Tribunal de grande instance de Paris, 6 février 2020, 19/02085

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Chronologie de l’affaire

Résumé de la juridiction

Ordonnance du juge de la mise en état relative à la compétence FRAND

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Abdelaziz Khatab, Océane Millon De La Verteville, Grégoire Desrousseaux · August et Debouzy · 23 décembre 2021

Deux décisions du 7 décembre 2021[1] rendues dans la même affaire viennent (i) confirmer la compétence du Tribunal Judiciaire de Paris pour connaître de demandes relatives à la détermination d'un taux FRAND au niveau mondial et (ii) reconnaître la qualité à défendre de l'ETSI dans ce type de litige. L'affaire oppose Xiaomi à Philips et à l'ETSI. On se souvient que, dans une affaire précédemment commentée[2], le juge de la mise en état du Tribunal judiciaire (« TJ ») de Paris avait reconnu sa compétence pour connaître des demandes formées par les sociétés TCL et TCT contre des sociétés du …

 

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Propriété Intellectuelle Deux décisions du 7 décembre 2021[1] rendues dans la même affaire viennent (i) confirmer la compétence du Tribunal Judiciaire de Paris pour connaître de demandes relatives à la détermination d'un taux FRAND au niveau mondial et (ii) reconnaître la qualité à défendre de l'ETSI dans ce type de litige. L'affaire oppose Xiaomi à Philips et à l'ETSI. On se souvient que, dans une affaire précédemment commentée[2], le juge de la mise en état du Tribunal judiciaire (« TJ ») de Paris avait reconnu sa compétence pour connaître des demandes formées par les sociétés TCL et …

 
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Sur la décision

Référence :
TJ Paris, ct0196, 6 févr. 2020, n° 19/02085
Numéro(s) : 19/02085
Importance : Inédit
Identifiant Légifrance : JURITEXT000043759850

Sur les parties

Texte intégral

TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS

3ème chambre 1ère section

No RG 19/02085 – 
No Portalis 352J-W-B7D-CPCIX

No MINUTE :

Assignation du :
19 février 2019

ORDONNANCE DU JUGE DE LA MISE EN ETAT
rendue le 06 février 2020

DEMANDERESSES

S.A.S. TCT MOBILE EUROPE
[Adresse 1]
[Adresse 2]
[Adresse 3]

Société TCL COMMUNICATION TECHNOLOGY HOLDINGS LIMITED
Codan Trust Company Limited
[Adresse 4]
[Adresse 5]
Grand Cayman KY1 -1111 (ILES CAIMANS)

Société TCL COMMUNICATION LIMITED
[Adresse 6]
[Adresse 7]
[Adresse 7] (CHINE)

représentées par Me Denis SCHERTENLEIB de la SAS SCHERTENLEIB AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #A0948

DÉFENDERESSES

Société KONINKLIJKE PHILIPS NV
High Tech Campus 5
5656AE EINDHOVEN (PAYS -BAS)

Société PHILIPS INTERNATIONAL BV
High Tech Campus 5
5656AE EINDHOVEN (PAYS- BAS)

représentées par Me Sabine AGE, de l’AARPI HOYNG ROKH MONEGIER VERON, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #P0512

INSTITUT EUROPÉEN DES NORMES DE TÉLÉCOMMUNICATIONS (ETSI)
[Adresse 8]
[Adresse 9]

représenté par Me Cyrille AMAR du cabinet AMAR GOUSSU STAUB, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #P0515

MAGISTRAT DE LA MISE EN ETAT

Nathalie SABOTIER, 1ère vice-présidente adjointe

assistée de Alice ARGENTINI, Greffier présent lors des débats
et de Caroline REBOUL, Greffier présent lors du prononcé

DÉBATS

A l’audience du 03 décembre 2019, avis a été donné aux avocats que l’ordonnance serait rendue le 06 février 2020.

ORDONNANCE

Prononcée publiquement par mise à disposition au greffe
Contradictoire
en premier ressort

EXPOSÉ DU LITIGE :

Présentation des parties et de leurs droits

Les sociétés TCL COMMUNICATION TECHNOLOGY HOLDINGS LIMITED et TCL COMMUNICATION LIMITED appartiennent au groupe TCL, fondé en 1985 à Hong-Kong, à l’origine en vue de fabriquer des téléviseurs.

Ces sociétés produisent aujourd’hui des produits électroniques et en particulier des téléphones mobiles commercialisés sous les marques TCL, ALCATEL, les groupes TCL et ALCATEL étant associés dans le cadre d’une entreprise jointe, et BLACKBERRY.

La société TCT MOBILE EUROPE est la filiale européenne du groupe TCL.

La société de droit néerlandais KONINKLIJKE PHILIPS NV est une entreprise technologique néerlandaise qui déploie son activité dans de nombreux domaines tels que la santé, les soins de la personne, l’éclairage et les objets connectés. En particulier, elle est à l’origine d’innovations dans le domaine des normes de télécommunication mobile « Universal Mobile Telecommunications System » (UMTS ou 3G) et « Long Term Evolution » (LTE ou 4G).

La société PHILIPS INTERNATIONAL BV est la filiale de la société KONINKLIJKE PHILIPS NV (ci-après PHILIPS NV). Son objet est d’assister les sociétés du groupe PHILIPS notamment en matière juridique. Comme la société KONINKLIJKE PHILIPS NV, elle a son siège à Eindhoven aux Pays-Bas.

L’INSTITUT EUROPÉEN DES NORMES DE TÉLÉCOMMUNICATIONS (désigné ci-après sous son acronyme en langue anglaise ETSI pour European Telecommunications Standards Institute) est un organisme de normalisation créé en 1988 à l’initiative de la Commission Européenne, sous la forme d’une association régie par la loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d’association. L’association a son siège à Sophia Antipolis en France.

L’ETSI regroupe plus de 850 membres parmi lesquels les plus importants fabricants de produits et fournisseurs de services, dans le domaine des télécommunications. L’établissement de normes communes à ses membres par l’ETSI a pour objet de garantir l’interopérabilité des produits et services de télécommunication qu’ils conçoivent.

Dans ce cadre, un brevet est dit « essentiel » lorsqu’il n’est pas possible pour des motifs techniques (et non commerciaux), de fabriquer, vendre, louer ou autrement disposer de, réparer, utiliser ou exploiter des équipements ou des méthodes conformes à une norme sans porter atteinte à ce brevet.

Aux termes de l’article 6.1 de l’annexe 6 « Politique de l’ETSI sur la propriété intellectuelle » aux « Règles de procédure de l’ETSI », édictées par l’ETSI et auxquelles ses membres ont accepté de se soumettre en adhérant, « Quand un DPI ESSENTIEL relatif à une NORME ou à une SPECIFICATION TECHNIQUE particulière est porté à la connaissance de l’ETSI, le Directeur-Général de l’ETSI doit immédiatement demander au titulaire de ce droit de prendre, dans un délai de trois mois, un engagement irrévocable par écrit qu’il est prêt à octroyer des licences irrévocables à des conditions justes, raisonnables et non-discriminatoires sur ce droit » (traduction de l’anglais « When an ESSENTIAL IPR relating to a particular STANDARD or TECHNICAL SPECIFICATION is brought to the attention of ETSI, the Director-General of ETSI shall immediately request the owner to give within three months an irrevocable undertaking in writing that it is prepared to grant irrevocable licences on fair, reasonable et non-discriminatory (« FRAND ») terms and conditions under such IPR »).

La société KONINKLIJKE PHILIPS NV est titulaire d’un portefeuille de brevets essentiels aux normes UMTS et LTE, déclarés comme tels auprès de l’institut de normalisation en matière de télécommunication.

Procédure

Ayant constaté l’existence selon elle d’actes de contrefaçon de certains des brevets de son portefeuille de brevets essentiels commis par les sociétés du groupe TCL, la société PHILIPS N.V. a, par une lettre du 30 mars 2015, invité la société TCL COMMUNICATION TECHNOLOGY HOLDINGS LIMITED, « conformément à ses engagements envers l’ETSI », à rejoindre son programme de licence de brevets relatifs aux normes UMTS et LTE.

Les négociations engagées entre les parties n’ayant pas permis la conclusion d’un accord de licence, la société PHILIPS N.V. a, par acte du 30 octobre 2018, assigné les sociétés TCL CORPORATION, TCL COMMUNICATION TECHNOLOGY HOLDINGS LIMITED, TCL COMMUNICATION LIMITED, TCT MOBILE EUROPE et TCT MOBILE U.K. LIMITED devant la High Court of Justice of England and Wales, à laquelle elle demande de :
- dire que les parties anglaises des brevets EP 1 440 525 B1 et EP 1 623 511 B1 ont été ou seront contrefaites par chacune des défenderesses ;
et, « sauf dans la mesure où les défenderesses et chacune d’entre elles ont le droit d’obtenir et prendront une licence à des conditions FRAND conformément aux engagements de la société PHILIPS N.V. et à la Politique de l’ETSI sur la propriété intellectuelle, et dans la mesure où la société PHILIPS N.V. reste tenue d’accorder cette licence »,
- prononcer une mesure d’interdiction afin de prévenir la poursuite des actes de contrefaçon commis par les défenderesses ;
- enjoindre aux défenderesses de prendre toutes les mesures en leur pouvoir pour retirer des circuits de distribution tous les produits dont la vente, la disposition ou la conservation enfreindrait les brevets en cause ou l’un d’eux ;
- ordonner la remise ou la destruction sous serment de tous objets et matériaux, en la possession, sous la garde ou sous le contrôle de chacune des défenderesses, qui enfreignent les brevets en cause ou l’un d’eux ;
- ordonner la détermination par expertise du préjudice subi par la société PHILIPS N.V. du fait des actes de contrefaçon et en ordonner le paiement aux défenderesses, une fois le montant déterminé.

C’est dans ce contexte que, considérant que les sociétés PHILIPS ne respectaient pas les engagements souscrits dans le cadre de leur adhésion à l’ETSI en refusant de négocier, y compris sous l’égide de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle, le nombre de brevets du portefeuille compris dans la licence et le nombre de pays concernés par cette licence, ce qui selon elles ne correspond pas à des conditions FRAND, les sociétés TCL COMMUNICATION TECHNOLOGY HOLDINGS LIMITED, TCL COMMUNICATION LIMITED et TCT MOBILE EUROPE SAS ont, par actes d’huissier du 19 février 2019, fait assigner les sociétés PHILIPS NV et PHILIPS INTERNATIONAL BV, ainsi que l’ETSI, devant le tribunal de grande instance de PARIS, devenu le 1er janvier 2020 tribunal judiciaire de Paris, auquel elles demandent, de :

A titre principal :

— juger que les déclarations d’essentialité faites par les sociétés PHILIPS à l’ETSI constituent une promesse de concéder une licence à des conditions FRAND aux sociétés membres du groupe TCL, portant sur l’ensemble des brevets des sociétés PHILIPS déclarés essentiels pour les normes UMTS et LTE ;

— faire injonction aux sociétés Philips de concéder une telle licence, à charge pour le tribunal d’en déterminer les termes à des conditions FRAND ;

— faire injonction à l’ETSI de concourir à la concession de cette licence ;

— juger que les conditions proposées par les sociétés PHILIPS aux sociétés TCL ne sont pas FRAND ;

A titre subsidiaire :

— faire injonction aux sociétés PHILIPS de conduire des négociations FRAND devant aboutir à la concession d’une licence FRAND ;

En cas d’inexécution des sociétés PHILIPS à conduire de telles négociations,

— fixer les conditions FRAND de la licence à conclure ;

A titre infiniment subsidiaire :

— condamner les sociétés PHILIPS à payer in solidum la somme de 15 millions d’euros à titre de provision sur les dommages-intérêts visant à indemniser les pertes subies par les sociétés TCL, sauf à parfaire.

Par des conclusions d’incident signifiées électroniquement le 11 juillet 2019, les sociétés PHILIPS NV et PHILIPS INTERNATIONAL BV ont soulevé l’incompétence de la présente juridiction pour connaître du litige.

Les demandes

Dans leurs conclusions d’incident no3 signifiées électroniquement le 2 décembre 2019, les sociétés PHILIPS NV et PHILIPS INTERNATIONAL BV demandent au juge de la mise en état, au visa des articles 1, 2, 4, 7, 8, 29 et 30 du Règlement (UE) no 1215/2012, de :

À titre principal :

— Dire le tribunal incompétent pour connaître des demandes formées à l’encontre des sociétés PHILIPS INTERNATIONAL B.V. et KONINKLIJKE PHILIPS N.V., au profit de la High Court anglaise,

À titre subsidiaire :

— Faire droit à l’exception de litispendance soulevée par la société KONINKLIJKE PHILIPS N.V.,

— Se dessaisir en faveur de la High Court anglaise, juridiction saisie en premier lieu des demandes formées par les sociétés TCL à l’encontre de la société KONINKLIJKE PHILIPS N.V.,

À titre infiniment subsidiaire :

— Faire droit à l’exception de connexité soulevée par la société KONINKLIJKE PHILIPS N.V.,

— Se dessaisir en faveur de la High Court anglaise, juridiction saisie en premier lieu des demandes formées par les sociétés TCL à l’encontre de la société KONINKLIJKE PHILIPS N.V.,

En tout état de cause :

— Condamner in solidum les sociétés TCT MOBILE EUROPE S.A.S., TCL COMMUNICATION TECHNOLOGY HOLDINGS LIMITED et TCL COMMUNICATION LIMITED à payer aux sociétés PHILIPS INTERNATIONAL B.V. et KONINKLIJKE PHILIPS N.V. la somme de 75.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

— Condamner les sociétés TCT MOBILE EUROPE S.A.S., TCL COMMUNICATION TECHNOLOGY HOLDINGS LIMITED et TCL COMMUNICATION LIMITED à tous les dépens de l’incident, dont distraction au profit de Maître Sabine Agé, en application de l’article 699 du code de procédure civile.

Dans ses conclusions d’incident signifiées le 2 décembre 2019, l’ETSI demande au juge de la mise en état, vu les articles 1205 et 1206 du code civil et 367 du code de procédure civile, de :

A titre principal :

— JOINDRE l’incident de PHILIPS à celui de l’ETSI ;

— FIXER une date d’audience au cours de laquelle le tribunal entendra les parties sur la question de la mise hors de cause de l’ETSI ;

— SURSEOIR à l’examen de l’incident soulevé par les sociétés PHILIPS dans l’attente de la décision du tribunal sur la mise hors de cause de l’ETSI ;

A titre subsidiaire :

Sur la compétence du tribunal :

— CONSTATER l’existence d’un lien étroit entre les demandes formées par les sociétés TCL contre les sociétés PHILIPS et celles formées contre l’ETSI ;

— CONSTATER que toutes les parties au litige soutiennent que l’engagement FRAND relève du mécanisme de la stipulation pour autrui ;

— DIRE qu’en conséquence le litige opposant les sociétés TCL aux sociétés PHILIPS est de nature contractuelle ;

— DEBOUTER les sociétés PHILIPS de leur exception d’incompétence ;

Sur la litispendance et la connexité :

— JUGER que les conditions des articles 29 et 30 du Règlement Bruxelles I bis ne sont pas remplies ;

— DEBOUTER les sociétés PHILIPS de leur exception de litispendance et de connexité ;

En tout état de cause,

— CONDAMNER la partie qui succombe à payer à l’ETSI la somme de 40.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

— RESERVER les dépens.

Dans leurs conclusions d’incident no2 signifiées le 26 novembre 2019, les sociétés TCT MOBILE EUROPE S.A.S., TCL COMMUNICATION TECHNOLOGY HOLDINGS LIMITED et TCL COMMUNICATION LIMITED demandent au juge de la mise en état de :

— Rejeter l’intégralité des demandes de l’ETSI ;

— Rejeter l’intégralité des exceptions d’incompétence et demandes de PHILIPS ;

— Déclarer le Tribunal de Grande Instance de Paris compétent pour juger du présent litige ;

En tout état de cause,

— Condamner les sociétés PHILIPS in solidum à payer 50 000 ? (cinquante mille euros) aux sociétés TCL au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

— Rejeter les demandes de PHILIPS sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

— Condamner les sociétés PHILIPS et l’ETSI in solidum aux entiers dépens dans les modalités prévues à l’article 699 du code de procédure civile.

— Ordonner l’exécution provisoire.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur l’exception d’incompétence

Les sociétés PHILIPS fondent leur exception de procédure sur les dispositions de l’article 8.1 du Règlement dit Bruxelles I bis et l’absence de lien étroit entre les demandes formulées à leur encontre avec celle dirigée contre l’ETSI. Elles font valoir que ces dispositions sont interprétées en ce sens que le « lien étroit » doit être un lien de connexité et ce, afin d’éviter qu’un demandeur forme plusieurs demandes à seule fin de soustraire un défendeur à la compétence des tribunaux de l’Etat dans lequel il est domicilié. Aussi, les demandes dirigées contre les co-défendeurs doivent s’inscrire dans « une même situation de fait et de droit emportant un risque de décisions inconciliables ». Or, les sociétés PHILIPS font valoir qu’il n’existe aucune identité de situation de fait entre les demandes dirigées contre l’ETSI et celles dirigées contre elles, non plus qu’une unicité de situation de droit.

Surtout, les sociétés PHILIPS soutiennent que la prorogation de compétence qui résulte de l’article 8.1 du Règlement ne se conçoit qu’en présence d’un véritable défendeur, ce qui n’est pas le cas de l’ETSI, les demandes formées contre lui étant vagues et ayant pour finalité de le faire « concourir à la concession d’une licence à des conditions FRAND ».

Les sociétés PHILIPS ajoutent que les dispositions de l’article 7 du Règlement ne sont pas davantage susceptibles de justifier le rattachement du litige à la France. Elles rappellent à cet égard que depuis l’arrêt [D] [G], la notion de « matière contractuelle » est une notion autonome du droit de l’Union excluant tout recours à des notions de droit interne et que la Cour de justice définit comme « un engagement librement assumé d’une partie envers une autre ». Précisément, en l’espèce, les sociétés TCL ne bénéficient d’aucun contrat et les sociétés PHILIPS soutiennent qu’elles n’ont souscrit aucun engagement librement assumé envers les sociétés TCL.

La seule obligation des sociétés PHILIPS consiste, selon elles, à négocier de bonne foi une licence à des conditions FRAND, ce qui relève de la responsabilité pré-contractuelle et partant, de la matière délictuelle, ainsi que l’a dit pour droit la Cour de justice de l’Union Européenne.

Les demanderesses à l’incident ajoutent que l’obligation de négocier de bonne foi ne procède pas de l’adhésion à l’ETSI, mais des déclarations d’essentialité.

La demande relevant de la matière délictuelle, les sociétés PHILIPS font valoir qu’aucun fait dommageable n’est susceptible de se produire en France où la responsabilité des sociétés TCL n’est aucunement recherchée.

Aussi, les sociétés PHILIPS soutiennent que seule la High Court est compétente pour connaître des demandes dirigées contre elles par les sociétés TCL.

Les sociétés TCL concluent quant à elles à l’application de l’article 8.1 du Règlement dit Bruxelles I bis et à la compétence du tribunal de Paris pour connaître des demandes dirigées contre les sociétés PHILIPS en tant que co-défenderesses de l’ETSI, dès lors que les demandes s’inscrivent dans une même situation de fait et de droit. Elles précisent à cet égard que la notion de rapport étroit développée par les sociétés PHILIPS est très restrictive et ne correspond, ni à la jurisprudence de la Cour de cassation, ni à celle de la Cour de justice.

Les sociétés TCL expliquent que leurs demandes sont fondées sur le contrat d’association qui régit les rapports entre l’ETSI et ses membres et la stipulation pour autrui par laquelle les sociétés PHILIPS se sont engagées à consentir des licences FRAND. Elles précisent que leurs demandes visent à constater que les sociétés PHILIPS ne respectent pas le règlement de l’ETSI et à ce qu’il soit enjoint à l’ETSI de concourir à la concession de licence, au besoin par la mise en oeuvre de la procédure d’exclusion de la norme. Les sociétés TCL ajoutent que le risque de décisions inconciliables pourrait résulter de la reconnaissance de l’obligation de l’ETSI de concourir à la concession d’une licence tandis qu’une autre juridiction pourrait estimer que les sociétés PHILIPS n’ont aucune obligation de concéder une licence.

Enfin, les sociétés TCL font valoir que les sociétés PHILIPS ne justifient aucunement la compétence des juridictions anglaises pour connaître de leurs demandes.

Elles ajoutent que conformément aux dispositions de l’article 7 du Règlement, les demandes dirigées contre les sociétés PHILIPS relèvent à l’évidence de la matière contractuelle.

L’ETSI conclut à l’existence d’un lien étroit entre les demandes dirigées contre lui et les sociétés PHILIPS. Cet organisme soutient qu’il est admis par la doctrine et par la jurisprudence, que l’engagement FRAND constitue une stipulation pour autrui, régie par les articles 1205 et suivants du code civil français. Elle expose que le mécanisme est le suivant : l’ETSI, le stipulant, obtient d’un breveté d’invention, le promettant (en l’occurrence PHILIPS), l’engagement d’offrir à tout utilisateur de la norme concernée, le bénéficiaire (en l’occurrence TCL), une licence d’exploitation de ses brevets essentiels à des conditions FRAND. L’ETSI rappelle que l’application du régime de la stipulation pour autrui au mécanisme de l’engagement FRAND a également été retenue par deux décisions étrangères (High Court of Justice of England and Wales, 5 avril 2017, Unwired Planet c/ Huawei Technologies ; [Adresse 10], 21 décembre 2017, TCL Communication Technology Holdings Ltd c/ Telefonktiebolag et LM Ericsson).

L’ETSI ajoute que, si TCL s’égare dans son analyse du rôle d’un organisme de normalisation, qui ne saurait en aucun cas intervenir dans le cadre d’une négociation commerciale entre ses membres, les demandes dirigées contre l’ETSI ne sauraient être examinées hors la présence des sociétés PHILIPS, seules véritablement concernées par les demandes des sociétés TCL.

L’ETSI conteste encore l’analyse des sociétés PHILIPS quant à la portée de leurs engagements et indique ne pouvoir la laisser sans réponse et ce, aux fins de garantir l’application du droit européen de la concurrence, de ses statuts et de son règlement intérieur. Aussi, l’ETSI fait-elle valoir que les sociétés PHILIPS n’ont pas souscrit une simple obligation de négocier de bonne foi, laquelle serait une obligation précontractuelle, de nature délictuelle, mais qu’au contraire, le présent litige intervient bien dans la sphère contractuelle puisque la demande de TCL à l’encontre de Philips résulte du mécanisme contractuel de la stipulation pour autrui par lequel le stipulant constitue le bénéficiaire créancier à l’encontre d’un débiteur, le promettant. Autrement dit, selon l’ETSI, ce n’est pas parce qu’il n’y pas de licence de brevets qu’il n’y a pas de relation contractuelle entre le promettant et le bénéficiaire.

Sur ce,

Selon l’article 8, 1o du Règlement (UE) no1215/2012 du Parlement Européen et du Conseil du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, (qui reprend les termes de l’article 6, 1o, du règlement no 44/2001 du 22 décembre 2000 dit Bruxelles I) "Une personne domiciliée sur le territoire d’un État membre peut aussi être attraite :
1) s’il y a plusieurs défendeurs, devant la juridiction du domicile de l’un d’eux, à condition que les demandes soient liées entre elles par un rapport si étroit qu’il y a intérêt à les instruire et à les juger en même temps afin d’éviter des solutions qui pourraient être inconciliables si les causes étaient jugées séparément ;".

Par un arrêt du 1er décembre 2011(Aff. C-145/10, Eva-Maria Painer contre Standard Verlags GmbH e.a.), la Cour de Justice de l’Union Européenne a dit pour droit, à propos de la règle de l’article 6, 1o, que "74. Cette règle spéciale, en ce qu’elle déroge à la compétence de principe du for du domicile du défendeur énoncée à l’article 2 du règlement no 44/2001, est d’interprétation stricte, ne permettant pas une interprétation allant au-delà des hypothèses envisagées de manière explicite par ledit règlement (voir arrêt du 11 octobre 2007, Freeport, C-98/06, Rec. p. I-8319, point 35 et jurisprudence citée).
75. En effet, ainsi qu’il ressort du onzième considérant du règlement no 44/2001, les règles de compétence doivent présenter un haut degré de prévisibilité et s’articuler autour de la compétence de principe du domicile du défendeur et cette compétence doit toujours être disponible, sauf dans quelques cas bien déterminés où la matière en litige ou l’autonomie des parties justifie un autre critère de rattachement.
76. Il ne ressort pas du libellé de l’article 6, point 1, du règlement no 44/2001 que l’identité des fondements juridiques des actions introduites contre les différents défendeurs fasse partie des conditions prévues pour l’application de cette disposition (arrêt Freeport, précité, point 38).
77. Concernant son objectif, la règle de compétence visée à l’article 6, point 1, du règlement no 44/2001, d’une part, répond, conformément aux douzième et quinzième considérants de ce règlement, au souci de faciliter une bonne administration de la justice, de réduire au maximum la possibilité de procédures concurrentes et d’éviter ainsi des solutions qui pourraient être inconciliables si les causes étaient jugées séparément.
78. D’autre part, cette même règle ne saurait cependant être appliquée de telle sorte qu’elle permette au requérant de former une demande dirigée contre plusieurs défendeurs à la seule fin de soustraire l’un de ces défendeurs aux tribunaux de l’État où il est domicilié (voir, en ce sens, arrêts du 27 septembre 1988, Kalfelis, 189/87, Rec. p. 5565, points 8 et 9, ainsi que du 27 octobre 1998, Réunion européenne e.a., C-51/97, Rec. p. I-6511, point 47).
79. À cet égard, la Cour a indiqué que, pour que des décisions soient considérées comme inconciliables, au sens de l’article 6, point 1, du règlement no 44/2001, il ne suffit pas qu’il existe une divergence dans la solution du litige, mais encore faut-il que cette divergence s’inscrive dans le cadre d’une même situation de fait et de droit (voir arrêt Freeport, précité, point 40).
80. Or, lors de l’appréciation de l’existence du lien de connexité entre différentes demandes, c’est-à-dire du risque de décisions inconciliables si lesdites demandes étaient jugées séparément, l’identité des fondements juridiques des actions introduites n’est qu’un facteur pertinent parmi d’autres. Elle n’est pas une condition indispensable de l’application de l’article 6, point 1, du règlement no 44/2001 (voir, en ce sens, arrêt Freeport, précité, point 41).
81. Ainsi, une différence de fondements juridiques entre des actions introduites contre les différents défendeurs ne fait pas, en soi, obstacle à l’application de l’article 6, point 1, du règlement no 44/2001, pour autant toutefois qu’il était prévisible pour les défendeurs qu’ils risquaient de pouvoir être attraits dans l’État membre où au moins l’un d’entre eux a son domicile (voir, en ce sens, arrêt Freeport, précité, point 47).
82. Il en va ainsi à plus forte raison lorsque, comme dans l’affaire au principal, les réglementations nationales sur lesquelles sont fondées les actions introduites contre les différents défendeurs s’avèrent, selon la juridiction de renvoi, en substance identiques."

De tout ce qui précède il résulte que l’existence d’un rapport étroit au sens du Règlement de Bruxelles I bis procède d’un lien de connexité caractérisé par l’identité de situation de fait et de droit, entraînant un risque de solutions inconciliables (Cass. Com., 5 avril 2016, pourvoi no 13-22.491, Bull. 2016, IV, no 62).

Force est au cas particulier de constater que les demandes dirigées contre l’ETSI d’une part et contre les sociétés PHILIPS d’autre part, procèdent d’une même situation de fait résultant de ce que, selon les demanderesses au fond, ces sociétés ne respectent pas les règles relatives aux droits de propriété intellectuelle élaborées par l’ETSI.

Si les fondements juridiques des demandes dirigées contre l’ETSI et les sociétés PHILIPS sont différents (les premières sont fondées sur le contrat d’association qui régit les rapports entre l’ETSI et ses membres et les secondes sur la stipulation pour autrui par laquelle les sociétés PHILIPS se sont engagées à consentir des licences à des conditions FRAND issues des règles de fonctionnement de l’ETSI), il ne s’agit pas d’un obstacle à la reconnaissance d’une identité de situation de droit, ainsi que l’a jugé la Cour, ce d’autant moins qu’en l’occurrence les demandes sont toutes expressément soumises à la loi française ainsi que le prévoient les règles de procédure élaborées par l’ETSI.

L’identité de situation de droit qui fonde les demandes est donc caractérisée.

Il doit en outre à ce stade être observé que l’ETSI s’est dotée de moyens juridiques aux fins de garantir le respect de leurs obligations en matière de droit de propriété intellectuelle par ses membres, de sorte que les demandes dirigées contre cet organisme ne peuvent être qualifiées d’artificielles.

A titre surabondant, il y a lieu d’observer que seraient inconciliables, et pas simplement divergentes, la décision qui enjoindrait à l’ETSI de concourir à la concession d’une licence au besoin par la mise en oeuvre des mesures prévues par son règlement intérieur, et celle qui estimerait que les sociétés PHILIPS ont respecté leur obligation de proposer aux sociétés TCL une licence à des conditions FRAND.

Il convient d’observer enfin que les sociétés PHILIPS n’ont pas leur siège dans le ressort de la High Court of Justice of England and Wales, qui ne peut dès lors être regardée comme le domicile du défendeur que l’article 6 du Règlement de Bruxelles I bis précité a pour objet de protéger.

Il y a donc lieu de dire que les demandes dirigées contre l’ETSI et celles dirigées contre les sociétés PHILIPS sont liées par un rapport si étroit qu’il y a lieu de les juger ensemble et de dire le tribunal judiciaire de Paris compétent pour connaître des demandes dirigées contre les sociétés PHILIPS.

Sur l’exception de litispendance

Subsidiairement, pour le cas où le juge de la mise en état déclarerait le tribunal de Paris compétent, les sociétés PHILIPS invoquent l’exception de litispendance et les dispositions de l’article 29 du Règlement Bruxelles I bis.

Les sociétés PHILIPS soutiennent à cet égard que la condition de triple identité de parties, de cause, et d’objet est remplie. Elles exposent en effet que les parties sont les mêmes, et que la cause est la même, les demandes, tant en France qu’en Grande-Bretagne, ayant le même fondement à savoir l’engagement pris auprès de l’ETSI en application de l’article 6.1 de la politique sur la propriété intellectuelle. Elles font valoir que, sur le fondement de ce texte, elles demandent à la juridiction britannique de déterminer les conditions d’une licence FRAND et de fixer un délai aux sociétés TCL pour souscrire à une telle licence et à défaut, de prononcer des mesures d’interdiction. Les sociétés PHILIPS soutiennent encore que les demandes dont sont saisies les juridictions anglaise et française ont le même objet à savoir déterminer les conditions d’une licence FRAND.

Les sociétés TCL concluent au rejet de cette exception. Elles font valoir que l’action engagée en Grande-Bretagne est une action de nature délictuelle en contrefaçon de brevet, tandis que l’action engagée en France n’est pas une action en déclaration de non contrefaçon, mais une action de nature contractuelle visant à l’exécution par les sociétés PHILIPS de leur obligation. Elles rappellent que la décision rendue dans l’affaire Zyxell par la juridiction anglaise montre que les sociétés TCL peuvent abandonner leur droit à une licence FRAND pour le territoire britannique et même leur droit à voir déterminer les conditions d’une telle licence, de sorte que, selon la défense des sociétés TCL, la demande des sociétés PHILIPS ne tend qu’à obtenir une mesure d’interdiction en Grande-Bretagne.
Elles ajoutent que les juridictions anglaises pourraient surseoir à statuer dans l’attente de la décision à venir au fond de la présente juridiction. En ce qui concerne l’identité de cause, les sociétés TCL rappellent que leur demande concerne le portefeuille de brevets et la procédure anglaise, deux brevets seulement, et que le territoire concerné par les deux instances n’est pas le même. Elles concluent sur ce point (absence d’identité de cause et d’objet) en indiquant que l’autre décision anglaise citée par les sociétés PHILIPS (Unwired planet contre Huawei) fait l’objet d’un recours devant la Cour Suprême.

Les sociétés TCL indiquent enfin que les parties ne sont pas les mêmes, l’ETSI n’étant pas partie au litige anglais.

L’ETSI conclut au rejet de l’exception de litispendance.

Sur ce,

Selon l’article 29 du Règlement (UE) no1215/2012 du Parlement Européen et du Conseil du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, « 1. Sans préjudice de l’article 31, paragraphe 2, lorsque des demandes ayant le même objet et la même cause sont formées entre les mêmes parties devant des juridictions d’États membres différents, la juridiction saisie en second lieu sursoit d’office à statuer jusqu’à ce que la compétence de la juridiction première saisie soit établie. »

Interprétant les dispositions identiques issues de la Convention de Bruxelles du 27 septembre 1968, la Cour de Justice des Communautés Européenne a, par un arrêt du 6 décembre 1994 (Aff. [Adresse 11]), dit pour droit que, « 39. Au sens de l’ article 21 de la convention, la »cause" comprend les faits et la règle juridique invoqués comme fondement de la demande. (…)
41. Quant à l’ « objet » au sens du même article 21, il consiste dans le but de la demande. (…)
47. Il y a lieu de rappeler que, dans l’ article 21 de la convention, les expressions « même cause », « même objet » et « entre les mêmes parties » ont un sens autonome (voir arrêt Gubisch Maschinenfabrik, précité, point 11). Elles doivent donc être interprétées indépendamment des particularités du droit en vigueur dans chaque État contractant. Il s’ ensuit que la distinction opérée par le droit d’ un État contractant entre action in personam et action in rem est sans pertinence pour l’ interprétation de cet article 21.(…)
2) L’ article 21 de la convention doit être interprété en ce sens que, dans le cas de deux demandes ayant la même cause et le même objet, et lorsque les parties à la seconde procédure coïncident seulement partiellement avec les parties à la procédure engagée antérieurement dans un autre État contractant, il n’ impose à la juridiction saisie en second lieu de se dessaisir que pour autant que les parties au litige devant elle sont également parties à la procédure antérieurement engagée; il n’ empêche pas la continuation de la procédure entre les autres parties.
3) Le même article 21 doit être interprété en ce sens qu’ une demande qui tend à faire juger que le défendeur est responsable d’un préjudice et à le faire condamner à verser des dommages-intérêts a la même cause et le même objet qu’une demande antérieure de ce défendeur tendant à faire juger qu’ il n’ est pas responsable dudit préjudice."

En l’occurrence, la demande dont est saisie la High Court of Justice of England and Wales est fondée sur la contrefaçon de la partie anglaise des brevets européens EP 1 440 525 B1 et EP 1 623 511 B1 et la demande des sociétés PHILIPS vise à obtenir la cessation des faits et la réparation du préjudice subi après expertise. Elle ne concerne que les sociétés PHILIPS et TCL.

Le présent litige concerne les sociétés PHILIPS et TCL, ainsi que l’ETSI. Il consiste à déterminer si, en application des règles de procédure relatives aux droits de propriété intellectuelle élaborées par l’ETSI, les sociétés PHILIPS ont proposé une licence mondiale portant sur un portefeuille contenant notamment les brevets européens EP 1 440 525 B1 et EP 1 623 511 B1 à des conditions « justes, raisonnables et non discriminatoires ».

Il en résulte que la condition de triple identité de cause, d’objet et de parties n’étant pas remplie, il n’y a pas lieu de se dessaisir au profit de la juridiction anglaise.

Sur l’exception de connexité

A titre infiniment subsidiaire, les sociétés PHILIPS soutiennent que les litiges soumis aux juridictions anglaise et française ne peuvent que conduire ces deux juridictions à examiner les mêmes questions de fait et de droit susceptibles d’aboutir à des solutions inconciliables, contraires aux objectifs du Règlement de Bruxelles I bis.

Les sociétés TCL concluent au rejet de l’exception de connexité et font valoir qu’au regard de l’évolution des demandes présentées devant elle, c’est la juridiction anglaise qui devrait surseoir à statuer dans l’attente de la décision du tribunal de Paris.

L’ETSI conclut de la même manière au rejet de l’exception de connexité.

Sur ce,

Selon l’article 30 du Règlement (UE) no1215/2012 du Parlement Européen et du Conseil du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, "1. Lorsque des demandes connexes sont pendantes devant des juridictions d’États membres différents, la juridiction saisie en second lieu peut surseoir à statuer.
2. Lorsque la demande devant la juridiction première saisie est pendante au premier degré, toute autre juridiction peut également se dessaisir, à la demande de l’une des parties, à condition que la juridiction première saisie soit compétente pour connaître des demandes en question et que sa loi permette leur jonction.
3. Sont connexes, au sens du présent article, les demandes liées entre elles par un rapport si étroit qu’il y a intérêt à les instruire et à les juger en même temps afin d’éviter des solutions qui pourraient être inconciliables si les causes étaient jugées séparément."

Interprétant les dispositions identiques issues de la Convention de Bruxelles du 27 septembre 1968, la Cour de Justice des Communautés Européenne a, par un arrêt du 6 décembre 1994 (Aff. [Adresse 11]), dit pour droit que « 52. L’ objectif de cette disposition est d’ éviter des contrariétés de décisions et ainsi d’assurer une bonne administration de la justice dans la Communauté (voir rapport sur la convention concernant la compétence judiciaire et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, JO 1979, C 59, et spécialement p. 41). En outre, l’ expression »connexité" ne couvrant pas la même notion dans chacun des États contractants, l’ article 22, troisième alinéa, énonce les éléments d’ une définition (même rapport, p. 42). Il faut donc en conclure que la notion de connexité définie dans cette disposition doit être interprétée de manière autonome.
53. Afin de satisfaire l’ objectif d’ une bonne administration de la justice, cette interprétation doit être large et comprendre tous les cas où il existe un risque de contrariété de solutions, même si les décisions peuvent être exécutées séparément et si leurs conséquences juridiques ne s’ excluent pas mutuellement.
(…) l’ article 22, troisième alinéa, de la convention a pour objectif, ainsi que l’ a relevé l’avocat général dans ses conclusions (point 28), de réaliser une meilleure coordination de l’ exercice de la fonction judiciaire à l’intérieur de la Communauté et d’ éviter l’incohérence et la contradiction des décisions, même si ces dernières peuvent recevoir une exécution séparée.
56. Cette interprétation est corroborée par le fait que les versions allemande et italienne de la convention utilisent dans l’ article 22, troisième alinéa, des termes différents de ceux utilisés dans l’ article 27, point 3.
57. Force est donc de constater que le terme « inconciliable » utilisé à l’article 22, troisième alinéa, de la convention a un sens différent de celui du même terme utilisé par l’ article 27, point 3, de la convention."

Comme le relèvent les sociétés TCL, le procès sur la question de la licence FRAND ne se tiendra en Grande-Bretagne que si les sociétés TCL ne renoncent pas à solliciter une telle licence (Court of appeal, 18 juillet 2019, TQ Delta LLC C/ ZyXEL Communications UK Limited et ZyXEL Communications : « Je ne vois aucune raison de dire qu’une telle renonciation devrait être considérée comme sans effet ou invalide. Dire que la renonciation est sans effet reviendrait à dire que la procédure doit se poursuivre comme si ZyXEL se fondait toujours sur l’engagement RAND pour s’opposer à l’octroi de l’injonction au Royaume-Uni, alors que ZyXEL est prête à prendre un engagement irrévocable de ne pas s’y opposer. » traduction de la décision ayant autorisé l’appel du jugement en ce qu’il avait autorisé la poursuite du « procès FRAND » en dépit de la renonciation des sociétés ZyXEL à demander la détermination des conditions d’une telle licence).

Aucun risque de décisions inconciliables au sens de l’article 30 du Règlement n’étant en l’état caractérisé, la connexité ne peut être retenue en l’occurrence, et il n’y a pas lieu d’ordonner le dessaisissement de la présente juridiction.

Sur les autres demandes

L’ETSI conclut à l’irrecevabilité des demandes dirigées contre lui par les sociétés TCL.

Il y a lieu de renvoyer l’examen de cette fin de non-recevoir devant le tribunal conformément aux dispositions de l’article 771 du code de procédure civile dans sa version alors applicable et selon les modalités précisées au dispositif de la présente décision.

Les sociétés TCL et l’ETSI ont, à l’occasion de la défense au présent incident, exposé des frais qu’il serait inéquitable de laisser à leur charge. Les sociétés PHILIPS seront donc condamnées à payer la somme de 20.000 euros à l’ETSI et 45.000 euros aux sociétés TCL.

L’exécution provisoire, qui n’apparaît pas nécessaire, ne sera pas ordonnée.

PAR CES MOTIFS,

Statuant publiquement par mise à disposition au greffe, contradictoirement et par ordonnance susceptible d’appel selon les modalités prévues aux articles 83 et 85 du code de procédure civile,

Le juge de la mise en état,

Rejette toutes les exceptions de procédure soulevées par les sociétés KONINKLIJKE PHILIPS NV et PHILIPS INTERNATIONAL BV ;

Dit que la fin de non-recevoir soulevée par l’INSTITUT EUROPÉEN DES NORMES DE TÉLÉCOMMUNICATIONS (ETSI) sera examinée par le tribunal à l’audience du :
mardi 2 juin 2020 à 14 heures,
au terme du calendrier suivant :
- 16 mars 2020 (date relais) pour les conclusions des sociétés TCL et PHILIPS,
- 30 avril 2020 (date relais) pour les conclusions de l’ETSI,
- aucune conclusion au-delà du 21 mai 2020 ;

Réserve les dépens ;

Condamne in solidum les sociétés KONINKLIJKE PHILIPS NV et PHILIPS INTERNATIONAL BV à payer à l’INSTITUT EUROPÉEN DES NORMES DE TÉLÉCOMMUNICATIONS (ETSI) la somme de 20.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

Condamne in solidum les sociétés KONINKLIJKE PHILIPS NV et PHILIPS INTERNATIONAL BV à payer aux sociétés TCL COMMUNICATION TECHNOLOGY HOLDINGS LIMITED, TCL COMMUNICATION LIMITED et TCT MOBILE EUROPE SAS une somme de 15.000 euros à chacune sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

Dit n’y avoir lieu à exécution provisoire.

Faite et rendue à Paris le 06 février 2020.

La GreffièreLa Juge de la mise en état

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Tribunal de grande instance de Paris, 6 février 2020, 19/02085