels définis par la Cour. Il rappelle sur ce point l'absence de préméditation de porter atteinte à la dignité du requérant, de l'humilier ou de l'avilir et souligne que les blessures n'ont pas atteint un degré de gravité suffisant pour revêtir le qualificatif d'actes prohibés par l'article 3. En conclusion et se référant à l'affaire Caloc c. France (no 33951/96, CEDH 2000‑IX), le Gouvernement considère que les blessures du requérant n'ont pas atteint un degré de gravité suffisant pour tomber sous le coup de l'article 3.

2.  Le requérant

35.  Le requérant maintient que, pour l'interpeller, les policiers sont entrés en force à l'intérieur de son appartement et ont immédiatement commencé à lui asséner des coups de pieds et de poings. Menotté les mains derrière le dos, il a ensuite été poussé dans l'escalier en présence d'autres policiers qui l'ont également frappé. Ces événements se seraient déroulés devant plusieurs témoins qui n'ont jamais été interrogés. Durant le trajet vers le commissariat, le requérant aurait continué à être frappé, les policiers l'obligeant à se courber alors qu'il était entravé par son pantalon qui était tombé, sans qu'on le laisse le remonter. Il ajoute être tombé à plusieurs reprises et avoir reçu plusieurs coups dans le dos à l'aide d'un objet tranchant. Lors de ses auditions au commissariat, lui auraient été assénés des coups de pieds, de poings, de tête et il aurait également fait l'objet d'une tentative de strangulation. A sa sortie du commissariat, il aurait été à nouveau frappé devant témoins.

36.  Le requérant rappelle par ailleurs les constatations qui ont été effectuées par le docteur N. le 3 octobre 2001 et les photographies qui ont été faites.

37.  Il note que le Gouvernement reconnaît partiellement l'usage de la violence, qualifiée de nécessaire et proportionnée, à son encontre.

38.  Il insiste sur le fait que le médecin qui l'a examiné pendant sa garde à vue a jugé son état incompatible avec une mesure de garde à vue, ce qui est une décision particulièrement rare. En outre, il revient sur les griffures constatées dans le bas de son dos, indique qu'il s'agit de blessures beaucoup plus sérieuses, et se réfère aux photographies qui ont été prises.

39.  Le requérant estime par ailleurs que les déclarations du docteur R. ne sont pas crédibles. Selon lui, s'il a été adressé à l'hôpital, c'est en raison de l'inquiétude que son état de santé a dû inspirer au médecin.

40.  Le requérant soutient qu'il a fait l'objet d'un véritable « passage à tabac » dans les locaux de la police, estime que la force utilisée était disproportionnée et qu'il a bien été soumis à des traitements contraires à l'article 3. Il se réfère à la jurisprudence de la Cour en la matière et notamment aux arrêts Tomasi c. France (27 août 1992, série A no 241‑A) et Selmouni c. France ([GC], no 25803/94, CEDH 1999‑V). Pour ce qui est du niveau de gravité, il est d'avis qu'il est établi par les photographies de ses blessures ainsi que par les certificats médicaux et le fait qu'il a été hospitalisé pendant sa garde à vue. Il rappelle par ailleurs que pendant qu'il était en garde à vue, l'État était responsable de lui et que toute blessure intervenue pendant cette période donne lieu à de fortes présomptions. Dès lors, c'est au Gouvernement qu'il incombe de produire des preuves pouvant faire peser des doutes sur son récit.

41.  Le requérant conclut que ses blessures ont atteint un degré de gravité suffisant pour tomber sous le coup de l'article 3.

B.  Appréciation de la Cour

42.  La Cour rappelle que l'article 3 consacre l'une des valeurs fondamentales des sociétés démocratiques. Même dans les circonstances les plus difficiles, telle la lutte contre le terrorisme et le crime organisé, la Convention prohibe en termes absolus la torture et les peines ou traitements inhumains ou dégradants. L'article 3 ne prévoit pas de restrictions, en quoi il contraste avec la majorité des clauses normatives de la Convention et des Protocoles nos 1 et 4, et d'après l'article 15 § 2 il ne souffre nulle dérogation, même en cas de danger public menaçant la vie de la nation (Selmouni, précité, § 95).

43.  Par ailleurs, un mauvais traitement doit atteindre un minimum de gravité pour tomber sous le coup de l'article 3. L'appréciation de ce minimum est relative par essence ; elle dépend de l'ensemble des données de la cause et, notamment, de la durée du traitement, de ses effets physiques ou mentaux ainsi que parfois, du sexe, de l'âge et de l'état de santé de la victime. Lorsqu'un individu se trouve privé de sa liberté, l'utilisation à son égard de la force physique alors qu'elle n'est pas rendue strictement nécessaire par son comportement porte atteinte à la dignité humaine et constitue, en principe, une violation du droit garanti par l'article 3 (Ribitsch c. Autriche, arrêt du 4 décembre 1995, série A no 336, § 38, et Tekin c. Turquie, arrêt du 9 juin 1998, Recueil des arrêts et décision 1998‑IV, §§ 52-53).

44.  Les allégations de mauvais traitement doivent être étayées devant la Cour par des éléments de preuve appropriés (voir, mutatis mutandis, l'arrêt Klaas précité, p. 17, § 30). Pour l'établissement des faits, la Cour se sert du critère de la preuve « au-delà de tout doute raisonnable » ; une telle preuve peut néanmoins résulter d'un faisceau d'indices ou de présomptions non réfutées, suffisamment graves, précises et concordantes (Irlande c. Royaume-Uni, arrêt du 18 janvier 1978, série A no 25, p. 65, § 161 in fine, Aydin c. Turquie, arrêt du 25 septembre 1997, Recueil 1997-VI, p. 1889, § 73, et Selmouni, précité, § 88).

45.  La Cour a souligné cependant que les personnes en garde à vue sont en situation de vulnérabilité et que les autorités ont le devoir de les protéger. Un Etat est responsable de toute personne placée en garde à vue, car cette dernière est entièrement aux mains des fonctionnaires de police. Ainsi, lorsque les événements en cause, dans leur totalité ou pour une large part, sont connus exclusivement des autorités, comme dans le cas des personnes soumises à leur contrôle en garde à vue, toute blessure survenue pendant cette période donne lieu à de fortes présomptions de fait. Il incombe au Gouvernement de produire des preuves établissant des faits qui font peser un doute sur le récit de la victime (Tomasi, précité, §§ 108-111, Ribitsch, précité, § 31, Berktay c. Turquie, no 22493/93, § 167, 1er mars 2001, et Rivas c. France, no 59584/00, § 38, 1er avril 2004). Quelle que soit l'issue de la procédure engagée au plan interne, un constat de culpabilité ou non ne saurait dégager l'Etat défendeur de sa responsabilité au regard de la Convention ; c'est à lui qu'il appartient de fournir une explication plausible sur l'origine des blessures, à défaut de quoi l'article 3 trouve à s'appliquer (Selmouni, précité, § 87, Büyükdag c. Turquie, no 28340/95, § 51, 21 décembre 2000, et Berktay, précité, § 168).

46.  La Cour note tout d'abord que le Gouvernement ne conteste pas que la force a été utilisée par les policiers pour interpeller et maîtriser le requérant.

47.  Elle relève que dans la présente affaire les mauvais traitements allégués se seraient produits lors de l'intervention des policiers pour interpeller le requérant et lors de la garde à vue subséquente.

48.  Elle constate par ailleurs que plusieurs certificats médicaux ont été établis dont trois dans les quatre jours suivant les faits.

49.  Le premier de ces certificats, établi au cours de la garde à vue le 1er octobre 2001, mentionnait des contusions sur le torse, au creux d'un coude et au genou gauche, des hématomes sur un avant-bras, des traces de menottage bilatéral rougeâtres et, dans le dos, des érosions arrondies au nombre de dix.

50.  Un certificat rédigé deux jours plus tard, soit le 3 octobre 2001, par le médecin traitant du requérant relevait des hématomes aux deux poignets avec œdème des deux mains, des hématomes au niveau du bras droit, des traces de strangulation au niveau du cou, des douleurs à la palpation et mobilisation du rachis cervical et de multiples traces de griffure dans le dos à l'aide d'un objet tranchant, des traces d'égratignure et hématomes douloureux au niveau des genoux. Le docteur N. concluait à une incapacité totale de travail (ITT) de dix jours.

51.  Le certificat établi le 5 octobre 2001, soit quatre jours plus tard, par le docteur S. conclut à la présence de traces traumatiques en région lombaire, aux membres supérieurs et aux poignets. Il était ajouté que les plaies décrites avaient été occasionnées par un objet piquant et que l'action des menottes pouvait être évoquée. De même le frottement sur un plan présentant des aspérités était plausible. Le requérant se plaignait également de douleurs au niveau de la face antérieure du cou. Le médecin concluait à une ITT inférieure à huit jours.

52.  Dans ces conditions, la Cour n'aperçoit pas de circonstances susceptibles de l'amener à douter de l'origine de ces douleurs et traces, qui peuvent être considérées comme consécutives à l'utilisation de la force par les policiers lors de l'interpellation du requérant et de sa garde à vue (Klaas, précité, p. 17, § 30, Caloc, précité, p. 31, § 97 et R.L. et M.-J.D. c. France, no 44568/98, § 67, 19 mai 2004 ; voir aussi l'arrêt Rehbock c. Slovénie du 28 novembre 2000, no 29462/95, Recueil 2000‑XII). Dès lors, elle doit rechercher si la force utilisée était, en l'espèce, proportionnée. A cet égard, elle attache une importance particulière aux blessures qui ont été occasionnées et aux circonstances dans lesquelles elles l'ont été.

53.  La Cour relève sur ce point qu'il ressort de l'ensemble des déclarations faites par les différents protagonistes que l'interpellation et le placement en garde à vue du requérant ont été tumultueux.

54.  Les versions des parties divergent sur le déroulement exact des événements.

55.  Lorsqu'il fut entendu le jour-même, le requérant déclara d'abord avoir repoussé la porte violemment à l'arrivée des policiers, puis s'être « fait sauter » dessus pour être maîtrisé et menotté.

56.  Dans sa plainte déposée le 21 février 2002, il exposait que les policiers avaient immédiatement commencé à lui asséner des coups de pieds et des coups de poings. En outre d'autres policiers l'auraient frappé dans l'escalier où il avait été poussé. Durant le parcours entre son domicile et le commissariat, il avait encore été frappé, était tombé à plusieurs reprises et avait reçu des coups dans le dos avec un objet tranchant. Arrivé au commissariat, il avait fait l'objet de coups de pieds, coups de poings et d'une tentative de strangulation. En sortant du commissariat, il avait été à nouveau frappé sur la voie publique et devant témoins.

57.  Devant le juge d'instruction le 2 décembre 2002, le requérant déclara que les plaies au dos lui avaient été causées avec un objet « type pointe au bout d'un manche » par un policier de type nord-africain. Quant à son interpellation, il indiqua que les policiers avaient immédiatement commencé à l'insulter, l'avaient maîtrisé en le plaquant au sol avec des menottes et l'avaient étranglé avec un « tonfa ». Après l'avoir jeté dans l'escalier, ils l'avaient obligé à courir jusqu'au commissariat en lui frappant la tête sur divers véhicules en stationnement. Il fut ensuite malmené en allant jusqu'à la cellule à l'étage. Par la suite, le chef en civil était arrivé et lui avait donné deux gifles et cogné la tête contre le mur. Puis, les policiers lui avaient tapé la tête contre le bureau de leur chef à plusieurs reprises au point que des dossiers étaient tombés du bureau. Pour finir, ils lui avaient « sauté dessus » et l'avaient étranglé avec le « tonfa ».

58.  Au docteur P., le requérant déclara le 10 janvier 2003 qu'il avait été traîné sur les genoux lors de son transfert du commissariat à l'hôpital.

59.  Selon le Gouvernement, le requérant, bien qu'ayant reconnu les policiers à leurs uniformes, a tenté de refermer violemment la porte de son domicile en poussant un agent, puis a essayé de s'échapper lors du trajet vers le commissariat et a encore tenté de se laisser tomber par terre en vociférant. Il a ainsi opposé une résistance passive qui a obligé les policiers à l'entraîner par la force. Arrivé au poste de police, alors que les menottes lui avaient été retirées, il s'est jeté sur le bureau de l'enquêteur, balayant tous les objets qui s'y trouvaient, se montrant menaçant, ce qui a entraîné une nouvelle immobilisation et un menottage.

60.  La Cour note d'emblée que les versions des faits données par le requérant ont considérablement varié au fil du temps, notamment quant aux traitements qui lui auraient été infligés. Il en va ainsi particulièrement de l'origine des griffures dans le dos, dont il a successivement allégué qu'elles avaient été causées par un cutter, puis par une « pointe au bout d'un manche », puis devant la Cour, à nouveau par un cutter.

61.  En outre, certaines de ses allégations ne sont aucunement étayées par les certificats médicaux produits. Ainsi, une chute dans un escalier et des coups de poings et de pieds portés par plusieurs personnes auraient sans aucun doute laissé de nombreuses traces sur le corps du requérant. De même, si la tête du requérant avait été cognée sur plusieurs véhicules et ensuite contre un mur, les médecins l'auraient relevé lors de leurs examens. Quant à la tentative de strangulation, manuelle ou à l'aide d'un instrument, la Cour constate que seul le médecin traitant du requérant en a relevé des traces, les deux médecins légistes ayant examiné le requérant à la même période ne les mentionnant pas. Le docteur R., qui avait examiné le requérant lors de sa garde à vue précisa même lorsqu'elle fut entendue le 28 novembre 2001 : « ce monsieur se plaignait entre autres d'avoir été serré à la gorge. Or, un examen minutieux de la gorge et du cou ne laissait apparaître absolument aucune trace extérieure pouvant attester le serrement allégué. (...) Je peux écarter formellement toute trace de serrement de gorge car il n'y en n'avait pas ». De même, il n'y aucune trace relevée médicalement et qui aurait été la suite des « violents coups dans le dos le faisant hurler de douleur ».

62.  Pour ce qui est des traces relevées, soit deux contusions sur le thorax, une au creux d'un coude, sur un genou et des hématomes sur un avant-bras, elles sont compatibles avec une arrestation effectuée dans les conditions décrites par les parties, ayant nécessité l'exercice de la force par les policiers, le requérant ayant opposé une forte résistance lors de l'intervention et ayant été, à deux reprises, allongé sur le sol pour être menotté. Le requérant ne conteste d'ailleurs pas ces faits.

63.  Par ailleurs, aucun élément du dossier ne permet de conclure que le requérant a été victime de coups portés dans le dos avec un instrument tranchant. La Cour relève sur ce point qu'au contraire, le médecin l'ayant examiné en garde à vue a formellement exclu cette hypothèse lors de son audition du 28 novembre 2001. Le médecin expert qui a examiné le requérant le 5 octobre 2001 a, quant à lui, indiqué que l'action des menottes pouvait être évoquée et que le frottement sur un plan présentant des aspérités était plausible.

64.  La Cour relève encore sur ce point que le docteur R., qui a examiné le requérant pendant sa garde à vue, a précisé lors de son audition le 28 novembre 2001 que le fait qu'elle avait indiqué que l'état de santé du requérant était incompatible avec la garde à vue n'était en rien motivé par les traces et érosions relevées et qualifiées de superficielles, mais par sa tension élevée.

65.  En conclusion, la Cour estime, à l'instar des juridictions internes, que la force employée pour interpeller et maîtriser le requérant était nécessaire et proportionnée, compte tenu des circonstances. Aucun élément du dossier ne permet d'étayer les allégations de torture du requérant, ni même de mauvais traitement au sens de l'article 3 de la Convention. Il n'y a donc pas eu violation de cette disposition.

II.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 13 DE LA CONVENTION

66.  Le requérant se plaint de ce que les policiers et magistrats se sont employés à nier les faits de violences ; il estime que l'instruction a été incomplète, puisque de nombreux actes n'ont pas été diligentés. Il invoque l'article 13 de la Convention, qui consacre le droit à un recours effectif en ces termes  :

« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l'octroi d'un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l'exercice de leurs fonctions officielles. »

67.  Le Gouvernement rappelle en premier lieu la jurisprudence concernant l'article 13. Dans la présente affaire, il souligne qu'à la suite de la plainte avec constitution de partie civile du requérant, une enquête a été confiée à l'Inspection générale de la police nationale (IGPN) sur commission rogatoire du juge d'instruction et que tous les protagonistes de cette affaire ont été entendus concernant les allégations de mauvais traitements du requérant. Le juge a ensuite délivré une ordonnance de non‑lieu qui a été confirmée par la chambre de l'instruction après examen de l'affaire. La Cour de cassation a déclaré le pourvoi du requérant non admis. Le Gouvernement en conclut que le requérant a bénéficié d'un recours effectif en fait comme en droit au sens de l'article 13.

68.  Le requérant expose que la première plainte qu'il a déposée a été classée sans suite par le procureur, ce qui l'a contraint à déposer une nouvelle plainte avec constitution de partie civile. Il estime que l'enquête qui a été menée était une enquête de routine et se plaint de ce que ses demandes de confrontations ont été rejetées par le juge d'instruction.

69.  La Cour constate que le requérant a pu déposer une plainte avec constitution de partie civile qui a été instruite par un juge d'instruction. Une enquête a été menée par l'IGPN, au cours de laquelle le requérant, les policiers concernés et le médecin ayant examiné le requérant pendant la garde à vue ont été entendus. C'est au vu des résultats de cette enquête que le juge a rendu une ordonnance de non lieu. La chambre de l'instruction, saisie sur appel du requérant, a procédé à un examen de l'affaire avant de rejeter le recours du requérant. Or l'effectivité du recours garanti par l'article 13 n'implique pas qu'un requérant doit avoir obtenu satisfaction, mais qu'il ait eu la possibilité de faire examiner son grief par une instance nationale et que celle-ci ait été en mesure d'en examiner le bien-fondé (voir, par exemple, l'arrêt Mattei c. France, du 19 décembre 2006, no 34043/02, § 46). La Cour estime que tel fut le cas en l'espèce et qu'il n'y a donc pas eu violation de cette disposition.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L'UNANIMITÉ,

1.  Dit qu'il n'y a pas eu violation de l'article 3 de la Convention ;

2.  Dit qu'il n'y a pas eu violation de l'article 13 de la Convention.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 24 janvier 2008 en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Stanley NaismithBoštjan M. Zupančič
Greffier adjointPrésident

Chercher les extraits similaires
highlight
Chercher les extraits similaires
Extraits les plus copiés
Chercher les extraits similaires
Collez ici un lien vers une page Doctrine

Textes cités dans la décision

  1. Code pénal
  2. Code de l'organisation judiciaire
Inscrivez-vous gratuitement pour imprimer votre décision
CEDH, Cour (troisième section), AFFAIRE MILAN c. FRANCE, 24 janvier 2008, 7549/03