CJUE, n° C-267/12, Arrêt de la Cour, Frédéric Hay contre Crédit agricole mutuel de Charente-Maritime et des Deux-Sèvres, 12 décembre 2013

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Chronologie de l’affaire

Sur la décision

Sur les parties

Texte intégral

ARRÊT DE LA COUR (cinquième chambre)

12 décembre 2013 ( *1 )

«Directive 2000/78/CE — Égalité de traitement — Convention collective réservant un avantage en matière de rémunération et de conditions de travail aux salariés contractant un mariage — Exclusion des partenaires concluant un pacte civil de solidarité — Discriminations fondées sur l’orientation sexuelle»

Dans l’affaire C-267/12,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par la Cour de cassation (France), par décision du 23 mai 2012, parvenue à la Cour le 30 mai 2012, dans la procédure

Frédéric Hay

contre

Crédit agricole mutuel de Charente-Maritime et des Deux-Sèvres,

LA COUR (cinquième chambre),

composée de M. T. von Danwitz, président de chambre, MM. E. Juhász, A. Rosas, D. Šváby (rapporteur) et C. Vajda, juges,

avocat général: M. N. Jääskinen,

greffier: M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées:

pour M. Hay, par Me A. Lamamra, avocat,

pour le Crédit agricole mutuel de Charente-Maritime et des Deux-Sèvres, par Me J.-J. Gatineau, avocat,

pour le gouvernement français, par MM. G. de Bergues, D. Colas et J. Rossi, en qualité d’agents,

pour le gouvernement belge, par Mme M. Jacobs, en qualité d’agent,

pour la Commission européenne, par MM. J. Enegren et D. Martin, en qualité d’agents,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1

La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 2, paragraphe 2, de la directive 2000/78/CE du Conseil, du 27 novembre 2000, portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail (JO L 303, p. 16).

2

Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant M. Hay au Crédit agricole mutuel de Charente-Maritime et des Deux-Sèvres (ci-après le «Crédit agricole»), son employeur, au sujet du refus de celui-ci de lui octroyer, à la suite de la conclusion d’un pacte civil de solidarité (ci-après le «PACS»), les jours de congés spéciaux et la prime salariale prévus pour les salariés contractant un mariage.

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

3

Le considérant 22 de la directive 2000/78 énonce:

«La présente directive est sans préjudice des lois nationales relatives à l’état civil et des prestations qui en dépendent.»

4

L’article 1er de la directive 2000/78 dispose:

«La présente directive a pour objet d’établir un cadre général pour lutter contre la discrimination fondée sur la religion ou les convictions, [le] handicap, l’âge ou l’orientation sexuelle, en ce qui concerne l’emploi et le travail, en vue de mettre en œuvre, dans les États membres, le principe de l’égalité de traitement.»

5

Aux termes de l’article 2 de ladite directive:

«1. Aux fins de la présente directive, on entend par ‘principe de l’égalité de traitement’ l’absence de toute discrimination directe ou indirecte, fondée sur un des motifs visés à l’article 1er.

2. Aux fins du paragraphe 1:

a)

une discrimination directe se produit lorsqu’une personne est traitée de manière moins favorable qu’une autre ne l’est, ne l’a été ou ne le serait dans une situation comparable, sur la base de l’un des motifs visés à l’article 1er;

b)

une discrimination indirecte se produit lorsqu’une disposition, un critère ou une pratique apparemment neutre est susceptible d’entraîner un désavantage particulier pour des personnes d’une religion ou de convictions, d’un handicap, d’un âge ou d’une orientation sexuelle donnés, par rapport à d’autres personnes, à moins que:

i)

cette disposition, ce critère ou cette pratique ne soit objectivement justifié par un objectif légitime et que les moyens de réaliser cet objectif ne soient appropriés et nécessaires, […]

[…]

5. La présente directive ne porte pas atteinte aux mesures prévues par la législation nationale qui, dans une société démocratique, sont nécessaires à la sécurité publique, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé et à la protection des droits et libertés d’autrui.»

6

L’article 3, paragraphe 1, de la même directive est libellé de la manière suivante:

«Dans les limites des compétences conférées à la Communauté, la présente directive s’applique à toutes les personnes, tant pour le secteur public que pour le secteur privé, y compris les organismes publics, en ce qui concerne:

[…]

c)

les conditions d’emploi et de travail, y compris les conditions de licenciement et de rémunération;

[…]»

Le droit français

Le code civil

7

L’article 144 du code civil, tel que modifié par la loi no 99-944, du 15 novembre 1999 (ci-après le «code civil»), dispose:

«L’homme et la femme ne peuvent contracter mariage avant dix-huit ans révolus.»

8

L’article 515-1 dudit code prévoit:

«Un pacte civil de solidarité est un contrat conclu par deux personnes physiques majeures, de sexe différent ou de même sexe, pour organiser leur vie commune.»

9

L’article 515-4 du code civil énonce:

«Les partenaires liés par un pacte civil de solidarité s’engagent à une vie commune, ainsi qu’à une aide matérielle et une assistance réciproques. Si les partenaires n’en disposent autrement, l’aide matérielle est proportionnelle à leurs facultés respectives.

Les partenaires sont tenus solidairement à l’égard des tiers des dettes contractées par l’un d’eux pour les besoins de la vie courante. […]»

Le code du travail

10

L’article L. 122-45 du code du travail, dans sa version en vigueur à la date des faits au principal (ci-après le «code du travail»), prohibe les discriminations directes ou indirectes fondées notamment sur l’orientation sexuelle, en matière de rémunérations et de conditions de travail.

11

L’article L. 226-1 du code du travail dispose:

«Tout salarié bénéficie, sur justification et à l’occasion de certains événements familiaux, d’une autorisation exceptionnelle d’absence de:

Quatre jours pour le mariage du salarié;

[…]»

La convention collective nationale du Crédit agricole

12

L’article 20 de la convention collective nationale du Crédit agricole, intitulé «Congés spéciaux», stipule:

«Des congés rémunérés, avec salaire entier, sont accordés dans les circonstances suivantes:

[…]

3o Agents titulaires

Mariage:

de l’agent: 10 jours ouvrés;

de l’enfant de l’agent: 3 jours ouvrés;

du frère ou de la sœur de l’agent: 1 jour ouvré.

[…]»

13

L’article 34 de la convention collective nationale du Crédit agricole, intitulé «Primes et indemnités diverses», stipule:

«Prime de mariage

Tout salarié titulaire recevra au moment de son mariage une prime égale, par mois de présence, à 1/36ème du salaire mensuel du mois précédant le mariage.

[…]»

14

Par accord du 10 juillet 2008 portant modification des articles 20, 22 et 34 de la convention collective nationale du Crédit agricole, le bénéfice de ces avantages a été étendu en cas de conclusion d’un PACS. L’Association française des banques et les fédérations syndicales ont également conclu le 27 septembre 2010 un avenant à la convention collective nationale de la banque du 10 janvier 2000 pour étendre les congés pour événements familiaux aux salariés liés par un PACS. Les dispositions de cet avenant ont été étendues à tout le secteur bancaire, par arrêté du ministre du Travail, de l’Emploi et de la Santé du 23 décembre 2010.

Le litige au principal et la question préjudicielle

15

M. Hay est employé au Crédit agricole depuis 1998.

16

Le 11 juillet 2007, M. Hay a conclu un PACS avec une personne de même sexe. À cette occasion, M. Hay a demandé l’octroi des jours de congés spéciaux et de la prime de mariage accordés au travailleur salarié qui se marie conformément à la convention collective nationale du Crédit agricole. Cependant, le Crédit agricole lui a refusé le bénéfice de ces avantages au motif que, conformément à ladite convention collective, ces avantages ne sont accordés qu’en cas de mariage.

17

Le 17 mars 2008, M. Hay a saisi le conseil de prud’hommes de Saintes d’une demande visant à obtenir le paiement de la prime de mariage d’un montant de 2637,85 euros ainsi que le versement d’une indemnité au titre des jours de congés spéciaux d’un montant de 879,29 euros qui lui ont été refusés. Par jugement du 13 octobre 2008, le conseil de prud’hommes de Saintes a rejeté cette demande en estimant que la prime accordée en cas de mariage est liée non pas à l’emploi, mais à l’état civil et que le code civil différencie le mariage du PACS. Il a toutefois relevé que la convention collective nationale du Crédit agricole a été modifiée le 10 juillet 2008 pour étendre aux personnes liées par un PACS le bénéfice de cette convention en ce qui concerne la prime et les congés pour le mariage, mais a estimé que cette extension était dépourvue d’effet rétroactif.

18

Par arrêt du 30 mars 2010, la cour d’appel de Poitiers a confirmé ledit jugement au motif que le PACS se différencie du mariage par les formalités relatives à la célébration, la possibilité d’être conclu par deux personnes physiques majeures de sexe différent ou de même sexe, le mode de rupture ainsi que par les obligations réciproques en matière de droit patrimonial, de droit successoral et de droit de la filiation. Ladite juridiction a également considéré que la différence de traitement entre conjoints mariés et partenaires d’un PACS en matière d’avantages rémunérés pour événements familiaux ne résulte ni de leur situation de famille ni de leur orientation sexuelle, mais résulte d’une différence de statut découlant de leur état civil qui ne les place pas dans une situation identique.

19

Le 28 mai 2010, M. Hay a formé un pourvoi contre cet arrêt devant la Cour de cassation. Selon M. Hay, le refus du Crédit agricole de lui accorder le bénéfice des jours de congés spéciaux et de la prime de mariage prévus par la convention collective nationale du Crédit agricole constitue une discrimination liée à son orientation sexuelle, contraire à l’article L. 122-45 du code du travail, aux articles 1 à 3 de la directive 2000/78 ainsi qu’à l’article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950.

20

M. Hay souligne que, conformément à l’article 144 du code civil, seules les personnes de sexe différent peuvent se marier, tandis que les personnes de même sexe peuvent uniquement conclure un PACS, conformément à l’article 515-1 du code civil. Il résulterait de cette disposition, lue conjointement avec la convention collective nationale du Crédit agricole, que les personnes de même sexe liées par un PACS ne peuvent bénéficier des jours de congés et de la prime de mariage accordés au personnel marié de cette entreprise.

21

C’est dans ces circonstances que la Cour de cassation a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante:

«L’article 2, paragraphe 2, sous b), de la directive [2000/78] doit-il être interprété en ce sens que le choix du législateur national de réserver la conclusion d’un mariage aux personnes de sexe différent peut constituer un objectif légitime, approprié et nécessaire justifiant la discrimination indirecte résultant du fait qu’une convention collective, en réservant un avantage en matière de rémunération et de conditions de travail aux salariés contractant un mariage, exclut nécessairement du bénéfice de cet avantage les partenaires de même sexe ayant conclu un [PACS]?»

Sur la question préjudicielle

22

La question préjudicielle se fonde sur la prémisse que la convention collective nationale du Crédit agricole comporte une discrimination indirecte fondée sur l’orientation sexuelle, au sens de l’article 2, paragraphe 2, sous b), de la directive 2000/78 et porte sur le point de savoir si une telle discrimination peut être justifiée.

23

À cet égard, il y a lieu de rappeler que, selon une jurisprudence constante, même si, sur le plan formel, la juridiction de renvoi a limité sa question à l’interprétation d’une disposition particulière du droit de l’Union, une telle circonstance ne fait pas obstacle à ce que la Cour lui fournisse tous les éléments d’interprétation de ce droit qui peuvent être utiles au jugement de l’affaire dont elle est saisie, que cette juridiction y ait fait référence ou non dans l’énoncé de sa question (voir, en ce sens, arrêt du 12 janvier 2010, Wolf, C-229/08, Rec. p. I-1, point 32 et jurisprudence citée).

24

Au vu de la situation au principal, telle qu’exposée dans la décision de renvoi, il convient d’examiner la question de savoir si une convention collective nationale, telle que celle du Crédit agricole, comporte une discrimination directe ou indirecte au sens de l’article 2, paragraphe 2, de la directive 2000/78.

25

Il y a donc lieu de considérer que, par sa question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 2, paragraphe 2, sous a) et b), de ladite directive doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une disposition d’une convention collective, telle que celle en cause au principal, en vertu de laquelle un travailleur salarié qui conclut un PACS avec une personne de même sexe est exclu du droit d’obtenir des avantages, tels que des jours de congés spéciaux et une prime salariale, octroyés aux travailleurs salariés à l’occasion de leur mariage, lorsque la réglementation nationale de l’État membre concerné ne permet pas aux personnes de même sexe de se marier.

26

À titre liminaire, il y a lieu de rappeler que, ainsi que l’indique le considérant 22 de la directive 2000/78, la législation sur l’état civil des personnes relève de la compétence des États membres. Toutefois, conformément à son article 1er, la directive 2000/78 a pour objet de combattre, en matière d’emploi et de travail, certains types de discriminations, au nombre desquelles figurent celles fondées sur l’orientation sexuelle, en vue de mettre en œuvre, dans les États membres, le principe de l’égalité de traitement (voir arrêt du 10 mai 2011, Römer, C-147/08, Rec. p. I-3591, point 38).

27

En ce qui concerne l’application de la directive 2000/78 aux dispositions d’une convention collective comme celle en cause au principal, il ressort de la jurisprudence de la Cour que, lorsqu’ils adoptent des mesures entrant dans le champ d’application de cette directive, les partenaires sociaux doivent agir dans le respect de ladite directive (voir arrêts du 13 septembre 2011, Prigge e.a., C-447/09, Rec. p. I-8003, point 48, ainsi que du 7 juin 2012, Tyrolean Airways Tiroler Luftfahrt, C-132/11, point 22).

28

En prévoyant l’octroi de congés rémunérés et d’une prime de mariage à l’occasion du mariage d’un salarié de l’entreprise, les articles 20 et 34 de la convention collective nationale du Crédit agricole établissent des règles relatives aux conditions d’emploi et de travail et, notamment, aux conditions de rémunération, au sens de l’article 3, paragraphe 1, sous c), de la directive 2000/78. En effet, la notion de rémunération au sens de cette disposition doit être interprétée dans un sens large et comprend, notamment, tous les avantages en espèces ou en nature, actuels ou futurs, pourvu qu’ils soient consentis, fût-ce indirectement, par l’employeur au travailleur en raison de l’emploi de ce dernier, que ce soit en vertu d’un contrat de travail, de dispositions législatives ou à titre volontaire (voir arrêt du 6 décembre 2012, Dittrich e.a., C-124/11, C-125/11 et C-143/11, point 35).

29

Dès lors, il y a lieu de considérer que la directive 2000/78 s’applique à une situation telle que celle ayant donné lieu au litige au principal.

30

Aux termes de l’article 2 de ladite directive, on entend par «principe de l’égalité de traitement» l’absence de toute discrimination directe ou indirecte fondée sur l’un des motifs énoncés à l’article 1er de la même directive.

31

S’agissant de l’existence d’une discrimination directe, l’article 2, paragraphe 2, sous a), de la directive 2000/78 prévoit que cette forme de discrimination se produit lorsqu’une personne est traitée de manière moins favorable que ne l’est une autre se trouvant dans une situation comparable, sur la base de l’un des motifs visés à l’article 1er de cette directive, parmi lesquels figure l’orientation sexuelle.

32

Il s’ensuit que l’existence d’une telle discrimination présuppose que les situations mises en balance soient comparables (voir, notamment, arrêt Römer, précité, point 41).

33

Il convient de préciser, à cet égard, que, d’une part, il est requis non pas que les situations soient identiques, mais seulement qu’elles soient comparables et, d’autre part, l’examen de ce caractère comparable doit être effectué non pas de manière globale et abstraite, mais de manière spécifique et concrète au regard de la prestation concernée (voir arrêts du 1er avril 2008, Maruko, C-267/06, Rec. p. I-1757, points 67 à 69, et Römer, précité, point 42).

34

Ainsi, la Cour a jugé, en ce qui concerne le partenariat de vie enregistré tel que prévu par la loi relative au partenariat de vie enregistré (Gesetz über die Eingetrangene Lebenspartnerschaft) allemande, que la comparaison des situations doit être fondée sur une analyse focalisée sur les droits et les obligations des époux mariés et des partenaires de vie enregistrés, tels qu’ils résultent des dispositions internes applicables, qui sont pertinents compte tenu de l’objet et des conditions d’octroi de la prestation en cause au principal, et non pas consister à vérifier si le droit national a opéré une assimilation juridique générale et complète du partenariat de vie enregistré au mariage (voir arrêt Römer, précité, point 43).

35

S’agissant des congés rémunérés et de la prime que les dispositions en cause au principal accordent aux salariés à l’occasion du mariage, il convient d’examiner si la situation des personnes contractant un mariage et celle des personnes qui, à défaut de pouvoir se marier avec une personne de même sexe, concluent un PACS sont comparables.

36

Il ressort de la décision de renvoi et du dossier soumis à la Cour que les personnes de même sexe peuvent conclure un PACS pour organiser leur vie commune, en s’engageant, dans le cadre de cette vie commune, à une aide matérielle et à une assistance réciproques. Le PACS, qui doit faire l’objet d’une déclaration conjointe et d’un enregistrement auprès du greffe du tribunal d’instance dans le ressort duquel les personnes concernées fixent leur résidence commune, constitue, comme le mariage, une forme d’union civile du droit français, qui place le couple dans un cadre juridique précis instituant des droits et des obligations réciproques et à l’égard des tiers. Si le PACS est également ouvert aux personnes de sexe différent, et nonobstant des différences globales qui peuvent exister entre le régime du mariage et celui du PACS, ce dernier constituait la seule possibilité qu’offrait le droit français, à la date des faits au principal, aux couples de même sexe pour donner un statut juridique à leur couple qui soit certain et opposable aux tiers.

37

Il apparaît ainsi que, en ce qui concerne des avantages en termes de rémunération ou de conditions de travail, tels que des jours de congés spéciaux et une prime comme ceux en cause au principal, octroyés à l’occasion de la conclusion de l’union civile qu’est le mariage, les personnes de même sexe qui, ne pouvant pas contracter un mariage, concluent un PACS se trouvent dans une situation comparable à celle des couples qui se marient.

38

À cet égard, il convient de relever que, conformément à la jurisprudence citée au point 33 du présent arrêt, le fait que le Conseil constitutionnel a jugé, dans sa décision no 2011-155, Mme Laurence L., que les couples mariés et les couples liés par un PACS ne se trouvent pas dans une situation comparable au regard du droit à une pension de réversion, ne saurait exclure la comparabilité des situations des travailleurs mariés et des travailleurs homosexuels liés par un PACS au regard de l’octroi de jours de congés et de primes à l’occasion du mariage.

39

De même, les différences entre le mariage et le PACS, relevées par la cour d’appel de Poitiers dans le cadre du litige au principal, en ce qui concerne les formalités relatives à la célébration, la possibilité d’être conclu par deux personnes de sexe différent ou de même sexe, le mode de rupture ou les obligations réciproques en matière de droit patrimonial, de droit successoral et de droit de la filiation, sont dépourvues de pertinence pour apprécier le droit d’un travailleur à obtenir des avantages en termes de rémunération ou de conditions de travail tels que ceux en cause au principal.

40

Dans ce contexte, il convient de relever que la convention collective nationale du Crédit agricole accorde lesdits avantages à l’occasion de la conclusion du mariage et sans égard aux droits et aux obligations découlant du mariage. Cela est confirmé par la circonstance que l’article 20 de cette convention collective accorde des congés spéciaux non seulement à l’occasion du mariage de l’agent titulaire même, mais également à l’occasion du mariage de ses enfants, de son frère ou de sa sœur.

41

S’agissant de l’existence même de la discrimination, il ressort de la jurisprudence de la Cour qu’une réglementation d’un État membre n’ouvrant le droit à des avantages en termes de rémunération ou de conditions de travail qu’aux travailleurs mariés, alors que le mariage n’est légalement possible dans cet État membre qu’entre personnes de sexe différent, crée une discrimination directe fondée sur l’orientation sexuelle à l’encontre des travailleurs salariés homosexuels titulaires d’un PACS qui se trouvent dans une situation comparable (voir, en ce sens, arrêts précités Maruko, point 73, et Römer, point 52).

42

Or, les articles 20 et 34 de la convention collective nationale du Crédit agricole accordent des congés rémunérés et une prime aux salariés qui contractent un mariage. Le mariage n’étant pas, selon les indications de la juridiction de renvoi, ouvert aux personnes de même sexe, ces personnes ne peuvent pas bénéficier de ces avantages.

43

La circonstance que le PACS, à la différence du partenariat de vie enregistré en cause dans les affaires ayant donné lieu aux arrêts précités Maruko et Römer, n’est pas réservé aux couples homosexuels est dépourvue de pertinence et, en particulier, ne change pas la nature de la discrimination à l’égard de ces couples qui, à la différence de couples hétérosexuels, ne pouvaient pas, à la date des faits au principal, légalement contracter un mariage.

44

En effet, une différence de traitement fondée sur l’état de mariage des travailleurs et non expressément sur leur orientation sexuelle reste une discrimination directe, dès lors que, le mariage étant réservé aux personnes de sexe différent, les travailleurs homosexuels sont dans l’impossibilité de remplir la condition nécessaire pour obtenir l’avantage revendiqué.

45

Par ailleurs, dans la mesure où la discrimination opérée est directe, elle peut être justifiée non pas par un «objectif légitime», au sens de l’article 2, paragraphe 2, sous b), de celle-ci, cette disposition ne concernant que les discriminations indirectes, mais seulement par l’un des motifs visés à l’article 2, paragraphe 5, de ladite directive, à savoir la sécurité publique, la défense de l’ordre et la prévention des infractions pénales, la protection de la santé et la protection des droits et des libertés d’autrui.

46

Il convient de relever, à cet égard, qu’aucun de ces motifs n’a été invoqué dans le cadre du litige au principal. En outre, ledit article 2, paragraphe 5, instituant une dérogation au principe d’interdiction des discriminations, doit être interprété de manière stricte (voir arrêt Prigge e.a., précité, point 56).

47

Eu égard aux considérations qui précèdent, il convient de répondre à la question posée que l’article 2, paragraphe 2, sous a), de la directive 2000/78 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une disposition d’une convention collective, telle que celle en cause au principal, en vertu de laquelle un travailleur salarié qui conclut un PACS avec une personne de même sexe est exclu du droit d’obtenir des avantages, tels que des jours de congés spéciaux et une prime salariale, octroyés aux travailleurs salariés à l’occasion de leur mariage, lorsque la réglementation nationale de l’État membre concerné ne permet pas aux personnes de même sexe de se marier, dans la mesure où, compte tenu de l’objet et des conditions d’octroi de ces avantages, il se trouve dans une situation comparable à celle d’un travailleur qui se marie.

Sur les dépens

48

La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (cinquième chambre) dit pour droit:

L’article 2, paragraphe 2, sous a), de la directive 2000/78/CE du Conseil, du 27 novembre 2000, portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail, doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une disposition d’une convention collective, telle que celle en cause au principal, en vertu de laquelle un travailleur salarié qui conclut un pacte civil de solidarité avec une personne de même sexe est exclu du droit d’obtenir des avantages, tels que des jours de congés spéciaux et une prime salariale, octroyés aux travailleurs salariés à l’occasion de leur mariage, lorsque la réglementation nationale de l’État membre concerné ne permet pas aux personnes de même sexe de se marier, dans la mesure où, compte tenu de l’objet et des conditions d’octroi de ces avantages, il se trouve dans une situation comparable à celle d’un travailleur qui se marie.

Signatures


( *1 ) Langue de procédure: le français.

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