CEDH, Cour (cinquième section), AFFAIRE M.L. ET W.W. c. ALLEMAGNE, 28 juin 2018, 60798/10;65599/10

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Chronologie de l’affaire

Commentaires14

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Roseline Letteron · Liberté, Libertés chéries · 5 juillet 2023

Pour la première fois, le droit à l'oubli est consacré par la Grande Chambre de la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) dans un arrêt Hurbain c. Belgique du 4 juillet 2023. L'affaire soumise à la Grande Chambre de la CEDH porte sur le domaine le plus traditionnel du droit à l'oubli : le passé judiciaire d'une personne. Le requérant, M. Hurbain, est l'éditeur du journal Le Soir, l'un des principaux quotidiens d'information francophone en Belgique. En 1994, ce journal avait consacré un article à un accident de la route causé par M. G., en mentionnant son nom. Conduisant sous …

 

blog.landot-avocats.net · 31 mars 2020

Le droit à l'oubli (i.e. déréférencement) permet à toute personne de demander à un moteur de recherche de supprimer certains résultats associés à ses noms et prénoms qui apparaissent à partir d'une requête faite sur son identité. Cette suppression ne signifie pas l'effacement de l'information sur le site internet source. Or, ce droit au déréférencement, forme du droit à l'oubli, soulève des difficultés considérables, notamment en raison de l'équilibre qu'il impose de bâtir entre droit à informer/droit à l'information, d'une part, et droit à l'oubli, d'autre part. De plus, ce droit …

 

blog.landot-avocats.net · 10 décembre 2019

Le droit à l'oubli (i.e. déréférencement) permet à toute personne de demander à un moteur de recherche de supprimer certains résultats associés à ses noms et prénoms qui apparaissent à partir d'une requête faite sur son identité. Cette suppression ne signifie pas l'effacement de l'information sur le site internet source. Or, ce droit à l'oubli soulève des difficultés considérables, notamment en raison de l'équilibre qu'il impose de bâtir entre droit à informer/droit à l'information, d'une part, et droit à l'oubli, d'autre part. De plus, ce droit soulève des questions sur l'étendue …

 
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Sur la décision

Référence :
CEDH, Cour (Cinquième Section), 28 juin 2018, n° 60798/10;65599/10
Numéro(s) : 60798/10, 65599/10
Type de document : Arrêt
Jurisprudence de Strasbourg : Axel Springer AG c. Allemagne [GC], no 39954/08, 7 février 2012
Axel Springer et RTL Television GmbH c. Allemagne, no 51405/12, § 42, 21 septembre 2017
Bédat c. Suisse [GC], no 56925/08, § 54, CEDH 2016
Bladet Tromsø et Stensaas c. Norvège [GC], no 21980/93, § 64, CEDH 1999-III
Cicad c. Suisse, no 17676/09, § 59, 7 juin 2016
Comité de rédaction de Pravoye Delo et Shtekel c. Ukraine, no 33014/05, § 63, CEDH 2011 (extraits)
Couderc et Hachette Filipacchi Associés c. France [GC], no 40454/07, § 91, CEDH 2015 (extraits)
Delfi AS c. Estonie [GC], no 64569/09, CEDH 2015
Egeland et Hanseid c. Norvège, no 34438/04, § 58, 16 avril 2009
Falzon c. Malte, no 45791/13, § 55, 20 mars 2018
Flinkkilä et autres c. Finlande, no 25576/04, § 75, 6 avril 2010
Fuchsmann c. Allemagne, no 71233/13, 19 octobre 2017
Fürst-Pfeifer c. Autriche, nos 33677/10 et 52340/10, § 40, 17 mai 2016
Jersild c. Danemark, 23 septembre 1994, § 31, série A no 298
Lillo Stenberg et Sæther c. Norvège, no 13258/09, § 41, 16 janvier 2014
Magyar Tartalomszolgáltatók Egyesülete et Index.hu Zrt c. Hongrie, no 22947/13, § 59, 2 février 2016
MGN Limited c. Royaume-Uni, no 39401/04, §§ 150 et 155, 18 janvier 2011
Mosley c. Royaume-Uni, no 48009/08, § 113, 10 mai 2011
Mouvement raëlien c. Suisse [GC], no 16354/06, § 69, CEDH 2012
Österreichischer Rundfunk c. Autriche, no 35841/02, § 68, 7 décembre 2006
Phil c. Suède (déc.), no 74742/14, 7 février 2017
Saaristo et autres c. Finlande, no 184/06, § 61, 12 octobre 2010
Satakunnan Markkinapörssi Oy et Satamedia Oy c. Finlande [GC], no 931/13, CEDH 2017 (extraits)
Schweizerische Radio und Fernsehgesellschaft SRG c. Suisse, no 34124/06, § 56, 21 juin 2012
Segerstedt-Wiberg et autres c. Suède, no 62332/00, §§ 90-91, CEDH 2006-VII
Sihler-Jauch et Jauch c. Allemagne (déc.), nos 68273/10 et 34194/11, § 38, 24 mai 2016
Sunday Times c. Royaume-Uni (no 1), 26 avril 1979, § 65, série A no 30
Times Newspapers Ltd c. Royaume-Uni (nos 1 et 2), nos 3002/03 et 23676/03, CEDH 2009
Timpul Info-Magazin et Anghel c. Moldova, no 42864/05, § 31, 27 novembre 2007
Von Hannover c. Allemagne (no 2) [GC], nos 40660/08 et 60641/08, CEDH 2012
Węgrzynowski et Smolczewski c. Pologne, no 33846/07, 16 juillet 2013
X et Y c. Pays-Bas, 26 mars 1985, § 23, série A no 91
Références à des textes internationaux :
Recommandation Rec(2000)13 du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe sur une politique européenne en matière de communication des archives
Références au règlement de la Cour : Articles 17, 27
Organisations mentionnées :
  • Cour de justice de l'Union européenne
  • Comité des Ministres
Niveau d’importance : Publiée au Recueil
Opinion(s) séparée(s) : Non
Conclusions : Non-violation de l'article 8 - Droit au respect de la vie privée et familiale (Article 8 - Obligations positives ; Article 8-1 - Respect de la vie privée)
Identifiant HUDOC : 001-184438
Identifiant européen : ECLI:CE:ECHR:2018:0628JUD006079810
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Sur les parties

Texte intégral

CINQUIÈME SECTION

AFFAIRE M.L. ET W.W. c. ALLEMAGNE

(Requêtes nos 60798/10 et 65599/10)

ARRÊT

STRASBOURG

28 juin 2018

DÉFINITIF

28/09/2018

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.


En l’affaire M.L. et W.W. c. Allemagne,

La Cour européenne des droits de l’homme (cinquième section), siégeant en une chambre composée de :

Erik Møse, président,
Angelika Nußberger,
Yonko Grozev,
Síofra O’Leary,
Mārtiņš Mits,
Gabriele Kucsko-Stadlmayer,
Lәtif Hüseynov, juges,
et de Milan Blaško, greffier adjoint de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 5 juin 2018,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1.  À l’origine de l’affaire se trouvent deux requêtes (nos 60798/10 et 65599/10) dirigées contre la République fédérale d’Allemagne et dont deux ressortissants de cet État, M.L. (« le premier requérant ») et W.W. (« le deuxième requérant »), ont saisi la Cour le 15 et le 29 octobre 2010 respectivement en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2.  Les requérants ont été représentés par Me Geipel, avocat à Munich. Le gouvernement allemand (« le Gouvernement ») a été représenté par l’un de ses agents, Mme K. Behr, du ministère fédéral de la Justice et de la Protection des consommateurs.

3.  Les requérants alléguaient une violation de l’article 8 de la Convention en raison de la décision de la Cour fédérale de justice de ne pas interdire la mise à disposition sur Internet, par différents médias, d’anciens reportages – ou de leur transcription – concernant le procès pénal qui avait été dirigé contre eux.

4.  Les requêtes ont été communiquées au Gouvernement le 29 novembre 2012. Les observations des parties ont été reçues au cours de l’année 2013.

5.  Les trois médias concernés par les demandes des requérants, Spiegel online, Deutschlandradio et Mannheimer Morgen, se sont vu accorder l’autorisation d’intervenir dans la procédure écrite sous la forme d’une intervention commune (article 36 § 2 de la Convention et article 44 § 3 du règlement de la Cour).

EN FAIT

I.  LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

6.  Le premier requérant et le deuxième requérant sont nés respectivement en 1953 et en 1954 et résident respectivement à Munich et à Erding.

7.  Les requérants sont demi-frères. Le 21 mai 1993, à l’issue d’un procès pénal basé sur des indices, ils furent condamnés à une peine d’emprisonnement à perpétuité pour l’assassinat, en 1991, de l’acteur très populaire W.S. Leur pourvoi en cassation fut rejeté en 1994. Le 1er mars 2000, la Cour constitutionnelle fédérale décida de ne pas admettre leurs recours constitutionnels (nos 2 BvR 2017/94 et 2039/94) dirigés contre les décisions des juridictions pénales. La requête déposée par les requérants devant la Cour relativement à cette procédure (no 61180/00) fut rejetée le 7 novembre 2000 par un comité de trois juges au motif que les intéressés n’avaient pas introduit leurs recours constitutionnels dans le respect des règles procédurales fixées par la loi sur la Cour constitutionnelle fédérale (décision non publiée).

8.  Les requérants formèrent plusieurs demandes en révision (Wiederaufnahme) de la procédure, dont la dernière, introduite en 2004, fut rejetée en 2005. Au cours de cette dernière procédure, les requérants se tournèrent vers la presse, lui fournissant des documents en relation avec la procédure de révision ainsi que d’autres documents non spécifiés.

9.  Le premier requérant et le deuxième requérant furent libérés avec mise à l’épreuve respectivement en août 2007 et en janvier 2008.

A.  Les procédures litigieuses

1.  La première procédure

a)  Le reportage litigieux

10.  Le 14 juillet 2000, la station de radio Deutschlandradio – une personne morale de droit public – publia un reportage intitulé « W.S. assassiné il y a dix ans ». Il y était dit, avec mention des noms complets des requérants :

« Après un procès pénal de six mois basé sur des indices, le compagnon de S., W., et le frère de celui-ci, L., ont été condamnés à la perpétuité. Tous deux protestent aujourd’hui encore de leur innocence et ont été déboutés cette année par la Cour constitutionnelle fédérale de leur demande tendant à la réouverture du procès. »

11.  La transcription de ce reportage restait disponible dans les pages d’archives du site de la station de radio, dans la rubrique « Informations moins récentes », sous Kalenderblatt, au moins jusqu’en 2007.

b)  Les décisions du tribunal régional et de la cour d’appel

12.  À une date non précisée en 2007, les requérants assignèrent en justice la station de radio devant le tribunal régional de Hambourg en vue d’obtenir l’anonymisation des données personnelles dans des dossiers les concernant qui avaient paru sur le site Internet de la station.

13.  Par deux jugements du 29 février 2008, le tribunal régional accueillit les demandes des requérants, en application des articles 823 § 1 et 1004 (par analogie) du code civil (voir « Le droit interne », paragraphes 48-49 ci‑dessous). Il estima notamment que l’intérêt des requérants à ne plus être confrontés à leur acte aussi longtemps après leur condamnation l’emportait sur l’intérêt du public à être informé sur l’implication des requérants dans cet acte.

14.  Par deux arrêts du 29 juillet 2008, la cour d’appel de Hambourg confirma les jugements entrepris. Elle conclut que la mise à disposition de ces informations anciennes avait porté atteinte au droit de la personnalité des requérants. À cet égard, elle releva notamment que, en 2007, les requérants, qui étaient sur le point d’être libérés, pouvaient bénéficier d’une protection particulière leur permettant de ne plus être confrontés à leur acte criminel eu égard à leur objectif de réinsertion dans la société. Elle indiqua qu’ils n’étaient plus tenus d’accepter la mise à la disposition du public de ces reportages dès lors qu’ils avaient été poursuivis et condamnés pour ce crime, qu’ils avaient ainsi subi la sanction de la société et que le public avait été suffisamment informé de l’affaire. Elle ajouta que l’ingérence dans l’exercice du droit à la liberté d’expression de la station de radio était minime au motif que la diffusion des informations litigieuses était non pas interdite, mais uniquement soumise à la condition de ne pas mentionner les noms des requérants.

15.  La cour d’appel précisa que le fait que les informations sur Internet étaient souvent mises durablement à la disposition des utilisateurs et qu’elles étaient visiblement anciennes ne changeait rien à cette conclusion. Elle nota que, pour la personne demandant l’anonymat, le caractère récent ou ancien du reportage dans lequel son identité était divulguée ne faisait aucune différence. En revanche, selon la cour d’appel, ce qui était déterminant pour assurer la réinsertion de l’intéressé dans la société était la question de savoir si l’information qui mentionnait son nom était encore accessible ou non, même si des informations publiées sur Internet avaient en règle générale un degré de diffusion moindre que des informations diffusées par la télévision, la radio ou la presse. La cour d’appel fit également état du risque que d’autres personnes, tels un voisin, un employeur ou des collègues de travail, pussent repérer le nom des requérants et contribuer à une nouvelle propagation des informations anciennes sur l’implication des requérants dans le crime, et mettre ainsi en péril leur resocialisation.

16.  La cour d’appel indiqua encore que le fait que les requérants s’étaient tournés vers le public au cours de la dernière procédure de demande en révision en 2005 – ce qui aurait donné lieu à des reportages sur eux-mêmes et sur cette procédure – ne changeait rien à ses conclusions au motif que les intéressés avaient agi dans un contexte spécifique qui avait pris fin avec l’achèvement de la procédure en révision. Elle ajouta que la station de radio était aussi responsable de l’ingérence dans le droit des requérants et qu’elle ne pouvait faire valoir que l’information litigieuse n’était contenue que dans des archives numériques. En effet, selon la cour d’appel, l’information archivée était accessible de la même manière que toute autre information disponible sur le site web de la station de radio. La cour d’appel releva par ailleurs que l’obligation de rendre anonyme une information ne conduirait pas à falsifier la vérité historique dès qu’il se serait agi seulement d’omettre un détail du reportage.

17.  La cour d’appel autorisa le pourvoi en cassation.

c)  Les arrêts de la Cour fédérale de justice

18.  Par deux arrêts de principe du 15 décembre 2009, la Cour fédérale de justice accueillit les pourvois en cassation formés par la station de radio (nos VI ZR 227/08 et 228/08), et elle cassa les décisions de la cour d’appel et du tribunal régional. Elle observa d’abord que la mise à disposition des informations litigieuses constituait une ingérence dans l’exercice du droit à la protection de la personnalité (Allgemeines Persönlichkeitsrecht) et du droit au respect de la vie privée des requérants découlant des articles 1 § 1 et 2 § 1 de la Loi fondamentale ainsi que de l’article 8 de la Convention, droits devant être mis en balance avec le droit à la liberté d’expression et avec la liberté de la presse tels que garantis par l’article 5 § 1 de la Loi fondamentale et par l’article 10 de la Convention (voir « Le droit interne », paragraphe 46 ci-dessous). Elle précisa que, en raison de sa nature particulière, la portée du droit à la protection de la personnalité n’était pas délimitée à l’avance mais qu’elle devait être appréciée en mettant ce droit en balance avec les intérêts divergents en jeu, et que, pour ce faire, le juge devait notamment prendre en compte les circonstances particulières de l’affaire et les droits et libertés protégés par la Convention.

19.  Pour la Cour fédérale de justice, la cour d’appel n’avait pas suffisamment pris en compte le droit à la liberté d’expression de la station de radio et, ce qui relevait de la mission de celle-ci, l’intérêt du public à être informé. Se référant aux critères établis en la matière par la Cour constitutionnelle fédérale et par sa propre jurisprudence, la Cour fédérale de justice rappela notamment que des reportages relatant des faits véridiques pouvaient porter atteinte au droit de la personnalité lorsque le poids du préjudice qu’ils causaient était supérieur à celui de l’intérêt du public à connaître la vérité, par exemple lorsque la diffusion avait une portée considérable ou lorsque le reportage stigmatisait la personne visée et qu’il avait ainsi pour effet de l’isoler socialement. Elle indiqua que les reportages concernant des infractions pénales faisaient cependant partie de l’histoire contemporaine, dont les médias auraient eu pour tâche de rendre compte. À cet égard, elle précisa que, plus l’affaire sortait du cadre de la criminalité ordinaire, plus l’intérêt du public à en être informé était grand. Elle ajouta que, lorsqu’il s’agissait de reportages sur des faits d’actualité, l’intérêt du public à être informé l’emportait en règle générale sur le droit de la personne visée à la protection de sa personnalité. En effet, selon la Cour fédérale de justice, quiconque enfreignait la loi et lésait d’autres personnes devait s’attendre non seulement à des sanctions pénales, mais aussi à des reportages à son sujet dans les médias.

20.  La Cour fédérale de justice indiqua ensuite que, avec le temps, l’intérêt de la personne concernée à ne plus être confrontée à sa faute acquérait plus de poids. En effet, selon la Cour fédérale de justice, une fois l’auteur d’un crime condamné et une fois le public suffisamment informé, des ingérences répétées dans le droit à la protection de la personnalité ne pouvaient plus se justifier aisément au regard de l’intérêt de la personne visée à être réintégrée dans la société. Se référant à la jurisprudence de la Cour constitutionnelle fédérale et à l’arrêt de la Cour dans l’affaire Österreichischer Rundfunk c. Autriche (no 35841/02, § 68, 7 décembre 2006), la Cour fédérale de justice souligna que, cela étant, même si l’auteur de l’infraction avait purgé sa peine, il ne pouvait se prévaloir d’un droit absolu à ne plus être confronté à sa faute. Elle précisa que le juge était appelé à examiner la gravité de l’atteinte au droit de la personnalité et à l’intérêt de l’auteur de l’infraction à se resocialiser, et que, à cet égard, il fallait prendre en considération la manière dont la personne visée était présentée dans le reportage et, en particulier, le degré de diffusion de celui‑ci.

21.  Appliquant ces principes au cas soumis devant elle, la Cour fédérale de justice estima que le droit des requérants à la protection de leur personnalité devait céder devant le droit à la liberté d’expression de la station de radio et devant l’intérêt du public à être informé. Elle reconnut que l’intérêt des requérants à ne plus faire l’objet de reportages en lien avec leur crime était élevé puisque celui-ci avait été commis longtemps auparavant et que les intéressés avaient été libérés de prison, le premier requérant en août 2007 et le second en janvier 2008. Cependant, d’après la Cour fédérale de justice, dans les circonstances de l’affaire, le passage litigieux du reportage du 14 juillet 2000 ne portait pas atteinte au droit de la personnalité des requérants d’une manière considérable (erheblich), au motif qu’il n’était pas de nature à mettre les requérants « au pilori pour l’éternité » ou à les traîner sous les feux de la rampe (ins Licht der Öffentlichkeit zerren) d’une manière propre à les stigmatiser de nouveau comme criminels.

22.  La Cour fédérale de justice releva d’abord que le passage mis en cause rendait compte, de manière véridique, d’un meurtre – celui d’un acteur très populaire – qui avait focalisé l’attention du public. Elle nota que le passage rapportait, avec retenue et objectivité, les circonstances du crime, de la condamnation et de la procédure. Selon la Cour fédérale de justice, le passage en question ne stigmatisait pas les requérants comme étant les auteurs du crime ou des assassins, mais il exposait que les deux frères avaient été condamnés pour assassinat à l’issue d’un procès pénal de six mois qui avait reposé entièrement sur des indices et qu’ils protestaient toujours de leur innocence, ce qui, aux yeux de la Cour fédérale de justice, laissait au lecteur la possibilité de penser qu’ils avaient été condamnés à tort. Toujours selon la Cour fédérale de justice, il ne faisait dès lors aucun doute que, le jour de la mise en ligne de la transcription du reportage sur le site web de la radio, l’identification des requérants dans l’émission de radio était justifiée compte tenu de la gravité du crime, de la notoriété de la victime, de l’écho considérable que ce crime avait rencontré dans le public et du fait que les requérants avaient essayé après 2000 de faire annuler leur condamnation en utilisant tous les recours possibles et imaginables (alle denkbaren Rechtsbehelfe).

23.  La Cour fédérale de justice ajouta que la manière dont la transcription du reportage avait été mise en ligne sur le portail de Deutschlandradio avait eu pour conséquence une diffusion limitée. À ses yeux, à la différence du reportage télévisé diffusé à une heure de grande écoute qui avait fait l’objet d’un arrêt de principe de la Cour constitutionnelle fédérale du 5 juin 1973 (no 1 BvR 536/72 – arrêt Lebach), la transcription litigieuse ne pouvait être trouvée sur le portail Internet que par les internautes cherchant activement une information sur le sujet en question : en effet, celle-ci ne se serait pas trouvée sur les pages Internet de la station de radio consacrées aux informations d’actualité susceptibles de sauter aux yeux des internautes, mais elle aurait dû être recherchée sous la rubrique « Informations anciennes » (Altmeldungen) et aurait été marquée comme telle de manière claire et visible.

24.  La Cour fédérale de justice rappela aussi que le public avait un intérêt légitime non seulement à être informé sur les événements d’actualité, mais aussi à pouvoir faire des recherches sur des événements passés. Ainsi, selon la Cour fédérale de justice, dans l’exercice de leur liberté d’expression, les médias remplissaient leur mission d’information du public et de participation à la formation de l’opinion démocratique aussi lorsqu’ils mettaient à la disposition des internautes des informations anciennes. Toujours selon la Cour fédérale, cela était particulièrement vrai dans le cas de la station de radio – une personne morale de droit public – mise en cause, la mission de celle-ci incluant la constitution d’archives. La Cour fédérale de justice estima qu’une interdiction générale de consulter ou une obligation d’effacer tout reportage concernant des délinquants nommément cités dans des archives Internet auraient pour conséquence d’effacer l’Histoire et de faire bénéficier à tort l’auteur de l’infraction d’une immunité totale à cet égard. Or, selon la Cour fédérale, l’auteur d’une infraction ne pouvait pas se prévaloir d’un tel droit.

25.  La Cour fédérale de justice releva enfin qu’une interdiction comme celle que les requérants cherchaient à obtenir aurait des effets dissuasifs sur la liberté d’expression et la liberté de la presse : en effet, si on leur interdisait de mettre à la disposition des internautes les transcriptions d’émissions de radio anciennes dont la légalité n’avait pas été mise en cause, les médias comme Deutschlandradio ne seraient plus en mesure d’assumer leur mission d’information vis-à-vis du public, alors même que cette mission leur aurait été confiée par le droit constitutionnel. Elle indiqua que l’obligation qui en résulterait pour la radio, à savoir la vérification régulière de toutes ses archives, restreindrait indûment sa liberté d’expression et sa liberté de la presse. Compte tenu des investissements en temps et en personnel qu’un tel contrôle nécessiterait, la Cour fédérale de justice estima qu’il y avait un risque réel que Deutschlandradio cessât d’archiver ses reportages ou omît d’y inclure des éléments – tels que le nom des personnes concernées – susceptibles de rendre ultérieurement ces reportages illicites, alors que le public avait un intérêt digne de protection à pouvoir y accéder.

26.  La Cour fédérale de justice ajouta qu’elle parvenait à la même conclusion au regard des principes établis par la législation sur la protection des données. À cet égard, elle observa que la mise à disposition de l’information litigieuse relevait du privilège des médias consacré par l’article 5 § 1, deuxième phrase, de la Loi fondamentale. Par conséquent, la mise à disposition de l’information sur une page Internet de la station de radio n’était pas soumise à l’obtention du consentement de la personne visée ni à une autorisation explicite par la loi. La Cour fédérale de justice rappela que, si elles étaient privées de la possibilité de prélever, de traiter et d’utiliser des données à caractère personnel sans l’accord de l’intéressé, ni la presse ni les stations de radio ne pouvaient faire leur travail journalistique et n’étaient ainsi en mesure d’assumer leurs tâches, reconnues et garanties par l’article 5 § 1 de la Loi fondamentale, l’article 10 § 1 de la Convention ou l’article 11 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, dont aurait fait partie non seulement la mise en ligne d’un reportage, mais aussi la mise à disposition durable de celui-ci, en dépit du temps écoulé depuis la première mise en ligne de la transcription, à savoir neuf ans en l’espèce. Elle ajouta que la station de radio avait mis en ligne la transcription du reportage exclusivement à des fins journalistiques et qu’elle avait dès lors agi dans le cadre de la mission qui lui était confiée par le droit constitutionnel, à savoir l’information du public et la formation de l’opinion démocratique dans l’exercice de sa liberté d’expression.

d)  La décision de la Cour constitutionnelle fédérale

27.  Le 6 juillet 2010, la Cour constitutionnelle fédérale décida de ne pas admettre les recours constitutionnels déposés par les requérants, de ne pas accorder à ceux-ci l’aide judiciaire et de ne pas leur commettre d’avocat. Elle précisa qu’elle s’abstenait de motiver ses décisions (nos 1 BvR 535/10 et 547/10).

2.  La deuxième procédure

a)  Les articles litigieux

28.  Sur le portail Internet du magazine hebdomadaire Der Spiegel se trouvait un dossier intitulé « W. S. – un meurtre au marteau ». Ce dossier comprenait cinq articles qui avaient paru entre 1991 et 1993 dans l’édition papier et dans l’édition en ligne du magazine. L’accès à ce dossier était soumis au paiement d’une certaine somme. Les articles contenus dans ce dossier rendaient compte en détail de l’assassinat de W.S., de la vie de celui-ci, de l’enquête criminelle et des preuves relevées par les autorités de poursuite, de la tenue du procès pénal et, en ce qui concerne l’édition du Spiegel no 49/1992 du 30 novembre 1992, de certains détails de la vie des requérants avec mention des noms complets de ceux-ci. Ainsi, il y était écrit que le second requérant était issu d’une famille disloquée (zerrüttet) de six enfants d’un village bavarois nommément cité, qu’il avait été placé à l’âge de 5 ans dans un foyer, qu’il y avait appris ce qu’était être homosexuel et, surtout, comment se vendre au mieux. De même, on pouvait lire dans l’article qu’il avait travaillé comme coiffeur et comme chauffeur de taxi avant d’être embauché dans une station-service dont la propriétaire, Mme W., une veuve fortunée restée sans enfant qui était aussi une amie de la mère de W.S., l’avait adopté lorsqu’il était âgé de 24 ans. Quant au premier requérant, selon l’article, il travaillait en contrepartie d’une rémunération modique dans une brasserie gérée par son demi-frère. L’article donnait en outre quelques détails, livrés par les témoins lors de leur déposition, notamment sur la manière dont le premier requérant était vu par son demi‑frère.

29.  Deux des articles de ce dossier (parus dans l’édition no 39/1992 du 21 septembre et no 49/1992 du 30 novembre 1992) étaient accompagnés de photographies montrant les deux requérants dans la salle d’audience du tribunal pénal, puis le premier requérant en compagnie d’un agent pénitentiaire et, enfin, le second requérant en compagnie de W.S.

b)  Les décisions des tribunaux régionaux et de la cour d’appel

30.  En 2007, à une date non précisée, les requérants saisirent le tribunal régional de Francfort-sur-le-Main d’une demande tendant à l’obtention de l’aide judiciaire en vue d’assigner le magazine Der Spiegel en justice.

31.  Le 4 juin 2007, le tribunal régional de Francfort-sur-le-Main rejeta la demande au motif qu’elle n’avait pas suffisamment de chances d’aboutir.

32.  Les requérants saisirent alors d’une demande semblable le tribunal régional de Hambourg, lequel accorda l’aide judiciaire.

33.  Par deux jugements du 18 janvier 2008, le tribunal régional de Hambourg accueillit la demande des requérants et ordonna au magazine de mettre fin à la possibilité pour le public d’accéder au dossier litigieux dans la mesure où celui-ci montrait des photos des requérants et indiquait leurs noms.

34.  Le 29 juillet 2008, la cour d’appel de Hambourg confirma les jugements du tribunal régional pour les mêmes motifs que ceux exposés dans ses arrêts du même jour (paragraphes 14-16 ci-dessus). Elle précisa que les requérants avaient le droit d’assigner le magazine devant le tribunal régional devant lequel leur demande avait le plus de chances d’aboutir.

c)  Les arrêts de la Cour fédérale de justice

35.  Le 9 février 2010, la Cour fédérale de justice accueillit les pourvois en cassation du magazine Der Spiegel (nos VI ZR 244/08 et 243/08) et débouta les requérants de leurs demandes.

i.  Le raisonnement concernant les articles

36.  S’agissant des articles de presse contenus dans le dossier litigieux, la Cour fédérale de justice adopta essentiellement le même raisonnement que celui qu’elle avait suivi dans ses arrêts du 15 décembre 2009 (paragraphes 18-26 ci-dessus). S’agissant de la teneur des articles en question, elle précisa que, contrairement à ce qu’avaient prétendu les requérants, ces articles ne les qualifiaient pas d’assassins d’une façon racoleuse, mais ils indiquaient qu’ils étaient accusés d’assassinat et qu’ils avaient été condamnés de ce chef ; elle ajouta que les articles en cause exposaient l’attitude des requérants à l’égard des faits qui leur étaient reprochés et rappelaient des circonstances qui n’avaient pas été élucidées, ce qui, aux yeux de la Cour fédérale de justice, laissait aux lecteurs la possibilité de penser que les requérants avaient été condamnés à tort. S’agissant du degré de diffusion des reportages, elle souligna que la consultation du dossier litigieux était payante, ce qui restreignait davantage son accessibilité. Elle rappela que l’auteur d’une infraction n’avait pas de droit à bénéficier d’une interdiction générale de consultation d’un reportage concernant des délinquants nommément cités ou à une obligation d’effacer de tels reportages. Elle ajouta que cela était particulièrement vrai lorsqu’il s’agissait d’un crime capital grave qui avait suscité une attention particulière du public.

ii.  Le raisonnement concernant les photos

37.  S’agissant des photos mises en cause, la Cour fédérale de justice rappela qu’elle avait développé un concept de protection échelonnée (abgestuftes Schutzkonzept) à partir des articles 22 et 23 de la loi sur le droit d’auteur (voir « Le droit interne », paragraphe 50 ci-dessous), auquel elle avait apporté des précisions à la suite de l’arrêt de la Cour Von Hannover c. Allemagne (no 59320/00, CEDH 2004‑VI), en réponse aux réserves de principe que la Cour y avait exprimées. Elle rappela que, d’après ce concept de protection, la publication d’images d’une personne qui, en raison de son importance dans l’histoire contemporaine, devait en principe tolérer la diffusion de photos la représentant (article 23 § 1 no 1 de la loi sur le droit d’auteur) était néanmoins illicite si les intérêts légitimes de cette personne étaient atteints (article 23 § 2 de la même loi). Elle rappela enfin qu’il ne pouvait y avoir d’exception à l’obligation d’obtenir l’accord de la personne que lorsqu’il s’agissait d’un reportage sur un événement important de l’histoire contemporaine (Von Hannover c. Allemagne (no 2) [GC], nos 40660/08 et 60641/08, §§ 29-35, CEDH 2012).

38.  Appliquant ces critères au cas qui lui était soumis, la Cour fédérale de justice releva que les photos montraient les requérants au box des accusés dans la salle d’audience du tribunal régional, puis le premier requérant en compagnie d’un agent pénitentiaire et le second requérant en compagnie de W.S. Elle considéra qu’elles venaient illustrer les articles et souligner l’authenticité des reportages, et que, puisqu’elles avaient été prises dans le contexte de l’événement faisant l’objet des reportages – à savoir le procès pénal, circonstance qui rendait en règle générale leur publication licite –, elles n’affectaient pas les requérants plus qu’une photo montrant leur profil et prise dans un contexte neutre. Elle observa que les photos en cause ne présentaient pas les requérants d’une manière défavorable, qu’elles ne touchaient pas à leur sphère intime et que leur diffusion ne mettait pas les requérants « au pilori pour l’éternité » ou ne les présentait pas aux yeux du public d’une manière qui les stigmatisait de nouveau comme criminels. Elle ajouta que les photos – qui dataient de 1992 et qui montraient uniquement l’apparence qui était celle des requérants à cette époque – accompagnaient des articles qui étaient clairement désignés comme des reportages anciens à la portée limitée. Elle conclut que, compte tenu de toutes les circonstances de l’affaire, les requérants n’avaient pas d’intérêt légitime, au sens de l’article 23 § 2 de la loi sur le droit d’auteur, à faire interdire la publication des photos litigieuses.

d)  La décision de la Cour constitutionnelle fédérale

39.  Le 6 juillet 2010, la Cour constitutionnelle fédérale décida de ne pas admettre les recours constitutionnels déposés par les requérants, de ne pas accorder à ceux-ci l’aide judiciaire et de ne pas leur commettre d’avocat. Elle précisa qu’elle s’abstenait de motiver ses décisions (nos 1 BvR 924/10 et 923/10).

3.  La troisième procédure

40.  En 2007, à une date non précisée, les requérants assignèrent le quotidien Mannheimer Morgen devant le tribunal régional de Hambourg. Sur le portail Internet du quotidien (www.morgenweb.de), dans la rubrique « Informations moins récentes », se trouvait jusqu’en 2007 une information datant du 22 mai 2001. Ne pouvaient accéder à cette rubrique que des personnes disposant d’un droit d’accès particulier tels les abonnés au quotidien et les acheteurs de certains autres supports imprimés. Tous les internautes avaient cependant accès à une accroche (teaser) qui indiquait le sujet des textes disponibles dans la rubrique. L’accroche qui renvoyait à l’information du 22 mai 2001 mentionnait les noms complets des requérants et était rédigée comme suit :

« La procédure contre les deux assassins condamnés du très populaire acteur W.S. ne sera pour l’instant pas rouverte. Le tribunal régional d’Augsbourg aurait rejeté une demande en révision des frères W.W. et M.L. Ils interjetteraient appel de cette décision auprès de la cour d’appel de Munich. »

41.  Par deux jugements du 16 novembre 2007, le tribunal régional accueillit la demande des requérants.

42.  Le 19 août 2008, la cour d’appel de Hambourg confirma ces jugements pour les mêmes motifs que ceux exposés dans ses arrêts du 29 juillet 2008 (paragraphes 14-16 ci-dessus).

43.  Le 20 avril 2010, la Cour fédérale de justice accueillit les pourvois en cassation formés par le journal (nos VI ZR 245/08 et 246/08) et débouta les requérants de leurs demandes pour les mêmes motifs que ceux exposés dans ses arrêts du 9 février 2010 (paragraphes 35-36 ci-dessus).

44.  Le 23 juin 2010, la Cour constitutionnelle fédérale décida de ne pas admettre les recours constitutionnels déposés par les requérants, de ne pas accorder à ceux-ci l’aide judiciaire et de ne pas leur commettre d’avocat. Elle précisa qu’elle s’abstenait de motiver ses décisions (nos 1 BvR 1316/10 et 1315/10).

4.  Autres procédures engagées par les requérants

45.  La Cour fédérale de justice a par la suite confirmé sa jurisprudence dans d’autres procédures entamées par les requérants (nos VI ZR 345/09 et 347/09, 1er février 2011, nos VI ZR 114/09 et 115/09, 22 février 2011, et no VI ZR 217/08, 8 mai 2012 concernant le deuxième requérant). Dans un arrêt du 22 février 2011 concernant le deuxième requérant et portant sur un article paru dans le quotidien Frankfurter Allgemeine Zeitung du 14 janvier 2005, la Cour fédérale de justice a observé que, d’après les constatations du tribunal régional, l’intéressé s’était adressé en août et novembre 2004 au quotidien Süddeutsche Zeitung et avait invité celui-ci à continuer à rendre compte de lui. Le quotidien avait donné suite à la demande en publiant un article (comprenant texte et photos) sur le deuxième requérant. La Cour fédérale de justice a conclu que, compte tenu de ces circonstances, l’intérêt du public à être informé de manière complète (umfassend) sur l’acte criminel n’avait pas faibli ou, du moins, avait repris à l’été 2004, ce qui aurait été également démontré par les nombreux reportages sur l’intéressé que l’on trouvait jusqu’en juin 2006 sur la page Internet de l’avocat pénaliste du deuxième requérant. Dès lors, d’après la Cour fédérale de justice, le requérant était à ce moment-là un point de mire du public et n’avait pas été illicitement traîné sur le devant de la scène par la publication de l’article (no VI ZR 346/09).

II.  LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

A.  Le droit interne

1.  La Loi fondamentale

46.  Les dispositions pertinentes de la Loi fondamentale sont ainsi rédigées :

Article 1 § 1

« La dignité de l’être humain est intangible. Tous les pouvoirs publics ont l’obligation de la respecter et de la protéger. »

Article 2 § 1

« Chacun a droit au libre épanouissement de sa personnalité pourvu qu’il ne porte pas atteinte aux droits d’autrui ni n’enfreigne l’ordre constitutionnel ou la loi morale (Sittengesetz). »

Article 5 §§ 1 et 2

« 1.  Chacun a le droit d’exprimer et de diffuser librement son opinion par la parole, par l’écrit et par l’image, et de s’informer sans entraves aux sources qui sont accessibles à tous. La liberté de la presse et la liberté d’informer par la radio, la télévision et le cinéma sont garanties. Il n’y a pas de censure.

2.  Ces droits trouvent leurs limites dans les prescriptions des lois générales, dans les dispositions légales sur la protection de la jeunesse et dans le droit au respect de l’honneur personnel (Recht der persönlichen Ehre). »

47.  La Cour fédérale de justice, dans un arrêt du 25 mai 1954 (no I ZR 311/53), a reconnu un droit général à la protection de la personnalité en vertu des articles 1 § 1 et 2 § 1 de la Loi fondamentale.

2.  Le code civil

48.  L’article 823 § 1 du code civil (Bürgerliches Gesetzbuch) énonce que quiconque, agissant intentionnellement ou par négligence, porte atteinte illicitement aux droits à la vie, à l’intégrité physique, à la santé, à la liberté, à la propriété ou à un autre droit similaire d’autrui est tenu de réparer le dommage qui en est résulté.

49.  Aux termes de l’article 1004 § 1 du code civil, s’il est porté atteinte à la propriété autrement que par usurpation ou détention illégale, le propriétaire peut exiger que l’auteur de l’atteinte mette fin à celle-ci. S’il y a lieu de craindre de nouvelles atteintes, le propriétaire peut agir pour obtenir des interdictions.

3.  La loi sur le droit d’auteur dans le domaine artistique

50.  L’article 22 § 1 de la loi sur le droit d’auteur dans le domaine artistique (Gesetz betreffend das Urheberrecht an Werken der bildenden Künste und der Photographie – Kunsturhebergesetz) dispose que les images représentant une personne ne peuvent être diffusées qu’avec l’autorisation expresse de la personne concernée. L’article 23 § 1, no 1, de la loi prévoit des exceptions à cette règle lorsque les images en cause relèvent de l’histoire contemporaine (Bildnisse aus dem Bereich der Zeitgeschichte), sous réserve que leur publication ne porte pas atteinte à un intérêt légitime de la personne concernée (article 23 § 2).

51.  Dans un arrêt du 30 novembre 2012 concernant une affaire similaire à la présente requête, la Cour fédérale de justice a confirmé sa jurisprudence en la matière tout en ajoutant que les possibilités techniques de l’internet ne justifiaient pas de restreindre l’accès à des reportages originaux sur des événements particuliers de l’histoire contemporaine aux personnes ayant accès ou cherchant à obtenir l’accès aux archives traditionnelles (no VI ZR 330/11). Le recours constitutionnel que la personne visée par les articles archivés a introduit contre cet arrêt est pendant devant la Cour constitutionnelle fédérale (no 1 BvR 16/13).

B.  Textes adoptés au sein du Conseil de l’Europe

1.  Convention pour la protection des personnes à l’égard du traitement automatisé des données à caractère personnel

52.  Les passages pertinents en l’espèce de la Convention pour la protection des personnes à l’égard du traitement automatisé des données à caractère personnel du 28 janvier 1981 sont ainsi libellés :

Article 1er

« Le but de la présente Convention est de garantir, sur le territoire de chaque Partie, à toute personne physique, quelles que soient sa nationalité ou sa résidence, le respect de ses droits et de ses libertés fondamentales, et notamment de son droit à la vie privée, à l’égard du traitement automatisé des données à caractère personnel la concernant (« protection des données »). »

Article 3 – Champ d’application

« 1.  Les Parties s’engagent à appliquer la présente Convention aux fichiers et aux traitements automatisés de données à caractère personnel dans les secteurs public et privé.

(...) »

Article 5 – Qualité des données

« Les données à caractère personnel faisant l’objet d’un traitement automatisé sont :

a)  obtenues et traitées loyalement et licitement ;

b)  enregistrées pour des finalités déterminées et légitimes et ne sont pas utilisées de manière incompatible avec ces finalités ;

c)  adéquates, pertinentes et non excessives par rapport aux finalités pour lesquelles elles sont enregistrées ;

d)  exactes et si nécessaire mises à jour ;

e)  conservées sous une forme permettant l’identification des personnes concernées pendant une durée n’excédant pas celle nécessaire aux finalités pour lesquelles elles sont enregistrées. »

Article 6 – Catégories particulières de données

« Les données à caractère personnel révélant l’origine raciale, les opinions politiques, les convictions religieuses ou autres convictions, ainsi que les données à caractère personnel relatives à la santé ou à la vie sexuelle, ne peuvent être traitées automatiquement à moins que le droit interne ne prévoie des garanties appropriées. Il en est de même des données à caractère personnel concernant des condamnations pénales. »

Article 9 – Exceptions et restrictions

« (...)

2.  Il est possible de déroger aux dispositions des articles 5, 6 et 8 de la présente Convention lorsqu’une telle dérogation, prévue par la loi de la Partie, constitue une mesure nécessaire dans une société démocratique :

(...)

b)  à la protection de la personne concernée et des droits et libertés d’autrui. »

53.  Le 18 mai 2018, lors de sa 128ème session à Elseneur, le Comité des Ministres a adopté une nouvelle version de cette convention. Les passages pertinents du nouvel article 9 se lisent ainsi :

« 1. Aucune exception aux dispositions énoncées au présent chapitre n’est admise, sauf au regard des dispositions des articles 5.4, 7.2, 7bis paragraphe 1 et de l’article 8, dès lors qu’une telle exception est prévue par une loi, qu’elle respecte l’essence des droits et libertés fondamentales et constitue une mesure nécessaire et proportionnée dans une société démocratique.

a. à la protection de la sécurité nationale (...) ainsi qu’à d’autres objectifs essentiels d’intérêt public général ;

b. à la protection de la personne concernée ou des droits et libertés fondamentales d’autrui, notamment la liberté d’expression (...) »

2.  La Recommandation no R(2000)13 du Comité des Ministres

54.  Les passages pertinents en l’espèce de la Recommandation no R(2000)13 du Comité des Ministres aux États membres sur une politique européenne en matière de communication des archives, adoptée le 13 juillet 2000, lors de la 717e réunion des Délégués des Ministres, sont ainsi libellés :

« (...)

Considérant que les archives constituent une partie essentielle et irremplaçable du patrimoine culturel ;

Considérant qu’elles préservent la pérennité de la mémoire de l’humanité ;

(...)

Compte tenu de la complexité des problèmes liés à la communication des archives, aussi bien à l’échelle nationale qu’à l’échelle internationale en raison de la variété des situations constitutionnelles et juridiques, des contraintes contradictoires de transparence et de secret, de la protection de la vie privée et de l’accès à la connaissance historique, problèmes perçus dans chaque pays différemment par l’opinion publique ;

Recommande que les gouvernements des États membres prennent les mesures et les actions nécessaires afin :

i.  d’adopter une législation en matière de communication d’archives s’inspirant des principes énoncés dans la recommandation ci-après, ou d’aligner leur législation existante sur les mêmes principes ;

(...)

Annexe à la Recommandation no R(2000)13

(...)

III.  Modalités de communication des archives publiques

5.  L’accès aux archives publiques constitue un droit. (...)

7.  La législation doit prévoir :

a.  soit l’ouverture sans restriction particulière des archives publiques ;

b.  soit un délai général de protection.

7.1.  Des exceptions à cette règle générale, nécessaire dans une société démocratique, peuvent le cas échéant être prévues pour assurer la protection :

(...)

b.  des particuliers contre la divulgation de données relatives à leur privée.

10.  Si pour protéger les intérêts mentionnés à l’article 7.1, les archives sollicitées ne sont pas librement communicables, l’autorisation exceptionnelle peut être donnée pour une communication par extraits ou avec occultation partielle. L’utilisateur en sera informé.

IV.  Communication des archives privées

12.  Il convient d’essayer d’aligner, mutatis mutandis, chaque fois que cela est possible, les conditions de communication des archives privées sur celles des archives publiques. »

3.  La Recommandation Rec(2003)13 du Comité des Ministres

55.  Les passages pertinents en l’espèce de la Recommandation Rec(2003)13 du Comité des Ministres aux États membres sur la diffusion d’informations par les médias en relation avec les procédures pénales, adoptée le 10 juillet 2003, lors de la 848e réunion des Délégués des Ministres, sont ainsi libellés :

« (...)

Rappelant que les médias ont le droit d’informer le public eu égard au droit de ce dernier à recevoir des informations, y compris des informations sur des questions d’intérêt public, en application de l’article 10 de la Convention, et qu’ils ont le devoir professionnel de le faire ;

(...)

Soulignant l’importance des reportages réalisés par les médias sur les procédures pénales pour informer le public, rendre visible la fonction dissuasive du droit pénal et permettre au public d’exercer un droit de regard sur le fonctionnement du système judiciaire pénal ;

Considérant les intérêts éventuellement conflictuels protégés par les articles 6, 8 et 10 de la Convention et la nécessité d’assurer un équilibre entre ces droits au regard des circonstances de chaque cas individuel, en tenant dûment compte du rôle de contrôle de la Cour européenne des Droits de l’Homme pour garantir le respect des engagements contractés au titre de la Convention ;

(...)

Recommande, tout en reconnaissant la diversité des systèmes juridiques nationaux en ce qui concerne les procédures pénales, aux gouvernements des États membres :

1.  de prendre ou de renforcer, le cas échéant, toutes mesures qu’ils considèrent nécessaires en vue de la mise en œuvre des principes annexés à la présente recommandation, dans les limites de leurs dispositions constitutionnelles respectives,

(...)

Annexe à la Recommandation Rec(2003)13

Principes concernant la diffusion d’informations par les médias en relation avec les procédures pénales

Principe 1 – Information du public par les médias

Le public doit pouvoir recevoir des informations sur les activités des autorités judiciaires et des services de police à travers les médias. Les journalistes doivent en conséquence pouvoir librement rendre compte de et effectuer des commentaires sur le fonctionnement du système judiciaire pénal, sous réserve des seules limitations prévues en application des principes qui suivent.

(...)

Principe 8 – Protection de la vie privée dans le contexte de procédures pénales en cours

La fourniture d’informations sur les personnes suspectées, accusées ou condamnées, ainsi que sur les autres parties aux procédures pénales devrait respecter leur droit à la protection de la vie privée conformément à l’article 8 de la Convention. Une protection particulière devrait être offerte aux parties qui sont des mineurs ou d’autres personnes vulnérables, aux victimes, aux témoins et aux familles des personnes suspectées, accusées ou condamnées. Dans tous les cas, une attention particulière devrait être portée à l’effet préjudiciable que la divulgation d’informations permettant leur identification peut avoir à l’égard des personnes visées dans ce Principe. »

4.  La Recommandation Rec(2012)3 du Comité des Ministres

56.  La Recommandation du Comité des Ministres aux États membres sur la protection des droits de l’homme dans le contexte des moteurs de recherche, adoptée le 4 avril 2012, lors de la 1139e réunion des Délégués des Ministres, souligne l’importance des moteurs de recherche qui contribuent à faciliter l’accès aux contenus Internet et à rendre la toile mondiale utile au public. Elle considère comme essentiel que les moteurs de recherche soient libres d’explorer et d’indexer les informations qui sont ouvertement accessibles sur Internet et qui sont destinées à être diffusées massivement. Elle constate que l’action des moteurs de recherche peut cependant affecter la liberté d’expression et atteindre le droit de rechercher, de recevoir et de communiquer des informations, et qu’elle a également un impact sur le droit à la vie privée et à la protection des données à caractère personnel en raison de la nature invasive des moteurs de recherche ou de leur capacité à pénétrer et à indexer des contenus qui, bien que dans l’espace public, n’étaient pas destinés à la communication directe de masse (ou à la communication de groupe).

C.  Le droit de l’Union européenne

1.  La directive 95/46/CE du Parlement européen et du Conseil du 24 octobre 1995

57.  La directive 95/46/CE du Parlement européen et du Conseil du 24 octobre 1995 relative à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données avait pour but de protéger les libertés et droits fondamentaux des personnes physiques (notamment leur droit à la vie privée) lors du traitement des données à caractère personnel, tout en éliminant les obstacles à la libre circulation de ces données. À l’article 9 de la directive, les États membres prévoyaient, pour les traitements de données à caractère personnel effectués aux seules fins de journalisme ou d’expression artistique ou littéraire, des exemptions et dérogations.

2.  Le règlement 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016

58.  Les articles 17 et 85 du règlement 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 (applicable à partir du 25 mai 2018) relatif à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, qui a abrogé la directive 95/46/CE (règlement général sur la protection des données), sont ainsi libellés :

Article 17 - Droit à l’effacement (« droit à l’oubli »)

« 1.  La personne concernée a le droit d’obtenir du responsable du traitement l’effacement, dans les meilleurs délais, de données à caractère personnel la concernant et le responsable du traitement a l’obligation d’effacer ces données à caractère personnel dans les meilleurs délais, lorsque l’un des motifs suivants s’applique :

a)  les données à caractère personnel ne sont plus nécessaires au regard des finalités pour lesquelles elles ont été collectées ou traitées d’une autre manière ;

(...)

2.  Lorsqu’il a rendu publiques les données à caractère personnel et qu’il est tenu de les effacer en vertu du paragraphe 1, le responsable du traitement, compte tenu des technologies disponibles et des coûts de mise en œuvre, prend des mesures raisonnables, y compris d’ordre technique, pour informer les responsables du traitement qui traitent ces données à caractère personnel que la personne concernée a demandé l’effacement par ces responsables du traitement de tout lien vers ces données à caractère personnel, ou de toute copie ou reproduction de celles-ci.

3. Les paragraphes 1 et 2 ne s’appliquent pas dans la mesure où ce traitement est nécessaire :

a)  à l’exercice du droit à la liberté d’expression et d’information ;

(...)

d)  à des fins archivistiques dans l’intérêt public, à des fins de recherche scientifique ou historique ou à des fins statistiques conformément à l’article 89, paragraphe 1, dans la mesure où le droit visé au paragraphe 1 est susceptible de rendre impossible ou de compromettre gravement la réalisation des objectifs dudit traitement (...) »

Article 85 - Traitement et liberté d’expression et d’information

« 1.   Les États membres concilient, par la loi, le droit à la protection des données à caractère personnel au titre du présent règlement et le droit à la liberté d’expression et d’information, y compris le traitement à des fins journalistiques et à des fins d’expression universitaire, artistique ou littéraire.

2.   Dans le cadre du traitement réalisé à des fins journalistiques ou à des fins d’expression universitaire, artistique ou littéraire, les États membres prévoient des exemptions ou des dérogations (...) si celles-ci sont nécessaires pour concilier le droit à la protection des données à caractère personnel et la liberté d’expression et d’information. (...) »

3.  L’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne du 13 mai 2014 (Google Spain et Google)

59.  Dans son arrêt du 13 mai 2014 (affaire C‑131/12, EU:C:2014:317 ; Google Spain SL et Google Inc. – ci-après « Google Spain »), la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) était appelée à définir la portée des droits et obligations découlant de la directive 95/46/CE. À l’origine de l’arrêt se trouvait l’introduction par un ressortissant espagnol d’une réclamation auprès de l’Agence espagnole de protection des données contre un quotidien espagnol et contre Google. Le ressortissant s’était plaint que, lorsqu’un internaute introduisait son nom dans le moteur de recherche de Google, la liste de résultats affichait des liens vers deux pages du quotidien mentionnant son nom en lien avec une vente aux enchères à la suite d’une saisie. L’intéressé avait demandé au quotidien soit de supprimer ou de modifier les pages en cause pour en faire disparaître ses données personnelles, soit de recourir à certains outils fournis par les moteurs de recherche pour protéger ces données. Il avait également demandé à Google de supprimer ou d’occulter ses données personnelles afin qu’elles disparaissent des résultats de recherche et des liens du quotidien. Alors que l’Agence espagnole avait rejeté la réclamation dirigée contre le quotidien, elle avait accueilli celle dirigée contre Google, qui saisit la justice espagnole d’un recours. C’est dans le cadre de ce litige judiciaire que la CJUE avait été saisie de l’affaire à titre préjudiciel.

60.  La CJUE a estimé que les opérations menées par l’exploitant d’un moteur de recherche devaient être qualifiées de « traitements de données » dont celui-ci était «  responsable » (article 2 b et d), et ce indépendamment du fait que ces données avaient déjà fait l’objet d’une publication sur Internet et n’avaient pas été modifiées par le moteur de recherche. Elle a indiqué que, dans la mesure où l’activité d’un moteur de recherche se distinguait du traitement effectué par les éditeurs de sites web et s’y ajoutait, et qu’elle affectait de manière additionnelle les droits fondamentaux de la personne concernée, l’exploitant de ce moteur devait notamment assurer que les garanties prévues par la directive pussent développer leur plein effet. Par ailleurs, compte tenu de la facilité avec laquelle des informations publiées sur un site web pouvaient être répliquées sur d’autres sites, une protection efficace et complète des personnes concernées, notamment de leur droit au respect de leur vie privée, ne pouvait effectivement être réalisée si ces personnes devaient d’abord ou en parallèle obtenir l’effacement des informations les concernant auprès des éditeurs de sites web. La CJUE a conclu que l’exploitant d’un moteur de recherche était obligé de supprimer de la liste de résultats, affichée à la suite d’une recherche effectuée à partir du nom d’une personne, des liens vers des pages web publiées par des tiers et contenant des informations relatives à cette personne, également dans l’hypothèse où ce nom ou ces informations n’avaient pas été effacés préalablement ou simultanément de ces pages web, et ce, le cas échéant, même lorsque leur publication en elle-même sur ces pages était licite.

61.  La CJUE a ajouté que même un traitement initialement licite de données exactes pouvait devenir, avec le temps, incompatible avec la directive lorsque ces données n’étaient plus nécessaires au regard des finalités pour lesquelles elles avaient été collectées ou traitées. Elle a précisé que cela était notamment le cas lorsqu’elles apparaissaient inadéquates, qu’elles n’étaient pas ou plus pertinentes ou qu’elles étaient excessives au regard de ces finalités et du temps qui s’était écoulé. La CJUE a conclu que si, au regard des articles 7 et 8 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, la personne concernée avait un droit à ce que l’information en question relative à sa personne ne fût plus liée à son nom par une liste de résultats et si elle pouvait ainsi demander que l’information ne fût plus mise à la disposition du grand public du fait de son inclusion dans une telle liste de résultats, ces droits prévalaient, en principe, non seulement sur l’intérêt économique de l’exploitant du moteur de recherche, mais également sur l’intérêt de ce public à accéder à cette information lors d’une recherche portant sur le nom de cette personne. Selon la CJUE, cela n’était cependant pas le cas s’il apparaissait, pour des raisons particulières, telles que le rôle joué par la personne concernée dans la vie publique, que l’ingérence dans ses droits fondamentaux était justifiée par l’intérêt prépondérant du public à avoir, du fait de cette inclusion, accès à l’information en question.

62.  Concernant la différence de traitement de l’éditeur d’une page web et de l’exploitant d’un moteur de recherche la CJUE a relevé le suivant :

« 85. En outre, le traitement par l’éditeur d’une page web, consistant dans la publication d’informations relatives à une personne physique, peut, le cas échéant, être effectué «aux seules fins de journalisme» et ainsi bénéficier, en vertu de l’article 9 de la directive 95/46, de dérogations aux exigences établies par celle-ci, tandis que tel n’apparaît pas être le cas s’agissant du traitement effectué par l’exploitant d’un moteur de recherche. Il ne peut ainsi être exclu que la personne concernée soit dans certaines circonstances susceptible d’exercer les droits visés aux articles 12, sous b), et 14, premier alinéa, sous a), de la directive 95/46 contre ledit exploitant, mais non pas contre l’éditeur de ladite page web.

86. Enfin, il importe de constater que non seulement le motif justifiant, en vertu de l’article 7 de la directive 95/46, la publication d’une donnée à caractère personnel sur un site web ne coïncide pas forcément avec celui qui s’applique à l’activité des moteurs de recherche, mais que, même lorsque tel est le cas, le résultat de la mise en balance des intérêts en cause à effectuer en vertu des articles 7, sous f), et 14, premier alinéa, sous a), de cette directive peut diverger selon qu’il s’agit du traitement effectué par l’exploitant d’un moteur de recherche ou de celui effectué par l’éditeur de cette page web, étant donné que, d’une part, les intérêts légitimes justifiant ces traitements peuvent être différents et, d’autre part, les conséquences qu’ont lesdits traitements pour la personne concernée, et notamment pour sa vie privée, ne sont pas nécessairement les mêmes.

87. En effet, dans la mesure où l’inclusion dans la liste de résultats, affichée à la suite d’une recherche effectuée à partir du nom d’une personne, d’une page web et des informations qui y sont contenues relatives à cette personne facilite sensiblement l’accessibilité de ces informations à tout internaute effectuant une recherche sur la personne concernée et peut jouer un rôle décisif pour la diffusion desdites informations, elle est susceptible de constituer une ingérence plus importante dans le droit fondamental au respect de la vie privée de la personne concernée que la publication par l’éditeur de cette page web. »

4.  Les lignes directrices du Groupe de l’article 29

63. Le 26 novembre 2014, les autorités européennes de protection des données réunies au sein du Groupe de l’article 29 ont adopté des lignes directrices pour assurer une application harmonisée de l’arrêt de la CJUE du 13 mai 2014. La deuxième partie des lignes directrices concerne des critères communs que les autorités de protection des données sont invités à appliquer pour traiter des plaintes qu’elles reçoivent suite à des refus de déréférencement par les moteurs de recherche. Le treizième de ces critères se lit ainsi :

« 13. Does the data relate to a criminal offence?

EU Member States may have different approaches as to the public availability of information about offenders and their offences. Specific legal provisions may exist which have an impact on the availability of such information over time. DPAs will handle such cases in accordance with the relevant national principles and approaches. As a rule, DPAs are more likely to consider the de-listing of search results relating to relatively minor offences that happened a long time ago, whilst being less likely to consider the de-listing of results relating to more serious ones that happened more recently. However, these issues call for careful consideration and will be handled on a case-by-case basis. »

EN DROIT

I.  SUR LA JONCTION DES REQUÊTES

64.  Compte tenu de la similitude des présentes requêtes quant aux faits et aux questions de fond qu’elles soulèvent, la Cour juge approprié de les joindre, en application de l’article 42 § 1 de son règlement.

II.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 8 DE LA CONVENTION

65.  Les requérants se plaignent du refus de la Cour fédérale de justice d’interdire aux médias assignés de maintenir, sur leur portail Internet, à la disposition des internautes, la transcription de l’émission de la station de radio Deutschlandfunk diffusée à l’époque des faits et les reportages écrits parus dans les éditions anciennes du Spiegel ou du Mannheimer Morgen concernant respectivement le procès pénal des requérants et leur condamnation pour assassinat à l’issue de ce procès pénal. Ils allèguent une atteinte à leur droit au respect de la vie privée tel que prévu par l’article 8 de la Convention, dont la partie pertinente en l’espèce est ainsi libellée :

« 1.  Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale (...)

2.  Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire (...) à la protection des droits et libertés d’autrui. »

66.  Le Gouvernement combat cette thèse.

A.  Sur la recevabilité

67.  Constatant que les requêtes ne sont pas manifestement mal fondées au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’elles ne se heurtent par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour les déclare recevables.

B.  Sur le fond

1.  Les observations des parties

a)  Les requérants

68.  Les requérants se plaignent d’avoir été de nouveau confrontés à leur crime alors que, à la suite de leur condamnation remontant à plus de quinze ans, ils auraient purgé leur peine et préparé leur réinsertion dans la société. Ils estiment que le maintien à la disposition des internautes des archives les concernant a pour effet de les stigmatiser une nouvelle fois. À cet égard, ils considèrent que, tant qu’un article sur la condamnation d’une personne, prononcée des années auparavant, est disponible sur un portail Internet, il sera lu de la même manière par un voisin ou un employeur, qu’il ait été écrit récemment ou à l’époque de la condamnation. Dans les deux cas, la personne visée serait marquée du sceau d’assassin.

69.  En outre, les requérants reprochent à la Cour fédérale de justice d’avoir méconnu les dangers spécifiques à l’ère Internet et ils en veulent pour preuve sa référence à l’arrêt Lebach prononcé en 1973 par la Cour constitutionnelle fédérale. Ils exposent que le reportage mis en cause dans l’affaire Lebach avait sans conteste atteint un degré de diffusion important dès lors qu’il aurait été présenté sur l’une des trois chaînes publiques existant à cette époque-là. Cependant, d’après les requérants, une émission de télévision tombe dans l’oubli après un certain temps tandis que les moteurs de recherche sur Internet permettraient à tout moment d’obtenir gratuitement, rapidement, de partout et de manière continue des informations sur un événement précis. Une diffusion sur Internet s’analyserait dès lors en une atteinte durable au droit au respect de la vie privée.

70.  Les requérants craignent de ne jamais pouvoir effacer le sceau d’assassin dont ils auraient été marqués et de voir tout nouveau lien social envenimé par l’information – relative au passé mais toujours accessible – portant sur leur condamnation. Ils précisent que l’on ne peut pas, comme l’auraient fait la Cour fédérale de justice et le Gouvernement, agiter le chiffon rouge de l’effacement de l’Histoire lorsqu’il ne s’agit de rien de plus, selon les requérants, que de demander à rendre anonyme les personnes mentionnées dans un reportage portant sur un événement donné. Ils ajoutent à cet égard qu’ils n’entendent précisément pas faire partie de l’histoire contemporaine.

71.  De plus, les requérants réfutent l’argument de la Cour fédérale de justice et du Gouvernement selon lequel l’obligation de vérifier régulièrement toutes ses archives restreindrait indûment la liberté d’expression de la presse. Ils estiment en effet que leur demande ne vise pas à obliger les médias à vérifier systématiquement toutes leurs archives à intervalles réguliers, mais à le faire uniquement en cas de demande expresse d’anonymat formulée par la personne visée par un reportage. Ils arguent qu’un tel devoir de vérification existe aussi dans d’autres domaines et que les coûts entraînés par la demande en question pourraient être mis à la charge de la partie demanderesse afin de réduire tout effet dissuasif potentiel pour la presse. Par ailleurs, selon les requérants, le concept d’« effet dissuasif » auquel la Cour fédérale de justice aurait fait référence ne trouve pas à s’appliquer dès lors que deux libertés garanties par la Convention entrent en conflit.

72.  En outre, les requérants sont d’avis que l’intérêt des médias à diffuser les reportages mis en cause est faible. Ils se demandent si, vingt ans après leur condamnation, il existait encore un intérêt particulier du public à être informé sur l’événement en question. Ils estiment que cet intérêt serait satisfait de la même manière s’ils étaient rendus anonymes dans les reportages, ce qui ne demanderait, à leurs dires, qu’une intervention technique minime.

73.  En réponse aux observations du Gouvernement, les requérants soutiennent enfin que les moteurs de recherche ne font pas régulièrement des copies du contenu d’Internet, lesquelles garderaient toute information de manière illimitée, mais qu’ils prévoient uniquement des mécanismes de mémoires cache qui sauvegarderaient et maintiendraient disponibles certains contenus pour une certaine durée. Ils soulignent enfin que, même si une anonymisation à 100 % n’était pas possible, il ne s’agit pas pour autant de renoncer à toutes les sortes d’anonymisation. Ils estiment que, bien au contraire, les médias maintenant disponibles des archives Internet devraient être obligés de faire tout ce qui est en leur pouvoir pour limiter la diffusion d’une information dont l’anonymisation a été demandée.

74.  Les requérants soutiennent par ailleurs que l’épuisement de toutes les voies de recours disponibles en droit allemand en vue de l’obtention de la réouverture de leur procès pénal ne les priverait pas du droit au respect de leur vie privée.

b)  Le Gouvernement

75.  Le Gouvernement souligne l’importance du rôle des archives numériques pour la mémoire collective en ce qu’elles contribueraient à documenter l’histoire contemporaine en conservant leurs imprimés et des informations publiées uniquement dans des versions numériques. Il estime qu’imposer aux médias une obligation permanente de contrôler leurs archives numériques pour rendre anonymes des reportages constituerait une ingérence démesurée. Il indique que, contrairement à ce que les requérants soutiennent, pareille obligation exigerait des médias des efforts considérables tant en personnel qu’en moyens techniques, et ce d’autant plus que la quantité des archives numériques serait en constante augmentation.

76.  Le Gouvernement précise à cet égard que l’instauration d’un effacement ou d’une anonymisation automatiques de reportages après un certain temps ne résoudrait pas le problème posé par les présentes requêtes. En effet, il estime que la réponse à la question de savoir si, au nom du droit à la protection de la personnalité, un reportage donné doit être rendu anonyme dépendrait d’un certain nombre de circonstances concrètes spécifiques à chaque reportage et de l’intensité de l’ingérence dans les droits concurrents en jeu. Il ajoute qu’un tel examen ne pourrait être fait que par des personnes qualifiées et compétentes pour effectuer la mise en balance nécessaire.

77.  Le Gouvernement soutient encore qu’accueillir de telles demandes n’aurait pas seulement pour conséquence une réécriture de l’Histoire, comme l’aurait aussi fait remarquer l’avocat général dans ses conclusions dans l’affaire Google Spain, mais comporterait aussi le risque que, compte tenu de l’investissement technique et humain nécessaire, les médias pourraient être amenés à restreindre l’utilisation d’archives numériques, voire à y renoncer, et la publication de reportages individualisés touchant au droit à la protection de la personnalité des personnes visées.

78.  Le Gouvernement souhaite également attirer l’attention sur le fait que les États se trouvent confrontés à des développements techniques rapides dans tous les domaines de l’internet et que, en l’absence d’un standard européen commun, ils jouissent dès lors d’une ample marge d’appréciation pour réglementer les questions juridiques soulevées. Un droit à l’oubli ne serait pas garanti comme tel. La directive 95/46/CE et la loi fédérale sur la protection des données (ayant transformé cette directive) ne prévoiraient que les conditions dans lesquelles des données personnelles doivent être effacées.

79.  En réponse aux observations des requérants, le Gouvernement indique que, si la recherche d’une information ou d’un nom dans les archives numériques est très facile et rapide, c’est avant tout dû à l’existence des moteurs de recherche. Il ajoute que, sans eux, une recherche serait aussi fastidieuse que l’étaient, d’après lui, les recherches « classiques » avant l’ère Internet et qu’elle poserait moins de problèmes au regard des droits fondamentaux. Il rappelle que, une fois publiée sur Internet, une information pourra toujours être retrouvée même si elle a été effacée du site Internet qui l’avait mise en ligne initialement. En effet, selon le Gouvernement, à intervalles réguliers, les moteurs de recherche copient les contenus d’Internet et les sauvegardent sur leurs serveurs. En conséquence, des personnes visées par une publication sur Internet se trouveraient dans l’obligation de s’adresser à une multitude d’acteurs pour obtenir l’effacement d’une publication ou de leur nom d’une publication donnée.

80.  Le Gouvernement considère que la Cour fédérale de justice a mis en balance les intérêts concurrents en jeu conformément aux critères établis par la jurisprudence de la Cour. Il indique que, tout en reconnaissant l’intérêt des requérants à une réinsertion sociale, la Cour fédérale de justice a retenu que les reportages litigieux donnaient des informations véridiques et objectives concernant un événement capital, à savoir l’assassinat d’un acteur populaire. Il souligne que, toujours pour la Cour fédérale de justice, les reportages, en dépit de leur localisation sur Internet, avaient une diffusion limitée. En effet, les reportages auraient été visuellement marqués de manière claire comme étant des reportages anciens et n’auraient donc été repérables que par des personnes les recherchant de manière ciblée, et rien n’aurait été fait pour attirer l’attention des lecteurs sur eux. De plus, l’accès aux articles dans les archives de Spiegel online aurait été payant. Le Gouvernement ajoute que les requérants n’ont d’ailleurs apporté aucun élément de preuve permettant d’évaluer la facilité avec laquelle les reportages pouvaient être trouvés et en quelle position ils apparaissaient par exemple sur une liste de recherche sur Google.

81.  Le Gouvernement estime enfin que ce sont les requérants eux‑mêmes qui, treize ans après le crime et dix ans après leur condamnation, ont suscité un regain d’intérêt du public en introduisant des demandes tendant à la réouverture de leur procès pénal et, surtout, en prenant l’initiative d’envoyer à la presse des documents, notamment relatifs aux demandes de réouverture de leur procès, et ce jusqu’en 2004. Il expose en particulier que, dans une lettre du 31 août 2004 à l’hebdomadaire Der Spiegel, le premier requérant a expressément demandé que la presse informât le public. Pour le Gouvernement, les médias n’avaient donc pas de raison de croire que les requérants ne voulaient plus rien avoir à faire avec la presse à l’approche de leur libération.

82.  S’agissant des photos, le Gouvernement soutient que la mise en balance effectuée par la Cour fédérale de justice est aussi conforme à la Convention et à la jurisprudence de la Cour. Il argue à cet égard que les photos montraient les requérants dans la salle d’audience du tribunal pénal ou en compagnie de W.S. ou d’un agent pénitentiaire et qu’elles avaient dès lors un lien direct avec l’objet des articles litigieux, à savoir le procès pénal, et, enfin, qu’elles rapportaient la vérité historique contemporaine d’une manière neutre et objective.

2.  Les commentaires des tierces parties

83.  Les tierces parties indiquent que le droit de publier des noms entiers fait partie intégrante de la liberté d’expression des médias et qu’il permet à ceux-ci d’accomplir leur tâche consistant à informer le public sur toute question d’intérêt public. Elles soulignent en outre l’importance pour la presse de pouvoir constituer des archives numériques, lesquelles auraient largement remplacé les archives classiques et seraient quasiment la seule source dans le cadre de recherches en matière d’histoire contemporaine. Elles ajoutent que l’exactitude des archives est cruciale pour la documentation historique, la mémoire collective et le débat public.

84.  Les tierces parties insistent par ailleurs sur l’impossibilité qui serait la leur d’examiner en permanence leur matériel archivé à la recherche d’éventuels contenus illicites ou devenus illicites. L’obligation de s’acquitter d’une telle tâche dépasserait leurs moyens et serait suspendue au‑dessus d’elles comme une épée de Damoclès. Elles indiquent à titre d’exemple que les archives de Spiegel online contiennent environ un million de documents et que, chaque semaine, environ 1 500 nouveaux documents s’y ajoutent ; les archives de Deutschlandradio, elles, s’accroissent quotidiennement de 220 fichiers audio et de 85 fichiers texte.

85.  Les tierces parties indiquent enfin que les publications litigieuses dans les présentes affaires ne peuvent plus être trouvées sur Internet à l’aide de moteurs de recherche. Elles précisent que, si deux articles publiés par Spiegel online peuvent effectivement encore être trouvés lorsque la recherche est faite à partir du nom de l’acteur assassiné, les noms des requérants n’y figurent cependant pas en entier. Elles ajoutent que, dans leur grande majorité, les résultats de recherche obtenus concernent davantage des aspects procéduraux que le crime lui-même, y compris les reportages relatifs aux demandes d’anonymat des articles parus. Enfin, au vu de leurs recherches statistiques, elles estiment que l’intérêt des internautes pour les articles litigieux est resté insignifiant.

3.  L’appréciation de la Cour

a)  Les principes généraux

86.  La Cour rappelle que la notion de « vie privée » est une notion large, non susceptible d’une définition exhaustive, qui recouvre l’intégrité physique et morale de la personne et peut donc englober de multiples aspects de l’identité d’un individu, tels l’identification et l’orientation sexuelle, le nom, ou des éléments se rapportant au droit à l’image. Cette notion comprend les informations personnelles dont un individu peut légitimement attendre qu’elles ne soient pas publiées sans son consentement (Flinkkilä et autres c. Finlande, no 25576/04, § 75, 6 avril 2010, et Saaristo et autres c. Finlande, no 184/06, § 61, 12 octobre 2010).

87.  La Cour rappelle aussi que les considérations liées à la vie privée entrent en jeu dans les situations où des informations ont été recueillies sur une personne bien précise, où des données à caractère personnel ont été traitées ou utilisées et où les éléments en question avaient été rendus publics d’une manière ou dans une mesure excédant ce à quoi les intéressés pouvaient raisonnablement s’attendre. Elle a reconnu que la protection des données à caractère personnel joue un rôle fondamental pour l’exercice du droit au respect de la vie privée et familiale consacré par l’article 8 de la Convention (Satakunnan Markkinapörssi Oy et Satamedia Oy c. Finlande [GC], no 931/13, § 136, CEDH 2017 (extraits)). Dans cet arrêt la Cour a en outre conclu que l’article 8 de la Convention consacre le droit à une forme d’auto-détermination informationnelle, qui autorise les personnes à invoquer leur droit à la vie privée en ce qui concerne des données qui, bien que neutres, sont collectées, traitées et diffusées à la collectivité, selon des formes ou modalités telles que leurs droits au titre de l’article 8 peuvent être mis en jeu (ibid., § 137).

88.  Cependant, pour que l’article 8 entre en ligne de compte, l’attaque à la réputation personnelle doit atteindre un certain niveau de gravité et avoir été effectuée de manière à causer un préjudice à la jouissance personnelle du droit au respect de la vie privée. De même, on ne saurait invoquer cette disposition pour se plaindre d’une atteinte à sa réputation qui résulterait de manière prévisible de ses propres actions, telle une infraction pénale (Axel Springer AG c. Allemagne [GC], no 39954/08, § 83, 7 février 2012).

89.  La Cour relève que les requêtes comme celles de l’espèce appellent un examen du juste équilibre à ménager entre le droit au respect de la vie privée des requérants, garanti par l’article 8 de la Convention, et la liberté d’expression de la station de radio et des maisons d’édition ainsi que la liberté d’information du public, garanties par l’article 10 de la Convention. Lors de cet examen, la Cour doit notamment avoir égard aux obligations positives qui incombent à l’État au regard de l’article 8 de la Convention (X et Y c. Pays-Bas, 26 mars 1985, § 23, série A no 91, et Von Hannover (no 2) [GC], précité, § 98) et aux principes qu’elle a dégagés dans sa jurisprudence constante quant au rôle essentiel que la presse joue dans une société démocratique et qui inclut la rédaction de comptes rendus et de commentaires sur les procédures judiciaires. On ne saurait en effet penser que les questions dont connaissent les tribunaux ne puissent, auparavant ou en même temps, donner lieu à discussion ailleurs, que ce soit dans des revues spécialisées, dans la grande presse ou au sein du public en général. À la fonction des médias consistant à communiquer de telles informations et idées s’ajoute le droit, pour le public, d’en recevoir. S’il en allait autrement, la presse ne pourrait pas jouer son rôle indispensable de « chien de garde » (Axel Springer AG, précité, §§ 79-81). Par ailleurs, il n’appartient pas à la Cour, ni d’ailleurs aux juridictions internes, de se substituer à la presse dans le choix du mode de compte rendu à adopter dans un cas donné (Jersild c. Danemark, 23 septembre 1994, § 31, série A no 298, et Mosley c. Royaume-Uni, no 48009/08, § 113, 10 mai 2011).

90.  À ce rôle premier de la presse s’ajoute une fonction accessoire mais néanmoins d’une importance certaine, qui consiste à constituer des archives à partir d’informations déjà publiées et à les mettre à la disposition du public. À cet égard, la Cour rappelle que la mise à disposition d’archives sur Internet contribue grandement à la préservation et à l’accessibilité de l’actualité et des informations. Les archives numériques constituent en effet une source précieuse pour l’enseignement et les recherches historiques, notamment en ce qu’elles sont immédiatement accessibles au public et généralement gratuites (Times Newspapers Ltd c. Royaume-Uni (nos 1 et 2), nos 3002/03 et 23676/03, §§ 27 et 45, CEDH 2009, et Węgrzynowski et Smolczewski c. Pologne, no 33846/07, § 59, 16 juillet 2013 ; voir aussi la Recommandation no R(2000)13 du Comité des Ministres – paragraphe 54 ci‑dessus).

91.  La Cour estime également utile de rappeler dans ce contexte que les sites Internet sont des outils d’information et de communication qui se distinguent particulièrement de la presse écrite, notamment quant à leur capacité à emmagasiner et à diffuser l’information, et que les communications en ligne et leur contenu risquent bien plus que la presse de porter atteinte à l’exercice et à la jouissance des droits et libertés fondamentaux, en particulier du droit au respect de la vie privée (Delfi AS c. Estonie [GC], no 64569/09, § 133, CEDH 2015, Comité de rédaction de Pravoye Delo et Shtekel c. Ukraine, no 33014/05, § 63, CEDH 2011 (extraits), et Cicad c. Suisse, no 17676/09, § 59, 7 juin 2016), et ce notamment en raison du rôle important que jouent les moteurs de recherche.

92.  Le choix des mesures propres à garantir l’observation de l’article 8 de la Convention dans les rapports interindividuels relève en principe de la marge d’appréciation des États contractants, que les obligations à la charge de l’État soient positives ou négatives. Cette marge est en principe la même que celle dont les États disposent sur le terrain de l’article 10 de la Convention pour juger de la nécessité et de l’ampleur d’une ingérence dans la liberté d’expression protégée par cet article (Von Hannover (no 2), précité, § 106, Axel Springer AG, précité, § 87, et Couderc et Hachette Filipacchi Associés c. France [GC], no 40454/07, § 91, CEDH 2015 (extraits)).

93.  La marge d’appréciation va toutefois de pair avec un contrôle européen portant à la fois sur la loi et sur les décisions qui l’appliquent, même quand elles émanent d’une juridiction indépendante. Dans l’exercice de son pouvoir de contrôle, la Cour n’a pas pour tâche de se substituer aux juridictions nationales, mais il lui incombe de vérifier, à la lumière de l’ensemble de l’affaire, si les décisions qu’elles ont rendues en vertu de leur pouvoir d’appréciation se concilient avec les dispositions invoquées de la Convention (Von Hannover (no 2), précité, § 105, et Axel Springer AG, précité, § 86).

94.  Si la mise en balance par les autorités nationales s’est faite dans le respect des critères établis par la jurisprudence de la Cour, il faut des raisons sérieuses pour que celle-ci substitue son avis à celui des juridictions internes (MGN Limited c. Royaume-Uni, no 39401/04, §§ 150 et 155, 18 janvier 2011, et Bédat c. Suisse [GC], no 56925/08, § 54, 29 mars 2016). En d’autres termes, la Cour reconnaît de façon générale à l’État une ample marge d’appréciation lorsqu’il doit ménager un équilibre entre des intérêts privés ou différents droits protégés par la Convention (Delfi AS, précité, § 139, Magyar Tartalomszolgáltatók Egyesülete et Index.hu Zrt c. Hongrie, no 22947/13, § 59, 2 février 2016, et Fürst-Pfeifer c. Autriche, nos 33677/10 et 52340/10, § 40, 17 mai 2016).

95.  La Cour a déjà eu l’occasion d’énoncer les principes pertinents qui doivent guider son appréciation – et, surtout, celle des juridictions internes – de la nécessité. Elle a ainsi posé un certain nombre de critères dans le contexte de la mise en balance des droits en présence. Les critères pertinents qui ont été jusqu’ici ainsi définis sont la contribution à un débat d’intérêt général, la notoriété de la personne visée, l’objet du reportage, le comportement antérieur de la personne concernée, le contenu, la forme et les répercussions de la publication, ainsi que, le cas échéant, les circonstances de la prise des photographies (Satakunnan Markkinapörssi Oy et Satamedia Oy, précité, § 165, et les références qui y sont citées).

96.  La Cour estime que les critères ainsi définis peuvent être transposés à la présente affaire, même si certains d’entre eux peuvent revêtir plus ou moins de pertinence eu égard aux circonstances particulières de l’espèce (ibid., § 166 ; Falzon c. Malte, no 45791/13, § 55, 20 mars 2018 ; Axel Springer et RTL Television GmbH c. Allemagne, no 51405/12, § 42, 21 septembre 2017).

b)  Application de ces principes à l’espèce

97.  La Cour note d’abord que c’est avant tout en raison des moteurs de recherche que les informations sur les requérants tenues à disposition par les médias concernés peuvent facilement être repérées par les internautes. Il n’en demeure pas moins que l’ingérence initiale dans l’exercice par les requérants de leur droit au respect de la vie privée résulte de la décision des médias concernés de publier ces informations et, surtout, de les garder disponibles sur leurs sites web, fût-ce sans intention d’attirer l’attention du public, les moteurs de recherche ne faisant qu’amplifier la portée de l’ingérence en question. Cela dit, en raison de cet effet amplificateur concernant le degré de diffusion des informations et de la nature de l’activité dans laquelle s’inscrit la publication de l’information sur la personne concernée, les obligations des moteurs de recherche à l’égard de la personne concernée par l’information peuvent être différentes de celles de l’éditeur à l’origine de l’information. Par conséquent, la mise en balance des intérêts en jeu peut aboutir à des résultats différents selon que se trouve en cause une demande d’effacement dirigée contre l’éditeur initial de l’information dont l’activité se trouve en règle générale au cœur de ce que la liberté d’expression entend protéger, ou contre un moteur de recherche dont l’intérêt principal n’est pas de publier l’information initiale sur la personne concernée, mais notamment de permettre, d’une part, de repérer toute information disponible sur cette personne et, d’autre part, d’établir ainsi un profil de celle-ci (à cet égard voir aussi l’arrêt de la CJUE du 13 mai 2014, no C-131/12,– paragraphes 59 – 62 ci-dessus).

i.  La contribution à un débat d’intérêt général

98.  En ce qui concerne la question de l’existence d’un débat d’intérêt général, la Cour observe que la Cour fédérale de justice a relevé l’intérêt considérable que le crime et le procès pénal avaient suscité à l’époque en raison de la gravité des faits et de la notoriété de la victime, et elle a noté que les requérants avaient essayé au-delà de l’année 2000 d’obtenir la réouverture de leur procès. La haute juridiction a souligné en outre le caractère véridique et objectif des reportages. La Cour peut souscrire à cette analyse étant donné que le public a en principe un intérêt à être informé des procédures en matière criminelle et à pouvoir s’informer à cet égard, surtout lorsque celles-ci portent sur un fait judiciaire particulièrement grave et ayant suscité une attention considérable (voir, par exemple, Schweizerische Radio‑ und Fernsehgesellschaft SRG c. Suisse, no 34124/06, § 56, 21 juin 2012, et Egeland et Hanseid c. Norvège, no 34438/04, § 58, 16 avril 2009). Cela ne concerne pas seulement des reportages parus pendant la tenue du procès pénal en question mais peut inclure également, en fonction des circonstances de l’affaire, des reportages rendant compte d’une demande de réouverture de ce procès quelques années après la condamnation.

99.  La Cour relève que les présentes requêtes ont ceci de particulier que ce n’est pas la licéité des reportages lors de leur première parution ou leur mise à disposition sur les portails Internet des médias concernés que les requérants mettent en cause, mais la possibilité d’accès à ces reportages longtemps après et, notamment, à l’approche de la date prévue de leur sortie de prison. Elle doit donc examiner la question de savoir si la mise à disposition des reportages litigieux a continué à contribuer à un débat d’intérêt général.

100.  La Cour rappelle que, après l’écoulement d’un certain temps et en particulier à l’approche de la sortie de prison d’une personne condamnée, l’intérêt de celle-ci est de ne plus être confrontée à son acte en vue de sa réintégration dans la société (Österreichischer Rundfunk c. Autriche, no 35841/02, § 68, 7 décembre 2006, et Österreichischer Rundfunk, décision précitée ; voir aussi, mutatis mutandis, Segerstedt-Wiberg et autres c. Suède, no 62332/00, §§ 90-91, CEDH 2006-VII). Ceci peut être d’autant plus vrai après la libération définitive d’une personne condamnée. De même, l’étendue de l’intérêt du public quant aux procédures pénales est variable, car il peut évoluer au cours de la procédure en fonction, entre autres, des circonstances de l’affaire (Axel Springer AG, précité, § 96).

101.  Revenant à la présente espèce, la Cour observe que la Cour fédérale de justice, tout en reconnaissant aux requérants un intérêt élevé à ne plus être confrontés à leur condamnation, a souligné que le public avait un intérêt non seulement à être informé sur un événement d’actualité, mais aussi à pouvoir faire des recherches sur des événements passés. La haute juridiction a également rappelé que les médias avaient pour mission de participer à la formation de l’opinion démocratique en mettant à la disposition du public des informations anciennes conservées dans leurs archives.

102.  La Cour souscrit entièrement à cette conclusion. Elle n’a en effet cessé de souligner le rôle essentiel que joue la presse dans une société démocratique (Sunday Times c. Royaume-Uni (no 1), 26 avril 1979, § 65, série A no 30), et ce également par le biais de ses sites Internet et par la constitution d’archives numériques qui contribuent grandement à améliorer l’accès du public à l’information et à sa diffusion (Times Newspapers Ltd (nos 1 et 2), précité, § 27, et Węgrzynowski et Smolczewski, précité, § 65). Par ailleurs, d’après la jurisprudence de la Cour, l’intérêt légitime du public à pouvoir accéder aux archives électroniques publiques de la presse est protégé par l’article 10 de la Convention (ibidem), et toute mesure limitant l’accès à des informations que le public a le droit de recevoir doit être justifiée par des raisons particulièrement impérieuses (Timpul Info-Magazin et Anghel c. Moldova, no 42864/05, § 31, 27 novembre 2007, et Times Newspapers Ltd (nos 1 et 2), précité, § 41).

103.  Dans ce contexte, la Cour observe que la Cour fédérale de justice a pointé le risque d’un effet dissuasif sur la liberté d’expression de la presse en cas d’accueil de demandes telles que celle des requérants, en particulier le risque que les médias, faute de moyens suffisants en personnel et en temps pour examiner pareilles demandes, soient amenés à ne plus inclure dans leurs reportages d’éléments identifiants susceptibles de devenir ultérieurement illicites.

104.  La Cour constate que les requérants ne demandent pas que les médias vérifient leurs archives de manière systématique et permanente, mais qu’ils procèdent à une telle vérification uniquement en cas de demande individuelle expresse. Cela étant, elle ne saurait écarter l’existence du risque pour la presse dont a fait état la Cour fédérale de justice. En effet, l’obligation d’examiner à un stade ultérieur la licéité d’un reportage à la suite d’une demande de la personne concernée, qui implique, comme l’a souligné le Gouvernement à juste titre, une mise en balance de tous les intérêts en jeu, comporterait le risque que la presse s’abstienne de conserver des reportages dans ses archives en ligne ou qu’elle omette des éléments individualisés dans des reportages susceptibles de faire l’objet d’une telle demande. Tout en reconnaissant l’importance des droits d’une personne ayant fait l’objet d’une publication disponible sur Internet, ces droits doivent aussi être mis en balance avec le droit du public à s’informer sur des événements du passé et de l’histoire contemporaine, notamment à l’aide des archives numériques de la presse. La Cour rappelle à cet égard qu’elle doit faire preuve de la plus grande prudence lorsqu’elle est appelée à examiner, sous l’angle de l’article 10 de la Convention, des mesures ou des sanctions infligées à la presse qui sont de nature à dissuader celle-ci de participer à la discussion de problèmes d’un intérêt général légitime (Bladet Tromsø et Stensaas c. Norvège [GC], no 21980/93, § 64, CEDH 1999-III, et Times Newspapers Ltd (nos 1 et 2), précité, § 41).

105.  Dans la mesure où les requérants soulignent ne pas demander que les reportages litigieux soient supprimés, mais seulement que leurs noms n’y figurent plus, la Cour note que l’anonymisation d’un reportage constitue certes une mesure moins attentatoire à la liberté d’expression qu’une suppression du reportage tout entier (voir, mutatis mutandis, Times Newspapers Ltd (nos 1 et 2), précité, § 47). Elle rappelle cependant que la manière de traiter un sujet relève de la liberté journalistique et que l’article 10 de la Convention laisse aux journalistes le soin de décider quels détails doivent être publiés pour assurer la crédibilité d’une publication sous réserve que les choix que ceux-ci opèrent à cet égard soient fondés sur les règles d’éthique et de déontologie de leur profession (Satakunnan Markkinapörssi Oy et Satamedia Oy, précité, § 186). La Cour estime, à l’instar des médias tiers intervenants, que l’inclusion dans un reportage d’éléments individualisés, tel le nom complet de la personne visée, constitue un aspect important du travail de la presse (Fuchsmann c. Allemagne, no 71233/13, § 37, 19 octobre 2017), et ce d’autant plus lorsqu’il s’agit de reportages sur des procédures pénales ayant suscité un intérêt considérable. Elle conclut que, dans la présente affaire, la disponibilité des reportages litigieux sur les sites web des médias au moment de l’introduction des demandes des requérants contribuait toujours à un débat d’intérêt général que l’écoulement d’un laps de temps de quelques années n’a pas fait disparaître.

ii.  La notoriété de la personne visée et l’objet du reportage

106.  En ce qui concerne la notoriété des requérants, la Cour relève que les juridictions allemandes ne se sont pas explicitement prononcées sur ce sujet. Elle observe cependant que la notoriété des intéressés était étroitement liée à la commission par eux de l’assassinat et au procès pénal qui s’en est suivi. Dès lors, si rien ne semble indiquer que les requérants étaient connus du public avant leur crime, ils ont néanmoins acquis une notoriété certaine pendant la tenue du procès, lequel, d’après les constatations des juridictions civiles, a suscité une attention considérable de l’opinion publique en raison de la nature et des circonstances du crime et de la célébrité de la victime. Si, par la suite et avec l’écoulement du temps, l’intérêt du public à l’égard de ce crime et, partant, la notoriété des requérants ont décliné, la Cour observe que les requérants ont connu un regain de notoriété après avoir tenté, à plusieurs reprises, d’obtenir la réouverture de leur procès pénal et après s’être adressés à la presse à ce propos. La Cour en conclut que les requérants n’étaient pas de simples personnes privées inconnues du public au moment de l’introduction de leurs demandes d’anonymat.

107.  En ce qui concerne l’objet des reportages, la Cour note que ceux-ci avaient trait soit à la tenue du procès pénal à l’époque, soit à l’une des demandes des requérants tendant à la réouverture du procès, autant d’éléments susceptibles de contribuer à un débat dans une société démocratique. Elle renvoie à cet égard à ses conclusions (paragraphe 111 ci‑dessous).

iii.  Le comportement antérieur de la personne visée à l’égard des médias

108.  En ce qui concerne le comportement des requérants depuis leur condamnation, la Cour observe, comme l’a relevé la Cour fédérale de justice, que les intéressés ont introduit tous les recours judiciaires « possibles et imaginables » pour obtenir la réouverture de leur procès pénal. De surcroît, comme le Gouvernement l’a souligné, au cours de leur dernière demande en révision, effectuée en 2004, c’est-à-dire deux ans et demi et trois ans respectivement avant leur libération, les requérants se sont tournés vers la presse, à laquelle ils ont transmis un certain nombre de documents en partie liés à leur demande en révision, tout en l’invitant à en tenir le public informé. Par ailleurs, il n’est pas non plus sans intérêt de noter que, comme l’a indiqué la Cour fédérale de justice dans son arrêt du 22 février 2011 concernant le deuxième requérant (paragraphe 45 ci‑dessus), l’on pouvait trouver, jusqu’en 2006, sur le site web de l’avocat pénaliste du deuxième requérant, de nombreux reportages sur son client.

109.  Dans ce contexte, si l’on ne peut reprocher à une personne condamnée – qui, de surcroît, proteste de son innocence – de faire usage des recours judiciaires disponibles en droit interne pour contester sa condamnation, la Cour relève que les tentatives des requérants sont allées bien au-delà de la simple utilisation des voies de recours disponibles en droit pénal allemand. En particulier, du fait de leur comportement notamment à l’égard de la presse, l’intérêt des requérants à ne plus être confrontés à leur condamnation par le biais des informations archivées sur les portails Internet d’un certain nombre de médias revêtait une moindre importance en l’espèce. La Cour conclut que les requérants, même à l’approche de leur libération, n’avaient dès lors plus qu’une espérance légitime limitée (voir, mutatis mutandis, Axel Springer AG, précité, § 101) d’escompter l’anonymisation des reportages, voire un droit à l’oubli numérique.

iv.  Le contenu, la forme et les répercussions de la publication

110.  La Cour rappelle que la façon dont le reportage ou la photo sont publiés et dont la personne visée y est présentée peut également entrer en ligne de compte. De même, l’ampleur de la diffusion du reportage ou de la photo peut, elle aussi, revêtir une importance, selon qu’il s’agit d’un journal à tirage national ou local, important ou faible (Von Hannover (no 2), précité, § 112, et les références qui y sont citées).

111.  En ce qui concerne l’objet, le contenu et la forme des dossiers litigieux, la Cour estime que la manière dont la Cour fédérale de justice a apprécié des reportages de la Deutschlandradio et du Mannheimer Morgen ne saurait prêter à critique. Il s’agit en effet de textes qui ont été écrits par des médias dans l’exercice de leur liberté d’expression, qui relatent de manière objective une décision de justice et dont la véracité et la licéité d’origine n’ont à aucun moment été mises en cause (voir, a contrario, Węgrzynowski et Smolczewski, précité, § 60). S’agissant du dossier de Spiegel online, la Cour admet que certains articles, en particulier celui paru dans l’édition du 30 novembre 1992 (paragraphe 28 ci-dessus), peuvent donner lieu à des interrogations en raison de la nature des informations données. Cela dit, elle observe que les détails relatifs à la vie des accusés dont l’auteur des articles rendait compte font partie des informations qu’un juge pénal doit régulièrement prendre en considération pour apprécier les circonstances du crime et les éléments de culpabilité individuelle, et qui font de ce fait en règle générale l’objet de débats lors des audiences publiques. Par ailleurs, ces articles ne reflètent pas une intention de présenter les requérants d’une manière dépréciative ou de nuire à leur réputation (Lillo‑Stenberg et Sæther c. Norvège, no 13258/09, § 41, 16 janvier 2014, et Sihler-Jauch et Jauch c. Allemagne (déc.), nos 68273/10 et 34194/11, § 38, 24 mai 2016).

112.  En ce qui concerne le degré de diffusion des publications litigieuses, la Cour note que la Cour fédérale de justice a estimé que, à la différence d’un sujet télévisé diffusé à une heure de grande écoute, les informations litigieuses avaient une diffusion limitée en raison de leur accessibilité restreinte et de leur emplacement non pas sur les pages consacrées à l’actualité sur les portails Internet des médias concernés, mais dans des rubriques indiquant clairement qu’il s’agissait de reportages anciens. Les requérants contestent ce raisonnement et reprochent à la Cour fédérale de justice notamment d’avoir méconnu les réalités de l’ère Internet et d’avoir sous-estimé les dangers liés à la pérennité des informations figurant sur ce média, dus notamment à l’existence de moteurs de recherche puissants et efficaces.

113.  La Cour observe que, du fait de leur emplacement sur les portails Internet, les reportages litigieux n’étaient pas susceptibles d’attirer l’attention de ceux des internautes qui n’étaient pas à la recherche d’informations sur les requérants (voir, a contrario et mutatis mutandis, Mouvement raëlien c. Suisse [GC], no 16354/06, § 69, CEDH 2012). De même, la Cour n’aperçoit pas d’indices montrant que le maintien de l’accès à ces reportages aurait eu pour but de propager de nouveau des informations sur les requérants. Dans cette mesure, la Cour peut suivre les conclusions de la Cour fédérale de justice selon lesquelles le degré de diffusion des reportages était limité (Fuchsmann, précité, § 52), d’autant qu’une partie des informations était frappée de restrictions supplémentaires (l’accès payant dans le cas du Spiegel online ou réservé aux abonnés dans le cas du Mannheimer Morgen).

114.  Dans la mesure où les requérants soutiennent que cette façon de mesurer le degré de diffusion ne tient pas compte du caractère amplificateur et ubiquitaire d’Internet et, partant, de la possibilité, indépendamment du degré de diffusion initiale, de trouver les informations sur eux de manière permanente, notamment à l’aide de moteurs de recherche, la Cour, tout en étant consciente de l’accessibilité durable de toute information une fois publiée sur Internet, constate que les requérants n’ont pas fait part des tentatives qu’ils auraient faites de s’adresser aux exploitants des moteurs de recherche pour réduire la détectabilité des informations sur leurs personnes (Fuchsmann, précité, § 53, et Phil c. Suède (déc.), no 74742/14, 7 février 2017). Par ailleurs, la Cour estime qu’elle n’est pas appelée à se prononcer sur la possibilité, pour les juridictions internes, d’ordonner des mesures moins attentatoires à la liberté d’expression des médias mis en cause qui n’ont pas fait l’objet de débats devant celles-ci au cours de la procédure interne ni, par ailleurs, au cours de la procédure devant la Cour.

v.  Les circonstances de la prise des photos

115.  Enfin, en ce qui concerne les photos mises en cause (voir paragraphes 37-38 ci-dessus), la Cour note que ni les requérants ni les juridictions civiles ne se sont prononcés sur les circonstances de leur prise. Elle n’aperçoit cependant sur ces photos aucun élément compromettant et observe par ailleurs, comme la Cour fédérale de justice l’a relevé à juste titre, que les images montraient les requérants dans l’apparence qui était la leur en 1994, soit près de treize ans avant leur libération, ce qui diminue la probabilité d’être reconnu par des tiers sur la base des photos.

c)  Conclusion

116.  Compte tenu de la marge d’appréciation des autorités nationales en la matière lorsqu’elles mettent en balance des intérêts divergents, de l’importance de garder disponibles des reportages dont la licéité lors de leur parution n’est pas contestée et du comportement des requérants vis-à-vis de la presse, la Cour estime qu’il n’y a pas de raisons sérieuses qui justifieraient qu’elle substitue son avis à celui de la Cour fédérale de justice. On ne saurait dès lors dire que, en refusant de donner suite à la demande des requérants, la Cour fédérale de justice a manqué aux obligations positives de l’État allemand de protéger le droit des requérants au respect de leur vie privée, au sens de l’article 8 de la Convention. Partant il n’y a pas eu violation de cette disposition.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1.  Décide de joindre les requêtes ;

2.  Déclare les requêtes recevables ;

3.  Dit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 8 de la Convention.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 28 juin 2018, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.

Milan BlaškoErik Møse
Greffier adjointPrésident

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CEDH, Cour (cinquième section), AFFAIRE M.L. ET W.W. c. ALLEMAGNE, 28 juin 2018, 60798/10;65599/10