Tribunal de grande instance de Paris, 17e chambre presse - civile, 14 novembre 2012, n° 11/11165

  • Diffamation·
  • Assemblée générale·
  • Courrier·
  • Religion·
  • Propos·
  • Syndic·
  • Accès·
  • Copropriété·
  • Imputation·
  • Immeuble

Chronologie de l’affaire

Commentaires2

Augmentez la visibilité de votre blog juridique : vos commentaires d’arrêts peuvent très simplement apparaitre sur toutes les décisions concernées. 

Me Jean-philippe Mariani · consultation.avocat.fr · 12 décembre 2020

La liberté d'expression des uns s'arrête là où l'honneur des autres commence. Ce délicat équilibre est régi par la loi sur la presse de 1881, pleinement applicable à la copropriété. En savoir plus : DIFFAMATION et COPROPRIÉTÉ : les liaisons DANGEREUSES - Légavox (legavox.fr) NOTES pour les lecteurs : Cet article a été publié dans une version plus approfondue aux Éditions législatives / Dictionnaire permanent.

 

Maître Jean-philippe Mariani Et Bruno Lehnisch · LegaVox · 27 novembre 2020
Testez Doctrine gratuitement
pendant 7 jours
Vous avez déjà un compte ?Connexion

Sur la décision

Référence :
TGI Paris, 17e ch. presse - civ., 14 nov. 2012, n° 11/11165
Juridiction : Tribunal de grande instance de Paris
Numéro(s) : 11/11165

Sur les parties

Texte intégral

T R I B U N A L

D E GRANDE

I N S T A N C E

D E P A R I S

MINUTE N°:

17e Ch. Presse-civile

N° RG :

11/11165

IC

Assignation du :

19 Juillet 2011

(footnote: 1)

République française

Au nom du Peuple français

JUGEMENT

rendu le 14 Novembre 2012

DEMANDEUR

F X

[…]

[…]

représenté par Me Philippe BENAMOU, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #D1522

DEFENDEURS

SARL RENE ET I-J Y

[…]

[…]

B C

[…]

[…]

G H

[…]

[…]

représentés par Me Caroline CHEVAUCHERIE, avocat postulant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #P0537 et Me I-Charles LERICHE-MILLET, avocat plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #P0537

LE PROCUREUR DE LA RÉPUBLIQUE PRÈS LE TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE PARIS auquel l’assignation a été régulièrement dénoncée

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Magistrats ayant participé au délibéré :

Claude CIVALERO, Vice-Président

Président de la formation

Isabelle CHESNOT, Vice-Président

[…], Vice-Président

Assesseurs

Greffiers :

D E aux débats

Viviane RABEYRIN à la mise à disposition

DEBATS

A l’audience du 10 Octobre 2012 tenue publiquement devant Claude CIVALERO et […], qui, sans opposition des avocats, ont tenu seuls l’audience, et, après avoir entendu les parties, en ont rendu compte au tribunal, conformément aux dispositions de l’article 786 du code de procédure civile.

JUGEMENT

Mis à disposition au greffe

Contradictoire

En premier ressort

Par acte d’huissier délivré le 19 juillet 2011, F X a fait citer la SARL René et I-J Y, B C et G H ce dernier es qualités de gérant de la SARL René et I-J Y, à raison de la diffusion en pièce annexée à la convocation à l’assemblée générale des copropriétaires de l’immeuble sis à Paris, 16e arrondissement, […], d’un courrier à l’en-tête de Maître I-Michel A, avocat, en date du 13 mai 2011, comportant le texte suivant :

La société UNGARELLI m’a également indiqué, et c’est la raison pour laquelle elle évoque un éventuel “refus d’accès aux persiennes pour quelque raison que ce soit “que Monsieur X, lors d’une précédente intervention, avait refusé l’accès à son appartement à l’un des ouvriers de la société, motif pris qu’il était de confession musulmane alors que lui est de confession israélite.”, aux fins de voir le tribunal, au visa notamment des articles 29 alinéa 1, 42 et 44 de la loi du 29 juillet 1881 et R 624-3 du code pénal:

— juger que les défendeurs ont commis à son égard une diffamation non publique à caractère raciste ;

— condamner les défendeurs à adresser à l’ensemble des copropriétaires de l’immeuble une lettre d’excuse, comportant mention de la condamnation par le tribunal ;

— condamner les défendeurs à lui verser 1 euro en réparation de son préjudice moral ;

— condamner les défendeurs aux dépens ainsi qu’à la somme de 4 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

Afin d’interrompre la prescription de l’article 65 alinéa 1er de la loi du 29 juillet 1881, F X a fait délivrer aux mêmes défendeurs une seconde assignation selon exploit du 15 octobre 2011.

Les procédures ouvertes lors du placement de chacune de ces assignations ont été jointes pour une bonne administration de la justice.

Au terme de ses dernières conclusions signifiées le 25 mai 2012, F X maintient ses demandes, portant cependant le montant de l’indemnité de procédure sollicitée sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile à la somme de 6 500 euros.

Il expose que, dans un contexte de discussion portant sur la qualité des prestations effectuées par la société UNGARELLI pour le compte de la copropriété, lui-même reprochant au syndic d’avoir soldé le marché de travaux alors que certaines prestations, notamment sur les persiennes de son appartement, étaient défaillantes, il a sollicité que soit portée à l’ordre du jour de l’assemblée générale des copropriétaires une question relative à la responsabilité du cabinet Y au titre de sa mauvaise gestion concernant le dossier UNGARELLI et qu’à la convocation à l’assemblée générale du 14 juin 2011, était annexée une liste de pièces, dont – sous le numéro 5 – son propre courrier et trois courriers émanant de Monsieur Z (architecte mandaté pour les travaux), de Maître A, avocat, et de la société UNGARELLI.

Il soutient que le courrier dactylographié sur un papier à en-tête de Maître A, mais ne comportant aucune signature, a été diffusé à l’ensemble des copropriétaires sous la responsabilité du syndic de copropriété, la SARL René et I-J Y dirigée par G H et sous la signature de B C, qu’il comporte une articulation de faits qui, sans ambiguïté, le qualifie de raciste en raison de sa confession religieuse, que les faits allégués ne se sont jamais produits, que cette diffamation offre ainsi l’occasion de réprimer une opinion raciste et que ces propos portent atteinte à son honneur et à sa réputation, lui causant nécessairement un préjudice moral.

Par conclusions signifiées le 8 juin 2012, les parties défenderesses affirment que s’agissant du litige portant sur les travaux, les faits tels que rapportés par F X sont erronés, et font valoir à titre principal qu’aucune diffamation ne peut leur être reprochée dès lors qu’en leur qualité de mandataire du syndicat des copropriétaires, ils n’avaient pas d’autre choix que de transmettre ces pièces, dont le courrier litigieux, à leur mandant afin de lui rapporter les propos tenus par des tiers et dont ils ont eu connaissance dans l’accomplissement de leur mandat. A titre subsidiaire, ils invoquent le fait justificatif tiré de ce qu’ils étaient contraints de diffuser la lettre de Maître A auprès des membres de la copropriété puisqu’ils étaient soumis à l’obligation légale pesant sur le syndic de rendre compte de sa gestion et d’exécuter les délibérations de l’assemblée générale des copropriétaires laquelle avait voté la réalisation des travaux de ravalement et devait se déterminer sur l’opportunité de prendre en charge les travaux portant sur les persiennes de F X.

A titre infiniment subsidiaire, ils invoquent l’exception tirée de la bonne foi.

Ainsi, ils concluent au débouté de F X et à la condamnation de ce dernier aux entiers dépens de l’instance ainsi qu’à la somme de 1 000 euros au profit de chacun des défendeurs sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 11 juin 2012, l’affaire étant fixée pour être plaidée à l’audience du 10 octobre 2012 tenue par un juge rapporteur lequel en a rendu compte au tribunal au cours de son délibéré, les parties ayant été avisées que le jugement serait rendu le 14 novembre 2012 par mise à disposition au greffe à 14 heures.

MOTIFS DE LA DÉCISION

A titre liminaire, il convient de constater que G H est attrait à la présente instance en sa seule qualité de représentant légal de la SARL René et I-J Y, et qu’aucune faute détachable de cette qualité, aucun comportement personnel ne lui sont reprochés.

Dès lors, F X sera débouté des demandes formées à son encontre, la présence de G H à la présente instance étant seulement destinée à assurer la représentation régulière de la SARL René et I-J Y par son gérant.

Sur les propos diffamatoires:

Les pièces produites aux débats établissent que les copropriétaires de l’immeuble sis à Paris, 16e arrondissement, […], ont été destinataires avec la convocation à l’assemblée générale des copropriétaires du 14 juin 2011, convocation adressée par lettre recommandée avec accusé de réception datée du 20 mai 2012 mais postée le 23 suivant, d’un courrier dactylographié à en-tête de Maître I-Michel A, avocat à la cour, mais non signé.

Ce courrier a trait au litige qui oppose F X à la société UNGARELLI chargée du ravalement de l’immeuble, s’agissant de la reprise de la peinture de ses persiennes, les travaux ayant été mal exécutés aux dires du copropriétaire et évoque l’importante mésentente s’étant installée entre les protagonistes.

Constatant que l’organisation de ces travaux de reprise est devenue difficile voire impossible, le courrier contient les propos suivants qui sont poursuivis par le demandeur :

La société UNGARELLI m’a également indiqué, et c’est la raison pour laquelle elle évoque un éventuel “refus d’accès aux persiennes pour quelque raison que ce soit” que Monsieur X, lors d’une précédente intervention, avait refusé l’accès à son appartement à l’un des ouvriers de la société, motif pris qu’il était de confession musulmane alors que lui est de confession israélite.

Il sera rappelé que :

— l’article 29, alinéa 1er, de la loi du 29 juillet 1881 définit la diffamation comme “toute allégation ou imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé” ;

— il doit s’agir d’un fait précis, susceptible de faire l’objet d’un débat contradictoire sur la preuve de sa vérité, ce qui distingue ainsi la diffamation, d’une part, de l’injure -caractérisée, selon le deuxième alinéa de l’article 29, par “toute expression outrageante, termes de mépris ou invective qui ne renferme l’imputation d’aucun fait”- et, d’autre part, de l’expression d’une opinion ou d’un jugement de valeur, autorisée par le libre droit de critique, celui-ci ne cessant que devant des attaques personnelles ;

— l’honneur et la considération de la personne ne doivent pas s’apprécier selon les conceptions personnelles et subjectives de celle-ci, mais en fonction de critères objectifs et de la réprobation générale provoquée par l’allégation litigieuse;

— la diffamation, qui peut se présenter sous forme d’allusion ou d’insinuation, doit être appréciée en tenant compte des éléments intrinsèques et extrinsèques au support en cause, à savoir, en l’espèce, tant du contenu même des propos que du contexte dans lequel ils s’inscrivent.

Le passage poursuivi du courrier qui émanerait de Maître A comporte l’imputation à F X d’un comportement ségrégationniste consistant à refuser l’accès à son appartement à un ouvrier au seul motif de l’appartenance de ce dernier à une confession qui ne serait pas compatible avec sa propre religion. Imputer à F X un tel motif discriminatoire porte atteinte à son honneur et à sa considération de sorte que la diffamation non publique à l’égard d’un particulier en raison de son appartenance à une religion, en l’espèce la confession israélite qui lui commanderait de refuser à un musulman d’accéder à son appartement, est bien établie.

Sur la responsabilité de la SARL René et I-J Y et de B C :

Le syndic de copropriété n’avait pas l’obligation légale, découlant de la théorie générale du mandat ou des obligations spécifiques du syndic édictées par la loi du 10 juillet 1965, de porter ce document à la connaissance des copropriétaires en vue de la réunion de l’assemblée générale, dès lors, d’une part, que ce courrier se contente de relater l’état des relations conflictuelles entretenues entre la société UNGARELLI et F X, sans élément de preuve venant corroborer ces dires, et qu’il ne contient aucune information nécessaire aux copropriétaires au regard des questions portées à l’ordre du jour et, d’autre part, que ce courrier à en-tête d’un avocat mais qui, dactylographié, n’est pas signé, est dépourvu de toute force probante et ne pouvait donc constituer un événement de gestion dont le mandant doit rendre compte à son mandataire au sens de l’article 1993 du code civil.

Dès lors, la SARL René et I-J Y et B C, qui a signé la convocation à l’assemblée générale et adressé les pièces annexées aux copropriétaires, doivent répondre de cette diffamation, sans par ailleurs pouvoir s’exonérer de leur responsabilité en indiquant ne pas être les auteurs de ces propos, dès lors que la simple diffusion de propos diffamatoires écrits ou proférés par un tiers constitue bien en elle-même une diffamation.

Sur l’excuse de bonne foi:

Les imputations diffamatoires sont réputées, de droit, faites avec intention de nuire, mais elles peuvent être justifiées lorsque leur auteur établit sa bonne foi, en prouvant qu’il a poursuivi un but légitime, étranger à toute animosité personnelle, et qu’il s’est conformé à un certain nombre d’exigences, en particulier de sérieux de l’enquête, ainsi que de prudence dans l’expression.

En l’espère, force est de constater que le syndic n’établit aucunement avoir cherché à vérifier l’exactitude des faits décrits dans le courrier préalablement à sa diffusion, ni avoir pris attache avec F X afin de recueillir son opinion.

En l’absence de base factuelle et de contradiction, éléments nécessaires pour établir le sérieux de l’enquête, le bénéfice de la bonne foi ne peut être retenu au profit de la SARL René et I-J Y et de B C.

Sur les demandes indemnitaires:

Il doit être accordé à F X l’euro symbolique ainsi que la publication d’un communiqué dont les modalités seront décrites au dispositif, au titre de la réparation de son préjudice.

Il serait inéquitable de laisser à la charge de F X les frais irrépétibles engagés pour la présente procédure. Il lui sera alloué la somme de 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile. Toutefois des considérations tirées de la situation économique respective des parties et des faits de la cause commandent que cette indemnité ne soit mise à la charge que de la SARL René et I-J Y.

L’exécution provisoire du présent jugement n’apparaît pas nécessaire.

Enfin, la SARL René et I-J Y et B C, qui succombent, supporteront les dépens.

PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL, statuant publiquement par jugement contradictoire, en premier ressort, mis à disposition au greffe,

JUGE que les propos tenus dans un courrier transmis aux copropriétaires de l’immeuble du […] à Paris 16e en annexe de la convocation à l’assemblée générale du 14 juin 2011, imputant à F GINEST d’avoir refusé l’accès de son appartement à un ouvrier en raison de sa religion sont constitutifs de diffamation non publique en raison de la religion au sens des articles 29 de la loi du 29 juillet 1881 et R624-3 du code pénal ;

REJETTE les demandes formées à l’encontre de G H ;

CONDAMNE in solidum la SARL René et I-J Y et B C à verser à F X un euro à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral ;

ORDONNE la publication auprès de chacun des copropriétaires de l’immeuble sis à Paris, 16e arrondissement, […], aux frais de la SARL René et I-J Y et de B C et dans le mois de la date à laquelle le présent jugement sera devenu définitif d’un communiqué ainsi libellé :

Par jugement du 14 novembre 2011, le tribunal de grande instance de PARIS (17ème chambre) a condamné la SARL René et I-J Y et B C pour avoir diffamé F X de manière non publique en raison de sa religion en portant à la connaissance de chacun des copropriétaires convoqués à l’assemblée générale du 14 juin 2011 un courrier à en-tête de Maître A, avocat.

DIT que cette publication prendra la forme d’un courrier adressé, sous la forme d’une lettre recommandée avec accusé de réception indépendante de tout autre envoi, à chaque copropriétaire convoqué à l’assemblée générale du 14 juin 2011 ainsi que le cas échéant aux nouveaux copropriétaires ayant acquis un bien dans cette copropriété depuis cette date ;

CONDAMNE la SARL René et I-J Y à verser à F X la somme de trois mille euros (3 000 €) sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

DIT n’y avoir lieu à exécution provisoire ;

CONDAMNE in solidum la SARL René et I-J Y et B C aux entiers dépens de l’instance, lesquels comprendront les actes effectués dans les procédures inscrites au RG sous les numéros 11/11165 et 11/14716.

Fait et jugé à Paris le 14 Novembre 2012

Le Greffier Le Président

neuvième et dernière page

FOOTNOTES

1:

Expéditions

exécutoires

délivrées le :

Chercher les extraits similaires
highlight
Chercher les extraits similaires
Extraits les plus copiés
Chercher les extraits similaires
Collez ici un lien vers une page Doctrine
Inscrivez-vous gratuitement pour imprimer votre décision
Tribunal de grande instance de Paris, 17e chambre presse - civile, 14 novembre 2012, n° 11/11165